Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. François Fortassin, Jean-Noël Guérini.
2. Communication du Conseil constitutionnel
3. Fonctionnement des institutions de la Polynésie française. – Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission
Discussion générale : Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois.
MM. Gaston Flosse, Denis Detcheverry, Mmes Éliane Assassi, Jacqueline Gourault, MM. Richard Tuheiava, Jean-Pierre Vial.
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
M. Bernard Frimat.
Clôture de la discussion générale.
Mme Éliane Assassi.
Amendement n° 1 de M. Gaston Flosse. – M. Gaston Flosse.
Amendement n° 17 de M. Richard Tuheiava. – M. Richard Tuheiava.
Amendement n° 18 de M. Richard Tuheiava. – M. Richard Tuheiava.
M. le rapporteur, Mme la ministre, M. Gaston Flosse. – Rejet des amendements nos 1, 17 et 18.
Adoption de l'article.
Amendement n° 19 de M. Richard Tuheiava. – Devenu sans objet.
Amendement n° 20 de M. Richard Tuheiava. – Devenu sans objet.
Amendement n° 21 de M. Richard Tuheiava. – Devenu sans objet.
Amendement n° 4 de M. Gaston Flosse. – MM. Gaston Flosse, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Questions cribles thématiques
politique audiovisuelle extérieure
Mme Claudine Lepage, M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
MM. Louis Duvernois, le ministre.
MM. Ivan Renar, le ministre.
Mme Catherine Morin-Desailly, M. le ministre.
MM. Jean-Pierre Plancade, le ministre.
Mme Christiane Kammermann, M. le ministre.
Mme Catherine Tasca, M. le ministre.
Mme Marie-Christine Blandin, M. le ministre.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
5. Fonctionnement des institutions de la Polynésie française. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi organique dans le texte de la commission
Amendement n° 22 de M. Richard Tuheiava. – M. Richard Tuheiava,
Amendement n° 10 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat.
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois ; Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Richard Tuheiava. – Retrait de l’amendement no 22 ; rejet de l’amendement no 10.
Amendement n° 23 de M. Richard Tuheiava. – M. Richard Tuheiava.
Amendement no 11 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat.
M. le rapporteur, Mmes la ministre, Jacqueline Gourault, MM. Bernard Frimat, Richard Tuheiava, Mme Josiane Mathon-Poinat. – Retrait de l’amendement no 11 ; adoption de l’amendement no 23.
Adoption de l'article modifié.
Amendements identiques nos 12 de Mme Éliane Assassi et 24 de M. Richard Tuheiava. – Mme Éliane Assassi, MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel avant l'article 5 A
Amendement n° 25 de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Article 5 A (nouveau). – Adoption
Article additionnel après l'article 5 A
Amendement n° 26 de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Articles 5 B à 5 F (nouveaux). – Adoption
Articles additionnels après l'article 5 F
Amendement n° 28 de M. Richard Tuheiava. – M. Richard Tuheiava. – Retrait.
Amendement n° 30 rectifié de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 8 rectifié de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 31 rectifié de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 5 G (nouveau). – Adoption
Amendement n° 32 de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 5 H
Amendement n° 33 de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 34 de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 2 de M. Gaston Flosse. – MM. Gaston Flosse, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 41 de la commission. – M. le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 7 ter (nouveau). – Adoption
Article additionnel après l'article 7 ter
Amendement n° 40 de la commission. – M. le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 3 de M. Gaston Flosse. – MM. Gaston Flosse, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Articles 8 bis à 8 quinquies (nouveaux). – Adoption
Amendement n° 42 du Gouvernement. – Mme la ministre, MM. le rapporteur, Gaston Flosse, Bernard Frimat. – Adoption.
Amendements identiques nos 13 de Mme Éliane Assassi et 37 de M. Richard Tuheiava. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Amendements identiques nos 14 de Mme Éliane Assassi et 38 de M. Richard Tuheiava. – Mme Éliane Assassi, MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 15 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l’article 12
Amendement n° 16 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Articles 13 à 15 (nouveaux). – Adoption
Amendement n° 39 de M. Richard Tuheiava. – MM. Richard Tuheiava, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l’article 16
Amendement n° 5 de M. Gaston Flosse. – MM. Gaston Flosse, le rapporteur, Mme la ministre, M. Richard Tuheiava. – Rejet.
M. Bernard Frimat.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi organique.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
6. Statut général des fonctionnaires des communes de Polynésie française. – Discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois.
Mmes Anne-Marie Escoffier, Josiane Mathon-Poinat, MM. Richard Tuheiava, Christian Cointat.
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er, 2, 3 bis à 3 quater, 5, 8 à 11, 11 bis A, 11 bis, 12 à 14, 16 et 17. – Adoption
Adoption définitive de l’ensemble de la proposition de loi.
7. Mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger. – Discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur.
Mmes Claudine Lepage, Anne-Marie Escoffier, MM. Robert del Picchia, Louis Duvernois.
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’ensemble de la proposition de loi.
8. Protection de l’identité. – Discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi ; François Pillet, rapporteur de la commission des lois ; Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, M. Yves Détraigne, Mme Virginie Klès, M. Michel Houel, Mme Michèle André.
Clôture de la discussion générale.
Mme Éliane Assassi.
Amendement n° 10 de Mme Éliane Assassi. – MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 11 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
Mme Éliane Assassi.
Amendement n° 12 de Mme Éliane Assassi. – MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Mme Claudine Lepage, M. le ministre.
Adoption de l'article.
Mme Éliane Assassi, MM. Joël Billard, Alain Houpert.
Amendement n° 13 de Mme Éliane Assassi. – MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 2 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Rejet.
Amendement n° 1 de Mme Virginie Klès. – Mme Virginie Klès, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 14 de Mme Éliane Assassi. – MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 15 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 8 du Gouvernement. – M. le ministre.
Amendement n° 16 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi.
MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption de l’amendement no 8, l’amendement no 16 devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Mme Éliane Assassi.
Amendement n° 19 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 4 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 3 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur, Mme Virginie Klès. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 17 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi.
Amendement n° 20 de la commission. – M. le rapporteur.
M. le ministre. – Rejet de l’amendement no 17 ; adoption de l’amendement no 20.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 5 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Article additionnel après l’article 7
Amendement n° 6 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Articles 7 bis (nouveau) et 8. – Adoption
Amendement n° 9 du Gouvernement. – M. le ministre.
Amendement n° 18 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
M. le rapporteur. – Adoption de l'amendement no 9 supprimant l'article.
Mme Virginie Klès.
Adoption de la proposition de loi.
9. Journée nationale de la laïcité. – Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution
Mlle Sophie Joissains, MM. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution ; Jean-Pierre Sueur, René-Pierre Signé.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public, de la proposition de résolution.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Noël Guérini.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 31 mai 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-156 QPC et 2011-157 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
3
Fonctionnement des institutions de la Polynésie française
Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française (projet n° 452, texte de la commission n° 531, rapport n° 530).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux réformes statutaires qui se sont succédé depuis le début des années quatre-vingt, la Polynésie française a acquis une autonomie sans équivalence au sein de la République. C’était la réponse à une profonde aspiration des élus et de la population polynésienne, pour mener à bien un processus d’émancipation progressif vis-à-vis de la métropole et surtout assurer le développement économique, social et culturel du fenua.
Force est de constater que cet objectif n’est pas atteint. La collectivité polynésienne n’a cessé d’affronter depuis 2004 des crises politiques qui ont empêché d’ancrer toute action publique dans la durée. Onze gouvernements se sont succédé en l’espace de quelques années, sans que jamais l’un d’entre eux parvienne à disposer d’une continuité suffisante à l’exercice de ses responsabilités. Ni la loi organique du 27 février 2004 ni la réforme du 7 décembre 2007 n’ont permis de mettre un terme à l’instabilité politique locale.
De très nombreux Polynésiens et Polynésiennes pensent que cette situation ne peut plus durer.
Cette instabilité chronique mine la Polynésie française, la ronge et finit par distendre les liens du « vouloir vivre ensemble » qui sont au cœur de son projet de société et de sa tradition ancestrale.
Le Président de la République a donc souhaité la réforme institutionnelle que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd'hui, au nom du Gouvernement, afin de tenter de rétablir la stabilité politique et de redonner du sens, de la cohérence et de la durée à l’action politique.
Avec un tel objectif, vous comprendrez que l’état d’esprit qui m’a animée tout au long de l’élaboration de ce projet de loi organique a toujours été positif. Je sais que ce territoire, et surtout ses habitants ont en eux une véritable capacité à aller de l’avant. Je suis persuadée qu’un sursaut collectif est possible, à condition de rétablir la confiance dans les institutions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, autant le dire d’emblée, il n’y a pas de solution miracle, de formule magique capable, par l’alchimie de nouvelles dispositions électorales et institutionnelles, de ramener la sérénité et de pacifier dans l’instant le champ politique polynésien.
Chacun le sait, permettre de dégager une majorité dans les urnes ne sert à rien si celle-ci se délite au gré d’alliances opportunistes, qui servent des intérêts personnels et contredisent le vote des Polynésiens.
Sur ce point, j’ai bien conscience que, en 2004 comme en 2007, mes prédécesseurs poursuivaient le même but et que les aléas et les renversements d’alliances ont eu raison de leurs bonnes intentions.
Nous avons une obligation de résultat pour rétablir la stabilité politique.
Garant des institutions polynésiennes, l’État se doit d’agir en dehors de toute querelle partisane. C’est pour cette raison que je me suis imposé un strict devoir de neutralité pendant les mois qui ont conduit à l’élaboration du projet de loi organique du Gouvernement. Ce projet est, il faut le souligner, le fruit d’une large concertation avec les élus polynésiens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous présenter le contenu de ce projet de loi, permettez-moi de souligner les principes qui ont guidé ma démarche.
Le premier est le respect de l’autonomie de la Polynésie française. Il n’est pas question ici de remettre en cause le statut particulier qui est garanti par l’article 74 de la Constitution, mais l’autonomie ne peut servir de prétexte pour refuser l’intervention de l’État quand il s’agit de mettre un terme aux dérives !
Ce n’est un secret pour personne : la situation économique de la Polynésie française est mauvaise. Le produit intérieur brut a reculé, le tourisme a lui aussi régressé et la commande publique ne parvient plus à soutenir la croissance du territoire. En affectant la confiance des investisseurs, l’instabilité politique récurrente en Polynésie apparaît comme un facteur supplémentaire de dégradation de l’économie des archipels.
Dans ces conditions, comment ne pas comprendre les doléances de la société civile polynésienne, qui appelle de ses vœux un véritable effort de remise en ordre budgétaire ? La prise de conscience que la collectivité de Polynésie française et ses satellites ne peuvent continuer à vivre au-dessus de leurs moyens est en train de progresser dans les esprits, et je m’en félicite.
Cette prise de conscience progresse aussi, il faut le reconnaître, dans l’esprit de certains responsables politiques. Ainsi, c’est en accord avec deux gouvernements successifs qu’a pu se dérouler sur place, tout au long de l’année 2010, une mission lourde. Conduite par trois corps d’inspection, son rôle a été de diagnostiquer les causes de la crise et surtout de formuler des préconisations afin de limiter l’hémorragie des finances publiques.
Plusieurs de ces préconisations sont reprises dans le projet de loi du Gouvernement et ont une forte charge symbolique. Je pense notamment à la limitation à sept du nombre des ministres, hors président et vice-président. Je pense au nombre de collaborateurs de cabinet, qui est lui aussi contingenté. Je pense, enfin, à la réduction du nombre de membres du Conseil économique, social et culturel.
Or la commission des lois du Sénat a systématiquement rehaussé ces plafonds pour, indique-t-elle, offrir davantage de souplesse aux élus polynésiens.
Je dois pourtant vous préciser qu’aucune de nos propositions ne relevait du hasard. Je le répète, elles trouvaient directement leur source dans les conclusions du rapport Bolliet, puisque c’est de lui qu’il s’agit.
Par ailleurs, en ma qualité d’autorité de tutelle, j’ai obtenu que l’Agence française de développement, l’AFD, octroie à la collectivité un prêt de 42 millions d’euros, lequel sera débloqué en deux fois.
À cet égard, j’attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que le versement de la seconde tranche de ce prêt est conditionné au respect d’un plan de redressement des finances locales particulièrement strict, dont le projet de loi que nous examinons ensemble doit faciliter la concrétisation, et non la contrarier en envoyant des signaux contradictoires.
J’en viens maintenant au deuxième principe qui a guidé mon action : le respect du vote des Polynésiens, et donc de l’expression démocratique.
Il n’est pas normal que, dans les heures qui suivent un scrutin, les adversaires d’hier deviennent des alliés de circonstance en détournant le résultat des urnes au profit non de l’intérêt général, mais d’ambitions personnelles. Les nombreux contacts que j’ai eus avec les élus polynésiens m’ont permis de mesurer la véritable prise de conscience sur la nécessité de mettre un terme à ces pratiques. Elle explique que les objectifs poursuivis par le projet de loi recueillent un large consensus.
Le dernier principe que j’ai veillé à observer tient en un mot : la concertation. Le scénario n’était pas écrit à l’avance et j’ai écouté toutes les propositions constructives, quelle que soit leur provenance.
En mai 2010, j’ai confié au conseiller d’État Barthélemy une mission, dont les conclusions ont servi de base à la réflexion commune. En septembre 2010, j’ai provoqué des rencontres à Paris avec les représentants des principales formations politiques polynésiennes. Enfin, je me suis déplacée en Polynésie au mois d’octobre dernier pour entendre et recevoir les personnalités de la société civile et, de nouveau, les responsables politiques.
Bref, le projet du Gouvernement a été débattu dans la durée, avec tous les acteurs locaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, venons-en maintenant au texte qui vous est aujourd'hui soumis.
C’est une exigence de stabilité politique, vous l’avez compris, qui est la ligne conductrice de ce projet de réforme. Or il me semble qu’assurer la stabilité des institutions passe de nouveau par un ajustement du régime électoral.
De ma phase de concertation, j’ai retenu deux enseignements.
En premier lieu, le nombre de circonscriptions, actuellement fixé à six, doit être revu en tenant compte du poids démographique très différent des archipels polynésiens.
Le projet du Gouvernement maintient les quatre circonscriptions actuelles des archipels éloignés, appelées à élire douze des cinquante-sept représentants à l’assemblée, mais procède à la fusion des circonscriptions actuelles des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent. Concentrant 87 % de la population, cette nouvelle circonscription, dite des « îles de la Société » élit quarante-cinq représentants à l’assemblée. Elle est divisée en quatre sections électorales : trois pour les îles du Vent et une pour les îles Sous-le-Vent.
La commission des lois du Sénat a substitué au projet du Gouvernement un système que je pense pouvoir résumer ainsi : la Polynésie devient une circonscription unique, divisée en huit sections, dont le contour géographique et le nombre d’élus sont, en réalité, identiques à ma proposition.
Seule nous différencie aujourd’hui la qualification des quatre archipels éloignés qui, dans le projet du Gouvernement, constituent des circonscriptions tandis qu’ils correspondent à des sections dans le texte de la commission des lois.
Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 12 février 2004, l’étendue de la Polynésie française, territoire vaste comme l’Europe, commande d’assurer une représentation correcte des archipels éloignés. En maintenant les quatre circonscriptions actuelles qui recouvrent ces archipels, le projet du Gouvernement permet de s’assurer que les candidats sont bien issus de ces territoires puisqu’ils sont inscrits sur les listes présentées localement.
En ne maintenant plus qu’une seule circonscription et en transformant les quatre circonscriptions des archipels en simples sections électorales, la commission des lois ne garantit plus la représentativité de la diversité géographique polynésienne et de ses populations.
Consciente de cet écueil, la commission des lois a introduit une condition de résidence afin de s’assurer que les candidats qui se présentent dans une section y résident.
Je ne peux me rallier à cette proposition pour deux raisons. D’une part, elle fragilise la loi en portant atteinte au principe de liberté de candidature ; d’autre part, elle va à l’encontre du pluralisme que le Gouvernement a entendu préserver puisqu’elle ne permet plus à des partis qui n’ont pas d’assise au niveau de l’ensemble de la Polynésie de présenter des candidats localement.
C’est pourquoi je considère que le projet du Gouvernement, élaboré en concertation avec les élus polynésiens, tant locaux que nationaux, toutes tendances confondues, concilie mieux que le texte de la commission objectif de stabilité, d’une part, et représentation adaptée des archipels, d’autre part. Plus équilibré, le texte du Gouvernement est aussi juridiquement plus fiable.
J’ai retenu un second enseignement de la phase de concertation que j’ai menée.
Il n’est pas nécessaire de revenir sur le mode de scrutin proportionnel à la plus forte moyenne à deux tours, utile pour donner une image de la diversité des opinions et les représenter.
En revanche, j’ai acquis la conviction qu’il convient d’instaurer une prime forte attribuée à la liste qui obtient la majorité pour limiter l’effet d’éparpillement de la représentation proportionnelle.
Sur ce point, la commission des lois partage mon analyse puisqu’elle maintient cette prime à un tiers des sièges et qu’elle les répartit à l’avance au sein des sections.
Je veux juste souligner que le principe de la circonscription unique qu’a retenu votre commission peut entraîner là encore une conséquence qui me paraît contestable. En effet, en préaffectant dans chaque section des archipels éloignés un siège sur trois à la liste arrivée en tête sur l’ensemble de la Polynésie, il existe un risque que l’élu qui bénéficie de cette prime n’ait recueilli aucune voix localement. Je ne pense pas concevable dans une démocratie que sur les trois représentants d’un archipel à l’assemblée de Polynésie, l’un d’entre eux ne représente aucune sensibilité politique locale.
Je voudrais maintenant évoquer les dispositions du projet de loi organique qui visent à améliorer le fonctionnement des institutions.
La Polynésie française mérite mieux que les blocages et les dérives actuels. Les mesures que propose le Gouvernement doivent permettre à la majorité issue des urnes d’inscrire son action dans la durée.
Ma priorité, vous l’avez compris, est de veiller au respect du verdict des urnes en mettant un terme aux comportements opportunistes.
Pour cela, j’ai proposé trois mesures principales.
Tout d’abord, limiter à deux mandats consécutifs la durée totale du mandat du président de la Polynésie française. Cette disposition peut aider au renouvellement de la classe politique polynésienne.
Ensuite, je propose de mettre fin à la possibilité de renouveler de façon anticipée ou annuelle le bureau de l’assemblée de la Polynésie française, qui a connu dix présidents en six ans, sauf en cas de démission de son président. Désormais, ce sera la démission du président qui entraînera celle du bureau et non l’inverse.
Enfin, j’entends rendre beaucoup plus efficace le dépôt et surtout le vote d’une motion de défiance.
La commission des lois semble partager cette analyse puisqu’elle limite le recours à cette procédure de deux manières. D’une part, chaque membre de l’assemblée ne pourra plus désormais déposer plus d’une motion par an. D’autre part, elle rehausse, comme je l’avais proposé, le seuil de recevabilité de la motion en le faisant passer du quart au tiers des membres de l’assemblée.
Je ne comprends pas, en revanche, que la commission des lois ne soit pas allée plus loin en retenant, comme le prévoit le projet du Gouvernement, que l’adoption de la motion soit acquise non plus à la majorité absolue des membres de l’assemblée, mais à une majorité qualifiée des trois cinquièmes. C’est parfaitement conforme à l’objet même du texte.
Lorsque l’on est conscient des conséquences lourdes des renversements incessants de majorité provoqués par cette motion de défiance, que ce soit pour la mise en œuvre des politiques publiques en Polynésie française, le lien de confiance entre les Polynésiens et leurs élus ou l’image de la Polynésie à l’extérieur, il n’est pas possible de dissocier le renforcement de la stabilité politique d’une réforme de la motion de défiance.
Je comprends d’autant moins la position de la commission sur ce point qu’elle a accepté ce seuil des trois cinquièmes pour l’adoption de la motion de défiance dans le domaine budgétaire.
J’ai donc déposé un amendement qui propose de relever le seuil de recevabilité de la motion pour garder à la réforme sa parfaite cohérence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui va être au cœur de nos échanges aujourd’hui n’est ni plus ni moins que l’avenir d’un territoire de la République qui souhaite retrouver ses repères.
Alors je vous le demande : ne cédons pas à la facilité ! Choisissons ensemble les évolutions institutionnelles qui, au-delà des femmes et des hommes d’aujourd’hui, ouvrent des perspectives pour les Polynésiens de demain !
Pour cela, faisons ensemble le choix du courage et de la lucidité en tirant les leçons des dysfonctionnements récents !
Grâce à la contribution des uns et des autres et à celle de votre commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite fixer pour les années qui viennent une architecture institutionnelle qui permette à la démocratie locale de bien fonctionner et qui ramène la stabilité politique indispensable au renouveau du développement économique et social. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici quelques chiffres qui illustrent, certes de manière abrupte mais malheureusement significative, la situation actuelle de la Polynésie française. Ces trois chiffres sont les suivants : 11, 3 et 855.
« 11 » représente le nombre de gouvernements successifs que la Polynésie a connus depuis son nouveau statut lui consacrant une très large autonomie en 2004. Mme la ministre a d’ailleurs rappelé ce chiffre tout à l’heure.
« 3 » est le nombre de présidents différents qui ont eu à conduire ces gouvernements. On peut noter à ce sujet – non sans intérêt – que la valse des portefeuilles ministériels s’est toutefois déroulée dans le contexte d’une certaine stabilité au plus haut niveau ! Il n’y a eu que trois présidents différents pour onze gouvernements.
« 855 » est un chiffre encore plus préoccupant puisqu’il indique en millions d’euros le montant de la dette de la Polynésie française au 31 décembre 2010, dette qui ne cesse de s’accroître.
En effet, depuis mai 2004, les institutions de la Polynésie française connaissent une instabilité chronique malgré deux tentatives législatives tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique. Cette instabilité a conduit à une profonde dégradation de la situation générale de la collectivité.
Cette situation n’a fait que s’aggraver ces dernières années. L’assemblée de la Polynésie française n’a cessé de connaître des recompositions, à la faveur de jeux d’alliances qu’entretiennent la forte segmentation des partis politiques et la recherche par les élus du meilleur moyen pour servir leurs intérêts locaux.
L’instabilité ne peut donc continuer sans remettre gravement en cause l’avenir du « pays », le fenua selon la terminologie locale. Il est temps d’agir pour éviter que les effets délétères de l’instabilité sur l’image de la classe politique polynésienne et sur la conduite des affaires publiques n’entraînent une désespérance dont les conséquences pourraient être dramatiques.
Aussi le Gouvernement a-t-il déposé au Sénat le 20 avril 2011 un projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française dont l’objet essentiel – je dis bien essentiel ! – est de permettre la constitution d’une majorité stable au sein de l’assemblée de cette collectivité. C’est cet objectif qui permet de mieux comprendre la position prise par la commission des lois.
Le projet de loi comporte ainsi deux volets.
Le premier modifie les dispositions de la loi organique statutaire relatives à l’élection des représentants à l’assemblée.
Le second tend à encadrer certains aspects du fonctionnement institutionnel afin de réduire les dépenses publiques et de rationaliser les relations entre l’exécutif et l’assemblée délibérante.
La mise en place, par la loi organique du 27 février 2004, d’un statut consacrant la Polynésie française comme un « pays d’outre-mer au sein de la République » s’est accompagnée de la création d’un mode de scrutin original pour l’élection des représentants à l’assemblée polynésienne.
Dotée de cinquante-sept membres élus pour cinq ans dans six circonscriptions, contre cinq dans le système en vigueur entre 1946 et 2004, l’assemblée de la Polynésie française était ainsi régie par un mode de scrutin combinant un scrutin de liste à un tour – le législateur organique ayant d’ailleurs imposé que les listes soient composées de manière paritaire –, un seuil d’admission à la répartition des sièges très bas – 3 % des suffrages exprimés –, une répartition des sièges à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne et une prime majoritaire égale au tiers des sièges arrondi à l’entier supérieur, prime instaurée sur l’initiative du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement présenté par notre collègue Gaston Flosse.
Compte tenu des résultats peu compatibles avec une stabilité institutionnelle, ce dispositif électoral a déjà connu deux modifications. L’une par le biais de la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, dite DSIOM, qui a supprimé la prime majoritaire, l’autre par la loi organique du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, qui a maintenu la suppression de la prime majoritaire mais introduit un scrutin à deux tours et prévu un renouvellement anticipé de l’assemblée. C’est le système actuel.
Les résultats obtenus à l’époque non seulement n’ont pas atteint l’objectif de stabilité recherché mais ont même aggravé les déséquilibres avec des conséquences dangereuses pour la situation financière, économique et sociale de la Polynésie française.
À ce sujet, il est utile de rappeler le diagnostic d’une mission d’audit, diligentée par le Premier ministre, selon lequel la situation des finances publiques est devenue critique, la Polynésie française manquant en outre d’une vision d’ensemble des investissements publics et des projets structurants.
Il était donc nécessaire et urgent de modifier les règles institutionnelles de la Polynésie française pour lui permettre de retrouver la stabilité et reprendre le chemin du développement économique dont elle a tant besoin.
Tel est le sens du projet de loi organique présenté par le Gouvernement et dont nous pouvons nous féliciter.
La présentation de ce projet ayant été faite, je ne m’y attarderai pas. Je me limiterai à souligner que le système électoral retenu par le projet du Gouvernement se rapproche beaucoup de celui de 2004. Le principal changement concerne la fusion de la circonscription des îles-du-Vent avec celle des îles Sous-le-Vent, ce qui ramène le nombre de circonscriptions à cinq, à savoir les quatre archipels les plus éloignés et les îles formant l’archipel de la Société, elles-mêmes divisées en quatre sections. Ce projet réintroduit également la prime majoritaire de un tiers des sièges et rend plus difficile le recours à la motion de défiance.
La commission des lois – je tiens à le souligner – souscrit pleinement à l’objectif d’une vie institutionnelle plus stable en Polynésie française, tel que le souhaite le Gouvernement. Il est absolument essentiel que cette collectivité puisse enfin réaliser les projets nécessaires pour améliorer les conditions de vie de sa population et préparer l’avenir de sa jeunesse.
Certes, aucun mode de scrutin respectueux des principes démocratiques ni aucune règle institutionnelle ne peuvent garantir absolument la stabilité, car les institutions restent ce qu’en font les hommes.
À cet égard, comme l’a indiqué à votre rapporteur notre excellent collègue Richard Tuheiava, sénateur de Polynésie française au même titre que Gaston Flosse – les deux sénateurs de la collectivité sont présents et je m’en réjouis –, « il ne faut pas sous-estimer le génie océanien », y compris en matière de pratique institutionnelle. Nous avons vu où cela nous a menés !
La commission juge cependant indispensable que le législateur, jouant cette fois l’une de ses dernières cartes – ce sera sa troisième tentative, madame la ministre ! –, définisse le mode de scrutin et les règles institutionnelles les plus propices à la stabilité dans l’unité de la collectivité. Pour ce faire, elle a substitué au système prévu par le projet de loi organique initial, un système de circonscription unique.
En effet, la commission des lois a observé que le dispositif proposé par le Gouvernement, qui conjugue la mise en place de circonscriptions multiples et l’attribution d’une prime majoritaire égale à un tiers des sièges – soit dix-neuf sièges – à la liste arrivée en tête dans chaque circonscription, était très similaire au système que le législateur organique avait mis en place en février 2004.
Or, comme je l’ai déjà souligné, le système électoral de 2004 a échoué puisqu’il n’a pas pu assurer à l’époque la constitution de majorités stables et pérennes au sein de l’assemblée de la Polynésie française.
Certes, le projet du Gouvernement est plus de nature à faire naître une majorité que le dispositif de 2004 mais il conserve, cependant, des facteurs de risque non négligeables, sur lesquels la commission des lois s’est penchée. Le projet de loi laisse en effet les douze sièges des quatre circonscriptions des archipels éloignés en dehors de la logique majoritaire d’ensemble. Laisser ainsi douze sièges non rattachés à une majorité d’ensemble ne permet pas de garantir la stabilité.
Au vu de ce précédent, la commission a estimé que l’approche retenue par le projet de loi organique, bien que nettement meilleure que les dispositions actuelles, n’était pas de nature à stabiliser durablement les institutions polynésiennes en dépit des efforts consentis.
La commission des lois a dès lors souhaité que l’élection des représentants à l’assemblée de la Polynésie française se déroule dans une circonscription unique, formée par l’ensemble de la collectivité polynésienne. Après tout, c’est le gouvernement de la Polynésie qui doit s’appuyer sur une majorité de la Polynésie ! De ce fait, l’unité dans le choix de la prime majoritaire paraît essentielle. Or cela n’était pas possible avec cinq circonscriptions.
Les auditions auxquelles j’ai procédé ont démontré qu’une très large partie des élus polynésiens, notamment MM. Oscar Temaru, Gaston Flosse et Gaston Tong Sang mais aussi Nicole Bouteau, Jean-Christophe Bouissou, c’est-à-dire les acteurs principaux de la vie politique polynésienne, soutenait cette approche de circonscription unique.
Il y a en effet trois avantages principaux à ce système. En permettant que l’intégralité de la prime majoritaire soit attribuée à la liste arrivée en tête dans toute la Polynésie, il garantira l’émergence d’une majorité solide au sein de l’assemblée.
Il interdira en outre la constitution de listes purement locales et mettra fin au particularisme politique qui semble, depuis plusieurs années, caractériser les archipels éloignés.
Il garantira enfin la présence d’un élu de la majorité dans chaque section. Il évitera ainsi le phénomène des zones oubliées, que Bernard Frimat et moi-même avons pu constater lorsque nous avons conduit une mission, au nom de la commission des lois, en Polynésie afin d’y étudier la situation des communes, phénomène qui oblige les maires et les élus de ces zones à se rallier à une majorité pour pouvoir faire bénéficier de quelques subventions leurs administrés.
Par définition, il y aura un représentant de la majorité dans les huit sections, puisque des sièges de prime majoritaire seront affectés dans chacune. Et cela ne remettra pas en cause la majorité dans chaque section : lorsque trois sièges seulement seront à pourvoir, la prime majoritaire concernera un siège, ce qui signifie que deux élus au moins représenteront la volonté des électeurs locaux.
Toutefois, afin d’éviter que la création d’une circonscription unique ne s’effectue au détriment des habitants des archipels éloignés, dont je rappelle qu’ils représentent tout de même 13 % de la population, les 87 % restants étant situés dans les îles de la Société, la commission a divisé la Polynésie en huit sections, chacune bénéficiant d’un minimum de trois sièges.
La délimitation de ces huit sections reprend le découpage initialement proposé par le Gouvernement pour les cinq circonscriptions – l’une était divisée en quatre sections – dont il envisageait la constitution. Nous avons tenu à nous rapprocher au maximum de ses choix.
Par ailleurs, afin de garantir la bonne représentation des populations des archipels éloignés, votre commission a prévu que seules les personnes inscrites sur la liste électorale d’une commune d’une section pourraient s’y porter candidates.
Sur ce point, je voudrais apporter une petite précision. Voilà seulement quelques semaines, la commission avait refusé une demande similaire pour les sections de Guyane. Mais il n’y a aucune incohérence dans notre approche : la collectivité unique de Guyane relève de l’article 73 de la Constitution, donc du droit commun, alors que la Polynésie relève de l’article 74, qui dote les collectivités d’outre-mer d’un statut tenant compte de leurs « intérêts propres ».
De plus, la jurisprudence du Conseil constitutionnel impose au législateur organique de garantir la « représentation effective » des archipels éloignés. Or comment assurer cette représentation effective alors que la Polynésie s’étend sur 2 500 kilomètres du nord au sud et sur 3 000 kilomètres d’est en ouest si les élus n’ont aucun lien avec ces archipels ? Rien n’interdit des mesures spécifiques. C’est d’ailleurs le cas, par exemple, pour les élections législatives, où, contrairement au droit commun, deux semaines au lieu d’une séparent les deux tours de scrutin.
L’obligation d’inscription sur les listes électorales permettra d’éviter que la création d’une circonscription unique ne débouche sur des « parachutages » dans les sections les moins peuplées et ne détourne de son sens la notion de représentation effective.
En outre, la commission a estimé que le mode de scrutin figurant dans le projet de loi organique initial, à savoir un scrutin de liste à deux tours, avec un seuil de passage au second tour fixé à 10 % des électeurs inscrits et une prime majoritaire de dix-neuf sièges, était susceptible, s’il était cumulé avec un système de circonscription unique, de mener à la constitution d’un groupe politique doté de la majorité absolue des sièges au sein de l’assemblée de la Polynésie française et correspondait donc à l’objectif visé. Elle a donc souhaité n’y apporter aucun changement de fond.
Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, dans son projet, le Gouvernement rend plus sévères les conditions de vote d’une motion de défiance, reprenant ce qu’il avait proposé en la matière pour la Martinique.
Pour les mêmes raisons, la commission a maintenu les conditions actuelles d’adoption d’une motion de défiance, qui s’appliquent d’ailleurs en Corse. En effet, porter aux trois cinquièmes des représentants la majorité requise pour son adoption pourrait conduire à des blocages institutionnels. Un président dépourvu de majorité pourrait rester en fonctions face à un adversaire malheureux, ayant recueilli quelques voix de moins que lui, mais ayant désormais plus de la majorité absolue des membres de l’assemblée derrière lui !
Il semble préférable de conserver l’exigence de la simple majorité absolue des représentants pour l’adoption d’une telle motion dès lors que le nombre de signatures requis est porté du quart au tiers des membres de l’assemblée.
En outre, la commission a réduit à une seule motion de défiance le nombre de motions que chaque élu de l’assemblée de la Polynésie française peut signer au cours d’une année civile, alors que la loi organique du mois de décembre 2007 en prévoyait deux. Cela va dans le sens souhaité par le Gouvernement.
En revanche, la commission, et il n’y a pas d’incohérence dans sa position, n’a pas jugé utile de modifier la majorité des trois cinquièmes prévue en cas de motion de renvoi budgétaire, car il paraît indispensable que l’exécutif de la collectivité ait les moyens de faire adopter son budget. D’ailleurs, il y a des précédents : un dispositif similaire – une majorité absolue des membres composant l’assemblée pour une motion de défiance et des trois cinquièmes en cas de motion de renvoi du budget – s’applique déjà en Nouvelle-Calédonie.
Votre commission a également tenu à compléter les dispositions relatives à l’adoption d’un nouveau projet de budget en cas de rejet du budget initial, afin de rappeler que la volonté du législateur organique du mois de décembre 2007 était bien d’instaurer une procédure de vote bloqué dans cette hypothèse.
Le projet de loi procède également à divers ajustements pragmatiques. La commission apprécie le désir de rationalisation du nombre de ministres du gouvernement polynésien exprimé par le Gouvernement, mais elle a quelque peu amendé le texte pour tenir compte de l’immensité du territoire de la Polynésie française. Elle propose donc un effectif gouvernemental compris entre sept et dix ministres, au lieu d’un chiffre fixe de sept ministres, comme le prévoyait le Gouvernement.
S’agissant de la limitation du nombre de membres de cabinet, la commission souhaite que l’on reste dans le cadre de l’autonomie. Elle propose ainsi de donner à l’assemblée de la Polynésie française, sur proposition de sa commission de contrôle budgétaire et financier, la compétence pour fixer le nombre maximum de collaborateurs de cabinet du président de la Polynésie française, du vice-président et des ministres.
En effet, le chiffre retenu pour les membres du Gouvernement nous est apparu quelque peu vexatoire pour les Polynésiens. En revanche, prévoir quinze collaborateurs par ministre a semblé particulièrement laxiste à la commission, qui a considéré que cela risquait d’aboutir à la constitution de cabinets pléthoriques. Avec le dispositif que nous envisageons, les institutions polynésiennes pourront, sur proposition de la commission de contrôle budgétaire et financier, décider d’inscrire au budget les sommes correspondantes aux dépenses, dans un souci de transparence.
La commission approuve l’inscription d’un principe garantissant la représentation des archipels au conseil économique, social et culturel dans le statut de la Polynésie française. Toutefois, il lui paraît difficile de concilier cet objectif avec le plafonnement à quarante-trois du nombre de membres de ce conseil. Aussi a-t-elle adopté un amendement fixant l’effectif maximal à cinquante et un, soit l’effectif actuel.
Au début, il était prévu de ramener le nombre de membres de l’assemblée de cinquante-sept à cinquante et un, et le nombre de membres du conseil économique, social et culturel de cinquante et un à quarante-trois. Le nombre de membres de l’assemblée restant à cinquante-sept, il semble logique de maintenir celui des membres du conseil économique, social et culturel à cinquante et un. Évitons de créer des difficultés supplémentaires aux acteurs concernés. Il faut que la réforme s’applique et que son esprit soit respecté !
Le rapport de la mission d’assistance à la Polynésie française des inspections générales des finances, de l’administration et des affaires sociales, qui a été publié au mois de septembre 2010, relève que le droit de la concurrence est quasi inexistant en Polynésie française et souligne l’intérêt pour cette collectivité de mettre en place une autorité de régulation.
La création d’une telle autorité est possible dans un domaine relevant de sa compétence, comme la concurrence. Toutefois, afin de lui donner un pouvoir réglementaire et de sanction, il apparaît nécessaire de modifier la loi organique statutaire. Aussi, la commission a adopté un article additionnel permettant à la Polynésie française de créer des autorités administratives indépendantes par une loi du pays.
Le rapport d’information sur les communes polynésiennes, effectué au nom de la commission des lois par votre rapporteur et notre collègue Bernard Frimat, souligne en particulier la nécessité de renforcer les moyens des communes et de favoriser le développement de l’intercommunalité. En effet, la faiblesse des communes a des conséquences déterminantes sur la stabilité institutionnelle, tandis que le regroupement des communes, notamment dans les archipels éloignés – on l’a vu aux Marquises –, peut leur permettre d’assumer davantage de compétences, tout en diminuant leur dépendance à l’égard de Papeete.
En conséquence, la commission des lois a souhaité introduire dans le projet de loi organique quelques dispositions visant à faciliter l’affirmation des communes et la mise en place d’une intercommunalité efficace, en permettant à la Polynésie française d’instituer des impôts ou des taxes spécifiques aux établissements publics de coopération intercommunale, les fameux EPCI, afin, justement, de favoriser le développement de l’intercommunalité.
Sous le bénéfice de ces remarques, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à approuver le projet de loi qui vous est soumis. Le texte qui vous est présenté s’inscrit bien dans la perspective souhaitée par le Gouvernement. Il s’agit d’instaurer la stabilité en Polynésie française, de façon à permettre à ce magnifique territoire, que j’aime beaucoup, de se développer comme il le mérite ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a transformé les anciens territoires d’outre-mer en collectivités d’outre-mer et a ainsi permis que la Polynésie française bénéficie de ce régime d’autonomie prévu à l’article 74 de notre loi fondamentale.
Cette mutation, qui a été effectuée par la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, est intervenue vingt ans après l’instauration de la véritable autonomie, consacrée en 1984.
Avec ce nouveau statut de collectivité d’outre-mer, le Parlement, accordant sa confiance à la Polynésie française, a permis que notre autonomie fasse un bond considérable. De nouvelles compétences nous ont été accordées. De même, notre assemblée peut désormais adopter des lois du pays. Mieux, le Parlement accepte de faire accéder la Polynésie française à l’exercice de compétences régaliennes, comme la procédure pénale ou la protection de l’emploi local...
Malheureusement, force est de le constater, les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays depuis 2004 ont été incapables de mettre à profit cet outil extraordinaire au service de notre développement économique, social et environnemental. Ils ont été incapables de sortir notre pays de la crise.
Bien au contraire ! Sept ans après, la Polynésie est en état de cessation de paiement. On oblige le gouvernement à vendre nos biens, les entreprises font faillite, des milliers de travailleurs ont été licenciés et la grande pauvreté s’est installée en Polynésie !
Sur le plan politique, la situation est désespérée. Le mode de scrutin retenu n’a pas permis de dégager une forte majorité à l’assemblée. Au contraire, c’est l’instabilité institutionnelle qui a prévalu et qui persiste.
Le Gouvernement a donc décidé de modifier le mode de scrutin par la loi du 7 décembre 2007. Le nouveau mode de scrutin, imposé par M. Estrosi, a encore aggravé l’instabilité institutionnelle, puisque les gouvernements n’ont cessé d’être renversés. Le gouvernement actuel est le neuvième en sept années. Comment un pays pourrait-il progresser dans ces conditions ?
À ce sujet, permettez-moi de vous préciser que M. Estrosi n’a pas tenu compte du vœu émis à l’époque par la très grande majorité des formations politiques représentées à l’assemblée, et que nous n’aurions sans doute pas connu une telle situation s’il avait été davantage à notre écoute.
Aujourd’hui, nous allons à nouveau adopter un mode de scrutin, et il faut remercier le rapporteur, M. Christian Cointat, qui nous propose un mode de scrutin plus conforme aux vœux émis à l’unanimité par les formations politiques polynésiennes.
Toutefois, certains ajustements sont encore indispensables, et je compte vous persuader de la nécessité de procéder à de telles modifications.
Tout d’abord, toutes les formations politiques représentées à l’assemblée sont d’accord pour que la Polynésie française ne forme qu’une seule circonscription, divisée en sections.
Tout le monde s’accorde également sur la nécessité d’introduire une prime majoritaire qui se calcule à l’échelle de l’ensemble de la Polynésie française et non pas à celle de chaque section. Toutefois, c’est à l’unanimité que les représentants vous proposent l’introduction d’une prime de 25 % du nombre des élus à l’assemblée, soit quinze sur cinquante-sept, au lieu de 33 %, soit dix-neuf sur cinquante-sept.
En effet, s’il est certain que notre pays a besoin d’une majorité stable et forte à l’assemblée, il est clair aussi que l’opposition ne doit pas être réduite à quelques élus. Le contrôle et la critique des actions du gouvernement sont une nécessité en démocratie, et ce débat doit avoir lieu à l’assemblée.
Ensuite, le découpage des sections qui nous est soumis pour les îles du Vent aboutit à de fortes disproportions : 66 602 personnes pour la première section, contre 72 901 pour la deuxième et 55 180 pour la troisième !
Pour ces raisons, je vous propose un découpage des îles du Vent en quatre sections d’égale importance : première section, 42 557 personnes ; deuxième section, 55 180 personnes ; troisième section, 47 092 personnes ; quatrième section, 49 854 personnes.
Ce découpage des îles du Vent en quatre sections présente le grand avantage de rendre la taille des sections plus homogène et plus égale entre les sections des îles du Vent et la section des îles sous le Vent, cette dernière ne comportant que 33 165 personnes.
Par ailleurs, ce découpage de l’ancienne circonscription des îles du Vent en quatre sections suscitera immanquablement de nouvelles vocations parmi les hommes et les femmes, plus particulièrement parmi les maires bien implantés dans ces nouveaux terroirs.
Enfin, ce découpage permettra, comme vous le souhaitez, madame la ministre, un renouvellement de la classe politique. Ainsi, ce nouveau mode de scrutin, la constitution d’une circonscription unique comprenant neuf sections, la prime attribuée à la liste ayant obtenu la majorité des suffrages sur l’ensemble de la Polynésie française et le seuil des 10 % des suffrages exprimés pour qu’une liste puisse se maintenir au second tour seront des conditions qui, si elles sont retenues dans la loi définitive, nous feront atteindre notre objectif, c’est-à-dire un retour à la stabilité.
La formation qui gagnera les élections disposera d’une majorité assez forte pour lui assurer la stabilité et pour donner au président qu’elle élira la capacité d’inscrire son action dans la durée, ce que la Polynésie n’a pas connu depuis sept ans.
C’est pourquoi, chers collègues, je vous invite à reconnaître que ces nouvelles règles électorales doivent s’appliquer sans attendre. En effet, aujourd’hui, le gouvernement de M. Oscar Temaru ne dispose plus de la majorité à l’assemblée de la Polynésie française et l’instabilité nous guette de nouveau.
Ne serait-il pas incohérent de constater que le système actuel ne permet pas la stabilité, ne serait-il pas illogique de faire voter une loi par le Parlement pour y remédier tout en différant son application de deux années ? Soyons lucides, soyons crédibles : si nous proclamons que cette loi est bonne, il faut l’appliquer immédiatement ! Comment justifier d’attendre jusqu’à 2013 alors que nous savons que la situation économique et financière de notre pays est au plus bas ? Jamais nous n’avons connu un tel désastre. Cette situation continuera à se dégrader, et plus rapidement qu’on ne le pense !
Chers collègues, nous devons agir. Décidons l’abréviation du mandat de l’assemblée de la Polynésie française, rendons la parole au peuple polynésien, n’attendons pas que celui-ci descende dans la rue. Faisons-lui confiance !
M. le président. La parole est à M. Denis Detcheverry.
M. Denis Detcheverry. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, hier, ce fut la départementalisation de Mayotte et l’évolution statutaire de la Guyane et de la Martinique ; dans quelques semaines, ce seront les institutions néo-calédoniennes et dans un futur plus lointain celles de la Guadeloupe ; aujourd’hui, c’est le fonctionnement des institutions de la Polynésie française : le Sénat est ainsi amené une nouvelle fois à se pencher sur la question cruciale de la gouvernance politique d’une collectivité ultramarine.
La multiplication de ces débats institutionnels peut être appréciée sous deux angles différents. Le premier consiste à proclamer le dynamisme démocratique en vigueur dans ces différents territoires au nom de la nécessaire adaptation des institutions aux spécificités locales. Le second, auquel je me rallie, voit plutôt dans ces débats incessants la démonstration que la France ne parvient toujours pas à mettre en place un réel modèle de développement pour les outre-mers, les errements des modes de gouvernance n’étant que la face la plus visible des difficultés qui frappent sans distinction les départements d’outre-mer et les collectivités d’outre-mer.
Le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis illustre particulièrement ce propos. Depuis l’instauration de la Polynésie en territoire d'outre-mer en 1946, l’évolution institutionnelle de ce territoire s’est caractérisée, au travers des lois de 1977, de 1984 et de 1996, par un transfert progressif de l’exercice des principales compétences aux assemblées élues par la population. La loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, taillée sur mesure, on le sait, a marqué une profonde rupture institutionnelle destinée à apporter à la Polynésie française l’autonomie à même de la mettre sur le chemin du développement.
Cependant, comme M. le rapporteur l’a rappelé, ce nouveau statut n’a pas permis de mettre en place la stabilité escomptée. Malgré la réforme de la loi électorale opérée par la loi organique du 7 décembre 2007, les crises de gouvernement ont prospéré et se sont succédé au gré des retournements d’alliances électorales, entraînant la formation de onze gouvernements en sept ans. Le présent texte entend remédier à ces dysfonctionnements chroniques en empruntant deux voies : la réforme du mode de scrutin et la rationalisation du fonctionnement des institutions.
S’agissant de la réforme du mode de scrutin, je ne suis pas sûr que la redéfinition des circonscriptions électorales ainsi que le relèvement du seuil d’accès au second tour et de la prime majoritaire suffisent, en eux-mêmes, à garantir un meilleur fonctionnement de l’assemblée de la Polynésie française. Pour tout dire, même si je conviens de l’immensité du territoire polynésien, de l’hétérogénéité de ses îles et du fait que le scrutin proportionnel permet l’expression du pluralisme, je pense que ces mesures introduiront surtout un nouveau facteur de complexité qui alourdira un processus électoral déjà particulièrement pesant dans une collectivité de 2,5 millions de kilomètres carrés.
En vue de la rationalisation du fonctionnement des institutions, le projet de loi organique entend mettre fin, à juste titre, à des pratiques peu compatibles avec la transparence que requiert l’exercice d’un mandat. Je pense au cumul dans le temps des fonctions ou au recrutement de cabinets pléthoriques qui fait naître le soupçon du népotisme. La rationalisation de la motion de défiance constructive et de la motion de renvoi budgétaire devrait également favoriser l’apaisement des relations entre l’assemblée et le gouvernement de la Polynésie française.
Néanmoins, je demeure perplexe quant à la pertinence de l’ensemble de ces modifications au regard de la finalité des institutions et du développement économique et social.
Comme de nombreuses collectivités ultramarines, pour ne pas dire comme toutes les collectivités ultramarines, la Polynésie française est confrontée à de graves problèmes qui affectent non seulement son économie, mais aussi sa cohésion sociale.
Entre 2008 et 2009, le PIB a reculé de 3 %, l’emploi a chuté de 7 %, la dette a bondi de 13 milliards de francs Pacifique et représente 76 % des recettes de fonctionnement du « pays ». L’agence Standard & Poor’s a abaissé sa note financière de BBB+ à BBB–. La Polynésie française n’a pu emprunter que 12,8 milliards de francs Pacifique sur les 19,5 milliards nécessaires au budget en 2010 : un scénario à la grecque, en somme, malgré les transferts financiers de l’État.
Comme le relevait en 2010 la mission conjointe de l’inspection générale des finances, de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale de l’administration, il est aujourd’hui urgent de casser la spirale négative des finances publiques, de réduire le périmètre et le coût des structures publiques et de redresser les comptes sociaux. On le voit bien, la priorité n’est donc absolument pas la mise en place d’une réforme institutionnelle, si nécessaire soit-elle.
La profonde crise qui frappe la Polynésie française nécessite des réponses rapides et efficaces auxquelles le délitement du débat institutionnel n’apporte, assurément, que des solutions indirectes. La question du mode de gouvernance n’est, en réalité, qu’un outil dont la seule finalité doit être la mise en place de conditions propices à un véritable développement endogène. J’en parle aujourd’hui d’autant plus volontiers que, en tant que représentant de Saint-Pierre-et-Miquelon, je porte naturellement un regard particulier sur les effets que le mode de gouvernance a sur le développement d’une collectivité ultramarine située à des milliers de kilomètres de la métropole. Pour un territoire de 6 000 habitants, mon archipel a la particularité de voir se superposer deux niveaux de collectivité, en sus des relations que chacun de ces niveaux doit entretenir avec le représentant de l’État.
Cette organisation assez lourde pour un si petit territoire ne nous permet cependant pas d’utiliser toutes les possibilités d’autonomie prévues à l’article 74 de la Constitution. Je songe, en particulier, à la coopération régionale avec nos voisins canadiens. En effet, les accords de coopération régionale signés avec eux en 1994 n’ont toujours rien apporté en matière économique, notamment en raison des lourdeurs administratives. Or le potentiel de dynamisme et d’échanges commerciaux apporterait une bouffée d’oxygène à Saint-Pierre-et-Miquelon et à l’État.
On constate donc bien que l’organisation institutionnelle ne saurait être une finalité si elle ne s’accompagne pas d’une vision de long terme adaptée à la collectivité.
Madame la ministre, les collectivités ultramarines des trois océans pâtissent aujourd’hui de graves retards. Ne cédons pas à l’illusion totale de la gouvernance ! Ce qu’elles veulent véritablement, ce sont les moyens de sortir d’un assistanat sclérosant pour pouvoir tenir demain toute leur place au sein de la République.
Malgré les incertitudes que je viens d’évoquer, le groupe RDSE dans son ensemble votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française comme aux prérogatives de son gouvernement et de son assemblée et aux modalités de gestion des affaires locales ne peut nous faire oublier que les plus récents textes de loi trouvant application sur ces archipels, à la fois proches et lointains, ont manifestement échoué à répondre aux enjeux du développement des sociétés locales et aux attentes des populations.
On peut même se demander si les mesures préconisées dans ce projet de loi suffiront à placer le fenua sur la voie du progrès économique et social, un progrès s’appuyant sur les potentiels et les capacités de la population locale, sur l’environnement et sur les ressources disponibles, et fondé sur l’activation de valeurs démocratiques essentielles.
Le projet de loi, portant à la fois sur les conditions d’élection de l’assemblée de la Polynésie française et sur la manière dont les affaires locales peuvent être gérées par modification de la loi organique, pourrait ne pas suffire à atteindre ces objectifs généraux.
En ce qui concerne les conditions d’élection de l’assemblée de la Polynésie française, nous avons à peu près tout connu.
Dans la loi de 1952, premier texte sur l’organisation des pouvoirs publics, l’assemblée de la Polynésie française, à l’époque assemblée territoriale des Établissements français d’Océanie, comptait vingt-cinq membres répartis en dix-neuf circonscriptions, dont douze membres pour six circonscriptions pour les îles du Vent, cinq élus dans autant de circonscriptions pour les îles Sous-le-Vent, deux pour les Marquises, les Australes, les Tuamotu et Gambier.
Dans le texte de 2004, si le nombre des élus était passé à cinquante-sept, le législateur, à la demande notamment de notre collègue Gaston Flosse, avait institué cinq circonscriptions avec une prime majoritaire égale au tiers des élus dans chaque circonscription, tiers évidemment arrondi à l’entier supérieur au besoin. Mais voilà, le résultat du premier scrutin fut plutôt inattendu...
En effet, la plus importante des circonscriptions, celle des îles du Vent, avait voté en faveur de l’UPLD – l’Union pour la démocratie – d’Oscar Temaru, qui s’était retrouvé avec une majorité réelle, quoique faible, au sein de l’assemblée...
La réforme de 2007 a retiré la prime majoritaire aux listes arrivées en tête et a conduit à la désignation d’une assemblée contrôlée a priori par les partis proches de l’UMP, mais la suite a largement prouvé que les choses n’étaient pas aussi simples.
Il serait sans doute trop long d’épiloguer sur les mouvements les plus divers, d’alliances, de séparations et de mésalliances parfois, qui ont rythmé la vie politique locale depuis 2004. Toujours est-il que l’un, qui avait les faveurs du temps, a fini par les perdre, et que d’autres, censés prendre sa place, n’ont pas réussi à rassembler leur camp.
Au fil de péripéties diverses, Oscar Temaru est aujourd’hui président de la Polynésie française et Jacqui Drollet président de l’assemblée de la Polynésie française. Le leader du Tavini et son allié historique du Mana occupent les deux fonctions essentielles de la vie politique locale : voilà où nous en sommes.
L’instabilité politique n’est cependant, selon nous, qu’un élément du dossier et traduit plutôt, à notre sens, la prégnance de bien des questions dépassant les seuls problèmes de stratégie politique et de combinaisons électorales des uns et des autres. Que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui ait pour ambition de répondre à ces difficultés est, évidemment, une bonne chose. Mais encore faut-il tenir compte de ce que disent les élus locaux et tirer les leçons d’expériences pour le moins difficiles. De ce point de vue, le texte de la commission des lois, qui prévoit que la Polynésie française ne constitue qu’une seule et même circonscription électorale, divisée en sections électorales représentatives de tout ou partie des archipels, nous semble autrement plus pertinent que le projet de loi initial, qui prévoyait un maintien du découpage actuel et, accessoirement, le retour de la prime majoritaire dans des proportions importantes.
Le résultat auquel est parvenue la commission des lois peut constituer une meilleure base de débat. Il nous semble toutefois perfectible et les amendements déposés sur l’article 1er montrent que c’est effectivement le cas.
Nous pouvons d’ailleurs noter que, comme nous l’avons vu récemment pour le texte relatif à la Guyane et à la Martinique, le Gouvernement maintient l’option d’un mode de scrutin proportionnel avec prime – fortement inspirée du mode de scrutin des élections régionales en métropole – pour ce qui concerne l’élection de l’assemblée unique du territoire.
On peut s’en féliciter, chercher à améliorer le dispositif – nous sommes pour notre part partisans d’une proportionnelle intégrale –, mais on peut aussi constater qu’en métropole, en lieu et place d’un mode de scrutin proportionnel, les électeurs et électrices pourraient être amenés à voter en 2014 pour des conseillers territoriaux à double casquette – conseiller régional et général – élus au scrutin majoritaire à deux tours...
Pourquoi ce qui serait bon et juste pour l’outre-mer n’aurait pas vocation à trouver application en métropole ? Cela étant, on peut quand même se demander quel est le bien-fondé du sectionnement électoral si ce n’est à tout le moins de faciliter l’ancrage des élus – le texte de la commission prévoit que chaque parti devra présenter des candidats domiciliés dans la section – et s’il y a forcément lieu de multiplier les sections.
L’examen des articles devrait nous permettre d’aller plus loin sur l’ensemble de ces questions, qui ne sont, de toute manière, pas encore tranchées et qui s’accommodent d’ailleurs assez mal de la procédure accélérée voulue par le Gouvernement.
Comme nous ne voulons pas croire que cette procédure va de pair avec l’octroi d’un prêt de 41,9 millions d’euros par l’Agence française de développement au gouvernement de Polynésie et l’affirmation par le ministère d’une exigence de « rationalisation » des dépenses des institutions polynésiennes, je dirai quelques mots des autres dispositions du texte.
Non content de rétablir la prime majoritaire, outil de la stabilité de son point de vue – peut-être faudrait-il aller jusqu’au bout et découper les archipels en cantons ? –, le Gouvernement a proposé de limiter de fait les pouvoirs de contrôle de l’assemblée territoriale sur le président et le gouvernement de Polynésie Française.
Les choix opérés dans le texte initial ne risquaient-ils pas de créer les conditions de la prolongation d’un gouvernement désavoué, sans qu’il soit possible de définir une alternative claire et nette à celui-ci ? Mettre en minorité un gouvernement était possible, mais comme proposer une politique alternative demandait une majorité plus importante, on ne pouvait laisser les Polynésiens face au choix entre rien et le chaos, ce qui aurait pu amener de fait une instabilité encore plus grande, résolue dans les faits par la seule intervention de l’État, c’est-à-dire du haut-commissaire.
En effet, les enjeux polynésiens sont tels – chômage plus élevé qu’en métropole, situation préoccupante des activités économiques et de la jeunesse, problèmes de logement, enjeux de l’éducation et de la formation – que les choix budgétaires à venir s’annoncent délicats et qu’il conviendra sans doute de créer les conditions d’une large mobilisation des forces vives de la société pour qu’ils trouvent une traduction à la hauteur des attentes.
Le développement économique et social harmonieux du fenua passe par le dialogue, la confrontation démocratique et équilibrée des idées ; nous devons faire en sorte que ce texte y contribue. La discussion qui commence montre qu’il y a encore à faire. C’est évidemment en fonction de ce que sera le texte de la « petite loi » que nous nous déterminerons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si l’on a longuement débattu de la réforme des collectivités territoriales en métropole, réforme dans laquelle je me suis beaucoup investie, il est à mon sens important de ne pas oublier les collectivités plus éloignées comme la Polynésie. En effet, les Français de Polynésie ont beau être éloignés géographiquement de notre assemblée et de notre territoire métropolitain, ils suivent de très près le travail parlementaire que nous effectuons.
Aujourd’hui, leur collectivité souffre d’une forte instabilité politique qui nuit dangereusement au fonctionnement de leurs institutions et à leur situation économique et sociale, comme cela a déjà été rappelé. Il me semble donc important, pour ne pas dire primordial pour la Polynésie de retrouver un équilibre institutionnel avec une majorité stable à l’assemblée de Polynésie française. Tel est l’objet du projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui.
Je commencerai par féliciter, pour le travail qui a été accompli, la commission et son rapporteur, Christian Cointat, dont je salue également les qualités d’écoute, liées à une très bonne connaissance de la Polynésie.
Plusieurs amendements ont été adoptés en commission des lois qui améliorent considérablement à notre sens, madame la ministre, le texte initial. Certaines de ces dispositions devraient enfin permettre aux institutions polynésiennes de retrouver une stabilité.
