Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est toujours un plaisir que de débattre des propositions de loi présentées par le groupe RDSE, et particulièrement par son président.
Vous le savez, monsieur Collin, nous avons eu l’occasion de soutenir nombre de vos initiatives. Aujourd'hui, vous avez raison de mettre l’accent sur le rôle des groupes politiques au sein des assemblées parlementaires, car il s'agit là d’un beau sujet, qui pose un véritable problème. Toutefois, nous ne reprendrons pas à notre compte la totalité de vos propositions.
En effet, les propos des orateurs précédents contiennent une part de vérité qui tient, me semble-t-il, à l’idée que nous nous faisons de l’État.
Monsieur Collin, il est arrivé à certains d’entre nous d’exercer des fonctions au sein de gouvernements. Peut-être d'ailleurs les éminents représentants du RDSE et vous-même aurez-vous cette possibilité, à la faveur de l’alternance que nous appelons de nos vœux. (Sourires.)
M. Jacques Mézard. J’en prends note !
Mme Éliane Assassi. C’est réglé !
M. Jean-Pierre Sueur. Si tel était le cas, je ne suis pas certain que le membre du Gouvernement que vous seriez accepterait volontiers que l’un ou l’autre des groupes parlementaires convoque incontinent le directeur général de son administration, son directeur de cabinet, voire les préfets et les sous-préfets, pour qu’ils rendent des comptes.
Autant il est juste, me semble-t-il, que de telles prérogatives soient accordées aux commissions d’enquête parlementaire, devant lesquelles chacun doit venir s’exprimer – à l’exception, en vertu de notre Constitution, du Président de la République –, autant il me paraîtrait peu adapté de confier à chaque groupe parlementaire les mêmes pouvoirs. Je tenais à vous le dire amicalement et franchement, monsieur Collin, car tel est le fond de ma pensée.
Toutefois, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, notre groupe ne souscrira pas – cela dit sans vous désobliger – à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
En effet, lorsque vous déposez une telle motion, vous nous dites en quelque sorte, en langage juridique : « Il est inutile de débattre de cette question ; ce n’est pas le lieu de l’aborder, ce texte n’étant pas conforme à la Constitution ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout ! La preuve, c’est que nous menons ce débat.
M. Jean-Pierre Sueur. Pourtant, il y a dans l’initiative de M. Collin des éléments utiles, me semble-t-il, et pour ma part je salue sa démarche.
Monsieur le ministre, j’ai constaté, une fois encore, que vous donniez quelque peu dans l’autosatisfaction. Or tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Comme il faut être positif, j’expliquerai pourquoi il est regrettable, selon nous, que notre assemblée ne se saisisse pas de cette proposition de loi.
Tout d'abord, monsieur le ministre, vous eussiez pu amender ce texte. C’est à cela que sert le Parlement.
Monsieur le président de la commission, vous eussiez pu, vous aussi, l’amender.
M. Jean-Pierre Sueur. Pour en arriver à toujours plus de démocratie ! La démocratie, comme la République, et je parle sous le contrôle de Jean-Pierre Chevènement – pas de lui seul d’ailleurs, car nous sommes tous attachés à la République –, réclame la perfection.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, c’est parce que nous avons participé aux travaux de la commission et que nous savions que le couperet de l’exception d’irrecevabilité s’abattrait sans appel.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela ne vous empêchait pas de déposer des amendements !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’avons pas voulu travailler en vain, monsieur le président de la commission.
Cela étant, concernant le renforcement des moyens de contrôle des groupes politiques, je me permettrai de faire quatre suggestions.
La première de ces suggestions fait suite aux propos de M. Garrec, qui a beaucoup insisté sur le fait que les membres du bureau du Sénat étaient désignés à la proportionnelle et que la pratique avait changé au sein de la conférence des présidents.
M. René Garrec, rapporteur. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet ! Toutefois, il y a une chose qui n’a pas changé.
Mme Jacqueline Gourault. Il n’y a pas assez de femmes !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les présidences de commission !
M. Jean-Pierre Sueur. Et voilà ! Monsieur le président de la commission des lois, vous êtes vous aussi tellement convaincu par cette idée que vous en parlez avant moi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je sais simplement ce que vous allez dire. Vous êtes si prévisible… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Cela montre que vous connaissez ma pensée – encore que ce terme de « pensée » soit totalement présomptueux de ma part –, et je vous en remercie.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous nous connaissons bien !
