Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mon cher collègue, bien que je vous aie écouté avec intérêt, je n’ai pas toujours suivi votre raisonnement. Il y a des failles dans votre conception du droit constitutionnel.
Sur le fond, je le reconnais, la question que vous soulevez est réelle, mais la forme retenue pour y répondre ne me semble pas adéquate. Je ne suis pas sûr que la proposition de loi que vous nous soumettez soit le bon vecteur.
Votre volonté de renforcer les moyens de contrôle et d’information des groupes politiques est partagée par tous les membres de la Haute Assemblée. Mais si votre intention est pertinente, la solution que vous proposez est inadaptée, car contraire à la Constitution. Les textes encadrant le fonctionnement de la vie politique de notre pays devant être respectés, je défendrai tout à l’heure, au nom de la commission, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
La commission estime que la présente proposition de loi procède à une forme de mélange des genres entre les groupes et les commissions, dont les attributions sont en réalité différentes. Les commissions ont un rôle à jouer dans la mission d’information et de contrôle du Parlement, dont elles préparent le travail et qui seul exprime des positions politiques globales. Je crois que ce « mélange des genres » vient heurter certains principes de notre Constitution.
Avant de développer les arguments d’ordre constitutionnel, je souhaite rappeler les grandes avancées – vous les avez évoquées tout à l’heure – qui ont été obtenues par les groupes politiques depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et en particulier, au Sénat, depuis la réforme de notre règlement du 2 juin 2009.
Le groupe de travail sur cette réforme de notre règlement, dont nos collègues Jean-Jacques Hyest et Bernard Frimat ont été les deux rapporteurs, sous la présidence de Gérard Larcher, a effectué un travail remarquable – je regrette d’ailleurs de ne pas y avoir participé.
Chacun s’accorde à reconnaître que ce travail a été conduit dans un esprit consensuel et constructif, dans le respect du pluralisme sénatorial, qui est notre tradition partagée, que nous siégions sur les travées de la majorité ou sur celles de l’opposition.
Vous me permettrez donc de rappeler, mes chers collègues, à travers une petite énumération, les avancées dont les groupes politiques ont bénéficié en quelques années.
La révision de 2008 comporte deux dispositions majeures : d’une part, énoncées à l’article 51-1 de la Constitution, la reconnaissance constitutionnelle des groupes politiques et la possibilité pour les règlements des assemblées de leur attribuer des droits spécifiques, ce qui permet d’organiser clairement la manière dont travaillent les groupes politiques dans chaque assemblée ; d’autre part, en vertu du nouvel article 48 de la Constitution, la réservation d’une séance par mois à un ordre du jour fixé par les groupes d’opposition et minoritaires – c’est du reste dans ce cadre que vous avez pris la parole à l’instant, monsieur Collin.
Mentionnons qu’au Sénat le groupe UMP est entré dans le « tourniquet » de cette séance mensuelle réservée, sans pour autant que les autres groupes perdent ne serait-ce qu’une minute de temps de parole.
La réforme du règlement du Sénat en 2009 est allée beaucoup plus loin, plus moins même que celle du règlement de l’Assemblée nationale, que vous avez évoquée tout à l’heure.
Permettez-moi de citer quelques-uns des points de cette réforme qui me semblent importants :
Premier point, la désignation des membres du Bureau du Sénat, autres que le Président bien sûr, à la proportionnelle des groupes.
Deuxième point, l’instauration d’un droit de tirage annuel pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information selon un système plus libéral qu’à l’Assemblée nationale, où la demande peut être rejetée par un vote négatif des trois cinquièmes des membres de l’assemblée.
Troisième point, le partage entre la majorité et l’opposition des fonctions de président et de rapporteur d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information.
Quatrième point, la désignation dans les organismes extraparlementaires en tenant compte du principe de la représentation proportionnelle des groupes.
Cinquième point, la consultation des présidents de groupe politique pour la composition des commissions mixtes paritaires.
Sixième point, la faculté pour les groupes de faire annexer leur opinion aux rapports des commissions.
Septième point, la pondération des votes, au sein de la Conférence des présidents, en fonction non plus des représentants mais de l’importance numérique de chaque groupe.