Je pense notamment à l’instauration d’une circonscription unique, divisée en huit sections, qui permettra à chaque liste, qui devra se présenter sur l’ensemble des sections, de proposer un projet pour l’ensemble du pays. Cela devrait contribuer à renforcer le sentiment d’unicité de la Polynésie tout en garantissant la diversité de la représentation. Une majorité devrait se dégager puisque la prime majoritaire d’un tiers des sièges, soit dix-neuf sièges, sera attribuée à la liste qui remportera l’élection à l’échelle du pays.
Toutefois, il est un point sur lequel je souhaiterais attirer votre attention, point crucial pour le pluralisme, qui, vous le savez, est une valeur qui me tient particulièrement à cœur. Il s’agit du seuil d’accessibilité au second tour pour l’élection des représentants de l’assemblée de Polynésie, qui est fixé à 10 % des électeurs inscrits. Il me semble essentiel de modifier cette disposition si l’on veut que le pluralisme puisse s’exercer aussi en Polynésie. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement à l’article 2 qui vise à modifier le seuil d’accessibilité en le portant à 10 % des suffrages exprimés.
Cela se justifie d’autant plus que le texte initial intègre des composantes très majoritaires, ou plutôt trop majoritaires, devrais-je dire, d’un scrutin. On a en effet une circonscription unique et une prime majoritaire égale à un tiers des sièges. En introduisant un seuil de 10 % des suffrages exprimés, on rétablirait un certain équilibre, sauvegardant le pluralisme et permettant aux petites formations de survivre et de pouvoir être représentées et écoutées.
Je rappelle d’ailleurs qu’aucune loi électorale régissant un scrutin de liste à deux tours ne dispose à ce jour que le seuil d’accessibilité au second tour doit être égal à 10 % des électeurs inscrits. Pour les élections des conseils municipaux, le seuil est fixé à 10 % des suffrages exprimés et pour l’élection des conseillers à l’assemblée de Corse, il est fixé à 7 % des suffrages exprimés. En outre, un seuil de 10 % des inscrits peut aboutir, en fonction de l’abstention, à un seuil voisin de 20 % des suffrages exprimés, ce qui est loin d’être négligeable.
Bien sûr, nous avons examiné ce point en commission des lois ce matin, et ma proposition n’a pas, je dois le dire, reçu un accueil favorable. Je n’oublie pas que notre collègue Richard Tuheiava a, quant à lui, déposé un amendement qui fixe le seuil d’accessibilité à 12,5 % des suffrages exprimés, ce qui est un progrès par rapport au texte actuel ; nous verrons, au cours de la discussion, comment concilier nos positions.
Comme l’a dit à plusieurs reprises le président de la commission des lois, il faut veiller à la stabilité, mais je suis de ceux qui pensent qu’on ne peut arguer de l’instabilité pour effacer le pluralisme. Pluralisme et stabilité peuvent toujours se conjuguer.
Cela dit, à moins d’un bouleversement majeur du travail de la commission des lois, nous voterons très certainement ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quatre ans – quatre ans seulement ! – se sont écoulés depuis la dernière modification de la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française.
La loi organique du 7 décembre 2007, dite « loi Estrosi », qui devait tendre – c’était son intitulé exact – à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, a été un échec, tout au moins sur le premier point : elle n’a pas atteint l’objectif principal qui lui a été fixé, à savoir celui d’assurer une stabilité politique dans le fonctionnement des institutions de la collectivité d’outre-mer de Polynésie française.
Ainsi, neuf renversements de gouvernement par l’adoption de motions de censure, puis de motions de défiance sont intervenus, onze gouvernements en à peine sept ans se sont succédé. N’est-il pas temps de s’interroger sur la pertinence d’une nouvelle modification du système électoral, qui ne serait qu’une pommade superficielle, destinée, une fois de plus, à masquer le fond du problème ?
Mes chers collègues, n’observons-nous pas encore la situation démocratique polynésienne du mauvais côté de la lorgnette ? Sommes-nous sûrs et certains d’avoir analysé avec toute l’honnêteté intellectuelle nécessaire la problématique politique polynésienne ? Sommes-nous sûrs et certains d’avoir identifié objectivement et traité scrupuleusement les « racines du mal » ?
En effet, plutôt que de nous appesantir sur les symptômes, nous sommes-nous réellement intéressés aux causes profondes de la maladie ?
Depuis l’adoption par le Parlement de la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française en 2004 – je vous fais grâce du contexte local dans lequel celui-ci a été voté... –, depuis les joutes politiciennes locales de tous bords qui se sont ensuivies trop souvent, sous le regard « bienveillant » de « Paris » – permettez-moi ce cynisme, madame la ministre, car vous savez que vous n’êtes pas visée personnellement depuis cette tribune –, il est devenu évident dans la conscience politique collective polynésienne qui prévaut au niveau local que la stratégie parisienne n’a cherché, à partir de 2007, où c’est devenu énorme, qu’à remplacer la classe politique au pouvoir par une autre,… une autre classe politique qui travaillerait bien évidemment dans le sens de la continuité des acquis institutionnels au sein de l’article 74 de la Constitution.
Cette autre classe politique locale n’aura pourtant jamais réussi à complètement s’affranchir et s’émanciper des stigmates du passé, que ce soit sur le plan judiciaire ou sur le plan financier. Plus particulièrement, elle continue, sous le couvert d’une approche politique plutôt centriste donc modérée, de se qualifier néanmoins d’autonomiste pour continuer de séduire « Paris ».
Cette autre classe politique n’aura jamais vraiment réussi à dépasser les clivages idéologiques d’antan, clivages vivaces, je le concède, tant le poids de l’histoire politique polynésienne reste lourd et a tendance à s’alourdir d’année en année.
La simple vérité, à mes yeux, est criante et pourtant on ne la voit pas, ou du moins refuse-t-on de la voir, par tolérance ou par sympathie, mes chers collègues. La vérité, c’est qu’il est difficile de bien poursuivre quand on a mal commencé.
Toute l’histoire politique polynésienne nous révèle, sans détour ni évitement, comment les choses avaient mal commencé et comment, en près d’un siècle, l’État d’alors a dû dépenser une énergie colossale ainsi que des sommes d’argent vertigineuses en direction de ses possessions ultramarines du Pacifique, dont la Polynésie française, pour tenter de camoufler ce « mauvais démarrage » grâce à des artifices institutionnels qui se révèlent hors de prix aujourd’hui : une véritable fuite en avant, légitimée en cela par la stratégie gaullienne des années cinquante et soixante.
Le reste, tout le monde le connaît : la véritable politique coloniale ultramarine dans le Pacifique n’aura été, pendant ces quarante dernières années, qu’un difficile rapport de forces entre, d’une part, les ambitions internationales d’un complexe militaro-industriel puissant qui a gouverné la politique énergétique nationale et, d’autre part, les exigences budgétaires de Bercy qui ont permis de gommer l’ampleur de la dette publique nationale aux yeux des Français de l’hexagone.
C’est vous dire quels avaient pu être les défis humains relevés par certaines personnalités telles que Maurice Lenormand, Pouvanaa a Oopa, qui fut sénateur, ou certains mouvements politiques locaux tels que le FLNKS ou le Tavini Huiraatira-FLP, pour ne prendre que les exemples calédonien et polynésien, personnalités ou mouvements qui ne s’inscrivaient certainement pas dans la logique de l’époque.
Depuis 2004, la gouvernance territoriale en Polynésie française a connu une profonde mutation, un choc démocratique terrible, sans commune mesure dans toute l’histoire polynésienne, et l’histoire continue d’ailleurs de s’écrire sous nos yeux. À partir de 2007, elle a connu un second virage sans précédent, la gouvernance nationale ayant connu un changement brutal.
Plus rien n’allait être comme avant : le traditionnel schéma politique et financier Paris-Papeete allait durablement, devrais-je dire définitivement, voler en éclat.
Et, du coup, l’outil institutionnel statutaire polynésien a entamé, lui aussi, une phase de mutations profondes de 2004 à 2007, car il s’est révélé de plus en plus inadapté, surdimensionné et coûteux au regard de la nouvelle forme de gouvernance locale, aux antipodes de celle qui était programmée.
Mais également cet outil statutaire allait se retrouver en déphasage complet par rapport aux attentes des acteurs du tissu économique et social polynésien, lui-même surdimensionné et « dopé » par l’ère nucléaire, tissu qui allait subir un choc existentiel sans précédent dont tous les effets n’ont pas encore été ressentis.
Pis, une longue série d’effets collatéraux allait s’ensuivre. Je me limiterai toutefois à la problématique de la très théorique libre administration des communes polynésiennes. Non seulement cet exemple n’est pas innocent, mais le Sénat est le lieu institutionnel parfait pour l’évoquer.
Ainsi, la gouvernance polynésienne locale à l’échelon communal allait, elle aussi, affronter de plein fouet les effets d’une mutation profonde.
Il n’avait alors échappé à personne – mais cela n’avait pas non plus gêné grand-monde ! – que les communes polynésiennes, qui bénéficiaient jusqu’alors d’une situation budgétaire et sociale plutôt confortable, étaient dans une situation d’« exception institutionnelle ». Vous avouerez, mes chers collègues, qu’il est tout de même paradoxal de constater qu’une collectivité territoriale de la République régie par l’article 74 puisse compter en son sein une autre collectivité territoriale de rang constitutionnel identique et que, dans le même temps, la première puisse maîtriser la fiscalité de la seconde, financer 95 % de son fonctionnement, présider son comité de répartition des fonds de fonctionnement et d’investissement, lui imposer de facto de nouvelles compétences, tout en inscrivant angéliquement dans sa loi statutaire le principe de libre administration des collectivités territoriales reconnu à la seconde.
Nos communes polynésiennes ont commencé, à partir de 2004, à subir les effets d’une rupture de la gouvernance clientéliste d’alors, ainsi que nos brillants collègues Bernard Frimat et Christian Cointat l’ont relevé dans leur rapport de 2008, adopté par la commission des lois, et à se heurter à la dure réalité du paradoxe institutionnel que je viens de rappeler.
Madame la ministre, mes chers collègues, il y a une autre donnée qui n’a peut-être pas été suffisamment relevée par nos deux éminents collègues à l’époque. Nous ne leur en tenons pas rigueur parce qu’elle n’avait pas encore été, à l’époque, suffisamment éprouvée dans le temps : bon nombre de représentants à l’assemblée de la Polynésie française exerçaient également les fonctions de maires dans diverses communes polynésiennes sans que ce conflit d’intérêts, à peine avoué, ait alors pris de réelle ampleur, l’ancien système gommant suffisamment les travers d’une telle situation.
Ainsi, le paradoxe découlant de la présence d’une collectivité territoriale de la République au sein d’une autre collectivité territoriale de la République n’engendrait pas de réels conflits d’intérêts au plan local tant que les choses allaient dans le sens – permettez-moi l’expression – de « l’axe politique dominant ».
Mais que s’est-il passé lorsque les intérêts locaux d’une libre administration des communes polynésiennes, notamment dans l’exercice de compétences légales budgétairement encombrantes, pour le transfert desquelles elles n’avaient pas eu droit à la parole, se sont heurtés aux intérêts légitimes locaux d’une autre collectivité territoriale – la Polynésie française –, qui s’est démocratiquement, par les urnes, trouvée en posture de méfiance, et quelquefois de défiance, par rapport aux intérêts de l’exécutif national ?
La conséquence directe a été claire : les maires, notamment des archipels, qui étaient également représentants à l’assemblée de la Polynésie française ont amorcé, puis adopté, une posture politique gouvernée par les intérêts géographiques locaux des populations qui les ont élus.
L’appellation, devenue injustement péjorative, d’îliens, avec les travers connus que celle-ci évoque en termes de nomadisme politique à l’assemblée de la Polynésie française, est née de ce comportement politique insulaire qui défie les lois de la démocratie à l’occidentale et dont la cause remonte en réalité aux racines du dispositif institutionnel et statutaire de la collectivité d’outre-mer de la Polynésie française.
A-t-on traité de cette problématique en 2007, lors de l’examen de la loi Estrosi par le Parlement ? Non !
L’a-t-on intégrée dans le projet de loi organique déclaré d’urgence, qui a été déposé en avril 2011, après que M. Temaru a été réélu à la présidence de la Polynésie française ? Pas davantage !
A-t-on intégré le fait que la gestion en bonus pater familias de la Polynésie française aurait exigé que cette collectivité dispose du temps nécessaire pour remettre sereinement à plat son modèle économique, voire son modèle de développement ? Sur ce point très précis, j’ai eu l’occasion, madame la ministre, de vous poser l’année dernière une question d’actualité à l’occasion d’un grave conflit social qui avait bloqué la ville de Papeete.
Que devrions-nous considérer d’abord, le modèle institutionnel ou le modèle économique ? Lequel doit s’adapter à l’autre ?
Mon analyse est sans compromission, mes chers collègues : au fond, la réponse à cette question est tout simplement de savoir de quel côté on se place pour l’aborder et la traiter.
Et je prends la liberté et la responsabilité de faire céder mon propos à la séduction de l’évidence, ici à cette tribune nationale.
Si la priorité est le développement économique et social de la collectivité ultramarine polynésienne, passant obligatoirement par une refonte globale du modèle existant, qui a atteint ses limites, alors nous nous placerons du côté des intérêts prioritaires de la Polynésie, laquelle n’attend que cela. Une trêve institutionnelle de courte ou de moyenne durée ne saurait faire que le plus grand bien à nos populations, à notre peuple polynésien. Les Calédoniens ont bénéficié, parce que la situation de crise des années 1980 avait atteint un paroxysme en 1988, date à laquelle on approcha de la guerre civile, d’un cadre institutionnel contractuel sous le parrainage de l’État. Les Polynésiens n’ont pas pu bénéficier d’un tel privilège, même à partir de 2004, quand tout a été fait pour démettre des rênes du pouvoir la classe politique émergente dite « indépendantiste » ou, je préfère ce terme, « souverainiste ».
En revanche, si la priorité est la sécurisation institutionnelle du statut, régi par l’article 74 de la Constitution, de collectivité d’outre-mer de la Polynésie française au sein de la République, passant par un nouveau « lifting statutaire » du système électoral destiné à garantir la pérennité des acquis institutionnels et régionaux dans l’outre-mer, zone géopolitique émergente, et à favoriser l’émergence d’une classe politique plutôt « compréhensive » des intérêts supérieurs de la nation, alors nous serions bien dans une stratégie d’État destinée à garantir ses intérêts prioritaires.
D’évidence, c’est le second choix qui s’impose à nous avec l’examen de ce texte qui, pourtant, recèle des intentions louables.
Un autre élément embarrassant relatif au débat sur la stabilité des institutions de la Polynésie française a aussi été escamoté au nom de la tradition républicaine, alors même que la Constitution française ne l’interdit pas formellement.
En effet, la stabilité politique aurait pu être assurée en repensant le mode d’élection du président de la collectivité d’outre-mer de la Polynésie française.
Dans l’article 1er de la loi organique, il est écrit que la « Polynésie française se gouverne démocratiquement par ses représentants élus ».
Aux yeux des acteurs économiques et sociaux en Polynésie française, mais aussi des partenaires politiques et des organisations intergouvernementales de la région Pacifique, l’instabilité politique en Polynésie française se manifeste concrètement – avouons-le ! – par le renversement du président élu et, par un effet domino, du gouvernement.
Instaurer un régime présidentiel en déconnectant l’élection du président du bon vouloir des représentants de l’assemblée de la Polynésie française assurerait la pérennité de la première institution de cette collectivité d’outre-mer au sein de la République.
Une des pistes à explorer serait l’élection au suffrage direct, solution que le Gouvernement semble écarter d’emblée – nous en avons déjà discuté –, au nom d’une tradition jacobine à peine avouée, tradition qui n’avait pourtant pas privé celui-ci d’accorder en 1989 le régime du gel du corps électoral aux élections provinciales et territoriales en Nouvelle-Calédonie mais également la valeur législative complète aux lois de pays adoptées par le congrès de cette autre collectivité d’outre-mer au sein de la République.
En d’autres termes, ce qui serait choquant dans l’une des collectivités d’outre-mer ne le serait pas dans une autre…
Pourtant, la légitimité du président de la Polynésie française élu n’en serait que renforcée et ne dépendrait plus des alliances de circonstances évoquées dans l’exposé des motifs du projet de loi organique dont nous discutons cet après-midi.
Dans un contexte économique dégradé, il est impossible à un responsable de gouvernement de mener à terme une quelconque politique, quel qu’en soit le domaine, lorsque la propre échéance de ses fonctions est incertaine. Il est impératif pour le président que la durée de son mandat soit fixée, tout comme pour le pilote de l’avion d’avoir un cap et de s’y tenir. C’est pourquoi je ne souscris pas à l’abréviation anticipée d’un mandat.
Bien entendu, l’option d’une élection au suffrage direct nécessite de concevoir différemment les missions et les relations des différentes institutions entre elles. Je dois avouer avoir pensé à déposer quelques amendements en ce sens. Mais la tâche s’est révélée trop compliquée pour le faire dans le cadre de ce texte.
Si l’option d’une élection au suffrage direct du président de la Polynésie française ne recueille pas forcément l’aval de tous en raison de sa ressemblance avec celle du Président de la République et de la tradition jacobine de l’unicité de la République française, il n’en demeure pas moins que le collège électoral qui élirait le président de la Polynésie française au plan local pourrait être élargi. Le corps de grands électeurs définis pourrait être renouvelé sur la même périodicité.
Ce sont des pistes que j’ouvre devant vous, madame la ministre, mes chers collègues, et sur lesquelles je vous invite à réfléchir. Le moment viendra où nous aborderons de nouveau cette problématique.
Dans l’attente d’une révision plus complète du statut de la Polynésie française qui conférerait à celle-ci une réelle autonomie et non pas une pseudo-souveraineté factice au plan territorial, je vous proposerai aujourd'hui quelques retouches du texte de la commission. Je tiens à souligner le travail que celle-ci, et particulièrement son rapporteur, a effectué en adoptant quelques modifications de fond, notamment le principe de l’unicité du territoire de la Polynésie française au même titre que celui de l’unicité de la République.
À mon sens, l’unicité est le socle du modèle institutionnel et démocratique de la Polynésie de demain, même si vous ne semblez pas l’accepter.
Les quelques modifications de fond qu’a adoptées la commission des lois me pousseront à voter en faveur du projet de loi organique, même s’il reste, à mon avis, nécessairement provisoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous entamons l’examen du projet de loi organique sur le fonctionnement des institutions de la Polynésie française, sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.
Comme vous l’avez rappelé, madame le ministre, la Polynésie française connaît, depuis 2004, une profonde instabilité politique. Les renversements de majorité ont été provoqués par des motions de défiance, dites « constructives », mais qui ont le plus souvent été très préjudiciables au territoire polynésien et à ses habitants.
En effet, ces motions ont empêché la mise en œuvre continue des politiques publiques en Polynésie française. Elles ont affaibli le lien de confiance entre les Polynésiens et leurs élus. Elles ont détérioré l’image de la Polynésie.
Cette situation est devenue ubuesque depuis 2004, onze présidents s’étant succédé depuis lors à la tête de la Polynésie française.
Il était donc urgent de proposer aux Polynésiens de redonner du sens, de la cohérence et de la durée à l’action politique locale. Qui pourrait être défavorable à cet objectif alors qu’une instabilité institutionnelle chronique ronge l’archipel ?
Comme l’a rappelé M. le rapporteur, ce texte modifie les dispositions relatives à l’élection des représentants à l’assemblée de la Polynésie française. Afin de garantir une meilleure représentation des différents archipels, il instaure la création d’une nouvelle circonscription électorale.
Le texte initial du Gouvernement a toutefois été profondément modifié par la commission des lois, qui a fait de la Polynésie une circonscription unique pour l’élection des membres de l’assemblée ; je salue cette initiative.
En effet, la circonscription unique conforte l’unicité de la collectivité et rend possible une gouvernance plus stable. Ce système présente plusieurs avantages.
D’abord, en permettant d’appliquer la prime majoritaire de manière globale, il favorisera la constitution d’un groupe politique doté de la majorité absolue des sièges au sein de l’assemblée de la Polynésie française.
En outre, il interdira aux listes de présenter des candidats seulement dans les archipels éloignés et découragera la création de groupes politiques strictement « locaux » au sein de l’assemblée.
Parallèlement à la création de la circonscription unique, la commission des lois a prévu un intelligent découpage de la Polynésie française en huit sections, permettant ainsi de préserver la représentation spécifique des archipels éloignés.
Le groupe UMP est heureux de pouvoir souscrire à une idée qui satisfait les élus polynésiens. Je tiens d’ailleurs, à cet instant, à saluer l’excellent travail du rapporteur, Christian Cointat, qui, après de nombreux échanges avec les différentes composantes politiques polynésiennes, a su proposer une architecture globale et cohérente.
Nous sommes pleinement satisfaits des enrichissements apportés au texte par la commission des lois, et notamment de la possibilité pour l’assemblée de la Polynésie française de disposer des éléments constituant l’étude d’impact, lorsqu’elle est consultée sur un projet de loi, ainsi que de la possibilité donnée à la Polynésie de créer, par une « loi du pays », des autorités administratives indépendantes dont elle devra définir les garanties d’indépendance et d’expertise. Cette disposition vise notamment la création d’une autorité administrative indépendante chargée de missions de régulation dans le secteur économique, telle une autorité de la concurrence.
Nous pouvons encore citer, parmi les nouvelles dispositions du texte, la possibilité donnée au président de la Polynésie française de solliciter l’engagement de négociations avec les institutions européennes. Nous avions adopté une disposition similaire pour les statuts de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie. Il nous semble donc légitime d’accorder également ce pouvoir à la Polynésie française.
Outre les dispositions visant à permettre la constitution d’une majorité stable à l’assemblée de la Polynésie française, le projet de loi comporte également des mesures tendant à encadrer certains aspects de son fonctionnement institutionnel, afin de réduire les dépenses publiques, de rationaliser les relations entre l’exécutif et l’assemblée délibérante et de lutter contre l’instabilité politique.
Ainsi, le second volet du projet de loi comporte trois mesures phare poursuivant cet objectif.
Tout d’abord, il limite à deux mandats consécutifs, c’est-à-dire à dix ans, l’exercice du pouvoir par le président de la Polynésie française, afin de favoriser le renouvellement de la classe politique polynésienne.
Ensuite, il rend beaucoup plus difficiles le dépôt et le vote d’une motion de défiance.
Enfin, il met fin à la possibilité de renouveler de façon anticipée ou annuelle, sauf en cas de démission de son Président, le bureau de l’Assemblée de la Polynésie française, qui a connu neuf présidents en six ans.
Je voudrais revenir un instant sur ces deux derniers points.
S’agissant de la motion de défiance dite « constructive », le projet de loi augmente le nombre d’élus nécessaire pour son dépôt et son adoption, afin de garantir une meilleure stabilité politique, tout en conservant le principe de la responsabilité du gouvernement de la Polynésie française devant l’assemblée.
Ainsi, une telle motion ne sera désormais recevable que si elle réunit un tiers des membres de l’assemblée, et non plus seulement un quart. En outre, une seule motion de défiance pourra être signée par chaque représentant à l’assemblée de la Polynésie française au cours d’une même année civile, contre deux depuis la loi organique du 7 décembre 2007.
Pour que le durcissement des règles relatives à la motion de défiance ne se traduise pas par un recours accru, par une partie de l’assemblée qui souhaiterait exprimer son mécontentement, à la motion de renvoi budgétaire, les règles de dépôt et d’adoption de cette dernière ont été calquées sur celles prévues pour la motion de défiance.
S’agissant de la suppression de la possibilité de renverser chaque année le président de l’assemblée, que j’ai mentionnée précédemment, je rappelle qu’actuellement l’assemblée de la Polynésie française peut interrompre chaque année le mandat de son président si la majorité absolue de ses membres le souhaite. Ce dispositif contribue à l’instabilité politique locale. Le nouveau texte réduit la possibilité de changement du président au gré des fluctuations politiques par une limitation des hypothèses de renouvellement intégral du bureau. Le renouvellement anticipé ou annuel du bureau deviendra impossible, sauf en cas de démission du président de l’assemblée de la Polynésie française. La démission du président entraînerait donc celle du bureau, et non l’inverse.
Enfin, le texte réduit le nombre des membres du gouvernement polynésien : le président de la Polynésie française pourra nommer de sept à dix ministres. Cette proposition, que le groupe UMP soutient, répond à une demande fortement exprimée par la société polynésienne, tout en tenant compte de la nécessité de réaliser des économies budgétaires. Le statut ainsi modifié permettra de constituer des ministères plus homogènes et cohérents, aux attributions plus larges et complémentaires, afin d’éviter les doubles emplois.
Autre point important : les collaborateurs de ministres. Afin de mettre fin à leur recrutement pléthorique par le gouvernement de la Polynésie française, la commission a judicieusement modifié le texte initial, en prévoyant que l’assemblée de Polynésie serait compétente pour fixer le nombre maximal de collaborateurs de cabinet du président, du vice-président et des ministres.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce projet de loi est fondamental pour le bon fonctionnement des institutions de la Polynésie française, et donc pour sa cohésion générale.
II est de notre devoir d’assurer à la Polynésie une vie institutionnelle plus stable, afin qu’elle puisse se donner les moyens de réaliser ses projets ambitieux pour améliorer la vie de sa population et pour préparer l’avenir de sa jeunesse.
Le groupe UMP votera donc en faveur de ce texte, avec conviction et ambition, pour nos concitoyens polynésiens et pour l’avenir du pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous ferai pas une nouvelle présentation du projet de loi. Je vous épargnerai également une nouvelle saga de l’instabilité en Polynésie française.
Madame la ministre, permettez-moi simplement de rappeler que c’est la troisième fois que la Haute Assemblée se penche sur ce sujet. Je me souviens des deux discussions précédentes. Que les temps changent !
En 2004, notre collègue Gaston Flosse, en majesté dans cet hémicycle, faisait adopter ses amendements les uns après les autres, s’appuyant sur des avis favorables du ministre. Il construisait ainsi ce qui devait être son triomphe aux élections qui allaient suivre. Et le mode électoral était fabriqué ici même, en séance, à l’aide d’un amendement.
On a toutefois vérifié ce jour-là, une fois de plus, que, lorsqu’on définit un mode de scrutin dans le but de gagner, avec une volonté de prédéterminer les résultats, cela ne marche pas.
Nous connaissons tous l’épisode tragico-comique de cette soirée électorale qui s’arrête, de ces programmes de télévision qui s’interrompent, avec divines surprises pour les uns, abomination et désolation pour les autres. J’évoque bien entendu l’élection du président Oscar Temaru, qui allait donc mettre en œuvre le statut défini par la loi organique de 2004, dont le costume n’avait pas été dessiné pour lui : telle est la souveraineté du peuple…
On a parlé d’instabilité. Mais l’histoire s’écrit et elle s’analyse ! Madame la ministre, nous devons tous avoir en mémoire que la première instabilité a été organisée, provoquée, instrumentalisée par le Gouvernement de l’époque, qui ne supportait pas ce qui s’était passé en Polynésie. Tout était bon alors pour renverser celui qui se trouvait à la tête de la Polynésie française. Et c’est à ce moment que le cycle d’instabilité s’est enclenché, par des débauchages individuels dans des majorités très étroites.
Et puis, la machine a continué… pour en arriver à l’« épisode Estrosi », à savoir le statut défini par les lois organique et ordinaire du 7 décembre 2007. Christian Cointat avait alors succédé à Lucien Lanier comme rapporteur. Je veux d’ailleurs rendre hommage au travail qu’il avait accompli à l’époque, non sur la partie du texte qui intéressait le ministre, mais sur tout ce qui concernait la transparence financière. En effet, quand les livres s’étaient ouverts, était apparue la nécessité d’aboutir à une plus grande transparence financière, d’installer des commissions consultatives, d’écouter les préconisations de la chambre régionale des comptes, de mettre fin à un certain nombre de pratiques, comme l’expansion des cabinets présidentiels – je n’ose citer les chiffres, par peur de me tromper.
Cet aspect de la loi de 2007 avait reçu le soutien de l’opposition, parce qu’il développait le principe de la transparence et recherchait la rigueur.
S’agissant de l’autre partie du texte, nous avons passé notre temps, aux côtés du rapporteur, qui subissait les contraintes de sa fonction, à affirmer que changer de système électoral et supprimer la prime majoritaire allaient provoquer l’instabilité : monsieur Estrosi, répétions-nous, votre loi n’est pas une loi de stabilité ; c’est une loi d’instabilité !
Malheureusement, les faits nous ont donné raison. Alors qu’il s’agissait, là encore, d’un scrutin répondant à une commande, qui devait amener au pouvoir ceux qui avaient la faveur du ministre, il a lui aussi échoué et débouché sur l’instabilité. Et quel paradoxe : s’il n’avait pas été modifié, le mode de scrutin instauré en 2004 aurait, lui, permis de dégager en Polynésie française une majorité stable…
Et nous en sommes arrivés à la troisième station – je pourrais presque dire la quatrième, puisque entre-temps a été inventé un système qui n’a jamais été appliqué : la Polynésie française tombe pour la troisième fois !
Quel est le sens de tout cela ?
Madame la ministre, je connais les contraintes qui pèsent sur vous. Vous nous parlez du respect de l’autonomie, ce que je salue, du respect du vote des polynésiens, ce que je salue également. Mais, dans le projet que vous nous présentez, essayez de respecter également l’avis du Parlement !
Sur toutes les travées de notre assemblée, les orateurs réclament une circonscription unique, parce qu’il faut préserver l’unicité de la Polynésie française. Par ailleurs, un scrutin démocratique suppose que la liste qui a obtenu le plus de voix sur la totalité du pays concerné bénéficie de la prime majoritaire. Nous ne disons rien d’autre ! Or ce principe démocratique ne peut-être garanti que par l’unicité de la circonscription.
La commission des lois du Sénat, au sein de laquelle les différences sont fortes, arrive cependant à atténuer celles-ci quand il s’agit de l’outre-mer, parce que nous défendons ensemble un objectif commun : voir l’outre-mer réussir. Nous sommes désolés de constater que chaque projet de loi sur l’outre-mer est examiné selon la procédure accélérée ; nous sommes désolés de constater que, chaque fois que l’on parle de l’outre-mer, l’aspect institutionnel est privilégié. En effet, au-delà des questions institutionnelles, il y a le développement économique, il y a le développement humain, et c’est lui qui importe !
S’agissant du découpage proposé par le Gouvernement, je ne voudrais pas être désagréable – vous savez bien que je devrais me forcer pour en arriver à une telle extrémité ! (Sourires.) –, mais de mauvais esprits pourraient y voir une volonté de manipulation, consistant à confiner des voix dans un coin. Lorsque nous avons discuté du projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique, je vous l’ai dit, madame la ministre : il n’existe pas de découpage parfait ! Même M. Marleix, si nous l’interrogions, le reconnaîtrait au fond de lui-même : il sait, parce qu’il les opère, que ses découpages sont particulièrement imparfaits !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non ! Ils sont très bien, en général ! (Sourires.)
M. Bernard Frimat. Au-delà de ces considérations, il importe de conserver la circonscription unique, de façon à respecter la démocratie.
La commission des lois du Sénat a travaillé : elle est parvenue à une position unanime sur la circonscription unique. Ensuite, on peut relever des divergences sur les découpages au sein de cette circonscription, car aucun découpage n’emporte l’adhésion par lui-même. Madame la ministre, vous devez tenir compte de la position du Sénat, parce qu’elle est de nature à vous aider à poser la règle du jeu.
Au-delà, je vous l’accorde volontiers, aucun système institutionnel ne peut garantir la stabilité, quand les hommes qui sont investis d’un mandat ne se considèrent plus comme comptables de ce mandat. Si nous entrons dans un jeu d’alliances, le plus beau système peut voir ses effets pervertis. En l’espèce, faisons ce qui est en notre pouvoir, construisons un système qui, si les comportements des élus restent démocratiques, conduise à la stabilité ! Telle est la solution que vous propose le rapporteur.
S’agissant de la motion de défiance, la commission des lois a adopté la même position que pour la Martinique et la Guyane. N’inventons pas une motion de défiance telle, avec cette exigence des trois cinquièmes, qu’elle ne puisse jamais être utilisée ! Reprenons des règles éprouvées, qui forment un ensemble cohérent : la motion de défiance doit être signée par un tiers des membres de l’assemblée, être adoptée à la majorité absolue et chaque membre ne peut signer qu’une motion par an.
La commission des lois a donc réalisé un travail important. Mon groupe aurait été opposé au texte s’il avait conservé cette disposition essentielle qui brisait l’unicité de la Polynésie française. À partir du moment où, grâce à quelques ajustements, la commission a rétabli cette unicité, j’ai bon espoir que nous puissions, au cours de cet après-midi, joindre nos voix à celles de la majorité sénatoriale, non pas que cela représente un but à mes yeux, car je m’accommode très bien de l’hypothèse contraire, mais quand nous pouvons nous retrouver sur un point qui est considéré comme essentiel par le Sénat, il n’y a aucune raison de s’en priver ! (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
chapitre ier
Dispositions relatives à l’élection des représentants à l’assemblée de la Polynésie française
Article 1er
Les troisième à dixième alinéas de l’article 104 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« La Polynésie française forme une circonscription électorale unique, composée de huit sections. Chaque section dispose d’un minimum de représentation. Ce minimum est fixé à trois sièges.
« La délimitation des sections est fixée conformément au tableau ci-après :
Section |
Composition de la section |
Nombre de sièges de la section |
Première section des îles-du-Vent |
Communes de : Arue, Moorea-Maiao, Papeete, Pirae |
13 |
Deuxième section des îles-du-Vent |
Communes de : Hitiaa O Te Ra, Mahina, Paea, Papara, Taiarapu-Est, Taiarapu-Ouest, Teva I Uta |
13 |
Troisième section des îles du Vent |
Communes de : Faa’a, Punaauia |
11 |
Section des îles Sous-le-Vent |
Communes de : Bora-Bora, Huahine, Maupiti, Tahaa, Taputapuatea, Tumaraa, Uturoa |
8 |
Section des îles Tuamotu de l’Ouest |
Communes de : Arutua, Fakarava, Manihi, Rangiroa, Takaroa |
3 |
Section des îles Gambier et des îles Tuamotu de l’Est |
Communes de : Anaa, Fangatau, Gambier, Hao, Hikueru, Makemo, Napuka, Nukutavake, Pukapuka, Reao, Tatakoto, Tureia |
3 |
Section des îles Marquises |
Communes de : Fatu-Hiva, Hiva-Oa, Nuku-Hiva, Tahuata, Ua-Huka, Ua-Pou |
3 |
Section des îles Australes |
Communes de : Raivavae, Rapa, Rimatara, Rurutu, Tubuai |
3 |
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Si tant est que le mode de scrutin en vigueur pour l’élection des membres de l’assemblée de la Polynésie française ait pu constituer un obstacle au bon fonctionnement des institutions et à la qualité de la gestion des affaires publiques, il importe évidemment de remédier à cette difficulté, mais sans oublier pour autant quelques principes essentiels.
La Polynésie a fait l’expérience de deux modes de scrutin, également peu probants pour ce qui concerne le fonctionnement de son assemblée territoriale.
Le premier système consistait à diviser le territoire en plusieurs circonscriptions, partageant notamment l’archipel de la Société, dans l’acception la plus ancienne, entre îles du Vent et îles Sous-le-Vent et accordant, dans chaque cas, une prime majoritaire dont l’importance eut des conséquences inattendues par les concepteurs du système eux-mêmes.
En effet, il suffit à l’Union pour la démocratie, l’UPLD, le parti unifiant les forces indépendantistes du territoire, d’arriver en tête dans la plus importante des circonscriptions pour obtenir, par le jeu des primes, un nombre de sièges supérieur à celui résultant de la stricte application d’un scrutin proportionnel.
Fort marris de cette expérience, d’aucuns pensèrent donc que l’application d’une proportionnelle intégrale, s’appuyant sur les différentes circonscriptions mises en place dans le cadre du premier scrutin, suffirait à « remettre les choses en ordre » et à assurer la primauté de forces politiques plus en harmonie avec le pouvoir politique en place en métropole.
Les électeurs des six circonscriptions de l’assemblée ont donc élu cinquante-sept membres, dont la répartition politique était, à l’origine, quelque peu différente de celle découlant du système précédent, mais dont l’affiliation a toutefois conduit, dans les faits, à porter aujourd’hui M. Oscar Temaru à la tête du gouvernement territorial et M. Jacqui Drollet, son allié historique, à celle de l’assemblée territoriale. La Polynésie connaît donc à nouveau une instabilité, dont le ministre Estrosi avait bien cru pouvoir se débarrasser en abrégeant le mandat de la précédente assemblée.
Les membres de cette assemblée se répartissent aujourd’hui entre vingt-deux élus de l’Union pour la démocratie, l’UPLD, dix élus du To Tatou Ai’a, le TTA, parti proche de l’UMP nationale, neuf élus du parti de notre collègue Gaston Flosse, le Tahoeraa ; six élus proches de M. Bouissou, six élus du Te Mana de M. Kautai et de Mme Frebault et, enfin, quatre élus non inscrits.
Les changements d’alliance comme d’affiliation sont une réalité, mais, de notre point de vue, c’est bien plutôt la situation économique et sociale du territoire, qu’il s’agisse des îles du Vent comme des archipels les plus éloignés, qui est la cause principale des pratiques politiques constatées.
Nous devons donc trouver, avec cet article 1er, non pas une stabilité politique factice, de commande, issue d’accords politiques fondés sur un replâtrage de second tour entre formations concurrentes au premier tour, mais une stabilité claire, précise, représentative du soutien de la majorité du corps électoral, pour mener des politiques permettant la valorisation des atouts de la Polynésie, de l’énergie de sa jeunesse, adaptées aux capacités et potentiels du plus éloigné de ses archipels, la faisant échapper peu à peu aux contraintes d’une économie postcoloniale au profit d’un développement endogène, plus respectueux et harmonieux.
Le choix de la circonscription unique, que la commission des lois a retenu dans sa grande sagesse, nous semble, parce qu’il correspond aussi à l’attente majoritaire des forces politiques locales, l’outil de cette stabilité nouvelle.
Celui qui remportera les élections sera celui – ou celle ! – qui aura en charge les affaires du pays et devra mener les politiques de développement économique et social dont le territoire a besoin. Libre ensuite aux électeurs, et donc aux Polynésiens eux-mêmes, de tirer, le moment venu, les conclusions qui s’imposent de la gestion de tel ou tel, mais ne laissons plus de place aux combinaisons, aux arrangements de dernière minute, aux trahisons soudaines et aux ralliements subits, auxquels le texte initial du projet de loi pouvait encore se prêter !
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par M. Flosse, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Remplacer ces alinéas par onze alinéas ainsi rédigés :
La Polynésie française forme une circonscription électorale unique, composée de neuf sections. Chaque section dispose d’un minimum de représentation. Ce minimum est fixé à trois sièges.
Les sièges sont répartis de la manière suivante dans les sections ci-après désignées :
1° La première section des Îles-du-Vent du Centre comprend les communes de : Papeete et Moorea-Maiao. Neuf sièges sont attribués à cette section ;
2° La deuxième section des Îles-du-Vent de l’Ouest comprend les communes de : Faa’a et Punaauia. Dix sièges sont attribués à cette section ;
3° La troisième section des Îles-du-Vent de l’Est comprend les communes de Pirae, Arue, Mahina et Hitiaa o te ra. Neuf sièges sont attribués à cette section ;
4° La quatrième section des Îles-du-Vent du Sud comprend les communes de : Paea, Papara, Teva I Uta, Taiarapu-Ouest, Taiarapu-Est. Neuf sièges sont attribués à cette section ;
5° La cinquième section des Îles Sous-le-Vent comprend les communes de : Bora Bora, Huahine, Maupiti, Tahaa, Taputapuatea, Tumaraa et Uturoa. Huit sièges sont attribués à cette section ;
6° La sixième section des Îles Tuamotu de l’Ouest comprend les communes de : Arutua, Fakarava, Manihi, Rangiroa et Takaroa. Trois sièges sont attribués à cette section ;
7° La septième section des Îles Gambier et Tuamotu de l’Est comprend les communes de : Anaa, Fangatau, Gambier, Hao, Hikueru, Makemo, Napuka, Nukutavake, Pukapuka, Reao, Tatakoto et Tureia. Trois sièges sont attribués à cette section ;
8° La huitième section des Îles Marquises comprend les communes de : Fatu Hiva, Hiva Oa, Nuku Hiva, Tahuata, Ua Huka et Ua Pou. Trois sièges sont attribués à cette section ;
9° La neuvième section des Îles Australes comprend les communes de : Raivavae, Rapa, Rimatara, Rurutu et Tubuai. Trois sièges sont attribués à cette section.
La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Tout d’abord, cet amendement tend à soutenir la position de la commission des lois, qui a suivi son rapporteur, M. Cointat, en décidant que la Polynésie française constitue une seule et unique circonscription électorale. Tel est le vœu non seulement de la quasi-unanimité des représentants élus à l’assemblée de la Polynésie française, mais également des formations politiques non représentées au sein de cette assemblée.
Ensuite, cet amendement tend à diviser cette circonscription électorale unique en neuf sections : plus précisément, l’archipel des îles du Vent serait divisé en quatre sections au lieu de trois, comme le prévoit le texte actuel du projet de loi organique. Ce faisant, la population serait répartie de manière homogène et pratiquement égale entre ces sections. Par ailleurs, ces sections seraient à peu près à égalité avec celle des îles Sous-le-Vent.
Mme la présidente. L’amendement n° 17, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Remplacer le mot :
huit
par le mot :
six
II. - Alinéa 4, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
Section |
Composition de la section |
Nombre de sièges de la section |
Section des îles-du-Vent |
Communes de : Arue, Faa’a, Hitiaa O Te Ra, Mahina, Moorea-Maiao, Paea, Papara, Papeete, Pirae, Punaauia, Taiarapu-Est, Taiarapu-Ouest et Teva I Uta |
38 |
Section des îles Sous-le-Vent |
Communes de : Bora-Bora, Huahine, Maupiti, Tahaa, Taputapuatea, Tumaraa, Uturoa |
7 |
Section des îles Tuamotu de l’Ouest |
Communes de : Arutua, Fakarava, Manihi, Rangiroa, Takaroa |
3 |
Section des îles Gambier et des îles Tuamotu de l’Est |
Communes de : Anaa, Fangatau, Gambier, Hao, Hikueru, Makemo, Napuka, Nukutavake, Pukapuka, Reao, Tatakoto, Tureia |
3 |
Section des îles Marquises |
Communes de : Fatu-Hiva, Hiva-Oa, Nuku-Hiva, Tahuata, Ua-Huka, Ua-Pou |
3 |
Section des îles Australes |
Communes de : Raivavae, Rapa, Rimatara, Rurutu, Tubuai |
3 |
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Cet amendement tend à établir un découpage en sections différent, en maintenant les îles du Vent en une section unique, pour respecter le découpage existant actuellement. J’ai noté une forte volonté de la population de cet archipel de ne pas se trouver à nouveau morcelée.
Mme la présidente. L’amendement n° 18, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Alinéa 4, tableau, lignes 2 à 5
Rédiger ainsi ces lignes :
Première section des îles-du-Vent |
Communes de : Arue, Mahina, Papeete, Pirae |
13 |
Deuxième section des îles-du-Vent |
Communes de : Hitiaa O Te Ra, Moorea-Maiao, Papara, Taiarapu-Est, Taiarapu-Ouest, Teva I Uta |
13 |
Troisième section des îles-du-Vent |
Communes de : Faa’a, Paea, Punaauia |
13 |
Section des îles Sous-le-Vent |
Communes de : Bora-Bora, Huahine, Maupiti, Tahaa, Taputapuatea, Tumaraa, Uturoa |
6 |
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Il s’agit d’un amendement de repli. Dans cette proposition, la division des îles du Vent en trois sections, comme le prévoit le texte de la commission, serait maintenue, mais le découpage serait modifié afin qu’il soit équilibré du point de vue des populations.
La première section des îles du Vent comprendrait les communes d’Arue, Mahina, Papeete et Pirae, pour une population de 64 451 habitants.
La deuxième section des îles du Vent comprendrait les communes de Hitiaa O Te Ra, Moorea-Maiao et Papara sur Tahiti, ainsi que Taiarapu-Est, Taiarapu-Ouest et Teva I Uta, avec une population d’importance quasi similaire.
Enfin, la troisième section des îles du Vent comprendrait la commune redoutée, si j’ose dire, de Faa’a, mais également celles de Paea et Punaauia, pour une population de 67 264 habitants.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Lorsque la commission des lois a adopté la circonscription unique, elle a repris, comme je l’ai dit tout à l’heure, le découpage en sections prévu par le Gouvernement, parce qu’elle ne disposait pas d’éléments qui puissent la conduire à agir autrement. Le découpage du Gouvernement lui semblant pertinent, elle l’a retenu.
Au demeurant, elle était restée ouverte à toute autre proposition en lançant en quelque sorte un appel aux élus polynésiens, indiquant qu’elle modifierait éventuellement sa position en présence d’un projet de découpage faisant l’objet d’un consensus – je dis bien « consensus » et non pas « accord » – entre eux.
Les différents amendements déposés prouvent que ce consensus n’est pas réuni. Chacune des formules proposées est intéressante et pertinente, qu’il s’agisse de celle de Gaston Flosse ou de celles de Richard Tuheiava, mais aucune d’entre elles ne permet d’affirmer qu’elle serait meilleure que celle retenue par le Gouvernement. Je ne vois donc pas de raison de privilégier l’une de ces solutions, sauf si le Gouvernement venait à changer d’opinion. C’est la raison pour laquelle je m’en remets à l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Il est certain que, lorsqu’on aborde ce texte, il est tentant de reprendre toute l’histoire de la Polynésie française. Néanmoins, je ne me prêterai pas à cet exercice, car nous pourrions y passer des jours.
Pour ma part, je voudrais simplement montrer, à l’occasion de ces débats, et pour qu’ils gardent toute leur sérénité, que la position du Gouvernement se fonde sur sa volonté d’assurer la stabilité politique de la Polynésie française. Au vu de la situation actuelle, en effet, nous avons aujourd'hui une obligation de résultat.
M. Frimat a conclu tout à l'heure son intervention en soulignant le bien-fondé de la circonscription unique. Chacun l’aura noté, le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement visant à rétablir la solution des cinq circonscriptions qu’il avait prévue dans son projet de loi initial. Je considère en effet que l’unité de la Polynésie française est un point fondamental.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Et je n’oublie pas que le conseiller d’État Jacques Barthélémy avait suggéré d’instituer une circonscription unique.
Il reste que la Polynésie française couvre un territoire immense, de la taille de l’Europe, et que la question de la représentativité des élus y est essentielle. Or, de ce point de vue, la circonscription unique peut poser un problème, car, dans un tel cadre, il n’est pas exclu qu’un parti politique puisse présenter des candidats dont aucun ne serait issu des archipels éloignés. C’est d’ailleurs cette préoccupation qui vous a amenés, en commission, à exiger que les candidats se présentant dans une section soient inscrits sur les listes électorales d’une des communes de ladite section.
En tout cas, il y a là, vous le savez, une faiblesse juridique que l’on ne saurait sous-estimer, et c'est ce qui m’avait conduite à proposer un découpage en cinq circonscriptions. Nous avons évidemment pris en considération le poids démographique des différentes communes, mais en donnant un poids électoral légèrement plus important aux archipels isolés, afin de tenir compte de leur situation particulière, puisque ceux-ci représentent un peu plus de 20 % des sièges pour 17 % des électeurs. Cela se justifie par le souci d’assurer une bonne représentativité des élus au sein de l’assemblée de Polynésie française, où qu’ils soient élus.
Le découpage en cinq circonscriptions, madame Gourault, visait aussi à garantir le pluralisme. Il n’est pas certain, en effet, que les petits partis politiques aient les moyens de présenter des candidats et de faire campagne sur un territoire vaste comme l’Europe.
En résumé, notre préoccupation, ici, doit être de favoriser le pluralisme tout en garantissant la stabilité politique.
Si je suis très ouverte sur la question de la circonscription unique, je considère que le poids démographique n’est pas suffisamment pris en compte dans le découpage en six sections, et je pense qu’l convient de s’en tenir au découpage en huit sections retenu par la commission, assorti de l’exigence que j’ai rappelée.
Telles sont les raisons pour lesquelles j’émets un avis défavorable sur ces trois amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaston Flosse, pour explication de vote sur l'amendement n° 1.
M. Gaston Flosse. M. le rapporteur connaît-il un seul découpage électoral ayant fait l’unanimité ? Il n’en existe aucun !
Il faut reconnaître que la circonscription unique recueille l’assentiment de presque tous les mouvements politiques. D’ailleurs, M. Tuheiava, qui n’est pas du même bord politique que nous, y adhère aussi, mais présente un autre découpage, avec un nombre de sections différent. Toutefois, la majorité des représentants des mouvements politiques que vous avez rencontrés, monsieur le rapporteur, approuvaient le découpage en neuf sections : c’est donc cette voie qu’il faut suivre. C’est pourquoi je maintiens mon amendement.
Par ailleurs, jamais des personnes issues des îles du Vent n’iraient se hasarder à se présenter dans les archipels éloignés, où seuls les représentants du terroir, implantés depuis des décennies, ont une chance de se faire élire ! Il n’y a guère que dans les îles du Vent que, par exemple, un habitant du Centre, pour reprendre mon découpage, pourrait avoir une chance de se faire élire dans la circonscription de l’Est, dans celle de l’Ouest ou dans celle du Sud, voire dans la circonscription des îles Sous-le-Vent. Ce fut le cas de M. Tong Sang qui, aux dernières élections à l’assemblée de la Polynésie française, se présenta aux îles du Vent alors qu’il était maire de Bora-Bora, commune des îles Sous-le-Vent. Une telle situation n’est envisageable qu’au sein de ces deux archipels.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
L’article 105 de la même loi organique est ainsi rédigé :
« Art. 105. – I. – Les représentants à l’assemblée de la Polynésie française sont élus au scrutin de liste à deux tours, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation. Chaque liste est constituée de huit sections.
« Les sièges sont attribués aux candidats dans l’ordre de présentation dans chaque section.
« Sont éligibles dans une section, tous les électeurs d’une commune de la section et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes d’une commune de la section ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l’année de l’élection.
« II. – Au premier tour de scrutin, dix-neuf sièges sont attribués à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés dans la circonscription. Ces sièges sont répartis dans chaque section conformément au tableau ci-après :
Première section des îles-du-Vent |
4 |
Deuxième section des îles-du-Vent |
4 |
Troisième section des îles-du-Vent |
4 |
Section des îles Sous-le-Vent |
3 |
Section des îles Tuamotu de l’Ouest |
1 |
Section des îles Gambier et des îles Tuamotu de l’Est |
1 |
Section des îles Marquises |
1 |
Section des îles Australes |
1 |
« Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis au sein de chaque section à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne, entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés sur l’ensemble de la circonscription, au prorata des voix obtenues par chaque liste dans la section.
« III. – Si aucune liste n’a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il est procédé à un second tour le deuxième dimanche qui suit le premier tour. Seules peuvent se présenter au second tour les listes ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 10 % des électeurs inscrits. Dans le cas où une seule liste remplit cette condition, la liste ayant obtenu après celle-ci le plus grand nombre de suffrages au premier tour peut se maintenir au second tour. Dans le cas où aucune liste ne remplit cette condition, les deux listes ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages au premier tour peuvent se maintenir au second tour.
« La composition de ces listes peut être modifiée pour comprendre des candidats ayant figuré au premier tour sur d’autres listes, sous réserve que celles-ci ne se présentent pas au second tour et qu’elles aient obtenu au premier tour au moins 5 % des suffrages exprimés. En cas de modification de la composition d’une liste, l’intitulé de la liste et l’ordre de présentation des candidats peuvent également être modifiés.
« Les candidats ayant figuré sur une même liste au premier tour ne peuvent figurer au second tour que sur une même liste. Le choix de la liste sur laquelle ils sont candidats au second tour est notifié aux services du haut-commissaire par le candidat placé en tête de la liste sur laquelle ils figuraient au premier tour.
« Dix-neuf sièges sont attribués à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de voix à ce second tour dans la circonscription. Ces sièges sont répartis entre chaque section conformément au tableau ci-dessus. En cas d’égalité de suffrages entre les listes arrivées en tête, ces sièges sont attribués à la liste dont les candidats ont la moyenne d’âge la plus élevée.
« Cette attribution opérée, les autres sièges sont répartis au sein de chaque section à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne, entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au second tour sur l’ensemble de la circonscription, au prorata des voix obtenues par chaque liste dans la section.
« Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège dans une section, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus.
Mme la présidente. Je suis saisie de dix amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 19, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 105 de la même loi organique est ainsi rédigé :
« Art. 105 – I. – Les représentants à l’assemblée de la Polynésie française sont élus au scrutin de liste à un tour, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation. Chaque liste est constituée de six sections.
« II. – Il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité des suffrages exprimés un nombre de sièges égal au quart du nombre de sièges à pourvoir arrondi à l’entier supérieur ainsi réparti :
« 1° Dans la section des îles du Vent : neuf sièges ;
« 2° Dans la section des îles Sous-le-Vent : deux sièges ;
« 3° Dans les autres sections : un siège.
« Les autres sièges sont répartis à la représentation proportionnelle, suivant la règle de la plus forte moyenne, entre les listes qui ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés dans la section.
« Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages dans la section. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus.
« III. - Les sièges sont répartis entre sections, dans l’ordre décroissant et au prorata des voix obtenues par chacune des listes dans chaque section. En cas d’égalité des suffrages, la liste dont les candidats ont la moyenne d’âge la plus élevée est placée en tête dans l’ordre de répartition des sièges.
« IV. – Les sièges sont attribués aux candidats dans l’ordre de présentation de chaque liste dans chaque section. »
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Madame la présidente, les amendements nos 19, 20 et 21 sont des amendements de coordination et n’ont plus d’objet compte tenu des votes qui viennent d’intervenir.
Mme la présidente. L’amendement n° 19 n’a plus d’objet.
L'amendement n° 20, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 105 de la même loi organique est ainsi rédigé :
« Art. 105 – I. – Les représentants à l’assemblée de la Polynésie française sont élus au scrutin de liste à un tour, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation. Chaque liste est constituée de huit sections.
« II. – Il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité des suffrages exprimés un nombre de sièges égal au quart du nombre de sièges à pourvoir arrondi à l’entier supérieur ainsi réparti :
« 1° Dans les sections des îles du Vent : trois sièges ;
« 2° Dans la section des îles Sous-le-Vent : deux sièges ;
« 3° Dans les autres sections, un siège.
« Les autres sièges sont répartis à la représentation proportionnelle, suivant la règle de la plus forte moyenne, entre les listes qui ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés dans la section.
« Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui-ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages dans la section. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus.
« III. - Les sièges sont répartis entre sections, dans l’ordre décroissant et au prorata des voix obtenues par chacune des listes dans chaque section. En cas d’égalité des suffrages, la liste dont les candidats ont la moyenne d’âge la plus élevée est placée en tête dans l’ordre de répartition des sièges.
« IV. – Les sièges sont attribués aux candidats dans l’ordre de présentation de chaque liste dans chaque section. »
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 21, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2, seconde phrase
Remplacer le mot :
huit
par le mot :
six
II. - Alinéa 6, tableau, lignes 1 à 3
Remplacer ces lignes par une ligne ainsi rédigée :
Section des îles-du-Vent |
12 |
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 4, présenté par M. Flosse, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Je le répète, monsieur le rapporteur, jamais je n’ai vu un habitant des îles du Vent ou des îles Sous-le-Vent se hasarder à se présenter aux îles Tuamotu de l’Ouest, aux îles Gambier et aux îles Tuamotu de l’Est, aux îles Marquises ou aux îles Australes ! C’est M. Teina Maraeura, maire de Rangiroa, qui est le représentant des îles Tuamotu de l’Ouest à l’assemblée de la Polynésie française depuis des dizaines d’années, tout comme c’est M. Riveta, maire de Rurutu, qui y représente les îles Australes. Il n’y a jamais eu de « parachutage » dans les archipels éloignés !
C'est la raison pour laquelle je demande la suppression de cet alinéa 4.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Il s’agit d’un élément important du dispositif, pour des raisons peut-être plus symboliques que pratiques, comme vient de le dire fort justement notre collègue Gaston Flosse, dans la mesure où un candidat qui ne serait pas connu récolterait peu de voix, alors même que la répartition des sièges est opérée en fonction des voix obtenues dans la section.
Il importe toutefois de garantir aux archipels éloignés qu’ils ne seront pas moins bien représentés avec la circonscription unique.
Certes, le problème juridique soulevé par Mme la ministre ne nous a pas échappé : le Conseil constitutionnel validera-t-il cette disposition ?
S'agissant d’une loi organique, le Conseil constitutionnel sera obligatoirement saisi et devra se prononcer. Nous serons donc informés, sur ce point comme sur plusieurs autres. L’article 74 de la Constitution nous offre-t-il plus de souplesse en ce domaine que l’article 73 ? Qu’en est-il des dispositions spécifiques qui ont été prises concernant les élections législatives en Polynésie française, le premier tour se déroulant quinze jours avant le second tour, contrairement à ce qui se passe ailleurs, afin de tenir compte de l’immensité de ce territoire, qui, cela a été dit, couvre une superficie aussi vaste que l’Europe ?
Pour cette même raison, n’est-il pas nécessaire, afin d’assurer une juste représentation, de prévoir pour les candidats une condition, non pas de résidence, mais d’inscription sur les listes électorales d’une commune de la section, ce qui n’est pas tout à fait la même chose ? Pour ma part, je pense que oui.
Si le Conseil constitutionnel considère que nous nous sommes trompés, il invalidera l’alinéa 4 de l’article 2, ce qui reviendra à donner raison à Gaston Flosse. Si le Conseil constitutionnel ne s’y oppose pas, nous serons parvenus à une meilleure représentation des archipels éloignés, qui auront la garantie d’être représentés pour eux-mêmes. Il ne sera plus possible d’y « parachuter » qui que ce soit. Or il pourrait y avoir des tentations en ce sens, surtout, comme l’a dit Mme la ministre, dans les archipels où l’on sait que l’on récoltera peu de voix.
Il est donc nécessaire de recueillir l’avis du Conseil constitutionnel sur ce point. C’est fondamental au regard du droit des archipels éloignés à une vraie représentation et de l’engagement que nous avons pris de le leur garantir. La commission a, par conséquent, émis un avis défavorable sur l'amendement n° 4.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Je ne comprends pas votre amendement, monsieur Flosse. Si vous défendez la circonscription unique, si vous voulez le pluralisme et une bonne représentativité des élus, il faut maintenir cette disposition. Évidemment, le Gouvernement, lui, n’avait pas fait le choix de la circonscription unique, même si celle-ci lui paraît aller dans le sens de l’unité de la Polynésie française, parce qu’il considère qu’il y a là, au regard de la représentativité, une fragilité juridique.
Dans ces conditions, je ne peux qu’être défavorable à cet amendement, qui aggrave cette fragilité. Dans le cas d’une circonscription unique, il faut au moins garantir que les candidats seront inscrits sur les listes électorales de la section correspondante.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux jusqu’à dix-sept heures, car des installations techniques sont nécessaires pour assurer l’enregistrement télévisé des questions cribles thématiques consacrées à la politique audiovisuelle extérieure.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions cribles thématiques
politique audiovisuelle extérieure
M. le président. L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la politique audiovisuelle extérieure.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être formulée soit par l’auteur de la question soit par l’un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs chronométriques ont été mis à la vue de tous.