M. René Garrec, rapporteur. C’est l’apanage des vieux couples !
M. Jean-Pierre Sueur. Toujours est-il qu’il est profondément anormal que les sept commissions permanentes du Sénat soient toutes présidées par des membres appartenant à des groupes politiques de la majorité. Dans de très nombreux parlements de par le monde – je parle naturellement des pays démocratiques –, on jugerait cette situation incongrue.
Quelle difficulté y aurait-il à nommer des présidents de commission parmi les membres de groupes de la minorité ? Après tout, plusieurs groupes politiques ont l’honneur de voir certains de leurs membres occuper le poste de vice-président du Sénat. N’est-ce pas, madame la présidente ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas la même fonction !
M. Jean-Pierre Sueur. De la même manière, sauf exceptions notables que vous connaissez bien, monsieur le président de la commission des lois – je ne vais donc pas les rappeler –, il est dommageable qu’un très grand nombre de rapports concernant des projets de loi – je dis bien des projets de loi – soient confiés à des membres de la majorité. Il serait équitable que ceux-ci fussent répartis entre la majorité et l’opposition.
Le rapporteur a pour rôle de donner l’avis de la commission. Je me souviens de tel ou tel député, aujourd’hui certainement disparu, qui s’acquittait de cette tâche solennellement en expliquant qu’il n’avait pas été suivi par la commission. Une telle démarche serait un progrès pour nos institutions.
Faire confiance à nos collègues, quel que soit leur groupe politique, pour rapporter la position de la commission et présider une commission, voilà ma première suggestion. Celle-ci est parfaitement conforme à la Constitution ainsi qu’au règlement du Sénat. Je pense, monsieur le ministre, que vous y trouveriez beaucoup d’aspects positifs.
M. Jean-Pierre Sueur. Ma deuxième suggestion touche aux séances de questions, qui sont quelque peu figées.
Mme Jacqueline Gourault. Les questions d’actualité au Gouvernement !
M. Jean-Pierre Sueur. Parlons, en effet, des séances de questions d’actualité au Gouvernement, madame Gourault, puisqu’il y en a eu une cet après-midi.
Cette séance fut courtoise, comme souvent au Sénat, mais, une fois que nous avons posé notre question pendant deux minutes trente et que le Gouvernement y a répondu en utilisant une parfaite langue de bois – c’est souvent le cas – ou en étant hors sujet, pendant deux minutes trente également, nous ne pouvons plus rien dire.
Les questions orales du mardi matin, qui se déroulent dans une certaine confidentialité, même si tout le monde peut lire le Journal officiel ou consulter le site internet du Sénat, offrent, quant à elles, un droit de réplique. Mais que se passe-t-il ensuite ? Si la réponse du Gouvernement ne nous convient pas, il nous reste encore la possibilité de reposer notre question par écrit. Si, au bout de six mois, le ministre n’a pas répondu, que se passe-t-il alors ? Rien ! Nous pouvons à nouveau poser la question en séance publique, mais il ne se passera toujours rien.
M. le président du Sénat a introduit une innovation avec la séance des questions cribles thématiques, mais je pense que cette formule n’est pas très concluante.
Pourquoi ne pas regarder du côté de nos amis britanniques, qui ont des pratiques très intéressantes ? Le ministre est présent en séance, comme vous l’êtes aujourd’hui, monsieur Ollier, et, pendant une heure, les parlementaires l’interroge. Ils peuvent reprendre la parole et insister dix fois s’il le faut, s’ils estiment que le Gouvernement n’a pas répondu assez précisément à leur question.
Pour un membre du Gouvernement, cette situation n’est sans doute pas très confortable. Mais, si l’on veut vivre dans le confort, il ne faut pas être ministre ; en tout cas, c’est l’idée que je me fais de cette fonction !
Les séances de questions pourraient donc être plus nerveuses, davantage contradictoires afin de permettre de creuser le sujet. Pour le moment, chacun se contente de dire ce qu’il a à dire, sans plus d’approfondissement.
J’en viens maintenant à ma troisième suggestion qui a trait à la semaine de contrôle et à la semaine d’initiative.
Nous nous louons de l’existence de ces deux semaines, même si je sais que vous ne manquerez pas de nous reparler de notre vote lors de la réforme constitutionnelle. Quoi qu’il en soit, le système doit, là aussi, être amélioré.
L’expérience de plusieurs mois montre que nous assistons à une grande succession de débats quelque peu platoniques, encore que, j’en conviens, il soit fâcheux d’embarquer un grand penseur comme Platon dans cette affaire… (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je suis d’accord avec vous sur ce point ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Nous assistons donc à des débats quelque peu abstraits pendant une heure à une heure et demie après lesquels il ne se passe rien.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On a parlé du sujet en cause !
