Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le rapporteur, cher Hervé Maurey, je vous remercie très sincèrement d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi qui ajuste et clarifie l’exercice du droit de préemption.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission de l'économie, mes chers collègues, la plupart d’entre vous avez été, dans un passé lointain ou récent, maires ou l’êtes toujours. À ce titre, nous savons tous que l’exercice de ce droit est très important pour une collectivité territoriale ou une commune, notamment quand il s’agit de procéder à l’aménagement économique de son territoire ou de réaliser de nouveaux logements.
Nous savons aussi à quel point les procédures contentieuses exercées par les propriétaires des biens préemptés sont nombreuses, longues, coûteuses et parfois décourageantes.
C’est pour cette raison que les mesures que vous avez proposées, monsieur le rapporteur, me semblent aller dans le sens d’une plus grande clarté et d’un meilleur encadrement de l’exercice du droit de préemption, ce qui diminuera d’autant les recours contre ces décisions.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez d’ailleurs évoqué largement ce sujet dans le cadre du groupe de travail intitulé Vers un urbanisme de projet, mis en place au mois de juin 2010 afin d’élaborer des propositions concrètes.
Son objectif est de favoriser la mise en place des politiques foncières et d’aménagement. Foncier et aménagement : ce sont deux mots clefs pour une commune. Certaines de ses préconisations, ainsi que celles du Conseil d’État qui a consacré un rapport très intéressant sur ce sujet en 2007, ont été introduites de manière partielle et tardive – disons-le – dans la proposition de loi Warsmann que nous avons examinée en première lecture à l’automne dernier. En tant que rapporteur pour avis de la commission de l'économie, cher Hervé Maurey, vous releviez que « le fait de "noyer" une réforme de fonds dans un texte de simplification du droit n’[était] pas satisfaisant ». Vous aviez parfaitement raison. Connaissant votre réalisme et votre bon sens, une telle réaction ne m’étonne guère.
Aussi, étant donné son importance, il me semble tout à fait cohérent et salutaire de consacrer une proposition de loi à ce seul sujet.
Même si ce texte ne tend pas à bouleverser radicalement le droit applicable en la matière et si nous sommes loin du miracle, reconnaissons qu’il prévoit des améliorations sensibles en fixant un double objectif : apporter des garanties aux propriétaires et assurer un exercice efficace du droit de préemption aux collectivités et aux opérateurs fonciers.
Dans le cadre de la prévention du contentieux ou pour éviter que l’on découvre après la préemption des coûts cachés, il semble indispensable que la déclaration d’intention d’aliéner fasse état des éventuels travaux de dépollution et de remise en état qu’impliquerait l’acquisition de ce terrain.
En outre, la transparence dans l’exercice du droit de préemption ne pourra qu’être améliorée par une meilleure publicité des décisions de préemption. C’est important.
De même, je pense que les recours fondés sur le prix d’acquisition du bien préempté seront moins nombreux, dès lors que sera adopté l’article 2, qui encadre plus strictement la renonciation de l’exercice du droit de préemption pour une question d’évaluation du prix du bien préempté.
En outre, l’encadrement par la loi du délai de paiement du bien préempté – quatre mois – permet de mieux baliser cette procédure et constitue une plus grande sécurité pour les propriétaires du bien préempté.
Quand nous, élus locaux, commençons une opération d’aménagement et exerçons un droit de préemption sur un immeuble, il se peut que, dans le temps de la procédure, les projets d’aménagement subissent quelques modifications. Nous en avons tous fait l’expérience. En ce sens, il me semble de bon sens de donner un peu de souplesse à la personne publique concernant l’affectation de ces biens.
Cela est aussi utile pour inciter les collectivités à effectuer des réserves foncières dont l’affectation est susceptible de modification, afin d’anticiper des projets qui ne sont qu’au stade de la maturation. Gérer, c’est aussi être visionnaire. C’est la raison pour laquelle je trouve tout à fait opportun que le bien préempté puisse être affecté à un autre usage que celui qui est mentionné dans la déclaration d’intention d’aliéner.
