M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, grâce à l’adoption de la fameuse LMAP, l’année 2010 fut une année charnière pour l’agriculture. Cependant, avec la menace de la sécheresse qui se précise, cette année 2011 s’annonce tout aussi cruciale.
Près de la moitié des départements subissent des restrictions d’usage de l’eau. À l’heure actuelle, les assureurs ont déjà anticipé les pertes, en évaluant en moyenne à 15 % la baisse de rendement pour les céréales à paille et le colza.
Si la menace persiste, les déséquilibres entre production et demande vont aller s’accentuant, ouvrant la porte, à nouveau, à la spéculation sur ces matières premières agricoles.
Plus généralement, l’évolution générale de l’offre et de la demande de grains et singulièrement de blé, de maïs et d’oléagineux laisse augurer d’une situation d’approvisionnement plus serrée au cours des prochaines années, dont les conséquences peuvent être préoccupantes pour les pays importateurs et, en France, pour l’élevage utilisateur de grains.
La première réponse à apporter est, bien sûr, une augmentation de la production de grains, de fait abandonnée depuis la première réforme de la PAC en 1992, qui a entraîné l’installation du système des jachères. Il nous faut: produire plus et produire mieux, c’est-à-dire mettre en place une croissance durable.
Parallèlement, pour maîtriser au mieux la régulation de cours, il faut encourager l’installation de stocks physiques, qu’ils soient publics ou privés. La profession propose d’ailleurs un plan silos de 5 millions de tonnes.
La contractualisation, autre pilier de cette régulation souhaitée par tous, a été prévue dans la LMAP, mais n’est pas encore totalement entrée dans les faits, il s’en faut. Certains secteurs, comme le lait et les fruits et légumes, sont à ce jour couverts cette obligation qui leur a, hélas ! été imposée par voie réglementaire, à défaut d’avoir été véritablement négociée.
Vous avez d’ailleurs, monsieur le ministre, nommé il y a quelques semaines un médiateur de la contractualisation laitière pour veiller aux bonnes relations entre producteurs et acheteurs lors de la conclusion ou de l’exécution desdits contrats, afin de prévenir tout litige.
Néanmoins, pour ce qui concerne le lait, je ne peux que noter la réticence d’une partie des éleveurs laitiers, qui contestent le fait de ne pouvoir s’organiser en tant que producteurs alors que, dans le cadre de cette régulation, l’Europe et vous-même, monsieur le ministre, aviez bien rappelé la nécessité de renforcer le pouvoir de négociation des producteurs en leur permettant de se regrouper en organisations.
Qu’en est-il donc de ce « mini-paquet européen » censé autoriser l’organisation des producteurs par rapport à la répression des fraudes, mais qui n’est toujours pas entré dans les faits ?
Dans le domaine des fruits et légumes, la LMAP a certes constitué une véritable avancée pour sécuriser les transactions commerciales pour les groupements de producteurs, mais force est de constater que les variations climatiques ont des répercussions sur les productions soit à la hausse, soit à la baisse. Un engagement à hauteur de 100 % des achats sur une période de trois ans paraît donc peu en phase avec la réalité de certains marchés, notamment les marchés de gré à gré. Ne faudrait-il pas adapter cette mesure à ce cas particulier, comme l’a déjà souligné notre collègue Nathalie Goulet ?
Plus largement, il apparaît que ces contrats devraient être étendus à l’ensemble de la chaîne et pas simplement entre le producteur et son premier acheteur. Si ce dernier ne peut rien répercuter sur l’aval, il ne pourra pas tenir.
La grande distribution doit être impliquée dans ces contrats. Il est temps, monsieur le ministre, que ce verrou saute !
Enfin, en tant que représentant d’une région non seulement céréalière mais aussi d’élevage, je souhaite revenir sur le projet de contractualisation entre ces deux filières. Celles-ci travaillent sur un projet d’accord de contractualisation volontaire « céréaliers-éleveurs », en phase finale de discussion entre les partenaires situés en amont de la filière. Cette négociation regroupe des producteurs de céréales et d’oléo-protéagineux, des éleveurs, des organismes coopératifs collecteurs de céréales et des fabricants et négociants d’aliments du bétail. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette initiative.