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création de la société holding AEF devait permettre à l’audiovisuel extérieur de la France de rivaliser avec les incontournables BBC World et CNN et de porter haut ce fameux « regard français sur le monde ».
Il serait plus juste, aujourd’hui, de parler de « regard consterné du monde » sur notre audiovisuel extérieur, devant le spectacle offert par le P-DG d’AEF et sa directrice générale déléguée.
Tout en espérant que cette regrettable affaire sera bientôt derrière nous, j’évoquerai plus particulièrement la situation à RFI, Radio France Internationale.
Fleuron de notre audiovisuel extérieur, cette radio est depuis des mois, sous prétexte de modernité et de nouvelles synergies, l’objet d’une véritable entreprise de démolition.
Les faits sont là : un premier plan social en 2009, avec 206 suppressions de postes, pour un coût de 41,3 millions d’euros ; un second en préparation, estimé à 27,5 millions d’euros ; la suppression de six rédactions en langues étrangères ; la diminution programmée des productions en anglais ; et aujourd’hui, un déménagement dans des locaux mitoyens de ceux de France 24, générateur de coûts très importants – on parle de 24,5 millions d’euros –, du fait, notamment, de gros travaux de restructuration et d’un loyer au mètre carré supérieur à celui qui est versé à Radio France et qui, de plus, reviendra à un fonds de pension étranger.
M. Guy Fischer. Scandaleux !
Mme Claudine Lepage. Monsieur le ministre, le point d’orgue de ce démantèlement sera-t-il la fusion des rédactions de RFI et France 24, alors même que ce projet ne comporte ni gain social, ni gain économique, ni même gain stratégique ?
Par ailleurs, AEF est aujourd’hui sous le coup d’un double examen, de la part de l’inspection générale des finances et d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, laquelle a clairement souhaité qu’aucune décision « irréversible » ne soit prise avant la remise de son rapport.
Monsieur le ministre, en attendant les relevés de conclusions, ne pouvez-vous, enfin, exercer votre pouvoir de tutelle et suspendre la « descente aux enfers » de RFI ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, vous évoquez une « descente aux enfers » quand il n’est question que d’une réorganisation de RFI.
En 2009, cette radio connaissait une situation financière véritablement critique, reflétant une crise existentielle profonde et une totale inadéquation aux messages qu’elle se devait de véhiculer et aux publics auxquels elle était censée s’adresser. En d’autres termes, elle avait perdu le cap.
La réorganisation décidée avait pour but de permettre à la société de retrouver l’équilibre budgétaire et de s’adapter aux évolutions géopolitiques et technologiques de son environnement.
Les départs prévus dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi de RFI sont effectifs et ont permis de préserver les autres postes. Parallèlement, le plan global de modernisation de la radio se poursuit.
Un premier groupe de personnels est donc d'ores et déjà parti : 275 personnes ont d’ailleurs demandé à quitter l’entreprise alors que 206 suppressions de postes seulement étaient programmées.
Mme Claudine Lepage. Ça, on le sait !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Il est maintenant question d’une deuxième tranche. Tout cela se fait dans une concertation à la fois complète et permanente.
Mme Catherine Tasca. Non !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mais si, madame !
RFI ne pouvait plus continuer à fonctionner ainsi.
J’ajoute que, parallèlement, 35 emplois ont été créés.
M. le président. Monsieur le ministre, il vous faut conclure.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Je rappelle que le maintien de rédactions dans un certain nombre de pays, dont la Pologne, n’avait plus de sens, d’autant que tout le territoire africain était encore à reconquérir.
Par conséquent, madame Lepage, je ne pense pas du tout que la réforme actuelle de RFI nuise à l’avenir de cette radio, bien au contraire.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour la réplique.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le ministre, votre réponse n’est pas de nature à apaiser mes craintes.
Vous parlez de réforme ; moi, j’ai parlé de fusion. Si la fusion des rédactions n’est pas actée, vous conviendrez qu’il existe un faisceau d’indices concordants : un déménagement, une procédure de plan social largement entamée au niveau des instances représentatives du personnel, déjà réunies à deux reprises.
La question essentielle est bien celle-ci : à qui profiterait une telle fusion ? Certainement pas aux employés puisque les effectifs devraient diminuer de 327 personnes en quelques mois. Pas davantage à l’État, à qui les plans sociaux et le déménagement coûteraient 90 millions d’euros. Reste l’intérêt stratégique : mais radio et télévision sont deux supports différents, induisant bien deux métiers distincts.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Claudine Lepage. Je ne suis pas une spécialiste, mais il me semble qu’on ne fait pas de la télé comme on fait de la radio : une fusion ne profiterait donc même pas aux auditeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. Il n’a échappé à personne qu’un différend profond oppose sur la place publique le P-DG de la holding AEF, M. Alain de Pouzilhac, et la directrice générale déléguée, Mme Christine Ockrent.
Il est temps aujourd’hui de mettre fin à ce contentieux et de rétablir rapidement un climat de confiance qui permette à notre audiovisuel extérieur d’avancer au lieu de devenir un sujet récurrent dans la presse nationale et internationale.
De retour de Scandinavie, d’Asie et d’Australie, je suis frappé par la dureté de la concurrence dans le ciel médiatique, concurrence que nous avons, en France, tendance à sous-estimer.
Dans la guerre de tranchées qui divise AEF, il est capital que les salariés de la holding puissent retrouver au plus vite la sérénité et la créativité indispensables pour relever les défis d’importance auxquels notre pays doit faire face.
Il est essentiel, monsieur le ministre, de s’atteler dès à présent à la reconfiguration du statut de l’audiovisuel extérieur au sein de l’État et de revoir en conséquence les règles qui régissent la tutelle exercée par la puissance publique.
Le moment de la crise, finalement, est opportun. Le fonctionnement actuel d’AEF suscite bien des interrogations et beaucoup de suspicion ; il est, de toute évidence, très dommageable au regard de la mission de service public que devrait remplir la holding. Le contrat d’objectifs et de moyens, en négociation depuis plusieurs années avec l’État, n’est toujours pas signé, ce qui est pour le moins révélateur.
Après l’échec, très coûteux, du partenariat public-privé avec TF1, allons-nous engager de nouveaux fonds publics pour sortir d’une crise qui, cette fois-ci, a franchi un nouveau cap avec la saisine, annoncée par l’un des protagonistes, du tribunal de commerce ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Louis Duvernois. En ma qualité d’administrateur représentant le Sénat au conseil d’administration d’AEF, je vous demande, monsieur le ministre, d’user de votre autorité de tutelle pour résoudre cette situation conflictuelle et de remettre à plat le dispositif structurel et institutionnel, afin de permettre à AEF d’être, pour notre pays, l’outil performant en termes d’influence qu’il devrait être.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Monsieur le sénateur, il convient tout d’abord de rappeler que la société Audiovisuel extérieur de la France a été créée récemment : en avril 2008. Son capital est détenu à 100 % par l’État. Elle a pour filiales Radio France Internationale et France 24 et détient une participation de 49 % dans TV5 Monde.
AEF bénéfice donc d’une organisation solide, structurée, mais a besoin qu’on lui laisse un peu de temps pour se mettre véritablement en ordre de marche.
Je suis le premier à déplorer le conflit ayant opposé, comme vous l’avez rappelé à très juste titre, deux des personnalités à la tête de France 24. Siégeant vous-même au conseil d’administration d’AEF, vous connaissez fort bien cette question qui préoccupe nombre de nos concitoyens.
Le problème est sur le point d’être réglé dans la mesure où l’un des deux protagonistes a maintenant porté l’affaire devant le tribunal de commerce. Nul doute que les personnels qui travaillent à France 24 retrouveront bientôt l’apaisement.
Compte tenu de la complexité de la situation et des difficultés à mettre en œuvre une réforme qui, après avoir pourtant connu un bon début, n’a pas pu porter tous ses fruits du fait de ce conflit, nous avons demandé à l’inspection générale des finances de diligenter une véritable mission d’audit de l'ensemble de l’audiovisuel extérieur français. Il s’agit de savoir exactement où l’on en est, d’identifier le plan stratégique, de comprendre comment et sur quelles bases va s’établir le contrat d’objectifs et de moyens, dont la signature a, comme vous l’avez regretté à raison, pris du retard, et de cerner les tenants et les aboutissants du contrat d’affaires. Je précise qu’une mission parlementaire mène actuellement une réflexion dans ce même domaine.
Monsieur Duvernois, c’est lorsque j’aurai en ma possession les conclusions de ces deux missions qu’il me sera possible de vous apporter une réponse exhaustive.
M. le président. La parole est à M. Louis Duvernois, pour la réplique.
M. Louis Duvernois. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse même si elle ne me satisfait pas complètement.
Nous connaissons tous, en effet, les problèmes d’organisation interne que vous évoquez. Mais mon interrogation portait surtout sur les modalités d’exercice de la tutelle, c'est-à-dire le positionnement de l’audiovisuel extérieur au sein de l’appareil de l’État.
Au-delà même du contenu du contrat d’objectifs et de moyens, le but doit être la simplification. De ce point de vue, la réforme amorcée en 2008 n’est, à l’évidence, pas du tout satisfaisante.
La tentative ratée, faut-il le rappeler, de partenariat entre secteur public et secteur privé, outre qu’elle a coûté très cher à l’État, s’est révélée totalement inadéquate.
M. le président. Il faut conclure !
M. Louis Duvernois. Monsieur le ministre, je réitère ma question : comment entendez-vous exercer la tutelle et comment concevez-vous le positionnement d’AEF au sein de l’État ?
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Lors de la naissance de France 24, s’était imposée la nécessité stratégique d’une chaîne française d’information internationale permettant de relayer à l’échelle de la planète une autre vision du monde. L’ambition était de promouvoir le rayonnement des valeurs universelles issues des Lumières dont notre pays s’est historiquement fait le champion et de donner un nouvel élan à la francophonie.
Or, loin de renforcer l’image de notre pays, la holding Audiovisuel extérieur de la France a trop longtemps offert le désolant spectacle d’une stérile guerre des chefs. L'État, majoritaire au conseil d’administration, a contribué par son silence à l’installation de ce climat délétère.
Dans le même temps, on affaiblit RFI, pourtant reconnue sur la scène internationale, du Moyen-Orient à l’Afrique en passant par la jungle colombienne ; on démantèle dans la précipitation, et à marche forcée, ce fleuron de la radio au profit d’un hypothétique développement de France 24, toujours sans projet et sans convention d’objectifs et de moyens, donc sans boussole, mais avec un réel déficit, alors même que cette chaîne était censée se passer des dotations budgétaires de l’État dès 2012 !
Devant cette situation ubuesque, je m’étonne que l’on ait fait si peu de cas des salariés et de leur comité d’entreprise. La cour d’appel de Paris remet d’ailleurs en cause l’absence de concertation quant au projet de rédaction unique.
Et que dire du déménagement de RFI dans des locaux inadaptés, dont le coût pour l’État est évalué à plus de 21 millions d’euros ?
On peut aussi comprendre les inquiétudes de la chaîne TV5 Monde, qui rencontre un succès incontestable, mais qui se trouve embarquée malgré elle dans cette funeste galère.
Alors qu’une enquête de l’inspection générale des finances est en cours et que la mission d’information de l’Assemblée nationale a expressément demandé qu’aucune décision irréversible ne soit prise avant qu’elle n’émette ses avis, comptez-vous, monsieur le ministre, assumer la responsabilité de l’État actionnaire majoritaire en exigeant la suspension de mesures précipitées, qui mettent en péril l’audiovisuel extérieur de la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Marie-Christine Blandin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, la réponse que je vous ferai s’adressera également à Mme Claudine Lepage, à qui j’ai conscience de ne pas avoir répondu assez précisément.
Tout d’abord, monsieur Renar, on n’affaiblit pas RFI. Cette chaîne était véritablement dans une mauvaise passe. Lors d’un déplacement à Bamako, voilà cinq ans, j’ai pu constater moi-même à quel point RFI avait véritablement perdu, déjà à ce moment-là, des parts de marchés et de prestige.
Il importait de reconquérir un certain nombre de marchés perdus, sans s’évertuer à demeurer sur des pôles où l’audience de RFI n’était guère significative, comme celui la Pologne.
L’idée était de recentrer RFI sur ses points forts et de la redynamiser. Cette partie du programme est, quoi qu’on dise, en cours d’accomplissement. On rassemble, on mutualise, on déménage pour un prix relativement élevé, en effet, mais cela permettra de faire l’économie de ce que l’on paie actuellement à Radio France. Tout cela va dans le sens d’une meilleure organisation du travail.
Ensuite, c’est par moi que l’inspection générale des finances a été saisie, et je réponds par là même sur ce point à M. Duvernois. Je lui ai demandé précisément de nous permettre de voir plus clair sur le « combat des chefs », sur la stratégie générale, sur la lenteur avec laquelle s’établissent le contrat d’objectifs et de moyens et le contrat d’affaires, lenteur que je suis le premier à déplorer.
Grâce à l’inspection générale des finances et à la mission d’information parlementaire, qui doivent remettre l’une et l’autre leurs conclusions avant la fin du mois de juin, je serai enfin en mesure d’exercer la plénitude des pouvoirs de la tutelle en toute connaissance de cause, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas pour l’instant.
Pour ce qui est de TV5 Monde, dont vous saluez, monsieur Renar, le succès dans l’ensemble du monde, je souhaite, pour ma part, qu’elle mutualise, elle aussi, plus nettement ses travaux avec ceux des autres éléments de la holding.
La réforme de l’audiovisuel extérieur est en cours, elle avance ; il ne faut pas l’arrêter au moment précis où elle commence à porter ses fruits.
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour la réplique.
M. Ivan Renar. J’ai bien noté vos précisions, monsieur le ministre, mais je reste insatisfait.
Nous avons toujours été hostiles à la nomination-révocation des responsables de l’audiovisuel public. La « guerre des ego » et la « lutte des places » en démontrent toutes les limites puisqu’elles ont fragilisé et décrédibilisé l’audiovisuel extérieur.
La création de France 24 est un réel défi et un vrai pari. Or, loin de le relever, nous assistons à une effarante gabegie humaine et budgétaire, et je maintiens les propos que j’ai tenus tout à l'heure.
France 24 peine à s’imposer, alors que RFI, dont l’influence et le prestige auraient pu être valorisés, voit ses moyens s’éroder. Notre collègue Claudine Lepage a développé ce point.
Dans un moment où l’actualité internationale est des plus sensibles, les habitants de notre planète aspirent à mieux comprendre les enjeux géopolitiques de notre monde. L’audiovisuel extérieur de la France se doit de répondre à leur attente en contribuant au pluralisme des expressions et des analyses.
Lors de la création de France 24, nous avions contesté l’alliance avec le secteur privé, qui a d’ailleurs vite débouché sur le retrait de TF1 de l’actionnariat de France 24.
Monsieur le ministre, il n’est jamais trop tard pour bien faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Au-delà d’un déplorable conflit de personnes, auquel il convient de mettre un terme, la crise de la gouvernance de l’audiovisuel extérieur de la France inquiète les sénateurs centristes, qui sont attachés dans ce domaine à une politique claire, lisible et ambitieuse.
Malgré les avancées notables dues à la réforme d’Audiovisuel extérieur de la France, on ne peut que constater les difficultés de gestion et l’incapacité de l’État et du groupe à signer le contrat d’objectifs et de moyens, prévu par la loi depuis plus de deux ans. Peut-être est-ce lié à la difficulté de réunir trois entités aussi différentes qu’une chaîne d’information à vocation internationale, une chaîne internationale à vocation généraliste et une radio à vocation généraliste et internationale ?
Il pourrait paraître simple de reconnaître ces difficultés et d’en tirer quelques conclusions:
Si France 24 doit trouver des synergies avec d’autres acteurs de l’audiovisuel public, ne devrait-elle pas se tourner plutôt vers l’acteur principal ? France Télévisions n’a pas, en effet, de chaîne d’information concurrente, mais elle dispose d’une véritable expertise en la matière. Actionnaire d’Euronews et de TV5 Monde, le groupe connaît ce secteur et a prouvé sa stabilité. D’ailleurs, La BBC fonctionne très bien sur ce modèle.
RFI est une radio qui a trouvé son public. Son rattachement pourrait se faire auprès de Radio France, qui dispose d’une radio destinée aux jeunes, de radios locales, d’une radio d’information, d’une radio généraliste, d’une radio culturelle et d’une radio musicale, mais pas de radio internationale. On peut remarquer, en outre, que RFI est déjà installée dans les locaux de Radio France.
Enfin, TV5 Monde a un statut très spécifique qui, certes, empêche une réelle fusion avec un autre organisme, mais la question se pose pour elle aujourd’hui de sa représentativité au sein de la holding. Il existe, par ailleurs, une inquiétude quant à la participation qui lui serait accordée en cas de disparition de cette holding au profit du groupe RFI-France 24. Ce dernier s’amputera-t-il aussi facilement de sommes destinées à son financement ?
Monsieur le ministre, alors que le projet de fusion des rédactions de RFI et de France 24 soulève des questions de pertinence, d’autres schémas organisationnels, tels ceux que j’ai évoqués, ont-ils été sérieusement étudiés ?
Il nous semble important de répondre à ces interrogations dans la mesure où l’audiovisuel extérieur de la France représente, mes chers collègues, un investissement de 332 millions d’euros par an !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Madame la sénatrice, permettez-moi d’abord de retoucher le tableau quelque peu angoissant que vous avez brossé.
En vérité, il existe des points de réussite très marquants.
Durant toute la période où sont survenus les événements de ce qu’on appelle le « printemps arabe » – une formule que je n’aime guère parce qu’elle me rappelle un ouvrage de Benoist Méchin que je n’ai pas beaucoup apprécié –, France 24 a été la télévision de référence. La multiplication considérable des accès sur le site internet de France 24 et l’élargissement de sa diffusion sont des éléments très positifs montrant à quel point, malgré toutes les difficultés que vous mentionnez, cette chaîne a su, dans une situation de crise, répondre à la demande. Il s’est passé la même chose en ce qui concerne la Côte d’Ivoire.
De même, RFI a étendu ses positions en Afrique, comme je le disais tout à l’heure, et Monte-Carlo Doualiya, qui est en quelque sorte une déclinaison, une des chaînes sœurs de RFI, a maintenu et renforcé ses positions au Moyen-Orient.
Pour toutes ces raisons, s’agissant du système de l’audiovisuel extérieur, je ne pense pas du tout qu’il faille s’orienter vers un retour en arrière et une quasi-reconstitution de l’ORTF. Au contraire, c’est en donnant à la holding les moyens de se développer d’une manière autonome qu’elle pourra surmonter la crise d’adolescence très violente qu’elle connaît en effet actuellement. C’est en évitant d’adosser la holding à d’autres structures de l’audiovisuel qui auraient tendance à la négliger, voire à l’étouffer ou à la dévorer, que l’on obtiendra précisément la poursuite des éléments bénéfiques de la réforme que je me suis permis de rappeler devant vous.
Quant au contrat d’objectifs et de moyens, je le répète, j’attends les résultats de la mission de l’inspection générale des finances et des travaux de la mission d’information parlementaire pour définir précisément les grandes lignes du contrat d’objectifs et de moyens avec la holding.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le ministre, disposant de fort peu de temps pour intervenir, j’ai mis en avant surtout les points faibles.
Pour avoir auditionné les intéressés au sein de la commission de la culture et de la communication, nous savons qu’il y a des points de progrès.
Néanmoins, vous l’avez vous-même souligné, nous avons affaire à une crise d’adolescence. En tant que responsables politiques et en tant que législateur, nous nous devons de poser la question de la structure la plus appropriée pour passer ce cap.
Voilà pourquoi j’ai soulevé cette question et vous ai demandé si une étude sérieuse et approfondie avait été menée, dans un esprit de comparaison, afin que l’audiovisuel extérieur de la France réussisse.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le ministre, avec les membres du RDSE, je souhaite attirer votre attention sur la situation de France 24, qui me préoccupe beaucoup. Les événements de ces derniers jours – je pense à la démission de la directrice générale déléguée – ne font que renforcer ce sentiment.
Je tiens avant tout à rappeler que notre inquiétude quant à l’avenir de cette chaîne d’information est à la mesure des espérances que nous avions placées en elle.
L’espérance est née, tout d’abord, du fait que l’ambition originelle affichée par France 24, à savoir doter notre pays d’une « CNN à la française », nous semblait correspondre à un véritable besoin. Ce besoin s’est trouvé souligné et confirmé par les événements actuels dans le monde arabe, qui ont démontré, une fois de plus, le rôle crucial que pouvait jouer la télévision satellitaire.
Cette espérance a été renforcée par les premiers succès, encourageants, qu’a connus la chaîne : d’une part, sa percée en Afrique francophone et au Maghreb, d’autre part, conformément à sa mission initiale, le passage à une diffusion continue en langue arabe depuis décembre dernier.
Cependant, les sources d’inquiétude demeurent nombreuses. J’en citerai deux, la première concernant le financement.
Nous sommes tous conscients que France 24 ne peut pas, pour l’heure, rivaliser avec ses concurrents anglo-saxons, qui disposent d’un budget jusqu’à huit fois supérieur au sien. Il n’empêche que la question demeure : qu’attendez-vous réellement de France 24 ? De quels moyens financiers disposera-t-elle jusqu’en 2012 et après ?
La seconde source d’inquiétude est liée à cette pitoyable crise de gouvernance qui n’en finit pas, qui nuit chaque jour un peu plus à la crédibilité de la chaîne, et ce alors même que des défis majeurs restent à relever. Sur le plan interne, la chaîne est confrontée à la nécessaire réorganisation des rédactions de RFI et de France 24, même si nous nous interrogeons aujourd'hui à ce sujet. Sur le plan externe, elle a besoin de consolider sa présence au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre, et je la résumerai ainsi : quels moyens allez-vous donner à France 24 pour lui permettre de surmonter à la fois sa crise financière et sa crise de gouvernance ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, je l’ai dit tout à l'heure, France 24 a su faire des progrès considérables, malgré ce que j’ai appelé, peut-être un peu légèrement, une « crise d’adolescence », formulation que Mme Morin-Desailly a eu l’indulgence d’accepter.
La chaîne est distribuée mondialement, ce qui constitue un réel succès. Elle peut être reçue par 160 millions de foyers uniques dans le monde, soit une progression de 28 % par rapport à 2010. La chaîne touche 102 millions de foyers uniques en Europe, 43 millions au Maghreb et au Moyen-Orient, 6 millions en Afrique, 3 millions en Asie, 3 millions aux États-Unis.
TV5, quant à elle, est chargée d’essayer de démarcher sur les zones les plus lointaines pour obtenir de nouveaux foyers de diffusion.
Malgré la crise de gouvernance, tout cela fonctionne et marque un progrès.
La chaîne a réussi son implantation en langue arabe, ce qui était une entreprise très difficile, et émet 24 heures sur 24 dans cette langue. Son comité de rédaction, d’une qualité remarquable, a su tenir le choc face à des chaînes en langue arabe très expérimentées comme Al Jazeera, qui existe depuis plus de dix ans.
Cette performance a été accomplie en quelques mois, ce qui est tout de même une prouesse, surtout lorsqu’on sait les difficultés que traversait cette chaîne. Elle émet désormais en français, en anglais et en arabe.
Concernant les ressources de France 24, je rappelle qu’elles ont augmenté de 26 % par rapport à 2009, en deux fois 13 %.
Je suis conscient que la réponse que je vous apporte n’est pas vraiment satisfaisante, mais c’est celle de la raison : j’attends le résultat du rapport de l’inspection des finances et des travaux de la mission parlementaire pour déterminer exactement les ressources qui seront nécessaires au fonctionnement de la chaîne.
M. le président. Il faut conclure !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Vous ne devez pas vous inquiéter : la crise de gouvernance étant réglée et la stratégie générale définie, nous ne laisserons pas tomber France 24, bien au contraire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Plancade. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Comme vous l’avez souligné, on ne peut qu’attendre le résultat des travaux de l’inspection des finances et de la mission d’enquête parlementaire.
Je tenais à vous faire part de la grande inquiétude qui s’exprime sur toutes les travées de cette assemblée, un sentiment causé par l’affichage permanent de la discorde qui déchire la direction de l’AEF.
Cela étant dit, je suis convaincu que vous gérez ce dossier conformément à l’intérêt de la France.
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Face à la baisse de l’audience et à l’augmentation globale du coût de l’audiovisuel extérieur, une réforme apparaissait inéluctable. Le Gouvernement l’a engagée, et je m’en réjouis.
L’objectif annoncé est triple : il s’agit de mettre fin à la pluralité des tutelles et des financements, de développer la présence française par l’information à l’échelle planétaire et de promouvoir la langue française et la culture francophone.
Lors de l’examen de la loi de finances de 2011, nous avons pu constater que la situation des opérateurs était en progrès, grâce à une politique de l’audiovisuel extérieur généreuse, qui s’est traduite cette année par une dotation de près de 330 millions d’euros, en augmentation de 5 % par rapport à l’année dernière.
Chacun des opérateurs joue un rôle essentiel pour l’image de la France.
France 24 donne un point de vue français sur l’actualité du monde, ce qui la fait qualifier parfois de « CNN à la française ». Le fait que, depuis l’année dernière, elle soit diffusée 24 heures sur 24 en arabe représente également une avancée importante.
Première chaîne de télévision mondiale généraliste en français, TV5 Monde a augmenté sa distribution de plus de 14 % en deux ans. Elle fait rayonner notre culture et notre langue à travers le monde.
Radio France Internationale s’est modernisée : certaines langues ont été abandonnées, d’autres renforcées, et l’accent a été mis sur le développement de nouveaux modes de diffusion.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, dresser un premier bilan de la réforme ? Plus précisément, quelle appréciation portez-vous sur l’évolution de la distribution et des audiences de France 24, RFI et TV5 Monde ?
M. le président. Il faut conclure !
Mme Christiane Kammermann. Lors de la discussion du budget, députés et sénateurs ont souhaité le développement de synergies entre RFI, France 24 et TV5 Monde. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous dire ce qui a déjà été mis en place sur ce plan ?
Par ailleurs, quels bénéfices attendez-vous du projet de fusion entre RFI et France 24, qui sera concrétisé prochainement par l’installation de RFI dans de nouveaux locaux, proches de ceux de France 24 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Madame la sénatrice, je suis le premier à déplorer ce qui s’est passé au sein d’AEF. Ce sentiment est, je le pense, partagé par tous au sein de cette assemblée, même si les analyses sur l’origine de cette situation divergent quelque peu.
Je vous répondrai, madame Kammermann, en réitérant mes propos précédents. Par leur professionnalisme et leur connaissance du terrain, les personnels d’AEF ont fait la preuve de leur excellence, en dépit d’une situation difficile, et je tiens à leur rendre hommage.
Cela montre aussi quel point la réforme était bienvenue. Si l’ensemble a résisté à cette crise grave et si ses équipes ont pu faire preuve, malgré tout, de leurs compétences, c’est bien parce que ces personnels ont appris à se connaître les uns les autres et à mutualiser leurs efforts, à faire converger leur professionnalisme dans le cadre des groupes de rédaction. Pour cette raison, Monte-Carlo Doualiya, que j’évoquais tout à l’heure, a pu progresser au Moyen-Orient malgré les circonstances que l’on connaît.
J’en viens à la question du déménagement de RFI. Vaste problème ! Il est vrai que le déménagement d’une structure est toujours traumatisant pour les personnels.
Je tiens cependant à préciser que le coût de ce transfert, relativement important, sera compensé par la fin du paiement du loyer par RFI à Radio France.
M. le président. Il faut conclure !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Par ailleurs, cette réorganisation permettra d’obtenir de bien meilleurs résultats en termes de mutualisation et de centralisation des informations.
Je n’ai plus le temps d’évoquer certains points du contrat d’objectifs et de moyens que je vous soumettrai lorsque j’aurai reçu le rapport de l’inspection des finances, mais j’aurai certainement l’occasion d’y revenir dans la suite du débat.
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann, pour la réplique.
Mme Christiane Kammermann. Je vous remercie d’avoir répondu à mes questions, monsieur le ministre. Je ne prolongerai pas davantage mon intervention, pour faire plaisir à M. le président. (Sourires.)
M. le président. J’y suis très sensible, ma chère collègue, mais, pour ce qui me concerne, je suis soucieux de faire plaisir à Mme Tasca et à Mme Blandin, qui doivent encore intervenir ! (Nouveaux sourires.)
La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. La réforme de l’audiovisuel extérieur de la France était censée apporter davantage de cohérence et d’efficacité. Elle n’atteint aucun de ces deux objectifs.
Je ne reviendrai pas sur la guerre ouverte à laquelle se sont livrés pendant des mois M. Alain de Pouzilhac et Mme Christine Ockrent, avant que celle-ci ne renonce à son poste. Une page se tourne, mais France 24, RFI et TV5 Monde se trouvent profondément déstabilisés.
Monsieur le ministre, la holding n’est plus dirigée depuis des mois, sans que cela entraîne la moindre réaction de l’État. Dans n’importe quelle autre entreprise, les deux dirigeants auraient été remerciés et remplacés depuis longtemps.
Nous avions été nombreux ici à dénoncer le transfert de la tutelle du Quai d’Orsay vers Matignon et votre ministère, pour des raisons de pure convenance personnelle, ainsi que la désignation des dirigeants par le Président de la République. Mais personne n’aurait imaginé un tel gâchis !
C’est le moment choisi par le conseil d’administration pour décider, sur fond de nouveau plan social, le déménagement de RFI à proximité immédiate de France 24, malgré l’opposition des salariés de la radio, et sans tenir compte des inspections en cours.
Monsieur le ministre, ce déménagement préfigure-t-il une fusion avec France 24, et donc la poursuite du démantèlement de RFI ?
Au moment où le continent africain et le monde méditerranéen connaissent de profonds bouleversements, RFI doit absolument garder toute sa place au sein de l’AEF. Avec la recherche systématique des mutualisations, que restera-t-il de RFI, première radio en Afrique francophone ?
Plus globalement, monsieur le ministre, de nombreuses questions restent sans réponse. Quel type de management est envisagé ? Quelles perspectives financières sont proposées pour un partage équitable entre les trois composantes ? Enfin, y a-t-il aujourd’hui une stratégie de l’AEF ? Si oui, laquelle ? Et qui la pilote ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Madame la sénatrice, je vous remercie d’avoir posé cette question. Il faut bien reconnaître que le tableau que vous venez de dresser comporte une grande part de vérité.
D’un côté, j’affirme fortement que cette réforme, à maints égards très positive, était nécessaire ; de l’autre, je déplore, tout comme vous, cette « guerre des chefs » – une expression qui pourrait prêter à rire en d’autres circonstances ! – et l’opacité du fonctionnement général d’AEF, qui explique pourquoi j’ai demandé à l’inspection des finances de me remettre un rapport : il s’agit d’y voir clair et de définir plus solidement le contrat d’objectifs et de moyens.
Je ne reviendrai pas sur vos considérations concernant le transfert de l’audiovisuel extérieur de la France sous la tutelle du ministère de la culture et de la communication. Contrairement à vous, je considère qu’il s’agit d’une très bonne décision et que mon administration est tout à fait compétente pour suivre ce dossier de près.
Nous attendons les rapports de l’inspection des finances et de la mission parlementaire pour donner à la réforme les prolongements bénéfiques que l’on peut en espérer.
Il est question, non pas de fusionner RFI et France 24,...
M. Guy Fischer. C’est pourtant ce qui se dit !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. ... mais de réunir les opérateurs au sein d’un seul groupe mutualisé dans lequel tous les personnels travailleraient ensemble et partageraient les mêmes locaux, et où les journalistes, qui se connaissent et exercent leur métier sur le terrain avec un professionnalisme exceptionnel, échangeraient leurs informations.
Vous l’avez dit très justement, madame Tasca, les journalistes de RFI jouent un rôle essentiel, en Afrique notamment. Je tiens à leur rendre hommage, tout comme à ceux de France 24, qui ont également joué un grand rôle lors de la révolution rabe.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour la réplique.
Mme Catherine Tasca. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre, même si elles ne me rassurent pas tout à fait.
Si nous ne voulons pas connaître à nouveau les errements précédents, lourdement préjudiciables à la politique extérieure de la France, nous ne devons pas regarder le passé, mais nous tourner vers l’avenir.
Je conteste certaines de vos analyses.
Tout d’abord, je n’approuve absolument pas le bilan très négatif établi par les deux dirigeants de RFI.
Ensuite, vous dites souhaiter une autonomie de la holding. Je considère, pour ma part, que celle-ci doit s’inscrire beaucoup plus nettement au sein de la politique extérieure de la France.
Enfin, s’agissant de TV5, vous avez évoqué des perspectives de mutualisation. Je me permets de rappeler qu’il s’agit d’une organisation multilatérale et que la mutualisation n’est donc pas forcément une voie souhaitable pour cette chaîne.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Catherine Tasca. Nous attendons que l’État reprenne très fermement ce dossier en main et résolve, notamment, les problèmes du management, du projet et de la stratégie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le ministre, alors que je vous alertais au sujet de RFI en 2009, vous me répondiez, confiant dans le montage de vos prédécesseurs : « Un plan global de modernisation a été présenté au comité d’entreprise. » Depuis, il n’y a même plus de contrat d’objectifs et de moyens !
Les ressources de RFI ont été siphonnées au bénéfice de France 24, et aussi du train de vie professionnel du président et de la directrice de la holding, lesquels sont en conflit ; cette dernière ne vient d’ailleurs plus travailler...
Au-delà des symptômes de la pire ambiance possible, jusqu’à des accusations d’espionnage et de piratage, France 24 accumule les échecs.
L’autoritarisme y coexiste avec le manque de professionnalisation et d’encadrement. Ainsi, de nombreux jeunes journalistes inexpérimentés se retrouvent polyvalents et sont envoyés au « front ». Beaucoup de correspondants n’interviennent que par téléphone… Vive la télévision !
Les erreurs dans le lancement des sujets et les fautes d’orthographe dans les bandeaux font les délices... du zapping d’Al Jazeera.
On recycle des images et plus de 40 % de sujets déjà diffusés sur France 2 ou France 3. On dépense encore 2 millions d’euros par an pour acheter des images à TF1, qui s’était déjà enrichi de 1 981 500 euros en revendant sa part du capital de France 24.
Malmenés, sans perspectives, les salariés éprouvent une grande fatigue morale et physique : cadences accélérées, précarité, départs, tentatives de suicides... Ceux de la version arabophone peuvent travailler de nuit et enchaîner, dès le matin, la journée suivante...
Le budget est entamé par l’installation du nouveau siège, les embauches-départs à l’amiable, avec primes substantielles, les plans sociaux, les dédommagements après action aux prud’hommes, et ce au détriment de la présence sur le terrain et de bureaux à l’étranger.
Monsieur le ministre, comment allez-vous restaurer la confiance après ce gâchis d’argent public et de talents de journalistes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la mesure où je partage certaines de vos analyses, vous en conviendrez, la tâche n’est pas très facile pour moi cet après-midi !
Premièrement, madame Blandin, je déplore, moi aussi, la « crise des chefs », révélatrice d’un certain nombre d’approximations dans la conduite d’une réforme qui était nécessaire.
Deuxièmement, une fois mise en œuvre, cette réforme a permis de renforcer le capital et la professionnalisation remarquable des personnels de RFI, comme elle a permis l’installation et le développement de France 24.
Il convient donc, d’une part, de surmonter la crise, réelle, que nous traversons actuellement et, d’autre part, de reprendre le chemin de la réforme en appliquant bien celle-ci.
Troisièmement, c’est précisément, je l’ai dit, pour avoir enfin une bonne visibilité que j’ai demandé qu’un contrôle soit effectué par l’inspection générale des finances, et je me réjouis que la mise en œuvre de la réforme fasse de surcroît l’objet d’une mission d’information parlementaire.
La réforme, madame Blandin, va donc non seulement se poursuivre, mais elle va se poursuivre dans la clarté et avec les appuis financiers que notre audiovisuel extérieur mérite de recevoir de l’État.
Je disposerai des résultats des travaux actuellement menés d’ici à la fin du mois de juin, mais, d’ores et déjà, j’ai arrêté plusieurs principes que je tiens à mettre en œuvre dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens. Je peux vous assurer que je m’occuperai de ce dossier avec la plus grande attention, comme je l’ai d’ailleurs fait jusqu’à présent. Malheureusement, la crise de direction entre les deux chefs rendait la situation extrêmement difficile à gouverner, même pour l’autorité de tutelle.
Mme Catherine Tasca. Qui les avait nommés ?
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour la réplique.
Mme Marie-Christine Blandin. Je veux d’abord insister sur le fait que la trésorerie de RFI avait été fragilisée par des avances, qui n’ont pas été remboursées, à Doualiya et à Euranet.
Ensuite, je vous remercie, monsieur le ministre, de l’appréciation que vous portez sur les salariés de RFI, qui vous en seront reconnaissants.
Une ministre a pu se tromper par le passé, le Parlement également. Cela peut arriver à tout le monde ! L’important est de ne pas persévérer dans l’erreur et, de ce point de vue, j’estime que le départ de la directrice ne suffira pas. Pour ma part, je veux que l’on évalue à nouveau la pertinence du retour de RFI dans Radio France : c’est un scénario qu’il ne faut pas balayer.
Par ailleurs, il faut sortir de la guerre des clans à France 24, en finir avec les caprices… La diffusion à la même seconde du même message dans toutes les langues ne tombe pas nécessairement sous le sens !
Enfin, rien ne se fera sans le respect des journalistes non plus que sans l’indispensable dialogue social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être venu répondre aux questions des sénateurs.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles sur la politique audiovisuelle extérieure.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de Mme Monique Papon.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
5
Fonctionnement des institutions de la Polynésie française
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi organique dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française.
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen de l’article 2.
Article 2 (suite)
Mme la présidente. Je rappelle que dix amendements avaient été appelés en discussion commune. Quatre d’entre eux ont d’ores et déjà été examinés : les trois premiers – les amendements nos 19, 20 et 21 – ont été considérés comme n’ayant plus objet, tandis que le quatrième – l’amendement n° 4 – a été rejeté. Dans ces conditions, les six amendements restants seront examinés dans le cadre de deux discussions communes successives.
J’appelle donc maintenant trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 22, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 5 et 6
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
« II. – Au premier tour de scrutin, il est attribué à la liste qui a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés dans la circonscription un nombre de sièges égal au quart du nombre de sièges à pourvoir arrondi à l’entier supérieur ainsi réparti :
« 1° Dans les sections des Îles du Vent : trois sièges ;
« 2° Dans la section des îles Sous-le-Vent : deux sièges ;
« 3° Dans les autres sections, un siège.
II. - Alinéa 11, première phrase
Remplacer le mot :
dix-neuf
par le mot :
quinze
III. - Alinéa 11, deuxième phrase
Remplacer les mots :
conformément au tableau ci-dessus
par les mots :
conformément au II
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Cet amendement prévoit qu’une prime majoritaire égale à un quart des sièges, c'est-à-dire quinze sièges, sera attribuée à la liste arrivée en tête dans l’ensemble de la collectivité et sera ensuite ventilée entre les différentes sections.
J’estime en effet qu’une prime de quinze sièges est suffisante pour que se dégage une majorité absolue au sein de l’assemblée de la Polynésie française.
Nous nous inspirons là du mode de scrutin des élections régionales, selon lequel la liste arrivée en tête au premier tour obtient le quart des sièges à pourvoir, et non le tiers.
Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par M. Flosse, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 5
Remplacer le mot :
dix-neuf
par le mot :
quinze
II. - Alinéa 6, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
Section des Îles-du-Vent du Centre |
2 |
Section des Îles-du-Vent de l’Ouest |
3 |
Section des Îles-du-Vent de l’Est |
2 |
Section des Îles-du-Vent du Sud |
2 |
Section des Îles Sous-le-Vent |
2 |
Section des Îles Tuamotu de l'Ouest |
1 |
Section des Îles Gambier et Tuamotu de l'Est |
1 |
Section des Îles Marquises |
1 |
Section des Îles Australes |
1 |
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 10, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 5
Remplacer le mot :
dix-neuf
par le mot :
quinze
II. – Alinéa 6, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
Première section des îles-du-Vent |
3 |
Deuxième section des îles-du-Vent |
3 |
Troisième section des îles-du-Vent |
3 |
Section des îles Sous-le-Vent |
2 |
Section des îles Tuamotu de l’Ouest |
1 |
Section des îles Gambier et des îles Tuamotu de l’Est |
1 |
Section des îles Marquises |
1 |
Section des îles Australes |
1 |
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. La prime majoritaire est l’un des éléments de la stabilité politique de la future assemblée de la Polynésie française. Elle doit répondre à deux objectifs : premièrement, garantir l’existence d’une majorité authentique pour ceux qui seront appelés à gérer les affaires de la collectivité ; deuxièmement, assurer la représentation pluraliste des courants de pensée présents dans la vie politique locale.
Le choix de la commission des lois, fondé sur la mise en place d’une circonscription unique, nous paraît pertinent au regard du premier objectif. La circonscription unique limite en effet les risques de « nomadisme » électoral et l’émergence de forces d’appoint qui, leur poids n’étant dû qu’à une victoire aux élections dans tel ou tel archipel éloigné, pourraient proposer joindre leurs voix à celles du plus offrant et, partant, favoriser les combinaisons politiques qui ont tant nui à l’équilibre institutionnel local.
Le choix d’une circonscription unique participe également de l’affirmation de la réalité polynésienne dans sa diversité, et c’est là un point essentiel.
Toutefois, nous souhaitons que la prime accordée au vainqueur ne prive pas les autres forces politiques de toute représentation. Outre que la diversité des sections électorales conduira probablement à des ajustements complexes de représentation, il convient d’éviter qu’un parti ou une coalition minoritaire dans une des sections ne soit favorisé par une attribution initiale des élus trop généreuse.
Si notre amendement était adopté, une liste arrivée en tête avec 40 % des voix disposerait d’au moins trente et un sièges à l’assemblée territoriale, ce qui lui permettrait d’exercer les responsabilités les plus importantes, tandis qu’un résultat inférieur pourrait fort bien l’amener à composer avec d’autres forces, ce qui serait du reste logique dans ce cas.
La prime d’un tiers prévue dans le texte initial aurait un défaut, à savoir qu’une liste arrivée en tête avec 35 % des voix obtiendrait une prime de dix-sept élus s’ajoutant à au moins treize élus au premier partage. Cela signifie qu’un tiers environ du corps électoral pourrait décider pour les deux autres tiers.
Il convient de parvenir à un équilibre plus juste dans la représentation de chacune des forces politiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Afin que la question de la prime majoritaire soit mieux comprise, il faut reprendre la genèse du dossier.
Quand le Gouvernement a proposé une prime de 33 %, il se fondait sur un système comportant cinq circonscriptions. De fait, compte tenu du poids d’archipels éloignés dans certaines de ces circonscriptions, une prime d’un tiers était nécessaire pour que puisse exister une relative stabilité.
Il est vrai que, dès lors que l’on opte pour un système de circonscription unique, une prime de 25 % pourrait être suffisante. Toutefois, il faut prendre garde à la cohérence de l’ensemble. N’oubliez pas que, si nous avons retenu le principe de la circonscription unique avec sections, nous avons également décidé de ramener les conditions d’adoption d’une motion de défiance de l’obtention des trois cinquièmes des voix à celle de la majorité absolue. Or, en l’absence d’une prime de 33 %, la possibilité d’adopter une motion de défiance dans ces conditions est dangereuse.
Je m’adresse à nos collègues du groupe CRC-SPG : une majorité de trente et un sièges sur cinquante-sept est fragile puisqu’il n’est besoin que de « débaucher » deux personnes pour la renverser. On se retrouverait presque dans la situation que nous connaissons aujourd'hui, ce qui n’est guère satisfaisant.
Si l’on optait pour une prime de 25 % au lieu de 33 %, il faudrait en revenir à l’exigence d’une majorité des trois cinquièmes pour l’adoption d’une motion de défiance. Cela arrivera peut-être, du reste, puisque le Gouvernement a déposé un amendement en ce sens, mais la logique du texte de la commission des lois impose de s’en tenir à une prime de 33 %.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Je voudrais compléter les propos de M. le rapporteur en rappelant l’objet de ce texte. Si nous sommes réunis aujourd'hui, c’est parce qu’il existe un problème d’instabilité en Polynésie française.
L’ensemble du texte repose sur deux choix très forts faits par le Gouvernement. Il s’agit de garantir la stabilité grâce, d’une part, à une prime majoritaire, dont il ne faut donc pas affaiblir l’efficacité, et, d’autre part, à l’élévation du seuil d’adoption d’une motion de défiance, outil qui, pendant des années, a été détourné de son objet.
Il serait vain d’accomplir une énième réforme électorale à l’issue de laquelle la majorité se jouerait à deux sièges ; l’histoire montre qu’une majorité d’au moins trois ou quatre sièges sont nécessaires pour garantir une certaine stabilité politique en Polynésie française. Même si cela ne nous paraît pas idéal du point de vue de la représentativité politique, il faut privilégier cette stabilité, car il y a une demande forte de la population polynésienne pour que l’on apporte des réponses à ses problèmes et que leur collectivité ne demeure pas engluée dans un système de changements de majorité motivés uniquement par des intérêts personnels.
Nous devons garder à l’esprit cette nécessité de conforter la prime majoritaire, qui est au cœur de la réforme, et le Gouvernement est défavorable à tout ce qui pourrait l’affaiblir.
Mme la présidente. Monsieur Tuheiava, l'amendement n° 22 est-il maintenu ?
M. Richard Tuheiava. Je remercie M. le rapporteur de nous avoir rappelé la logique des travaux de la commission des lois, et je retire mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 22 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 10.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 23, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 8, deuxième phrase
Remplacer les mots :
10 % des électeurs inscrits
par les mots :
12,5 % du total des suffrages exprimés
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Cet amendement vise à favoriser le pluralisme dans la représentation.
À titre d’exemple, pour les élections des conseillers municipaux et des conseillers régionaux, le seuil d’accessibilité au second tour est fixé à 10 % des suffrages exprimés, et pour l’élection des conseillers à l’assemblée de Corse, ce seuil est de 7 % des suffrages exprimés.
Nous estimons que le seuil de 12,5 % des suffrages exprimés que nous proposons pour les élections à l’assemblée de la Polynésie française pourrait faciliter l’accès des petits partis au second tour. Cela pourrait certes aller à l’encontre de l’objectif de stabilité, mais l’objectif de pluralisme justifie que nous prenions ce risque.
Mme la présidente. Les amendements nos 7 et 11 sont identiques.
L'amendement n° 7 est présenté par Mme Gourault.
L'amendement n° 11 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 8, deuxième phrase
Remplacer les mots :
électeurs inscrits
par les mots :
suffrages exprimés
L’amendement n° 7 n'est pas soutenu.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 11.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement se justifie d’abord pour des raisons de principe. Nous sommes attachés à ce que la future assemblée de la Polynésie française soit le plus possible représentative de la diversité des sensibilités politiques présentes sur son territoire. Dès lors, tout ce qui peut contribuer à restreindre le pluralisme doit, à notre sens, être écarté.
Par ailleurs, les modes de scrutin qui existent en métropole, par exemple pour les élections régionales ou municipales, peuvent également être instaurés en Polynésie française.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. L’amendement n° 11 constitue un recul par rapport à la situation actuelle, dans laquelle le seuil d’accessibilité au second tour est fixé à 12,5 % des suffrages exprimés.
Le premier texte du Gouvernement prévoyait que ce seuil serait de 12,5 % des électeurs inscrits, mais, à la suite de l’avis de l’assemblée de la Polynésie française, il a été abaissé à 10 % des électeurs inscrits. Prévoir 10 % des suffrages exprimés constituerait donc une régression, en contradiction avec la volonté que nous avons manifestée. C'est pourquoi, même si je comprends la démarche qui a présidé à l’élaboration de l’amendement n° 11, je ne peux qu’émettre un avis défavorable.
En revanche, nous ne nous sommes pas prononcés en commission, à part ce matin, sur la question que soulève l’amendement n° 23 : nous avons simplement retenu le seuil de 10 % des électeurs inscrits figurant dans le texte du Gouvernement. Mais je dois reconnaître que ce n’est pas le seuil de 12,5 % des suffrages exprimés qui a créé des problèmes d’instabilité en Polynésie française. C'est pourquoi je préfère m’en remettre à l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. S'agissant de l’amendement n° 11, je partage la position de M. le rapporteur et émets donc un avis défavorable.
Pour ce qui est de l’amendement n° 23, il est vrai que l’on peut s’interroger sur la possibilité de maintenir un seuil de 12,5 % des suffrages exprimés. Toutefois, il faut tenir compte du taux de participation, qui est aujourd'hui relativement fort en Polynésie française. C’est ce taux qui explique qu’on arrive à peu près au même résultat avec un seuil de 10 % des électeurs inscrits et avec un seuil de 12,5 % des suffrages exprimés. Il est donc préférable, si l’on veut assurer une certaine stabilité, de prévoir une garantie en calculant le seuil par rapport aux électeurs inscrits.
C'est la raison pour laquelle nous avons accepté d’abaisser le seuil de 12,5 % à 10 % des électeurs inscrits. En effet, si l’objectif est certes de permettre le pluralisme, nous devons veiller à ce que le pluralisme n’engendre pas en fin de compte de l’instabilité politique. Il faut donc à la fois rechercher une bonne représentation des forces politiques présentes en Polynésie française et, en même temps, faire en sorte que puissent se dégager des majorités de travail. C’est l’objet de la réforme.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote sur l’amendement n° 23.
Mme Jacqueline Gourault. Je suis arrivée trop tard dans l’hémicycle pour présenter mon amendement n° 7, mais j’avais de toute façon l’intention de le retirer au profit de l’amendement n° 23, qui permet de favoriser à la fois la stabilité et le pluralisme, objectifs que je soutiens, ainsi que je m’en suis expliquée dans la discussion générale.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Madame la ministre, selon vous, en Polynésie française, il n’y aurait pas de différence entre 10 % des électeurs inscrits et 12,5 % des suffrages exprimés. Si cela revient à peu près au même, si cela n’affecte en rien des principes fondamentaux, pourquoi ne pas faire plaisir au Parlement en acceptant ce dernier seuil ? (Sourires.)
Pour la population polynésienne, le fait qu’on retienne un seuil de 10 % des électeurs inscrits sera perçu comme une marque de défiance. Or vous voulez établir la confiance.
Aux termes de la législation actuelle, seules peuvent se présenter au second tour les listes ayant obtenu au premier tour un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % des suffrages exprimés. Cependant, comme Christian Cointat l’a fort justement indiqué, ce n’est pas cela qui est à l’origine des perturbations que nous savons.
Selon les échos qui nous sont parvenus, aux yeux de certains acteurs polynésiens – Jacqueline Gourault a évoqué ce point –, le pourcentage de 12,5 % des suffrages exprimés constitue un frein. Si tel était réellement le cas, je pourrais comprendre la position du Gouvernement, madame la ministre. Mais vous soutenez que, quel que soit le pourcentage retenu, la situation sera la même. Rendez-vous compte : vous êtes en train de rater une occasion extraordinaire de faire plaisir à un certain nombre de personnes, indépendamment de tout débat sur le fond. (Sourires.) Alors, je ne vous dis pas « encore un petit instant, monsieur le bourreau », mais « encore un petit effort, madame la ministre » ! Remettez-vous en donc à la sagesse du Sénat ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur Frimat, les deux solutions auraient certes le même résultat, mais seulement dans le contexte particulier qui est aujourd'hui, sur le plan de la sociologie électorale, celui de la Polynésie française, c'est-à-dire celui d’un très fort taux de participation, situé entre 75 % et 80 %.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Demain, ce taux ne sera pas nécessairement aussi élevé et, si l’option des 12,5 % des suffrages exprimés est retenue, il pourra en résulter un risque d’éparpillement des voix et donc d’impossibilité de constituer des majorités.
J’aimerais vous faire plaisir et m’en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée, monsieur Frimat, mais je préfère maintenir l’avis défavorable du Gouvernement, afin que, dans quelques années, il ne nous soit pas reproché d’avoir procédé à une énième réforme sans effets positifs sur la stabilité politique.
M. Bernard Frimat. Il y a tout de même la prime majoritaire !
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour explication de vote.
M. Richard Tuheiava. Je comprends l’argument que vous venez d’exposer, madame la ministre. Mais, comme vous le savez, sur le terrain, le plus grand défi auquel nous serons confrontés lors des prochaines élections territoriales fixées à 2013, sauf élections anticipées, est non pas tant l’application des règles que le taux de participation. Je ne suis pas sûr que le risque encouru soit celui de l’éparpillement des voix que vous avez évoqué. Cet argument n’est pas recevable.
D’après ce que nous savons, il ne semble pas que la participation sera massive lors des prochaines élections territoriales.
M. Richard Tuheiava. Les deux systèmes proposés ayant un résultat quasiment identique, pourquoi braquer davantage nos électeurs ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Compte tenu des explications de M. Tuheiava, je retire l’amendement n° 11 au profit de l’amendement n° 23, lequel est plus précis.
Mme la présidente. L’amendement n° 11 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 23.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Le deuxième alinéa de l’article 106 de la même loi organique est ainsi rédigé :
« Chaque liste comporte un nombre de candidats égal au nombre de sièges à pourvoir dans chaque section, augmenté de deux. » – (Adopté.)
Article 4
Le II de l’article 107 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « sur la liste » sont remplacés par les mots : « sur la section de la liste » ;
2° À la troisième phrase du cinquième alinéa, les mots : « 12,5 % du total des suffrages exprimés » sont remplacés par les mots : « 10 % des électeurs inscrits ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 12 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 24 est présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 12.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à créer un parallélisme des formes entre élections générales et partielles, ce qui est la moindre des choses.
Plutôt que d’imposer une barrière administrative trop élevée, mieux vaut faire confiance à l’intelligence des forces politiques locales pour passer les alliances et les accords les plus adéquats lors d’élections partielles.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour présenter l'amendement n° 24.
M. Richard Tuheiava. Il s’agit d’un amendement de coordination, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. L’amendement n° 23 ayant été adopté, par coordination, ces deux amendements identiques doivent l’être également. Par conséquent, la commission ne peut qu’émettre un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Par cohérence, le Gouvernement est défavorable à ces amendements identiques.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 et 24.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Chapitre ii
Dispositions relatives à l’organisation et au fonctionnement des institutions de la Polynésie française
Article additionnel avant l'article 5 A
Mme la présidente. L'amendement n° 25, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l’article 5 A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le septième alinéa (V) de l’article 8 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 précitée est ainsi rédigé :
« V. - Le haut-commissaire de la République assure, à titre d'information, la publication au Journal officiel de la Polynésie française, ainsi que par voie électronique, des dispositions législatives et réglementaires telles qu'elles sont applicables en Polynésie française et procède à la consolidation des lois et règlements. Cette obligation s’applique aux dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin ou qui sont applicables de plein droit. »
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. L’extension des textes législatifs et réglementaires de l’État à la Polynésie française méconnaît trop souvent l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité du droit.
En effet, les dispositifs d’extension sont rédigés de telle façon qu’il est souvent impossible de comprendre quels articles des lois et règlements sont applicables. De plus, les textes n’étant pas « consolidés », le citoyen est obligé de procéder à de longues et périlleuses recherche sur Internet, notamment sur le site Légifrance, pour tenter de lire le droit en « recollant » des morceaux de textes.
L’État, conscient de cette difficulté, a d’ailleurs déjà consacré le principe figurant dans la modification statutaire proposée à propos du code général des collectivités territoriales applicable en Polynésie française.
La présente modification s’inspire de ce principe et vise à ajouter l’obligation de tenir à jour des textes consolidés par l’intermédiaire du haut-commissaire de la République.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Cet amendement tend à ce que le haut-commissariat publie une version consolidée des textes applicables en Polynésie française. Cette demande paraît tout à fait légitime, tant la question de l’accès au droit et de l’intelligibilité du droit se pose dans les collectivités d’outre-mer. De surcroît, une version consolidée permet une meilleure connaissance du droit. Il s’agit de répondre à un objectif d’intérêt général.
Cet amendement a reçu toute la sympathie de la commission des lois, qui, cependant, s’en remet à l’avis du Gouvernement, celui-ci étant concerné au premier chef par la disposition proposée.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Une telle disposition n’existe dans aucun des statuts régissant les collectivités qui relèvent de l’article 74 de la Constitution. Il n’est pas prévu de donner la compétence en question au haut-commissaire. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 25.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 5 A (nouveau)
Après le quatrième alinéa de l’article 9 de loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les projets de loi sont accompagnés, le cas échéant, des documents prévus à l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution. » – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 5 A
Mme la présidente. L'amendement n° 26, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 5 A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au cinquième alinéa de l’article 9 de la même loi organique, remplacer les mots : « un mois » par les mots : « deux mois » et les mots : « quinze jours » par les mots : « un mois ».
II. - Au troisième alinéa de l’article 10 de la même loi organique, remplacer les mots : « un mois » par les mots : « deux mois » et les mots : « quinze jours » par les mots : « un mois ».
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. La loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française prévoit des mécanismes de consultation de l’assemblée de la Polynésie française et du conseil des ministres, dont les avis doivent permettre d’éclairer les autorités métropolitaines lors de l’élaboration d’un projet de texte national qui introduit, modifie ou supprime des dispositions particulières à la Polynésie française.
Cependant, de nombreuses difficultés font que les avis, indépendamment de leur qualité, sont souvent rendus hors délais légaux. Ainsi, en 2009, 61 % des avis adoptés n’ont eu aucune influence sur les projets de textes nationaux.
Trois problèmes majeurs sont mis en exergue par les services de l’assemblée de la Polynésie française : des délais légaux trop courts ; un recours trop récurrent à la procédure d’urgence, qui réduit de moitié des délais déjà trop brefs ; enfin, l’absence d’étude d’impact jointe à la saisine et de textes consolidés, ce travail indispensable à une lecture pertinente du projet soumis restant à la charge de la Polynésie française.
Par le présent amendement, nous proposons donc d’allonger le délai de consultation et de le porter de un à deux mois – il ne s’agit donc pas d’un bouleversement des institutions ! – et, le cas échéant, de permettre aux organes concernés de disposer des documents prévus à l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, qui prévoit que les projets de loi doivent faire l’objet d’une étude d’impact.
Notre amendement vise donc à permettre aux autorités polynésiennes qui bénéficient du statut d’autonomie au titre de l’article 74 de la Constitution et qui sont conscientes de la difficulté d’améliorer la qualité de la loi de participer à l’effort national mené en la matière.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Vous vous plaignez, monsieur le sénateur, que les avis demandés aux autorités polynésiennes ne soient pas toujours suivis d’effet, comme ils le devraient. Mon opinion est que plus on attend, moins ces avis ont de chance d’être pris en compte. Les délais qui sont prévus me paraissent donc raisonnables, car ils permettent de tenir compte des avis des autorités polynésiennes.
J’ajoute que, aux termes de l’article 5 A, les études d’impact devront être transmises pour information. Tout est donc fait pour les autorités polynésiennes puissent rendre leurs avis en toute connaissance de cause dans des délais relativement brefs, tout en disposant de la documentation et des renseignements nécessaires.
Dans ces conditions, la commission des lois a estimé qu’un allongement du délai, outre qu’il n’était pas nécessaire, pourrait même porter préjudice aux autorités polynésiennes. J’émets donc, au nom de la commission, un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le délai actuellement prévu nous paraît suffisant. Les difficultés rencontrées en Polynésie pour émettre les avis dans les temps s’expliquent peut-être en partie par ce que j’appelle les « dégâts collatéraux » de l’instabilité politique.