Ce dernier point est fondamental dans la mesure où cette nouvelle pondération permet aux différentes composantes de notre assemblée de faire entendre leur voix dans le travail de la conférence des présidents – c’est ce que le président Larcher a appelé le « retour du politique ». Cela témoigne du souci de donner aux groupes politiques toute leur place au sein du Sénat. Ils peuvent ainsi peser sur la confection de l’ordre du jour, tant en matière d’initiative qu’en matière de contrôle, au-delà de la seule séance mensuelle réservée aux groupes d’opposition ou minoritaires.
À cet égard, la conférence des présidents préserve l’équilibre entre les demandes des groupes et celles des commissions : en 2009-2010, selon les informations qui m’ont été communiquées, deux tiers des sujets inscrits durant les semaines d’ordre du jour sénatorial hors séance mensuelle réservée ont été proposés par les groupes et un tiers par les commissions.
Enfin, huitième et dernier point – je peux en parler en ma qualité de questeur –, les crédits attribués aux groupes pour leur fonctionnement ont augmenté de 30 % depuis 2008, à budget constant en euros courants.
Au vu de ce bilan, je ne crois pas que l’on puisse affirmer que la situation des groupes n’a pas été sensiblement améliorée. C’est peut-être insuffisant, mais nous y reviendrons plus tard.
J’en viens à la proposition de loi de nos collègues du groupe RDSE.
En la lisant, je me suis demandé – permettez-moi de reposer à voix haute cette question que j’ai déjà évoquée avec le président Collin – pourquoi, dans le contexte actuel, vous aviez choisi le vecteur législatif.
La réponse est sans doute que cela permet d’organiser un débat dans notre hémicycle. Je crois d’ailleurs que c’est une bonne solution, la discussion faisant toujours avancer la réflexion sur un sujet donné.
Toutefois, il me paraît difficile d’aller beaucoup plus loin en conférant aux groupes politiques des prérogatives propres en matière d’information et de contrôle.
L’article 1er de votre proposition de loi, mes chers collègues, me paraît plus déclaratoire que réellement normatif : il affirme simplement que les groupes politiques contribuent à l’exercice des missions du Parlement. Très bien !
L’article 2 crée, quant à lui, un droit d’accès des groupes « à toutes les informations nécessaires ». Il prévoit également l’assistance des groupes par tout organisme de leur choix, sauf les autorités judiciaires, la communication dans les meilleurs délais de tous les documents dont la transmission au Parlement est prévue par des textes, et l’obligation pour toutes les personnes dont l’audition est jugée nécessaire par un groupe de s’y soumettre, ces personnes – je pense aux fonctionnaires – étant alors déliées du devoir de réserve, ce qui, logiquement, n’est pas le cas devant un groupe politique.
Enfin, l’article 3 étend aux groupes la faculté de saisir ou consulter une vingtaine d’organismes, tels que l’Autorité de la concurrence, le Conseil des prélèvements obligatoires, l’Autorité de sûreté nucléaire, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et ce au motif que ces organismes peuvent être saisis par la commission parlementaire compétente, par le président d’une assemblée ou par un parlementaire individuellement.
Ces dispositions me semblent reposer sur une erreur de conception du rôle des groupes par rapport à celui des commissions en matière d’information et de contrôle.
Or cette erreur pose un triple problème de constitutionnalité.
Il ne s’agit pas de monter les groupes contre les commissions et vice versa – cela n’aurait pas de sens –, mais de rappeler pourquoi les commissions disposent de certaines prérogatives que n’ont pas et que ne sauraient avoir les groupes, car cela ne correspond pas à leur fonction ni à leur mode de fonctionnement.
Premièrement, l’article 51-1 de la Constitution renvoie aux règlements des assemblées, et non à la loi, le soin de déterminer les droits des groupes politiques.
À cet égard, je remarque que l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ne prévoit aucun droit particulier pour les groupes. La proposition de loi de nos collègues du RDSE se trouve de ce seul fait contraire à la Constitution.
Deuxièmement, l’article 20 de la Constitution énonce que le Gouvernement « dispose de l’administration ». C’est une traduction claire du principe de la séparation des pouvoirs, qui signifie que le Parlement n’a pas autorité sur les fonctionnaires de l’exécutif.
En donnant aux groupes un droit d’accès à toutes les informations et une assistance par tout organisme, y compris ceux qui relèvent de l’autorité du Gouvernement, on viole manifestement la séparation des pouvoirs.