À l’heure où les éleveurs souffrent d’ores et déjà de la sécheresse, où certains d’entre eux, vu l’état des pâturages, doivent abattre des bêtes avant l’heure pour dégager des liquidités et ainsi acheter du fourrage pour nourrir le reste du troupeau, il est indispensable de créer les conditions d’une meilleure visibilité pour ces professionnels.
Or il ne peut y avoir d’avantages pour les éleveurs que si la démarche de contractualisation est adoptée tout au long de la filière, du producteur de grain au distributeur de produit fini. Il convient donc de prévoir un enchaînement de trois contrats types, connectés entre eux. Puis, pour que l’approche précédente porte ses fruits, une contractualisation « en aval », entre les éleveurs et leurs groupements, les abattoirs, les ateliers de découpe et la grande distribution est indispensable pour permettre la répercussion de l’évolution du coût des matières premières sur le produit final.
À défaut, la démarche entreprise au niveau de l’amont verrait ses effets immédiatement accaparés par la distribution, sans aucun bénéfice pour les éleveurs.
Par ailleurs, l’Observatoire des prix et des marges doit être sollicité, et un comité de suivi au niveau ministériel nécessairement installé.
Il s’agit d’une préoccupation partagée par toutes les filières.
En outre, l’inscription, par la présidence française, de la volatilité des prix des matières premières agricoles à l’ordre du jour du G20 est une initiative majeure.
Enfin, un consensus s’est fait jour, partagé par les organisations internationales associées, sur la pertinence du sujet, la nécessité de travailler ensemble et d’améliorer la connaissance du fonctionnement de ces marchés, préalable indispensable à un début de coordination internationale visant à prévenir les risques et à y répondre. C’est ce volet de régulation des prix qui a fait l’objet de propositions de la France dans le cadre du G20 agricole, tenu ces derniers jours à Buenos Aires.
Je vous remercie donc, monsieur le ministre, des éclaircissements que vous voudrez bien nous apporter sur les différents éléments de ce dossier de la contractualisation.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs d’entre nous ont évoqué l’actualité, notamment la sécheresse. En regard de cette urgence climatique, la contractualisation, dont nous débattons ce soir, semble un sujet moins prioritaire pour le monde agricole et les agriculteurs, quelles que soient les filières.
Cette sécheresse qu’on annonce dramatique va avoir des répercussions très fortes dans les départements. Vous avez pris des initiatives, monsieur le ministre. Nous attendons d’en voir les résultats.
Nous tenons cependant à réaffirmer que cette sécheresse doit recevoir une réponse en termes de solidarité nationale, faute de quoi la situation économique des exploitations agricoles de notre pays se trouvera très dégradée.
Je reviens à présent au thème de la question orale.
Il y a un an, nous discutions ici même du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Le groupe socialiste avait voté contre l’ensemble du texte. Cette position était cohérente non seulement avec les propositions que nous avions défendues au cours du débat, mais également avec les ambitions que nous portons pour l’agriculture de notre pays. (M. Jean-Paul Emorine s’exclame.). Mais oui, monsieur Emorine !
Certaines des dispositions inscrites dans ce projet de loi semblaient pourtant aller dans le bon sens, et nous n’avions pas manqué de le souligner. Je pense notamment à l’article 1er, qui tentait de définir une politique de l’alimentation de la nation – c’était une première ! –, mais également à l’article 4, qui modifiait le code de commerce pour mieux encadrer certaines pratiques commerciales.
Je note également que plusieurs des propositions que nous avions présentées au cours du débat avaient reçu des soutiens sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, mais pas celui du Gouvernement...
En revanche, nous nous sommes résolument opposés à l’article 3 de la LMAP, qui constituait le cœur de ce texte, sa « tête de gondole » en quelque sorte, puisqu’il instituait le principe de la contractualisation dans le secteur agricole. Non que nous soyons opposés à l’émergence d’un cadre contractuel ! Bien au contraire, pour nous, la contractualisation doit être un élément essentiel dans les échanges économiques concernant les produits de l’agriculture, étant entendu qu’elle doit être accompagnée d’une régulation au niveau européen.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler que l’un de vos prédécesseurs avait mis en place les contrats territoriaux d’exploitation, les CTE,…
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. …tant décriés à l’époque par certains. Après que de nombreux contrats de ce type avaient été signés, tout le monde, y compris leurs détracteurs, s’était aperçu qu’il s’agissait d’un bon dispositif,…
Mme Maryvonne Blondin. Exactement !