Aujourd’hui, grâce à la procédure d’urgence, qui permet de réunir l’assemblée en session extraordinaire, nous arrivons normalement à obtenir ces avis. Enfin, il y a d’autant moins de raisons de changer ce délai qu’il s’impose de la même façon à toutes les collectivités d’outre-mer. Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 26.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 5 B (nouveau)
I. – L’article 30 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, les mots : « La Polynésie française peut » sont remplacés par les mots : « La Polynésie française et ses établissements publics peuvent », et les mots : « elle peut » sont remplacés par les mots : « ils peuvent » ;
2° Au second alinéa, après le mot : « annexé », sont insérés les mots : «, selon les cas, » et après le mot : « annuellement », sont ajoutés les mots : « ou au bilan comptable annuel des établissements publics » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les représentants de la Polynésie française et les représentants des établissements publics de la Polynésie française au conseil d’administration ou au conseil de surveillance de sociétés visées au premier alinéa sont respectivement désignés par le conseil des ministres de la Polynésie française et par le conseil d’administration de l’établissement public actionnaire. »
II. – Le premier alinéa de l’article 157-3 de la même loi organique est complété par les mots : « ou des sociétés mentionnées à l’article 30 ». – (Adopté.)
Article 5 C (nouveau)
Après l’article 30 de la même loi organique, il est inséré un article 30-1 ainsi rédigé :
« Art. 30-1. – La Polynésie française peut, pour l’exercice de ses compétences, créer des autorités administratives indépendantes, pourvues ou non de la personnalité morale, aux fins d’exercer des missions de régulation dans le secteur économique.
« L'acte prévu à l'article 140 dénommé “loi du pays” créant une autorité administrative indépendante en définit les garanties d'indépendance, d'expertise et de continuité.
« Il peut lui attribuer, par dérogation aux dispositions des articles 64, 67, 89 à 92 et 95, un pouvoir réglementaire, ainsi que les pouvoirs d’investigation, de contrôle, de recommandation, de règlement des différends et de sanction, strictement nécessaires à l’accomplissement de ses missions. » – (Adopté.)
Article 5 D (nouveau)
L’article 41 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Les mots : « la Communauté européenne » sont remplacés par les mots : « l’Union européenne » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le président de la Polynésie française peut demander à l’État de prendre l’initiative de négociations avec l’Union européenne en vue d’obtenir des mesures spécifiques, utiles au développement de la Polynésie française. » – (Adopté.)
Article 5 E (nouveau)
I. – Au II de l’article 43 de la même loi organique, après les mots : « les communes », sont insérés les mots : « ou les établissements publics de coopération intercommunale ».
II. – L’article 48 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « aux maires » sont insérés les mots : « ou aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale » ;
2° Au deuxième alinéa, après les mots : « la commune intéressée » sont insérés les mots : « ou de l’assemblée délibérante de l’établissement public de coopération intercommunale intéressé ».
III. – L’article 53 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « aux communes », sont insérés les mots : « ou aux établissements publics de coopération intercommunale » ;
2° Au deuxième alinéa, après les mots : « conseil municipal » son insérés les mots : « ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale, ». – (Adopté.)
Article 5 F (nouveau)
Au deuxième alinéa de l’article 47 de la même loi organique, après les mots : « les rivages de la mer, » sont insérés les mots : « y compris les lais et relais de la mer, ». – (Adopté.)
Articles additionnels après l'article 5 F
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 28, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Après l’article 5 F, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 52 de la même loi organique est ainsi rédigé :
« Art. 52. - Un fonds intercommunal de péréquation reçoit une quote-part des impôts, droits et taxes perçus au profit du budget général de la Polynésie française.
« Cette quote-part, qui ne peut être inférieure à 15 % des dites ressources, est fixé par délibération de l’assemblée de la Polynésie française, après consultation du haut-commissaire de la République, en tenant compte des charges respectives de la Polynésie française, des communes et de leurs groupements.
« Les modalités de liquidation et de versement de cette quote-part sont déterminées par un acte prévu à l’article 140 et dénommé « loi du pays ».
« Le fonds intercommunal de péréquation peut recevoir également des subventions de l’État destinées à l’ensemble des communes et à leurs groupements.
« Le fonds intercommunal de péréquation est géré par un comité des finances locales de la Polynésie française composé de représentants des communes, du gouvernement de la Polynésie française, de l’assemblée de la Polynésie française et de l’État. Les représentants des collectivités territoriales constituent la majorité des membres du comité. Celui-ci est présidé par l’un de ses membres représentant les communes.
« Ce comité répartit les ressources du fonds entre les communes, pour une part au prorata du nombre de leurs habitants, pour une autre part compte tenu de leurs charges. Il peut décider d’attribuer une dotation affectée à des groupements de communes pour la réalisation d’opération d’investissement ou la prise en charge de dépenses de fonctionnement présentant un intérêt intercommunal.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’élection des représentants des communes et de l’assemblée de la Polynésie française au comité des finances locales et celles afférentes au président dudit comité. Il fixe également les modalités selon lesquelles le fonds assure à chaque commune un minimum de ressources. »
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Compte tenu du risque d’incohérence qui existe, sur un certain nombre de points, entre l’amendement n° 30 rectifié et l’amendement n° 28, je me vois dans l’obligation de retirer celui-ci.
Mme la présidente. L'amendement n° 28 est retiré.
L'amendement n° 30 rectifié, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 5 F, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 52 de la même loi organique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le comité des finances locales est également en charge du diagnostic et du suivi financier, au cas par cas et dans le respect de l'article 6, de la situation des communes qui ne peuvent pas se conformer aux obligations prévues par les articles L. 2573-27, L. 2573-28 et L. 2573-30 du code général des collectivités territoriales. S’il est saisi d'une demande à cet effet par une ou plusieurs communes, le comité des finances locales peut émettre des recommandations à valeur consultative. »
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Je voudrais m’attarder sur cet amendement, comme je le ferai plus tard sur l’amendement n° 8 rectifié.
Je vous le concède, monsieur le rapporteur, le domaine abordé ici ne concerne pas directement la stabilité des institutions de la Polynésie française. Nous sommes dans un cadre relativement particulier, puisque je propose à la Haute Assemblée de retoucher une disposition, l’article 52 de la loi organique, qui porte sur les missions du comité des finances locales.
La particularité du contexte tient aussi à ce que je pose cette question pour la troisième fois, après qu’elle a été relayée par mes collègues Bernard Frimat et Christian Cointat. Cette interrogation porte sur les compétences exercées par les communes de Polynésie française, notamment les trois compétences environnementales que sont la collecte des déchets, la distribution de l’eau potable et l’assainissement des eaux usées.
C’est donc la troisième fois que j’évoque cette problématique. Bien évidemment, à chaque fois, les véhicules législatifs, par le truchement desquels je soulignais cette difficulté, n’étaient pas adaptés… Tel est du moins l’argument qu’on m’a opposé.
Toutefois, il n’y aura pas au Parlement un autre véhicule législatif organique concernant la Polynésie française avant un bon bout de temps ! Or c’est justement de ce type de texte dont nous avons besoin pour insérer dans la législation cet amendement qui nous paraît important. Il est tellement essentiel pour nous que, pas plus tard que voilà une semaine, au terme d’un séminaire européen en Polynésie française, quarante-six communes sur les quarante-huit du territoire m’ont demandé de le déposer !
Concrètement, cet amendement vise à étendre les missions du comité des finances locales, originellement en charge de la répartition des ressources du Fonds intercommunal de péréquation, le FIP, en faveur des communes, et à mettre en application l’article 2 de la loi organique, lequel précise que l’État et la Polynésie française doivent concourir, ensemble, au développement des communes.
Le problème est que les communes de Polynésie se trouvent exsangues en raison de la baisse actuelle et durable du concours financier provenant du FIP. De plus, elles doivent respecter rigoureusement un calendrier législatif que la Haute Assemblée ne peut plus ignorer désormais. Ce dernier est imposé par le code général des collectivités territoriales en matière de collecte et de traitement des déchets, de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées.
Cette situation a été très clairement mise en évidence dans le rapport de la mission d’information réalisée par nos collègues Bernard Frimat et Christian Cointat en 2008.
Or il se trouve que les trois compétences environnementales que je viens de citer obèrent irrémédiablement et lourdement les finances des communes polynésiennes. Plus de la moitié de ces dernières ne seront, en effet, absolument pas en mesure de respecter les délais législatifs.
J’avais pris le soin de déposer une proposition de loi devant la Haute Assemblée pour solliciter l’extension de ces délais, ce qui aurait réglé le problème. Néanmoins les choses ne sont pas si simples. En outre, cette solution, qui n’est d’ailleurs pas forcément voulue par toutes les communes, n’est peut-être pas la bonne.
C'est la raison pour laquelle il m’a semblé bien plus pertinent et habile d’utiliser le véhicule législatif que constitue cette loi organique pour faire adopter par le Parlement et admettre par le Gouvernement, qui est conscient de ce problème, un principe : l’État et la Polynésie française pourraient, au travers de ce comité des finances locales, accompagner les communes qui ne seraient pas en mesure de satisfaire aux délais prévus par le code général des collectivités territoriales, en prenant en charge, au cas par cas, le diagnostic et le suivi financier.
La rédaction que je propose a recueilli ce matin l’assentiment de la commission des lois. Elle se limite à reprendre celle des textes du code général des collectivités territoriales qui, sur le plan juridique, encadrent très clairement et expressément ce nécessaire accompagnement des communes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Je suis très embarrassé, car M. Tuheiava a levé tout suspense en donnant l’avis de la commission. (Sourires.) Comment pourrais-je ne pas aller dans le même sens ?
L’amendement n° 30 rectifié est important. Ses dispositions rejoignent les conclusions du rapport que nous avions rédigé sur la Polynésie française. Il tend à permettre au comité des finances locales d’apporter son aide aux communes qui ne parviennent pas à respecter le calendrier fixé par l’ordonnance du 5 octobre 2007. Ce dernier leur impose d’assurer la distribution en eau potable avant le 31 décembre 2015, l’assainissement de l’eau avant le 31 décembre 2020 et le traitement des ordures ménagères et des déchets avant le 31 décembre 2011.
Lors de la mission que nous avions réalisée pour le compte de la commission des lois, M. Frimat et moi-même, nous avions pu constater et mettre en évidence les difficultés rencontrées par les communes de Polynésie française, qui, faute de ressources financières, peinent à développer les équipements nécessaires au bien-être des habitants et au respect de l’environnement, notamment dans les Tuamotu-Gambier et dans les Australes.
La commission est favorable à cet amendement, dont les dispositions vont dans le sens que nous avions préconisé à l’époque.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur Tuheiava, vous posez une vraie question. Nous avions déjà eu l’occasion d’échanger sur les compétences des communes de Polynésie française. Il est vrai que le rapport rédigé par les sénateurs Frimat et Cointat a soulevé cette difficulté. Nous avons nous-mêmes considéré que des précisions devaient être apportées dans la loi organique.
Pour autant, je ne pense pas que l’obligation de réaliser un certain nombre d’ouvrages soit au cœur des missions du comité des finances locales. Il est toujours possible – c’est ce qui s’est passé antérieurement – de doter les communes, à l’aide de subventions, pour qu’elles réalisent les ouvrages.
Il est certain qu’il faudra, à un moment, clarifier les compétences entre le pays et les communes et aller vers une autonomie de ces collectivités pour leur permettre d’assumer leurs responsabilités.
C'est la raison pour laquelle l’État a toujours souhaité qu’un travail soit réalisé en ce sens, notamment avec le syndicat de promotion des communes. Cette tâche a été engagée à plusieurs reprises, mais l’instabilité n’a permis ni de mener un débat serein sur cette question ni de poursuivre nos réflexions.
Je pense qu’il faut procéder en deux temps. Ce n’est pas au détour du vote d’un amendement que nous pourrons régler toutes les questions qui se posent autour des compétences des communes. L’objectif de la réforme est plutôt d’aller vers la stabilité politique. Lorsqu’il y aura en Polynésie un gouvernement stable, attaché à traiter les problèmes qui concernent les habitants de ce territoire, nous serons forcément amenés à aborder la réalisation de ces ouvrages indispensables pour les Polynésiens, notamment l’alimentation en eau potable. En même temps, nous pourrons poursuivre le travail mené sur le comité des finances locales et proposer une modification de la loi organique, qui deviendra alors inévitable.
C'est la raison pour laquelle, en l’état des choses, je considère qu’il ne faut pas déséquilibrer la loi organique en apportant une telle modification. J’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable sur l’amendement n° 30 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour explication de vote.
M. Richard Tuheiava. Mes chers collègues, je préfère vous donner une lecture beaucoup plus précise de l’amendement pour que nous nous entendions bien sur ce que, au travers de ces dispositions, je demande au comité des finances locales.
J’en appelle, au-delà de la raison, à la solidarité de cette assemblée. Je crois que le lieu s’y prête puisque nous sommes au Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales. Dans cet hémicycle, chacun connaît au quotidien les difficultés que j’évoque.
J’en appelle donc à votre sagacité. À mon retour en Polynésie française, comment pourrai-je expliquer aux maires des quarante-huit communes concernées que, à trois reprises, le Parlement n’a pas voulu entendre les difficultés dans lesquelles ils se trouvent aujourd'hui et qui ont pourtant été constatées et reconnues ?
Comment pourrai-je leur expliquer que, en 2007, on a imposé aux communes, par le biais d’une ordonnance, sans débat au Parlement, des compétences pour l’exercice desquelles on refuse aujourd’hui d’entériner un partage des responsabilités et un accompagnement au quotidien ?
C'est pourquoi je voudrais démystifier cet amendement et montrer à quel point il est inoffensif.
Je propose la rédaction suivante : « Le comité des finances locales est également en charge » – c’est l’ajout – « du diagnostic ». Mais ce dernier est déjà fait ! C’est la raison du débat de cet après-midi. Nous proposons, en outre, que le comité des finances locales soit chargé « du suivi financier, au cas par cas et dans le respect de l’article 6, de la situation des communes… » L’article 6 vise la libre administration des collectivités territoriales. Nous n’empiétons donc pas sur les compétences des communes. Celles qui sont concernées sont celles qui ne peuvent pas – j’y insiste – se conformer aux obligations prévues par les trois textes instituant les trois compétences.
« Si le comité des finances locales est saisi d’une demande à cet effet par une ou plusieurs communes, il peut émettre des recommandations à valeur consultative. » Nous poussons donc le bouchon un peu plus loin et précisons que le comité des finances locales ne s’autosaisit pas d’office. Je le répète, cette instance n’intervient que s’il est saisi d’une demande à cet effet par une ou plusieurs communes.
En effet, il peut arriver que le problème dépasse la dimension d’une commune prise individuellement et concerne tout un archipel. Le comité des finances locales peut alors émettre des recommandations à valeur consultative.
Si j’entends les inquiétudes qui s’expriment, je ne puis m’empêcher de souligner l’urgence de la situation dans laquelle les communes de la Polynésie française se trouvent aujourd'hui. Or elles se voient toujours opposer la même réponse ! Je le répète, ce sont elles qui, la semaine dernière, m’ont enjoint de déposer un tel amendement.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous vous en doutez, à mon retour en Polynésie française – la presse se fera d'ailleurs largement l’écho des débats qui se seront déroulés dans cet hémicycle –, j'aurai beaucoup de mal à expliquer aux maires de ces communes pourquoi, à trois reprises, on a refusé de s’occuper d’elles : d’abord, parce que le texte examiné n'était pas le bon véhicule législatif, ensuite, parce qu’il fallait une loi organique, enfin, aujourd'hui, alors que nous discutons précisément d’un projet de loi organique, parce que c’est trop tôt !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Il aurait fallu examiner conjointement, comme je voulais le faire initialement, l'amendement n° 30 rectifié et l'amendement n° 8 rectifié, car ce dernier tend à préciser les missions du comité des finances locales. (M. Bernard Frimat acquiesce.) Toutefois, il est vrai que nous discutons en quelque sorte des deux en même temps.
Madame la ministre, lorsque nous nous sommes rendus sur place, Bernard Frimat et moi-même, nous avons pu toucher du doigt les difficultés considérables que rencontrent les communes de la Polynésie française, notamment celles qui se trouvent dans les archipels : elles ne parviennent pas à faire face aux problèmes d’assainissement des eaux usées, de distribution d’eau potable, de collecte et traitement des déchets.
J'ai rencontré des maires totalement désemparés, qui ne savaient plus comment faire, ne pouvant ni creuser la terre pour enfouir les déchets à cause des nappes phréatiques, ni construire une usine de traitement, parce que c’est trop onéreux et que les communes sont trop petites, ni recourir à des bateaux, car cela suppose de nettoyer les cuves, ce qui coûte une fortune.
Dans ces conditions, il est normal de les accompagner et de leur proposer une expertise appropriée menée par des personnes qualifiées. Tel est l’objet de cet amendement, et c'est ce que nous recommandons. Cela ne coûte rien, ou si peu, par rapport à ce que l'on ne fait pas et à ce que l'on pourrait faire. Cela en vaudrait tout de même la peine !
Madame la ministre, comme vous le voyez, il s’agit non pas de remettre en cause les équilibres existants, mais de proposer un accompagnement. C'est d’ailleurs la raison pour laquelle la commission des lois n’était pas favorable à l'amendement n° 30 dans sa rédaction initiale, puisque son adoption aurait compromis de tels équilibres. En revanche, sur tel ou tel point très technique sur lequel la commission des lois a été sensibilisée et a lancé un cri d'alarme pour les communes de Polynésie française, nous avons la possibilité d’apporter une réponse ; c’est ce que nous faisons à présent.
Voilà pourquoi, madame la ministre, j'aurais aimé que, à tout le moins, vous vous en remettiez la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement. La commission est obligée de maintenir son avis favorable, car l’enjeu est trop important pour les communes de la Polynésie française.
Je rappelle qu’un colloque a été organisé récemment avec l'aide de mon collègue Richard Tuheiava. Celui-ci m'a envoyé les réponses aux questionnaires adressés aux maires : sur tous ces sujets – assainissement, déchets, eau potable –, ils lançaient un cri d'alarme. Nous n'avons pas le droit de les laisser tomber !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur, sur le fond, je conviens de la nécessité de trouver une solution pour les communes de la Polynésie française. Il n’en reste pas moins que le comité des finances locales n'est pas là pour régler ce type de questions : il a vocation à procéder à la répartition du fonds intercommunal de péréquation. Lui confier des missions complémentaires sans lui accorder les moyens de mener à bien ces expertises ne servira strictement à rien !
En revanche, en attendant une nouvelle répartition des compétences, le pays peut assumer en partie ce rôle, en mettant en place une aide générique permettant aux communes de réaliser les infrastructures de distribution d'eau potable et d’assainissement des eaux usées dont elles ont besoin. Toutefois, le comité des finances locales n’est pas la structure à même de répondre aux inquiétudes que vous exprimez aujourd'hui.
En outre, des études complémentaires sont nécessaires avant que les communes n’amorcent la réflexion qui devra, tôt ou tard, être menée. Cela ne pourra se faire que lorsqu’aura été réglée la question de la répartition des compétences. Le conseil économique, social et environnemental peut tout à fait se saisir déjà de ces questions. Je le répète : cette tâche n’incombe pas au comité des finances locales. Par conséquent, pourquoi adopter une disposition qui ne donnera pas, demain, un résultat probant ? On ne comprendrait pas l’adoption d’un tel amendement par la représentation nationale.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. L'enjeu est trop important pour que je ne profite pas de cette discussion pour défendre encore les communes polynésiennes.
Les compétences sont relativement claires : il ne s'agit pas de les répartir à nouveau. (Mme la ministre le conteste.) Par une disposition du code général des collectivités territoriales, elles ont été transférées aux communes sans même qu’on ait demandé l’avis de ces dernières. Certes, la commission consultative pour l’évaluation des charges a été créée, mais, dans les faits, cette structure fonctionne sans mission. Par conséquent, à ce jour, on ne connaît pas les financements dont a besoin chaque commune pour assumer des compétences qui lui ont été confiées en 2008. Aujourd'hui, le seul argument que nous oppose le Gouvernement pour nous convaincre de ne pas adopter cet amendement est la nécessité d’attendre la répartition des compétences. Or celle-ci a déjà eu lieu,...
M. Bernard Frimat. Bien sûr !
M. Richard Tuheiava. ... et on ne donne pas aux communes les moyens d’assumer leur rôle !
Aujourd'hui, la réponse officielle est la suivante : le comité des finances locales a pour seule fonction de procéder à la répartition du fonds intercommunal de péréquation, il ne faut surtout pas étendre ses missions. Pourtant, grâce à une loi organique ou à une modification du règlement de cette instance, il pourrait en être autrement. Rien ne l’empêche ! Tel est d’ailleurs l’objet de l'amendement n° 8 rectifié.
Je fais remarquer que l'article 40 de la Constitution ne m’a pas été opposé : il s’agit ici non pas de créer des charges nouvelles, mais d’assigner au comité des finances locales des missions supplémentaires de consensus pour faire en sorte que l'État et la Polynésie française accompagnent les communes assumant aujourd'hui les compétences qu’eux-mêmes exerçaient auparavant.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Madame la présidente, ne serait-il pas possible de nous prononcer d'abord sur l'amendement n° 8 rectifié, puisque c'est lui qui tend à définir les missions du comité des finances locales ? En effet, son adoption entraînera celle de l'amendement n° 30 rectifié. En revanche, si l'amendement n° 30 rectifié est rejeté, l'amendement n° 8 rectifié n'aura plus d'objet.
M. Bernard Frimat. Il suffit de réserver le vote !
Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, il me semble que votre demande intervient un peu tard. On ne peut pas modifier au dernier moment l'ordre d'examen des amendements.
Mme Éliane Assassi. Bien sûr que si !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l'article 5 F.
L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Après l'article 5 F, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 52 de la même loi organique, il est inséré un article 52-1 ainsi rédigé :
« Art. 52-1. - Le gouvernement de la Polynésie française, l'assemblée de la Polynésie française ou le haut-commissaire peuvent consulter le comité des finances locales sur tout projet de loi, tout projet d'actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays", tout projet de délibération ou sur toutes dispositions réglementaires à caractère financier concernant les communes ou groupements de communes. Lorsqu'un acte à caractère financier concernant les communes ou groupements de communes crée ou modifie une norme à caractère obligatoire, la consultation du comité des finances locales porte également sur l'impact financier de la norme.
« Le comité des finances locales a pour mission de fournir au gouvernement de la Polynésie française et à l'assemblée de la Polynésie française les analyses nécessaires à l'élaboration des dispositions des projets de délibérations et d'actes prévus à l'article 140 dénommés "lois du pays" intéressant les communes. Dans un cadre pluriannuel, il a la charge de la réalisation d'études sur les facteurs d'évolution de la dépense locale. Les résultats de ces études font l'objet d'un rapport au gouvernement de la Polynésie française. »
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Cet amendement tend à reprendre quasiment mot pour mot la rédaction actuelle des textes relatifs aux missions confiées au comité des finances locales à l'échelon national, en l’adaptant simplement pour la rendre applicable à la Polynésie française. Il s’agit, ni plus ni moins, de la duplication de ce texte.
Par conséquent, l’objet de cet amendement me semble tout à fait inoffensif, et, dans la stricte logique de l'amendement précédent, je demande à la Haute Assemblée de bien vouloir l’adopter.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Pour les raisons que j'ai évoquées précédemment, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l'article 5 F.
L'amendement n° 31 rectifié, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 5 F, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au second alinéa de l’article 54 de la même loi organique, les mots : «, cabinets ministériels » sont supprimés.
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. À notre sens, le second alinéa de l’article 54 de la loi organique de 2004 doit être supprimé.
Dans la situation actuelle, les mots « cabinets ministériels » ne peuvent que nuire au bon fonctionnement des institutions polynésiennes et entraîner les élus vers des pratiques que je qualifierai d’excessives, notamment lorsque les accointances entre le maire et le pouvoir en place prennent des proportions démesurées.
J'ai pris soin de rectifier cet amendement car, dans sa rédaction initiale, le champ de la disposition était trop large. Après le vote de ce projet de loi organique, nous examinerons une proposition de loi actualisant le statut des fonctionnaires communaux de la Polynésie française. Dans la mesure où je compte sur l’adoption de ce texte, je suis moins inquiet de voir des fonctionnaires territoriaux mis à la disposition de communes qui bénéficient déjà du concours de fonctionnaires municipaux. C'est la raison pour laquelle j'ai circonscrit l'exclusion aux cabinets ministériels, car cette disposition revêt un caractère trop politique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Le second alinéa de l'article 54 de la loi organique de 2004 précise : « La Polynésie française peut participer au fonctionnement des services municipaux par la mise à disposition de tout personnel de ses services, cabinets ministériels ou établissements publics dans le cadre de conventions passées entre le président de la Polynésie française et les communes. »
L'amendement n° 8 rectifié ne vise pas la suppression de cet article, puisque, nous avons pu le vérifier, les communes ont besoin de cette disposition ; si celle-ci tendait à disparaître, elles auraient encore plus de mal à se gérer. En revanche, il tend à en exclure les membres des cabinets ministériels. En effet, la présence de ces personnes dans les services municipaux était quelque peu curieuse : elle apparaissait, pour le dire élégamment, comme une forme d'attirance… En outre, ce n’était compatible ni avec la stabilité politique ni avec la liberté d'expression des uns et des autres. Il s’agit donc d’un amendement opportun, sur lequel j’émets un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l'article 5 F.
Article 5 G (nouveau)
L’article 55 de la même loi organique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les conditions dans lesquelles les personnes publiques visées aux deux premiers alinéas peuvent se voir confier la réalisation d’équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de la compétence d’une autre personne publique sont définies par un acte prévu à l’article 140 dénommé "loi du pays". » – (Adopté.)
Article 5 H (nouveau)
Au premier alinéa de l’article 56 de la même loi organique, après les mots : « après avis », sont insérés les mots : « du conseil municipal de la commune intéressée et », et les mots : « par des décrets qui affectent à chacune d’entre elles une partie », sont remplacés par les mots : « par des arrêtés du haut-commissaire de la République en Polynésie française qui transfèrent à chacune d’entre elles la propriété d’une partie ».
Mme la présidente. L'amendement n° 32, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Après les mots :
du conseil municipal de la commune intéressée et
insérer le mot :
avis
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Il s'agit d'un amendement rédactionnel. Cela ne mérite pas de longues explications ! (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement émet également un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5 H, modifié.
(L'article 5 H est adopté.)
Article additionnel après l'article 5 H
Mme la présidente. L'amendement n° 33, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 5 H, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 59 de la même loi organique, il est inséré un article 59-1 ainsi rédigé :
« Art. 59-1. - Une convention entre l’État et la Polynésie française fixe les modalités du concours des administrations centrales de l’État à la Polynésie française pour l’élaboration des règles dont elle a la charge à l’occasion des transferts de compétences qui ont eu lieu depuis l’entrée en vigueur de la présente loi organique. »
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. La loi organique du 3 août 2009 relative à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte a consacré le principe suivant : si aucune compensation n’est accordée à la Nouvelle-Calédonie pour les charges liées à l’activité normative, une assistance juridique est envisagée pour les compétences normatives transférées, tels que le droit civil, le droit commercial ou l’état civil. Ce principe figure désormais à l’article 203-1 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
Ce nouveau dispositif autorise l’organisation du concours des administrations centrales de l’État à la Polynésie française pour l’élaboration des règles dont celle-ci a la charge, à l’occasion des transferts de compétences qui ont eu lieu en 2004. Il nécessite, comme en Nouvelle-Calédonie, la signature d’un protocole liant les parties intéressées et organisant la coopération entre la Polynésie française et les services de l’État pour la mise en œuvre du transfert dans ces matières.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Le présent amendement tend à prévoir que la Polynésie française pourra bénéficier, dans des conditions définies par une convention, d’un concours de l’État pour l’assister dans l’exercice des compétences normatives – élaboration des textes notamment – découlant des transferts de compétences ayant eu lieu depuis 2004.
Il faut souligner que l’assistance juridique de l’État pour des compétences déjà transférées serait inédite. En effet, les lois organiques relatives à la Nouvelle-Calédonie et à Mayotte ne prévoient le concours de l’État que pour les transferts à venir.
Toutefois, la participation de l’État semble nécessaire pour mener à terme, dans de bonnes conditions, les transferts de compétences engagés depuis 2004. En Polynésie française, mais pas uniquement d’ailleurs, un retard dans la mise à jour des normes applicables localement est en effet à déplorer dans certains domaines transférés.
Je pense qu’il revient à l’État, qui est le principal acteur concerné, de se prononcer sur cet amendement. Voilà pourquoi la commission s’en remet à l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Les conventions relatives aux transferts sont établies non pour les compétences déjà transférées, mais pour celles qui restent à transférer. Nous n’allons pas créer un précédent. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 33.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 5
Le deuxième alinéa de l’article 73 de la même loi organique est ainsi rédigé :
« Le gouvernement comprend sept à dix ministres. » – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
L’article 74 de la même loi organique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le président de la Polynésie française ne peut exercer plus de deux mandats de cinq ans successifs. » – (Adopté.)
Article 6 bis (nouveau)
L’article 78 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « à compter du premier jour du troisième mois qui suit » sont remplacés par les mots : « jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois suivant » ;
2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de démission du président de la Polynésie française avant l’expiration du délai visé au premier alinéa, le membre du gouvernement retrouve son mandat de représentant dès la démission du président. »
Mme la présidente. L'amendement n° 34, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
jusqu'à
par le mot :
à
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Cet amendement est nécessaire à la fluidité du texte. L’avis de la commission est donc favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je mets aux voix l'article 6 bis, modifié.
(L'article 6 bis est adopté.)
Article 7
I. – L’article 86 de la même loi organique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le nombre de collaborateurs de cabinet du président de la Polynésie française, du vice-président et des autres membres du gouvernement ne peut excéder la limite fixée par l’assemblée de la Polynésie française, sur proposition de sa commission de contrôle budgétaire et financier. L’assemblée de la Polynésie française inscrit dans le budget de la collectivité, sur un chapitre spécialement créé à cet effet, les crédits nécessaires à la rémunération de ces collaborateurs de cabinet, sans que ces crédits puissent excéder 20 % des crédits consacrés au fonctionnement du gouvernement de la Polynésie française.
« Les fonctions de collaborateur de cabinet auprès du président de la Polynésie française, du vice-président ou d’un autre membre du gouvernement prennent fin au plus tard en même temps que les fonctions de l’autorité auprès de laquelle chaque collaborateur est placé. »
II (nouveau). – L’article 129 de la même loi organique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les fonctions de collaborateur du président de l’assemblée de la Polynésie française ou d’un représentant à cette assemblée prennent fin en même temps que le mandat de l’élu auprès duquel chaque collaborateur est placé.
III (nouveau). – Les troisième et cinquième alinéas du présent article s’appliquent aux contrats en vigueur à la date de publication de la loi organique n° du relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Flosse, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Cet amendement tend à supprimer l’article 7 pour laisser à l’assemblée et au président du gouvernement la liberté de fixer le nombre des collaborateurs des cabinets du chef de l’exécutif et des autres membres du gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. La commission a précisément modifié le texte du Gouvernement, qui prévoyait de limiter à quinze le nombre des collaborateurs des ministres du gouvernement polynésien.
Nous avons estimé qu’il fallait modifier cette disposition pour deux raisons. D’une part, elle pouvait paraître porter atteinte au principe d’autonomie. D’autre part, nous avons considéré qu’elle était susceptible de donner lieu à des dépenses inouïes. En comptant quinze collaborateurs pour le président et le vice-président, ainsi que pour chaque ministre – la commission a limité leur nombre à dix –, les effectifs des cabinets pourraient s’élever à 180 collaborateurs. Ce serait dément !
Pour respecter l’autonomie de la collectivité, nous avons donc proposé que l’assemblée elle-même, sur proposition de sa commission de contrôle budgétaire et financier, fixe le nombre des collaborateurs de cabinet, mais de manière responsable, c’est-à-dire en prévoyant l’enveloppe budgétaire correspondante.
Soucieuse d’une bonne gestion financière, qui doit d’ailleurs s’imposer à toutes les collectivités territoriales, la commission a décidé que cette enveloppe ne devait pas dépasser 20 % des frais de fonctionnement du gouvernement, ce qui est déjà considérable.
Cher collègue, le texte de la commission va dans le sens de l’autonomie de décision que vous appelez de vos vœux. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. J’émets également un avis défavorable, mais pas pour la même raison.
Je considère que la libre administration des collectivités territoriales n’interdit pas à l’État d’encadrer le fonctionnement des institutions en fixant un nombre maximum de collaborateurs de cabinet. Il le fait d’ailleurs pour les autres collectivités territoriales de la République, par exemple les conseils généraux et régionaux. Il n’y a donc rien de choquant en la matière.
En outre, à bien regarder la situation actuelle, on constate que le nombre des collaborateurs de cabinet a considérablement augmenté en Polynésie française, ce qui a entraîné des coûts importants. La barre des 20 % du budget de fonctionnement me paraît donc raisonnable. Certes, on peut objecter qu’une forte augmentation dudit budget permettra d’augmenter d’autant l’enveloppe financière dédiée aux cabinets. Cette analyse est recevable. J’émets néanmoins un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaston Flosse, pour explication de vote.
M. Gaston Flosse. Je répondrai tout d’abord à M. le rapporteur que la mesure qu’il préconise existe déjà. Les dépenses des pouvoirs publics sont inscrites au budget du pays. Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement.
Croyez-vous que le gouvernement peut aujourd’hui engager des dépenses d’administration sans qu’une ligne budgétaire soit prévue à cet effet ? Pour ma part, je ne le pense pas !
Enfin, madame la ministre, je vous remercie de vos conseils. Toutefois, l’État, qui impose un tel encadrement législatif aux autorités de la Polynésie, participera-t-il aux dépenses de fonctionnement des pouvoirs publics de ce territoire ? Si tel était le cas, mais ce serait une nouveauté, il serait fondé à vouloir économiser ses fonds. Je doute fort qu’il en aille ainsi !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Article 7 bis (nouveau)
L’article 87 de la même loi organique est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« L’indemnité perçue par le président de la Polynésie française et par les autres membres du gouvernement de la Polynésie française est exclusive de toute rémunération publique.
« Néanmoins, peuvent être cumulés avec cette indemnité les pensions civiles et militaires de toute nature, les pensions allouées à titre de récompense nationale, les traitements afférents à la Légion d’honneur et à la médaille militaire.
« En outre, le président de la Polynésie française et les autres membres du gouvernement de la Polynésie française, s’ils sont titulaires d’autres mandats électoraux ou s’ils siègent au conseil d’administration d’un établissement public local, au conseil d’administration ou au conseil de surveillance d’une société d’économie mixte locale ou s’ils président une telle société, ne peuvent cumuler les rémunérations et indemnités afférentes à ces mandats ou fonctions avec l’indemnité mentionnée au premier alinéa que dans la limite d’une fois et demie le montant de cette dernière. »
Mme la présidente. L'amendement n° 41, présenté par M. Cointat, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
L'article 87 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, les mots : « trois mois » sont remplacés par les mots : « un mois » ;
2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de cohérence avec l'article 6 bis, qui a été inséré par la commission et que nous avons voté tout à l’heure, ramenant ainsi de trois mois à un mois le délai au terme duquel un membre du gouvernement ayant quitté celui-ci peut réintégrer l’assemblée.
En revanche, nous n’avions rien prévu pour ceux qui n’étaient pas membres de l’assemblée. Comme il paraît logique que tous soient traités de la manière, la durée de paiement des indemnités doit donc être ramenée à un mois.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 7 bis, modifié.
(L'article 7 bis est adopté.)
Article 7 ter (nouveau)
L’article 96 de la même loi organique est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« À compter de l’entrée en vigueur de l’acte les nommant dans leurs fonctions, les responsables des services de la Polynésie française peuvent signer, au nom du président ou d’un autre membre du gouvernement et par délégation, l’ensemble des actes, à l’exception des actes prévus à l’article 140 dénommés "lois du pays", relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité.
« Le président de la Polynésie française et les autres membres du gouvernement peuvent également donner délégation de signature à leurs membres de cabinet ainsi que, en application des conventions mentionnées aux articles 169 et 170-2, aux chefs des services de l’Etat.
« Cette délégation s’exerce sous l’autorité du président ou du membre du gouvernement dont relèvent les personnes visées aux deux alinéas précédents.
« Le changement de président ou de membre du gouvernement ne met pas fin à la délégation. Toutefois, le président ou le membre du gouvernement peut mettre fin, par arrêté publié au Journal officiel de la Polynésie française, à tout ou partie de la délégation. » – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 7 ter
Mme la présidente. L'amendement n° 40, présenté par M. Cointat, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 7 ter, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Le dernier alinéa de l'article 116 de la même loi organique est supprimé.
II. - Le dernier alinéa des articles L.O. 497, L.O. 524 et L.O. 552 du code électoral est supprimé.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination visant à harmoniser le droit de la Polynésie avec celui des autres collectivités d’outre-mer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l'article 7 ter.
Article 8
(Non modifié)
L’article 121 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « chaque année » sont remplacés par les mots : « pour la même durée » ;
2° Le dernier alinéa est supprimé.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par M. Flosse, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le dernier alinéa de l’article 121 de la même loi organique est ainsi rédigé :
Lorsqu’une motion de défiance est adoptée, l’assemblée peut décider, à la majorité absolue de ses membres, de procéder au renouvellement intégral du bureau. »
La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Cet amendement tend à éviter que l’assemblée, en cas de changement de gouvernement faisant suite à une motion de défiance, ne soit présidée par un président qui n’appartient pas la nouvelle majorité.
En effet, il faut qu’il y ait une cohérence entre la majorité du nouveau gouvernement et l’orientation du président de l’assemblée. Il est impensable que ce dernier n’appartienne pas à la même majorité que le gouvernement, car il pourrait alors bloquer les dossiers et retarder les travaux de l’assemblée.
J’estime donc que le changement de gouvernement doit entraîner l’élection d’un nouveau bureau et d’un nouveau président de l’assemblée.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Mon cher collègue, je comprends très bien votre approche. En effet, le statut actuel dispose que le président de l’assemblée est élu pour cinq ans, alors que le bureau est renouvelé tous les ans.
Après l’élection du bureau, la majorité de ses membres peuvent décider d’élire un nouveau président. Cette règle a pu donner lieu à un certain nombre de marchandages. Les présidents de l’assemblée ont d’ailleurs beaucoup changé ces dernières années.
L’amendement s’applique au cas particulier des motions de défiance, dont nous reparlerons tout à l’heure. Néanmoins, avec le nouveau système électoral, ces motions devraient se faire plus que rarissimes. Dans ces conditions, les dispositions de cet amendement ont-elles une utilité ? C’est possible. Je reconnais que votre argumentation tient la route, cher collègue.
Toutefois, si cet amendement est pertinent, ses dispositions ne vont pas forcément dans le sens de la stabilité. En effet, elles peuvent être comprises comme une incitation à pratiquer un jeu de chaises musicales. Car tel est bien le problème qui peut se poser.
J’avoue que la commission a pesé le pour et le contre. Nous pensons qu’il s’agit d’une bonne idée, mais qui peut être dévoyée dans la pratique. Avec beaucoup de courage, nous nous en remettons donc à l’avis du Gouvernement. (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement posé les termes du problème. Toutefois, la logique voudrait que vous alliez beaucoup plus loin, comme je ferai pour ce qui me concerne. La quête de la stabilité doit nous guider. À ce titre, j’émets un avis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Monsieur Flosse, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Gaston Flosse. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
Article 8 bis (nouveau)
Au premier alinéa de l’article 135 de la même loi organique, les mots : « des Communautés européennes et » sont supprimés et les mots : « à la Communauté européenne » sont remplacés par les mots : « à l’Union européenne ». – (Adopté.)
Article 8 ter (nouveau)
L’article 137 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, après les mots : « Polynésie française », sont insérés les mots : « organise et dirige les services de l’assemblée. Il » ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il gère les biens de l’assemblée et les biens affectés à celle-ci. » – (Adopté.)
Article 8 quater (nouveau)
Le premier alinéa du I de l’article 144 de la même loi organique est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il peut être déféré au Conseil d’État statuant au contentieux. » – (Adopté.)
Article 8 quinquies (nouveau)
L’article 145 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « relatifs aux impôts et taxes » sont remplacés par les mots : « relatifs aux contributions directes et taxes assimilées » ;
2° Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés. – (Adopté.)
Article 9
I. – (Non modifié) Après le premier alinéa de l’article 147 de la même loi organique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Cette composition assure une représentation de l’ensemble des archipels. »
II. – L’article 149 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Les deux premiers alinéas sont ainsi rédigés :
« Dans le respect du deuxième alinéa de l’article 147, des délibérations de l’assemblée de la Polynésie française ou des actes prévus à l’article 140 dénommés “lois du pays” fixent :
« 1° Le nombre des membres du conseil économique, social et culturel, sans que celui-ci puisse excéder cinquante et un ; »
2° (nouveau) Il est ajouté un 7° ainsi rédigé :
« 7° Les garanties accordées aux membres du conseil économique, social et culturel en ce qui concerne les autorisations d’absence et le crédit d’heures, sans que ces garanties puissent excéder celles dont bénéficient les membres d’un conseil économique, social et environnemental régional. »
III (nouveau). – Après le premier alinéa de l’article 152 de la même loi organique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La progression d’une année sur l’autre du budget de fonctionnement du conseil économique, social et culturel ne peut, à représentation constante, excéder celle de l’évolution prévisible des recettes ordinaires telle qu’elle est communiquée au conseil économique, social et culturel, au plus tard le 1er octobre, par le président de la Polynésie française. » – (Adopté.)
Article 10
L’article 156 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « le quart » sont remplacés par les mots : « le tiers » ;
2° Au début de la troisième phrase du troisième alinéa, les mots : « au cours des deux jours suivants » sont remplacés par les mots : « dans les quarante-huit heures suivant la réunion de plein droit de l’assemblée » ;
3° À la seconde phrase du quatrième alinéa, les mots : « de deux motions » sont remplacés par les mots : « d’une motion ».
Mme la présidente. L'amendement n° 42, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase du quatrième alinéa, le mot : « absolue » est remplacé par les mots : « des trois cinquièmes ».
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Au travers de cet amendement, le Gouvernement souhaite rétablir le vote de la motion de défiance à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
En effet, cette motion est au cœur de la réforme qui vous est proposée aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, pour tenter d’assurer la stabilité politique de la Polynésie française. Tout le projet de loi organique a été élaboré afin de mettre à la disposition des institutions polynésiennes les outils susceptibles de lui garantir un fonctionnement stable, à l’abri des querelles partisanes, afin que soient prises les décisions utiles attendues par la population.
Il ne faut pas qu’il soit encore possible de détourner l’utilisation de la motion de défiance, comme cela s’est fait par le passé. Nous devons tout faire pour éviter que cette procédure ne soit utilisée à des fins autres que celles qui sont les siennes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vous cacherai que, pas dans l’hypothèse où le Sénat rejetterait cet amendement, je m’interrogerais sur l’utilité et le bien-fondé de ce projet de loi organique. Je prends date devant la représentation nationale : si les règles régissant la motion de défiance ne tiennent pas suffisamment compte des enseignements de l’histoire récente de la Polynésie française, nous ne pourrons assurer la stabilité nécessaire à ce territoire. Cette réforme dans son ensemble sera alors dépourvue de sens – en tout cas, je ne pourrai garantir qu’elle sera utile. Quel serait en effet l’intérêt de voter un projet de loi qui n’apporterait pas de réponse aux problèmes des Polynésiens ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Même si elle n’a pas examiné l’amendement du Gouvernement, lequel a été déposé après sa réunion de ce matin, la commission, qui n’a retenu ni pour la Martinique ni dans le présent texte la majorité des trois cinquièmes, ne peut émettre un avis favorable sans se déjuger.
Toutefois, je ne voudrais pas, madame la ministre, que l’on se méprenne à la suite de vos propos. Ce débat – majorité absolue ou majorité des trois cinquièmes – est finalement tout à fait secondaire. En effet, tel qu’il est rédigé, le texte rend pratiquement illusoire l’adoption d’une motion de défiance, l’objectif visé ici étant que cette procédure devienne inutile.
Permettez-moi de vous donner un exemple pour être plus précis.
Imaginons qu’une liste arrive en tête dans l’ensemble de la Polynésie avec moins – j’y insiste – de 40 % des voix. Elle remportera alors quinze des trente-huit sièges hors prime, plus la prime de dix-neuf sièges, soit trente-quatre des cinquante-sept sièges. La prime de 33 % joue un rôle important, car elle permet à une liste qui a été élue avec relativement peu de voix – moins de 40 % –, mais qui est arrivée en tête, de disposer d’une majorité confortable pour gouverner.
La majorité absolue étant de vingt-neuf voix, il faudrait réussir à débaucher six personnes sur cette liste pour la renverser. Mais si on peut en débaucher six, on peut en débaucher quinze ! Cela signifierait que l’on ne peut plus croire personne. Or il faut tout de même être un peu responsable. Nos amis polynésiens nous ont montré qu’ils pouvaient faire preuve d’une grande audace et se montrer très novateurs, mais il y a des limites à tout. En revanche, si la règle des trois cinquièmes était adoptée, il faudrait débaucher trente-cinq élus, ce qui serait évidemment presque impossible.
En réalité, la motion de défiance ne doit servir que s’il se produit une crise très grave. Dans un tel cas de figure, elle serait adoptée, que ce soit à la majorité absolue ou à celle des trois cinquièmes.
Après mûre réflexion, je me suis rendu compte qu’il ne valait pas la peine de se disputer sur cette question. Le seul élément qui est gênant, madame la ministre, c’est que, en adoptant la majorité des trois cinquièmes, on s’écarte des règles démocratiques traditionnelles, mais, à la limite, cela m’est égal ici.
Je rappelle donc que la commission ne peut qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement mais que cela n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est faire en sorte que les élus polynésiens soient responsables et puissent disposer d’une majorité suffisante pour travailler en bonne intelligence au bien-être de la Polynésie française.
J’émets donc un avis défavorable, mais qui laisse à chacun sa liberté de vote… (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gaston Flosse, pour explication de vote.
M. Gaston Flosse. Bien sûr, nous voterons contre cet amendement. Je le rappelle, l’assemblée de Polynésie a accepté, à l’unanimité, de porter du quart au tiers des représentants la proportion de signataires requise pour que la motion soit recevable, mais elle a aussi voté en faveur de son adoption à la majorité absolue, et non des trois cinquièmes.
Nous risquons de nous retrouver dans la situation qu’a connue précédemment M. Tong Sang. Pendant près d’un an, celui a présidé le gouvernement en n’étant soutenu que par neuf membres de l’assemblée. La très grande majorité des représentants était contre lui. Qu’est-il arrivé ? Tous les projets du Gouvernement – les collectifs, les lois du pays, les délibérations, le budget lui-même – ont été repoussés. Voulez-vous recommencer la même aventure avec une majorité des trois cinquièmes ? Avec cette règle, la motion de défiance n’aboutira jamais !
Mme la ministre a pris la décision de maintenir son point de vue coûte que coûte, quitte à piétiner l’avis unanime de l’assemblée, sur ce point comme sur d’autres d’ailleurs.
Ce texte permettra-t-il à la Polynésie de parvenir à la stabilité ? L’avenir nous le dira. À mon sens, la fameuse stabilité n’est qu’un prétexte pour faire adopter ce projet de loi organique. J’ai l’impression de revoir ici M. Estrosi en train d’imposer son propre texte, en 2007 ! Nous sommes exactement dans la même situation.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. J’ignore ce que l’avenir nous dira, mais je sais ce que le passé nous enseigne.
Il y a de grands moments d’indignation qui me laissent assez interrogatif quand je songe aux conditions dans lesquelles nous délibérions en 2004.
Je dois dire que je ne partage pas – c’est rare, mais cela arrive ! – l’avis de Christian Cointat.
Je ne peux pas vous en vouloir, madame la ministre, de faire un peu monter les enchères, si j’ose dire. Toutefois, lorsque l’on prévoit une procédure dans un texte, c’est pour qu’elle serve. Il n’est pas raisonnable d’inventer une motion de défiance et de faire en sorte que les conditions de son adoption ne puissent être réunies.
En l’espèce, la position de la commission des lois, monsieur le rapporteur, est celle que nous avons adoptée à l’unanimité lorsque nous avons examiné le texte sur la Martinique et la Guyane. Qu’avons-nous fait ? De mémoire – vous me corrigerez si je me trompe –, la proportion de signataires requise pour le dépôt de la motion de défiance est d’un tiers des représentants. En outre, seule une motion par an et par membre de l’assemblée est autorisée, soit un nombre réduit. Si l’on divise cinquante-sept par dix-neuf – mais la question ne se pose jamais en ces termes –, cela donne trois, ce qui est déjà beaucoup trop.
Ensuite, que signifie l’adoption d’une motion de défiance lorsque le président du gouvernement a la majorité de l’assemblée contre lui, mais qu’il reste en place afin d’éviter une instabilité politique ? C’est incohérent !
Le système électoral prévu dans le texte, M. le rapporteur l’a très bien dit, donne à celui qui remporte l’élection une prime de dix-neuf sièges, soit le tiers du total, ce qui est très important. Même en réalisant un score assez peu considérable, le gagnant remporte quatorze ou quinze sièges. Il dispose donc d’une majorité solide.
Nous avons fait notre travail de législateur. Au-delà, aucun système institutionnel ne peut fournir de garanties face à des comportements individuels aberrants. Dans ce cas, il appartient au Gouvernement de faire cesser ce qui devient une insulte à la démocratie.
Nous travaillons démocratiquement, nous mettons en place un système visant à assurer la stabilité de manière démocratique et je veux croire que les Polynésiens peuvent avoir un comportement responsable.
Le texte prévoit l’adoption d’une motion de défiance à la majorité absolue et institue trois verrous : la prime au vainqueur, la signature du tiers des représentants et la limitation à une motion par an par représentant. De grâce, n’y ajoutons pas le verrou des trois cinquièmes.
Si, demain, la Polynésie connaît l’instabilité, ce sera non pas en raison de l’adoption d’une motion de défiance, mais parce que des élections nouvelles, qui interviendront le moment venu – le but du Gouvernement n’est pas, je pense, de commencer par déstabiliser le Gouvernement en place –produiront leur effet.
Mes chers collègues, je vous invite à en rester à la logique de la position de la commission des lois – une motion par an par représentant, signature d’un tiers des représentants, adoption à la majorité absolue – et de ne pas prévoir de conditions supplémentaires. Sinon, nous adoptons une procédure dont nous savons qu’elle est fictive et inapplicable. Si nous poussions le raisonnement jusqu’au bout en prévoyant que la motion de défiance devait être adoptée par 100 % des représentants, on comprendrait immédiatement le ridicule de cette proposition !
Je souhaite, même si je sais que cela ne soulèvera pas l’enthousiasme de Mme la ministre, que l’amendement présenté par le Gouvernement soit rejeté, par cohérence avec les votes précédents de la Haute Assemblée et de sa commission des lois.
Le vote de cet amendement ne remettra pas en cause l’adoption du projet de loi organique, mais avouez qu’il serait dommage, madame la ministre, de passer à côté d’un vote à l’unanimité pour cette raison !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Je pense qu’il ne faut pas comparer les territoires. Le débat que nous avons mené sur la Martinique et sur la Guyane n’a rien à voir avec celui qui nous occupe aujourd'hui concernant la Polynésie française. Si nous examinons ce projet de réforme, c’est parce qu’il y a une histoire et une situation politiques particulières en Polynésie française.
Il est vrai qu’on pourrait considérer que, avec une prime majoritaire aussi importante, la majorité absolue est suffisante pour l’adoption de la motion de défiance. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis : nous ne sommes pas à l’abri, à n’importe quel moment, d’un renversement de gouvernement. Aujourd'hui, la majorité a un ou deux sièges d’avance et ce ne sont pas des élections qui permettront de régler cette situation.
M. Flosse a évoqué un parti qui ne disposait plus que de neuf sièges à l’assemblée. Je rappelle que, au départ, cette formation disposait de la majorité absolue, avec vingt-sept sièges. Si elle avait bénéficié d’une prime majoritaire forte, elle aurait pu mettre en œuvre un programme. La motion de défiance ne doit intervenir que lorsque la majorité remet en cause l’action du président de la Polynésie, avec une partie de l’opposition. Dans un tel cas, en effet, il y a dysfonctionnement.
Quand on voit que le camp autonomiste avait plus de la majorité des sièges et que des alliances ont été nouées avec les indépendantistes, on peut se poser un certain nombre de questions. Ce type de situation n’existe pas dans d’autres territoires.
Nous sommes bien obligés de tenir compte du fait que, en termes démocratiques, les rapports entre les élus et la population sont complètement différents de ceux que nous connaissons. C’est regrettable, mais c’est un fait politique.
Ma préoccupation première est de garantir la stabilité, quelles que soient les majorités – je dis bien : quelles que soient les majorités. Nous aurons tout à l’heure l’occasion d’en débattre : la réforme que nous proposons ne vise pas à organiser des élections prochainement.
Les Polynésiens en ont assez de vivre dans un habitat insalubre. J’ai visité des régions en Polynésie où les logements sont très éloignés, mesdames, messieurs les sénateurs, des beaux hôtels de Bora Bora. Elles connaissent des problèmes de santé, d’éducation, d’habitat. Quel que soit le Gouvernement en place, il est nécessaire que les élus polynésiens puissent mettre en œuvre un programme destiné à lutter contre ces problèmes, sinon nous créerons les conditions de tensions sociales. Ce serait alors la rue qui parlerait. Je pense que la Polynésie mérite mieux.
Nous avons presque tout essayé pour garantir la stabilité de la Polynésie. De grâce, essayons la motion de défiance telle que la propose le Gouvernement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 42.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 13 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 37 est présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 13.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Voir dans l’imperfection des règles électorales et politiques la seule raison des difficultés affectant la gestion des affaires polynésiennes nous a toujours semblé, au regard de la situation des territoires, quelque peu réducteur.
L’instabilité politique peut aussi être due à un positionnement des forces en présence. Qu’on le veuille ou non, elle a d’abord à voir avec la situation économique et sociale, que vous avez d’ailleurs évoquée, madame la ministre, tant les problèmes en la matière sont prégnants sur ce territoire.
Nous ne sommes pas certains que les Polynésiens souffrent du fait d’un excès de prérogatives dévolues à leurs élus et de leur mauvais usage. Ils pâtissent d’abord, et avant tout, de politiques qui ne peuvent, sur la durée, répondre à leurs besoins et à leurs aspirations.
Faut-il dès lors, comme le propose l’article 10 du présent projet de loi organique, réduire les prérogatives des élus en limitant la possibilité qui leur est offerte de déposer au cours de l’année civile une motion de défiance ?
On pourrait effectivement en arriver à une étrange situation : un gouvernement victime de la défiance de la majorité de l’assemblée serait, malgré tout, maintenu en fonctions.
Nous n’avons pourtant pas dans notre droit constitutionnel de telles limitations. En vertu de l’article 49 de la Constitution, en effet, un dixième des membres de l’Assemblée nationale peuvent engager la discussion d’une motion de censure, et cela à trois reprises par session.
Il n’y a donc aucune raison de concevoir l’avenir de la Polynésie en immobilisant ses forces vives et en restreignant les prérogatives que son assemblée serait à même d’exercer.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour présenter l'amendement n° 37.
M. Richard Tuheiava. L’amendement n° 42 du Gouvernement pouvait se discuter ; il l’a d’ailleurs été très longuement. On pouvait même – pourquoi pas ? – l’ériger comme l’une des conditions de réussite de la réforme relative à la stabilité des institutions polynésienne. La démocratie a parlé : nous avons voté.
Cependant, l’adoption des amendements nos 13 et 37 permettrait de relativiser un peu les choses.
Je veux bien que l’on rende compliqué l’exercice d’une motion de défiance – je ne suis pas particulièrement fanatique de ce genre de procédures –,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous y voilà !
M. Richard Tuheiava. … mais de là à complètement brider l’exercice de ce droit ! On porte ici atteinte à d’autres principes.
Je n’ai pas voulu allonger les débats sur l’amendement n° 42, mais je ne suis pas convaincu – et ce n’est pas du mauvais esprit de ma part, madame la ministre, mes chers collègues, je veux vous rassurer à cet égard – que se situe le cœur du problème là. Si tel était le cas, en effet, il était inutile que je consacre un discours de seize minutes à un autre sujet lors de la discussion générale !
L’amendement que nous présentons vise tout simplement à supprimer un alinéa. Nous estimons qu’autoriser une seule motion de défiance par an, quand on connaît les conditions dans lesquelles ce texte devra être déposé, est superfétatoire. C’est presque un mauvais signal adressé à ceux qui, dans l’assemblée de la Polynésie française, ne sont pas encore convaincus qu’il s’agit d’un outil idéal.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Le vote qui vient d’avoir lieu a montré que l’on voulait restreindre, plus encore peut-être que la commission des lois ne l’avait souhaité, l’utilisation de la motion de défiance.
Franchement, si chaque membre de l’assemblée peut signer une motion de défiance par an, ces textes pourront être nombreux. Autoriser les élus à en signer deux, c’est – pardonnez-moi l’expression – de l’incitation à la débauche ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Christian Cointat, rapporteur. Ce serait inciter les représentants à aller au-delà du raisonnable.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Il est certain que j’envisageais initialement d’émettre un avis défavorable.
Cela étant, dès lors que l’amendement n° 42, dont les dispositions sont très strictes, a été adopté, nous en sommes revenus au texte initial proposé par le Gouvernement.
Je m’en remets donc à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 37.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Article 11
Le I de l’article 156-1 de la même loi organique est ainsi modifié :
1° Dans la première phrase du premier alinéa, les mots : « au 31 mars » sont remplacés par les mots : « par un vote intervenu au plus tard le 30 mars » et après les mots : « de la discussion » sont insérés les mots « du projet initial » ;
2° Au début de la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « Ce projet », sont remplacés par les mots : « Le nouveau projet » ;
3° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’assemblée de la Polynésie française se prononce par un seul vote sur les projets transmis par le président de la Polynésie française, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. » ;
4° À la deuxième phrase du deuxième alinéa, les mots : « le quart » sont remplacés par les mots : « le tiers » et le mot : « absolue » est remplacé par les mots : « des trois cinquièmes » ;
5° Les neuvième et dixième alinéas sont supprimés.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 14 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 38 est présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 4 et 5
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
3° À la première phrase du deuxième alinéa, après les mots : « pas adopté », sont insérés les mots : «, conformément à la procédure délibérante définie à l’article 144, ».
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 14.
Mme Éliane Assassi. Si vous le voulez bien, madame la présidente, je présenterai en même temps les amendements nos 14 et 15.
Mme la présidente. Je vous en prie, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Les choix budgétaires et la discussion qui les précède constituent tout de même, nous le savons, l’expression la plus évidente de la volonté politique d’une assemblée élue, quelle qu’elle soit.
Là résident en effet l’expression des orientations politiques de fond, la qualité de la réponse que l’on apporte aux attentes de la population, le mode de gestion et de suivi des choix opérés.
Là se trouvent traduits, de fait, l’orientation politique et le choix majoritaire des élus.
L’usage des ressources publiques, sous le contrôle de l’assemblée, représentative de la population, caractérise un gouvernement et permet de jauger et de juger son action.