Seule la Cour des comptes, en vertu de la Constitution, peut assister le Parlement. Vous avez évoqué, monsieur Collin, les missions de la commission des finances dans les domaines concernés par les projets de loi de finances et les projets de lois de financement de la sécurité sociale. Mais il s’agit de l’application de textes de loi particuliers.
Au demeurant, chacun d’entre nous peut utiliser la faculté qui lui est reconnue, en tant que parlementaire, de poser des questions écrites ou orales au Gouvernement pour demander des informations. Cela fait partie des droits individuels des parlementaires, et non de ceux des groupes.
Concernant les rapports au Parlement, visés à l’article 2, chacun d’entre nous peut en prendre connaissance au bureau de la distribution s’il le souhaite : le Gouvernement les transmet à chaque assemblée, c’est-à-dire à tous les parlementaires ; ils ne sont pas réservés aux commissions.
Troisièmement – et j’en viens aux rôles respectifs des groupes et des commissions –, l’article 24 de la Constitution attribue au Parlement, et non aux groupes politiques, la mission de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques.
L’organisation institutionnelle qui en découle confie aux commissions permanentes, aux commissions d’enquête, aux missions d’information et aux délégations le soin de remplir cette mission, à côté du droit individuel des parlementaires de poser des questions au Gouvernement.
Selon une jurisprudence constante, et reprise encore dans sa décision du 25 juin 2009 sur la modification du règlement de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel reconnaît de façon stricte un « rôle d’information » des commissions et autres organes internes, afin de permettre à leur assemblée d’exercer sa mission de contrôle. C’est ce rôle d’information de l’assemblée qui justifie les prérogatives des commissions, par exemple en matière de convocation à des auditions.
Les commissions permanentes et temporaires comme les missions d’information sont composées de manière pluraliste, ce qui assure l’information et la participation de tous les groupes politiques. Les commissions d’enquête sont constituées sur un objet déterminé. Surtout, les travaux des commissions et des missions d’information sont rendus publics par la diffusion de leurs comptes rendus et de rapports d’information, qui assurent l’information de l’ensemble de l’assemblée.
A contrario, les travaux des groupes politiques, qui rassemblent des parlementaires par affinités politiques en vue d’organiser collectivement leur travail et leur expression dans l’assemblée, ne sont pas publics. Les groupes politiques ne rendent pas compte à leur assemblée de leurs travaux. C’est d’ailleurs très bien ainsi : personne n’imagine, en effet, que les groupes politiques puissent publier les comptes rendus de leurs réunions et rédiger des rapports d’information.
Il apparaît donc clairement que les commissions et les groupes politiques relèvent de deux systèmes divergents. De fait, si les groupes politiques disposaient de prérogatives propres en matière d’information et de contrôle, ils n’exerceraient pas un « rôle d’information »• au nom de leur assemblée mais pour eux-mêmes, et donc en contradiction avec l’article 24 de la Constitution.
Pour ces trois motifs d’inconstitutionnalité, je vous proposerai tout à l’heure, au nom de la commission, d’adopter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à l’encontre de la proposition de loi.
Pour conclure sur une note positive – car cette proposition comporte de nombreux points positifs –, je dois dire que je comprends et partage les intentions et réflexions de notre collègue Yvon Collin : comment faire en sorte que les groupes politiques prennent toute leur part dans les travaux de contrôle du Sénat, mais aussi dans ses travaux législatifs ?
Si la proposition de loi constituait une bonne base de discussion, ce n’était pas la bonne manière de résoudre le problème. À mon sens, monsieur Collin, la bonne solution serait, à l’occasion d’un prochain bilan de la réforme de notre règlement, de réfléchir, avec le président du Sénat et la conférence des présidents, dont vous faîtes partie, aux dispositions qui pourraient répondre le mieux à la question que vous avez soulevée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, la proposition de loi de M. Collin et des membres du groupe RDSE qui est soumise à votre examen cet après-midi, vise à élargir les droits reconnus aux groupes politiques des deux assemblées et à renforcer leurs moyens d’action au-delà de ceux que la réforme des règlements des deux chambres intervenue en 2009 leur a reconnus, dans le cadre du nouvel article 51-1 de la Constitution – que vous n’avez d’ailleurs pas mentionné, monsieur Collin.