Pour éviter les abus d’utilisation du droit de préemption, il me semble par ailleurs cohérent de permettre à un propriétaire, dans le cas où le titulaire du droit n’a pas utilisé ou aliéné le bien pendant un délai de cinq ans ou si la décision de préempter a été annulée, de pouvoir demander la rétrocession du bien. Cela constitue une limite raisonnable et justifiée à l’exercice de ce droit par son titulaire et permet d’éviter les abus.
Toutes ces mesures me semblent donc aller dans le bon sens, celui de la clarification du droit et d’un meilleur encadrement de son exercice, afin d’améliorer la sécurité juridique de cette prérogative ô combien précieuse pour les élus.
Monsieur Emorine, éminent président de la commission de l'économie, je salue encore une fois le travail de votre rapporteur, Hervé Maurey, qui est bénéfique pour l’avenir, car gérer, c’est prévoir. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Articles additionnels avant l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 10, présenté par MM. Daunis, Raoul, Repentin, Caffet, Godard, Courteau, Navarro et Rebsamen, Mme Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 110 du code de l’urbanisme est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« La destination prioritaire des sols est de servir l’intérêt général. Les documents d’urbanisme ont pour vocation de préserver la durabilité de ce patrimoine commun. Ils servent de référence à l’évaluation de la valeur des biens. »
La parole est à M. Marc Massion.
M. Marc Massion. Aujourd'hui, les opérations d’aménagement, notamment quand il s’agit de logements ou de transports en commun, sont entravées du seul fait des estimations des propriétaires privés qui spéculent sur la valeur future de leur bien. Les logements, équipements et services nécessaires pour que la vie de tous soit confortable ne peuvent se faire sans investissements ni constructions nouvelles. Si elles profitent à tous, ces réalisations coûtent cher et rapportent surtout aux propriétaires d’immeubles ou de terrains qui ont les moyens de les empêcher ou de spéculer sur ce que la collectivité ou les grands investisseurs pourraient faire de leurs possessions.
De nouvelles règles sont nécessaires pour réaffirmer la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers. La spéculation est devenue à ce point banale que les juges de l’expropriation qui fixent les prix en cas de préemption ne respectent pas toujours l’esprit de la loi. Ils ont pour souci principal le dédommagement des propriétaires et prennent rarement en considération l’intérêt public qu’il y aurait à construire un équipement, mais aussi à payer un juste prix pour acquérir le sol ou l’immeuble nécessaire. Pis encore, le service des domaines, devenu France Domaine, anticipe souvent l’évaluation spéculative des terrains et surévalue de nombreuses propriétés en prenant en considération les variations de prix parfois très fantaisistes qui reposent sur des changements de destination des sols supposés, des anticipations des décisions des élus, ce qui est tout à fait contraire à l’esprit républicain.
C’est pourquoi nous avons choisi de donner corps à l’une des idées qui figurera dans nos propositions, à savoir que le territoire est un patrimoine commun dont l’exploitation privée ne doit pas empêcher les réalisations d’utilité publique. Nous proposons de préciser le sens de la première phrase de l'article L. 110 du code de l’urbanisme qui dispose que « le territoire français est le patrimoine commun de la nation » en indiquant que le moyen de préserver l’intégrité de ce patrimoine est de faire en sorte que, dès lors que l’intérêt général est l’objectif visé et l’utilité publique dûment reconnue, la priorité est d’estimer la valeur des biens non pas sur le prix futur et souvent fantasmé des propriétaires, mais sur la destination du sol au meilleur des intérêts de la collectivité.
« La destination prioritaire des sols est de servir l’intérêt général. Les documents d’urbanisme ont pour vocation de préserver la durabilité de ce patrimoine commun. Ils servent de référence à l’évaluation de la valeur des biens. » Après qu’un tel article aura été inséré dans le code de l’urbanisme, les services de l’État comme les juges seront conduits à produire des évaluations réalistes en rapport avec les capacités contributives des collectivités.
Le sol de la nation n’est pas un bien comme les autres. Sans rogner le droit de propriété, nous estimons qu’il est devenu incontournable de réguler les appétits illimités de spéculateurs qui pensent que s’enrichir en spéculant sur le prix des sols ne fait de mal à personne. Or c’est tout à fait le contraire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Maurey, rapporteur. Affirmer que la destination prioritaire des sols est de servir l’intérêt général n’est pas tout à fait conforme à la position de la commission sur le droit de propriété. Il me semble très important de le préciser.