M. Didier Guillaume. … propre à assurer le redéploiement de l’agriculture et la valorisation de la multifonctionnalité.
Il faut permettre à chacun de nos agriculteurs de vivre de son travail et non d’aides ou de subventions, qui, si elles peuvent se révéler nécessaires, ne doivent pas être une fin en soi. C’est l’enjeu économique de l’agriculture ; il y va tout bonnement de son avenir.
Si nous avions voté contre ce fameux article 3, c’est parce que la contractualisation telle que vous la conceviez ne nous paraissait pas de nature à remplir le rôle de moteur économique que vous vouliez lui donner.
À notre sens, il convenait de respecter deux exigences absolues pour réussir le pari de la contractualisation : d’une part, mieux associer les interprofessions, comme l’ont dit nombre d’orateurs avant moi ; d’autre part, garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, afin de rééquilibrer les relations commerciales amont-aval qui leur sont largement défavorables.
La question orale posée par notre collègue présente un intérêt majeur : elle nous permet de faire le point sur la contractualisation prévue par la LMAP un an après l’adoption de celle-ci.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la minute qu’il me reste, j’évoquerai la situation du secteur des fruits et légumes.
La contractualisation devait y apporter de la sérénité, l’ambition étant de sécuriser les revenus des producteurs. Or force est de constater aujourd'hui qu’elle n’a en rien eu de tels effets : depuis son entrée en vigueur, elle s’est malheureusement opérée à marche forcée, sans que l’interprofession soit toujours associée, et, pour l’instant, peu de contrats ont été signés.
Je veux le souligner à mon tour, dans tous les départements, la contractualisation pose un vrai problème sur les marchés d’intérêt national et sur les marchés de gré à gré. Or il est absolument exclu qu’elle puisse empêcher, dans le cadre des circuits courts, la poursuite des ventes directes.
À notre sens, la contractualisation doit porter sur une durée suffisamment longue pour aboutir à un partenariat « gagnant-gagnant » entre acheteurs et vendeurs. Lorsque le Gouvernement annonce, par la voix de son secrétaire d'État chargé du commerce, qu’il veut réduire la durée de contractualisation à moins d’un an, il prend l’orientation inverse de celle qui est souhaitable.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la contractualisation devrait tout simplement avoir pour objectif de permettre aux agriculteurs de vivre de leur métier ; c’est ce que nous souhaitons tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré.
M. Benoît Huré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été rappelé, la contractualisation est désormais obligatoire entre les acheteurs et les producteurs de lait, de fruits et légumes et d’agneaux de moins de douze mois, les producteurs étant cependant libres de refuser les contrats.
Il s’agit aujourd’hui d’un outil indispensable pour conforter l’agriculture française et consolider son avenir, malgré un contexte national et européen contraint et une situation internationale plus que difficile.
En soutenant la contractualisation et son extension, d’abord, prochainement, comme je l’espère, à la filière bovine, puis, à terme, à toutes les autres filières, nous pensons agir en faveur tant de l’agriculteur que du consommateur, lequel doit rester au cœur de nos préoccupations.
J’ai déjà abordé le sujet lors de précédents débats, mais je tiens à rappeler cet exemple : depuis le début des années quatre-vingt-dix, le prix de la viande bovine payé au producteur a baissé de près de 10 %, alors que celui qui est supporté par le consommateur a crû de 50 %.
Sur la même période, les agriculteurs ont connu une hausse du cours des céréales et du lait, pour ne citer que ces deux productions, hausse qui a été immédiatement répercutée sur les produits transformés, mais, par la suite, ces mêmes cours ont nettement baissé sans que, pour autant, le consommateur voie le moindre changement sur les prix des denrées alimentaires pratiqués par la grande distribution.