J’observe que votre groupe est bien prolifique : il a déposé une multitude de propositions de loi témoignant de beaucoup d’imagination. Je vous en félicite, et je reconnais bien les intentions qui ont présidé à l’élaboration de la présente proposition de loi. Toutefois, quelle que soit la sincérité de ces intentions,….
M. Yvon Collin. Elle est entière !
M. Patrick Ollier, ministre. … je ne peux y souscrire.
Je sais l’excellent travail que M. Garrec a réalisé en tant que rapporteur, et je ne peux que faire miens les arguments qu’il a développés ; je vais donc me contenter de les répéter. Je remercie également le président Hyest d’avoir conduit les débats de la commission avec l’autorité qu’on lui connaît, mais surtout l’efficacité que l’on a pu constater.
Les innovations proposées pour accroître les pouvoirs des groupes d’expression politique – telles que vous les présentez, en tout cas – sont, d’une part, inefficaces et, d’autre part, inconstitutionnelles, monsieur le président Collin. Elles ne répondent pas à la finalité ni n’assurent l’efficacité du travail parlementaire.
En outre, je pense qu’elles contribueraient à créer de la confusion entre les commissions permanentes et les groupes politiques au sein de nos deux assemblées, risquant ainsi de perturber gravement le fonctionnement de ces dernières.
Je n’ai certes que vingt-cinq années d’expérience au Parlement,…
M. Jean-Pierre Sueur. Vous pouvez toujours progresser, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Sueur, je reconnais bien là votre humour !
… je crois toutefois pouvoir parler en connaissance de cause de ce qui s’y passe.
Monsieur Collin, je vous rappellerai que tout y est fondé sur la représentation proportionnelle des groupes politiques. Les groupes sont le fondement même des parlements : tous les autres organes parlementaires sont composés en fonction de l’importance numérique de chacun d’entre eux, qu’il s’agisse du bureau de l’assemblée, du bureau des commissions, des commissions d’enquête, des missions d’information, etc.
Les groupes politiques sont donc incontestablement la pierre angulaire de l’expression politique des sénatrices et sénateurs dans cet hémicycle, comme des députés à l’Assemblée nationale.
Cependant, dans le cadre institutionnel, ce sont les commissions permanentes qui sont à la base même du travail parlementaire, à travers les pouvoirs spécifiques dont elles sont dotées.
M. Yvon Collin. Nous ne le contestons pas.
M. Patrick Ollier, ministre. Je ne vais pas revenir sur ce qu’a dit mieux que moi M. Garrec, mais je l’approuve totalement : le fait de vouloir transférer aux uns les pouvoirs des autres…
M. Yvon Collin. Le texte ne dit pas cela.
M. Patrick Ollier, ministre. … créerait de la confusion et entraînerait une perturbation grave du fonctionnement de nos institutions.
Or je ne suis pas sûr que tel soit votre objectif, monsieur Collin ; à vrai dire, je suis même certain du contraire. Par conséquent, peut-être allez-vous réfléchir et, tout à l'heure, voter l’exception d’irrecevabilité que nous défendrons. (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Monsieur Collin, Dieu sait si j’ai du respect pour votre personne et pour le groupe que vous représentez !
M. Yvon Collin. Cela commence bien ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Toutefois, cette proposition de loi n’est pas déposée au meilleur moment. Je le rappelle, la révision constitutionnelle de 2008, adoptée sur l’initiative du Président de la République et du Premier ministre, a profondément renforcé le rôle du Parlement, en offrant aux groupes politiques tous les pouvoirs supplémentaires que nous pouvions espérer leur donner, ce qui correspond justement à l’objectif que vous visez aujourd'hui.
M. Yvon Collin. Je l’ai dit ! Mais il faut aller plus loin.
M. Patrick Ollier, ministre. En particulier, l’initiative parlementaire occupe davantage de place dans l’ordre du jour des assemblées. C’est bien grâce à elle que, aujourd'hui, nous allons passer deux heures à discuter ensemble agréablement de ce texte.
M. Yvon Collin. Quel bonheur ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Du reste, dans votre intervention, vous avez oublié de remercier la majorité d’avoir voté cette réforme qui vous donne aujourd'hui les moyens de vous exprimer, en tant que président de groupe.
