M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Eh oui !
Mme Annie David. Pour ma part, je ne minimise pas l’enjeu symbolique que représente Strasbourg dans le processus de construction de l’Union européenne, car il va sans dire que cette ville incarne bel et bien la réconciliation franco-allemande…
M. Guy Fischer. C’est sûr !
Mme Annie David. … et s’impose, par là même, comme l’un des actes fondateurs de l’Europe actuelle.
En outre, dans un contexte où la légitimité démocratique de l’Union européenne est en perte de vitesse, comme en témoigne la baisse constante du taux de participation aux élections, les députés européens, en se concentrant sur ce faux débat, perdent en crédibilité. Pourtant, le 9 mars 2011, ceux-ci ont approuvé à 58 % la suppression de l’une des sessions plénières du Parlement à Strasbourg !
En outre, non contents de ne pas respecter les traités, les eurodéputés britanniques conservateurs ont déposé cet amendement à la dernière minute, avant de le faire approuver selon la procédure du vote secret.
Soit dit en passant, cela ne dénote pas un très grand courage politique ni une très grande assurance dans le bien-fondé de cette proposition.
MM. Guy Fischer et Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
Mme Annie David. Or, après ce premier « coup de canif » dans les traités de l’Union européenne, et fort de sa première victoire, le groupe des « anti-strasbourgeois » a désormais décidé de s’attaquer au protocole n° 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : ils entendent désormais déplacer le Parlement européen à Bruxelles !
Les arguments invoqués par ces députés sont tous sinon fallacieux, à tout le moins démagogiques. En effet, arguant des coûts entraînés par les déplacements entre Strasbourg et Bruxelles, des difficultés d’accès à la ville de Strasbourg et de la nécessité de rapprocher le Parlement de la Commission pour une « meilleure collaboration », ce groupe de députés semble avoir occulté le fait que l’Union européenne ne se résume pas à sa seule capitale économique, financière et, comme le rappelait Yvon Collin, technocratique, à savoir Bruxelles.
Ainsi, à Strasbourg siègent également le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme et le Médiateur européen.
De plus, le Parlement européen tient certaines de ses sessions à Luxembourg, où siège également la Cour de justice de l’Union européenne.
Quant à la BCE, la Banque centrale européenne, elle a son siège à Francfort, Europol étant, quant à lui, localisé à La Haye.
Et c’est bien cette multiplicité des lieux d’exercice de l’institution européenne qui donne véritablement à cette dernière son visage européen. C’est ce qu’a rappelé Roland Ries tout à l’heure quand il évoquait le choix fait par l’Europe de déconcentrer ses lieux d’exercice du pouvoir, choix qui a fait sa grandeur.
Certes, les coûts entraînés par les déplacements pourraient justifier de donner au Parlement européen un siège unique ; mais, dans ce cas, il va sans dire que Strasbourg devrait être ce lieu unique.
Abritant déjà le Conseil de l’Europe, Strasbourg, contrairement à Bruxelles, s’impose comme la capitale européenne naturelle des droits de l’homme et de la démocratie.
Comme il est rappelé dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, Strasbourg a été choisie en raison de sa position géographique, de sa situation transfrontalière et de son histoire mouvementée.
Ville meurtrie et marquée par une double culture, Strasbourg est devenue une ville de rencontre et de brassage, et c’est dans cette ville, sur une proposition d’un autre Britannique, ministre travailliste des affaires étrangères, que l’assemblée a tenu sa première réunion en 1952.
Cela justifie que la seule institution de l’Union européenne dépositaire d’une légitimité démocratique reste dans cette ville.
De plus, à l’heure où la ville de Bruxelles est devenue le symbole d’une succession de politiques « antisociales » décrétées par les conseils européens, et dont la plus récente prend la forme d’un « pacte de super-rigueur » injuste, concocté par Angela Merkel, avec la collaboration de Nicolas Sarkozy, et dont les mesures principales consistent à déconnecter salaires et inflation, à faire peser la charge des économies sur le travail et non sur le capital,…
M. Guy Fischer. C’est « l’hyperaustérité » !
Mme Annie David. … installer le siège du Parlement européen à Bruxelles n’aurait, à mon sens, que des conséquences négatives pour la démocratie européenne.
Pour conclure – j’aurais pu m’exprimer plus longuement, mais il me faut respecter le temps qui m’est imparti –, je souhaite souligner que, si le Parlement européen connaît des dysfonctionnements, ceux-ci ne tiennent pas tant au lieu de son siège qu’aux pratiques de certains lobbies, qui essaient d’entraîner des eurodéputés – malheureusement, parfois avec succès – dans des pratiques peu vertueuses.