En outre, l’évaluation de la valeur des biens est déjà fonction de la qualification des documents d’urbanisme. Pour qu’il y ait terrain à bâtir, il faut bien que le terrain ait été classé comme tel au PLU. J’ajoute que, pour fixer le prix des biens, le juge se réfère également aux servitudes et aux restrictions administratives qui affectent de façon permanente l’utilisation de l’exploitation des biens.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je tiens tout d’abord à rappeler que l'article L. 110 du code de l’urbanisme a été entièrement récrit dans le cadre de la loi portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II ». Nous sommes parvenus à un équilibre intéressant, notamment en matière de développement durable et de « durabilité », pour reprendre un terme qui figure dans le texte même de votre amendement, monsieur Massion.
Par ailleurs, j’avoue avoir été surpris par l’une des formules que vous avez employée lorsque vous avez affirmé que le juge devait définir la valeur du terrain ou du bien en fonction des « capacités contributives » des communes. Ce serait donc en fonction de la richesse des communes que le juge devrait fixer le montant d’une expropriation ou de l’exercice d’un droit de préemption. J’avoue qu’une telle proposition est un peu particulière au regard du droit de propriété !
Pour toutes ces raisons, comme pour celles qu’a exposées M. le rapporteur, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
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Libération de deux journalistes français otages en Afghanistan
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous annoncer une heureuse nouvelle dont vient de m’informer M. le président du Sénat.
Les deux journalistes de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ont été libérés aujourd'hui. (Applaudissements.)
Selon les informations du journal Le Monde, les deux anciens otages seront présents dans l’après-midi à l’ambassade de France à Kaboul et devraient arriver en France demain matin. Je vous rappelle que les deux journalistes ont été enlevés dans la province de Kapisa le 30 décembre 2009.
6
Exercice du droit de préemption
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à améliorer et à sécuriser l’exercice du droit de préemption.
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels avant l'article 1er.
Articles additionnels avant l'article 1er (suite)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 11, présenté par MM. Raoul, Repentin, Daunis, Caffet, Godard, Courteau, Navarro et Rebsamen, Mme Bricq et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme est ainsi rédigé :
« Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations ayant pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, un projet de transport en commun, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques et des services de proximité aux habitants, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti. Ils peuvent également être exercés pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement et la lutte contre la spéculation foncière et immobilière ou pour permettre l’amélioration du fonctionnement de copropriétés en plan de sauvegarde au sens de l’article L. 615-1 du code de la construction et de l’habitation ou de copropriétés en difficulté au sens des articles 29-1 A à 29-3 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. »
La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Cet amendement tend à reformuler les finalités du droit de préemption.
Dans son étude publiée en 2007, le Conseil d’État a fait ressortir l’intérêt qu’il y aurait à définir avec plus de précision le champ de l’exercice du droit de préemption urbain, de façon à clarifier la destination de cet outil.
Dans le droit actuel, l’article L. 210-1 renvoie à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme qui, dans son premier alinéa, désigne les actions susceptibles de justifier l’exercice du droit de préemption : « Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. »
Par cet amendement, nous proposons, d’une part, d’ajouter la mention de la réalisation d’un projet de transport en commun, d’autre part, de réaffirmer clairement l’objectif de constitution de réserves foncières en vue d’opérations futures.
En effet, si les établissements publics fonciers ont en général cette dernière vocation, il s’avère souvent nécessaire d’anticiper des projets alors même que ceux-ci ne sont pas encore rendus publics. Les schémas de cohérence territoriale – SCOT – désignent souvent des sites d’urbanisation à venir, permettant de procéder à des préemptions sélectives pour préserver la capacité future des collectivités. Toutefois, en l’absence de tout outil de type zone d’aménagement différé locale – nous y reviendrons par la suite –, il est essentiel de sécuriser les établissements publics fonciers qui sont créés sur l’initiative des collectivités locales et qui servent aussi à constituer des réserves foncières.