M. Robert del Picchia. Il le sait, et il en use !
M. Yvon Collin. Je ne l’ai pas votée !
M. Patrick Ollier, ministre. La fonction de contrôle et d’évaluation des politiques publiques a, elle aussi, été consacrée, à l’article 24 de la Constitution.
Tout en renforçant ainsi la place du Parlement, le constituant a énoncé des règles précises visant à établir un nouvel équilibre entre la majorité et les groupes d’opposition ou minoritaires.
Là encore, c’est bien des groupes qu’il s'agit ! Ceux-ci sont dorénavant parties prenantes à l’élaboration de l’ordre du jour des assemblées, aux termes de l’article 48 de la Constitution. Ils peuvent également être à l’origine d’une déclaration du Gouvernement, en vertu de l’article 50-1 de notre loi fondamentale. Pour le reste, l’article 51-1 de la Constitution confie aux règlements des assemblées la définition du rôle qui est imparti aux groupes dans le fonctionnement du Parlement. Quoi de plus démocratique que cette disposition, qui renvoie à un processus efficace et tout à fait transparent ?
Par la suite, entre 2009 et 2011, les assemblées ont poursuivi cette démarche. En particulier, elles ont tiré toutes les conséquences de la révision constitutionnelle dans leur règlement. Au début de cette année, la loi adoptée sur proposition du président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a permis de mettre en place un nouveau dispositif de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. M. le président de la commission des lois en sait quelque chose ! (M. le président de la commission des lois acquiesce.)
Or l’encre de ce dernier texte est à peine sèche que, déjà, les auteurs de la présente proposition de loi suggèrent qu’il faudrait revenir sur les règles nouvelles que les assemblées s’appliquent à mettre en œuvre – avec difficulté, certes, mais consciencieusement. De grâce, monsieur Collin, un peu de patience ! Chaque jour nous révèle les effets des réformes engagées depuis 2008. Permettez-moi donc de m’interroger sur le calendrier dans lequel intervient cette proposition de loi, dont les auteurs donnent le sentiment de rouvrir des débats très récemment tranchés dans chacune des assemblées.
J’en viens au contenu même de la proposition de loi. Je ne vois pas ce qu’apporte l’article 1er, monsieur Collin : les groupes politiques des assemblées participent d’ores et déjà à la vie démocratique de la nation en contribuant à l’exercice des différents pouvoirs attribués au Parlement, comme je l’ai expliqué à l’instant.
Surtout, je crois devoir le souligner, à la différence des droits déjà reconnus aux groupes dans les règlements des assemblées, les innovations que vous proposez auraient trait, pour la plupart d’entre elles, non pas à l’organisation interne des travaux des assemblées, mais à l’affirmation des groupes comme acteurs à part entière des relations entre les pouvoirs publics. Or cela change tout !
Tel est le cas de l’article 2 de la proposition de loi, en ce qu’il permettrait aux groupes de demander l’assistance de tout organisme pouvant les aider à contribuer à l’exercice des missions législative et de contrôle du Parlement, qu’il les investirait du pouvoir d’entendre toute personne et qu’il lèverait le secret professionnel dans le cadre de ces auditions. Or ces prérogatives appartiennent aux commissions permanentes.
Tel est également le cas de l’article 3 de la proposition de loi, en ce qu’il donnerait à chaque groupe un droit de saisine identique de diverses instances, notamment les autorités administratives indépendantes. Au passage, je rappelle que les présidents de groupes peuvent déjà inviter les personnes qu’ils souhaitent auditionner. Aucune règle institutionnelle ne leur a jamais interdit de le faire !
D'ailleurs, le signe tangible que ces innovations sont perçues comme étant d’une nature différente de celles qui sont intervenues en 2009 par la refonte des règlements des assemblées est que leurs auteurs ont déposé une proposition de loi plutôt qu’une proposition de résolution visant à réformer le règlement du Sénat. La démarche que vous avez choisie, monsieur Collin, indique clairement la nature de votre objectif.
Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi se heurte à des objections juridiques déterminantes.
Tout d’abord, l’affirmation d’un droit des groupes à requérir l’aide de l’administration est contraire à ce qui paraît constituer un principe à valeur constitutionnelle, à savoir la neutralité de l’administration. Aux termes de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement « dispose de l’administration ».