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, et cela est très intéressant ! Reste que le Parlement a pour mission principale de faire la loi.
Or, en ce qui concerne les propositions de loi, le système mériterait d’être amélioré. En effet, nombreuses sont celles qui ne vivent pas une vie parlementaire complète. Examinées une fois en séance publique, elles ne connaîtront jamais la navette. Je souhaite donc que l’on répertorie toutes ces propositions de loi mort-nées.
Le système est tel que, lorsque l’on veut faire avancer une question, il est plus efficace de défendre un amendement dans le cadre d’un projet de loi de simplification du droit, par exemple, que de déposer une proposition de loi qui sera inscrite dans un créneau parlementaire. Nous pouvons tous reconnaître cette évidence !
Je ne prends qu’un exemple.
Ce matin, deux textes étaient inscrits à l’ordre du jour. La discussion du premier a beaucoup débordé. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs contribué à ce débordement en nous faisant part de vos opinions sur la fiscalité pendant un long moment.
M. Jean-Pierre Sueur. Si, par exemple, vous aviez parlé quinze minutes – et ce n’est pas moi qui vais vous dire qu’il faut être bref (Rires) –, nous aurions pu achever l’examen de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité » avant treize heures. Ce texte important, qui aurait sans doute été adopté, n’a pas pu être mis aux voix faute d’une maîtrise de l’ordre du jour de ces séances réservées. En disant cela, je m’adresse bien entendu à tout le monde.
Ma troisième suggestion, monsieur le président de la commission, est donc qu’il serait bien de parfaire ce système et de lui donner une plus grande efficacité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous ne voulez pas le temps programmé, quand même ?
M. Jean-Pierre Sueur. Ma quatrième suggestion est d’accorder aux groupes politiques, et par conséquent aux parlementaires, plus de pouvoir en matière d’application des lois.
À cet égard, je ne saurais trop regretter, comme l’a fait l’autre jour M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la précédente proposition de loi de M. Collin, à laquelle on ne rendra jamais assez hommage, que les parlementaires ne puissent pas saisir le Conseil d’État en cas de non- application d’une loi qu’ils ont eux-mêmes votée, parce que le Gouvernement s’est refusé à publier les décrets. Je regrette que cette proposition n’ait pas été approuvée par le Sénat et qu’elle reste ainsi lettre morte.
En conclusion, voici résumés les moyens très simples et concrets d’améliorer le rôle des groupes politiques : un meilleur partage des présidences de commission et des fonctions de rapporteur, une procédure de questions plus nerveuse, plus démocratique et plus réactive, une organisation des semaines de contrôle et d’initiative nous permettant d’agir avec efficacité afin que les lois votées soient effectivement appliquées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.)
Mme Jacqueline Gourault. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crains d’avoir une approche différente sur la question qui nous occupe, mais cela nous permettra d’avoir un échange, ce qui est très important au Parlement.
M. Yvon Collin. C’est la diversité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre collègue Yvon Collin, qui a le mérite de présenter cette proposition de loi, dit que les groupes ont trouvé place expressément au sein de la Constitution lors de la révision votée à Versailles le 23 juillet 2008.
Oui, mais cette reconnaissance s’accompagnait de la tentative de faire passer cette révision pour ce qu’elle n’est pas à notre sens, à savoir un renforcement des droits du Parlement !
Notre groupe a de la constance. Nos prédécesseurs se sont opposés à la Constitution de 1958, car elle portait en germe la présidentialisation de nos institutions et la subordination du Parlement à l’exécutif. Les gouvernements qui se sont succédé nous ont confortés dans cette analyse et n’ont fait qu’aggraver cette logique.
Mes amis et moi n’avons eu de cesse de souligner le recul du pouvoir législatif face au pouvoir exécutif. La loi constitutionnelle de 2008 n’a pas du tout remis en cause cette situation, elle l’a entérinée.
L’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy depuis quatre ans confirme la difficulté croissante que rencontre le Parlement à remplir deux missions essentielles à nos yeux : représenter les citoyens et faire la loi.
Le divorce entre les citoyens et leurs représentants est aujourd’hui particulièrement inquiétant. En tant que parlementaires, c’est ce qui doit nous préoccuper le plus.