La contractualisation permet également de replacer au centre des débats et des politiques les interprofessions, qui voient désormais renforcée leur capacité à agir. Une interprofession réussie favorise un partage plus équitable des marges entre producteurs, transformateurs, distributeurs, et donc des prix acceptables pour les producteurs comme pour les consommateurs.
Au niveau européen, monsieur le ministre, vous défendez la régulation et la transparence des marchés agricoles, ce qui va de pair avec la contractualisation. Nous ne pouvons que vous soutenir dans votre démarche et vous assurer de notre volonté de poursuivre à vos côtés dans cette voie. Je me réjouis également de voir les mesures contenues dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche reprises à ce même niveau européen. Vous avez su remettre l’agriculture française à sa place de leader européen, et nous vous en remercions.
Votre travail permet au monde agricole de saisir la chance qui lui est offerte de mieux reprendre en main son avenir et d’avoir ainsi une meilleure visibilité sur ses débouchés, et surtout sur ses revenus. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, lorsqu’elle a fixé l'ordre du jour de nos travaux, la conférence des présidents n’avait pas envisagé que la séance d’aujourd'hui puisse se poursuivre au-delà de minuit. Or il paraît souhaitable, à mes yeux, d’achever le débat en cours.
Je vous propose donc de poursuivre la séance au-delà de minuit.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens pour ma part à aborder la situation du secteur de la viande, qui traverse une crise sans précédent depuis de nombreuses années sans percevoir le moindre signe d’amélioration. Éleveurs porcins, ovins, bovins : c’est toute une profession qui est actuellement en plein désarroi.
Crise du revenu depuis quatre ans, augmentation du prix de l’alimentation pour le bétail, envolée brutale des cours des céréales l’été dernier, blocage des abattoirs à la fin de l’année dernière, tout démontre que le secteur va mal et que le système actuel est en train de péricliter.
La hausse continue des coûts de production, conjuguée à la stagnation des prix de vente et à la concurrence internationale des pays émergents, met fortement en péril la pérennité du secteur de l’élevage français. Privés de perspectives d’avenir, de nombreux éleveurs sont amenés à abandonner la profession, tandis que les jeunes s’en détournent.
Certains n’hésitent plus à dire que la filière de l’élevage est en train de mourir ; et ce constat amer, je ne peux que le partager. Si rien ne se passe à très brève échéance, nous serons témoins de nombreux drames.
La priorité absolue est, bien évidemment, d’assurer un revenu décent aux éleveurs. C’est en vertu de cet objectif que la contractualisation a été proposée comme solution dans le cadre de la LMAP.
De ce point de vue, que pourrait apporter la contractualisation au secteur de l’élevage ? Et surtout, comment tirer les leçons des premiers écueils qu’a connus l’instauration d’une contractualisation obligatoire dans les autres secteurs ?
Monsieur le ministre, vous avez annoncé la publication du décret sur la contractualisation obligatoire pour l’élevage en juillet prochain. Est-ce à dire qu’un seul décret sera pris pour l’ensemble des filières ?
Il faut absolument veiller à ne pas fondre dans un même moule des élevages et des productions très différentes, ni à se limiter, comme pour le lait ou les fruits et légumes, à la seule relation commerciale entre l’agriculteur et son premier acheteur.
Dans le secteur de l’élevage, encore plus que dans les autres, il convient d’aborder les choses plus en amont, d’encadrer tous les types de relations commerciales ayant une influence sur le secteur, tant entre fabricants d’aliments pour animaux et éleveurs qu’entre éleveurs, transformateurs et distributeurs. Il est nécessaire d’apporter à chaque maillon de la filière des outils de gestion des prix.
Comme pour tout autre secteur, il convient d’élaborer une négociation collective, passant par un renforcement des interprofessions, et des indicateurs de prix, pour rééquilibrer le pouvoir de négociation de chaque acteur, ce qui n’a été le cas ni pour le lait ni pour les fruits et légumes.
Des outils permettant de lutter contre la volatilité extrême des cours des céréales, ou tout du moins de la gérer au mieux, doivent être mis en place. Il importe en effet d’avoir à l’esprit que les coûts alimentaires représentent 60 % à 70 % du coût de revient des élevages monogastriques – porcs et volailles. C’est donc une problématique centrale pour les éleveurs.