L’importance des choix budgétaires est évidemment reconnue et ces derniers me semblent devoir se fonder sur deux idées simples.
Premièrement, rien ne doit être entrepris sans que soit d’abord menée une approche critique de ce qui a déjà été fait, ou non d’ailleurs.
Deuxièmement, rien ne doit empêcher les élus d’apporter leur contribution, parfois originale, à la définition de la règle commune.
Dans le cas de l’article 11 du présent projet de loi organique, nous sommes confrontés à une étrange contradiction.
Contrairement à ce qui se passe pour les autres thèmes de travail législatif, l’assemblée devra mettre en œuvre une procédure de majorité qualifiée pour pouvoir proposer une autre orientation budgétaire que celle qui a été préconisée, dans un premier temps, par le président de la Polynésie.
Premier verrou : on relève le seuil à partir duquel l’assemblée examine une motion de renvoi budgétaire.
Notons tout de suite que porter la majorité qualifiée au tiers des membres nécessite l’accord de dix-neuf représentants, qui ne pourra être réuni dans une assemblée élue au premier tour dans le cadre d’élections futures, sauf en cas de divisions dans le camp majoritaire.
Surtout, on fait passer aux trois cinquièmes de l’assemblée le nombre des voix nécessaires pour que cette motion soit adoptée.
Résumons-nous. Si une liste remporte les élections territoriales avec un peu plus du tiers des votes, elle dispose d’une prime de dix-neuf élus, plus treize représentants au moins au partage – peut être quatorze, d’ailleurs –, soit trente-deux sièges – ou trente-trois – sur cinquante-sept. Or la motion de renvoi peut être présentée par dix-neuf des vingt-quatre ou vingt-cinq élus d’opposition mais, pour être adoptée, elle devra réunir ces élus plus neuf à dix membres de la majorité gouvernementale au moins.
Ainsi un budget pourra-t-il être rejeté par l’assemblée territoriale sans qu’il soit possible de proposer une solution de rechange tout à fait satisfaisante.
Cet article 11 peut donc créer une situation d’instabilité, fondée sur la contrainte que nous avons dénoncée lors de l’examen des articles précédents.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour présenter l'amendement n° 38.
M. Richard Tuheiava. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 14 et 38 ainsi que sur l’amendement n° 15 ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Les amendements identiques nos 14 et 38 visent en réalité à s’opposer au vote bloqué du budget en deuxième lecture.
Je le rappelle pour que tout le monde comprenne bien : lorsqu’un débat budgétaire, qui a mobilisé l’assemblée et tous ses membres, aboutit au rejet du budget proposé, le président de la Polynésie et son gouvernement doivent présenter un nouveau projet, en tenant compte – ou non, d’ailleurs – des amendements votés en première lecture.
À ce stade, la discussion ne va pas recommencer complètement, car cela ne se justifie plus : le budget a été rejeté, chacun doit prendre ses responsabilités. C’est là qu’intervient le vote bloqué. Si, avec cette dernière procédure, le budget est une nouvelle fois rejeté, nous passons à la troisième étape de la gradation qui est prévue : le président peut demander une motion de renvoi budgétaire, qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des trois cinquièmes.
La commission des lois avait retenu le principe qui existe en Nouvelle-Calédonie, où la motion de défiance budgétaire est votée à la majorité absolue des membres composant l’assemblée alors que la motion de renvoi budgétaire l’est à celle des trois cinquièmes. Ce n’est en effet pas la même chose, car il faut, dans l’intérêt de la collectivité, que cette dernière dispose d’un budget pour pouvoir fonctionner, même s’il est exécuté par le haut-commissaire de la République.
M. Bernard Frimat. Mais nous ne sommes plus dans ce cadre !
M. Christian Cointat, rapporteur. Certes, monsieur Frimat, mais nous nous trouvons toujours dans le cadre de la majorité des trois cinquièmes pour la motion de renvoi budgétaire.
Voilà pourquoi il est essentiel que soit mise en place la gradation que j’ai évoquée. Est tout d’abord organisé un débat normal, selon l’article 144 de la loi organique du 27 février 2004, pour l’adoption du budget. Si ce denier est rejeté, un nouveau projet est présenté et le vote bloqué s’applique ; en effet, il faut tout de même que le président du gouvernement de la Polynésie puisse tenter de faire passer son texte, sinon il devra gérer un budget qui n’est pas le sien, ce qui n’est pas possible ! La troisième étape est encore plus forte : il s’agit de la motion de renvoi budgétaire.
La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 14 et 38.
J’ai déjà commencé à donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 15. La majorité des trois cinquièmes s’impose, car la collectivité doit avoir un budget pour fonctionner. En outre, le Sénat ayant voté en faveur des trois cinquièmes pour la motion de défiance, cette règle s’impose d’autant plus pour la motion de renvoi budgétaire.
L’avis de la commission sur l’amendement n° 15 est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. M. le rapporteur a déjà donné les raisons pour lesquelles le Gouvernement émettra un avis défavorable sur tous ces amendements.
Madame Assassi, vous avez évoqué tout à l’heure un projet alternatif pour la Polynésie. À mon sens, ce dernier consiste à donner aux institutions du territoire les moyens de fonctionner avec une majorité et un programme décliné pendant cinq ans. Si la politique menée ne convient pas aux Polynésiens, il leur appartiendra, lors des scrutins suivants, d’en tirer les conclusions.
Aujourd’hui, avec les motions de défiance et ces changements continuels de majorité, plus personne n’est responsable. Les Polynésiens n’ont plus aucun responsable en face d’eux !
Les institutions de Polynésie doivent retrouver un fonctionnement normal. C’est ainsi que nous permettrons à ce territoire d’avancer sur le plan politique.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14 et 38.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 15, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après les mots :
le tiers »
supprimer la fin de cet alinéa.
Cet amendement a déjà été défendu.
Je rappelle qu’il a reçu un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je le mets aux voix.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
Article 12
Le 1° de l’article 157-2 de la même loi organique est ainsi rédigé :
« 1° À l’attribution d’une aide financière supérieure à un seuil défini par l’assemblée sur proposition de sa commission de contrôle budgétaire et financier ou d’une garantie d’emprunt à une personne morale. Le gouvernement fait annuellement rapport à l’assemblée sur le montant, l’objet et l’utilisation des aides financières situées en deçà de ce seuil ; ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 12
Mme la présidente. L'amendement n° 16, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l’article 12, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la fin de la première phrase de l’article 15 de la même loi organique, les mots : « dont cette dernière est membre ou tout organisme international du Pacifique » sont supprimés.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Comme je l’avais indiqué lors de l’examen du projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique, je trouve réducteur de ne pas permettre à une collectivité d’outre-mer de faire entendre sa voix dans le concert international. En l’occurrence, la Polynésie française doit, me semble-t-il, être représentée tant dans sa zone d’influence géographique, le Pacifique, qu’auprès d’autres instances internationales.
En effet, les autorités européennes examinent parfois ces archipels lointains avec une attention toute particulière… Il est donc indispensable que la Polynésie puisse défendre ses points de vue.
En outre, la stabilité politique et institutionnelle passe également par un effort de reconnaissance internationale, ce qu’une telle réécriture de l’article 15 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française peut faciliter.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Comme vous le savez, les collectivités d’outre-mer visées aux articles 73 et 74 de la Constitution peuvent mener des politiques de coopération régionale.
Néanmoins, la coopération régionale, comme son nom l’indique, s’effectue dans un cadre régional ! C’est seulement avec les pays situés dans la même zone que les collectivités d’outre-mer peuvent entretenir des relations.
Or les auteurs de cet amendement souhaitent que la Polynésie puisse disposer d’une représentation auprès de n’importe quel pays dans le monde. Dans ce cas, il faudrait parler non plus de « Polynésie française », mais d’une Polynésie indépendante ! Voilà qui nous éloignerait quelque peu des principes de la République.
Pour ma part, je suis trop attaché à la Polynésie pour souhaiter que la République s’en sépare, même si c’est aux Polynésiens d’en décider.
Quoi qu’il en soit, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 16.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 13 (nouveau)
Après l’article 170-1 de la même loi organique, il est inséré un article 170-2 ainsi rédigé :
« Art. 170-2. – L’État et la Polynésie française peuvent décider d’exercer leurs compétences respectives au sein d’un même service. Les modalités de mise en œuvre de cette décision font l’objet d’une convention passée entre le haut-commissaire et le président de la Polynésie française. » – (Adopté.)
Article 14 (nouveau)
À la fin du 1° du B du II de l’article 171 de la même loi organique, les mots : « par délégation de l’assemblée » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 15 (nouveau)
Au début du premier alinéa de l’article 180 de la même loi organique, sont insérés les mots : « Sans préjudice de l’article 180-1, ». – (Adopté.)
Article 16 (nouveau)
Après l’article 180 de la même loi organique, il est inséré un article 180-1 ainsi rédigé :
« Art. 180-1. – Par dérogation au premier alinéa des I et II de l’article 176 et au premier alinéa des articles 178 et 180, les actes prévus à l’article 140 dénommés “lois du pays”, relatifs aux contributions directes et taxes assimilées, sont publiés au Journal officiel de la Polynésie française et promulgués par le président de la Polynésie française au plus tard le lendemain de leur adoption et peuvent, à compter de la publication de leur acte de promulgation, faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État au titre du contrôle juridictionnel spécifique des actes dénommés “lois du pays” prévu par la présente loi organique.
« S’il est saisi à ce titre, par dérogation aux deuxième et troisième alinéas de l’article 177, le Conseil d’État annule toute disposition contraire à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux ou aux principes généraux du droit. »
Mme la présidente. L'amendement n° 39, présenté par MM. Tuheiava, Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise et Gillot, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le chapitre 2 du titre VI de la même loi organique est ainsi modifié :
1° L’article 176 est précédé d’une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigés :
« Section 1
« Dispositions générales »
2° Après l’article 180 est insérée une division ainsi rédigée :
« Section 2
« Dispositions particulières applicables aux “lois du pays” relatives aux impôts et taxes
« Art. 180-1. - Les actes dénommés “lois du pays” relatifs aux impôts et taxes peuvent faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État à compter de la publication de leur acte de promulgation.
« Art. 180-2. - Le Président de la Polynésie française dispose d’un délai de dix jours pour assurer la promulgation et la publication des actes dénommés “lois du pays” relatifs aux impôts et taxes adoptés par l’assemblée à compter de la transmission qui lui en a été faite en application du premier alinéa de l’article 143. Il transmet l’acte de promulgation au haut-commissaire.
« Art. 180-3. – I. – À compter de la publication de l’acte de promulgation d’un acte dénommé “loi du pays” relatif aux impôts et taxes, le haut commissaire, le président de la Polynésie française, le président de l’assemblée de la Polynésie française, six représentants à l’assemblée de la Polynésie française peuvent déférer cet acte au Conseil d’État.
« Ils disposent à cet effet d’un délai de quinze jours. Lorsqu’un acte dénommé “loi du pays” relatif aux impôts et taxes est déféré au Conseil d’État à l’initiative des représentants à l’assemblée de la Polynésie française, le Conseil est saisi par une ou plusieurs lettres comportant au total les signatures de six membres au moins de l’assemblée de la Polynésie française.
« Chaque saisine contient un exposé des moyens de droit et de fait qui la motivent ; le Conseil d’État en informe immédiatement les autres autorités titulaires du droit de saisine ; celles-ci peuvent présenter des observations dans un délai de dix jours.
« II. – À compter de la publication de l’acte de promulgation, les personnes physiques ou morales justifiant d’un intérêt à agir disposent d’un délai d’un mois pour déférer cet acte au Conseil d’État.
« Dès sa saisine, le greffe du Conseil d’État en informe le président de la Polynésie française.
« Art. 180-4. - Le Conseil d’État se prononce dans les trois mois de sa saisine. Sa décision est publiée au Journal officiel de la République française et au Journal officiel de la Polynésie française.
« Le Conseil d’État annule tout ou partie d’un acte dénommé “loi du pays” relatif aux impôts et taxes contenant des dispositions contraires à la Constitution, aux lois organiques, aux engagements internationaux, ou aux principes généraux du droit.
« Art. 180-5. - Les dispositions de l’article 179 et du deuxième alinéa de l’article 180 sont applicables aux actes dénommés “lois du pays” relatifs aux impôts et taxes. »
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Cet amendement « de clarification » est, j’en conviens, beaucoup plus long que l’article qu’il vise à modifier. (Sourires.) Toutefois, cela se justifie pour des raisons rédactionnelles.
Afin de bien prendre en compte le régime contentieux particulier applicable aux lois du pays relatives aux impôts et taxes en Polynésie française, qui autorise les recours a posteriori, il est proposé de créer deux sections au sein du chapitre II, consacré au contrôle juridictionnel spécifique, en identifiant, d’une part, les dispositions générales applicables à toutes les lois du pays, et, d’autre part, les dispositions particulières applicables aux lois du pays relatives aux impôts et taxes.
En effet, il nous est apparu nécessaire de scinder le dispositif en plusieurs articles, afin de le rendre plus lisible.
Certes, notre amendement n’avait pas été retenu lors de l’examen du projet de loi organique par la commission des lois ; j’admets qu’il peut faire débat compte tenu de sa longueur. Mais il nous a été directement inspiré par les acteurs concernés par le régime contentieux en question : les membres du gouvernement de la Polynésie française !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. À mon sens, cet amendement, qui a pour objet de clarifier le texte, aurait plutôt pour effet de le compliquer et de créer de la confusion.
Je perçois bien l’intérêt du dispositif qui nous est proposé, mais il ne concerne que les personnes véritablement férues de ce type de textes.
Je préfère donc solliciter le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Tuheiava, l'amendement n° 39 est-il maintenu ?
M. Richard Tuheiava. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 16.
(L'article 16 est adopté.)
Article additionnel après l’article 16
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par M. Flosse, est ainsi libellé :
Après l’article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Par dérogation aux dispositions de l’article 104 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, le premier tour des élections pour le renouvellement intégral de l’assemblée de la Polynésie française sera organisé dans un délai de deux à quatre mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi.
Le mandat des représentants à l’assemblée de la Polynésie française en fonction à la date de publication de la présente loi organique prend fin à compter de la réunion de plein droit de l’assemblée élue en application du premier alinéa du présent article, qui se tiendra dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 118 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 précitée.
La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Depuis le début de nos débats, on nous exhorte à adopter le présent projet de loi organique, qui assurerait, nous dit-on, la « stabilité ». Moyennant quoi, on émet des avis défavorables sur tous nos amendements, qui seraient porteurs d’« instabilité ».
Toutefois, la Polynésie est déjà dans une situation d’extrême instabilité ! Tout va mal ! Et vous voudriez que nous n’y apportions aucun remède ? C’est absurde !
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons renouveler l’assemblée de Polynésie. En attendant que la loi organique soit promulguée et devienne exécutoire, ce qui nous renvoie sans doute à la fin de l’année, abrégeons le mandat de l’assemblée actuelle ! N’attendons pas encore deux ans, sinon le pays continuera de s’enfoncer dans la crise, comme c’est le cas aujourd'hui.
Alors que tout va mal en Polynésie, on ne veut surtout rien changer. J’ai un peu de mal à comprendre…
C’est pourquoi je vous demande d’adopter cet amendement, mes chers collègues.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Mon cher collègue, puisque vous m’avez fait l’honneur de me citer dans l’objet de votre amendement, ce dont je vous remercie, je ne puis que répéter ce que j’ai déjà indiqué.
Effectivement, la Polynésie va mal ; nous l’avons d’ailleurs reconnu. Elle a besoin de stabilité pour reprendre confiance et aller de l’avant.
Le projet de loi organique dont nous sommes aujourd'hui saisis vise justement à améliorer les moyens de fonctionnement de la Polynésie. Nous pouvons espérons qu’il amène la stabilité.
Faut-il pour autant prévoir des élections anticipées ? Je crois sincèrement que cela dénaturerait l’objet de nos travaux. On nous accuserait de légiférer pour des raisons électorales, ce qui serait, me semble-t-il, extrêmement dommageable. Si nous voulons instaurer la confiance, offrons le nouveau dispositif aux Polynésiens. À eux ensuite de décider s’ils souhaitent, ou non, de nouvelles élections.
Comme vous le savez, l’article 157 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française permet au gouvernement de Polynésie de demander de nouvelles élections.
Quand on est dans l’opposition, on réclame des élections anticipées et, quand on est aux affaires, on se déclare apte à gouverner et on ne veut surtout pas de nouvelles élections ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault. Quand on est au pouvoir, tout va bien !
M. Christian Cointat, rapporteur. Je souhaite que, une fois le texte adopté par le Parlement, validé par le Conseil constitutionnel et promulgué par le Président de la République, les Polynésiens puissent décider s’ils veulent, ou non, des élections anticipées.
Cependant, en adoptant la mesure que M. Flosse propose, nous dénaturerions la mission du projet de loi organique, et nous l’affaiblirions.
Certes, si le Gouvernement souhaite de nouvelles élections, il peut toujours l’indiquer. Mais, justement, il n’a déposé aucun amendement en ce sens.
De même, si l’ensemble des forces politiques de la Polynésie française s’étaient accordées sur une demande de dissolution de l’assemblée, elles auraient pu déposer un amendement commun. Dans cette hypothèse, nous aurions pu le soutenir. Toutefois, tel n’est pas le cas. Certaines forces politiques y sont favorables, d’autres non.
La commission des lois estime qu’il ne lui appartient pas de formuler une telle demande. Cette responsabilité revient soit au gouvernement de la Polynésie française, soit au gouvernement de la République.
Par conséquent, elle s’en remet à l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Comme M. le rapporteur l’a très clairement expliqué, le Gouvernement a présenté ce projet de loi organique non pas pour organiser de nouvelles élections, mais pour garantir le bon fonctionnement des institutions de la Polynésie française lors du prochain renouvellement !
Une fois que le texte aura été adopté par le Parlement et publié, l’ensemble de ses dispositions, notamment la motion de défiance, s’appliqueront. Pour l’instant, il y a un gouvernement, et je crois que la priorité est aujourd'hui de permettre aux élus de travailler pour la Polynésie. Il faut mettre en place le plan de redressement proposé au Gouvernement sur la base du rapport d’une mission réclamée par les élus eux-mêmes, afin que la Polynésie retrouve les moyens de construire son avenir.
En effet, vous le savez, monsieur le sénateur, la situation économique est catastrophique. La note de la Polynésie chez les agences financières a chuté, passant de AA+ à BB–. Aujourd'hui, plus personne ne veut prêter à la Polynésie. C’est grâce à l’aide de l’État, aux dotations et aux transferts publics que celle-ci aujourd'hui fait face. Ce n’est pas acceptable. Il faut lui permettre d’avoir des recettes supplémentaires par la fiscalité, et de relancer son activité touristique. Il faut une équipe qui soit au travail.
À mon sens, les Polynésiens attendent un texte non pas pour provoquer des élections, mais pour garantir la stabilité !
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour explication de vote.
M. Richard Tuheiava. L’amendement n° 5 est le seul amendement de M. Flosse que je ne voterai pas aujourd'hui.
Bien entendu, comme M. Flosse et moi-même n’appartenons pas à la même famille politique, certains pourraient être tentés d’expliquer ma position par ma proximité avec l’actuel président de la Polynésie française.
Toutefois, je vous rappelle que je ne siège pas au sein de l’assemblée de la Polynésie française. Ma parole est donc peut-être plus libre et plus objective.
Je suis d'accord avec la commission : il ne faut pas instrumentaliser le débat parlementaire sur le présent projet de loi organique pour régler un conflit politique interne. J’avais défendu cette position en commission, et j’y souscris toujours. Au demeurant, les conditions constitutionnelles nécessaires à la convocation de nouvelles élections ne sont pas réunies.
Pour autant, je ne suis pas entièrement satisfait. Certes, il y a le texte, mais il y a aussi les intentions. À cet égard, je souhaite interroger le Gouvernement.
Madame la ministre, nous ne faisons évidemment pas de la dissolution de l’assemblée de la Polynésie française le corollaire de ce texte. Mais les prochaines élections territoriales sont tout de même prévues pour 2013. Je voudrais donc savoir – je me fais ici l’écho du gouvernement et des membres de la majorité de l’assemblée de la Polynésie française – si le Gouvernement a l’intention, indépendamment d’ailleurs de l’adoption du projet de loi organique, de provoquer des élections anticipées avant l’échéance de 2013.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le sénateur, il y a un texte. Il y a un statut. Nous les appliquons. À ma connaissance, il n’y a pas de blocage des institutions. Il y a un gouvernement et une assemblée de la Polynésie française ; ils assument leurs responsabilités. Je n’ai rien de plus à ajouter.
La réforme que nous mettons en œuvre a pour objet non pas de favoriser des recompositions politiques, mais d’apporter de la stabilité, afin qu’une majorité puisse se mettre au travail. Je le répète, cela fait quatre ans que plus personne n’est responsable en Polynésie française ! Il faut bien que la population puisse à un moment donné trancher entre le projet d’un camp politique et celui d’un autre.
La démocratie doit fonctionner normalement en Polynésie. Tel est le sens du texte qui vous est proposé aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaston Flosse, pour explication de vote.
M. Gaston Flosse. Monsieur le rapporteur, je suis d’accord avec vous : il appartient aux Polynésiens de décider s’il faut, ou non, renouveler l’assemblée de la Polynésie française. Néanmoins, qu’il me soit permis de vous rappeler, lorsque vous soulignez que le gouvernement polynésien a la possibilité de demander la dissolution, que celui-ci représente seulement douze Polynésiens sur 260 000 ! Organisons une consultation populaire et vous verrez que 80 % des Polynésiens sont favorables au renouvellement de l’assemblée.
Mme la ministre considère que son texte apportera, d’un coup de baguette magique, la stabilité à la Polynésie française. Un autre ministre avant elle, en 2007, nous avait tenu exactement le même discours. Pourtant, nous savons tous dans quelle situation se trouve aujourd'hui le territoire. Pourquoi continuer de le laisser voguer ainsi jusqu’en 2013 ? Comme vous l’avez fait remarquer, madame la ministre, la notation de Standard & Poor’s est passée de A il y a quelques années, à BB- aujourd'hui. Je suis prêt à prendre le pari que, en 2013, la Polynésie sera notée D, soit le plus bas niveau possible !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oiseau de mauvais augure !
M. Gaston Flosse. Mme la ministre a dit qu’elle allait sauver la Polynésie. Que Dieu l’entende !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi organique, je donne la parole à M. Bernard Frimat, pour explication de vote. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
M. Bernard Frimat. Chers collègues de l’UMP, si la faim vous tenaille à ce point, vous pouvez quitter l’hémicycle, puisque le projet de loi sera mis aux voix par scrutin public. Un seul d’entre vous suffira pour déposer les bulletins dans l’urne ! (Sourires.)
Madame la ministre, nous n’avons pu consacrer que quelques heures à ce débat important. Nous avions d’ailleurs fait remarquer en conférence des présidents que l’ordre du jour de ce mardi était beaucoup trop chargé, contrairement à celui des journées précédentes. Il nous a donc fallu aller à l’essentiel.
Or, sur un sujet comme celui-ci, l’essentiel était de bâtir un système excluant une possible manipulation électorale. Les propositions du rapporteur, la décision fondamentale d’opter pour l’unicité de la circonscription de la Polynésie française ainsi que l’adoption de toute une série d’amendements présentés par notre collègue Richard Tuheiava, d’abord en commission, puis aujourd'hui en séance, font que nous voterons en faveur de ce texte. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme Jacqueline Gourault. Bravo !
M. Bernard Frimat. Nous reprendrons ultérieurement le débat sur la motion de défiance. Madame la ministre, la solution selon moi, si vous tenez vraiment à aller au bout de votre logique, serait de supprimer cette motion, comme nous l’avions déjà suggéré lors du débat sur la Martinique et la Guyane. N’est-elle pas, finalement, l’instrument de l’instabilité ? Ne nous complique-t-elle pas la vie ? Ne serait-il pas plus simple d’accepter la règle selon laquelle une équipe élue est en place pour cinq ou six ans, qui est en vigueur dans l’ensemble de nos collectivités ?
Nous reprendrons ce débat le moment venu. Dans l’immédiat, l’essentiel a été sauvegardé. Certes, nous pouvons toujours faire mieux, et il serait dramatique que nous n’ayons pas des perspectives d’optimisation du dispositif. Toutefois, nous prendrons acte des éléments positifs que contient ce texte en votant en sa faveur. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 220 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 337 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Statut général des fonctionnaires des communes de Polynésie française
Discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à actualiser l’ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs (proposition n° 370, texte de la commission n° 533, rapport n° 532).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, après son examen par l’Assemblée nationale le 23 mars 2011, nous allons examiner de nouveau cette proposition de loi, qui a pour objet d’actualiser l’ordonnance du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs.
Le texte qui nous revient en deuxième lecture est d’une grande qualité sur la forme et d’une véritable utilité sur le fond puisqu’un double objectif, auquel souscrit le Gouvernement, lui a été assigné.
D’une part, en proposant une solution juridiquement acceptable pour les agents qui ont été recrutés depuis 2005 en contrat à durée déterminée et qui se trouvent aujourd’hui dans une situation instable du fait d’une rédaction incomplète de l’ordonnance du 4 janvier 2005, ce texte satisfait un objectif social.
D’autre part, en modernisant la rédaction de l’ordonnance du 4 janvier 2005 afin de doter la Polynésie française d’un véritable statut de la fonction publique communale, ce texte répond à un objectif juridique d’« amélioration de la qualité de la norme », auquel je vous sais sensibles, mesdames, messieurs les sénateurs.
Tenant compte des apports rédactionnels apportés successivement par votre assemblée et par l’Assemblée nationale, le Gouvernement vous propose d’adopter le texte conforme. Permettez-moi cependant de revenir quelques instants sur le contexte dans lequel il s’inscrit.
Depuis la loi statutaire de 2004, l’État a lancé un processus de modernisation du régime communal en Polynésie française.
Dans un premier temps, le code général des collectivités territoriales a été étendu aux communes de Polynésie, les dotant d’outils juridiques adaptés pour exercer leurs nouvelles compétences.
Dans un second temps, la réforme de la fonction publique communale a été préparée.
Une ordonnance a été promulguée le 4 janvier 2005. Elle dote d’un statut général de fonctionnaires les 4 727 agents des quarante-huit communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs.
Les textes d’application de cette ordonnance, notamment un décret en Conseil d’État et deux décrets simples, sont quasiment prêts. Une réunion interministérielle de relecture est prévue le 7 juin prochain. Leur publication est donc imminente.
Je tiens à souligner que l’ensemble de ces textes ont donné lieu à une importante concertation entre le haut-commissaire de la République, les maires représentés par le syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française et les organisations syndicales, ce qui garantit une véritable adhésion à l’ensemble du dispositif mis en place par l’État.
Toutefois, il faut reconnaître que le processus d’élaboration a pris plus de temps que prévu, notamment en raison des nombreux changements de gouvernement intervenus pendant cette période, qui ont freiné les négociations locales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, force est de constater que la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui tend à mettre en conformité le statut des agents de la fonction publique communale polynésienne avec l’état du droit dans les autres fonctions publiques.
Au-delà de cet alignement, on peut avancer que, en mettant en œuvre cette réforme, les collectivités de Polynésie seront amenées à repenser l’organisation de leurs services et pourront améliorer la qualité des services publics de proximité.
Les maires se donneront ainsi les moyens d’une gestion rationnelle et efficace des personnels. Le recrutement des agents sur concours ou diplôme, les formations obligatoires ou la mobilité, pour ne citer que ces exemples, participeront à l’amélioration des compétences professionnelles au sein des communes.
En outre, cette réforme aura une double incidence non négligeable.
La première est d’ordre financier. La gestion collective des agents opérée par le futur centre de gestion et de formation permettra de rationaliser les charges actuellement supportées par les communes. J’ai d’ailleurs décidé de soutenir dès cette année sa montée en puissance en lui accordant une aide exceptionnelle de 143 000 euros.
L’autre incidence non négligeable de cette réforme est d’ordre social.
Ce statut constitue en effet une avancée incontestable sur ce plan, puisqu’il garantit aux fonctionnaires des droits, comme la permanence de leur emploi, l’égalité de traitement ou le principe de carrière.
Par ailleurs, les agents qui occupent un emploi permanent sont « réputés titulaires d’un contrat à durée indéterminée de droit public » s’ils remplissent un certain nombre de conditions, notamment de durée de service, « à la date de publication de l’ordonnance ». Certains agents échappent cependant à ce dispositif, principalement ceux qui ont été recrutés sur un contrat à durée déterminée depuis la publication de l’ordonnance du 4 janvier 2005. Afin de ne pas les pénaliser, il a été décidé qu’ils pourront désormais bénéficier d’un contrat à durée indéterminée dès lors qu’ils seront en poste à la date de publication de la présente loi.
Je voudrais conclure mon propos en insistant sur l’engagement fort du Gouvernement qui consiste, depuis la loi organique du 27 février 2004, à donner aux communes de Polynésie les moyens juridiques d’exercer les compétences que cette loi leur confère.
À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous apporter un certain nombre de précisions. Je souhaite en particulier vous tenir informés de l’état d’avancement des projets de décrets portant application de l’ordonnance de 2005 créant le statut de la fonction publique communale de la Polynésie française, sur lequel vous n’auriez pas manqué de m’interroger.
Trois décrets sont actuellement en cours de finalisation. Nous avions, il est vrai, annoncé que ces textes paraîtraient en février. Toutefois, un premier décret fixant les règles communes applicables aux fonctionnaires des communes de Polynésie française a fait l’objet d’un long et minutieux examen par le Conseil d’État entre octobre 2010 et février 2011. Le texte du Conseil d’État a été transmis au Gouvernement et quelques améliorations rédactionnelles ont rendu nécessaire un travail complémentaire, qui devrait aboutir, très prochainement, à une validation interministérielle.
À l’occasion de la réunion prévue le 7 juin prochain, les deux projets de décrets simples, l’un portant statut des agents non titulaires et l’autre fixant, notamment, les modalités de fonctionnement des organismes consultatifs de la fonction publique communale, feront l’objet des derniers ajustements avant transmission pour avis au gouvernement de la Polynésie française.
Une publication de l’ensemble de ces textes interviendra vraisemblablement avant la fin du trimestre en cours.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous assurer de la volonté du Gouvernement de faire aboutir dans les meilleurs délais possibles les textes permettant à la fonction publique communale d’être pleinement effective.
En conclusion, en s’inscrivant dans cet effort de modernisation, cette proposition de loi ne peut que recueillir un avis favorable du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Richard Tuheiava applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, le Sénat est saisi, en deuxième lecture, de la proposition de loi déposée par notre collègue Richard Tuheiava et visant à actualiser les dispositions du statut des fonctionnaires des quarante-huit communes de Polynésie française.
Je vous rappelle que ce dispositif, institué par une ordonnance du 4 janvier 2005, reste inappliqué à ce jour faute des textes réglementaires nécessaires. J’y reviendrai, madame la ministre, malgré les premières assurances que vous avez tenté de nous donner voilà quelques instants.
Six articles seulement sur les dix-neuf adoptés par le Sénat ont été votés dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale. Néanmoins, celle-ci, à l’exception de cinq dispositions, a très largement souscrit à la logique retenue par la Haute Assemblée en première lecture, en n’apportant en conséquence que des modifications rédactionnelles.
En première lecture, sur la proposition de sa commission des lois, le Sénat s’est inscrit dans le prolongement de l’objectif visé par la proposition de loi : actualiser le statut de la fonction publique communale en tenant compte, d’une part, des évolutions du droit de la fonction publique, et, d’autre part, des spécificités des communes polynésiennes ; leur dispersion géographique dans l’immensité du Pacifique complexifie en effet la gestion des services publics.
Dans ce cadre, la Haute Assemblée a rapproché l’accès aux cadres d’emplois du droit commun de la fonction publique en préservant la compétence réglementaire du haut-commissaire de la République en matière de concours, en rétablissant la promotion au choix sous réserve d’une condition de valeur et d’expérience professionnelles, en autorisant le recrutement direct sur des emplois fonctionnels territoriaux déterminés et, enfin, en adaptant les conditions de recours à des contractuels.
Dans le même esprit, le Sénat a limité les disparités dans le déroulement de la carrière en simplifiant la procédure d’évaluation des fonctionnaires par l’institution d’une expérimentation de l’entretien annuel d’évaluation, en « normalisant » la fin d’un détachement, en révisant le principe de parité des régimes indemnitaires et, enfin, en fixant les conditions de mise en place d’un service minimum en cas de grève.
Par ailleurs, le Sénat a ajusté les dispositions transitoires.
Il a ainsi décidé le report de la prise en compte des personnels en poste ayant vocation à intégrer la fonction publique à la date de publication du décret d’application de l’ordonnance du 4 janvier 2005.
Il a par ailleurs harmonisé l’établissement des listes d’aptitude par la consultation d’une commission spéciale, placée auprès du centre de gestion et de formation.
Il a, en outre, clarifié le régime financier de l’intégration.
Enfin, adoptant un amendement présenté par notre collègue Richard Tuheiava en séance, la Haute Assemblée a élargi les cas de prolongation d’activité des fonctionnaires au-delà de la limite d’âge, afin d’aligner leur régime sur celui des agents de la Polynésie française.
L’Assemblée nationale a adhéré à la logique de la proposition de loi. Cependant, sur l’initiative de sa commission, elle l’a amendée sur plusieurs points.
Elle a procédé à un alignement du régime des agents non titulaires sur les conditions sociales et familiales ouvrant droit, pour les fonctionnaires des communes et groupements de communes de Polynésie française, à une prolongation d’activité au-delà de la limite d’âge. Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce report pourrait intervenir dans la limite de cinq ans, de plein droit pour bénéficier d’une retraite à taux plein, et d’une année par enfant à charge.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a étendu au président d’un groupement de communes la faculté de recruter des collaborateurs de cabinet dans les conditions fixées par un arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Pour l’intégration des agents en poste dans les futurs cadres d’emplois, le critère d’ancienneté sera apprécié à la date de promulgation de la présente proposition de loi, « afin de ne pas reporter davantage la mise en place de la fonction publique des communes de la Polynésie française ».
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté quatre articles additionnels.
Il s’agit, d’une part, des articles 3 bis, 3 ter et 17 de coordination, destinés à simplifier, sur l’initiative de son rapporteur, la rédaction des dispositions instituant respectivement le Conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie français et le centre de gestion et de formation ; il s’agit, d’autre part, de l’article 3 quater afin de créer une commission d’équivalence des diplômes compétente pour évaluer la condition de diplôme requise par chacun des concours d’accès à la fonction publique.
En outre, en séance plénière, l’Assemblée nationale, sur proposition de son rapporteur, a intégré dans l’assiette des cotisations sociales assises sur les rémunérations des fonctionnaires les indemnités perçues par ceux-ci. Elle a rétabli dans le régime des congés des fonctionnaires le congé lié aux charges parentales.
Avec l’auteur de la proposition de loi, la commission des lois a souhaité favoriser l’intégration dans les cadres d’emplois de la fonction publique communale des 4 547 agents actuellement en poste ; elle a ainsi voulu permettre aux communes de disposer d’administrations expérimentées et offrir à leurs employés des parcours professionnels valorisants. Ce faisant, elle répondait au vœu exprimé par les collectivités polynésiennes, qui ont renouvelé leur souhait d’une mise en place rapide de la fonction publique communale.
Saisie du texte voté par les députés, la commission des lois a constaté qu’il ne comportait aucune disposition contraire à l’esprit qui l’avait animée en première lecture ou incompatible avec le dispositif arrêté par le Sénat. Elle a adopté, en conséquence, la proposition de loi dans le texte transmis par l’Assemblée nationale.
À l’article 9, rappelons que, en première lecture, le Sénat, suivant sa commission, avait adopté la proposition de notre collègue Richard Tuheiava de supprimer le congé lié aux charges parentales « pour aligner le régime des congés des fonctionnaires communaux sur celui qui est en vigueur dans le secteur privé et pour les agents de la collectivité de Polynésie française ». Le ministère de l’outre-mer, interrogé sur ce point, avait confirmé l’inexistence sur le territoire de ce dispositif. Cependant, s’il n’est pas mis en œuvre, il figure dans le statut des agents de la Polynésie française. C’est pourquoi il est préférable d’harmoniser les statuts des fonctionnaires de la collectivité, d’une part, et des agents communaux, d’autre part.
Les députés ont justement complété l’article 10 pour soumettre l’assiette des cotisations sociales assises sur les rémunérations des fonctionnaires à la réglementation applicable localement : la caisse locale de prévoyance sociale ne distingue pas, en effet, le traitement des rémunérations accessoires et inclut dans l’assiette le revenu brut global.
L’alignement, proposé à l’article 11, des cas de prolongation d’activité au-delà de la limite d’âge des non-titulaires sur ceux qui bénéficient aux fonctionnaires unifiera, sur ce point, les règles applicables aux agents travaillant dans une même collectivité sous des statuts différents.
En étendant aux présidents de groupement de communes la faculté de recruter des collaborateurs de cabinet, l’article 12 résultant des travaux de l’Assemblée nationale uniformise ce dispositif sur la situation de la métropole et des départements d’outre-mer.
À l’article 13, compte tenu de la date de publication du décret d’application de l’ordonnance, qui interviendra dans le meilleur des cas au second semestre de 2011, la commission des lois vous propose d’en rester au texte adopté par l’Assemblée nationale pour tenir compte du souci des communes polynésiennes de régulariser au plus tôt la situation des agents recrutés depuis 2005.
Madame la ministre, la fonction publique communale doit rapidement être mise en place. Devenues en 2004 des collectivités territoriales de la République, les communes polynésiennes doivent pouvoir, sauf à nier le principe de libre administration, prendre en charge leurs compétences propres ; il leur faut donc disposer des moyens humains nécessaires au sein de services structurés. C’est pourquoi le Gouvernement doit accélérer la publication des mesures réglementaires requises par le statut.
Nous avons bien entendu, madame la ministre, les assurances que vous avez commencé à nous donner sur quelques points. C’est l’ensemble des mesures réglementaires qui doivent être prises pour permettre la constitution d’un véritable statut et assurer aux collectivités les moyens dont elles ont besoin.
Sous le bénéfice de l’ensemble de ces observations, la commission des lois propose au Sénat d’adopter la proposition qui nous est soumise. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Jacques Mézard, Richard Tuheiava et Bernard Frimat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il faut saluer en tout premier lieu l’initiative prise par M. Richard Tuheiava de déposer une proposition de loi qui, un peu plus de six ans après l'ordonnance du 4 janvier 2005 restée lettre morte faute de décrets d'application, vient actualiser les dispositions du statut des fonctionnaires des quarante-huit communes de Polynésie française et de leurs établissements publics.
Heureuse initiative, qui s'inscrit dans la volonté, rappelée voilà quelques instants à l'occasion de l'examen du projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, de forger un système où la stabilité combattrait l'instabilité permanente, cause de la fragilité de cette collectivité d'outre-mer.
L'ordonnance de 2005, ratifiée en 2007, avait eu le mérite de créer un statut général des fonctionnaires des communes et de leurs établissements publics administratifs, mettant un terme à un droit hétérogène combinant code du travail polynésien, convention collective ou statut communal. Elle aurait pu permettre que soient enfin clarifiées les conditions dans lesquelles près de 4 600 agents de la fonction publique communale exercent leur mission.
Peut-être faut-il remercier le Gouvernement d'avoir su, ou d’avoir dû, différer la prise des textes réglementaires pour parvenir au texte présenté aujourd'hui devant notre Haute Assemblée, fruit d'un travail de concertation, d'abord entre les organisations syndicales polynésiennes et les collectivités, puis devant la commission permanente de l'Assemblée de la Polynésie française, qui l’a approuvé le 13 janvier dernier, et enfin devant nos deux assemblées parlementaires.
J'ai souvenir d'un travail conduit il y a quelques années pour construire la fonction publique du territoire d’alors de la Polynésie française et je sais les trésors de concertation qui ont dû être déployés pour parvenir à une construction applicable.
L'objectif aujourd'hui est bien de conforter les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires communaux et de régler la situation des personnels en matière d'accès à l'emploi et de carrière en respectant deux principes contradictoires, du moins en apparence : se rapprocher autant que faire se peut du statut général de la fonction publique territoriale, d'une part, sans pour autant nier, d'autre part, les spécificités de ces communes.
Le Sénat a donné le ton, l'Assemblée nationale l’a accompagné et, dans une deuxième lecture, notre Haute Assemblée a accepté sans modification le texte ainsi amendé.
De ce texte, je ne reprendrai que quelques-unes des dispositions présentées par M. le rapporteur.
Concernant le recrutement, le texte assouplit les conditions de recrutement des agents non titulaires pour répondre plus efficacement aux besoins des communes isolées ou dont la situation géographique est un handicap ; il assouplit aussi le report de la limite d'âge dans des conditions analogues à celles qui existent pour les fonctionnaires pour des raisons sociales et familiales.
L’assouplissement vaut également pour les recrutements directs sur emplois fonctionnels ouverts non seulement à des fonctionnaires, mais aussi à des contractuels. La possibilité est donnée aux groupements de communes de recruter des collaborateurs de cabinet.
Autant de dispositions qui, concrètement, apportent des solutions à des problèmes récurrents.
Je veux aussi souligner le rapprochement avec les dispositifs mis en place dans les fonctions publiques pour faciliter les démarches de mobilité, favorables aux agents eux-mêmes comme aux administrations, qui s'enrichissent de la sorte de la diversité des talents et des compétences des agents. Ici, la mobilité n'est pas limitée à la seule fonction publique applicable aux communes de la Polynésie française, elle concerne les trois fonctions publiques : la fonction publique de l'État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.
S’agissant du déroulement des carrières, deux mesures significatives ont été adoptées.
Le texte simplifie la procédure d'évaluation des fonctionnaires en instituant une expérimentation de l'entretien annuel d'évaluation par le supérieur hiérarchique direct, qui est plus à même que l'autorité de nomination d'apprécier la valeur professionnelle du fonctionnaire.
Il instaure, par ailleurs, un régime indemnitaire fixé par référence à celui qui bénéficie aux fonctionnaires de la Polynésie française occupant des emplois comparables, une telle mesure devant, au-delà du principe d'équité, faciliter les mobilités.
En ce qui concerne les dispositions transitoires, le texte, avec sagesse, retient pour date de prise en compte des personnels en poste ayant vocation à intégrer la fonction publique non pas la date de publication des décrets d'application, mais la date de promulgation de la loi elle-même, et ce pour éviter de tendre la main à un nouveau report de ce dispositif.
Il crée, pour statuer sur les demandes d'intégration, une commission spéciale placée auprès du centre de gestion et de formation et présidée par un représentant des collectivités et de leurs établissements.
Je relèverai enfin que le rôle et les compétences du haut-commissaire de la République sont réaffirmés : il est le garant de la régularité des opérations en même temps que de l'autonomie des collectivités.
Au total, ce texte est l'opportunité pour les communes et groupements de communes de la Polynésie française de vivre pleinement leur nouvelle autonomie avec des moyens humains répondant à leurs nouvelles compétences.
C’est pourquoi tous les membres du groupe RDSE sont favorables à ce texte qui marque un véritable progrès. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l’UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le principe d’un statut des agents communaux « adapté à la situation particulière des communes du territoire, et notamment à leurs capacités budgétaires », avait été posé par le législateur, dès 1994, dans la loi d’orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française.
Comme nos collègues à l’Assemblée nationale, nous ne pouvons que déplorer que plus de quinze ans se soient écoulés entre l’affirmation de principes et la proposition visant à les mettre en œuvre concrètement.
Et comme M. le rapporteur, nous souhaitons que les mesures réglementaires requises par le statut soient rapidement publiées afin que les choses se concrétisent réellement.
Sur les dispositions de cette proposition de loi, je maintiendrai la position que j’avais adoptée en première lecture, c'est-à-dire une adhésion totale sur les points principaux et sur les objectifs du texte : elle permettra la création d’une fonction publique communale qui respecte les principes républicains, tout en ne perdant pas de vue les spécificités et besoins locaux.
C’est là une grande avancée vers l’application effective du principe de libre administration des communes auquel nous sommes attachés, symbole de garantie de l’indépendance des collectivités territoriales par rapport au pouvoir central.
Je rappellerai également mes réserves quant à la transposition du service minimum dans les communes polynésiennes ou encore en ce qui concerne le choix fait de l’introduction d’une expérimentation de l’entretien annuel d’évaluation pour apprécier le travail accompli par l’agent public. Ma remarque vaut également pour la fonction publique métropolitaine !
Cette proposition de loi constitue une première étape importante afin de donner aux communes les moyens en ressources humaines de leurs compétences, mais le processus doit être poursuivi.
Se fait attendre une nécessaire redéfinition de la répartition des ressources financières afin de permettre la transparence et l’efficacité de mise en œuvre du service public.
Se fait attendre aussi l’introduction urgente d’une justice fiscale, car, faute d’impôt sur le revenu et d’impôt sur le patrimoine taxant les plus fortunés, la collectivité est amenée à créer des impôts indirects, donc des impôts sur la consommation, qui, eux, touchent les revenus les plus faibles.
Nous souhaitons donc que l’on ne s’arrête pas en si bon chemin et que les prochaines réformes ne se fassent pas attendre aussi longtemps que celle-ci, afin que la Polynésie puisse enfin bénéficier des outils dont elle a tant besoin pour assurer son développement économique et social.
Aussi, nous voterons le texte proposé, ce qui est suffisamment rare pour être souligné ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, nous procédons à la deuxième lecture de la proposition de loi que j’ai déposée, le 4 octobre 2010, avec les membres du groupe socialiste et en concertation avec mon collègue député-maire de Papara, Bruno Sandras.
Permettez-moi de souligner d’emblée la qualité des travaux parlementaires réalisés depuis dans les deux chambres. À cet égard, je remercie notamment Jean-Pierre Vial, pour son travail précis et efficace.
En effet, nous avons pu consacrer à ce texte le temps nécessaire, au regard de l’importance des enjeux considérés et des principes de bon fonctionnement des institutions parlementaires. Sur ce dernier point, je me réjouis que le Parlement ait été à l’initiative de la démarche, qu’il se soit fait entendre du Gouvernement, dans un climat apaisé, et que les deux lectures aient permis l’amélioration du texte d’origine, avec des progrès techniques significatifs, dans un esprit de consensus exemplaire – je le constate encore ce soir (L’orateur se tourne vers les travées du groupe CRC-SPG.) –, sans pour autant que la richesse des débats en soit atténuée. Cette qualité des débats correspond, j’en suis convaincu, au rôle que doit tenir cette réforme, tant pour l’avenir des communes de la Polynésie française que pour la situation des agents communaux qui œuvreront à leur service.
Je ne reviendrai pas sur les raisons ayant présidé à la modernisation de l’ordonnance de 2005 qui porte création de la fonction publique communale en Polynésie française. Elles ont été suffisamment évoquées précédemment.
En revanche, mes chers collègues, je dois mettre un bémol à l’allégresse collective. En effet, contrairement au calendrier commun défini par le Gouvernement et les maires de la Polynésie française, le 1er janvier 2011 n’aura pas été le point de départ de l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2005.
Je note que, si les parlementaires ont su modifier et améliorer l’ordonnance en moins de huit mois, les décrets d’application, je le constate avec regret, n’ont, depuis 2008, soit depuis la première version des textes, toujours pas été publiés. Je dois préciser à cet égard que l’instabilité politique qui pourrait être avancée, peut-être trop hâtivement, comme raison de ce retard ne concerne que le Pays, les élus polynésiens municipaux n’étant pour rien dans cette affaire.
Mais revenons au cœur de l’ordre du jour. Je vous propose, pour ce faire, une analyse très rapide de la situation de la proposition de loi, telle qu’elle résulte de la navette parlementaire.
Vous avez constaté comme moi que nos travaux en séance le 27 janvier dernier ont été repris, pour l’essentiel, par nos collègues députés. Les amendements qu’ils ont votés, s’ils concernent surtout des améliorations de forme, apportent quelques évolutions. Après consultation des maires, je peux vous dire que celles-ci correspondent à leurs demandes.
Je veux insister sur deux nouveautés.
Il s’agit, en premier lieu, du maintien du congé lié aux charges parentales, ce droit existant dans le statut de la fonction publique du Pays. Il permet de reprendre une position statutaire de droit commun.
Il s’agit, en second lieu, de la création de la commission d’équivalence des diplômes, qui permettra de répondre à la mobilité à l’international des jeunes étudiants revenant en Polynésie munis de diplômes étrangers. Ces étudiants pourront désormais, après examen de leurs diplômes par cette commission et reconnaissance de leurs titres, se présenter aux concours d’accès à la fonction publique.
Si j’appuie plus particulièrement ces deux innovations, je soutiens bien sûr l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu des éléments évoqués précédemment.
C’est la raison pour laquelle je souhaite voir aboutir, à l’occasion de cette deuxième lecture, le processus parlementaire, grâce à votre soutien unanime, sans amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’a rappelé M. Richard Tuheiava, qui est à l’initiative de cette proposition de loi, l’ordonnance du 4 janvier 2005 a, pour la première fois, doté d’un statut général les agents des communes et groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs.
Cette ordonnance a défini les garanties fondamentales dont doivent bénéficier les fonctionnaires des communes et le cadre général de l’organisation de la fonction publique communale.
Jusqu’alors, aucun texte ne réglementait le statut du personnel des communes de Polynésie française. Il en résultait une diversité de régimes, non seulement entre les communes, mais également au sein d’une même commune.
Comme nous le savons, les communes doivent pouvoir mettre en œuvre les compétences qui leur sont conférées. La fonction publique communale permet d’y répondre, ce qui suppose une adaptation et une évolution permanente.
Elle participe à l’amélioration des compétences professionnelles des agents : les communes pourront disposer de personnel mieux qualifié et de cadres plus compétents et performants, qui participeront ainsi à améliorer le service aux usagers et le montage des projets.
La fonction publique permet également aux élus de restructurer leur administration : chaque commune devra réfléchir à organiser ses services en fonction des missions dévolues par les textes et de celles qu’elle-même et son conseil jugent prioritaires.
Elle repose sur la mise en place des organes communs consultatifs et paritaires : le Conseil supérieur de la fonction publique communale, chargé d’émettre des avis sur les projets de statuts particuliers, et le centre de gestion et de formation, organisme composé d’élus chargé de la gestion et de la formation des agents.
La fonction publique offre en outre des garanties aux agents pour l’exercice du droit syndical.
Enfin, elle assure une égalité de traitement aux agents, avec notamment l’affirmation du principe du concours et de la formation continue.
Des décrets d’application devaient compléter les dispositions de l’ordonnance. Toutefois, à l’heure actuelle, les textes réglementaires n’ont pas encore été publiés, et l’ordonnance n’a donc pu être mise en œuvre.
À l’occasion des différents travaux préparatoires à l’élaboration de ces textes réglementaires, des difficultés d’application sont apparues, liées au délai de mise en œuvre, à la rédaction de l’ordonnance, à son inadéquation vis-à-vis de la situation des agents déjà en poste dans les collectivités et établissements concernés, et à des décisions jurisprudentielles appliquant une partie de l’ordonnance.
Afin de garantir aux agents communaux de la Polynésie française un statut stable et homogène, nous devons agir et faciliter la création, en 2011, d’une fonction publique communale en Polynésie.
De plus, nous le savons, depuis 2005, les règles applicables à la fonction publique d’État ou à la fonction publique territoriale ont fortement évolué. Une actualisation de l’ordonnance du 4 janvier 2005 est donc primordiale.
La proposition de loi qui nous est soumise a un objectif précis : elle vise à actualiser le statut de la fonction publique communale en tenant compte, d’une part, des évolutions du droit de la fonction publique et, d’autre part, des spécificités des communes polynésiennes, marquées notamment par leur dispersion géographique, ce qui complexifie la gestion des services publics.
Dans ce cadre, notre assemblée a rapproché l’accès aux cadres d’emplois du droit commun de la fonction publique : en préservant la compétence réglementaire du haut-commissaire de la République en matière de concours, en rétablissant la promotion au choix sous réserve d’une condition de valeur et d’expérience professionnelles, en autorisant le recrutement direct sur des emplois fonctionnels territoriaux déterminés et en adaptant les conditions de recours à des contractuels.
Dans le même esprit, elle a limité les disparités dans le déroulement de la carrière. En effet, elle a simplifié la procédure d’évaluation des fonctionnaires par l’institution d’une expérimentation de l’entretien annuel d’évaluation. Elle a également « normalisé » la fin d’un détachement, révisé le principe de parité des régimes indemnitaires et fixé les conditions de mise en place d’un service minimum en cas de grève.
Je tiens, en cet instant, à remercier le rapporteur, Jean-Pierre Vial, pour la qualité de son travail. Je remercie également l’ensemble des membres de la commission des lois et, en particulier, son président, qui connaît parfaitement la situation de la Polynésie française.
Nos collègues de l’Assemblée nationale n’ont, sur le fond, que peu modifié le texte issu du Sénat en première lecture, et nous pouvons nous en féliciter. Le texte tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée ne comporte ainsi aucune disposition contraire à l’esprit qui nous avait animés ou incompatible avec le dispositif que nous avions défini. Les quelques éléments qui y ont été ajoutés nous semblant satisfaisants, nous adopterons ce texte conforme. Nous permettrons par là même aux communes polynésiennes de disposer – enfin ! – des administrations nécessaires à l’exercice de leurs compétences.
Il convient cependant d’apporter quelques précisions sur les modifications introduites par l’Assemblée nationale.
Elles consistent, notamment, en la création d’une commission d’équivalence des diplômes, qui concourra à la professionnalisation de la jeune fonction publique communale de la Polynésie française, en permettant d’évaluer la condition de diplôme requise pour chacun des concours.
Ensuite, si l’Assemblée nationale a maintenu une limite d’âge distincte pour les agents non titulaires et pour les fonctionnaires, elle a unifié les conditions sociales et familiales pouvant donner droit à une prolongation d’activité au-delà de cette limite, afin de ne pas créer de disparités inutiles et de simplifier la gestion des régimes.
En outre, le président d’un groupement de communes fera partie des responsables exécutifs pouvant recruter des collaborateurs de cabinet ; cette mention n’était pas prévue dans le texte initial.
Enfin, au sujet de l’intégration des agents en poste dans les nouveaux cadres d’emplois, a été fixée au jour de promulgation de la loi la date à laquelle seront appréciées les conditions nécessaires pour prétendre à bénéficier d’un contrat de droit public et, par la suite, à postuler pour être intégré dans les futurs cadres d’emplois. Cette modification permettra de ne pas reporter davantage la mise en place de la fonction publique des communes de la Polynésie française.
Mes chers collègues, nous légiférons aujourd’hui pour les agents communaux de Polynésie française. C’est pourquoi le groupe UMP, que j’ai l’honneur de représenter dans ce débat, soutient cette initiative importante pour nos compatriotes et pour les communes de cette collectivité, qui ont besoin de s’appuyer sur du personnel qui soit à la fois adapté à leurs spécificités et de haut niveau. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Richard Tuheiava et Bernard Frimat applaudissent également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
Sur les articles du texte élaboré par la commission, je ne suis saisie d’aucun amendement ni d’aucune demande de parole.
Article 1er
(Non modifié)
L’article 8 de l’ordonnance n° 2005–10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du I, les mots : « fonctionnaires indisponibles en raison d’un congé de maladie, d’un congé de maternité ou d’un congé parental, ou de l’accomplissement du service national » sont remplacés par les mots : « fonctionnaires autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d’un congé de maladie, d’un congé de maternité ou d’un congé parental, ou de l’accomplissement du service civil ou national » ;
2° Le second alinéa du même I est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette durée maximale de trois mois est portée à douze mois renouvelables une fois dans les communes isolées dont la liste est fixée par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française. » ;
3° Au 2° du II, après le mot : « lorsque », sont insérés les mots : « la nature des fonctions ou ».
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – Le premier alinéa de l’article 9 de la même ordonnance est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les emplois permanents peuvent être occupés par des fonctionnaires de l’État régis par la loi n° 84–16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, des fonctionnaires territoriaux régis par la loi n° 84–53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et des fonctionnaires hospitaliers régis par la loi n° 86–33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière placés en position de détachement ou mis à disposition conformément aux statuts dont ils relèvent.
« La durée maximale du détachement ou de mise à disposition de ces fonctionnaires est fixée à trois ans et est renouvelable une fois. »
II à IV. – (Non modifiés)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
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Article 3 bis
(Non modifié)
L’article 25 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est supprimé ;
2° Au début du deuxième alinéa, les mots : « Ce conseil supérieur » sont remplacés par les mots : « Le conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie française ». – (Adopté.)
Article 3 ter
(Non modifié)
Le premier alinéa du I de l’article 30 de la même ordonnance est ainsi rédigé :
« Le centre de gestion et de formation est un établissement public local à caractère administratif soumis à la tutelle de l’État, dont le personnel est régi par le présent statut général. » – (Adopté.)
Article 3 quater
(Non modifié)
Le deuxième alinéa de l’article 31 de la même ordonnance est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le centre de gestion et de formation assure le fonctionnement d’une commission d’équivalence des diplômes, dans les conditions fixées par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française. » – (Adopté.)
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Article 5
(Non modifié)
À la fin de l’article 35 de la même ordonnance, les mots : « L. 121-30, L. 121-31 et L. 122–29 du code des communes tel que rendu applicable à la Polynésie française par la loi du 29 décembre 1977 susvisée » sont remplacés par les mots : « L. 1872–1 et L. 2131–1 à L. 2131–3 du code général des collectivités territoriales applicables en Polynésie française ». – (Adopté.)
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Article 8
(Non modifié)
Après l’article 48 de la même ordonnance, il est inséré un article 48–1 ainsi rédigé :
« Art. 48–1. – Au titre des cinq années suivant la publication de chaque statut particulier, l’autorité de nomination peut se fonder, à titre expérimental et par dérogation à l’article 48, sur un entretien professionnel pour apprécier la valeur professionnelle du fonctionnaire.
« L’entretien est conduit par son supérieur hiérarchique direct et donne lieu à l’établissement d’un compte rendu.
« La commission administrative paritaire peut, à la demande de l’intéressé, en proposer la révision.
« Le haut-commissaire de la République en Polynésie française présente chaque année au Conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie française un bilan de cette expérimentation.
« Le gouvernement en présente le bilan au Parlement dans les six mois de son achèvement.
« Un arrêté du haut-commissaire fixe les modalités d’application du présent article. » – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
L’article 54 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Après le 8°, il est inséré un 9° ainsi rédigé :
« 9° Au congé pour validation des acquis de l’expérience. » ;
2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Un arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française fixe les règles relatives au congé pour validation des acquis de l’expérience ainsi qu’au congé lié aux charges parentales et celles concernant l’organisation et le fonctionnement des comités médicaux compétents en cas de maladie et de maternité. » – (Adopté.)
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Article 10
(Non modifié)
I. – Après le mot : « sont », la fin du troisième alinéa de l’article 62 de la même ordonnance est ainsi rédigée : « assises sur le traitement et les indemnités perçues conformément à la réglementation applicable de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française. » ;
II. – (Non modifié)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Article 11
(Non modifié)
La section 1 du chapitre VI de la même ordonnance est complétée par un article 72–2 ainsi rédigé :
« Art. 72–2. – Les agents non titulaires ne peuvent être maintenus en fonction au-delà de la limite d’âge fixée par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française.