Le partage de l’ordre du jour, présenté comme le point d’orgue du renforcement du pouvoir des assemblées, a surtout permis à la majorité parlementaire d’accompagner les initiatives du Gouvernement. Le nombre de propositions de loi déposées à l’initiative de la majorité, qui ne sont en fait que des projets de loi recyclés pour des raisons conjoncturelles et opportunistes, le montre de façon manifeste.
De plus, comme il n’est pas possible d’examiner la question institutionnelle en dehors du contexte politique, comment ne pas constater que cette initiative parlementaire, dans le cadre d’une inflation législative gouvernementale renforcée, du développement de la législation d’affichage et d’opinion, met une pression permanente sur l’institution parlementaire, au point de dégrader fortement la qualité de l’intervention et du rôle du Parlement ?
L’adage « trop de lois tue la loi » se vérifie chaque semaine depuis plusieurs années, comme l’a d’ailleurs souligné le rapport de la commission des lois sur l’application des lois.
Soyons francs, l’initiative parlementaire, le fameux droit de tirage, se trouve marginalisée par cet activisme législatif du pouvoir et, de surcroît, elle est méprisée, en particulier à l’Assemblée nationale, par la majorité parlementaire.
Le dépôt systématique de motions de procédure sur les textes déposés par l’opposition confirme cette conception réductrice de l’initiative parlementaire. En réalité, il n’y a pas d’équivalence entre les propositions des parlementaires et les projets du Gouvernement.
Comment parler de renforcement des pouvoirs des groupes politiques, sources de structuration du débat politique, alors que le régime du « crédit temps » à l’Assemblée nationale réduit de plus en plus les débats à des déclarations de principe, abandonnant le travail législatif aux commissions ?
Au Sénat, malgré des tentatives de la majorité, l’équilibre des forces politiques n’a pas permis une telle restriction du débat démocratique – certains, sans doute, le regrettent –, même si l’utilisation extensive et excessive de l’article 40 de la Constitution, le développement de la règle dite « de l’entonnoir » limitant le dépôt d’amendements en deuxième lecture ou l’épée de Damoclès de l’irrecevabilité dite « réglementaire » de l’article 41 de la Constitution brident petit à petit la place des groupes parlementaires dans le travail d’élaboration législative.
Cette description de l’évolution, selon nous négative, du travail parlementaire, que la réforme de 2008 n’a pas permis de corriger, vise à souligner que les propositions du groupe RDSE concernant l’activité de contrôle des groupes, donc du Parlement, sont peu compatibles avec les rapports actuels entre les pouvoirs exécutif et législatif. Pour notre groupe, la question est ailleurs, elle est dans le déséquilibre, inhérent à la logique présidentialiste, qui prévaut aujourd’hui entre ces deux pouvoirs.
Les auteurs du texte indiquent dans l’exposé des motifs qu’« il est temps désormais de passer à l’étape suivante en donnant aux groupes politiques les moyens de leur mission constitutionnelle au service d’une démocratie parlementaire effective ». Je ne peux être en accord avec cette approche qui valide la révision constitutionnelle de 2008, ce que je me refuse à faire.
Pour restaurer les droits du Parlement et combattre le déséquilibre institutionnel actuel, dans la perspective des échéances électorales à venir, il faut élaborer, j’en suis convaincue, un autre projet constitutionnel qui rende réellement au peuple et à ses représentants leur souveraineté. Cela me paraît essentiel.
Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a démontré la conception de la démocratie parlementaire en vogue à l’Élysée : un Parlement aux ordres, une majorité convoquée régulièrement à l’Élysée pour se faire rappeler à l’ordre, une marche forcée dans les travaux législatifs.
Bien entendu, nous approuvons tout ce qui peut permettre aux groupes politiques de remplir leur mission, mais nous alertons également sur un renforcement excessif du travail de contrôle qui se ferait dans le cadre actuel, au détriment de l’essentiel, compte tenu des conditions dans lesquelles nous travaillons aujourd’hui.
Lorsque les auteurs s’interrogent sur le suivi des finances publiques, avec mon groupe je m’interroge sur le recul progressif de la participation du Parlement à l’élaboration du budget et de la loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons critiqué la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Celle-ci semble convenir à tout le monde, mais, au fil des années, on constate un amoindrissement considérable du rôle du Parlement en matière budgétaire. Vous proposez même de constitutionnaliser le fait que le Parlement ne soit plus libre en matière de décisions budgétaires et de finances publiques, ce qui est pourtant un droit essentiel du Parlement, pour les confier à Bruxelles. Comme vous pouvez le constater, des questions de fond nous séparent.