Par ailleurs, comme l’a dit notre collègue Laurent Béteille, la vente de lots de copropriété en plan de sauvegarde ou en difficulté n’ayant pas encore atteint le stade de l’insalubrité pourrait aussi être un outil intéressant pour nos collectivités. Nous éviterions ainsi de voir certains immeubles se dégrader de manière catastrophique.
Mme la présidente. L'amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet, Detcheverry et Chevènement, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Marsin, Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, après les mots : « dans l'intérêt général, » sont insérés les mots : « de projets d'aménagements, ».
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Le vote de cet amendement ne ferait faire qu’un petit pas au code de l’urbanisme, mais ce serait un grand pas pour la sécurisation du droit de préemption.
En effet, en matière de droit de préemption, la notion de « projet » a très longtemps souffert d’une interprétation très restrictive du juge administratif, interprétation qui affectait la sécurité juridique des opérations décidées par nos collectivités. L’arrêt Lebouc du Conseil d’État, rendu en 1986, avait posé deux principes auxquels devait nécessairement se soumettre l’exercice du droit de préemption : l’antériorité et la précision du projet.
Très opportunément, le Conseil d’État est revenu sur ces critères, trop exigeants à notre sens, dans un arrêt de 2008. Ainsi, aujourd’hui, nos collectivités peuvent mettre en œuvre leur droit de préemption dès lors que leur projet est conforme aux objectifs visés par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, sans que ses caractéristiques précises soient nécessairement définies.
Pour autant, nous souhaitons renforcer encore la sécurité juridique des opérations d’aménagement décidées par les collectivités en complétant l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, qui définit les objectifs des projets justifiant l’usage du droit de préemption.
Le présent amendement a donc pour objet d’ajouter les « projets d’aménagements » réalisés dans l’intérêt général aux actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, de façon à renforcer le cadre de l’action d’aménagement des collectivités et, comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, d’inscrire dans la loi la jurisprudence nouvelle du Conseil d’État.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par Mme Didier, MM. Danglot et Le Cam, Mmes Schurch, Terrade et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Avant l'article premier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils peuvent également être exercés pour lutter contre la spéculation immobilière et foncière. »
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Nous souhaitons compléter les dispositions de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, qui définit les finalités du droit de préemption.
En l’état actuel du code, il est indiqué que le droit de préemption est exercé en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, c'est-à-dire à la mise en œuvre d’un projet d’urbanisme ou à des fins de réserve foncière.
Nous souhaitons que figure également dans les finalités du droit de préemption la lutte contre la spéculation foncière et immobilière.
Tout d’abord, une telle insertion permettrait de sécuriser juridiquement ce droit en évitant toute source de contentieux.
De plus, nous estimons que la pression qui s’exerce sur le foncier est intenable et qu’elle aggrave les inégalités territoriales, car elle éloigne toujours plus du centre des villes les populations fragiles.
La spéculation, en favorisant la hausse des prix du foncier, contribue également à accroître les difficultés d’intervention des collectivités.
En outre, il est évident que le renchérissement du coût d’acquisition d’un terrain se fait au détriment de la qualité même de la construction ou des équipements, les ressources liées à un projet n’étant évidemment pas extensibles à l’infini.
Il est donc nécessaire de permettre aux collectivités, notamment en zone tendue, de mener des actions permettant de lutter contre cette inflation, qui ne bénéficie, au final, qu’aux banques et aux assurances, par le biais des crédits immobiliers.
La crise du logement atteint actuellement un paroxysme. La maîtrise des sols étant une compétence des collectivités locales, il n’est pas inopportun de donner cette finalité au droit de préemption, afin de répondre, notamment, aux exigences de mixité sociale.
Contrairement à ce qui m’a été dit en commission, une telle insertion n’est pas incompatible avec le droit européen : le Conseil d’État lui-même a indiqué, dans son étude de 2007, que la jurisprudence européenne considérait que le droit de préemption constituait une atteinte justifiée par un motif d’intérêt général et proportionné.
À nos yeux, la lutte contre la spéculation foncière et immobilière est un motif d’intérêt général, permettant l’émergence de projets d’intérêt général à travers des opérations d’aménagement, et l’exercice du droit de préemption constitue un moyen tout à fait proportionné pour l’atteindre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hervé Maurey, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Je demande le retrait de l’amendement n° 11, que je considère comme satisfait.