« Toutefois, ils peuvent bénéficier des prolongations d’activité prévues par les troisième et quatrième alinéas de l’article 67.
« Sous peine d’irrecevabilité, les demandes de prolongation doivent intervenir au moins trois mois avant la limite d’âge. » – (Adopté.)
Article 11 bis A
(Non modifié)
La seconde phrase de l’article 67 de la même ordonnance est remplacée par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, la limite d’âge peut être reculée dans les cas suivants :
« – de plein droit, sur demande du fonctionnaire, à due concurrence du nombre d’années restant à cotiser pour obtenir une retraite à taux plein de la tranche dite “A”, sans que cette prolongation d’activité soit supérieure à cinq ans ;
« – d’une année par enfant à charge au sens de la réglementation de la caisse de prévoyance sociale, sur demande du fonctionnaire, sans que cette prolongation d’activité soit supérieure à cinq ans ;
« – à la demande de l’autorité compétente, après avis de la commission administrative paritaire compétente et accord du fonctionnaire, lorsque l’agent occupe des fonctions nécessitant un haut niveau de technicité ou difficiles à pourvoir du fait de la situation géographique de leur lieu d’exercice, sans que cette prolongation d’activité soit supérieure à huit ans. Au-delà de soixante-cinq ans, cette prolongation d’activité est accordée pour une durée d’un an renouvelable, sous réserve d’un examen médical constatant l’aptitude du fonctionnaire à exercer ses fonctions.
« Sous peine d’irrecevabilité, les demandes de prolongation doivent intervenir au moins trois mois avant la limite d’âge. » – (Adopté.)
Article 11 bis
(Non modifié)
La section 1 du chapitre VI de la même ordonnance est complétée par des articles 72–3 à 72–5 ainsi rédigés :
« Art. 72–3. – (Non modifié)
« Art. 72–4. – Par dérogation à l’article 38, peuvent être pourvus par la voie du recrutement direct, dans les conditions de diplômes ou de capacités fixées par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française, les emplois suivants :
« – directeur général des services et directeur général des services techniques des communes de plus de 20 000 habitants ;
« – directeur général adjoint des services des communes de plus de 30 000 habitants ;
« – directeur général du centre de gestion et de formation.
« L’accès à ces emplois par la voie du recrutement direct n’entraîne pas titularisation dans la fonction publique.
« Art. 72–5. – Lorsqu’il est mis fin au détachement d’un fonctionnaire dans un emploi fonctionnel mentionné à l’article 72–3 et que la collectivité ou l’établissement ne peut lui proposer un emploi correspondant à son grade, celui-ci peut demander à être reclassé dans les conditions prévues à l’article 70 ou à percevoir une indemnité de licenciement.
« L’indemnité de licenciement, qui est au moins égale à une année de traitement, est déterminée dans les conditions fixées par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française, selon l’âge et la durée de service dans la fonction publique des communes de la Polynésie française. Le bénéficiaire de cette indemnité cesse d’appartenir à la fonction publique.
« Il ne peut être mis fin aux fonctions d’un agent occupant un emploi fonctionnel mentionné à l’article 72–3 dans les six premiers mois suivant sa nomination dans l’emploi ou suivant la désignation de l’autorité de nomination, sauf s’il a fait l’objet d’un recrutement direct en application de l’article 72–4.
« La cessation des fonctions de l’agent est précédée d’un entretien de l’autorité de nomination avec l’intéressé. Elle fait l’objet d’une information du centre de gestion et de formation et de l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement. Elle prend effet le premier jour du troisième mois suivant l’information de l’organe délibérant. » – (Adopté.)
Article 12
(Non modifié)
La même section 1 est complétée par un article 72–6 ainsi rédigé :
« Art. 72–6. – Le maire ou le président du groupement de communes peut recruter un ou plusieurs collaborateurs de cabinet en tant qu’agents non titulaires et mettre fin librement à leurs fonctions.
« Leurs fonctions prennent fin au plus tard en même temps que celles du maire ou du président qui les a nommés et n’entraînent pas de droit à titularisation dans la fonction publique des communes de la Polynésie française.
« Ces agents non titulaires sont recrutés dans des conditions définies par arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française, qui détermine les modalités de rémunération et leur effectif maximal en fonction de la population de la commune ou du groupement de communes. » – (Adopté.)
Article 13
(Non modifié)
L’article 73 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa, les mots : « publication de la présente ordonnance » sont remplacés par les mots : « promulgation de la loi n° … du … visant à actualiser l’ordonnance n° 2005–10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs » ;
2° Au b, le mot : « effectifs » est remplacé par le mot : « continus » et les mots : « d’une collectivité ou d’un établissement mentionné » sont remplacés par les mots : « des collectivités ou des établissements mentionnés » ;
3° Le dernier alinéa est supprimé. – (Adopté.)
Article 14
(Non modifié)
L’article 74 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « nomination », sont insérés les mots : « après avis d’une commission spéciale » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La commission spéciale est composée paritairement de représentants des collectivités et établissements mentionnés à l’article 1er et de représentants élus du personnel. Elle est établie auprès du centre de gestion et de formation et présidée par un représentant des collectivités et établissements. Un arrêté du haut-commissaire de la République en Polynésie française détermine ses règles de fonctionnement et les modalités de désignation de ses membres. » – (Adopté.)
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Article 16
(Non modifié)
L’article 76 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, les mots : « et dans un grade à l’échelon qui correspond » sont remplacés par les mots : « et dans un grade. Dans ce grade, l’échelon correspond » ;
2° Le même deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le salaire de référence incorpore en valeur les primes et compléments acquis si le statut particulier ne prévoit pas de primes ou compléments équivalents. » ;
2° bis Le troisième alinéa est supprimé ;
3° Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Après leur intégration dans leur cadre d’emplois, les agents conservent les avantages ayant le caractère de complément de rémunération qu’ils ont acquis au sein de leur collectivité ou établissement dès lors que ces avantages correspondent à une disposition statutaire de nature équivalente.
« Une indemnité différentielle est attribuée à l’agent pour compenser la différence entre la rémunération résultant de l’échelon terminal du classement et la rémunération antérieurement perçue, d’une part, et la différence entre le montant du complément de rémunération statutaire et celui antérieurement perçu en valeur, d’autre part. » – (Adopté.)
Article 17
(Non modifié)
I. – À l’article 80-2 de la même ordonnance, les mots : « deuxième et quatrième » sont remplacés par les mots : « premier et troisième ».
II. – Au a du 1° de l’article 80-3 de la même ordonnance, le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « quatrième » – (Adopté.)
Mme la présidente. Je constate que tous ces articles ont été adoptés à l’unanimité des présents.
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.)
Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
7
Mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger
Discussion en deuxième lecture et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger (proposition de loi n° 412, texte de la commission n° 529, rapport n° 528 rectifié).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Madame la présidente, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE, est l’assemblée représentative de nos compatriotes établis hors de France, et ses 155 membres élus sont renouvelés par moitié tous les trois ans. Le prochain scrutin, qui concernera les circonscriptions électorales d’Europe et d’Asie, doit normalement se tenir en juin 2012.
Cette même année, les Français établis à l’étranger seront également appelés, comme les autres Français, à participer à l’élection présidentielle et, pour la première fois, à l’élection de députés dans onze circonscriptions législatives.
Face à ce calendrier électoral particulièrement chargé, plusieurs éléments posent problème.
Premièrement, la charge supplémentaire inhérente à ce cumul d’élections risque de perturber fortement le bon déroulement de l’ensemble des scrutins, d’autant qu’il faudra prendre en compte les contraintes propres à l’organisation de chacun d’entre eux.
Deuxièmement, la coexistence de régimes électoraux différents, notamment s’agissant du financement de la campagne électorale, pourrait constituer une menace pour la sécurité juridique de chacun des scrutins programmés en 2012.
Troisièmement, une réelle confusion pourrait naître dans l’esprit de l’électeur du fait de la diversité et de la complexité des règles applicables, qu’il s’agisse en particulier des modes de scrutin et des modalités de vote.
Dans ce contexte, un report d’une année de l’élection des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger constituerait un élément positif pour une tenue satisfaisante des autres scrutins et contribuerait à réunir les conditions nécessaires au succès du premier rendez-vous des Français de l’étranger avec les élections législatives.
Le Gouvernement a naturellement souhaité recueillir l’avis de l’Assemblée des Français de l’étranger sur l’opportunité d’une telle mesure. Consultée, celle-ci s’est prononcée à une très large majorité en faveur du report.
Au cours de votre séance du 26 janvier 2011, vous aviez adopté cette proposition de loi de M. del Picchia. L’Assemblée nationale, lors de sa séance du 7 avril 2011, a souhaité, dans un souci de coordination, étendre ce report au renouvellement des personnalités qualifiées, également membres de l’AFE, mais nommées par le ministre des affaires étrangères et européennes, afin de faire coïncider le mandat des membres nommés avec celui des membres élus. Vous êtes donc appelés à vous prononcer aujourd’hui sur ce dispositif, qui a été adopté par votre commission des lois, le 18 mai dernier.
Pour l’ensemble des raisons que je viens d’énoncer brièvement, le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi et au report qu’elle prévoit, y compris s’agissant du renouvellement des douze personnalités qualifiées. Il souhaite donc qu’elle soit adoptée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat doit se prononcer, en deuxième lecture, sur la proposition de loi de M. Robert del Picchia tendant à proroger d’un an le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.
Ce texte vise à remédier aux difficultés posées par la succession, en 2012, de trois élections : l’élection présidentielle, les élections législatives et les élections des conseillers de l’Assemblée des Français de l’étranger. La solution proposée consiste à proroger d’un an le mandat des actuels conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, afin de décaler la prochaine élection des conseillers de la série B au mois de juin 2013, et celle des conseillers de la série A au mois de juin 2016.
Nous avons déjà procédé à un tel report d’élection en ce qui concerne le Sénat, je le rappelle…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En première lecture, et à l’invitation de sa commission des lois, le Sénat a fait prévaloir cette solution sur celle qui était défendue par notre collègue Christian Cointat, consistant à prévoir la concomitance du premier tour des élections législatives et des élections des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, en raison des difficultés d’organisation et des risques juridiques qu’elle aurait été susceptible de présenter, notamment eu égard aux différences de mode de scrutin et de financement.
La solution proposée par M. del Picchia a reçu l’aval des députés. Le texte ne nous revient en deuxième lecture qu’en raison d’une coordination nécessaire effectuée par les députés entre le mandat des membres élus de l’Assemblée des Français de l’étranger et celui des personnalités qualifiées désignées par le ministre des affaires étrangères. En effet, le mandat des premiers étant prorogé d’un an, il était nécessaire de proroger aussi d’un an celui des seconds, ce qui ne peut résulter que de la loi.
La coordination opérée par les députés étant tout à fait opportune, la commission des lois vous propose d’adopter conforme le texte qui nous a été transmis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. Robert del Picchia. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette deuxième lecture de la proposition de loi visant à proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE, ne doit pas poser plus de difficultés que le premier passage de ce texte devant notre assemblée.
Nos collègues députés ont, en effet, simplement – et très justement – complété le dispositif, en tirant les conséquences de la prorogation du mandat des membres élus de l’AFE sur le mandat des personnalités qualifiées nommées par le ministre des affaires étrangères « pour six ans et renouvelées par moitié tous les trois ans, lors de chaque renouvellement » de l’assemblée.
Cette proposition de notre collègue Robert del Picchia a donc simplement pour objectif de faire en sorte que l’ensemble des scrutins qui doivent se tenir à l’étranger, dans les trois ans qui viennent, se déroulent dans les meilleures conditions.
Le mandat des conseillers élus à l’Assemblée des Français de l’étranger, en Europe, en Asie et Levant, expire en juin 2012. Or, je ne vous l’apprends pas, cette date coïncide avec deux autres échéances essentielles de la vie politique française que sont l’élection présidentielle et les élections législatives.
De surcroît, les élections législatives auront une saveur toute particulière à l’étranger, puisque, pour la première fois, les 2,3 millions de Français qui y sont établis se verront reconnaître une citoyenneté plus complète, avec la possibilité d’élire onze députés, depuis leur pays de résidence. Mais gare à la déception au goût particulièrement amer, si ces premières élections législatives devaient être un échec, faute d’avoir été organisées de manière irréprochable !
Or, nous partons déjà avec un gros handicap, inhérent aux moyens financiers notoirement insuffisants de notre réseau consulaire. La mise en place de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, n’a fait qu’exacerber le problème, en concourant davantage encore à une véritable « casse » du service public consulaire.
Ainsi, comme cela a déjà été souligné, il est parfaitement illusoire, dans ces conditions, d’espérer le déroulement de trois élections, soit cinq tours de scrutin, en deux mois, dans des conditions ne serait-ce que convenables. D’autant plus que la configuration même des circonscriptions électorales à l’étranger, pour la plupart proprement gigantesques, complique encore la tâche quant à l’acheminement du matériel électoral.
S’ajoute également le problème de l’abstention électorale, traditionnellement importante à l’étranger. Rappelons que, pour un Français établis hors de France, accomplir son devoir électoral pourra signifier effectuer des milliers de kilomètres à cinq reprises, entre mai et juin 2012. Or il est impensable que le taux de participation soit inférieur à 50 %, d’autant plus que nous avons bien à l’esprit que la création des députés des Français de l’étranger s’est faite à nombre constant : d’aucuns ne manqueront pas de nous le rappeler...
Ce constat établi, la nécessité d’une modification du calendrier électoral s’impose à tous. Reste que plusieurs solutions sont envisageables. Je serai très brève, car les trois possibilités ont déjà été largement évoquées devant cette assemblée. La plus raisonnable semble bien être celle qui nous est proposée aujourd’hui, à savoir la prorogation d’une année du mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.
En effet, le couplage des élections à l’Assemblée des Français de l’étranger avec les élections législatives, proposition de notre collègue Cointat, ne résout pas le problème de l’organisation matérielle des élections et n’est malheureusement pas un gage de plus grande participation aux élections des conseillers à l’AFE.
L’ultime proposition alternative consiste à repousser l’élection de deux années afin de faire coïncider les élections à l’AFE avec les élections des conseillers territoriaux de mars 2014. Elle semble d’emblée très pertinente au regard de notre souhait de création d’une « collectivité d’outre-frontière », mais le Conseil constitutionnel ne validerait peut-être pas une prorogation de mandat longue de deux années. En outre, cette concomitance de date ne serait que momentanée, puisque les mandats des deux assemblées sont de durée différente.
Cette solution permet cependant de mettre en lumière le déficit de représentation locale dont pâtit encore la communauté des Français établis hors de France, alors que, numériquement, elle équivaut, rappelons-le, à la population du dix-huitième département français. Certes, la prochaine représentation des Français établis hors de France à l’Assemblée nationale constitue une avancée précieuse, mais nous devons encore leur permettre de mieux faire entendre leur voix, notamment en développant la démocratie de proximité.
Les conseillers des Français de l’étranger effectuent un travail exceptionnel, mais leur parole n’est pas toujours écoutée comme elle devrait l’être et on « oublie » même parfois de les consulter – comme en témoigne, encore récemment, le projet de création de la nouvelle taxe sur les résidences secondaires –, alors qu’ils ont indéniablement la meilleure expertise concernant les sujets de préoccupation et les besoins de nos compatriotes expatriés.
L’Assemblée des Français de l’étranger doit devenir un organe délibérant, véritable collectivité publique des Français de l’étranger, qui s’administre librement, dispose de son budget et de compétences exclusives, notamment dans les domaines de l’éducation ou de l’action sociale. La réflexion sur cette réforme essentielle doit se poursuivre.
En tout état de cause, l’AFE a approuvé à la quasi-unanimité le report d’une année de son renouvellement et, pour notre part, nous voterons la proposition de loi de M. del Picchia. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du caractère consensuel de la proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, nous devrions achever son examen ce soir. En effet, cette proposition de loi a été largement approuvée par le Sénat, le 26 janvier dernier. À la quasi-unanimité, les députés l’ont adoptée à leur tour, le mois dernier. Je rappellerai aussi que l’Assemblée des Français de l’étranger avait admis le principe du report d’un an du renouvellement de ses membres.
Comme l’a indiqué M. le rapporteur, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale s’est simplement enrichi d’une modification de coordination. Celle-ci consiste, vous le savez, mes chers collègues, à proroger d’un an le mandat des personnalités qualifiées désignées par le ministre des affaires étrangères. Il était en effet logique de rétablir la concomitance du renouvellement du mandat de ces personnalités et de celui des conseillers élus.
La commission des lois ayant entériné cette nouvelle rédaction qui ne modifie pas, quant au fond, la proposition de loi, le groupe RDSE la votera tout à l’heure, comme il l’a fait en première lecture.
En effet, nous souscrivons à l’objectif visé par l’auteur de ce texte. Cela a été dit, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a prévu que les quelque 2,3 millions de Français vivant à l’étranger disposeront désormais d’une représentation spécifique à l’Assemblée nationale, à l’instar de celle qui existe depuis 1946 au Sénat – à cette date, il s’agissait plus exactement du Conseil de la République. L’élection de onze nouveaux députés est une bonne chose, car nos compatriotes sont chaque année toujours plus nombreux à partir vivre à l’étranger. Leurs intérêts seront ainsi mieux défendus, même si bien sûr, rappelons-le, le mandat parlementaire n’est pas impératif : nos collègues députés et sénateurs représentant les Français de l’étranger ont vocation à représenter la nation tout entière.
Comme vous le savez, mes chers collègues, cette innovation a pour conséquence de surcharger le calendrier électoral. L’année prochaine, les Français résidant à l’étranger devront se rendre aux urnes pour l’élection présidentielle et les élections législatives, mais aussi pour renouveler les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger élus dans les circonscriptions d’Europe, d’Asie et Levant, soit la série B.
Notre collègue Robert del Picchia, auteur de la proposition de loi, a très justement soulevé, dans son exposé des motifs, les difficultés que pourrait engendrer cette concomitance.
D’une part, l’administration consulaire serait dans l’incapacité d’organiser de façon satisfaisante cinq tours de scrutins en l’espace de quelques semaines. Si les agents des postes consulaires et diplomatiques ont pu assurer simultanément deux scrutins en 1994, il n’est pas certain que cela pourrait être le cas aujourd’hui, notamment en raison des restrictions budgétaires qui affectent, depuis, les services publics de l’action extérieure de la France.
D’autre part, il serait juridiquement périlleux de maintenir le calendrier électoral en l’état, en raison de la diversité des règles relatives aux campagnes électorales. Les candidats briguant à la fois un mandat à l’Assemblée des Français de l’étranger et à l’Assemblée nationale pourraient puiser dans le régime propre à chacun des deux scrutins la règle la plus avantageuse, s’agissant en particulier de la propagande et du financement de la campagne.
C’est aussi la question de l’abstention qui a motivé le report du renouvellement des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger. Je partage cette préoccupation. On constate malheureusement que le taux de participation à l’élection des conseillers de cette assemblée est particulièrement faible (M. le ministre opine.) puisqu’il est en moyenne de 20 % depuis les années quatre-vingt-dix. Je crois qu’il serait plus sage de ne pas multiplier les scrutins pour ne pas décourager les votants, mais je pense aussi qu’il faudrait communiquer davantage pour que l’intérêt de l’AFE soit mieux perçu par les Français résidant à l’étranger.
En attendant, et afin de surmonter tous ces risques, nous pouvons sans crainte proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger puisqu’il existe des précédents. À neuf reprises, le législateur a prolongé la durée de mandats électifs, sans pour autant déclencher les foudres des Sages.
Pour cela, il suffit de respecter les quelques principes qui se dégagent, sur le sujet, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Notre collègue Jean-Jacques Hyest les a soulignés dans son rapport : l’augmentation de la durée du mandat ne doit pas être « manifestement inappropriée » à l’objectif désiré, elle doit être justifiée par un motif d’intérêt général et ne doit pas porter atteinte au droit des électeurs d’exercer leur droit de suffrage selon une « périodicité raisonnable ».
Ces conditions étant remplies, mes chers collègues, rien ne s’oppose à l’adoption de cette proposition de loi. Soucieux de contribuer à la clarification de l’échéancier électoral, le groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
M. Robert del Picchia. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons, en deuxième lecture, une proposition de loi dont je suis l’auteur et dont je ne pensais pas, en la défendant une première fois devant vous, qu’elle mobiliserait une nouvelle fois votre temps. Je n’y suis pour rien mais, l’Assemblée nationale l’ayant modifiée, nous devons de nouveau l’examiner. (Sourires.)
Je remercie donc le groupe UMP d’avoir bien voulu trouver une place dans l’ordre du jour afin de nous permettre de voter définitivement ce texte simple, évident et néanmoins important, comme l’ont montré le ministre, le rapporteur et les orateurs qui sont intervenus jusqu’à présent.
Je ne m’attarderai pas à évoquer une nouvelle fois la nécessité d’éviter, en 2012, un « bug électoral » en déplaçant les élections locales des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.
Les députés ont été d’accord avec nous puisqu’ils ont adopté la prorogation de ces mandats d’une année ; nous pouvons nous en féliciter. Toutefois, mes chers collègues, je ne puis m’empêcher de regretter cette deuxième lecture, car elle ne me semblait pas indispensable.
Il a été reproché à notre texte de ne pas prendre en considération le renouvellement partiel des personnalités qualifiées membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, assemblée d’élus au suffrage universel direct. Il est d'ailleurs permis de s’interroger sur la présence de personnalités qualifiées désignées au sein d’une assemblée élue au suffrage universel direct, introduite par la loi du 7 juin 1982 relative à l’Assemblée des Français de l’étranger.
Le quatrième alinéa de l’article 1er de la loi précitée prévoit cependant que la désignation de ces personnalités, qui intervient normalement tous les trois ans, est faite par le ministre des affaires étrangères « lors de chaque renouvellement de l’Assemblée des Français de l’étranger ».
Dès lors que le renouvellement de l’Assemblée des Français de l’étranger, qui intervient également partiellement tous les trois ans, était reporté, la désignation de ces personnalités l’était de facto aussi. Selon nous, il n’y avait donc pas de problème.
Toutefois, les députés ont voulu le préciser. Pourquoi pas ? Cette situation plaide justement en faveur de l’existence de députés représentant les Français de l’étranger. En effet, s’il y avait eu de tels députés, ils auraient pu, grâce à une parfaite connaissance de la loi de 1982, alerter leurs collègues et leur dire qu’il n’était pas utile de modifier le texte. Un lobby quelconque demandant que cette précision figure dans le texte est vraisemblablement à l’origine de cette deuxième lecture. Quoi qu’il en soit, nous respectons l’Assemblée nationale dans cette maison et nous adopterons cette modification.
Le plus important, c’est le vote conforme de ce texte de bon sens, comme l’ont souligné l’ensemble des intervenants. Sans plus attendre, mes chers collègues, je vous remercie de nous aider dans notre tâche en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est de bon ton, dans les milieux politiques et administratifs, de souligner, au gré des circonstances, l’apport indéniable à la vie nationale française des communautés françaises établies hors de France.
Ces déclarations ne sont certes pas toujours suivies d’effets, car elles obéissent souvent à des formules convenues, déconnectées du ressenti spécifique des quelque 2,3 millions de Français de l’étranger installés sur les cinq continents, une population équivalant à celle des Bouches-du-Rhône ou des départements d’outre-mer.
La proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture, initiée par notre collègue Robert del Picchia, soutenue à l’unanimité par les sénatrices et les sénateurs représentant les Français établis hors de France, est aussi l’occasion de rappeler dans cet hémicycle l’importance croissante d’une présence française à l’étranger dans un contexte de mondialisation.
Cette proposition de loi sénatoriale a été conçue afin de résoudre les difficultés d’un calendrier électoral chargé en 2012. Elle tend à reporter, de juin 2012 à juin 2013, le renouvellement des conseillers de la zone B – Europe, Asie et Levant – élus en janvier 2006. Cela n’aura par ailleurs aucune conséquence – il est utile de le rappeler – sur le renouvellement sénatorial qui aura lieu en 2014. En vue de préserver le renouvellement triennal des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, collège électoral pour l’élection des sénateurs établis hors de France, le mandat des conseillers de la zone A – Amérique et Afrique – serait également prorogé d’un an.
Tel est donc l’esprit et la finalité de cette proposition de loi qui, d’une manière concrète, permettra d’éviter ce que l’on pourrait appeler un « bug électoral » en 2012, en raison d’un trop grand nombre de scrutins, tenus précisément entre le 22 avril et le 17 juin, élection présidentielle tout d’abord suivie des élections législatives qui verront l’arrivée, pour la première fois, de onze nouveaux députés des Français établis hors de France.
Le paysage électoral sera le suivant : deux élections nationales à deux tours, hors du territoire national, au suffrage universel direct, dont l’organisation administrative est pilotée par la direction des Français de l’étranger et de l’administration consulaire au ministère des affaires étrangères et européennes.
L’organisation dans nos postes diplomatiques et consulaires du renouvellement partiel des conseillers à l’AFE élus pour six ans relève déjà d’une ingénierie administrative lourde et coûteuse pour la puissance publique. Il est aisé d’imaginer les difficultés suscitées par l’ouverture de 734 bureaux de vote décentralisés et sécurisés dans des circonscriptions électorales couvrant souvent plusieurs pays.
En 2012, après la réforme constitutionnelle de 2008, l’importance ainsi reconnue des communautés françaises expatriées et l’établissement d’une représentation démocratique dans les deux assemblées parlementaires alourdissent cependant le calendrier du renouvellement électoral des conseillers à l’AFE de la zone B, par l’ajout d’un cinquième scrutin en juin 2012.
Nous devons comprendre que nos compatriotes à l’étranger ne vivent pas dans un contexte géographique comparable à celui que l’on connaît en France pour l’organisation et la tenue de bureaux de vote. Si nous voulons, et c’est un objectif partagé, que les Français de l’étranger, Français à part entière, puissent se prévaloir, et dans les meilleures conditions, de leurs droits citoyens, nous ne pouvons leur imposer cinq scrutins consécutifs en moins de deux mois.
Les frais importants générés par les distances parfois énormes entre le lieu de résidence et le bureau de vote, à la charge de l’électeur, en dépit du maintien du vote par correspondance et de l’ajout du vote par Internet – une première en l’occurrence pour l’élection de députés –, nous conduisent à proposer de reporter d’un an, c’est-à-dire en 2013, le renouvellement triennal prévu en 2012 à l’AFE.
L’élection de onze nouveaux députés des Français de l’étranger, aux côtés désormais de douze sénateurs des Français établis hors de France, est une perspective que la représentation nationale au Sénat doit d’ores et déjà intégrer dans sa réflexion, eu égard aux projets et propositions de loi que nous serons appelés à examiner et à adopter, en particulier concernant les Français de l’étranger.
L’occasion est propice pour dire et même redire dans cet hémicycle qu’un grand pays comme le nôtre doit saisir l’apport pour le Parlement de la participation démocratique d’une composante de la nation établie hors du territoire national, fidèle à son origine et qui contribue largement à l’essor multiforme de notre pays.
Ce sera en outre l’occasion à terme et pour certains de constater que les Français de l’étranger ne sont, pour l’immense majorité d’entre eux, ni des exilés fiscaux, ni, parfois, des doubles nationaux profiteurs. Ce sont, comme je l’ai dernièrement écrit dans le magazine des anciens élèves de l’École nationale d’administration, des acteurs de proximité, de développement et d’influence, toutes qualités au service de la France.
Les Français de l’étranger, parce que leur nombre augmente régulièrement, parce qu’ils sont confrontés durablement au devoir d’initiative, à l’exigence de créativité, à la nécessité du plurilinguisme, à la concurrence, sont déjà au cœur de la globalisation des échanges.
Cette proposition de loi, mes chers collègues, nous devons la voter car elle nous permettra, dans ce contexte, de créer les conditions d’une meilleure participation électorale à l’étranger en confortant la représentation des communautés françaises expatriées auprès des institutions de la République. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Sur ces articles, je ne suis saisie d’aucun amendement ni d’aucune demande de parole.
Article 1er
(Non modifié)
Le renouvellement de la série B (Europe, Asie et Levant) des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger prévu en juin 2012 se déroulera en juin 2013.
Les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger nommés en application du dernier alinéa de l’article 1er de la loi n° 82–471 du 7 juin 1982 relative à l’Assemblée des Français de l’étranger dont le renouvellement est prévu en juin 2012 seront renouvelés en juin 2013.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Le renouvellement de la série A (Afrique, Amérique) des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger prévu en juin 2015 se déroulera en juin 2016.
Les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger nommés en application du dernier alinéa de l’article 1er de la loi n° 82–471 du 7 juin 1982 précitée dont le renouvellement est prévu en juin 2015 seront renouvelés en juin 2016. – (Adopté.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Antoine Lefèvre applaudissent également.)
Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
8
Protection de l’identité
Discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi relative à la protection de l’identité, présentée par MM. Jean-René Lecerf et Michel Houel (proposition n° 682 [2009-2010], texte de la commission n° 433, rapport n° 432).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi relative à la protection de l’identité, que je présente avec mon collègue Michel Houel, fait suite aux travaux menés au nom de la commission des lois en 2005 par la mission d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, mission que présidait notre collègue Charles Guené et dont j’étais le rapporteur.
Six ans plus tard, force est de constater que le temps s’est en quelque sorte arrêté et que les multiples réflexions engagées par les gouvernements successifs en vue de la mise en place d’une carte d’identité biométrique n’ont jamais abouti au dépôt d’un projet de loi devant le Parlement.
Pourtant, dès 2001, avec le projet de création d’un « titre fondateur d’identité », puis, dès 2003, avec le projet INES, pour Identité nationale électronique sécurisée, semblait se dégager un vaste consensus pour tirer parti des possibilités de haute sécurisation de l’identité ouvertes par la biométrie et la constitution d’un fichier central d’identité, et facilitées par l’excellence dans ce domaine de la technologie et des entreprises françaises.
J’ai souvenir que Charles Guené et moi-même avions quelque peu précipité la publication du rapport de la mission d’information, de peur d’être devancés par le dépôt, que l’on annonçait imminent, d’un projet de loi en la matière.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi. Une consultation publique organisée par le Forum des droits sur l’internet avait d’ailleurs montré la large confiance de l’opinion dans ces avancées technologiques, même si les préoccupations de respect des libertés s’étaient également exprimées chez les initiés. Selon un sondage réalisé par l’institut IPSOS en mai 2005, les personnes interrogées s’étaient déclarées favorables à 74 % à la création d’une carte nationale d’identité électronique comportant des données personnelles numérisées, telles que les empreintes digitales, la photographie ou l’iris de l’œil, et à 75 % à la constitution d’un fichier informatique national des empreintes digitales, tandis qu’elles étaient 69 % à estimer que la future carte nationale d’identité électronique devrait être obligatoire pour garantir une réelle diminution des fraudes.
Depuis, nous avons assisté à la création du passeport biométrique, destinée à répondre aux engagements européens de la France et aux exigences des États-Unis. Mais, sur la carte d’identité, nous avons été rattrapés, puis distancés par de nombreux États, dont nombre de nos voisins et amis, au risque de remettre en cause le leadership de notre industrie, qui découvrait alors la pertinence du proverbe selon lequel nul n’est prophète en son pays.
Il est également à noter que, si le Sénat et le Parlement sont aujourd’hui saisis de ce dossier, c’est dans le cadre d’une proposition de loi et d’une niche parlementaire, et dans des contraintes de temps particulièrement sévères, ce qui a d’ailleurs amené le report de la discussion – ultime incident ! – du 27 avril à aujourd’hui.
Pourtant, l’usurpation d’identité se développe de manière particulièrement inquiétante. Je ne reviendrai pas sur les controverses relatives à l’ampleur de la fraude, notre excellent rapporteur François Pillet ayant réalisé le point le plus précis possible sur cette question en l’état de nos connaissances statistiques. Sans doute le nombre de 200 000 victimes par an issu d’une étude de juin 2009 du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, nombre que j’ai repris dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, se révèle-t-il exagéré et en tout cas peu fiable. Mais force est de reconnaître l’extrême facilité de cette usurpation d’identité : selon la même étude, on trouverait dans une poubelle sur dix des ménages français toutes les informations nécessaires à la réalisation de cette infraction aussi rentable pour ses instigateurs que traumatisante pour ses victimes ; cela ne laisse donc aucune illusion sur son développement exponentiel dans les années à venir si nous ne nous préoccupons pas, enfin, de lutter efficacement contre de telles dérives.
J’ajoute que l’unanimité se reconstitue immédiatement lorsqu’on évoque les conséquences de cette forme redoutable de délinquance pour les victimes.
S’il ne s’agissait que de créer une fausse identité et d’inventer un nom imaginaire, c’est la collectivité publique prise dans son ensemble qui en paierait le coût. Mais s’il s’agit de voler l’identité de monsieur X ou de madame Y, c’est dans un véritable enfer que sont précipités les concitoyens concernés.
La victime peut se voir opposer un refus de délivrance de tout titre d’identité ou de voyage, subir d’énormes préjudices financiers en raison, par exemple, de multiples emprunts contractés en son nom, découvrir, alors qu’elle souhaite se marier, que c’est impossible parce qu’elle l’est déjà, être poursuivie, voire condamnée, pour des infractions commises par l’usurpateur, perdre son emploi pour une inscription indue au casier judiciaire, et ainsi de suite.
Le vol de sa personnalité, de soi-même, est, à mon sens, le pire vol dont on puisse être victime, avec l’extrême difficulté de prouver sa bonne foi aux autorités comme aux huissiers.
Les conséquences de cette usurpation d’identité sont dramatiques pour les victimes, dont certaines ne voient que dans le suicide le moyen d’échapper à cet univers kafkaïen. Elles peuvent aussi être redoutables pour la sécurité de chacun d’entre nous, quand on sait que des identités usurpées ont permis à leurs nouveaux titulaires de franchir tous les barrages censés permettre de contrôler la totale fiabilité de ceux qui travaillent, par exemple, à proximité immédiate des avions.
Équiper la carte nationale d’identité de puces électroniques sécurisées qui contiendront des données biométriques numérisées permettra de s’assurer sans doute possible de l’identité de la personne et de l’unicité de cette identité. Les impératifs de liberté et de sécurité me paraissent se rejoindre dans cette initiative, en même temps que s’ouvrent bien d’autres possibilités de nature à faciliter la solution d’un certain nombre de problèmes liés à la vie quotidienne ou à des événements exceptionnels. Je fais ici allusion à la possibilité d’identifier des personnes désorientées, des enfants fugueurs ou perdus, des personnes décédées dans une catastrophe accidentelle ou naturelle. Sans doute convient-il aussi de s’interroger sur l’utilisation qui pourrait être faite des potentialités de ces innovations dans le cadre d’enquêtes judiciaires.
Mais nous touchons ici, mes chers collègues, la question la plus sensible, celle de la mise en place d’une base centrale des titres d’identité et des finalités assignées à ce fichier. Faut-il aller jusqu’à permettre d’obtenir une identité à partir d’une empreinte grâce à un fichier général ? Comment assurer, dans ce cas, la conciliation nécessaire entre la sécurité et les libertés ? Peut-on se satisfaire des garanties juridiques qu’offrent le respect de la loi Informatique et libertés, l’autorisation d’accès au fichier délivrée par un magistrat, la traçabilité intégrale de tous les accès, la sanction à l’égard de ceux qui auraient excédé leurs pouvoirs ? Ou convient-il, en outre, de multiplier les garanties techniques, comme celle qu’apporte le système à liens faibles ?
L’on voit bien que tout ce que l’on gagnera d’un côté sera perdu de l’autre, en fonction du positionnement du curseur. C’est en tout cas de la seule compétence du législateur de clarifier à la fois les usages que celui-ci souhaite donner à cette nouvelle génération de carte nationale d’identité et les garanties tant techniques que juridiques dont il veut s’entourer. Le bilan coût-avantages, la proportionnalité des usages nécessaires ou simplement utiles au regard des risques d’atteinte aux libertés ou à la vie privée exigent que nous formulions dans la plus grande transparence nos attentes comme nos objectifs.
Cette proposition de loi vient également rappeler que la protection, je dirais même la sanctuarisation de l’identité, doit demeurer une compétence à part entière de l’État et qu’il est pour cela nécessaire que les documents d’identité que ce dernier délivre engendrent la confiance la plus totale et permettent de démasquer les fraudeurs.
En outre, la proposition de loi prévoit, si son titulaire le souhaite, de doter la carte d’un second composant électronique propre à lui permettre de s’identifier à distance sur les réseaux de communications électroniques et à mettre en œuvre sa signature électronique.
Ainsi que Michel Houel et moi-même le rappelons dans l’exposé des motifs, dans le monde virtuel d’Internet, on évaluait en 2009 en France à 400 000 le nombre de cette autre forme d’usurpation d’identité.
Enfin, la proposition de loi se préoccupe de la sécurisation de la procédure de délivrance des titres d’identité et de voyage, apportant ainsi une réponse au développement des fraudes aux documents d’état civil. Une telle évolution se révèle indispensable, même si l’identité biométrique, en interdisant les identités multiples, devrait permettre de confondre, mais à terme, cette catégorie de fraudeurs.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2005, je notais en conclusion du rapport de la mission d’information présidée par Charles Guené les deux réflexions qui avaient guidé notre travail. Je vous les livre de nouveau aujourd'hui : « D’une part, la sécurisation de l’identité n’est pas antinomique de la sauvegarde des libertés. Protéger l’identité d’un individu, c’est protéger les droits attachés à sa personne, que ce soit le droit de propriété ou la liberté d’aller et venir. Protéger l’identité, c’est aussi sécuriser les relations contractuelles. Si le système d’identité est altéré, les conditions de la confiance ne sont plus réunies de la même façon que la fausse monnaie porte atteinte à la confiance dans le système monétaire.
« D’autre part, il faut se garder de sacrifier la liberté au nom de la sécurité et rester conscient qu’un système parfait n’existe pas. L’objectif raisonnable que les autorités publiques doivent se fixer est de contenir la fraude dans ses proportions acceptables en évitant les solutions excessives qui pourraient conduire à transformer un système d’identité en un système de contrôle et de police. » De là à invoquer, comme certains interlocuteurs de la mission, hier, ou certains interlocuteurs du rapporteur de cette proposition de loi, aujourd'hui, au nom de la période de l’Occupation, un droit à la dissimulation d’identité, il y a un pas qui reste difficilement franchissable.
Je précisais à l’époque : « Les progrès technologiques ne doivent pas être redoutés mais utilisés afin que le renforcement de la sécurité et la protection des libertés se soutiennent mutuellement. »
En 2005, nous avions choisi d’intituler le rapport de la mission d’information Identité intelligente et respect des libertés. C’est à cette nécessaire et féconde complémentarité qu’il nous faut désormais continuer à travailler ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Virginie Klès et M. Bernard Frimat applaudissent également.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi, qui est présentée par Jean-René Lecerf et Michel Houel, a pour objet de renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l’identité et, en corollaire, de simplifier la vie quotidienne de nos concitoyens en leur permettant de prouver aisément leur identité dans leurs démarches de la vie courante.
La fraude à l’identité se développe au travers de nombreux modes opératoires. J’en citerai quelques exemples : le vol d’un document authentique vierge qui est personnalisé par la suite, l’usage frauduleux du document d’un tiers emprunté ou volé à ce dernier, la reproduction totale d’un document authentique, ou encore l’obtention frauduleuse d’un document authentique qui devient alors un « vrai faux document d’identité ».
Même si la réalité n’est pas mesurable, comme vient de le souligner notre collègue Jean-René Lecerf, à l’aune de l’étude publiée en juin 2009 par le CREDOC, qui faisait état de 210 000 usurpations d’identité par an, l’ampleur de cette fraude est un phénomène d’une importance indéniable. En effet, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, comptabilisant les infractions constatées par les différents services impliqués, a noté, en 2009, 13 900 fraudes documentaires et à l’identité. Ces chiffres sont d’ailleurs confortés par la Direction des affaires criminelles et des grâces qui recensait, en 2009, 11 621 condamnations pour les infractions correspondant à la fraude documentaire à l’identité et au délit de recel qui peut y être associé.
S’il existait, en 2009, environ 45 millions de cartes d’identité et 15 millions de passeports en circulation, ce sont 351 000 cartes d’identité qui ont été déclarées perdues ou volées et pratiquement 89 000 passeports.
Même en l’absence de statistiques précises, nécessaires pour mener une étude très affinée de la fraude à l’identité, nul ne saurait contester le bien-fondé de l’initiative prise par Jean-René Lecerf et Michel Houel.
Les conséquences de ces infractions sont incontestablement graves pour l’État : je pense à la fraude aux prestations sociales et aux services fiscaux, mais aussi aux escroqueries financières et à la fraude aux moyens de paiement dont sont victimes les opérateurs économiques. Je pense, enfin, aux particuliers, comme cela a été parfaitement souligné par Jean-René Lecerf. Le préjudice qu’ils subissent peut être limité lorsque, par exemple, la fraude ayant été constatée, l’établissement de crédit a remboursé la personne lésée par le débit frauduleux, mais il peut être beaucoup plus grave, notamment lorsque l’usurpation d’identité est totale, et avoir des conséquences dramatiques sur l’état civil et la vie privée de la victime.
Le législateur a déjà réagi en réprimant la fraude à l’identité à travers plusieurs types d’infractions différentes, soit à titre autonome, soit comme un élément constitutif de ces infractions. Tel est le cas pour l’escroquerie, l’usage d’un faux nom étant un élément constitutif de cette infraction.
Récemment, alerté par l’ampleur des phénomènes, lors de l’adoption de la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, vous avez créé, monsieur le ministre, une infraction propre à l’usurpation de l’identité, figurant désormais à l’article 434–23 du code pénal. (M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, opine.)
Le code de la route, le code de procédure pénale, le code pénal, le code des transports comprennent différentes mesures portant répression des infractions ayant généralement trait à la fourniture d’identités imaginaires ou à l’usurpation d’identité.
Au terme de la mission d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, Jean-René Lecerf avait observé la défaillance de certains maillons de la chaîne de l’identité profitant à la fraude documentaire.
Ce constat impose donc de passer à un niveau supérieur de sécurisation de l’identité par l’utilisation des technologies biométriques et la constitution d’un fichier central.
L’utilisation de la biométrie déjà mise en œuvre dans le cadre du passeport ne pose pas de difficultés particulières ni sur le plan éthique ni sur le plan juridique.
Pour s’assurer de l’identité d’une personne, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, considère d’ailleurs comme légitime le recours à des dispositifs de reconnaissance biométrique dès lors que les données de ce type sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif.
Plus délicate est la question relative à la légitimité de la constitution d’un fichier centralisant les données biométriques.
Si, en raison de leur caractère personnel unique, l’accès à ces données doit susciter une attention accrue, la constitution d’une base centralisatrice des informations contenues dans les cartes nationales d’identité est, par ailleurs, nécessaire pour que l’objectif protecteur de la loi puisse être atteint.
L’ampleur de cette base qui pourrait, si elle avait existé depuis des années, contenir actuellement 45 millions d’individus, doit donc décupler notre vigilance.
En effet, aucun fichier de ce type et de cette dimension n’existe actuellement. Il constitue, de ce fait, je dirais « le fichier des gens honnêtes ». Cela légitime au plus haut point le fait que la conciliation entre les objectifs de la loi, la protection de la liberté individuelle et le respect de la vie privée ont conduit la commission des lois à ne pas se satisfaire des garanties juridiques qui encadrent habituellement la consultation des fichiers.
Afin d’éviter toute contestation relative au risque que des utilisations accessoires du fichier pourraient présenter, des garanties matérielles rendront techniquement impossible un usage du fichier différent de celui qui a été originellement prévu. Ce faisant, est ainsi assuré le respect de la proportionnalité entre les objectifs poursuivis par la loi, les moyens développés pour les obtenir et les atteintes éventuellement portées aux libertés individuelles.
Dans le rapport de la mission d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, rédigé en 2005, Jean-René Lecerf soulignait déjà que « la technologie permet de constituer un fichier central des données biométriques garantissant l’unicité de l’identité lors de la délivrance d’un titre sans rendre possible l’utilisation de ce fichier à d’autres fins telle que l’identification ».
Ce dispositif utilise la technologie des bases dites à « liens faibles ».
Il s’agit, en fait, d’une technique qui exclut la possibilité de retrouver une identité sur la base d’un seul élément recueilli lors de l’établissement d’une carte nationale d’identité, en particulier les empreintes ou le visage.
Ce système, qui rend impossible l’identification d’une personne à partir d’une donnée biométrique, permet en revanche la détection de la fraude à l’identité par la mise en relation de l’identité alléguée et celle des empreintes du demandeur de titre.
Je citerai une nouvelle fois notre collègue Jean-René Lecerf qui, dans le rapport que j’évoquais précédemment, écrit qu’une assurance quasi complète est donnée sur l’unicité de l’identité et que celle-ci dissuadera les fraudeurs.
Ce système des « liens faibles » ne pouvant faire l’objet d’une reconfiguration, la base ainsi créée permet d’écarter toute inquiétude quant à son utilisation pour un autre objectif que celui que cherchent à atteindre les auteurs de la proposition de loi.
Souhaitant encore élargir les garanties essentielles qui sont expressément organisées à l’article 5 de ce texte, il est prévu que la base centrale ne sera pas utilisée systématiquement pour authentifier l’identité du détenteur du titre et que la traçabilité des consultations et des modifications effectuées par les personnes ayant accès à ce fichier sera assurée.
Selon les auteurs de la proposition et la commission des lois, la nouvelle carte nationale d’identité ainsi créée, dans un environnement juridique et matériel particulièrement protégé, pouvait fort opportunément être porteuse d’une seconde « puce » permettant l’identification de la personne concernée sur les réseaux de communication électronique et l’identification de la signature électronique.
Cette fonctionnalité, qui reste purement optionnelle, met en place un dispositif qui apporte aux commerces et à l’administration électronique plus de sécurité.
Constatant que l’utilisation de services en ligne ne nécessite pas systématiquement l’identification précise des personnes et, en toute hypothèse, la communication de l’ensemble des données contenues dans la carte, le texte soumis à votre approbation prévoit que, à chaque utilisation de la carte, son titulaire reste maître des données personnelles qu’il accepte de transmettre par voie électronique.
La carte d’identité ne devenant pas obligatoire, ni a fortiori son dispositif optionnel, la commission des lois a interdit que l’accès aux transactions aux services en ligne puisse être conditionné à l’utilisation de la fonctionnalité d’identification électronique de la carte.
La proposition de loi prévoit diverses mesures concernant le contrôle initial des données d’état civil apportées par le demandeur du titre. Elle autorise les administrations publiques et certains opérateurs économiques à consulter le fichier central pour s’assurer de la validité ou non du titre qui est présenté, à l’image du fichier national des chèques irréguliers applicable aux chèques volés et perdus.
Enfin, la nature et la portée des droits afférents à la protection des impératifs publics et privés ont légitimé l’adaptation de dispositions d’ordre pénal.
Telle est, synthétiquement présentée, l’ossature de la proposition de loi sur laquelle nous allons nous prononcer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M Bernard Frimat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de me prononcer sur le fond quant à la proposition de loi relative à la protection de l’identité que le rapporteur vient de nous présenter, avec autant de précision que de clarté, je tiens à saluer la qualité du travail effectué sur ce texte par votre Haute Assemblée et par votre commission des lois. Je veux féliciter et remercier les auteurs de la proposition de loi, MM. Jean-René Lecerf et Michel Houel.
La proposition soumise à discussion constituera une loi importante, qui rendra aux usagers un service plus efficace et plus sûr. Plus efficace, car plus simple et plus proche. Plus sûr, car il doit permettre de lutter contre un fléau lancinant, je veux parler de l’usurpation d’identité.
L’usurpation d’identité, je commencerai par là, n’est pas un phénomène anecdotique.
Les intervenants précédents ont cité des chiffres issus d’estimations du CREDOC. Je rappellerai simplement que l’estimation de quelque 200 000 usurpations par an, sans doute excessive, représenterait plus que les cambriolages à domicile, au nombre de 150 000, et plus que les vols d’automobiles, qui s’élèvent à 130 000.
Récemment, lors d’une visite que je faisais en compagnie du Premier ministre au laboratoire de la police technique et scientifique d’Écully, j’ai appris que, tout à fait par hasard, simplement au titre d’enquêtes n’ayant rien à voir avec les usurpations d’identité, on trouvait, bon an mal an, de 20 000 à 25 000 usurpations d’identité. C’est là une donnée certaine.
L’usurpation d’identité représente, en outre, un coût économique de plusieurs centaines de millions d’euros pour les particuliers, les assurances et les caisses d’assurance sociales ou de chômage.
Elle constitue surtout, cela a été souligné, un traumatisme moral et financier aux conséquences parfois graves et longues pour les victimes.
Cependant, nous le savons, l’usurpation d’identité n’est pas une fatalité : nous avons aujourd’hui les moyens de lutter efficacement contre ce fléau. Depuis deux ans, plus de 5 millions de passeports biométriques ont été délivrés dans notre pays à l’entière satisfaction des Français. Conforme à nos engagements européens, délivré plus rapidement, le passeport biométrique est surtout beaucoup plus sûr : l’an dernier, les fraudes au passeport ont baissé de plus de 50 %.
Ces progrès peuvent et doivent aujourd’hui profiter à la carte nationale d’identité. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient la proposition de loi que nous discutons.
En effet, voter ce texte, c’est d’abord répondre aux attentes de nos concitoyens, et M. Lecerf a cité celles qui étaient déjà présentes en 2005. C’est ensuite nous mettre à l’unisson de nos partenaires européens, puisque dix d’entre eux, dont plusieurs de nos voisins immédiats comme la Belgique, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, ont déjà adopté ce système, alors même que la technologie de la carte à puce est un domaine d’excellence français. C’est aussi entrer dans la modernité en permettant à nos concitoyens d’accéder, via la seconde puce facultative, à de nouveaux services. C’est, enfin, permettre une utilisation plus sûre d’Internet à une époque où le développement très dynamique des échanges par ce mode de communication fait croître chaque jour le risque d’usurpation ou de fraude, notamment à caractère financier.
Dans le respect des libertés publiques, notre objectif est d’assurer la protection de l’identité de nos concitoyens.
À cet égard, je pense d’abord aux victimes. L’usurpation d’identité porte de multiples et graves atteintes à la vie quotidienne des hommes et des femmes qui en sont victimes.
Il s’agit tout d’abord d’atteintes économiques, puisque l’usurpateur peut se prévaloir de l’identité volée dans sa vie quotidienne pour ouvrir un compte bancaire, effectuer des achats ou des investissements plus ou moins importants, voire pour contracter des dettes, autant de dépenses qui pèsent ensuite sur sa victime.
Il s’agit également d’atteintes aux droits sociaux, puisque l’usurpateur peut se prévaloir de l’identité volée dans la vie administrative pour percevoir des prestations sociales ou liquider des droits à la retraite au détriment de sa victime.
Il s’agit ensuite d’atteintes aux droits politiques, puisque l’usurpateur peut se prévaloir de l’identité volée dans la vie civile et publique pour, par exemple, s’inscrire sur les listes électorales et voter.
Il s’agit en outre d’atteintes à la liberté même, puisque l’usurpateur peut se prévaloir de l’identité volée pour commettre des infractions, reportant sur sa victime le poids des peines éventuellement prononcées.
Il s’agit enfin d’atteintes à tout projet d’avenir, puisque les autorités ne parviennent parfois à distinguer la victime de l’usurpateur qu’au terme de longues enquêtes pendant lesquelles aucun document ne peut être délivré à aucune des parties. Privée de carte d’identité ou de passeport, mais aussi, par exemple, mise dans l’incapacité de s’inscrire à Pôle emploi, de louer un appartement ou d’inscrire ses enfants à l’école, la victime se retrouve paralysée, tant dans sa vie quotidienne que dans ses projets à court et moyen termes.
Le passage à la carte d’identité électronique permettra de mettre un terme à ces situations aussi injustes que pesantes pour les victimes.
Ce que vous proposez aujourd’hui avec ce texte relatif à la protection de l’identité, messieurs Jean-René Lecerf et Michel Houel, ce sont des solutions.
Qu’est-ce donc que la carte nationale d’identité électronique ?
Toujours gratuite et facultative, cette carte sera équipée de deux composants électroniques, comme l’a fort bien dit M. le rapporteur : une puce régalienne contenant les données d’identité et les données biométriques relatives au titulaire de la carte, authentifiée grâce à leur enregistrement sur une base centrale ; une puce de services dématérialisés, facultative, permettant de réaliser les signatures électroniques sur Internet.
Cette nouvelle carte électronique présente une double sécurité contre l’usurpation ou la falsification d’identité.
La première sécurité consiste, naturellement, dans l’enregistrement des données biométriques, qui permet l’identification à coup sûr d’une personne.
La seconde sécurité tient à la mise en œuvre d’une base unique et centralisée pour recenser, confronter et vérifier les informations. Ce texte va permettre d’identifier avec certitude les demandeurs de titres en confrontant leurs empreintes avec toutes celles qui ont été précédemment enregistrées dans la base TES, pour Titres électroniques sécurisés, déjà utilisée pour les passeports.
Grâce à ce système de contrôle, nous serons donc en mesure de lutter contre les falsifications de titres, puisqu’il sera possible de vérifier la concordance des données inscrites sur le titre avec celles qui sont enregistrées sur la base, de lutter contre la délivrance de plusieurs cartes différentes à une même personne, et de prévenir toute tentative d’usurpation d’identité en rendant impossible, par les vérifications systématiquement opérées, l’enregistrement de la demande du fraudeur.
Fondée sur une logique de protection de nos concitoyens, l’adoption de la carte d’identité électronique prévoit toutes les garanties nécessaires en termes de libertés publiques.
La proposition de loi inscrit la France dans une démarche adoptée par plusieurs pays européens. La sécurisation accrue des titres de voyage et d’identité, engagée depuis plusieurs années sur le plan international, est d’ores et déjà une réalité avec le passeport électronique.
Comme dans la plupart des pays d’Europe, la carte d’identité électronique parachève cette évolution.
Elle est une réalité en Europe, avec différents modes d’organisation : obligatoire dans certains pays, comme la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne ; avec une base centrale et biométrique aux Pays-Bas, en Finlande, en Pologne ou en Espagne ; avec une signature électronique possible dans presque tous les pays. Pour la France, cependant, nous réaffirmons le caractère facultatif de la possession d’un titre d’identité ou de voyage, tout en offrant l’accès à des titres à la fiabilité accrue afin de garantir l’identification.
À l’heure actuelle, les modalités de consultation des données à caractère personnel conservées dans la base TES, mais aussi dans la base « fichier national de gestion », FNG, des cartes nationales d’identité, sont déjà encadrées par décret.
La base TES, commune aux passeports et cartes d’identité, a fait l’objet d’un décret examiné en Conseil d’État et a déjà incorporé dans sa construction les préconisations de la CNIL quant à l’accès aux données conservées.
Elle comporte des garanties juridiques : en effet, un système de traçabilité hautement sécurisé a été mis en place, et l’accès aux informations et données se réalise grâce à des cartes à puce individuelles permettant de s’identifier. De plus, l’ensemble des accès est « tracé », afin de vérifier que l’usage des données est conforme aux finalités du traitement prévu par la loi, c’est-à-dire limité aux cas où il existe un doute sérieux sur l’identité de la personne.
Elle comporte aussi des garanties techniques, puisque les données à caractère personnel sont conservées dans des bases de données segmentées : état civil, d’un côté ; photographies d’identité, de l’autre ; empreintes digitales, dans une troisième partie.
Elle comporte, en outre, des garanties de sécurité : le système est prévu pour éviter toute intrusion malveillante, et il existe un chiffrement systématique des données transmises.
Enfin, la CNIL est appelée à effectuer des contrôles sur place, ce qu’elle a déjà fait s’agissant de la base TES pour le passeport biométrique en février 2010.
Concrètement, l’accès à la base TES sera restreint à seulement trois catégories de personnes, juridiquement habilitées et utilisant une « carte agent » afin d’assurer la traçabilité de toutes les opérations qu’elles effectueront sur la base. Il s’agit des agents qui mettent techniquement en œuvre la base, c’est-à-dire ceux de l’Agence nationale des titres sécurisés, l’ANTS, des agents chargés de l’instruction des demandes de délivrance des titres au ministère de l’intérieur et au ministère des affaires étrangères, et, en application de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, des agents des services de sécurité chargés de la lutte antiterroriste. Ce dernier point fera l’objet d’un amendement gouvernemental de coordination.
J’ajoute que, comme aujourd’hui, les données conservées dans la base TES seront communicables dans le cadre des procédures légales prévues, notamment, par le code de procédure pénale, comme il en va déjà pour les autres bases.
Je souhaite le dire toute de suite : l’adoption en commission d’un amendement qui limite les capacités techniques de la base centrale, en ne permettant aucun lien univoque entre les données d’état civil et les éléments biométriques, me semble poser une grave et sérieuse question de cohérence ; c’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement de retour au texte initial de la proposition de loi.
Cette limitation technique de la base ne permet pas, en effet, d’apporter une réponse complète à la lutte contre l’usurpation d’identité, l’un des objectifs principaux de cette proposition de loi.
Avec une base sans lien univoque entre les données, les empreintes sont organisées de manière anonyme. Il est donc possible de savoir qu’une ou plusieurs personnes utilisent la même empreinte, ce qui permet de détecter l’usurpation d’identité, mais ne permet pas de la poursuivre.
Je crois très sincèrement que nos concitoyens ne comprendraient pas que l’État mette en place un outil moderne de protection de l’identité, sache que des usurpateurs existent, mais se prive de la capacité de les poursuivre.
De plus, la technique préconisée dans la rédaction actuelle s’appuie sur une théorie qui n’a été appliquée nulle part dans le monde et qui demeure la propriété d’une seule entreprise. Le risque de viabilité à la fois technique et juridique de ce choix de la base dite « à lien faible » me semble donc important.
Le Gouvernement proposera par conséquent un amendement afin que les objectifs de lutte contre l’usurpation d’identité soient pleinement remplis par la détection des fraudeurs et, j’y insiste, la capacité à les poursuivre. Ainsi, les propriétaires d’une identité seront réellement propriétaires de leur identité.
Outre le renforcement de notre lutte contre l’usurpation d’identité, le passage à la carte nationale d’identité électronique va permettre d’améliorer les services offerts à nos concitoyens, comme l’a souligné à juste titre M. le rapporteur.
La carte nationale d’identité électronique, c’est, d’abord, des démarches simplifiées et des formalités réduites.
L’amélioration du service à l’usager est un objectif constant de la proposition de loi. Il s’agit d’offrir un haut niveau de service à nos concitoyens, c’est-à-dire des relations simples et modernes avec l’administration.
Avec cette réforme, en effet, les procédures de délivrance de la carte nationale d’identité et du passeport seront unifiées.
Concrètement, il y aura désormais un formulaire de demande unique pour les deux titres, et la délivrance d’une carte nationale d’identité sera possible en tout point du territoire, indépendamment de la commune de résidence.
Les pièces justificatives à fournir seront moins nombreuses, notamment lorsque ni l’existence du titre à renouveler ni l’identité du demandeur ne seront contestées par l’administration. Pour les communes comme pour les usagers, cela signifie, très concrètement, une diminution de plusieurs millions de documents chaque année.
Ces pièces seront également identiques pour la délivrance d’un passeport ou d’une carte d’identité.
Au final, le passage à la nouvelle carte nationale d’identité conduira donc à une nette simplification des procédures. L’usager réunira plus facilement les justificatifs nécessaires, passera moins de temps dans les administrations et gagnera en qualité globale de service.