Pour renforcer le pouvoir des groupes politiques en matière budgétaire, commençons par supprimer les articles 40 et 41 de la Constitution…
Pour conclure, j’annonce dès maintenant que nous voterons contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité défendue par la majorité, qui utilise souvent ce procédé pour ne pas discuter sur le fond des propositions de loi de l’opposition. Un immense chantier constitutionnel est nécessaire pour démocratiser en profondeur les institutions. Toute proposition tendant à améliorer les moyens des groupes politiques, et donc du Parlement, mérite d’être prise en considération parce qu’elle aborde un sujet sur lequel nous aurions fort à gagner. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment permettre aux groupes politiques de mieux participer aux débats et aux travaux de notre assemblée et d’y prendre pleinement la place qui leur revient ? C’est la question que pose la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, sur laquelle je suis chargée de vous donner l’avis du groupe Union centriste.
Il faut reconnaître, monsieur Collin, comme l’ont fait d’autres intervenants avant moi, que c’est une bonne question,…
M. Yvon Collin. Cela commence mal !
Mme Jacqueline Gourault. … une question en tout cas qui était au cœur des débats, lors de la dernière révision constitutionnelle opérée en 2008.
À cette occasion, les groupes politiques ont vu leur rôle amplifié et démultiplié, grâce notamment au droit de tirage accordé aux groupes pour la création de commissions d’enquête ou de missions d’information, ou encore à la possibilité pour les secrétariats des groupes d’assister à certaines réunions de commission.
Enfin, la présence des présidents de groupes à la conférence des présidents renforce d’autant plus l’importance des groupes que c’est cette même conférence qui fixe la moitié de l’ordre du jour en vertu des dispositions nouvelles de l’article 48 de la Constitution, et qu’un jour de séance par mois est réservé à l’initiative des groupes d’opposition et des groupes minoritaires.
Leurs moyens ont également été multipliés. Comme nous le rappelle notre collègue Garrec dans son rapport, reprenant alors sa « casquette » de questeur du Sénat : les crédits affectés aux groupes politiques ont augmenté de plus de 30 % depuis 2008.
Des avancés non négligeables ont donc eu lieu ces dernières années, et l’on doit bien sûr s’en réjouir. Pour autant, il est vrai aussi que nous pourrions aller encore plus loin, comme le défendent les auteurs du texte.
Cependant, mon groupe considère que l’on se heurte à une question de forme : une proposition de loi est-elle le bon vecteur pour de tels changements ? Nous ne le pensons pas.
M. Yvon Collin. Oh !
Mme Jacqueline Gourault. En effet, beaucoup d’éléments de ce débat relèvent en réalité du règlement des assemblées. L’article 51-1 de la Constitution renvoie au règlement des assemblées et non à la loi le soin de déterminer les droits des groupes politiques. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que, malgré le travail intense et constructif mené au sein du groupe de travail sur la réforme du règlement de notre Haute Assemblée, ce dernier demeure aujourd’hui perfectible. Notre débat me donne l’occasion de rappeler qu’il est nécessaire de poursuivre la réflexion autour des aménagements et améliorations possibles de notre règlement.
Ainsi, il paraîtrait opportun que le représentant du secrétariat des groupes puisse être présent à l’ensemble des réunions de commission, notamment lors de l’examen des amendements extérieurs. Le travail est alors le même que lors de l’élaboration du texte de la commission, c’est pourquoi nous comprenons mal cette restriction.
Sur le fond, le texte que nous examinons aujourd'hui repose selon nous sur une erreur de conception du rôle des groupes par rapport à celui des commissions en matière de contrôle. Les auteurs de ce texte voudraient aller plus loin, en reconnaissant aux groupes des prérogatives qui appartiennent aux commissions et à elles seules. Là encore, la proposition de loi paraît contraire à la Constitution, qui est la norme définissant les prérogatives des commissions.
Pour conclure, je salue l’initiative prise par nos collègues du groupe RDSE, car elle nous a permis d’évoquer en séance publique des problèmes touchant au fonctionnement de notre Haute Assemblée.
M. Yvon Collin. Lot de consolation !
Mme Jacqueline Gourault. Cependant, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment touchant à l’inconstitutionnalité du texte, le groupe Union centriste votera en faveur de la motion présentée par le rapporteur, dont j’ai pu apprécier le travail en commission.
Et, pour finir sur une note personnelle, puisque nous évoquons les changements à opérer dans notre règlement, je reviendrai sur l’un de mes « dadas », même si je sais que le président Hyest ne partage pas mon point de vue : comme l’atteste notre hémicycle clairsemé, sans doute conviendrait-il de revoir la manière de voter dans la Haute Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République du 23 juillet 2008 a élargi les attributions du Parlement.