L’accord volontaire « d’engagement de prise en compte des variations excessives des prix de l’alimentation animale dans les négociations commerciales », signé le 3 mai dernier, est censé apporter des réponses à cette situation de crise. Ce document a le mérite de démontrer la nécessité de l’intervention de l’État pour réguler le système, apporter des garanties aux agriculteurs et rééquilibrer les relations commerciales.
Cependant, il soulève un certain nombre d’interrogations. Tout d’abord, la mise en place de cet accord semble une bien maigre solution face à l’ampleur de la crise traversée par les agriculteurs. Ensuite, nous ignorons tout des bases sur lesquelles se feront les négociations. Enfin, si ces négociations venaient à aboutir, nous craignons que leurs résultats ne soient synonymes d’une revalorisation en bout de chaîne, et donc d’une augmentation du prix de la viande pour le consommateur. Si tel est le cas, un problème en remplacera un autre !
Une logique de marge doit primer sur une logique de prix, et le partage de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de production faire l’objet d’une extrême vigilance.
De ce point de vue, nous attendions beaucoup du premier rapport de l’Observatoire des prix et des marges. Or ses conclusions ont suscité de nombreuses polémiques, révélant qu’aucun maillon de la filière ne s’enrichissait vraiment et que les marges restaient faibles. L’augmentation des prix en grande distribution depuis une dizaine d’années serait liée à des charges nouvelles chez les transformateurs, notamment des charges d’ordre sanitaire. Les producteurs, qui, eux aussi, ont dû faire face à des normes plus contraignantes, ont été les seuls à ne pas avoir pu répercuter leurs coûts de production sur les prix.
Tout cela reflète bien le rapport de forces totalement déséquilibré dans les relations commerciales, et ce au détriment des éleveurs.
Les conclusions de l’Observatoire des prix et des marges sont d’autant moins satisfaisantes que de nombreuses études, émanant notamment de l’UFC-Que Choisir, montrent une augmentation des prix à la consommation de la viande sur la période 2000-2010 pouvant aller de 40 % à 50 %. À titre d’exemple, le kilo de bœuf coûte en moyenne 3,07 euros à la production et 11,61 euros à la consommation.
Il revient donc à l’Observatoire des prix et des marges de faire un énorme travail de recherche complémentaire pour collecter des données objectives, car il est difficilement imaginable que personne ne s’enrichisse dans cette chaîne de production alors que les prix à la consommation augmentent.
Et la situation déjà difficile des éleveurs ne risque pas de s’améliorer avec la sécheresse actuelle, qui entraîne des problèmes d’approvisionnement en fourrage ! Il est d’ailleurs clair que la sécheresse, sur laquelle je conclurai mon intervention, va avoir des répercussions dramatiques, en particulier pour les éleveurs, mais aussi pour le monde agricole en général.
Face à des aléas climatiques récurrents, il apparaît nécessaire de mettre en place de nouveaux systèmes de solidarité entre les filières, de manière à éviter les pénuries. Pourraient ainsi être envisagés des contrats interfilières assurant une gestion de l’offre et de la demande en paille et fourrages et s’appuyant sur une plateforme d’échanges entre bassins allaitants et bassins céréaliers.
Monsieur le ministre, dans la mesure où vous êtes vous-même favorable au développement de relations contractuelles entre les filières céréalières et d’élevage, pourriez-vous nous préciser vos propositions en la matière ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en réponse aux conséquences de l’ouverture des marchés que le Gouvernement, via la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, a notamment mis en place une contractualisation obligatoire entre producteurs et acheteurs. Cette voie de régulation des marchés, faut-il le rappeler, avait été fortement souhaitée par la profession agricole, plus particulièrement par les producteurs de lait.
La formalisation écrite des relations commerciales entre les producteurs et leurs premiers acheteurs devient donc la règle. Elle a pour objectif de donner plus de visibilité, aux agriculteurs, d’abord, dans un but de protection, mais aussi aux transformateurs et aux distributeurs, avec l’objectif de maîtriser, pour les premiers, leurs débouchés sur de longues périodes, et, pour les seconds, leurs approvisionnements.
Cette obligation de contrat écrit, couplée à l’interdiction, depuis le 28 janvier dernier, des remises, rabais et ristournes pour les transactions de fruits et légumes frais, constitue une réelle avancée en faveur de la stabilisation des revenus des producteurs français, avancée qu’il nous faut saluer.
Cependant, même s’il semble encore un peu tôt pour dresser un bilan objectif de la mise en œuvre des premiers contrats passés entre producteurs et acheteurs, certaines interrogations sur les modalités de ces contrats, relayées par les représentants du monde agricole, méritent dès à présent d’être prises en considération ; des réponses doivent y être apportées rapidement.
Trois points me paraissent devoir être relevés.
Tout d’abord, d’un point de vue général, les exploitants agricoles français sont actuellement soumis à d’importantes contraintes issues, d’une part, de l’hypervolatilité des cours des matières premières et, d’autre part, de la hausse importante du coût des intrants, notamment la facture énergétique.
Monsieur le ministre, afin de garantir un revenu final correct aux agriculteurs, il me semble nécessaire, en ce qui concerne les modalités de détermination du prix d’achat, de travailler à l’intégration d’une variable prenant en compte les coûts de production supportés par le producteur.
Par ailleurs, l’obligation de contrat ne porte que sur le premier acheteur. Dans ce cadre, les coopératives sont considérées comme premier acheteur et les centrales d’achat qui se fournissent auprès de ces coopératives n’ont pas d’obligation de contractualisation. Dans un contexte particulièrement tendu entre les producteurs et la distribution, il semble important de réfléchir aux modalités de généralisation de cette obligation aux centrales d’achat des grandes et moyennes surfaces, même si elles n’interviennent pas en tant que premier acheteur.
Dans le secteur des fruits et légumes, plus particulièrement, le choix d’une durée minimale de contractualisation de trois ans vise, par l’effet de lissage ainsi produit, à contribuer à restaurer la stabilité des prix des produits. Ce dispositif semble toutefois encore peu adapté à la volatilité, en termes de volume, ainsi qu’à la diversité des productions concernées. Les aléas climatiques – la sécheresse que notre pays rencontre à l’heure actuelle en constitue un exemple frappant – peuvent notamment affecter de manière totalement imprévisible les quantités de productions livrables.
Une attention toute particulière doit donc être apportée, dans la rédaction des contrats, aux modalités de révision du contrat, qui constituent déjà une mention obligatoire, afin de permettre une souplesse et une réactivité accrues en cas d’aléas climatiques.
N’oublions cependant pas qu’il existe, par ailleurs, d’autres problèmes qui ne pourront pas être réglés par la contractualisation : il s’agit notamment de ceux qui sont liés aux différences importantes de coûts de main-d’œuvre entre les pays de l’Union européenne. C’est un poste important de charges dans le secteur des fruits et légumes. Les régions frontalières, comme l’Alsace, souffrent particulièrement du manque d’harmonisation en la matière des politiques sociales et fiscales nationales.
Dans le secteur laitier, enfin, si le choix d’une contractualisation minimale de cinq années va dans le sens d’une stabilité à moyen terme des revenus pour les producteurs, il faut toutefois veiller à ce que la collecte du lait soit égale pour tous, qu’ils se trouvent en montagne, proches ou éloignés d’une usine. Le lait doit continuer à être collecté sur l’ensemble du territoire national. Or, à ce jour, les coopératives laitières ne représentent que 20 % de la collecte nationale, alors qu’aux Pays-Bas ou au Danemark on n’est pas loin des 100 %. Cela perturbe la distribution, qui a la possibilité de s’alimenter ailleurs que dans l’Hexagone. Des efforts sur la structuration du secteur laitier sont donc encore à mener.
En conclusion, je dirai que, si tout ne peut pas être réglé grâce à la contractualisation, il faut travailler autant que faire se peut à améliorer le dialogue entre producteurs et distributeurs et, pour que cela fonctionne, il est nécessaire d’avoir une organisation économique des producteurs et des interprofessions forte et solide, de manière à pouvoir répondre aux attentes des distributeurs et des consommateurs.
Monsieur le ministre, les enjeux liés à la réforme de la PAC, maintenant proche, doivent tous nous inciter à travailler au renforcement de l’organisation et de la structuration des grandes filières agricoles nationales. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)