Enfin, les délais de délivrance seront réduits.
La carte nationale d’identité électronique, c’est, ensuite, toujours la garantie d’un service public de proximité.
Comme pour le passeport biométrique, les cartes nationales d’identité électronique seront en effet délivrées dans plus de 2 000 mairies équipées de stations biométriques. La volonté de mettre en place un service proche de l’usager a conduit à ces choix, et la mairie reste, par définition, un lieu de proximité reconnu et apprécié de tous.
La carte nationale d’identité électronique, c’est, enfin, la possibilité de nouveaux usages dématérialisés.
Depuis quelques années, Internet permet aux Français d’accéder à distance, depuis leur domicile, au service public. Cette tendance doit naturellement être favorisée et développée.
Cette logique a conduit à développer sur les nouvelles cartes nationales d’identité électronique une deuxième puce facultative, destinée à sécuriser davantage les transactions électroniques privées. Cette carte permet d’effectuer une signature électronique selon les normes établies et reconnues sur le plan international ; l’usager pourra donc effectuer une transaction à distance en toute sécurité.
Concrètement, l’authentification par le second composant de la carte s’effectuera via un boîtier relié à l’ordinateur personnel, dont les utilisateurs intéressés par ce service devront se doter. La signature électronique pourra alors être mise en œuvre pour des procédures administratives ou des transactions économiques. L’État, par l’intermédiaire de l’Agence nationale des titres sécurisés, garantira la protection informatique du dispositif dans toutes ses composantes. L’utilisateur restera en permanence maître des informations qu’il souhaite transmettre.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que vous proposent aujourd’hui MM. Jean-René Lecerf et Michel Houel va incontestablement permettre de renforcer la sécurité de nos titres d’identité, d’améliorer la qualité de notre service public et de réaliser, d’après une étude de l’Association française de normalisation, l’AFNOR, de janvier 2009, un gain de productivité de près de 3 milliards d’euros.
C’est un texte utile à nos concitoyens, à notre administration et à notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment ne pas saluer aujourd’hui la belle initiative de Jean-René Lecerf et Michel Houel qui, six ans après la remise du rapport sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, proposent de mettre en place les instruments susceptibles de renforcer la lutte contre la fraude à l’identité ?
Comment ne pas saluer, aussi, le travail précis et méthodique de notre rapporteur, qui s’est attaché à trouver un juste équilibre entre deux principes difficiles à concilier, la protection des libertés individuelles et la préservation de l’ordre public ?
Comment ne pas se féliciter, enfin, de l’intervention d’un texte protecteur des données personnelles, au moment où se multiplient les attaques des systèmes informatiques ? Celle de PlayStation, dont on fait largement part les médias le 26 avril dernier, illustre la fragilité de nos dispositifs.
Qu’importe les données quantitatives sur le nombre de victimes par an de la criminalité identitaire ? Le chiffre donné par le CREDOC, pour l’année 2009, s’élève à 200 000.
Pour la même année, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales recensait près de 13 900 faits constatés de fraude documentaire et à l’identité. Il relevait qu’en cinq ans, de 2004 à 2009, le nombre de signalements de personnes utilisant au moins deux identités a crû de 130 %.
Même si l’on ne peut se satisfaire de ces approches chiffrées – non concordantes pour certaines d’entre elles –, force est de constater l’augmentation vertigineuse du phénomène, qui ne manquera pas de s’amplifier encore si l’on en juge par le – mauvais – génie des pirates informatiques.
La proposition de loi qui est soumise à notre assemblée a un double objectif : d’une part, renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l’identité et, d’autre part, simplifier le quotidien des citoyens en leur permettant d’apporter la preuve « par tout moyen » de leur identité dans certaines de leurs démarches de la vie courante.
La carte nationale d’identité comme le passeport sont les deux documents privilégiés pour faire foi de son identité, mieux qu’avec le permis de conduire ou le permis de chasser par exemple, mais ils n’ont de caractère obligatoire que dans certaines circonstances, les voyages à l’étranger notamment. Ils sont un des maillons d’une même chaîne de preuves identitaires dont le dysfonctionnement, même s’il ne provient que d’un seul de ses éléments, suffit à produire les « vrais faux ».
Le nouveau passeport biométrique a montré et montre sa capacité à réduire de façon incontestable la fraude : de là l’option proposée, depuis longtemps d’ailleurs explorée dans le projet inabouti INES, d’étendre à la carte nationale d’identité un dispositif de même nature, mais élargi pour tenir compte de l’utilisation habituelle de ce titre d’identité.
Deux types de données se trouvent conservées, selon des modalités clairement distinctes : celles qui ont un caractère spécifiquement régalien, à l’image du passeport, et les données plus personnelles, adaptées à la vie quotidienne.
Pour les premières, les dispositions utiles ont été prises pour que l’ensemble des données contenues dans la puce régalienne ne soient accessibles qu’à des agents habilités qui, en tant que de besoin, auront pu procéder à la vérification des données de l’état civil auprès des officiers d’état civil dépositaires des registres concernés. Il s’agit là d’une procédure de vérification directe des informations transmises, essentielle quand on sait – ou, plutôt, quand on ne sait pas… – l’ampleur de l’explosion du nombre de « vrais faux » titres d’identité.
Afin de réduire le risque de fraude, le texte prévoit la création d’un fichier central qui a pour vocation la collecte et la conservation des données biométriques tant des cartes nationales d’identité que des passeports.
La centralisation de ces données obéit strictement aux conditions requises par la loi Informatique et libertés : décret en Conseil d'État pris après avis de la CNIL, contrôle de cette dernière sur le fonctionnement du fichier et droit d’accès et de vérification pour l’intéressé des données le concernant.
Très opportunément, la commission des lois a adopté un amendement sur l’initiative du rapporteur pour doubler les garanties juridiques apportées à l’utilisation du fichier d’une garantie matérielle, à savoir la constitution de la base biométrique selon la technique du « lien faible », qui rend impossible l’identification d’une personne uniquement à partir de ses empreintes digitales ou de l’image numérique de son visage tout en permettant la détection des fraudes éventuelles à l’identité.
Il s’agit là, monsieur le ministre, d’un « point dur » auquel tiennent tout particulièrement avec moi l’ensemble de mes collègues du RDSE, car c’est un dispositif protecteur des libertés individuelles, en même temps que garant de l’ordre public, puisque l’on peut concevoir qu’il « bloque » les intentions d’un ministère de l’intérieur qui pourrait voir dans ce fichier central le moyen de réunir directement des informations à des fins d’investigation policière avec des données personnelles.
Je veux ici rappeler l’extrême attention qu’a toujours portée notre Haute Assemblée au principe du respect des libertés individuelles dont l’État est le garant, principe placé sous l’œil vigilant de la CNIL, qui, à plusieurs reprises, a été conduite à rappeler le droit.
S’agissant ensuite de la puce « vie quotidienne », le texte proposé respecte scrupuleusement la liberté de chaque individu de se laisser identifier par voie électronique sur les réseaux de communication, de plus en plus nombreux et qui deviennent incontournables au quotidien.
Cette liberté laissée à l’individu a opportunément pour contrepartie l’obligation faite aux réseaux de communication, qu’ils soient publics ou privés, d’accepter que leurs utilisateurs ne soient pas tous titulaires de la future carte nationale d’identité biométrique.
Une telle disposition va dans le sens de l’ensemble des réflexions conduites aujourd'hui sur la protection du droit au respect de la vie privée.
Le 23 mars 2010, nous avions adopté ici, en première lecture, une proposition de loi, présentée par Yves Détraigne et par moi-même, visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique.
Cette proposition de loi avait mis en évidence les risques liés aux nouvelles mémoires numériques du fait des progrès technologiques et du développement des réseaux sociaux ainsi que des considérations relatives à la sécurité. Nous proposions en particulier de renforcer les garanties en matière de contrôle par la CNIL des dispositions de la loi Informatique et libertés. Nous avions également porté une attention particulière sur les enjeux de la protection des données personnelles.
La proposition de loi relative à la protection de l’identité s’inscrit dans la même démarche globale, même si son objet est ciblé sur la fraude des titres identitaires. Il montre de façon claire l’absolue nécessité qu’il y aura à très court terme d’envisager de nouveaux outils pour encadrer, contrôler et réguler la communication informatique sous toutes ses formes.
En attendant, les membres du groupe RDSE voteront la proposition de loi telle que présentée par la commission des lois, texte de sagesse et de raison qui ne remet pas en cause l’équilibre entre ordre public et libertés individuelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées du groupe socialiste et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Jean-René Lecerf nous est présentée comme devant permettre de lutter concrètement contre un phénomène en augmentation constante, celui de l’usurpation d’identité.
Que le nombre des cas de vols d’identité, particulièrement sur Internet, augmente est un fait que je n’entends pas remettre en question, tout comme je ne conteste ni le fait que l’usurpation d’identité est une infraction traumatisante pour ses victimes, ni le désarroi qui peut habiter celles-ci et les difficultés importantes auxquelles elles doivent faire face.
Cependant, la présente proposition de loi ne nous satisfait ni sur la forme, c'est-à-dire le support législatif, ni sur le fond.
En effet, elle ressemble beaucoup au projet d’identité nationale électronique sécurisée, dit « projet INES », porté hier par l’ancien premier ministre Dominique de Villepin et qui prévoyait d’instaurer, comme il nous est à nouveau proposé de le faire, une nouvelle génération de carte nationale d’identité comportant un volet biométrique.
Devant le mécontentement grandissant des associations dénonçant un projet instaurant un fichage biométrique généralisé de nos concitoyens, le Gouvernement avait dû renoncer.
Aujourd’hui, ce projet fait donc sa réapparition au travers de cette proposition de loi et, voyez-vous, mes chers collègues, je m’interroge : pourquoi une proposition de loi ? Notre collègue Jean-René Lecerf est, à l’évidence, très intéressé par le sujet, mais, à mon sens, cela n’explique pas tout.
Pour ma part, je vois là une technique destinée à contourner l’avis du Conseil d’État, qui aurait été obligatoire si les dispositions qui nous sont proposées avaient fait l’objet d’un projet de loi. Or le Conseil d’État comme la CNIL sont très réservés sur la création des titres d’identités contenant des données biométriques.
C’est d’ailleurs tellement vrai que, toujours pour contourner le Conseil d’État, c’est par décret que le Gouvernement a autorisé la création des passeports biométriques. Ce processus particulier a été contesté par de nombreuses associations, dont la Ligue des droits de l’homme et l’IRIS, qui ont déposé plusieurs recours en annulation devant le Conseil d’État.
Ce dernier, qui ne s’est pas encore prononcé malgré un dépôt relativement ancien puisqu’il date du 4 juillet 2008, a, chose rare, récemment procédé à une nouvelle audition des associations engageant le recours. C’est dire l’embarras qui doit être le sien ! De son côté, la CNIL a fermement condamné le procédé.
Si la forme suscite des questions, le fond, lui, ne laisse que peu de place aux interrogations. Il mêle deux aspects qui devraient n’avoir aucun lien entre eux : le commerce en ligne et la sécurité, tantôt de nos concitoyens, tantôt de la nation, particulièrement face au risque terroriste.
La sécurité sert ainsi une nouvelle fois de prétexte à la création d’un fichier supplémentaire, d’autant plus dangereux qu’il intégrera des données biométriques, c’est-à-dire extrêmement personnelles.
La CNIL, dont il est prévu qu’elle sera sollicitée sans toutefois aller jusqu’à demander un avis conforme, est opposée à ce type de fichier. Elle l’a fait savoir clairement en 2009, au moment où le projet INES était de nouveau relancé : les raisons avancées par le Gouvernement – la sécurité et la lutte contre le terrorisme – « ne justifient pas la conservation, au plan national, de données biométriques telles que les empreintes digitales », écrit-elle dans sa délibération, et « les traitements […] mis en œuvre seraient de nature à porter une atteinte excessive à la liberté individuelle ».
C’est aussi notre conviction.
Nous considérons en outre que les fichiers, systématiquement présentés comme des armes anti-délinquance, ont radicalement changé de nature. Comment expliquer sinon que le STIC, le plus célèbre de nos fichiers, répertorie 34 millions de nos concitoyens, associant des personnes effectivement condamnées, d’autres ayant fait l’objet d’enquêtes non suivies de condamnation, voire parfois des personnes innocentes en raison d’une erreur ou, pis, les victimes elles-mêmes ?
Dans sa décision du 10 mars dernier sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, le Conseil constitutionnel a décidé de modifier les conditions d’utilisation de certains fichiers qu’il a jugés trop intrusifs. Ces fichiers ne contenaient pourtant pas les données aussi sensibles que celles qui pourraient être contenues dans le futur fichier national si la présente proposition de loi devait, hélas ! être adoptée.
Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir, chers collègues de la majorité, que les cartes de nouvelles générations que vous prévoyez de créer ne sont elles-mêmes pas sans risques. Des groupes de pirates informatiques sont parvenus, en Allemagne comme au Royaume-Uni, à pirater leurs propres cartes biométriques, en moins de douze minutes, accédant ainsi à tout leur contenu, qu’ils ont d’ailleurs modifié avec aisance.
Ces risques sont, compte tenu de la nature des informations contenues dans ces cartes, encore plus graves que ceux qui existent avec l’actuelle carte d’identité, nouvelle démonstration de l’adage selon lequel « le mieux est l’ennemi du bien ».
Enfin, mes chers collègues, nous considérons que la carte nationale d’identité, parce qu’elle a pour vocation d’établir l’identité de nos concitoyens, ne doit pas être considérée comme un outil au service du commerce en ligne.
Celui-ci connaît un fort développement et, s’il est vrai que les cas de fraudes augmentent eux aussi, ils sont plus souvent dus à des usurpations de comptes ou de données bancaires qu’à des usurpations d’identité au sens où l’entend la proposition de loi.
Ce mélange, transformant tour à tour la carte d’identité en un document administratif ou en un document à portée commerciale, participe d’un mouvement politique que nous condamnons : tout devrait toujours être tourné vers le commerce. C’est un dévoiement des missions et des services publics dont la fonction est, et doit rester, la satisfaction de l’intérêt général.
Comme le soulignait déjà la Ligue des droits de l’homme en 2005, « ce soudain intérêt porté par le ministère de l’intérieur aux désirs des consommateurs et son ingérence dans ce domaine masquent en réalité sa volonté d’imposer un outil de contrôle policier, sous couvert de prétendus bienfaits pour ses détenteurs ».
Cette association de données très différentes de par leur nature comme de par leurs fonctions rendra l’individu totalement transparent tant pour les autorités publiques que pour les opérateurs commerciaux, raison pour laquelle nous voterons notamment contre l’article 3 de la proposition de loi.
Par ailleurs, considérant que les moyens de l’État comme ceux des collectivités locales et territoriales – qui en manquent d’ailleurs cruellement – ne devaient pas servir au développement d’activités marchandes et lucratives qui bénéficient d’abord et avant tout aux actionnaires de ces entreprises, nous voterons également contre le dernier article de cette proposition de loi.
Nous regrettons que vous n’ayez pas prévu que le financement des nouvelles cartes repose partiellement sur une contribution des entreprises concernées par le e-commerce, dans la mesure où le second composant électronique est un outil qui est en partie dédié à l’accroissement de leur chiffre d’affaires.
En tout état de cause, parce que nous considérons qu’elle présente, malgré les amendements adoptés en commission, des risques importants en termes de libertés publiques et parce qu’elle ancre encore un peu plus dans notre droit une conception biologique de l’identité, jouant sur les peurs et les craintes de nos concitoyens pour justifier un fichage biométrique étendu à tous, le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche votera contre la proposition de loi. (Mme Virginie Klès et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Paul Amoudry ne peut être présent aujourd'hui, mais, faisant mien l’essentiel des observations qu’il aurait aimé développer, je n’ai aucun mal à lui prêter ma voix.
Nous abordons ce soir un phénomène de délinquance nouveau, relativement peu connu du grand public et dont l’ampleur est difficile à délimiter. Si l’on a ainsi du mal à quantifier ce phénomène, une chose est cependant certaine : il se développe.
Premier constat : les cas d’usurpation d’identité sont en augmentation, d’autant qu’Internet démultiplie les possibilités d’usurpation.
Second constat : nous ne disposons que de peu d’outils permettant de lutter efficacement contre cette forme de délinquance.
Ce double constat démontre la nécessité d’une intervention du législateur. Le but de la proposition de loi qui nous est soumise est donc de renforcer les moyens de lutte contre les fraudes à l’identité, tout en simplifiant la vie quotidienne des citoyens en leur permettant de prouver facilement leur identité.
Si, sur ces questions, ce texte est le premier à être débattu devant le Parlement, il n’est pas le premier à avoir été élaboré. De fait, depuis 2001, pas moins de trois projets de loi ont été conçus, chacun des gouvernements qui se sont succédé ayant réfléchi à la possibilité de mettre en place une carte d’identité biométrique, outil permettant une lutte efficace contre l’usurpation d’identité.
Si le projet de « titre fondateur d’identité », annoncé en juillet 2001, n’a pas dépassé le stade des travaux préparatoires, le projet INES, pour « identité nationale électronique sécurisée », s’est, lui, concrétisé dans un avant-projet de loi soumis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, en mai 2005. Ce projet fusionnait les procédures de délivrance du passeport et de la carte nationale d’identité. Toutefois, l’avant-projet de loi « INES » a finalement été retiré.
Deux autres projets l’ont suivi, en 2006 et 2008, mais ces travaux n’ont pas davantage abouti au dépôt d’un projet de loi devant le Parlement. Seule la création du passeport biométrique, opérée par voie réglementaire, conformément aux engagements européens de la France, constitue une réelle avancée en la matière.
Jusqu’à l’adoption récente de la loi dite « LOPPSI 2 », l’usurpation d’identité ne constituait pas une infraction spécifique. L’article 226-4-1 du code pénal punit désormais d’un an d’emprisonnement et de quinze mille euros d’amende le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, que ces faits soient commis ou non sur un réseau de communication au public en ligne.
Cet outil répressif sera utile. Cependant, le moyen le plus efficace de lutte contre l’usurpation d’identité réside sans aucun doute dans la création de titres d’identité plus fiables et plus sécurisés que ceux qui existent aujourd’hui.
Les auteurs du texte que nous examinons aujourd’hui nous ont rappelé les raisons pour lesquelles il était nécessaire d’aller plus loin. Je ne reprendrai pas ici l’ensemble des dispositions de la proposition de loi et me bornerai à rappeler que son principal objet est la création de titres d’identité biométriques et d’un fichier central national correspondant.
En tant que membre de la CNIL, notre collègue Jean-Paul Amoudry est particulièrement attentif à toutes les problématiques mettant en jeu aussi bien l’utilisation de données à caractère personnel que la création de nouveaux fichiers. J’ajoute que, en tant que coauteur, avec Anne-Marie Escoffier, du rapport d’information déposé au nom de la commission des lois La Vie privée à l’heure du développement des mémoires numériques, je suis moi-même assez sensible à cette question.
Or, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur, « les données biométriques ne sont pas des données personnelles comme les autres ». Si la CNIL n’a pas émis de contre-indication à l’usage des données biométriques, je rappelle qu’elle recommande, selon les prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, de veiller à la proportionnalité entre les objectifs fixés, les moyens mis en œuvre et les atteintes possibles aux libertés individuelles.
D’une manière générale, la CNIL considère comme légitime le recours, pour s’assurer de l’identité d’une personne, à des dispositifs de reconnaissance biométrique dès lors que les données biométriques sont conservées sur un support dont la personne a l’usage exclusif. En revanche, elle est plus réservée à l’égard de la constitution de bases centralisées de données biométriques, dont elle estime qu’elle doit être justifiée par de forts impératifs de sécurité.
Aussi, je tiens à saluer l’interprétation retenue par la commission des lois. En effet, il était important de limiter l’usage du fichier biométrique à la seule lutte contre la fraude à l’identité, en doublant les garanties juridiques de garanties techniques, avec un dispositif de liens faibles.
De fait, l’utilisation du fichier central biométrique dans le cadre de recherches criminelles, pour identifier une personne à partir des seules empreintes retrouvées sur le lieu d’un crime, suscite des interrogations : les impératifs de sécurité publique peuvent-ils justifier les restrictions apportées à l’exercice des libertés individuelles et au respect de la vie privée du plus grand nombre ?
À terme, ce fichier pourrait porter sur l’ensemble de la population française, ce qui constitue, par rapport aux fichiers de police actuels, un changement d’échelle sans précédent. En effet, contrairement à ce qui prévaut actuellement, l’enregistrement dans la base biométrique ne concernera pas exclusivement des personnes faisant l’objet d’une suspicion légitime. C'est pourquoi je me félicite que notre rapporteur ait considéré que, le fichier visant à améliorer la lutte contre la fraude à l’identité, il convenait d’en limiter l’usage à cette seule finalité et d’interdire toute utilisation à des fins de recherche criminelle.
Je salue également le fait que les garanties juridiques apportées à l’utilisation du fichier se doublent d’une garantie matérielle qui rendra concrètement impossible l’identification d’une personne à partir de ses seules empreintes digitales ou de la seule image numérique de son visage.
Il était également important d’assurer la traçabilité des consultations et des modifications effectuées dans le fichier central. En effet, le texte issu des travaux de notre commission prévoit expressément que le traitement de données à caractère personnel qui permet l’établissement et la vérification des titres, autrement dit le fichier central, sera utilisé « dans des conditions garantissant […] la traçabilité des consultations et des modifications effectuées par les personnes y ayant accès ».
Enfin, j’évoquerai l’intérêt que présenterait ce futur titre sécurisé pour l’application de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, qui vise à lutter contre le surendettement. Cette loi a mis à l’étude les conditions juridiques et matérielles d’une centrale de crédit, appelée à enregistrer les données de quelque 30 millions de personnes. La fiabilité de ce dispositif repose sur une exacte identification des personnes, permettant d’écarter les risques de fraude et d’homonymie. Or, à ce jour, le seul moyen d’identification qui ait été jugé fiable est le numéro de sécurité sociale, ou numéro d’inscription au répertoire, le NIR, dont l’usage est réservé à la sphère sociale. Son utilisation hors de ce périmètre nécessiterait l’élaboration de procédures particulièrement complexes. Aussi la mise en service d’un titre d’identité sécurisé constituerait-elle une avancée fort utile pour le fonctionnement de cette centrale de crédit.
Cela constitue pour moi une raison supplémentaire, s’il en était besoin, de soutenir l’initiative de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel.
Pour conclure, je tiens à saluer l’excellent travail de notre rapporteur François Pillet, dont la mission était, en ce domaine très technique, d’une réelle complexité. Le texte qu’il nous soumet aujourd’hui me paraît équilibré. C’est pourquoi le groupe de l’Union centriste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étudions aujourd'hui une proposition de loi relative à la protection de l’identité.
Parce que je souscris, ainsi que le groupe socialiste, à bien des observations qui ont déjà été formulées, je vais m’efforcer d’éviter les redites.
L’usurpation d’identité a des conséquences importantes pour la société mais également pour les individus et, au-delà, pour leurs familles, sur le plan tant qualitatif que quantitatif. Je crois donc qu’il se dégage une unanimité sur la nécessité de lutter efficacement contre ces phénomènes d’usurpation d’identité et de réparer les dommages subis par les victimes.
Les outils proposés dans la proposition de loi s’appuient sur la biométrie ; c’est en effet un outil extrêmement fiable. Ce qui suscite davantage de souci, c’est la constitution de bases de données. L’on sent bien là un retrait, une prudence largement partagée, avec la mise en avant des principes de proportionnalité et de respect des seuls objectifs affichés. Tout cela a été dit et redit au sujet de la puce dite « régalienne ».
En revanche, s'agissant de la puce dite « vie quotidienne », on sent un peu moins de prudence, alors que, à mon sens, la prudence est ici particulièrement nécessaire dans la mesure où cette puce laissera des traces de nos navigations sur Internet, donc des éléments qui touchent à notre vie privée. J’insisterai donc davantage que ceux qui m’ont précédée à cette tribune sur la puce « vie quotidienne ».
L’usurpation d'identité peut s’effectuer par des moyens extrêmement variables, allant du simple vol de documents jusqu’à l’utilisation de « vrais-faux » documents. Les conséquences financières peuvent être aussi bien collectives, dommageables à la société dans son ensemble, qu’individuelles – nous avons parlé des escroqueries et de tous les autres délits qui peuvent s’ajouter au simple délit d’usurpation d’identité. Les conséquences sont morales, psychologiques, à la fois individuelles et familiales.
De nombreux exemples ayant été cités, je n’y reviendrai pas, sinon pour confirmer que nous partageons tous le désarroi des victimes et de leurs familles, et déplorons l’immense tort qui leur a été fait par ces usurpations d’identité.
Pour ce qui est des chiffres, je pense que ce n’est ni le lieu - ni l’heure ! - d’entamer une polémique. Certains ont évoqué 210 000 cas, le Gouvernement avait avancé un total de 13 000 ou 14 000 cas, enfin vous avez, monsieur le ministre, parlé tout à l’heure de 20 000 à 25 000 cas ; de fait, l’on ne sait pas très bien évaluer le nombre de victimes d’une usurpation d'identité. Mais, à la limite, qu’importe : chaque cas est un cas de trop, et les chiffres ne sont pas le cœur du débat de ce soir. (M. le ministre de l’intérieur acquiesce.) Du reste, il est toujours difficile de quantifier une nouvelle forme de délinquance quand on vient de la découvrir et que l’on s’organise pour lutter contre.
La vérité se trouve sans doute entre tous les chiffres que j’ai mentionnés.
En tout état de cause, il s’agit de drames humains. Nous sommes donc d’accord : il faut lutter contre l’usurpation d'identité.
Comment lutter ? La proposition de loi qui nous est soumise prévoit tout d'abord de renforcer les contrôles et la sécurisation lors de la délivrance du premier titre : par exemple, l’obtention des données d’état civil devrait être moins facile, en tout cas mieux contrôlée, et la vérification de l’identité de la personne serait effectuée lors du retrait du dossier afin de s’assurer que c’est la même personne qui l’a déposé. Ce texte contient donc un certain nombre d’avancées auxquelles nous adhérons, bien entendu.
Le texte prévoit également la nécessaire garantie que la même certification d’identité ne sera pas délivrée à deux personnes différentes. C’est le cœur du problème, nous en avons déjà parlé, et la question de la centralisation des données en est le corollaire. Celle-ci nécessite forcément la sécurisation tant du recueil que de la gestion et de la consultation des données.
Les données biométriques sont des données personnelles, non falsifiables, particulièrement attachées à la personne ; en l’occurrence, ces données seront confiées par la personne à un tiers. Je souhaite donc que l’on garde à l’esprit que l’outil qui sera construit pour gérer ces données biométriques afin de lutter contre l’usurpation d'identité doit demeurer un outil au service d’un objectif. Prenons un marteau pour enfoncer un clou, et non une massue. (Sourires.)
M. René-Pierre Signé. Ou un marteau-pilon du Creusot !
Mme Virginie Klès. Quand on prend une massue pour enfoncer un clou, cela peut faire mal aux doigts !
Il faut donc sécuriser le recueil des données, ainsi que leur consultation et leur gestion. Quelles précautions cela nécessite-t-il ? Autrement dit, comment ne pas prendre une massue pour enfoncer un clou ? (Rires.) Je sens que cette expression vous fait rire ; tant mieux, je vous ai réveillés, ce dont je suis fière, étant donné l’heure tardive. (Nouveaux rires.)
Mme Françoise Férat. Mais nous ne dormons pas !
Mme Virginie Klès. L’État, en tant que tiers, joue forcément un rôle régalien. C’est en effet à lui que l’on confie l’identité, et c’est donc lui qui doit être garant à la fois de l’authenticité du titre délivré, de sa non-falsification, et de la confidentialité des donnés qu’il contient.
Un titre, une personne. Le principe nécessite sans doute l’établissement d’une base de données. La particularité de ce fichier – appelons les choses par leur nom – est sa taille : chacun d’entre nous, mes chers collègues, y figurera !
J’ai entendu dire tout à l'heure que la carte nationale d’identité n’est pas obligatoire mais qu’elle est facultative. C’est peut-être vrai en théorie, mais l’on sait bien que, en pratique, ce n’est pas le cas, puisque l’administration nous demande à tout moment de présenter notre carte ou sa photocopie. La carte nationale d’identité est de facto un titre obligatoire dans notre vie quotidienne. Nous serons donc tous fichés dans cette base de données, monsieur le ministre !
Être fiché, mais jusqu’à quel point, et de quelle manière ? M. le rapporteur a effectué un excellent travail, et la proposition qui nous est faite ce soir d’accepter un fichier qui soit une base de données à liens faibles est la seule qui pourra recueillir l’assentiment du groupe socialiste.
Monsieur le ministre, selon vous, une telle base de données va permettre de détecter une tentative de fraudes et de ne pas délivrer de titre à la personne qui en est l’auteur. Si une telle tentative de fraude est de toute façon vouée à l’échec, rapidement, il n’y aura plus de fraudeurs et plus de tentative de fraude. Alors, pourquoi vouloir ficher tout le monde et lier de façon univoque une empreinte à une personne ? Nous sommes résolument opposés à votre proposition et farouchement attachés à celle de la commission relative à une base de données à liens faibles.
J’en viens à la puce optionnelle, facultative, « vie quotidienne ». Ce sera le détenteur de la carte qui décidera des données qu’il accepte de mettre sur Internet.
Mais, nous le savons, en raison de l’introduction de ce nouveau mode d’identification sur la Toile, très rapidement, nombre d’entre nous aurons recours à cette puce facultative. Nous laisserons alors tous les jours des traces de notre vie privée sur Internet.
Lors de leurs travaux sur la protection de la vie privée à l’heure d’Internet, nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne avaient insisté sur la nécessité de faire de la pédagogie et d’anticiper. Aujourd’hui, le choix nous est justement donné d’anticiper. De toute façon, les organismes ou les services qui utiliseront cette fonctionnalité devront formuler une demande d’agrément auprès de la CNIL. Mais encore faut-il savoir qui fixera les règles de cet agrément. La CNIL ? Pourquoi pas ! Cette solution me convient.
Par ailleurs, quel organisme vérifiera la validité de la puce, fût-elle optionnelle ? Selon nous, il doit s’agir d’un organisme sous tutelle de l’État, mais certainement pas sous tutelle de votre ministère, ne vous en déplaise, monsieur le ministre de l’intérieur, car il s’agit bien là de vie privée.
Il nous paraît très important d’identifier aujourd’hui un organisme qui pourra gérer et contrôler toutes les traces de notre vie privée que nous allons laisser chaque jour sur Internet avec cette puce optionnelle.
D’autres questions matérielles, organisationnelles et financières se posent ; elles seront abordées tout à l’heure par ma collègue Michèle André.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste étant favorable au principe de la lutte contre l’usurpation d’identité, il votera la présente proposition de loi, mais à condition que les préconisations de la commission en ce qui concerne la constitution de la base de données soient respectées et que nous obtenions des réponses satisfaisantes aux interrogations fortes que nous avons formulées sur la gestion des données contenues dans la puce optionnelle. Dans l’hypothèse où ces conditions ne seraient pas satisfaites, nous nous abstiendrions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Houel.
M. Michel Houel. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’usurpation d’identité constitue une infraction fréquente. Je ne rappellerai pas les chiffres, ils ont déjà été cités. Je me contenterai d’observer qu’en France le phénomène connaît une croissance particulièrement inquiétante sur Internet.
Selon un rapport du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, un Français a plus de risques de subir une usurpation d’identité qu’un cambriolage ou un vol de voiture. Le coût pour la société d’un tel phénomène frôle les 4 milliards d’euros.
Il faut surtout avoir à l’esprit que cette infraction est relativement traumatisante pour ceux qui en sont les victimes.
Nous savons également que l’usurpation d’identité peut être une étape pour la commission d’autres infractions tendant, par exemple, à ouvrir un compte bancaire, à bénéficier de prestations sociales, à échapper aux recherches des forces de l’ordre, à quitter le territoire, ou encore à régulariser sa présence sur celui-ci.
De plus, le lien entre usurpation d’identité et crime organisé ou terrorisme peut se révéler extrêmement étroit. Les réseaux terroristes, notamment, utilisent quasi systématiquement de faux documents d’identité, délivrés par des faussaires.
Ainsi, afin de lutter efficacement contre ces dérives, j’ai présenté, avec mon collègue Jean-René Lecerf, cette proposition de loi.
Nous ne sommes pas sans savoir que la mission d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, dont Jean-René Lecerf était le rapporteur, avait à la fois dressé le constat de défaillances dans la chaîne de l’identité, proposé des solutions pour y remédier et exploré de nouvelles perspectives de sécurisation de l’identité.
Il est temps aujourd’hui de légiférer. La présente proposition de loi constitue une occasion pour le Parlement de se prononcer sur les moyens d’assurer la sécurité de l’identité, dans une juste conciliation entre les impératifs de préservation de l’ordre public et les exigences de protection des libertés individuelles.
Ce texte vise à garantir une fiabilité maximale des cartes nationales d’identité et des passeports.
Il est aujourd’hui nécessaire de continuer sur la voie tracée par la mise en place du passeport biométrique, décidée conformément aux engagements européens de la France.
Il est en effet urgent d’équiper les cartes nationales d’identité de puces électroniques sécurisées, qui contiendront des données biométriques numérisées.
La carte d’identité électronique, parfois désignée par l’anglicisme electronic identity card, est un nouveau type de document mis en place dans de nombreux pays, notamment en Belgique. Elle est constituée d’une carte à puce contenant toutes les informations nécessaires et celles qui sont apparentes sur les anciennes cartes plastifiées.
Pour lutter contre l’usurpation d’identité, la proposition de loi met également en place une base centrale de données biométriques. Le recours à ce fichier central aura pour finalité de garantir qu’une même personne ne puisse disposer de deux identités différentes, puisque les empreintes biométriques ne pourront correspondre qu’à une seule identité.
Même si ce dispositif, nous le savons, n’évitera pas l’usurpation initiale d’identité, il permettra d’interdire la multiplication de fausses identités ou d’identités usurpées.
La finalité initiale de la proposition de loi que j’ai déposée avec Jean-René Lecerf est bien de donner à nos concitoyens l’assurance que leur identité sera protégée et que, à l’avenir, il sera mis beaucoup plus rapidement fin qu’aujourd’hui aux usurpations, qui se multiplient.
Je ne reviendrai pas sur les conséquences extrêmement lourdes pour les victimes de ces usurpations d’identité. Depuis plusieurs années, le défi est clairement posé, et notre responsabilité est non moins clairement identifiée : il nous faut maintenant répondre.
Depuis 2005, au cours de nos travaux sur l’identité, nous avons toujours eu le souci de définir des équilibres entre sécurité et protection des libertés individuelles. Déjà, en 2005, Jean-René Lecerf, dans le rapport intitulé Identité intelligente et respect des libertés, mettait l’accent à la fois sur le retard de la France en matière de protection de l’identité et sur la nécessité de lutter contre l’usurpation d’identité.
La France est l’un des derniers pays européens qui n’ont pas encore développé de carte d’identité électronique et, bien sûr, les usurpations n’ont jamais été aussi nombreuses.
Notre proposition de loi s’appuyait clairement à la fois sur les études, rapports et échanges de ces dernières années et sur les préconisations, notamment de la CNIL, relatives à la sécurité des données, au droit de rectification, à la traçabilité de tous ceux qui accèdent à la base – l’accès demeure limité aux agents qui participent à la confection des cartes, aux personnels des services de lutte anti-terrorisme ou aux agents agissant sous le contrôle de la justice –, à l’effacement des données au bout de quinze ans. Les garanties existent donc bien.
L’article 5 du texte actuel, en interdisant toutes possibilités de rencontres entre les éléments d’état civil et les données biométriques, prévoit très certainement des précautions que l’on pourrait qualifier de disproportionnées au regard des objectifs à atteindre. Je vous le rappelle, mes chers collègues, l’exposé des motifs de la proposition de loi initiale précisait : « La confrontation des caractéristiques biométriques d’une personne avec celles figurant dans le composant électronique ou la base centrale permettra de confondre les fraudeurs. » Il faut, me semble-t-il, donner les garanties à nos concitoyens que nous allons réaliser ce que nous promettons.
Au regard des débats qui ont eu lieu et des multiples questions que suscitent la rédaction du présent texte, je vous recommande donc, mes chers collègues, de revenir à la rédaction initiale, qui garantit la cohérence avec les objectifs et qui s’appuie sur une réflexion ancienne, animée par la volonté d’équilibre, que je souligne régulièrement, entre sécurité et liberté.
De plus, nous avons souhaité apporter des innovations supplémentaires dans cette recherche de protection de l’identité. Ainsi, les cartes d’identité biométriques pourront également offrir aux titulaires qui le souhaitent des fonctionnalités propres à faciliter leurs démarches administratives et à sécuriser certaines transactions.
En effet, cette proposition de loi ouvre la possibilité au titulaire d’une carte d’identité électronique de bénéficier de nouveaux services, tels que l’authentification à distance et la signature électronique.
Parallèlement, la mise à disposition des données d’identification personnelles via une carte à puce qui peut être lue directement par un ordinateur, entraîne nombre de problèmes potentiels liés à la protection de la vie privée.
Nous savons qu’il est primordial d’apporter les garanties nécessaires à la protection de la liberté individuelle et au respect de la vie privée.
Notre rapporteur, François Pillet, et la commission des lois se sont attachés à compléter ces garanties. Je tiens, en cet instant, à les remercier de la qualité de leur travail.
Ainsi, la commission des lois a souhaité limiter l’usage du fichier biométrique à la seule lutte contre la fraude à l’identité, en doublant les garanties juridiques de garanties matérielles, afin d’interdire l’utilisation de ce fichier dans le cadre de recherches criminelles.
Elle a également souhaité encadrer les vérifications d’identité effectuées à partir des données biométriques, en traduisant les recommandations formulées par la CNIL, et donner à l’usager la pleine maîtrise de la fonctionnalité d’identification électronique de la carte d’identité, afin d’éviter que ceux qui la refusent ne soient évincés de certains services.
Mes chers collègues, la présente proposition de loi va permettre de sécuriser réellement nos titres d’identité et, ainsi, de renforcer la lutte contre la fraude. C’est pourquoi les membres du groupe UMP la voteront avec conviction, pour la préservation des droits de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la conduite des affaires publiques et des dossiers administratifs, il est des serpents de mer dont on désespère de connaître un jour l’aboutissement. La création d’une carte nationale d’identité électronique fait partie de ces dossiers remarquables. Toujours annoncée, longtemps attendue, la voici désormais sur le point d’être concrétisée.
Cet avènement ne va toutefois pas sans poser quelques questions. J’appuie cette affirmation sur les travaux que je mène depuis deux ans sur les titres sécurisés, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
La première question que je veux ce soir évoquer renvoie à la protection des données personnelles. La création d’une carte nationale d’identité électronique se caractérise en effet par un bien étrange paradoxe. La finalité poursuivie consiste en une meilleure protection de l’identité du détenteur de ce document, mais le chemin emprunté fait douter des garanties apportées à la protection des données personnelles de chaque individu.
La CNIL a d’ailleurs clairement mis en évidence cette ambiguïté. Elle a ainsi souligné que les données biométriques « ne sont pas des données à caractère personnel comme les autres », précisant que « la donnée biométrique n’est pas attribuée par un tiers ou choisie par la personne : elle est produite par le corps lui-même et le désigne ou le représente, lui et nul autre, de façon immuable ». La CNIL insiste sur un point essentiel : « Toute possibilité de détournement ou de mauvais usage de cette donnée fait peser un risque majeur sur l’identité de la personne ».
L’entrée en vigueur de la carte nationale d’identité électronique se calque, pour ainsi dire, sur le dispositif retenu pour le passeport biométrique. Or, dans ce dernier cas, il avait été décidé que la puce du passeport contiendrait huit empreintes digitales du détenteur du titre. Ce choix ne correspondait toutefois à aucune exigence particulière du droit européen. D’autres pays voisins, appliquant la même directive de 2004, se sont d’ailleurs dotés d’un titre différent, optant pour une puce comportant moins d’empreintes. Pourquoi alors avoir considéré comme nécessaire la conservation de huit empreintes ?
Au cours de mes travaux, et en dépit de questions réitérées auprès de mes différents interlocuteurs, je dois bien avouer qu’aucune réponse satisfaisante ne m’a été apportée à ce jour. Je ne suis d’ailleurs pas la seule à m’interroger, puisque certaines associations, telles que la Ligue des droits de l’homme, ont saisi la justice. Le contentieux en la matière est encore pendant.
Tout à fait naturellement, la même question se pose concernant la future carte nationale d’identité électronique. Sa puce contiendra-t-elle autant d’empreintes ? Le texte qui nous est soumis ce soir reste malheureusement muet sur cette question.
Monsieur le ministre, qu’en sera-t-il de la future carte d’identité ? Quels seront les usages réservés à ces empreintes biométriques ? Quelles seront les garanties apportées à l’usager quant à la protection de ses données personnelles ?
Ma deuxième interrogation touche au volet opérationnel de l’entrée en vigueur de la nouvelle carte d’identité. Lors du passage au passeport biométrique, des stations d’enregistrement ont été installées dans un peu plus de 2 000 communes, sans compter les consulats, qu’il ne faut pas oublier. L’indemnisation de ces communes avait alors fait problème. Les mairies ont, en effet, dû consacrer des moyens humains particuliers au fonctionnement de ces stations et leur ouvrir des locaux. Qu’en sera-t-il du passage à la carte nationale d’identité électronique ?
On peut à nouveau regretter que le texte qui nous est soumis ce soir demeure silencieux sur cet aspect. Pourtant, le niveau d’indemnisation des communes fait problème, ainsi que l’a reconnu le ministère de l’intérieur en missionnant l’année dernière l’inspecteur général O’Mahony sur une étude à ce sujet.
Dans le cas du passeport biométrique, les communes sont indemnisées selon un forfait couvrant les demandes des seuls usagers « extérieurs » à leur territoire. Ce dispositif mérite d’être revu dès lors que la délivrance des cartes d’identité débouchera sur un surplus de travail dans les mairies, puisque nous pouvons penser que les demandes de cartes d’identité seront deux fois plus nombreuses que pour les passeports.
Je serai particulièrement attentive à ce que les communes puissent être indemnisées au « juste prix ». Il y va de la clarté des relations entre l’État et les collectivités territoriales, monsieur le ministre. Les missions ne peuvent pas être transférées sans une juste compensation financière !
Par ailleurs, je m’interroge sur le nombre de stations d’enregistrement supplémentaires qu’il conviendrait d’installer dans les mairies. Peut-être nous repréciserez-vous les éléments que vous m’avez fournis la semaine dernière, lorsque nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’une audition portant sur une autre question. À cet égard, et on ne peut que le regretter, le texte qui nous est soumis ne comporte pas d’évaluation préalable de l’impact opérationnel et financier de l’entrée en vigueur de la nouvelle carte d’identité. Que pouvez-vous nous dire de ce point de vue, monsieur le ministre ?
Enfin, et ce sera ma troisième question, comme vous le savez, le passage au passeport biométrique a eu pour conséquence une grave remise en cause de l’activité des photographes professionnels. Le Sénat s’est beaucoup battu depuis deux ans afin de préserver cette profession.
La création d’une carte nationale d’identité électronique doit être l’occasion d’une remise à plat du dispositif existant. Dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 », vous vous étiez engagé dans ce sens, puisque l’abandon des prises de photographies en mairie est prévu. Nous attendons le décret qui viendra concrétiser cet engagement.
Lors de votre audition la semaine dernière devant la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques sur les collectivités territoriales et les services publics locaux, j’ai eu l’occasion de vous interroger à ce sujet. Je pense que vous profiterez de cette séance publique pour confirmer à tous la réponse que vous m’avez fournie, c’est-à-dire l’objectif d’une application au 31 décembre 2011.
En conclusion, je voudrais rappeler l’importance que le Gouvernement, comme le législateur, doit attacher aux grands principes garantissant les libertés publiques et la protection de la vie privée. Je pense ici à la problématique des empreintes biométriques. Mais cette préoccupation doit aussi se doubler du souci de régler au plus juste et, avec le plus d’efficacité, les détails pratiques. À cet égard, les difficultés rencontrées lors du passage au passeport biométrique ne doivent pas se reproduire dans le cas de la future carte d’identité mais il faut, au contraire, qu’elles servent d’enseignements pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.
Article 1er
(Non modifié)
L’identité d’une personne se prouve par tout moyen. La présentation d’une carte nationale d’identité ou d’un passeport français en cours de validité suffit à en justifier.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
La carte nationale d’identité et le passeport comportent un composant électronique sécurisé contenant les données suivantes :
a) Le nom de famille, le ou les prénoms, le sexe, la date et le lieu de naissance du demandeur ;
b) Le nom dont l’usage est autorisé par la loi, si l’intéressé en a fait la demande ;
c) Son domicile ;
d) Sa taille et la couleur de ses yeux ;
e) Ses empreintes digitales ;
f) Sa photographie.
Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas au passeport délivré selon une procédure d’urgence.
La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, en intervenant sur l’article, je défendrai également les amendements nos 10 et 11.
On nous propose donc d’inscrire sur une puce électronique l’ensemble des données déjà présentes sur la carte d’identité, ou demandées lors de l’établissement de celle-ci. Nous sommes opposés à cette double inscription, tout simplement parce qu’elle est inutile, mais aussi parce qu’elle révèle une évolution que nous jugeons inquiétante.
L’inutilité objective d’une telle mesure tient d’abord au fait qu’elle ne fait que doubler les informations déjà disposées sur la carte. Vous allez me dire que le passeport biométrique comporte les mêmes sécurités et le même « doublonnement » ; mais vous savez que, en la matière, cela répond à des impératifs qui dépassent le simple cadre national.
Pour être clairs, nous ne pensons pas que la CNI et le passeport devraient répondre aux mêmes normes, tout simplement parce que, même s’ils servent tous deux à identifier la personne, leur cadre est différent et bien plus restreint en ce qui concerne la CNI.
Les défenseurs de cette proposition de loi argueront que les deux objectifs fixés, la lutte contre le terrorisme et le contrôle, justifient que l’on applique pour la CNI les mêmes techniques que pour le passeport de manière à la rendre le plus infalsifiable possible.
Cependant, tous les experts en conviennent, ce n’est pas tant la contrefaçon des pièces d’identité qui pose problème que l’établissement de celles-ci avec des justificatifs frauduleux. Je citerai ici l’avis de notre collègue Jean-René Lecerf : « Les procédés techniques de fabrication des titres d’identité garantissent aujourd’hui leur résistance à la falsification ou à la contrefaçon. ».
Autrement dit, la sécurisation supplémentaire du titre, visant à le rendre infalsifiable, ne sert à rien.
Nous en sommes convaincus, les auteurs de cette proposition savent très bien que l’intérêt d’une puce dans une CNI, c’est de pouvoir relier les informations qu’elle contient à un fichier informatisé national, un fichier que chaque agent de police, par exemple, pourrait consulter à tout contrôle. C’est là notre deuxième point de désaccord fondamental.
Nous pensons qu’un tel fichier, rendu nécessaire pour que l’exploitation des données de cette puce soit pertinente, risque de nous entraîner sur une pente particulièrement glissante.
Soyons clairs, il s’agit de répertorier sur un fichier national toutes les données identifiantes, mais particulièrement des données anthropométriques sur la totalité de la population, puisque cette carte sera obligatoire. Expliquez-moi, mes chers collègues, comment un tel fichier de 65 millions de personnes, recensant non pas simplement l’identité « sociale » telle que le répertoire national d’identification des personnes physiques, RNIPP, de l’INSEE, mais également l’identité « biologique », pourra être contrôlé ? Comment la CNIL, certes combative, mais déjà débordée, pourra-t-elle contrôler l’utilisation régulière de ces données ?
Pour Jean-Claude Vitran, représentant de la Ligue des droits de l’homme, la recherche de la sécurité absolue de l’identité est dangereuse. Peut-on risquer que ces données tombent entre des mains moins républicaines, par exemple, par le biais d’un piratage massif ?
La question de l’utilité de cette mesure, qui n’a de pertinence qu’avec l’existence d’un fichier national biométrique, est donc liée à une autre question, celle de savoir si, oui ou non, nous voulons demain d’une société où nous serons tous fichés. Certes, à cet égard, le message de certains anciens ministres est clair. C’est ainsi que Brice Hortefeux, en 2010, se félicitait, en réponse au député Éric Raoult, de « l’augmentation considérable du flux de profils génétiques », au sein du fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG.
Cet outil censé recenser les plus dangereux criminels contient aujourd’hui plus d’un million de profils ADN, dont au moins deux tiers concernent non des criminels, non des délinquants, mais de simples prévenus. Voilà comment, aujourd’hui, ce fichier contient les profils de faucheurs d’OGM, de syndicalistes, mais aussi de mineurs. De grands criminels, assurément !
Parce que nous considérons que cette mesure n’est pas justifiée et que nous refusons la création d’un fichier biométrique, nous voterons contre cet article.
Mme la présidente. L'amendement n° 10, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a été précédemment défendu.
L'amendement n° 11, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
f) la photographie qu’il a remise lors du dépôt de demande ou de renouvellement d’une carte nationale d’identité.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 10 est assez radical. En effet, si nous supprimions cet article, je ne vois pas comment nous donnerions une portée quelconque à cette proposition de loi.
Le recours aux technologies biométriques permet seul de lutter efficacement contre les usurpations d’identité. La CNIL n’en fait pas une catastrophe, puisqu’elle juge cet usage pertinent dans la mesure où l’empreinte reste en possession du titulaire de la carte. Or, c’est précisément ce que la commission a prévu à l’article 5 bis de cette proposition de loi.
En outre, l’usage du fichier à d’autres fins que la lutte contre l’usurpation d’identité est rendue impossible par le dispositif que la commission a adopté à l’article 5.
J’émets donc, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 10.
L’avis est également défavorable sur l’amendement n° 11. La précision est certainement inutile et, en tout cas, d’ordre réglementaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Si son titulaire le souhaite, la carte nationale d’identité contient en outre des données, conservées séparément, lui permettant de s’identifier sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique. L’intéressé décide, à chaque utilisation, des données d’identification transmises par voie électronique.
Le fait de ne pas disposer de la fonctionnalité décrite au premier alinéa ne constitue pas un motif légitime de refus de vente ou de prestation de service au sens de l’article L. 122-1 du code de la consommation ni de refus d’accès aux opérations de banque mentionnées à l’article L. 311-1 du code monétaire et financier.
L’accès aux services d’administration électronique mis en place par l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ne peut être limité aux seuls titulaires d’une carte nationale d’identité présentant la fonctionnalité décrite au premier alinéa.
La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, cette intervention vaudra également défense de l’amendement n° 12, tendant à la suppression de l’article.
La carte nationale d’identité biométrique est présentée comme une parade aux fraudes tout en servant de prétexte pour y placer des applications à but purement commercial, à savoir une puce permettant l’insertion de la signature électronique des éventuels clients de sites du e-commerce.
La juxtaposition d’éléments destinés à lutter contre la fraude, et peut-être même contre le terrorisme, si l’on en croit l’auteur de cette proposition de loi, avec des éléments à vocation purement commerciale nous semble nourrir une confusion illégitime entre des objectifs d’ordre régalien et d’autres, d’ordre purement mercantile.
En effet, il est ainsi proposé que la carte puisse contenir « des données, conservées séparément, permettant de s’identifier sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique ». Le texte précise que ces informations, matérialisées dans une deuxième puce, seront uniquement stockées « si son titulaire le souhaite ».
Or on sait ce qu’il en est des propositions facultatives, qui, en cas de manque ou de mauvaise information, peuvent devenir quasi automatiques. À titre d’exemple, la carte nationale d’identité est elle-même facultative et pourtant, beaucoup de Français la croient obligatoire.
Nous refusons de nous inscrire dans cette logique où se mêlent ainsi, intérêts publics et intérêts privés, donnant l’illusion que tout se vaut, que public et privé sont les deux faces d’une même pièce. Cette conception très « moderne », au sens de «libéral », est sans doute conforme à l’idée que vous vous faites de notre pays, comme l’attestent la multiplication des partenariats publics-privés ou encore le recours aux entreprises privées pour concurrencer le service public sur ses propres missions ; je pense, par exemple, aux opérateurs privés de placement qui concurrencent Pôle emploi.
Nous voterons donc contre cet article, si notre amendement de suppression n’est pas adopté.
Mme la présidente. L'amendement n° 12, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de cet amendement de suppression, la sécurisation de l’identité sur les réseaux de communication électronique est autant de la compétence de l’État que cette même sécurisation dans les actes de la vie courante.
L’intervention de l’État, en la matière, est d’autant plus nécessaire que l’usurpation d’identité électronique est en plein essor.
J’ajoute que la commission a veillé à ce que ce dispositif reste optionnel et que d’autres moyens de sécurisation de l’identité par voie électronique restent disponibles afin que nul ne soit exclu des transactions et services électroniques.
Enfin, point extrêmement important, l’intéressé garde la maîtrise des données d’identification transmises par voie électronique.
La commission est donc défavorable à l’amendement n° 12.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable. En effet, le dispositif n’a pas pour objet unique de faciliter le commerce en ligne. Il permet également d’accéder à un certain nombre de services publics.
Par ailleurs, force est de reconnaître que le commerce en ligne se développe et que le dispositif suggéré apporte beaucoup de garanties à ses usagers.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Les agents chargés du recueil ou de l’instruction des demandes de délivrance de la carte nationale d’identité ou du passeport font, en tant que de besoin, procéder à la vérification des données de l’état civil fournies par l’usager auprès des officiers de l’état civil dépositaires de ces actes dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
Le demandeur en est préalablement informé.
La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l’article.
Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite profiter de ce débat pour interroger le Gouvernement, en mon nom mais aussi au nom de notre collègue Richard Yung, sur les démarches que les Français établis hors de France devront effectuer pour obtenir une carte nationale d’identité électronique.
Je rappelle que les formalités à accomplir pour obtenir un passeport ont récemment été simplifiées afin de tenir compte des contraintes propres à la situation des usagers vivant à l’étranger.
Depuis la mise en place du passeport biométrique, au mois de juin 2009, les Français établis hors de France peuvent déposer leur demande dans n’importe quel poste diplomatique ou consulaire équipé de l’application « titres électroniques sécurisés », ou TES, et ce quel que soit leur lieu de résidence. Ils peuvent également effectuer leurs démarches, à l’occasion d’un séjour en France, auprès de l’une des mairies équipées d’une station biométrique.
En outre, le ministère des affaires étrangères a prévu de doter prochainement certains postes de dispositifs mobiles de recueil des données biométriques qui pourront être utilisés lors de tournées consulaires.
Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur du décret du 3 août 2010 portant simplification de la procédure de délivrance et de renouvellement du passeport à l’étranger, les Français établis hors de France ne sont plus obligés de comparaître une seconde fois auprès de l’ambassade ou du consulat pour la remise du passeport biométrique. Ce titre d’identité peut ainsi être remis par l’intermédiaire d’un consul honoraire habilité ou à l’occasion d’une tournée consulaire.
Je regrette que ces dispositions ne soient pas applicables aux demandes de carte nationale d’identité. Certes, dans certains pays, les usagers sont autorisés à déposer leur demande auprès d’un consul honoraire ou au cours d’une tournée consulaire. Quelques postes acceptent également les demandes adressées par correspondance. Cependant, dans la grande majorité des cas, les demandeurs doivent se rendre au poste diplomatique ou consulaire auprès duquel ils sont inscrits. En outre, la carte doit être retirée au lieu du dépôt du dossier. Cette situation ne va pas sans poser des difficultés à de nombreux Français résidant à l’étranger.
Dans ces conditions, je souhaite savoir si la prochaine mise en circulation des cartes nationales d’identité électroniques sera l’occasion d’un assouplissement et d’une harmonisation de ces démarches. Les Français établis hors de France seront-ils, par exemple, autorisés à déposer leur demande de carte nationale d’identité dans le poste diplomatique ou consulaire le plus proche de leur lieu de résidence ou dans une mairie française ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Madame la sénatrice, nos consulats, qui sont au nombre de 212, disposent d’un peu plus de 300 stations TES. Bien entendu, le dispositif qui est appliqué au passeport biométrique le sera également à la nouvelle carte nationale d’identité électronique, avec toutes les souplesses que vous avez rappelées s’agissant du passeport.
Voilà qui répond à la préoccupation que vous venez d’exprimer.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
Afin de préserver l’intégrité des données requises pour la délivrance du passeport français et de la carte nationale d’identité, l’État crée, dans les conditions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, un traitement de données à caractère personnel facilitant leur recueil et leur conservation.
Ce traitement, mis en œuvre par le ministère de l’Intérieur, permet l’établissement et la vérification des titres dans des conditions garantissant l’intégrité et la confidentialité des données à caractère personnel ainsi que la traçabilité des consultations et des modifications effectuées par les personnes y ayant accès.
L’enregistrement des empreintes digitales et de l’image numérisée du visage du demandeur est réalisé de manière telle qu’aucun lien univoque ne soit établi entre elles, ni avec les données mentionnées aux a à d de l’article 2, et que l’identification de l’intéressé à partir de l’un ou l’autre de ces éléments biométriques ne soit pas possible.
La vérification de l’identité du demandeur s’opère par la mise en relation de l’identité alléguée et des autres données mentionnées aux a à f de l’article 2.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, en cette heure matinale et avec votre accord, cette intervention sur l’article 5 vaudra également défense des amendements nos 13 et 14.
Comme ce fut le cas lors de l’élaboration du projet INES, en 2004, on avance aujourd’hui l’argument de la lutte contre l’insécurité, voire contre le terrorisme, pour justifier la création d’une carte nationale d’identité électronique.
En 2005 déjà, M. Lecerf, dans son rapport d’information sur la nouvelle génération de documents d’identité et la fraude documentaire, affirmait : « Les liens entre la fraude documentaire et le crime organisé ou le terrorisme sont particulièrement étroits. » Il précisait également que la fraude aux titres d’identité représentait « une nécessité pour la criminalité ».
C’est juste. Cela ne peut pourtant pas suffire à justifier les mesures que vous vous apprêtez à prendre. Car si votre objectif était réellement la lutte contre le terrorisme ou le crime organisé, il vous faudrait également vous attaquer, et réellement, aux paradis fiscaux qui hébergent leurs comptes et au secret bancaire qui les protège des enquêtes internationales et leur permettent de poursuivre tranquillement leurs activités criminelles.
D’ailleurs, nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de cet argument sécuritaire. En matière de criminalité, l’usurpation d’identité la plus répandue à l’heure actuelle demeure le vol d’identité bancaire, que ce soit de manière immatérielle ou matérielle, avec le recours aux célèbres YesCards, copies de cartes bancaires qui permettent à leurs détenteurs de retirer des espèces ou de payer des achats, y compris sans connaître le code confidentiel.
Pour Alain Bauer, qui est tout de même l’un des conseillers de M. Sarkozy en matière de sécurité, la fraude à l’identité reste quantitativement marginale en matière criminelle. À l’occasion de son audition par la CNIL en 2005, Alain Bauer déclarait : « En fait, les effets principaux de la fraude à l’identité portent avant tout sur le permis de conduire et sur les passeports pour le franchissement des frontières. En revanche, celle-ci existe quantitativement très peu dans les affaires de terrorisme et de crimes organisés ».
Dans ce contexte, vous comprendrez que nous ne puissions pas accepter que l’on crée un fichier aussi intrusif, aussi peu conforme aux principes fondamentaux qui sont les nôtres, pour des situations qui, d’après les experts, demeurent marginales.