Nous connaissons l’importance des missions du Parlement, nous avons d’ailleurs eu à débattre de ce sujet au début de l’année, lors de l’examen de la loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, promulguée par la suite le 3 février 2011.
Mais la révision constitutionnelle de 2008 a également consacré le rôle des groupes politiques. Il est ainsi inscrit dans la Constitution que « la loi garantit [...] la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
Par cette entrée dans le texte même de la Constitution, le travail des groupes politiques du Parlement a été institutionnalisé.
Notre collègue Yvon Collin a déposé une proposition de loi tendant à renforcer les moyens de contrôle et d’information des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Notre Assemblée a déjà adopté en ce sens plusieurs dispositions, le 2 juin 2009, à l’occasion de l’examen d’une proposition de résolution modificative de notre règlement.
Pour les auteurs de la proposition de loi, le règlement des assemblées parlementaires ne pouvait comporter l’ensemble des dispositions nécessaires pour que les groupes politiques soient en mesure d’accomplir leur mission institutionnelle.
L’objectif recherché est donc de remédier à cette lacune, de telle sorte que les groupes politiques disposent de nouveaux moyens dans l’exercice de leurs fonctions : la législation, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
La question à l’origine de cette réflexion était la suivante : comment permettre aux groupes politiques de mieux participer aux débats et aux travaux de notre assemblée et d’y prendre pleinement la place qui leur revient ?
Les réponses apportées dans cette proposition de loi semblent inadaptées et contraires à la Constitution, comme nous l’a brillamment exposé le rapporteur, René Garrec.
Cette proposition de loi, d’une part, pose le principe de la participation des groupes politiques aux missions confiées au Parlement et, d’autre part, dote ces groupes de droits et de moyens tendant à garantir une contribution pleinement informée à ces missions, en prévoyant les conditions dans lesquelles s’exercent ces nouvelles prérogatives, ainsi qu’en listant un certain nombre d’autorités et d’organismes qui peuvent être consultés ou saisis par les présidents des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Notre rapporteur nous propose aujourd’hui d’adopter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, que le groupe UMP soutiendra, pour les raisons que je vais exposer.
En premier lieu, selon la Constitution, il revient aux règlements des assemblées, et non à la loi, de déterminer les droits des groupes et, plus particulièrement, des groupes d’opposition ou minoritaires.
En deuxième lieu, le Gouvernement dispose de l’administration, selon l’article 20 de la Constitution. En prévoyant pour les groupes un droit d’accès à toute information nécessaire et l’assistance de tout organisme, la proposition de loi porte manifestement atteinte au principe de séparation des pouvoirs, en conférant aux groupes des prérogatives à l’égard du Gouvernement, des administrations et des organismes qui relèvent de son autorité.
En troisième lieu, le texte repose sur une erreur de conception du rôle des groupes en le comparant à celui des commissions, tel que la réforme du règlement du Sénat de 2009 l’a prévu.
Contrairement aux groupes politiques, les commissions parlementaires disposent de prérogatives non pour elles-mêmes, mais en vue de l’information ou de la délibération de l’assemblée dans son entier, afin de lui permettre d’accomplir les missions de législation et de contrôle qu’elle tient de la Constitution.
En outre, les groupes politiques ne sont pas les détenteurs du mandat de leurs membres, c’est-à-dire les « représentants de la Nation », au sens de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Seuls les parlementaires, individuellement et réunis en assemblée, le sont.
Dès lors, les groupes ne sauraient s’arroger les prérogatives de la représentation nationale qui sont attribuées aux commissions d’enquête ou aux commissions permanentes en matière de contrôle.
Ce sont non pas les groupes politiques qui ont pour mission de contrôler l’action du Gouvernement, mais bien les assemblées parlementaires.
De plus, les groupes ne sont pas tenus de rendre compte de leur activité auprès de leur assemblée. Alors que les travaux de contrôle des commissions font l’objet d’une publicité, les travaux des groupes demeurent confidentiels. Dès lors, comment les groupes pourraient-ils participer à la mission de contrôle si leurs travaux ne sont pas, par principe, publics ? La publicité des débats et des travaux est un critère fondamental des travaux parlementaires.
Mes chers collègues, cette proposition de loi allant à l’encontre de notre Constitution, le groupe UMP, vous l’aurez compris, ne peut y souscrire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)