Il est satisfait en ce qui concerne les copropriétés puisqu’un amendement de M. Alduy portant spécifiquement sur ce point a reçu un avis favorable.
M. Daniel Raoul. Donc, il sera satisfait…
M. Hervé Maurey, rapporteur. En effet !
En tout cas, sur les réserves foncières, il est d’ores et déjà satisfait puisqu’elles sont explicitement citées comme pouvant justifier l’exercice du droit de préemption.
Enfin, ainsi que je vous l’ai déjà dit, mon cher collègue, il ne nous semble pas nécessaire de mentionner, parmi les motifs d’exercice du droit de préemption, les projets de transport en commun dès lors que le code de l’urbanisme se réfère à la notion de réalisation d’équipements collectifs. Or, à ma connaissance, les projets de transports sont des équipements collectifs…
En ce qui concerne l’amendement n° 22, je comprends tout à fait l’objectif de M. Mézard : sécuriser l’action des communes. Du reste, c’est également celui que nous visons dans cette proposition de loi.
Cependant, comme l’avez vous-même rappelé, mon cher collègue, le Conseil d’État a déjà fait évoluer sa jurisprudence sur la motivation. Je ne pense pas qu’inscrire dans la loi la notion de projet d’aménagement apporterait quoi que ce soit au regard de cette jurisprudence. Cela pourrait même avoir l’effet inverse de celui que vous recherchez dans la mesure où vous ne proposez d’introduire la mention des projets d’aménagements qu’à l’article L. 210-1, alors que beaucoup d’articles du code de l’urbanisme font référence aux « actions ou opérations d’aménagement répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 ».
C’est raison pour laquelle je souhaite également le retrait de l’amendement n° 22 rectifié.
J’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 2, car le fait d’ajouter aux motifs justifiant l’exercice du droit de préemption la lutte contre la spéculation foncière me paraît, comme je l’ai dit en commission, poser des problèmes au regard du droit européen.
En effet, la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, n’accepte le droit de préemption que pour un objet d’intérêt général mené dans un délai raisonnable. L’objectif global de lutte contre la spéculation ne saurait satisfaire à cette condition.
Je vous rappelle en outre, madame Didier, que la CEDH a condamné la pratique de l’expropriation à des fins de réserve foncière. En revanche, elle accepte aujourd’hui l’exercice du droit de préemption en vue de la constitution de réserves foncières. Il nous faut donc, malgré tout, être assez vigilants quant au risque d’une éventuelle sanction de la part de la CEDH.
Cela étant, comme je vous l’ai déjà indiqué, le droit de préemption, parce qu’il permet de maîtriser le marché foncier, contribue à éviter cette spéculation foncière que vous dénoncez.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Sur les trois amendements, l’avis du Gouvernement est identique à celui de la commission.
Il me semble que l’amendement n° 11 est pleinement satisfait. À l’évidence, le droit de préemption peut parfaitement s’exercer dans le cadre de la mise en place d’une ligne de transport en commun : c’est d’ores et déjà le droit.
De même, le droit permet aujourd’hui de mettre en œuvre le droit de préemption pour améliorer le fonctionnement de copropriétés. En revanche, si l’on fait un raisonnement a contrario, ce que vous proposez à cet égard, monsieur Raoul, pourrait être interprété comme plus restrictif que le droit actuel.
Je demande également à M. Mézard de bien vouloir retirer l’amendement n° 22, reprenant à mon compte les raisons avancées par le rapporteur.
Sur l’amendement n° 2, qui tend à mentionner, parmi les objets de l’exercice du droit de préemption, la lutte contre la spéculation immobilière et foncière, j’ajouterai aux arguments développés par le rapporteur qu’il y a, à mon sens, un risque d’abus de pouvoir.
Comment va-t-on définir ce qu’est une spéculation immobilière et foncière ? À partir de quel taux d’augmentation des prix du foncier peut-on parler de spéculation ? 2 % ? 5 % ? 18 % ? Et cela peut varier d’une commune à l’autre ! Il est évident que se trouve là une possible source d’abus de pouvoir, de nature à constituer un véritable « nid à contentieux ».