M. Guy Fischer. Eh oui ! On compte 15 000 lobbies !
Mme Annie David. Dès lors, contrairement à ce que semblent penser certains eurodéputés, la priorité est non pas de déplacer le siège du Parlement de Strasbourg vers Bruxelles, mais plutôt de lutter contre ce fléau, qui, comme en témoigne l’actualité, aurait tendance à se répandre.
Pour toutes ces raisons, je suis convaincue que le Parlement européen, n’en déplaise à certains, doit rester à Strasbourg. Déplacer son siège vers Bruxelles ne ferait qu’enterrer l’espoir d’une Europe sociale, pour laquelle des politiques fortes en direction des populations, de l’emploi et de la solidarité sont plus que jamais attendues et nécessaires.
C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’empresse de dire que je soutiens bien sûr pleinement la proposition de résolution présentée par notre collègue Roland Ries ; je la soutiens à titre personnel, au nom du groupe UMP et au nom de mes collègues alsaciens.
En effet, à Strasbourg, en Alsace, cette question suscite une belle unanimité : unanimité des parlementaires, sénateurs et députés, unanimité des maires, des conseillers généraux, des conseillers régionaux, unanimité de l’Alsace tout entière à défendre la vocation européenne de Strasbourg.
Cette mobilisation des Strasbourgeois, des Alsaciens, n’est pas dictée que par le seul intérêt, même s’il s’agit d’un intérêt bien compris.
C’est un rapport très particulier à l’Europe que la capitale alsacienne entretient. Au long des siècles, elle a appris, comme l’a longuement évoqué notre collègue Roland Ries, le prix de la paix. Ainsi que l’a rappelé le Président de la République, le 8 mai dernier, à Colmar, « l’Alsace sait ce que le mot guerre veut dire ».
Elle a su construire patiemment la réconciliation, et ce à au moins deux reprises : d’abord, une réconciliation essentielle avec l’Allemagne, dès l’immédiat après-guerre, alors que toutes les plaies étaient encore ouvertes ; ensuite, plus récemment, en 1989, une réconciliation de l’est et de l’ouest du continent européen.
C’est à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, que les peuples de l’Est sont venus chercher leurs soutiens et leurs appuis. Ce n’est pas par hasard si le président Václav Havel appelle « génération Strasbourg » ces femmes et ces hommes qui ont apporté la démocratie et les droits de l’homme dans leurs pays respectifs.
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
M. André Reichardt. Oui, chaque Strasbourgeois, chaque Alsacien entretient un rapport charnel à l’Europe. Et nos collectivités s’engagent depuis des décennies afin de répondre par l’action et par les faits à ceux qui voudraient défaire les traités internationaux et déplacer le Parlement européen à Bruxelles.
La région Alsace vient par exemple de lancer les études afin de relier par le TER l’aéroport international de Bâle-Mulhouse au centre-ville de Strasbourg. Roland Ries nous a rappelé quant à lui les efforts engagés, sur le plan ferroviaire, en faveur d’un second Thalys.
Monsieur le ministre, l’argument selon lequel Strasbourg serait inaccessible autrement qu’à dos de cigogne ne tiendra plus désormais ! (Sourires.)
De la mauvaise foi, les détracteurs de Strasbourg, siège du Parlement européen, en ont à revendre. Parfois, il est vrai, ils visent juste, et Strasbourg, bien souvent, aurait tout intérêt à oser : oser se développer, oser accueillir de grands événements populaires comme le championnat d’Europe de football, auquel elle a malheureusement renoncé, oser rayonner au rythme d’une métropole.
Mais, mes chers collègues, l’enjeu n’est pas strasbourgeois ; il est national, il est européen.
Le Parlement européen est la seule institution de l’Union européenne à avoir son siège en France. Cela est inscrit dans les traités, tout particulièrement dans le traité d’Amsterdam : Strasbourg, redisons-le, est le siège du Parlement européen !
Alors, au nom de quoi devrions-nous accepter que les traités internationaux soient appliqués à la lettre quand il s’agit de fixer le siège de la Commission à Bruxelles, celui de la Banque centrale à Francfort, celui de la Cour de justice à Luxembourg, et qu’ils ne le soient pas quand il s’agit de fixer le siège du Parlement européen à Strasbourg ?
Au nom de quoi devrions-nous nous taire quand des parlementaires européens se mettent en tête, pour des motivations qu’il ne nous appartient pas de juger, mais sur lesquelles nous pouvons émettre les plus vives réserves, de siéger à Bruxelles plutôt qu’à Strasbourg ?
Le Gouvernement réagit. Il le fait avec fermeté, monsieur le ministre, et je voudrais ici saluer son action.
Mais Strasbourg a besoin de vous, elle a besoin de ses parlementaires, de leur engagement et de leur soutien.
C’est en effet la parole de la France qui est en jeu, c’est la place de notre pays dans la construction européenne qui est en cause.
Nous entendons bien l’argument suivant lequel le travail parlementaire serait facilité à Bruxelles puisque l’exécutif européen, c’est-à-dire le Conseil et la Commission, y ont leur siège. Soit !
Mais, dans ce cas, puisqu’il faut réviser les traités, révisons-les de fond en comble et transférons en un lieu unique à définir – et pourquoi pas, cher Roland Ries, à Strasbourg ? –, la Banque centrale, la Cour de justice, la Cour des comptes. Pendant qu’on y est, rapatrions donc aussi au même endroit les différents organismes et agences de l’Union.
Je croyais que l’Europe en avait fini avec le cauchemar du centralisme bureaucratique. Vous avez compris que nous n’en prendrions pas le chemin.
Je croyais aussi que le modèle européen était le polycentrisme, que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer longuement. Et c’est bien ce modèle polycentrique que nous devons défendre si nous voulons renforcer la démocratie européenne.
L’enjeu de la localisation du siège du Parlement européen à Strasbourg dépasse le niveau local et même national ; c’est un enjeu pour l’Europe tout entière.
Lorsqu’il se réunit à Strasbourg, le Parlement européen tient des débats de nature politique – j’insiste sur ce terme.
Lorsque le Parlement émet un vote de défiance contre la Commission – c’est arrivé –, il le fait non à Bruxelles, lors des séances additionnelles qu’il a le droit d’organiser, mais bien à Strasbourg. Pourquoi ?
Comme le veut un principe qui est quasiment devenu une loi dans l’histoire des démocraties parlementaires, un parlement existe réellement lorsqu’il prend ses distances par rapport à l’exécutif, au sens propre et au sens figuré, lorsqu’il n’en subit pas les actions constantes de lobbying. Un parlement existe lorsque c’est l’exécutif qui se déplace pour venir devant lui rendre des comptes.
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
M. André Reichardt. Mes chers collègues, imaginez-vous que nous ne puissions plus, demain, siéger au palais du Luxembourg et qu’il nous faille exercer notre mandat à côté de l’hôtel Matignon…
M. Yvon Collin. Non !
M. André Reichardt. … ou – pourquoi pas ? – à côté des différents ministères concernés par les textes qui nous occupent ?
M. Yvon Collin. Non !
M. André Reichardt. Serions-nous encore réellement le même Sénat ?
M. Guy Fischer. Non ! Certainement pas !
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. C’est du Montesquieu dans le texte !
M. André Reichardt. Eh bien, à l’échelle de l’Europe, la même chose se passe pour Strasbourg et Bruxelles.
À Bruxelles, le Parlement, qu’il le veuille ou non, est dans un plus grand état de dépendance par rapport à la Commission (M. Roland Ries acquiesce.) ; à Strasbourg, c’est exactement le contraire : il gagne en indépendance. C’est un fait !
C’est la raison pour laquelle Philippe Richert, actuel président du conseil régional d’Alsace, propose de transférer aussi à Strasbourg les travaux des commissions des groupes et les services du Parlement, lequel verrait ainsi garantie la plénitude de ses fonctions.
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Parfait !
M. Richard Yung. Très bien !
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un parlement a besoin d’autonomie, simplement parce que la démocratie a besoin de liberté. Et cette liberté démocratique et parlementaire, si chère à ceux qui se sont succédé sur l’ensemble de nos travées, Strasbourg la garantit au Parlement européen.
Mes chers collègues, mobilisons-nous : l’Europe n’a pas besoin de bureaucratie ; elle a avant tout et plus que jamais besoin de démocratie. (Applaudissements.)
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le maire de Strasbourg, mes chers collègues, les orateurs précédents ont excellemment expliqué les raisons institutionnelles fondamentales qui font que Strasbourg est le cœur du Parlement européen ; je n’y reviendrai donc pas.
J’incarne, me semble-t-il, une race en voie d’extinction : celle des Européens convaincus. Aujourd’hui, un Européen convaincu n’ose plus affirmer ses convictions, il rase les murs, il tait son souhait d’une Europe fédérale. C’est sous cet angle que j’aborderai la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui, car s’il est un symbole de l’Europe, un symbole, aussi, de l’amitié franco-allemande, c’est bien Strasbourg !
Tout d’abord, la place de Strasbourg au cœur de l’Europe est commandée par la géographie, puisque la ville est adossée au Rhin, fleuve européen qui traverse huit pays et concentre tant d’histoire.
Cette place se justifie aussi par le travail considérable qui est accompli à l’Eurodistrict de Strasbourg-Ortenau, doté de services publics communs, dont l’objet n’est rien de moins que la création d’une métropole de près d’un million d’habitants au cœur de l’Europe. On l’oublie trop souvent, mais c’est important.
Enfin, Strasbourg est bien évidemment un carrefour commercial et économique. La ville, carrefour routier, est aussi située sur la ligne ferroviaire qui dessert à la fois Stuttgart et le Bade-Wurtemberg, Munich et la Bavière, deux Länder qui réalisent respectivement 450 et 800 milliards d’euros de produit intérieur brut : excusez du peu ! Nous jouons incontestablement dans la cour des grands !
J’ajoute, après d’autres intervenants, que cette ville est chargée d’histoire. Elle est un symbole et de la culture française et de la culture allemande. Certes, ce symbole s’est construit dans la douleur, et nous respectons la souffrance des Strasbourgeois, qui ont changé quatre fois d’« occupants », si je puis m’exprimer ainsi, durant les quatre-vingts dernières années. Mais aujourd’hui, avec le recul, nous constatons bien que la richesse de cette ville tient précisément à son histoire. Strasbourg mène de front deux langues et deux cultures qui sont inscrites dans son urbanisme, dans son université, et plus généralement dans la vie quotidienne des Strasbourgeois.
Ville de culture, qui possède une grande université, avec laquelle j’ai un peu collaboré, Strasbourg est aussi un lieu d’accueil des religions persécutées. C’est une de ces grandeurs de la cité.
Rappelons aussi le serment de Koufra dans lequel, après avoir conquis cette oasis, celui qui n’était encore que le colonel Leclerc fait le serment de ne plus déposer les armes avant que le drapeau français ne flotte sur la ville de Strasbourg. Et il a tenu parole.
Pour ces raisons, mon cœur, comme celui de tous les Français sans doute, bat à l’évocation de Strasbourg.
Comme l’a rappelé André Reichardt, l’Europe se veut une structure décentralisée. Mes chers collègues, les tenants d’une concentration des pouvoirs, au lieu de se tourner vers Bruxelles, devraient plutôt regarder vers Bucarest...
M. Richard Yung. Eh oui ! À Bucarest, un dictateur fou a construit le plus grand palais du monde – vous l’avez sans doute visité –, car il avait l’idée de réunir tous les centres de pouvoir au même endroit. Il est vrai qu’il est plus facile pour l’exécutif de contrôler le Parlement lorsque le président et le Premier ministre siègent au vingt-cinquième étage ! C’est ni plus ni moins ce que nous proposent ceux qui veulent tout concentrer à Bruxelles… Je force un peu le trait, j’en conviens (Si peu ! sur les travées du groupe socialiste.), mais c’est malgré tout l’idée sous-jacente.
Et Strasbourg n’est qu’un exemple parmi d’autres. Dans de nombreux pays, il existe une répartition géographique des pouvoirs, expression de la séparation des pouvoirs que prônait Montesquieu. Ainsi, au Chili, en Afrique du sud ou en Australie, le parlement siège dans une ville et le gouvernement dans une autre. Dans certains pays, le pouvoir judiciaire siège même dans une troisième ville.
La localisation du Parlement européen à Strasbourg s’inscrit dans la logique des institutions démocratiques et d’une construction européenne forte et voulue ; nous soutenons donc ce projet de résolution. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 mars dernier, à l’occasion de l’adoption de son calendrier pour les sessions 2012 et 2013, le Parlement européen votait, à bulletin secret, un amendement visant à scinder les deux sessions plénières d’octobre en deux jours chacune et, par ce biais, décidait de regrouper ces deux sessions plénières en une seule semaine.
Le vote de cet amendement présenté par l’eurodéputé conservateur et eurosceptique britannique Ashley Fox a donc relancé la polémique sur la localisation du siège du Parlement européen à Strasbourg.
Je ne reviendrai pas sur la fragilité juridique de cette nouvelle attaque contre la localisation du Parlement européen dans la capitale alsacienne. Cette question a déjà été développée fort justement par mon collègue Roland Ries, et nous ne pouvons qu’être satisfaits de la saisine par le gouvernement français, rejoint par le gouvernement luxembourgeois, de la Cour de justice de l’Union européenne.
Cependant, l’adoption de ce nouveau calendrier du Parlement européen, par le biais d’un scrutin secret peu habituel pour des questions d’une telle portée symbolique, témoigne des progrès d’une hostilité récurrente à la localisation strasbourgeoise du Parlement européen qui mérite que l’on rappelle avec force la légitimité de Strasbourg.
En fait, Strasbourg bénéficie d’une double légitimité, historique et géographique, pour demeurer la capitale exclusive de l’Europe parlementaire.
La légitimité historique de Strasbourg est incontournable. Mieux que toute autre ville, elle symbolise les douleurs et la force de la réconciliation des nations européennes. C’est ainsi que la première session du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et la session inaugurale de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, moments fondateurs de l’Europe unie, se tinrent respectivement à l’hôtel de ville de Strasbourg, le 8 août 1949, et au palais universitaire, le 10 août 1949.
Au fil des ans, la ville s’est imposée comme la capitale européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe, protecteur des droits et des libertés et promoteur de la démocratie à l’échelle du continent européen, y siège depuis 1949 alors que la Cour européenne des droits de l’homme, gardienne des libertés fondamentales de 800 millions d’Européens, a son siège à Strasbourg depuis le 1er novembre 1998.
Dans ce contexte, l’impact sur l’opinion publique, notamment française, d’une concentration des institutions européennes à Bruxelles et d’un effacement programmé du rôle de Strasbourg serait désastreux.
L’Europe est aujourd’hui déterminée à combler le fossé démocratique qui la tient encore trop souvent éloignée de ses peuples. Pour cela, elle a besoin plus que jamais de symboles forts permettant de réconcilier son identité, multiple, et la force de son projet unificateur. Quelle ville autre que Strasbourg peut mieux symboliser les douleurs de l’Histoire et la force de la réconciliation des nations européennes ? De la lutte fratricide à la réconciliation exemplaire des ennemis d’hier, devenus les plus proches partenaires, Strasbourg réunit en un même lieu des traditions européennes diverses sur le terreau d’une amitié franco-allemande devenue motrice pour toute l’Europe. C’est cela la légitimité historique de Strasbourg pour héberger la démocratie européenne. Remettre en cause cette légitimité serait un affront à la mémoire européenne.
Le vote intervenu au Parlement européen le 9 mars dernier porte également un coup dangereux à l’un des fondements symboliques les plus forts de l’Union européenne : la diversité assumée de ses centres et de ses racines.
C’est ainsi que chaque ville européenne s’est construite au fil des ans une image forte auprès des citoyens : à Bruxelles la place de la Commission et de l’exécutif européen, à Luxembourg le siège de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’Europe juridique, et à Strasbourg le siège du Parlement européen et de la démocratie européenne.
Concentrer à Bruxelles les institutions européennes reviendrait donc à appauvrir l’Union en la privant de l’une de ses richesses essentielles : la diversité de ses représentations.
L’ambition européenne a toujours été de s’appuyer sur les forces de ses États membres et non sur leur dilution par le biais d’une concentration des institutions européennes en un lieu unique. Cette conception polycentrique reflète une volonté constante de mettre l’Europe au plus près de ses citoyens, et non de l’isoler dans un centre lointain et monolithique. L’extrême soin apporté, parfois au mépris de toute cohérence budgétaire, à répartir harmonieusement les sièges des nombreuses agences et institutions de l’Union sur l’ensemble du territoire européen témoigne de cette volonté de faire toute leur place aux citoyens européens. Remettre en cause cet édifice complexe de la répartition géographique des agences et institutions européennes impliquerait de redoutables marchandages politiques dont l’image de l’Europe sortirait ternie. La multiplicité géographique des implantations des institutions européennes est et doit demeurer l’un des principes cardinaux de la construction européenne.
Le vote intervenu au Parlement européen le 9 mars dernier est le résultat d’une conjonction entre des parlementaires eurosceptiques historiques et des parlementaires européens qui sont gênés dans leur déplacement.
Ce vote doit être entendu. À cet égard, je sais que notre collègue Roland Ries a d’ores et déjà engagé, en partenariat avec l’État et la région Alsace, tous les efforts nécessaires pour renforcer les moyens immobiliers du Parlement européen et l’amélioration des transports en direction de Strasbourg.
Ces efforts doivent être soutenus par une mobilisation politique forte. Je considère, avec les membres du groupe socialiste, que le Sénat participera utilement à cette mobilisation et s’honorera en votant cette proposition de résolution. Strasbourg est la capitale de l’Europe parlementaire où se déroulent les sessions plénières du Parlement européen. La défense de la démocratie européenne ne peut souffrir aucune ambiguïté. (Bravo ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me suis inscrit dans ce débat par amitié pour Roland Ries. C’est le premier motif de mon intervention, et il est important, mais ce n’est pas le seul.
Je me suis aussi inscrit dans ce débat par conviction pour ce que, à l’instar de Roland Ries, nous défendons tous : une certaine idée de l’Europe, une certaine conception qui est l’Europe du partage, l’Europe polycentrique – comme l’a dit notre collègue maire de Strasbourg –, où les pouvoirs et les institutions ne sont pas centralisés en un même lieu, enfin une Europe de l’histoire parce que le choix de Strasbourg tient à l’histoire.
À cet égard, je voudrais relever à mon tour ce qu’il y a d’insidieux et de subreptice dans la démarche de M. Fox. Tout le monde sait ici, et il n’est pas nécessaire d’avoir fait de longues études de droit pour le comprendre, que seul un traité pourrait défaire ce qui est acté dans un traité.
Par conséquent, cet amendement ne peut pas avoir d’effet, puisque, s’il en avait, cela reviendrait à bafouer le traité qui engage tous ses signataires.
Mme Annie David. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Il est donc quelque peu insidieux, et même hypocrite, de défaire le traité sans le dire. Ce n’est pas acceptable !
Je note aussi, comme plusieurs de nos collègues, que le vote de cet amendement a été acquis de manière secrète. Or je tiens à souligner que, au sein du Parlement de notre République, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, nous nous proclamons tous les héritiers de la Révolution française. Or, dans les différentes assemblées qui ont été mises en place pendant la Révolution française, il est un point qui n’a jamais été remis en cause : les votes publics. Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans la mesure où nous sommes les représentants de la nation, les représentants des Français, il est normal que ceux-ci puissent savoir, en lisant le Journal officiel ou, beaucoup plus simplement aujourd’hui, en consultant les sites internet des assemblées, quel a été le vote des différents parlementaires, qu’il s’agisse des votes ordinaires ou, a fortiori, de votes plus importants.
C’est pourquoi il existe un vote à main levée et un vote par scrutin public, où chacun engage sa responsabilité. Le vote à bulletin secret est utilisé uniquement lors de l’élection du président du Sénat, qui est un vote sur une personne.
Donc, ce vote secret a quelque chose d’insidieux, parce que c’est une manière de faire passer une disposition contraire au traité sans le dire, et sans que ceux qui votent justifient leur position devant les peuples de l’Europe.
Il est vrai que tout a été dit sur l’initiative d’Ernest Bevin.
Tout a été dit sur le fait que Strasbourg est une ville qui accueille des institutions importantes : je pense à la Cour européenne des droits de l’homme et au Conseil de l’Europe.
Tout a été dit, par Roland Ries, sur les efforts qu’accomplit Strasbourg sous son impulsion et sur ce qui m’est apparu très important, à savoir le travail mené en commun par les maires de Strasbourg, de Bruxelles et de Luxembourg pour porter ensemble une certaine idée européenne dans l’union et non la division, pour créer les infrastructures nécessaires et aller de l’avant : c’est quelque chose de très positif.
J’évoquerai maintenant le protocole n° 6 : « Le Parlement européen a son siège à Strasbourg où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire… » C’est le traité : nous défendons tout le traité, rien que le traité, et nous refusons toutes les manœuvres subreptices qui viseraient à le nier.
En conclusion, je rappellerai cette période de l’histoire où l’Alsace et la Lorraine ne faisaient plus partie de la France.
Je rappellerai que le cœur de tous les Français bat quand on parle de Strasbourg, qui a été par excellence la ville de l’unification européenne, la ville de l’esprit européen, la ville de l’espoir européen, et qui est pour moi le cœur battant de l’Europe. C’est pourquoi nous défendons Strasbourg ! (Applaudissements.)