La loi peut, dans une certaine mesure, aménager cette règle pour offrir au Parlement et à ses instances certaines facilités. Toutefois, il faudrait une habilitation constitutionnelle explicite pour que les groupes puissent disposer de l’administration, qu’il s’agisse des services placés sous l’autorité du Gouvernement ou des autorités administratives indépendantes. Jean-Jacques Hyest ne me contredira pas, tant cette règle complique souvent l’activité des commissions et la vie de leurs présidents ; j’ai exercé assez longtemps des fonctions similaires aux siennes à l’Assemblée nationale pour parler de ce problème en connaissance de cause !
À cet égard, la formulation de l’article 4 de la Constitution est bien trop générale pour que l’on puisse y voir un fondement possible à cette proposition de loi, monsieur Collin. Le lien entre le texte que vous défendez et « la participation […] à la vie démocratique » est beaucoup trop ténu.
Quant à l’article 51-1 de la Constitution, non seulement il est inopérant, mais il révèle, a contrario, l’intention du constituant : en ce qui concerne les groupes, celui-ci a voulu des aménagements internes au fonctionnement des assemblées, et rien de plus.
Aucune des dispositions constitutionnelles relatives aux groupes ne permet donc de considérer que le constituant aurait entendu faire de ces derniers des acteurs à part entière du fonctionnement des pouvoirs publics, au-delà des cas qu’elles déterminent.
Pour ces raisons, la proposition de loi me semble contraire à la Constitution.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’ajouter que, dans ces domaines, tout ne tient pas à la modification des règles dans lesquelles se déroule le travail parlementaire. On le sait, la pratique peut aussi être une source de progrès.
J’en citerai un exemple auquel j’ai modestement participé. En 2006, donc avant même la révision constitutionnelle de 2008, en tant que président de commission, j’inaugurais à l’Assemblée nationale la formule des corapporteurs, associant un membre de la majorité et un représentant de l’opposition pour le contrôle de l’exécution d’une loi, une pratique qui a ensuite été consacrée dans les nouvelles dispositions introduites dans le règlement. Personne ne m’a empêché de le faire ! En effet, je considère, et je ne suis pas le seul, que, s'agissant de l’exécution des lois, l’opposition doit être associée au contrôle exercé par la majorité.
Cette formule a montré tout son intérêt : elle permet de donner aux groupes minoritaires un rôle important dans le contrôle de l’action du Gouvernement. D'ailleurs, la réforme engagée par la révision de la Constitution a confirmé ces dispositions.
Je le répète, selon moi, le problème essentiel de cette proposition de loi est qu’elle risquerait de créer une confusion entre le travail des groupes et celui des commissions. Or ces dernières sont essentielles à l’activité des parlementaires. Si les groupes constituent la pierre angulaire du fonctionnement des assemblées, les commissions sont le garant de leur expression. En effet, c’est à travers elles qu’ils peuvent formuler toutes leurs demandes, à due proportion de leur effectif, bien sûr, car la règle, dans toute assemblée démocratiquement élue, est qu’il y a une majorité et une minorité.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Patrick Ollier, ministre. Je le répète, ce transfert de pouvoir n’est pas souhaitable. Il ne ferait que créer de la confusion et mettrait à mal l’équilibre de la Constitution, comme les auteurs du rapport de la commission l’ont d'ailleurs souligné : « En voulant attribuer aux groupes les prérogatives propres aux commissions en matière d’information, de contrôle et d’enquête, ce texte repose fondamentalement sur une erreur de conception du rôle des groupes par comparaison avec celui des commissions ».
À ce titre, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens de nouveau à rendre hommage au président de votre commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, et à souligner la qualité et la pertinence du travail de votre rapporteur, M. René Garrec.
Monsieur Collin, ayez confiance en les prérogatives que le règlement vous reconnaît d’ores et déjà en tant que président de groupe. Exercez-les ! C’est d'ailleurs ce que vous faites aujourd'hui, avec beaucoup de compétence, en défendant cette proposition de loi.
Pour ma part, je crois que les innovations introduites depuis 2008 sont en train de produire tous leurs effets. Il appartient à chaque parlementaire et à chaque groupe constitué dans l’une ou l’autre assemblée d’en tirer le meilleur parti. Ainsi trouverons-nous un bon équilibre entre le travail des commissions et celui des groupes, ce qui permettra un fonctionnement harmonieux des institutions.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite que le Sénat rejette cette proposition de loi en adoptant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)