Par ailleurs, en instituant un tel fichier, nous prendrions le risque que notre pays n’encoure une sanction prononcée par la Cour européenne des droits de l’homme, celle-ci ayant rendu au mois de décembre 2008 un arrêt Marper c/ Royaume-Uni dans lequel elle considère que la création de fichiers contenant des données biométriques, pour des citoyens ne faisant l’objet d’aucune poursuite juridique en cours, constitue une violation manifeste des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et contrevient à la convention sur la protection des données du Conseil de l’Europe, STE n° 108, de 1981.
La Cour européenne des droits de l’homme estime ainsi en conclusion que « le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées [...] ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ».
Compte tenu de tous ces éléments, nous proposons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Billard, sur l'article.
M. Joël Billard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue rapporteur nous propose, plutôt que d’ajouter des garanties juridiques supplémentaires qui entoureraient la base centrale, de lui donner des caractéristiques techniques qui sont celles de la technologie des bases dites à liens faibles, brevetée notamment par la SAGEM, pour reprendre les termes du rapport.
Ce parti pris qui consiste à imposer dans la loi une contrainte non pas juridique mais technique est assez original de la part du législateur.
Sur le fond, je regrette ce recul, qui fait perdre de son intérêt à la carte nationale d’identité électronique. Surtout, je m’interroge sur la mise en œuvre des dispositions nouvelles issues de l’article 5.
En effet, lorsqu’il lancera son appel d’offres pour déployer le système informatique support de la carte nationale d’identité électronique, le ministère de l’intérieur devra-t-il faire référence aussi explicitement au brevet de la SAGEM dans le cahier des clauses techniques particulières ? Je ne le pense pas. Toutefois, nous savons très bien qu’il n’y a pas d’autre technologie disponible qui garantisse, d’un point de vue technique, que le système ne pourra pas être rendu bidirectionnel.
Je m’interroge. Je ne vois pas comment des concurrents pourraient, le temps d’un appel d’offres, même avec un délai de réponse généreux, avoir le temps de développer une technologie équivalente.
Pour cette raison pratique, et parce que c’est tout l’intérêt de cette carte d’identité de disposer d’un système central fiable, je suis pour ma part entièrement favorable à l’amendement du Gouvernement, c'est-à-dire au retour à la rédaction initiale de l'article 5.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Houpert, sur l'article.
M. Alain Houpert. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je plaiderai également pour le retour au texte originel de la proposition de loi.
L’article 5 touche au cœur de l’objectif initial de la proposition de loi, qui tend à donner à nos concitoyens l’assurance que leur identité sera protégée et qu’il sera, à l’avenir, mis beaucoup plus rapidement fin qu’aujourd’hui aux usurpations, qui se multiplient et dont il a été rappelé à quel point elles pouvaient être vécues de façon dramatique par les personnes qui en sont victimes.
La rédaction de l’article5, telle qu’elle était issue de la proposition de nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel, répondait à cette préoccupation en permettant la confrontation des caractéristiques biométriques d’une personne – photo, empreintes – avec celles qui figurent dans le composant électronique ou la base centrale, ce qui permettait de confondre très facilement les fraudeurs.
Ce dispositif n’est pas révolutionnaire, puisqu’il fonctionne déjà, dans un régime d’autorisation défini par la CNIL, pour les passeports biométriques.
Avec l’article 5 tel que modifié par la commission, qui interdit toute possibilité de rencontres entre les éléments d’état civil et les données biométriques, au nom, on l’a bien entendu, de « précautions » un peu théoriques, la promesse de garantie donnée à nos concitoyens aura, en réalité, beaucoup de mal à être tenue. Dans l’hypothèse où le faussaire sera entré le premier dans le dispositif, on peut même penser que la personne dont l’identité aura été usurpée sera dans une situation plus délicate encore qu’aujourd’hui, puisque le faussaire aura un titre sécurisé et pas elle !
Je crois très sincèrement qu’il n’y a pas lieu, au nom de craintes exagérées, d’attenter comme le fait cette nouvelle rédaction de l’article 5 à l’efficacité d’un système dont, je rappelle qu’il est celui-là même qu’ont proposé nos collègues Jean-René Lecerf et Michel Houel et qui a l’accord du Gouvernement.
Je ne comprends pas au nom de quelle logique on revient sur cette rédaction initiale : elle garantissait une parfaite cohérence avec les objectifs fixés et, s’appuyant sur une réflexion ancienne, concrétisait le point d’équilibre trouvé entre sécurité et liberté.
Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission reconnaît l’utilité d’un fichier central biométrique pour lutter contre l’usurpation d’identité. Dans le même temps, observant qu’il porterait à terme sur la quasi-totalité de la population française, elle a jugé nécessaire d’assortir sa création de toutes les garanties requises pour interdire son utilisation à d’autres fins que la seule lutte contre l’usurpation d’identité. La commission a souhaité, à cet égard, doubler les garanties juridiques d’une garantie matérielle irréversible : la création du fichier à partir de « liens faibles ».
Ce faisant, elle est parvenue à un équilibre respectueux des exigences de la sécurité publique et suffisamment protecteur des libertés publiques et de la vie privée. Il n’y a donc pas lieu de supprimer l’article 5.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
J’aurai l’occasion de revenir plus longuement sur ce sujet lors de l’examen de l'amendement n° 2 du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 4
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
L’identification du demandeur ne peut s’y effectuer qu’au moyen des données énumérées aux a) à e) de l’article 2.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement porte sur une disposition qui semble essentielle au Gouvernement.
La proposition de loi a plusieurs objectifs. Elle tend d’abord à offrir à nos compatriotes un document d’identité plus commode, plus sûr et quelques prestations supplémentaires, je pense en particulier à la signature électronique. Elle vise également – c’est sa finalité première – à lutter contre l’usurpation d’identité. Tous les intervenants l’ont fait remarquer et ont souligné à quel point il était important de lutter plus efficacement contre l’usurpation d’identité, qui est un véritable fléau.
Des chiffres ont été cités, dont personne ne peut dire la fiabilité réelle. Pour ma part, je vous ai transmis une information que j’avais recueillie à l’occasion d’une visite au siège de la Police technique et scientifique : sur les contrôles aléatoires d’empreintes digitales, qui sont réalisés pour d’autres raisons dans le cadre d’enquêtes n’ayant rien à voir avec l’usurpation d’identité, et alors qu’il y a de l’ordre de 3 millions de vérifications, on trouve bon an mal an de 20 000 à 25 000 usurpations d’identité. C’est dire que, si l’on transposait ces données à l’échelle de notre population, on dénombrerait à coup sûr plus de 100 000 usurpations d’identité par an !
À mes yeux, le texte qui est proposé par la commission ne permet pas cette efficacité qui est pourtant souhaitée par tous. M. Détraigne l’a indiqué de façon tout à fait claire ; le rapporteur, avec la très grande honnêteté qui le caractérise, a également reconnu que l’usurpation d’identité ne pouvait pas être directement mise en évidence.
Je voudrais vous apporter une indication supplémentaire, provenant d’un courrier en date du 19 avril 2011, adressé au ministère de l’intérieur par le directeur de l’entreprise qui a élaboré ce concept de « lien faible » en biométrie et qui a, du reste, déposé un brevet pour développer la technique correspondante.
Il affirme que ce concept permet de détecter l’usurpation d’identité avec une probabilité dissuasive réglable, mais qu’il ne permet en aucune façon d’identifier l’usurpateur. Il poursuit en indiquant qu’entre autres conséquences le « lien faible » ne permet pas non plus d’identifier des amnésiques, des enfants perdus ou des victimes de catastrophes naturelles ou d’attentats.
Il est donc très clair que cette technique permet, dans certains cas, de déceler l’usurpation, mais ne permet pas de remonter à l’usurpateur.
Alors, bien sûr, madame Klès, si un usurpateur se présente en demandant une carte d’identité, et que l’identité dont il se réclame est déjà dans la base, l’usurpation sera décelée, mais je me permets d’appeler votre attention sur le fait qu’il y a d’autres cas de figure.
Si la victime n’est pas dans la base, l’usurpateur peut alors obtenir une identité. Par ailleurs, si le détenteur d’une identité constate que son identité a été usurpée, il faudra alors, faute de lien univoque, faire des enquêtes lourdes sur les indices qui seront effectivement rendus disponibles par la technologie du « lien faible ». Ce seront des enquêtes de police impliquant des dizaines ou des centaines de personnes dont la situation devra être vérifiée, y compris des personnes qui n’ont rien à voir avec l’usurpation, ce qui, évidemment, sera de nature à quelque peu les perturber.
J’ajoute, en me tournant vers Mme Escoffier, que le ministère de l’intérieur – je voudrais être très catégorique à cet égard et je suis même surpris que l’on puisse penser qu’il en soit autrement –, n’a pas d’objectif autre que celui visé par la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Je voudrais enfin rappeler que la mesure d’application prévue à l’article 6, qui sera un décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL, fixera de façon très précise les personnes qui pourront interroger la base.
A priori, il pourra s’agir, comme pour la base « passeport », des agents de l’Agence nationale des titres sécurisés, des agents chargés de la lutte contre le terrorisme et des personnes qui mettent en œuvre des réquisitions de caractère pénal. Le tout sera bien entendu l’objet d’une traçabilité totale, placée sous le contrôle de la CNIL.
Je demande donc le rétablissement du texte initial de la proposition de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement ouvre à l’évidence le débat essentiel que suscite la proposition de loi. Pour atteindre l’objectif du texte, il faut une base centralisant les données. Or cette base serait unique dans l’histoire de notre pays au regard de sa taille, puisqu’elle porterait sur 45 millions d’individus, si elle existait à l’heure actuelle. À terme, elle est susceptible de concerner 60 millions de Français. Ce sera de surcroît le premier « fichier des gens honnêtes », ce qui n’est pas le cas du FNAEG.
Ce fichier n’a donc pas d’équivalent. Toutes les personnes auditionnées ont mis en garde, plus ou moins expressément, contre son usage à d’autres fins que la lutte contre l’usurpation d’identité, ce qui présenterait des risques pour les libertés publiques.
L’amendement du Gouvernement ne répond pas à la principale préoccupation de la commission, qui a souhaité supprimer ces risques en doublant les garanties juridiques par une garantie matérielle de nature à assurer que l’identification d’une personne par ses seules empreintes soit impossible.
Les garanties juridiques, mes chers collègues, peuvent changer. Il n’y a, derrière mon propos pas plus que derrière l’avis de la commission, aucune défiance vis-à-vis des gouvernements d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Mais il s’agit d’un fichier qui va conserver des données pendant quinze ou vingt ans, voire plus. S’il n’est pas constitué avec les garanties que l’on vous propose, il pourra être réutilisé pour d’autres fins.
C’est pourquoi la commission a pris, dans ce cas particulier, des dispositions également particulières.
Je comprends parfaitement, monsieur le ministre, que vous vous engagiez pour atteindre le « zéro défaut » dans la lutte contre l’usurpation d’identité. La commission des lois a souhaité ajouter à ce premier objectif un second, celui du « zéro risque » pour les libertés publiques.
Grâce à la solution qu’elle a retenue, le « zéro défaut » dans la lutte contre l’usurpation d’identité est approché à 99,9 %. Quant au « zéro risque » pour les libertés publiques, il est garanti par le système de la base « à liens faibles ».
J’ajoute que, si nous acceptions l’amendement du Gouvernement, le texte poserait à mon avis un problème d’ordre constitutionnel, en particulier au regard des dernières décisions, notamment à propos de la LOPPSI 2, décision par laquelle, me semble-t-il, le Conseil constitutionnel s’est ouvert un nouveau champ de vérification.
Se poserait également un problème de conventionnalité, dans la mesure où le texte serait contraire à certaines dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Voilà pourquoi la commission a pris cette précaution qui, je le répète, ne peut empêcher l’identification qu’à la marge.
Je me doute bien, monsieur le ministre, que je ne vous ai pas convaincu. Je vais donc essayer maintenant de vous rassurer, en reprenant les arguments que vous avez évoqués tout à l’heure et en démontrant qu’ils peuvent trouver des réponses susceptibles de vous donner satisfaction.
Le Gouvernement émet des doutes sur l’efficacité du dispositif retenu par la commission dans la lutte contre l’usurpation d’identité. Or ce dispositif est fondé sur la dissuasion. À l’heure actuelle, rien n’existe en la matière. Il se mettra en place au fur et à mesure de la montée en puissance de la nouvelle carte nationale d’identité. Le fraudeur risquera alors de déclencher une alerte dans 99,9 % des cas. Est-ce que vous prendriez le risque de jouer votre liberté avec 99,9 % de chances de perdre ?
En outre, en cas d’alerte, le travail des services de police sera facilité, car ils auront non seulement accès à la base, mais ils disposeront également d’informations supplémentaires sur le fraudeur éventuel telles que son sexe, approximativement son âge, vraisemblablement la couleur de ses yeux, et peut-être également la région où il habite.
En multipliant et croisant ces différents paramètres, les services de police vont disposer d’un panel de cinquante, mettons cent suspects, et ce dans l’hypothèse où une personne aura pris le risque d’entrer dans une base hyper-sécurisée.
En disposant de son empreinte, ils peuvent en outre la confronter avec d’autres fichiers existants, par exemple le fichier des empreintes digitales de la police.
La lutte contre l’usurpation d’identité est donc considérablement améliorée par rapport à la situation actuelle, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure.
Le Gouvernement fait également valoir que la maturité technique du système de bases « à liens faibles » n’est pas assurée et que cela reviendrait à confier à la seule entreprise titulaire du brevet correspondant l’exclusivité du marché, en contradiction avec les principes de la concurrence.
Ces arguments ne sont pas fondés. Je tiens d’abord à vous indiquer que j’ai entendu, en une seule audition, l’ensemble des sociétés œuvrant dans le domaine de la sécurisation biométrique, sous l’égide de leur syndicat commun, le GIXEL.
Dans son principe, le dispositif proposé à l’article 5 est simple. Il a été exposé, non pas par la SAGEM mais par le professeur Adi Shamir, lors de la trente et unième conférence des commissions de protection des données personnelles et de la vie privée – en quelque sorte la réunion des CNIL mondiales – à Madrid, en novembre 2009.
Il y a deux façons de constituer la base. On peut soit attribuer des numéros au hasard, ce qui est l’option la plus simple qui n’entraîne aucune difficulté technique – c’est d’ailleurs tellement simple que ce n’est pas brevetable ! –, soit procéder à la réécriture de l’empreinte par un codage. C’est ce second procédé qui a été breveté par la SAGEM. Mais nous n’avons pas besoin de cela pour réaliser une base à « liens faibles ». Le législateur peut parfaitement imposer des objectifs particuliers, qui seront ensuite « mis en musique » par n’importe quelle autre société, dans le cadre d’un appel d’offres.
La rédaction proposée par l’article 5 ne tranche pas entre l’une et l’autre de ces deux solutions. C’est pourquoi je m’étonne des propos que vous avez tenus tout à l’heure sur la SAGEM.
Il reviendra au Gouvernement, avec l’avis de la CNIL, de décider du dispositif retenu.
Je vous fais en outre remarquer que le brevet de la SAGEM n’interdit pas que d’autres entreprises déposent des brevets sur des procédés reprenant le même principe, mais avec des modalités différentes. Voilà pourquoi votre deuxième argument, monsieur le ministre, ne me paraît pas tenir. En tout cas, ce n’est pas le texte que la commission des lois vous invite à voter.
Enfin, en conciliant protection de la vie privée et protection de la sécurité publique, je pense que nous avons trouvé un équilibre très important au regard des principes généraux de notre droit.
Le texte ne nuit pas à la protection de la sécurité – je suis sur ce point en total désaccord avec vous, mais c’est un point technique qui devrait pouvoir être facile à trancher –, dans la mesure où les policiers ont tout à fait la possibilité de remonter jusqu’à l’usurpateur. D’une part, celui-ci va se faire rare, puisqu’il a 99,9 chances sur 100 de se faire prendre. Par ailleurs, avec trois ou quatre éléments à leur disposition, les services de police arriveront à déterminer très rapidement un panel extrêmement réduit de candidats à l’usurpation.
Enfin, monsieur le ministre, nous sommes au début de la discussion parlementaire. Laissons la navette se dérouler. Il serait heureux que l’Assemblée nationale puisse examiner cette solution proposée en toute sagesse par la commission des lois du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Je tiens à saluer l’optimisme de votre conclusion, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
Sans allonger les débats, je voudrais dire encore quelques mots sur cet élément très important de la proposition de loi.
Tout d’abord, il est clair que les seuls usages qui peuvent être faits du fichier, en dehors de la finalité propre de la gestion du système de carte d’identité, sont de caractère judiciaire. Il ne me semble pas franchement scandaleux que la justice puisse disposer d’éléments lui permettant de faire son travail, mesdames, messieurs les sénateurs !
Ensuite, lorsque vous indiquez un taux de 99,9 % de chances pour qu’il y ait décèlement de l’usurpation d’identité, je vous rejoins au moins sur le principe, si ce n’est sur le chiffre. Néanmoins, c’est l’impossibilité de remonter jusqu’à l’usurpateur qui pose problème. Lorsque l’entreprise à l’origine du concept et détentrice du brevet m’avoue qu’elle ne peut pas remonter jusqu’à l’usurpateur, j’y vois là un élément qui mérite d’être pris en compte.
Vous avez raison de dire qu’un faisceau d’indices permet de se rapprocher d’un certain nombre de personnes susceptibles d’être l’usurpateur. Nous ne savons pas combien il y a d’usurpateurs, mais il est possible de les évaluer à plusieurs dizaines de milliers, disons 100 000. Vous citiez le chiffre de 100 personnes à interroger. Multipliez 100 000 par 100, et vous arrivez au chiffre de dix millions d’enquêtes de police !
Nous allons nous trouver, et c’est pourquoi j’insiste auprès de vous, devant une situation paradoxale : nous voulons tous lutter de façon déterminée et efficace contre les usurpations d’identité, nous savons comment faire, et pourtant nous ne le faisons pas !
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mme Klès et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
La gestion des données, conservées séparément dans la carte nationale d’identité, permettant à la personne de s’identifier sur les réseaux de communications électroniques et de mettre en œuvre sa signature électronique, prévue au premier alinéa de l’article 3, est confiée, dans des conditions fixées en Conseil d'État, à un organisme placé sous l’autorité de l’État mais ne relevant pas exclusivement du ministère de l’Intérieur.
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Je me félicite que l’amendement n° 2 n’ait pas été adopté.
Mais je me tourne vers M. le ministre, qui s’interrogeait tout à l’heure : et si la victime ne figure pas dans la base ? Au risque de sembler un peu simpliste, je me permets de vous répondre, que, dans la mesure où tout le monde a une carte nationale d’identité – c’est du moins un point sur lequel vous aviez l’air d’être d’accord tout à l’heure, monsieur le ministre – alors, il faut en déduire que, si la victime n’est pas dans la base, c’est qu’elle n’a pas de carte d’identité : il n’y a donc pas de victime ! Une identité fictive a été utilisée, mais il n’y a pas de victime.
Pour le reste, je partage bien entendu l’avis de M. le rapporteur.
L’article 5 porte sur les puces, notamment sur la puce « régalienne », celle qui contient les données d’état civil du titulaire de la carte et ses données biométriques, données dont, bien entendu, la délivrance et la conservation doivent relever de la responsabilité exclusive du ministère de l’intérieur et non du ministère de la justice, s’il devait y avoir des utilisations judiciaires de ces données. Nous ne le contestons pas.
Néanmoins, je rappelle, comme je l’ai déjà dit dans la discussion générale, que cette carte contient une autre puce, qui n’est certes mise en place qu’à la demande du titulaire et qui lui permet de s’identifier sur les réseaux de communications électroniques.
Cette puce pourra être lue – c’est son utilité – par des dispositifs commerciaux raccordés à des ordinateurs personnels. Ainsi, l’authentification électronique par la carte d’identité bénéficiera d’un degré de sécurisation supérieur.
Selon nous, la gestion des informations incluses dans ces puces ne peut relever de l’autorité du ministère de l’intérieur. Elle doit, en revanche, être confiée à un organisme placé sous l’autorité de l’État.
Nous avons évoqué tout à l’heure les croisements d’informations sur les systèmes de traitement de données à liens faibles ayant permis de remonter, par déduction humaine, et non seulement grâce à l’informatique, jusqu’à des usurpateurs d’identité, ainsi qu’à l’identification de personnes désorientées, voire de cadavres.
Il nous semble que, de même, le ministère de l’intérieur pourrait, en croisant les données, savoir beaucoup de choses qu’il n’a pas à connaître sur la vie privée des 56 millions de Français qui auront demain une carte d’identité électronique sécurisée.
Les conditions de mise en œuvre et de gestion des informations contenues dans cette puce facultative « vie quotidienne » doivent être fixées par un décret en Conseil d’État et après avis de la CNIL. L’organisme devrait, par ailleurs, mettre en place un comité de surveillance.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Votre amendement, chère collègue, tend à confier à un organisme placé sous l’autorité de l’État la gestion des données d’identification électroniques contenues dans la puce de la carte nationale d’identité électronique.
Je comprends votre position, mais, à mon avis, un tel dispositif ne se justifie pas. La compétence du ministère de l’intérieur en matière de lutte contre l’usurpation d’identité n’est pas contestable et la gestion de la fonctionnalité d’identification électronique participe exactement du même objectif.
C'est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Je rappelle que la carte ne permet pas seulement de contrôler l’identité de son titulaire ; elle fournit également l’occasion d’apprendre bien des choses sur sa vie privée, sur ses actes quotidiens, comme les achats effectués ou encore les bases de données consultées. Il nous semble donc important que la gestion des données figurant sur cette carte et qui sont autant de traces d’actes de la vie quotidienne, ne soit pas sous le contrôle du ministère de l’intérieur.
Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Les données mentionnées dans cet article sont supprimées à compter de l’expiration de la carte nationale d’identité ou du passeport mentionné à l’article 2.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’effacement des données personnelles immédiatement après l’expiration du titre d’identité ne permettrait pas, au moment du renouvellement de ce titre, de s’assurer de l’identité du demandeur, ce qui ruinerait totalement les efforts engagés pour lutter contre l’usurpation d’identité.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement, même si l’on peut en effet s’interroger sur la durée maximum de conservation de ces données ; c’est un débat dont pourra se saisir l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 5 bis (nouveau)
La vérification de l’identité du possesseur de la carte nationale d’identité ou du passeport est effectuée à partir des données inscrites sur le document lui-même ou sur le composant électronique sécurisé mentionné à l’article 2.
Sont seuls habilités à procéder à cette vérification à partir des données mentionnées au e de l’article 2, les agents habilités à cet effet dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
En cas de doute sérieux sur l’identité de la personne, ou lorsque le titre présenté est défectueux ou paraît endommagé ou altéré, la vérification d’identité peut être effectuée en consultant les données conservées dans le traitement prévu à l’article 5.
Mme la présidente. L'amendement n° 15, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
ou sur le composant électronique sécurisé mentionné à l’article 2
par une phrase ainsi rédigée :
La consultation des données biométriques figurant sur le composant électronique sécurisé mentionné à l’article 2 ne peut être effectuée qu’à la demande ou sous le contrôle du juge judiciaire.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à mettre en œuvre le principe défendu et réaffirmé par la Cour européenne des droits de l’homme selon lequel l’ensemble des citoyens ne peuvent être traités de la même manière que les personnes coupables ou inculpées.
Étendre la consultation des données biométriques à tous les possesseurs de cartes de nouvelle génération, c’est méconnaître le principe de la présomption d’innocence.
Pour ces raisons, nous considérons que ces données ne doivent pouvoir être consultées que sous l’autorité d’un juge de l’ordre judiciaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Actuellement, les contrôles d’identité ne s’effectuent pas nécessairement sous l’autorité du juge. Il n’y a pas de raison d’interdire aux douaniers ou aux policiers de procéder à ces contrôles, sachant qu’ils se limiteront, sauf doutes sérieux, à s’assurer que les empreintes du titulaire du titre sont bien les mêmes que celles qui sont inscrites sur ledit titre. La commission a d’ailleurs été très vigilante sur ce point.
Par ailleurs, la commission a également veillé à définir strictement les agents compétents en la matière, nous y reviendrons en examinant un amendement du Gouvernement.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Sont seuls autorisés à procéder à cette vérification à partir des données mentionnées au e de l'article 2, les agents chargés des missions de recherche et de contrôle de l’identité des personnes, de vérification de la validité et de l’authenticité des passeports et des cartes nationales d’identité électroniques.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement, madame la présidente, a pour objet de simplifier le dispositif. Un régime d’habilitation individuel nous semble en effet très difficilement opérationnel. Il ne paraît pas vraiment raisonnable d’envisager de délivrer cette habilitation aux milliers de policiers ou de gendarmes qui effectuent quotidiennement des vérifications et des contrôles d’identité.
Je vous propose donc d’adopter le système en vigueur pour le passeport, lequel semble plus approprié, et de confier les possibilités de vérification aux agents chargés des missions de recherche et de contrôle de l’identité des personnes et de vérification de la validité et de l’authenticité des titres.
Mme la présidente. L'amendement n° 16, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
pris après avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement vise à prévoir un avis conforme de la CNIL sur l’utilisation des données biométriques contenues dans les nouvelles cartes et la gestion du fichier national.
Il serait en effet pour le moins paradoxal que la CNIL émette des avis réservés exigeant plus de précautions et que le Conseil d’État n’en tienne pas compte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement du Gouvernement vise à remplacer la procédure d’habilitation des personnes autorisées à lire l’empreinte digitale inscrite sur la puce électronique du titre d’identité par une définition des personnes compétentes.
Une telle rédaction est apparue préférable, puisqu’elle indique à l’autorité réglementaire quels agents publics pourront être autorisés à procéder aux contrôles d’identité à partir des empreintes digitales.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement n° 8.
Si cet amendement est adopté, l’amendement n° 16 n’aura plus d’objet. En tout état de cause, aux termes de l’article 26 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, les fichiers biométriques mis en œuvre pour le compte de l’État ne relèvent pas d’un régime d’autorisation par la CNIL. Il n’y a donc pas lieu de prévoir un avis conforme.
La commission émet par conséquent un avis défavorable sur l’amendement n° 16.
Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 16 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 5 bis, modifié.
(L'article 5 bis est adopté.)
Article 5 ter (nouveau)
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les conditions dans lesquelles le traitement prévu à l’article 5 peut être consulté par les administrations publiques et certains opérateurs économiques spécialement habilités à cet effet, pour s’assurer de la validité de la carte nationale d’identité ou du passeport français présentés par son titulaire pour justifier de son identité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Cet article résulte de l’adoption par la commission des lois d’un amendement du rapporteur qui autorise les administrations publiques, mais aussi, et c’est plus grave, des opérateurs économiques privés, à consulter le fichier national prévu à l’article 5 de la proposition de loi.
Pour notre part, contrairement à M. le rapporteur, nous n’assimilons pas ce fichier à celui qui est actuellement en vigueur pour les chèques irréguliers, le Fichier national des chèques irréguliers, le FNCI. Ces deux fichiers sont très différents, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, le fichier prévu à l’article 5 de cette proposition de loi intègre des données biométriques, ce qui en fait un fichier particulièrement sensible. C’est d’ailleurs pourquoi la CNIL précise que cette proposition de loi, pour être recevable, doit impérativement respecter le principe de proportionnalité entre les besoins ou les problèmes posés et les réponses formulées.
Or nous considérons que permettre à des opérateurs commerciaux privés, c’est-à-dire à des commerçants, d’accéder à des données biométriques n’est pas acceptable. Une telle disposition ne respecte pas le principe de proportionnalité.
En second lieu, ce fichier est sans commune mesure avec le FNCI, auquel M. le rapporteur fait référence. Le FNCI centralise les déclarations de perte ou de vol de chèques. À cette fin, il enregistre les numéros des comptes bancaires des interdits bancaires, la référence des comptes, de même que les caractéristiques des faux chèques.
Ainsi, le FNCI, contrairement à ce que laisse entendre M. le rapporteur, et contrairement au fichier prévu dans cette proposition de loi, ne recense aucune donnée nominative – aucune, mes chers collègues.
Avec cet article, un cap supplémentaire vers l’utilisation à des fins privées de fichiers publics est franchi, ce qui nous apparaît inacceptable au regard du droit de chacun au respect de sa vie privée.
Nous voterons donc contre cet article.
Mme la présidente. L'amendement n° 19, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après le mot :
avis
Insérer le mot :
motivé et publié
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination. Il tend à reprendre l'expression utilisée à l'article 27 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés s'agissant des décrets créant des fichiers biométriques mis en œuvre pour le compte de l'État.
Cela évitera que le juge administratif ne considère qu'en employant une expression différente le législateur a entendu créer un régime spécial dispensant de l'obligation de motivation et de publication.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après les mots :
administrations publiques
insérer les mots :
, des opérateurs assurant une mission de service public
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement rédactionnel, madame la présidente, a pour objet de permettre aux organismes de protection sociale – les caisses d’allocations familiales, d’assurance maladie, d’assurance retraite, Pôle emploi, notamment – et aux centres de formalités des entreprises de consulter le traitement prévu à l’article 5.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’article 5 ter autorise la consultation du fichier prévu à l’article 5 à la seule fin de connaître le statut, valide ou non, d’un titre d’identité, sur le modèle de ce qui se pratique pour les chèques irréguliers.
L’amendement du Gouvernement vise à ajouter à la liste des opérateurs compétents ceux qui assurent des missions de service public. Cette addition est tout à fait opportune.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer les mots :
spécialement habilités à cet effet
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Il s’agit encore d’une question d’habilitation, après le problème d’habilitation individuelle que nous avons rencontrée tout à l’heure.
Pour des raisons opérationnelles, il vous est proposé de recourir à un dispositif reposant sur la définition.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La précision selon laquelle les administrations et certains opérateurs économiques doivent être spécialement habilités à consulter l’information sur la validité du titre qui leur est présenté renvoie au pouvoir réglementaire le soin de fixer les critères pertinents en la matière.
Dans la mesure où le texte de l’article 5 ter renvoie d’ores et déjà aux conditions définies par un « décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés », la précision semble redondante. En outre, elle est effectivement susceptible d’imposer la mise en place d’un régime lourd d’habilitation, ce qui n’est pas utile, l’information communiquée étant limitée au seul statut, valide ou non, du titre d’identité.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Je voudrais juste poser une question de forme. Avec la nouvelle rédaction, l’article mentionnera « certains opérateurs économiques ». Mais de qui s’agira-t-il ?
Je ne comprends pas très bien cette rédaction, et je pense qu’elle risque de poser des problèmes d’interprétation.
Mme Virginie Klès. Je vous en prie, monsieur le ministre.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, avec l’autorisation de l’orateur.
M. Claude Guéant, ministre. Madame la sénatrice, compte tenu des amendements qui ont été adoptés, le texte se lira ainsi : « […] le traitement prévu à l’article 5 peut être consulté par les administrations publiques, des opérateurs assurant une mission de service public […] ».
Mme Virginie Klès. C’est donc une nouvelle modification !
Mme la présidente. Veuillez poursuivre, madame Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le ministre, l’amendement n° 3 vise simplement à supprimer les mots : « spécialement habilités à cet effet ». Le texte sera donc ainsi rédigé : « les administrations publiques et certains opérateurs économiques ».
Si vous souhaitez à présent écrire « les opérateurs économiques », il faut rectifier votre amendement pour remplacer « certains » par « les ».
M. François Pillet, rapporteur. Ce ne sont pas « les » opérateurs économiques ; ce sont « des » opérateurs !
Mme Virginie Klès. C’est simplement un problème de forme. La rédaction de l’article ne correspond pas à ce que M. le ministre vient de nous indiquer.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Ma chère collègue, le début de l’article sera ainsi rédigé : « Un décret en Conseil d’État, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les conditions dans lesquelles le traitement prévu à l’article 5 peut être consulté par les administrations publiques, des opérateurs assurant une mission de service public et certains opérateurs économiques », la suite de l’article n’étant pas modifiée.
Mme Virginie Klès. Mais qui seront les « certains » en question ?
M. François Pillet, rapporteur. C’est le décret qui en fixera la liste ; il pourra s’agir, par exemple, des chambres de commerce ou des centres de formalités des entreprises. (Mme Virginie Klès proteste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour achever cet échange.
Mme Virginie Klès. Monsieur le rapporteur, je veux bien vous entendre, mais, dans la rédaction qui nous est proposée, le décret définit seulement les « conditions » dans lesquelles une consultation est possible, il ne détermine pas la qualité de ces « certains » qui seront habilités à consulter.
C’est pourquoi je m’interroge. Est-il juridiquement correct d’écrire « certains opérateurs économiques » ? Mais peut-être me posé-je trop de questions…
Mme la présidente. Le problème peut trouver une solution dans le cadre de la navette.
Je mets aux voix l'amendement n° 3.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5 ter, modifié.
(L'article 5 ter est adopté.)
Article 6
(Non modifié)
Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités d’application de la présente loi. Il définit notamment les modalités et la date de mise en œuvre des fonctions électroniques mentionnées à l’article 3.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 17, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Première phrase
Après les mots :
pris après avis
insérer le mot :
conforme
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit d’un amendement de coordination.
Mme la présidente. L'amendement n° 20, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Première phrase
Après le mot :
avis
Insérer le mot :
motivé et publié
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 17.
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 20 est également un amendement de coordination.
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 17.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 17 et un avis favorable sur l’amendement n° 20.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Les articles 323-1, 323-2 et 323-3 du code pénal sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque cette infraction a été commise à l’encontre d’un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende. »
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 323-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les infractions prévues aux deux alinéas précédents ont été commises à l’encontre d’un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende. »
2° Les articles 323-2 et 323-3 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque cette infraction a été commise à l’encontre d’un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État, la peine est portée à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende. »
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement a pour objet de maintenir la cohérence de l’échelle des peines.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement vise à renforcer la répression pénale du piratage des fichiers mis en œuvre par l’État. Ce renforcement des peines encourues semble justifié eu égard à la sensibilité toute particulière des fichiers concernés.
La peine de sept ans est notamment encourue pour les atteintes au secret de la défense nationale ou la constitution de faux aggravé.
Une autre possibilité pour renforcer la répression pénale était d’élever l’amende à 300 000 euros. C’est ce que prévoyait initialement la proposition de loi, s’inspirant en cela des peines habituellement encourues pour non-respect des prescriptions de la CNIL.
Mais il est opportun de réprimer plus sévèrement les atteintes portées aux fichiers mis en œuvre par l’État. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 7 est ainsi rédigé.
Article additionnel après l’article 7
Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le cinquième alinéa de l’article 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – le système de gestion commun aux passeports et aux cartes nationales d’identité ; »
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. L’article 9 de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme autorise les services de police et de gendarmerie spécialisés, désignés par arrêté, à accéder à certains fichiers administratifs pour les besoins de leurs missions administratives ou judiciaires.
Parmi ces fichiers figurent le système de gestion des cartes nationales d’identité et le système de gestion des passeports.
Dans la mesure où la proposition de loi crée une base nouvelle, commune aux cartes d’identité et aux passeports, mais juridiquement distincte des deux bases actuelles, il semble opportun d’ajouter ce nouveau système de gestion à la liste prévue à l’article 9 de la loi du 23 janvier 2006.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il n’y a aucune difficulté sur ce point.
Cet amendement de coordination vise à donner accès aux services de lutte contre le terrorisme au fichier commun des cartes nationales d’identité et des passeports.
Actuellement, ces services ont accès à chacun des deux fichiers séparés de gestion des cartes nationales d’identité et des passeports sans pouvoir utiliser les empreintes digitales. Or, précisément, le système que vous avez accepté en adoptant le texte de la commission est conforme à cette situation.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.
Article 7 bis (nouveau)
Toute décision rendue en raison de l’usurpation d’identité dont une personne a fait l’objet et dont la transcription ou la mention sur les registres de l’état civil est ordonnée, doit énoncer ce motif dans son dispositif. – (Adopté.)
Article 8
(Non modifié)
La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République. – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 9, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Cet amendement vise à lever le gage sur l’ensemble de la proposition de loi.
Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche , est ainsi libellé :
1° Après les mots :
de la présente loi
insérer les mots :
à l’exception des frais engendrés par l’application de l’article 3
2° Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Les taux de l’impôt mentionné au second alinéa de l’article 219 du code général des impôts sont augmentés à due proportion des dépenses engagées en raison de l’application de l’article 3 de la présente loi. Un décret précise les modalités d’application de cet alinéa.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 18 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 9 ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis très favorable ! (Sourires.)
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, le groupe socialiste est évidemment favorable à la protection de l’identité et à la lutte contre l’usurpation d’identité.
Nous soutenons également les dispositions adoptées dans la présente proposition de loi, à quelques exceptions près, dont une essentielle : nous n’avons pas obtenu ce que nous demandions sur la gestion des données contenues dans la puce « vie quotidienne », cette puce facultative dont pourra être dotée la future carte nationale d’identité électronique.
C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur ce texte.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
9
Journée nationale de la laïcité
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de l’examen de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité », présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Claude Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 269).
Je vous rappelle que nous avons entamé la discussion de cette proposition de résolution le 28 avril dernier
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mlle Sophie Joissains.
Mlle Sophie Joissains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quinze mois, j’ai déposé sur le bureau de notre Haute Assemblée une proposition de résolution instituant une journée nationale de la laïcité et de la cohésion républicaine le 9 décembre, date anniversaire de l’adoption de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Si cette proposition a été déposée dans un contexte particulier, sa justification n’était malheureusement pas conjoncturelle. Notre société souffre de l’effritement et de la remise en cause progressive de ses valeurs, du cloisonnement plus concret chaque jour entre les communautés ethniques, religieuses, mais également entre les différents niveaux sociaux.
Égalité des chances, ascenseur social sont des notions en perte de sens. La laïcité est au premier rang des acquis de la Révolution française. C’est l’un des rouages qui permettent l’égalité de chacun face à ses droits et à ses devoirs, un rouage essentiel à la définition d’un espace du « vivre ensemble » où les différences sont symboliquement abolies.
Née de violents conflits anticléricaux, la laïcité, comme la République, toutes deux baignées du sang révolutionnaire, sont aujourd'hui devenues les gardiennes sages et vigilantes des droits et des devoirs fondamentaux de tous et de chacun.
Le principe de l’égalité des droits de l’homme et de ceux de la femme est la problématique majeure, le débat fondamental, qui a ramené la laïcité au cœur de la scène publique. Le port de vêtements vus, vécus, à tort ou à raison, comme des symboles religieux marquant une infériorité de la femme par rapport à son homologue masculin ne pouvait qu’inquiéter nos consciences républicaines.
Liberté religieuse, vestimentaire, d’opinion, égalité des droits et des statuts, le chemin menant à la vérité est difficile à trouver. La laïcité doit être présente pour limiter les excès et imposer un corpus de règles communes à tous.
Une laïcité de fermeté, mais également une laïcité de tolérance, qui soit le bannissement de tous les intégrismes religieux ou laïques, qui permette l’identité jusqu’à la limite du respect de l’autre, de la loi et des principes républicains les plus fondamentaux.
La proposition de résolution qui vous est présentée ce soir, mes chers collègues, a été retravaillée par Claude Domeizel et par moi-même dans un objectif d’épure républicaine. Ce n’est pas habituel : ce texte n’est ni de droite ni de gauche. Nous ne partageons pas les mêmes options politiques, mais nos familles de pensée respectives reposent sur une grande idée qui nous est commune à tous : celle de la France et de la République. C’est de cela qu’il s’agit ici.
Le texte ne prévoit pas d’instituer une journée commémorative, il n’y en a que trop, mais il met en place un symbole républicain vivant qui, l’espace d’une journée, ni fériée ni chômée, au sein des écoles, des ministères, du monde associatif, interroge enfants, professeurs, chercheurs, politiques sur ce qu’est la laïcité, sur ce que doit être et devenir cet espace particulier de respect, de partage, de curiosité, de « vivre ensemble ».
Cette proposition de résolution est un symbole, mais elle se veut aussi une amorce. D’autres mesures d’intérêt général, issues du même esprit de cohésion, concernant tant l’éducation que le service civique, devront prendre place dans notre édifice républicain, pour nos enfants, pour l’avenir de la France, pour son rayonnement philosophique, dans un monde où une mondialisation aveugle et tendant à l’uniformisation se développe. Une mondialisation difficilement évitable et face à laquelle nous devons, en confiance, imposer et défendre un des systèmes les plus beaux qui soit au monde.
Ce système, cette philosophie, mélange de liberté et de fraternité qui a fait le siècle des Lumières, a permis à chacun d’exister en tant que citoyen, de bénéficier de soins et des vertus de l’enseignement en dehors de toutes considérations financières.
Je ne connais pas, je me répète, de plus beau système au monde. Cet esprit frondeur, humaniste, généreux et libre-penseur pourrait, demain, disparaître. Le souvenir doit rester vivant. L’histoire s’efface de la mémoire de nos enfants, et c’est alors le sens des choses qui s’enfuit. Pourquoi la fraternité ? Pourquoi l’égalité, la liberté, la laïcité ? À quoi correspondent-elles si en soi rien ne résonne ?
La laïcité est un principe dont le fondement législatif doit, à mon sens, rester inchangé. Toucher à un symbole comporte toujours le risque de l’altérer. C’est dangereux, trop dangereux…
Ce principe doit pénétrer la conscience de nos enfants et la nôtre. Cette journée, sans être une panacée, doit et peut donner du sens à ce qui est, dans notre République, le fondement du « vivre ensemble ». Laïcité ne signifie plus haine du religieux, laïcité ne signifie pas reniement de notre histoire, de notre culture ou négation de notre patrimoine historique. Laïcité signifie, aujourd'hui, transmuer le choc des cultures en richesse des civilisations.
Portons haut cette valeur, ce ciment de la République, et donnons-lui toute sa place dans la reconstitution de notre grand socle républicain. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la séance du 28 avril dernier, la discussion sur cette proposition de résolution a été interrompue pour respecter notre règlement, ce que je peux comprendre.
Pour autant, je regrette profondément cette interruption, car elle a cassé la dynamique et l’unité du débat sur un sujet aussi sensible que celui de la laïcité. Du 28 avril à aujourd'hui, la coupure fut un peu longue…
Certes, les Français ont d’autres préoccupations, le pouvoir d’achat, la montée des prix des carburants, l’insécurité, la scolarité de leurs enfants... Mais, justement, en période de difficultés économiques, l’histoire a montré que la réaction primaire consiste à chercher un bouc émissaire. Souvent, le responsable désigné, c’est l’autre, celui qui n’a pas la même culture ou la même religion.
C’est bien la preuve que le concept de laïcité, fondement d’un destin commun pour des hommes et des femmes qui ne partagent pas les mêmes croyances, devient très flou dans l’adversité.
Dans ces circonstances, pourquoi ne pas consacrer une journée par an pour rendre ce concept plus vivant et pour mieux l’expliquer aux uns et aux autres. ? Notre pays y gagnerait en tolérance, en acceptation réciproque et donc en paix sociale.
Faut-il laisser aux seules autorités publiques, c'est-à-dire à l’État et aux collectivités territoriales, le soin de veiller au respect de ce principe et de répondre, au cas par cas, aux problèmes posés ? Que ce soit pour l’utilisation des salles, pour la mise à disposition de la piscine ou pour l’offre dans les restaurants scolaires, les solutions oscillent selon les communes entre stigmatisation et laxisme. L’égalité de traitement du citoyen, autre principe républicain, nous oblige donc à apporter une réponse uniforme sur tous ces sujets.
Au cours de la journée de la laïcité, les rencontres, les initiatives, les tables rondes entre citoyens de toutes origines ont plus de chances de déboucher, dans la sérénité, sur des analyses consensuelles et respectueuses, barrant la route à une instrumentalisation haineuse de ces thèmes.
L’objet de cette proposition de résolution n’est pas non plus de raviver des polémiques. Cependant, celles-ci ne se régleront pas toutes seules, et l’on ne fera pas l’économie d’une prise de conscience collective. Organiser une journée sur la laïcité peut permettre d’agir et de prévenir pour endiguer toute dérive.
Il se trouve, d’ailleurs, que les députés de la majorité, ont déposé également une proposition de résolution « sur l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse », qui a été discutée, par le plus grand des hasards, et le hasard fait bien les choses, hier, à l’Assemblée nationale. Ce 31 mai – et nous sommes encore dans la séance du 31 mai - se trouve donc consacré, en quelque sorte, par le calendrier parlementaire « journée parlementaire sur la laïcité ». (Sourires.)
J’ose espérer que par « liberté religieuse », M. Copé et les cosignataires de ce texte entendent « liberté de conscience ». Sinon, ils commettent une grossière erreur sur le sens de la laïcité. Bien involontairement, sans doute, ils donnent du grain à moudre à notre argumentation.
Que trouve-t-on dans cette proposition ? Une exigence de clarification des règles – jusque-là, nous sommes d’accord –même si nous préférons que cette clarification s’opère au travers d’une journée de sensibilisation, d’échanges et de prise de conscience plutôt qu’en décrétant son caractère obligatoire. Mais, au final, la proposition de M. Copé vise uniquement à mettre en cause les termes de la loi de 1905, ce qui, à mes yeux, est inacceptable.
La loi de 1905 n’a pas à être modifiée, car elle répond à tous les cas de figure.
Je le répète, la laïcité n’a pas à être débattue, elle se vit et s’applique en tant que principe fondateur de la République, et qui lui est consubstantiel.
Avec mes collègues socialistes, nous proposons de prendre le temps d’expliquer le concept de laïcité, plus particulièrement au cours d’une journée qui lui serait dédiée.
Bien sûr, certains diront qu’il s’agit encore d’une journée à thème, d’autant qu’il y en a déjà beaucoup. Je leur répondrai que de telles journées, comme les jours de fête, prouvent leur utilité... Au vu de l’écho favorable suscité par notre proposition et des nombreux encouragements que nous avons reçus, je ne doute pas un instant qu’une journée de la laïcité provoquera l’engouement et l’adhésion de nombre de nos concitoyens, qui, à leur niveau, voudront participer à cet élan et apporter leur pierre à la consolidation de la laïcité.
Mes chers collègues, je vous demande de nouveau de réfléchir aux bénéfices considérables que peut nous apporter, en termes de cohésion républicaine, une journée dédiée à la laïcité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mlle Sophie Joissains applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec grand plaisir que j’ai entendu à l’instant Mme Joissains et M. Domeizel s’exprimer dans le même sens. Je ne doute pas que M. Signé fera de même.
La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est, assurément, un texte fondateur de la République. Or, comme vous le savez, mes chers collègues, le mot « laïcité » n’y figure pas, même si l’article 1er de ce texte en définit l’esprit : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Notez bien, mes chers collègues, qu’il s’agit d’une loi de séparation « des Églises » et de l’État…
La Constitution de 1958 a repris cette formulation : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Le mot « laïcité », si important pour nous, se suffit à lui-même. Ici ou là, j’ai pu entendre parler de « laïcité positive » ; mais si la laïcité est vécue dans l’esprit qui est le sien, elle est nécessairement positive : elle ne peut pas être négative.
J’ai également entendu parler de « laïcité ouverte » ; mais si la laïcité est vécue dans l’esprit qui est le sien, elle ne saurait être fermée.
Aussi bien, mes chers collègues, ne parle-t-on jamais de la République « positive » ou de la République « ouverte » ; on dit simplement « la République ». On ne parle pas non plus de l’égalité « positive » ou de l’égalité « ouverte » ; on dit simplement « l’égalité ». Idem pour la liberté.
Oui, la notion de « laïcité » se suffit à elle-même.
J’entends que certains veulent revenir sur la loi de 1905, Claude Domeizel y a fait allusion à l’instant. Tel n’est pas notre souhait, car ce texte est devenu un symbole, au même titre que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946.
La loi de 1905 fait partie des textes fondateurs de la République, elle est le symbole d’une République fraternelle, où tous les enfants apprennent les uns à côté des autres, dans la même école, quelles que soient les convictions de leurs parents. Chacun a sa place dans la République laïque, fraternelle, avec ses certitudes, ses incertitudes, ses croyances ou ses absences de croyances, ses doutes, ses convictions, ses recherches, sa quête intime, profonde, solitaire ou partagée avec d’autres, du sens, de la vérité, de sa part de vérité, de ce qu’il pense être le vrai.
Nous sommes tous là, dans le respect de l’humaine fraternité.
Cette laïcité n’est pas forcément majoritaire dans le monde, et de nombreux systèmes ne s’en réclament pas. Pourtant, nous pouvons voir en France combien ce principe emporte de bienfaits, si bien que nous avons raison de proclamer qu’il a valeur universelle, qu’il vaut pour le monde.
Nous ne sommes pas forcément, les uns et les autres, des adeptes de la multiplication des commémorations. Mais ce que nous voulons instaurer ici est, me semble-t-il, autre chose qu’une commémoration un peu rituelle. Il s’agit en effet que le 9 décembre, jour de la promulgation de cette loi de séparation des églises et de l’État, dans tous les établissements scolaires de la République française, on appelle à la réflexion sur ce principe de laïcité si important pour notre pays et au-delà, ce principe qui définit les règles du « vivre ensemble », dans le respect de chaque être humain, ce principe qui est pour nous une source profonde d’humanisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité a permis à la France d’entrer dans la modernité et en démocratie. Elle marque la séparation du civil et du religieux dans l’État. L’adjectif « laïc » s’oppose au mot « clérical » pour désigner l’indépendance par rapport à toute autorité religieuse, ce qui, pour les républicains de la IIIe République, renvoyait à la prétention du personnel religieux à régir un État au nom de Dieu.
Le concept de laïcité, au sens de laos, « du peuple », est ancien. Il est apparu au XIIIe siècle mais surtout au XVIe siècle, par opposition aux institutions proprement religieuses.
Il trouve ses racines dans les écrits des philosophes grecs et romains tels que Marc-Aurèle et Épicure, ceux des penseurs des Lumières comme Diderot et Voltaire, ou Thomas Jefferson et Thomas Paine aux États-Unis, et en France à travers les lois de Jules Ferry ainsi que les écrits des libres penseurs modernes, agnostiques ou athées. Pour eux, le triomphe du théologico-politique, c’est l’étouffement de la liberté de conscience et le retour des procès d’intention avec la traque du passé non conforme.
Le principe de laïcité affirme donc que le politique et le religieux n’ont rien de commun. Les tables de la loi religieuse ne doivent pas peser sur l’organisation de la vie de la cité qui correspond à une certaine conception du « vivre ensemble » – la chose a déjà été dite –, dans le respect des droits humains auxquels chacun peut prétendre. Selon ce principe, la croyance religieuse relève de l’intimité de l’individu.
La laïcité permet la sanctuarisation de l’espace public. Elle est soucieuse que les croyants puissent se faire entendre dans un esprit de tolérance et d’humanité.
Pour reprendre la formule de Jean Baubérot, la laïcité se définit par la sécularisation de l’État, la liberté des cultes et l’égalité des croyances entre elles.
Ce principe est simple. Il n’a pas pour objet de concevoir un discours spécifiquement pensé pour, ou plutôt à l’encontre de telle ou telle catégorie de population, de telle ou telle religion. Il rejette tout processus qui menace ou séduit les pouvoirs temporels ou spirituels sans pour autant organiser une déshumanisation qui aboutirait au refus de laisser les croyants et leurs institutions s’exprimer sereinement.
Radicale dans son principe, la conception française n’est pas totale. Le système éducatif français, construit autour de l’école laïque, gratuite et obligatoire, souligne que la formation religieuse ne fait pas partie du cursus des élèves, mais que les établissements peuvent disposer d’aumôneries et que des groupes de pratiquants actifs peuvent être créés – ils le sont d’ailleurs dans certaines écoles.
Aujourd’hui, cette loi acquiert une nouvelle actualité et invite à ouvrir un débat qui serait pour le moins surprenant si, monsieur le ministre, l’objectif électoral n’était pas évident. On parle de laïcité comme si on venait de la découvrir ! On évoque les difficultés rencontrées par les pratiques religieuses islamiques, comme les prières dans la rue, alors que la construction de mosquées est passée en dix ans de 1 000 à 2 000 ! Le débat sur les signes ostentatoires religieux portés dans les lieux publics, l’habillement, l’alimentation, la date des examens adaptée au calendrier des fêtes juives ou islamiques, ont ou vont trouver solution.
En vérité, la question tient à la place réservée à l’islam au sein de la société française. Le débat ne doit pas être prétexte à créer une tension qui, en filigrane, aurait pour objet de récupérer les thèmes sécuritaires et identitaires, alors qu’il pourrait être engagé, s’il doit l’être, dans des perspectives de réflexion, de proposition et de confiance.
Il semble que cet objectif soit oublié pour se résumer à une opposition à la montée de l’islamisme.
Par principe, la laïcité est un concept étroitement lié à celui de la liberté d’expression et d’opinion où l’État s’affirme areligieux et non pas antireligieux. Y voir une sorte d’hostilité de principe à la religion serait le plus grand contresens que l’on puisse faire à propos de la laïcité.
Que chercher de plus ? La laïcité est un principe intangible. C’est le socle de la République et de la démocratie, c’est un bien commun. Le mouvement de laïcisation et de sécularisation engagé en 1789 a connu, le 9 décembre 1905, sa dernière étape.
C’est donc une date capitale qui met fin au concordat napoléonien et à l’union entre l’Église catholique et le pouvoir politique. Les écoles doivent en faire un enseignement prioritaire dès l’école primaire.
Instituer une journée de la laïcité, ni fériée ni chômée, affichant la cohésion républicaine et affirmant que la préservation et l’approfondissement de notre démocratie doivent nous soucier quotidiennement n’est donc pas inutile.
Ce n’est pas commémorer dans le vide un reliquat poussiéreux des antiques luttes pour construire notre démocratie. C’est dire que l’on mesure le danger de l’emprise du religieux sur le politique et du politique sur le religieux, emprise qui peut s’imposer aux esprits et violer l’intimité des individus. Telle est la raison de notre demande quelque peu insistante quant à cette journée de la laïcité.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au travers de cette proposition de résolution, la Haute Assemblée se saisit de la place du principe de laïcité dans notre société et de l’application de ce dernier.
Cette proposition déposée en janvier dernier démontre – faut-il le souligner ? – que le débat qui a traversé la société française ces dernières semaines répond à une attente réelle de nos concitoyens, une attente de clarification des règles et de réaffirmation d’un certain nombre de principes pour mieux vivre ensemble.
Ce débat est légitime et la Haute Assemblée a eu raison de s’en saisir.
Il est du reste parfaitement réconfortant pour les républicains que nous sommes de constater la convergence des réflexions et des démarches pour redire toute l’importance que nous attachons au principe de la laïcité et aux conséquences pratiques que nous en tirons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un peu plus de six ans, la France célébrait le centenaire de la loi du 9 décembre 1905, montrant par là l’attachement de la communauté nationale aux grands équilibres de la laïcité à la française qui garantit la liberté de croire ou de ne pas croire.
Cela n’a rien de contradictoire – je le dis par référence au débat qui avait été entamé voilà quelques semaines – avec le constat de nos racines historiques qui sont purement et simplement des faits.
Cette laïcité est le résultat d’une longue histoire qui n’a pas été simple. Mais en dépit des crises et des conflits, comme l’avait d’ailleurs prévu l’un de ses pères fondateurs, Ferdinand Buisson, la laïcité fait désormais pleinement partie du « patrimoine national français ».
La question qui est posée aujourd’hui par la Haute Assemblée est celle de la célébration d’une journée nationale de la laïcité. Ni fériée ni chômée, cette journée nationale serait l’occasion de « manifestations éducatives, associatives et des travaux proposés par les pouvoirs publics ».
Cette proposition de résolution vise à rappeler l’attachement de la communauté nationale au principe de la laïcité. L’Assemblée nationale œuvre également en ce sens. Elle a adopté une proposition de résolution hier après-midi. Pour avoir assisté à ces travaux, je peux dire que je n’y ai pas vu, en quoi que ce soit, une remise en cause de la loi de 1905.
Le Gouvernement est naturellement favorable à ce que la laïcité, valeur fondamentale du pacte républicain, soit réaffirmée et promue. Je considère donc de façon positive cette proposition de résolution.
Je crois pourtant utile et nécessaire de mieux faire connaître, tout au long de l’année, la portée du principe de laïcité dans l’organisation de notre société, que ce soit dans les services publics ou dans le partage de l’espace public.
La laïcité constitue une exigence de tous les jours au même titre que notre devise républicaine. À ce titre, j’ai donc proposé le 15 avril dernier, au nom du Gouvernement, un certain nombre de mesures, après avoir réaffirmé qu’il n’était pas question de modifier la loi de 1905 bien que, souvenons-nous en, cette dernière ait déjà été modifiée une dizaine de fois.
Permettez-moi de profiter de cette occasion pour présenter brièvement les mesures annoncées ce jour-là.
D’abord, un « code de la laïcité et de la liberté de conscience » sera élaboré et publié dans les tout prochains jours. Ce sera une compilation des textes existants et de la jurisprudence ; il ne s’agira donc, en aucune façon, d’une refonte de la loi de 1905.
Ce code permettra une meilleure connaissance du principe de laïcité et participera donc à la prévention de conflits éventuels. Il répond à l’objectif à valeur constitutionnelle d’accès et d’intelligibilité de la règle de droit.
La formation initiale et continue des fonctionnaires intégrera l’apprentissage de la laïcité.
L’enseignement à l’école de la laïcité sera mieux identifié dans le cadre de l’instruction civique ; c’est une réponse directe à la proposition de résolution qui est actuellement en débat.
Cet enseignement, qui a déjà sa place tout au long du parcours scolaire, sera renforcé par une circulaire du ministre de l’éducation nationale.
Des « correspondants laïcité » seront désignés dans les administrations au niveau tant central que local.
Ce dispositif, mesdames, messieurs les sénateurs, me semble de nature à répondre à votre souci de mieux faire respecter la règle et de mieux la faire connaître. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Rappelant que l’article 1er de la Constitution proclame que la France est une République laïque,
Considérant que la laïcité doit être un principe fondamental constamment rappelé, car il est ce qui nous permet de vivre ensemble, dans le respect des croyances et pratiques religieuses, des opinions et convictions diverses de chacun ;
Demande que la République française instaure une Journée nationale de la laïcité, garante de la cohésion républicaine, non fériée ni chômée, fixée au 9 décembre, et permettant chaque année de faire le point sur les différentes actions menées en la matière par les pouvoirs publics, ainsi qu’être l’occasion de manifestations au sein du système associatif et éducatif.
Mme la présidente. Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote sur l’ensemble.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité ».
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 221 :
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 310 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 156 |
Pour l’adoption | 284 |
Contre | 26 |
Le Sénat a adopté.
10
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 1er juin 2011, à quatorze heures trente :
1. Proposition de loi relative à la modernisation du congé maternité en faveur de la protection de la santé des femmes et de l’égalité salariale et sur les conditions d’exercice de la parentalité (n° 492, 2009-2010).
Rapport de Mme Claire-Lise Campion, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 555, 2010-2011).
2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (n° 510, 2010-2011).
Proposition de loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de schiste (n° 377, 2010-2011).
Proposition de loi visant à abroger les permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures non conventionnels et à interdire leur exploration et leur exploitation sur le territoire national (n° 417, 2010-2011).
Rapport de M. Michel Houel, fait au nom de la commission de l’économie (n° 556, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 557, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 1er juin 2011, à deux heures quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART