M. Jacques Mézard. Nous proposons également de supprimer l'article 17, avec lequel nous entamons l'examen des dispositions relatives à la justice des mineurs en général et de la trente-cinquième modification de l’ordonnance du 2 février 1945 en particulier.
Nous savons tous, ici, que le droit pénal des mineurs est strictement encadré par le Conseil constitutionnel, qui, récemment encore, en a rappelé les trois grands principes : priorité donnée à l’éducatif avant tout jugement, spécialisation des juridictions et mise en œuvre plus protectrice de la loi et de la procédure pénales.
Or cet article 17 donne un aperçu tout à fait contestable de l’application de ces principes. Par exemple, il est inopportun de supprimer la convocation par officier de police judiciaire devant le juge des enfants pour l’instituer devant le tribunal pour enfants.
Ajouté à la procédure de présentation immédiate, ce système confère de fait au parquet la maîtrise de l’audiencement devant les juridictions pour mineurs, à savoir le tribunal pour enfants et le nouveau tribunal correctionnel pour mineurs
Le juge des enfants perd ainsi toute prérogative lui permettant d’audiencer au tribunal pour enfants en fonction des priorités, alors que c’est tout de même lui qui connaît le mieux chaque dossier, parce qu’il suit les enfants soit au pénal, soit dans le cadre de l’assistance éducative. Les décisions seront prises en opportunité et elles n’auront, malheureusement, aucune cohérence globale.
Par votre choix, et j’y reviendrai en explication de vote, il s’agit de dire qu’il y a une grande augmentation de la délinquance des mineurs. Or c’est inexact au vu des chiffres de la délinquance générale.
Au moment où nous devrions avoir un débat d’ensemble sur le statut du parquet, vous faites le choix de l’opportunité. Certes, on le dit souvent, le parquet est juge de l’opportunité des poursuites ; c’est une tradition de notre droit pénal. En l’occurrence, vous allez plus loin, et je ne pense pas que ce soit une bonne chose.
Qui plus est, l’article 17 vise tous les mineurs âgés de plus de treize ans à l’encontre desquels une peine peut être prononcée, sans qu’il y ait aucune différence selon la gravité de l’infraction : la COPJ pourra être mise en œuvre à l’encontre du multirécidiviste comme du primo-délinquant, sans gradation ni distinction.
Là encore, il s’agit à nos yeux d’une mauvaise innovation, contraire d’ailleurs à la tradition de notre droit. Monsieur le garde des sceaux, être soucieux des traditions et des grands principes de notre droit, c’est faire la preuve d’un bon conservatisme : oui, cela peut exister, et vous-même en êtes souvent l’illustration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’article 17 du projet de loi tend, d’une part, à supprimer la procédure de convocation par officier de police judicaire devant le juge des enfants aux fins de jugement et, d’autre part, à créer une procédure de COPJ devant le tribunal pour enfants.
La suppression de la procédure de COPJ aux fins de jugement, introduite en 1996, se justifie par le fait qu’elle est peu utilisée. En outre, le juge des enfants a la possibilité, lorsqu’il met le mineur en examen, de le juger en cours de procédure et de prononcer à son encontre une ou plusieurs mesures éducatives. Il y avait donc redondance : le texte clarifie les choses.
La création d’une procédure de COPJ devant le tribunal pour enfants permettra, quant à elle, d’accélérer le jugement de mineurs déjà bien connus de l’autorité judiciaire. Je précise que, à la différence de la procédure de présentation immédiate, il n’est pas prévu de pouvoir placer le mineur sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire en attendant l’audience de jugement.
Enfin, la commission a bien souligné que cette procédure ne pourrait être mise en œuvre que lorsque la juridiction dispose d’investigations approfondies et récentes sur la personnalité du mineur, et non d’un seul recueil de renseignements socio-éducatifs, ou RRSE.
Il semble à la commission que, ainsi définies, ces dispositions permettent de garantir un équilibre satisfaisant entre l’exigence de célérité de la réponse pénale et le respect des principes constitutionnels applicables au droit pénal des mineurs.
La commission émet donc un avis défavorable sur les trois amendements identiques nos 31, 71 et 137 rectifié de suppression de l'article.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Je voudrais faire trois remarques et verser au débat quelques données chiffrées.
Premièrement, si la mesure qui nous est présentée avait existé en 1996, elle aurait été beaucoup moins appliquée. En effet, par le jeu de l’accumulation des réformes et du durcissement du code de procédure pénale auquel nous avons assisté au cours des dernières années, ce sont 75 % des mineurs délinquants qui sont concernés aujourd'hui. Voilà un pourcentage qui est loin d’être anecdotique.
Deuxièmement, rappelons-nous que les mineurs sont avant tout des enfants, des adultes en devenir. De ce point de vue, il n’est pas anormal qu’ils se construisent par des tentatives de transgression de l’interdit. Il est donc tout à fait logique d’y répondre, d’abord, par l’intermédiaire des parents, puis, en cas de défaillance ou de besoin d’une aide supplémentaire, par l’intermédiaire de la société.
Cependant, la réponse se doit d’être adaptée aux faits réels et à visée éducative. Or cela commence à être un petit peu moins le cas dans le projet de loi qui nous est soumis.
Troisièmement, la présentation de ce texte traduit une méconnaissance manifeste des caractéristiques de la récidive des mineurs.
En réalité, 75 % des mineurs délinquants ne sont vus qu’une fois par les services de la justice ; 5 % seulement des mineurs délinquants deviennent des majeurs délinquants.
Par conséquent, pour 5 % des enfants délinquants pour lesquels le dispositif aujourd'hui en place se révèle défaillant, on est en train de mettre en œuvre un système qui concernera, demain, 75 % des enfants délinquants.
J’y vois pour ma part une incohérence et, en tout cas, un risque fort d’inutilité et d’inefficacité, indépendamment du fait que l’on bafoue le droit des enfants et la nécessaire prévalence de l’éducatif sur le répressif.
Au final, on va englober 75 % des enfants délinquants dans un système calqué sur celui qui est réservé aux adultes, lequel a fait la preuve de son efficacité puisque 75 % des adultes, eux, récidivent ! (M. Charles Gautier applaudit.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas vrai !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les dispositifs que vous préconisez, qui rapprochent les procédures pour mineurs de celles qui sont applicables aux majeurs, sont sous-tendus par cette idée qui a cheminé dans votre esprit : la justice des mineurs est trop indulgente, les juges des enfants ont de la jeunesse une vision archaïque, et l’on connaît d’ailleurs les qualificatifs que certains – pas forcément vous, monsieur le garde des sceaux – aiment employer à leur sujet ; il vous faut donc absolument pousser le législateur à faire en sorte que les mineurs soient jugés et sanctionnés pénalement le plus rapidement possible.
Évidemment, monsieur le rapporteur, une telle logique pourrait être retenue si l’on pensait qu’elle avait une quelconque efficacité. Pour connaître suffisamment les professionnels – vous les avez, comme moi, entendus, ou, pour le moins, écoutés –, vous savez qu’ils disent tout le contraire.
Il est déjà permis de considérer qu’un mineur entré, à un moment donné, dans la délinquance n’a pas vocation à y rester pour toujours. S’est tout de même répandue l’idée que, dès lors que l’on est entré dans la délinquance, on n’en sort plus. Du coup, se pose la question : que faire après ?
Au fond, des mineurs qui sont entrés en délinquance préfèrent être jugés très rapidement, éventuellement aller à la case « prison », dont ils ne mesurent sans doute pas la portée, plutôt que d’être pris en charge sur la durée dans la perspective de sortir de la délinquance.
Les observations des professionnels me semblent pertinentes et méritent d’être entendues.
Ceux qui ont vu des mineurs délinquants enfermés, soit en centre éducatif fermé, soit en prison, devraient réfléchir.
Voilà quelques décennies, nous avons fermé les centres de rééducation des jeunes délinquants pour des raisons qui peuvent se répéter aujourd’hui et qui se reproduisent d’ailleurs souvent dans les lieux fermés pour les mineurs. Chacun sait que la prison peut être « éducatrice » dans le mauvais sens du terme pour les mineurs.
Si l’on cherche vraiment à prendre en charge les jeunes qui ont commis à un moment donné des actes délictueux, même graves, et à leur donner une possibilité de sortir de la délinquance pour devenir un jour des adultes insérés dans la société, il faut prendre le temps de la réflexion, au lieu de proclamer bien haut, par volonté d’affichage encore une fois, que l’on va voir ce que l’on va voir, que l’on va les punir et les envoyer à la case « prison » le plus rapidement possible.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Beaucoup de raisons juridiques, constitutionnelles et historiques nous conduisent à récuser l’article 17 et votre conception nouvelle de la justice des mineurs.
À ces raisons, j’ajouterai notre refus de la vision que ce texte propose de l’enfance et de l’adolescence, vision à la fois de peur, comme si notre société était en défense totale à l’égard de ces enfants délinquants, et d’abandon.
À partir du moment où vous alignez la justice pour mineurs sur la justice pour adultes, vous gommez toutes les chances de ces jeunes au cours de cette période de la vie de se rattraper, d’évoluer, de changer, et Dieu sait si leur personnalité bouge d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre ; tous ceux, dans cette enceinte, qui ont des enfants savent à quel point c’est vrai.
Vous nous proposez une vision totalement fermée et sans espoir.
Je veux vous dire la contradiction que je vois entre une telle démarche d’alignement sur la justice des majeurs et le comportement général de notre société qui, en raison de ses difficultés économiques et sociales, reporte aujourd’hui de plus en plus tard l’entrée de nos enfants dans l’autonomie (Mme Virginie Klès opine.), la responsabilité, la vie active. Mineurs, ils le restent dans les faits bien au-delà de l’âge de dix-huit ans, et ce contre leur propre volonté.
Au travers de ce texte, on leur dit : mineurs, vous pouvez le rester jusqu’à vingt, vingt-cinq ans ; vous découvrirez les minima sociaux avant d’avoir eu une quelconque insertion véritable dans la société. En même temps, on leur dit : mineurs, vous pouvez cesser de l’être à treize ans ou seize ans, parce que notre société a peur de vous et qu’elle est incapable d’assumer le devoir de protection et d’éducation, qui est à la base de l’ordonnance de 1945, mais qui aujourd’hui devrait être encore plus présent dans notre vision de l’enfance et de l’adolescence.
Monsieur le garde des sceaux, nous n’avons pas le droit d’opérer un tel glissement insidieux vers la justice des majeurs.
Nous ne nions pas que la délinquance des mineurs soit une vraie préoccupation dans notre société. Nous connaissons et reconnaissons tous la nécessité de la sanction et des mesures éducatives.
En revanche, ce que nous refusons en récusant l’article 17, comme nous le ferons d’ailleurs pour d’autres articles du titre II, c’est de fermer la porte et de quitter une justice spécialisée pour se rapprocher de la justice des adultes.
Les enfants ont droit à ce temps de la vie ; ils ont droit à cet âge d’être traités comme des mineurs, et non comme des majeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Josiane Mathon-Poinat et Anne-Marie Escoffier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne serais pas intervenu si M. le garde des sceaux n’avait fait preuve, à l’instant, de laconisme, puisqu’il n’a apporté aucun argument en réponse aux interventions de mes collègues, et tout particulièrement à celle de Jean-Pierre Michel, qui a insisté sur la tradition humaniste à l’origine de cette ordonnance de 1945.
Monsieur le garde des sceaux, il existait, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à côté du jardin du Luxembourg, une rue qui était dénommée rue d’Enfer – devenue Denfert-Rochereau –, car c’était un lieu de banditisme, de guets-apens et même de délinquance juvénile.
C’est un sujet de préoccupation ancien, car cette dernière a toujours existé. La question, au fond, est de définir l’idée que l’on se fait de l’enfant.
À cet égard, on pourrait citer en particulier Jean-Jacques Rousseau. L’enfant est-il une sorte de sauvage susceptible de commettre des actes irréfléchis et qu’il faudrait sanctionner sans pour autant se préoccuper d’éducation ?
On voit bien la philosophie de ce texte, monsieur le garde des sceaux, et je m’étonne que vous le défendiez.
Avec son dispositif de comparution immédiate – appelons les choses par leur nom –, de substitution du parquet au juge des enfants – là encore, appelons les choses par leur nom –, son refus de la spécialisation de la justice des mineurs en calquant celle-ci sur la justice des majeurs, vous tournez complètement le dos à l’ordonnance de 1945.
Lors d’une visite à la maison d’arrêt de ma ville, j’ai rencontré les représentants des juges des enfants de mon département. Monsieur le garde des sceaux, avez-vous procédé à une concertation avec les juges des enfants ? Lorsqu’on voit le travail extraordinaire qu’ils assument malgré la faiblesse des moyens, il y a de quoi s’étonner vivement de ce que vous nous assénez. Peut-être êtes-vous en service commandé ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Gautier. Toujours ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Sincèrement, il est des moments où vous devriez dire non !
Permettez-moi de vous expliquer encore quelque chose. L’ordonnance de 1945 n’est pas contre la sanction : la sanction fait partie de l’éducation, vous le savez. (M. le ministre acquiesce.) Pour autant, elle considère le mineur comme un être en devenir.
Ou bien l’on accepte ce principe et l’on en tire toute une série de conséquences – comme l’a d’ailleurs très bien dit le Conseil constitutionnel le 10 mars 2011 à propos de l’article 41 de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI –, et vous essayez de manière quelque peu besogneuse de contourner cette disposition, même si vous ne pouvez en méconnaître la lettre ni l’esprit.
Ou bien l’on considère qu’il n’y a plus de spécificité de la justice pour mineurs. C’est le terrain sur lequel vous êtes : vous voulez préserver la société contre ces sauvages, ces monstres, en les jugeant et les enfermant vite, afin de s’en protéger rapidement comme s’ils étaient un poison pour le corps social. Or ce « poison », ce sont nos enfants !
Par conséquent, l’article 17 reflète une conception de l’humanisme et de la société. Tout est difficile, et la tâche des juges des enfants l’est particulièrement, tout comme celle des éducateurs.
De même que je n’ai pas accepté dans cet hémicycle que l’on renonce à des exigences en matière d’éducation quand, par exemple, on a cédé à la décision véritablement démagogique de supprimer l’école le samedi, il faut aussi, selon moi, de l’effort, du travail, énormément de ténacité, beaucoup d’œuvre humaine pour éduquer ces enfants qui vont mal et qui commettent des délits.
Monsieur le garde des sceaux, c’est toute une philosophie qui est en cause. Vous ne pouvez pas vous réfugier dans le laconisme ! Vous devez nous répondre sur le fond et nous dire comment vous argumentez ce changement de philosophie, car c’est bien de cela qu’il s’agit ! (Mme Virginie Klès et M. Jean-Pierre Michel applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Pignard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, n’étant pas membre de la commission des lois, je ne pensais pas intervenir ce soir, mais j’y suis incité par les arguments qui ont été développés tant par Mme Catherine Tasca que par MM. Jean-Pierre Michel et Jean-Pierre Sueur. Je pense notamment à l’argument qui consiste à s’écarter de la loi pour évoquer la philosophie.
J’ai bien entendu tout ce qui a été dit sur la démocratie chrétienne en 1945. Comme je me flatte d’être aussi, dans cet hémicycle, un de ses représentants, je souhaite répondre sur certains points concernant la philosophie de ce texte.
C’est une évidence pour tous, nous ne sommes plus en 1945.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un scoop !
M. Charles Gautier. On s’en était rendu compte !
M. Jean-Jacques Pignard. J’adhère aux propos tenus par Mme Tasca. On n’est pas mineur de deux façons.
Aujourd’hui, du point de vue de leur mode de vie et sur le plan physique, les jeunes de dix-huit ans ne sont plus des enfants. Mais, si on les compare à ceux de 1945, ils sont plus enfants…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas de travail !
M. Jean-Jacques Pignard. … pour nombre de raisons, en particulier parce qu’à l’époque 80 % de la classe d’âge travaillait dès 14 ou 15 ans. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Ceux qui étaient des délinquants se situaient précisément hors de ce système, que nous avons changé du tout au tout.
Nous avons eu aussi ce débat à propos de la réforme des retraites. Je veux bien que l’on évoque à tout moment le Conseil national de la Résistance, et j’ai beaucoup de respect pour les décisions qu’il a prises, d’autant qu’y siégeaient également des démocrates-chrétiens. L’ordonnance de 1945 est de cette époque.
Nous avions deux façons de procéder, la première étant de faire comme si nous étions toujours en 1945 et de ne rien changer. L’autre façon, que je qualifierais de sécuritaire, était de dire qu’on allait s’occuper uniquement de la société, et non des jeunes. Pour cela, il fallait tout simplement baisser l’âge de la majorité. C’est précisément – cela a été exposé au début du débat – ce que le Gouvernement n’a pas voulu.
Entre ne rien faire et faire comme si rien n’avait changé, il existe une voie médiane, peut-être démocrate-chrétienne, peut-être centriste (M. Charles Gautier s’exclame.), que sais-je ? Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons nier cette réalité.
Monsieur Sueur, vous dites que le tout-répressif remplace le tout-éducatif. Permettez-moi de vous dire qu’une chose a changé depuis 1945 : je ne pense pas que les conseils généraux – je ne sais si vous êtes ou si vous avez été membre d’un conseil général – dépensaient des sommes aussi élevées en 1945 qu’aujourd’hui en faveur de la protection de l’enfance.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La prévention !
M. Jean-Jacques Pignard. Je peux témoigner – et je reprends votre expression, je ne suis pas « en service commandé » –, pour être vice-président du conseil général du Rhône depuis vingt ans aux côtés de Michel Mercier, que le département consacre un budget énorme à la protection de l’enfance. Je ne peux donc laisser dire ce soir que le tout-répressif s’est substitué au tout-éducatif.
Pour autant, je suis navré de le dire, il est un moment où le tout-éducatif a une limite. Lorsqu’elle a été franchie, que la société a investi tout l’argent et tout le talent qu’elle possédait pour essayer de faire quelque chose, la justice doit dire son mot. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. Je suis heureux que le hasard de la discussion me permette d’intervenir après avoir pu entendre les arguments de ceux qui se sont exprimés avant moi.
Lorsqu’il est question de l’ordonnance de 1945, il y a toujours deux sortes de réactions.
Certains, en invoquant 1945, ont à l’esprit la volonté des décideurs de l’époque d’apporter une réponse à un problème précis, qui existait déjà ; je le dis pour ceux qui considèrent que la jeunesse d’aujourd’hui à tous les défauts et que, dans le passé, tout se passait très bien. Pourquoi prendre cette ordonnance en 1945 sinon parce que le besoin s’en faisait sentir et parce que de vrais problèmes se posaient ? Depuis 1945 et jusqu’à aujourd’hui, à chaque génération, il s’est toujours trouvé certains jeunes pour venir troubler l’équilibre de la société.
En 1945, avec la volonté généreuse qui inspirait alors toutes les initiatives, on a décidé de ne pas rejeter les jeunes au moment même où se mettaient en place de nombreuses institutions.
D’autres, à propos de la même ordonnance, disent que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, et que 1945, c’était il y a plus de soixante ans. Évidemment !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Beaucoup de choses ont changé !
M. Charles Gautier. Il est vrai que les jeunes et la société ont changé. Mais faut-il tout changer pour autant ?
Mes chers collègues, que s’est-il passé depuis 1945 s’agissant de ce texte ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On a modifié vingt-cinq fois l’ordonnance !
M. Charles Gautier. Il a subi près d’une quarantaine de modifications. Pas une ligne n’est d’origine, et il n’en reste que le titre !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On est d’accord !
M. Charles Gautier. Vous le voyez, on fait référence à 1945 soit pour invoquer un idéal, soit pour se camoufler derrière de bien mauvaises arrière-pensées.
Nous ne partageons pas ces arrière-pensées, car la jeunesse d’aujourd’hui ne mérite pas cela.
Certes, et je l’ai dit dans une précédente intervention, peut-être avec moins de solennité, nous constatons tous que les jeunes sont sans doute adolescents plus tôt.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et ils le restent !
M. Charles Gautier. Mais après, que de difficultés, que d’obstacles à surmonter !
De nos jours, on devient adulte peut-être un peu plus tard, même si la société reconnaît un certain nombre de droits aux jeunes à l’âge de la majorité.
Il se trouve que j’ai présenté, cet après-midi, l’un des rares amendements que la majorité a bien voulu accepter. Il tendait justement à maintenir la condition d’âge minimal pour devenir citoyen assesseur à vingt-trois ans, et non à dix-huit ans. Cette proposition a fait l’objet d’un consensus au sein de notre assemblée, et j’en tire une grande satisfaction.
Dans le même sens, j’estime qu’en cherchant à appliquer aux jeunes les mêmes sanctions qu’aux adultes, nous faisons fausse route. Nous sommes d’ailleurs les seuls à faire ce choix ! D’autres démocraties européennes, comme l’Espagne ou l’Allemagne, se préparent à adopter un certain nombre de textes prévoyant notamment de porter à vingt et un ans l’âge retenu pour le statut pénal des mineurs.
Allons-nous continuer à nous aveugler, au cours de cette nuit printanière, pour répondre à celles et ceux qui attendent des preuves que notre société est capable de se « muscler » ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un débat de fond et de principe.
J’ai entendu la référence à la démocratie chrétienne, chère à notre garde des sceaux. Les principes qui ont conduit le législateur, et surtout l’exécutif, à prendre cette ordonnance en 1945, sont au sens propre fondateurs, même s’il est exact qu’il ne reste littéralement plus grand-chose du texte initial. Même son article 1er a été modifié dès 1951.
Il existe donc dans notre République, et c’est heureux, des principes fondateurs. Qui remettrait en cause les principes contenus dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Chacun considère ici qu’ils sont toujours modernes et fondamentaux. Nous y sommes tous attachés et pensons qu’il convient non seulement de les défendre, mais aussi de les faire vivre et prospérer.
Ce débat est très important. M. Pignard nous a dit que les choses avaient changé et que l’on n’était plus en 1945. Certes ! J’ai pourtant entendu qu’un président de la République, il n’y a pas si longtemps, voulait qu’on lût dans toutes les écoles la lettre de Guy Môquet…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mal à propos !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D’autres ont fait pareil !
M. Jacques Mézard. Peut-on ainsi reprocher la référence à 1945 en disant que le temps a passé et, quand cela arrange, se référer au contraire à la dernière guerre ?
Nous devons donc préserver nos principes fondamentaux.
Les mineurs sont différents des adultes. Les mineurs, ce sont nos jeunes, qui évoluent, et de façon parfois considérable, dans un sens qui peut être bon ou mauvais, selon les cas.
Il faut une justice pénale. Lorsque notre collègue Jean-Pierre Chevènement parlait des « sauvageons », on ne peut pas dire qu’il était laxiste. Il tenait un discours sage, à la fois ferme – la fermeté est parfois nécessaire ! –, compréhensif et généreux. En effet, les enfants grandissent, ils évoluent, et nous avons besoin de procédures adaptées, singulièrement de solutions éducatives.
J’entends dire qu’il faut aller vite et frapper vite ; certains ajoutent – pas tous, comme nous le verrons en examinant les prochains amendements – qu’il faut frapper fort. Or les audiences de mineurs auxquelles j’ai assisté, devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants, étaient tout entières guidées par l’idée inverse, le magistrat n’hésitant pas à dire au jeune comparant qu’il s’agissait désormais de voir comment il allait évoluer, qu’il reviendrait devant la juridiction dans trois mois, six mois ou même un an, et que, si l’évolution avait été favorable, le juge en tiendrait compte au moment de décider des mesures à prendre. Voilà la véritable sagesse !
Plus vous chercherez à aligner la justice des mineurs sur celle des adultes, plus vous ferez fausse route et plus le résultat sera négatif.
Au surplus, nous le savons tous : pour que les principes soient bien appliqués, il faut des moyens satisfaisants. Nous y reviendrons quand il s’agira de la protection judiciaire de la jeunesse.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ce débat, tout à fait intéressant, n’est pas médiocre, même s’il est parfois un peu manichéen...
Je ferai trois remarques.
Tout d’abord, je ne suis pas convaincu que l’extrême lenteur de la justice pénale des mineurs soit systématiquement favorable aux jeunes délinquants. Souvenez-vous des chiffres que nous citions hier : dix-huit mois en moyenne, en matière de délits, entre l’infraction et la réponse pénale. Cela mérite que l’on y réfléchisse, ne serait-ce que sur le plan de la pédagogie.
Ensuite, la réponse pénale aux délits commis par les mineurs est, dans la majorité des cas, une alternative aux poursuites. C’est également, dans un grand nombre d’autres cas, l’intervention du juge des enfants statuant en audience de cabinet. Le tribunal pour enfants n’est immédiatement compétent que dans un nombre de cas limité.
Enfin, il est excessif de dire que l’on aligne le droit des mineurs sur celui des majeurs. Le tribunal pour enfants applique le droit pénal des mineurs et fait respecter la primauté de l’éducation sur la sanction. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)