M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis en nouvelle lecture aujourd’hui a été examiné pour la première fois par notre assemblée le 14 avril dernier. Il l’a été ensuite par l’Assemblée nationale le 4 juillet dans le cadre de la procédure accélérée. Il nous revient aujourd’hui après l’échec de la commission mixte paritaire du 6 juillet, après une nouvelle lecture à l’Assemblée nationale le 12 du même mois.
Conformément à l’article 45 de la Constitution, après l’examen du texte auquel nous allons procéder aujourd’hui, le Gouvernement pourra demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement, cette dernière ayant toute liberté de retenir ou non les amendements que nous aurons adoptés.
Nous sommes donc dans une situation exceptionnelle. À cet égard, nous devons avoir à l’esprit que c’est l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot et qui décidera du sort qui sera réservé à ce texte.
Ce projet de loi, qui reprend notamment certaines recommandations du rapport sur la répartition des contentieux remis le 30 juin 2008 par le recteur Guinchard au garde des sceaux – plusieurs des autres propositions qu’il contenait ont d’ailleurs déjà été reprises dans divers textes législatifs ou réglementaires – porte sur des aspects assez variés de l’activité judiciaire. Je n’en citerai que quelques-uns.
Tout d’abord, ce texte supprime les juridictions de proximité. Les juges de proximité sont maintenus et rattachés au tribunal de grande instance.
Ensuite, il crée de nouvelles juridictions, à savoir un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre au sein du tribunal de grande instance de Paris, ainsi que des juridictions spécialisées en matière d’accidents collectifs, tels que les accidents industriels ou les catastrophes aériennes.
Par ailleurs, il prévoit une réforme de la justice militaire.
Ce texte modifie certaines règles de procédure en matière de divorce et de médiation familiale.
Enfin, il étend les domaines d’application de certaines procédures pénales simplifiées, telles que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou l’ordonnance pénale.
Sur ces dispositions, qui constituaient l’essentiel du projet de loi initial, un accord global avait pu être trouvé en commission mixte paritaire. La commission des lois, qui s’est réunie la semaine dernière, vous proposera donc, à quelques ajustements près, de reprendre les conclusions de la CMP.
La question est en revanche plus complexe s’agissant des articles additionnels de portée diverse introduits par l’Assemblée nationale sur l’initiative du président de sa commission des lois, M. Warsmann. Le Sénat n’a découvert l’existence de ces articles, qui portent notamment sur les juridictions financières et les juridictions administratives, qu’au moment de la réunion de la commission mixte paritaire. C’est parce que notre assemblée n’a pu examiner ces dispositions nouvelles avant cette réunion et parce qu’elle s’est trouvée mise devant le fait accompli qu’un accord global n’a pas pu être trouvé le 6 juillet.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
En nouvelle lecture, le 12 juillet, l’Assemblée nationale a apporté peu de modifications au texte qu’elle avait adopté en première lecture. Elle a pris en compte plusieurs des points d’accord de la CMP, en particulier le maintien de la multipostulation des avocats entre les barreaux de Bordeaux et de Libourne, d’une part, et ceux de Nîmes et d’Alès, d’autre part.
Outre le rétablissement de la compétence actuelle des juges de proximité pour connaître des contentieux civils d’une valeur n’excédant pas 4 000 euros – disposition adoptée au Sénat et confirmée en CMP, avant d’être supprimée par nos collègues députés –, je vous proposerai quelques ajustements afin de revenir au texte qui avait fait l’objet d’un accord en CMP et qui prenait en compte les apports de chacune des deux assemblées parlementaires.
Les dispositions nouvelles introduites par l’Assemblée nationale concernant les juridictions administratives sont d’ampleur limitée. Elles visent notamment à faciliter un règlement rapide du contentieux, lorsque l’affaire le justifie, grâce à l’amélioration du recours à la conciliation, à l’ordonnance de jugement ou à la dispense de conclusions du rapporteur public, d’une part, et à rapatrier dans le droit commun des juridictions administratives des procédures exceptionnelles qui ne se justifient plus aujourd’hui, telles que le contentieux de l’indemnisation des Français dépossédés de biens situés dans d’anciennes colonies, d’autre part.
La commission des lois vous proposera donc d’adopter ces dispositions dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale.
Les modifications introduites par nos collègues députés concernant les juridictions financières sont, elles, de plus grande ampleur puisqu’elles visent à permettre la mise en œuvre partielle d’une réforme de l’organisation des chambres régionales des comptes, laquelle est envisagée depuis plusieurs années.
Un premier schéma de réforme avait été conçu par Philippe Séguin. Il consistait en une fusion organique des chambres régionales des comptes et de la Cour des comptes, ce qui n’aurait laissé survivre que six à huit chambres de la Cour, chargées des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.
Le nouveau schéma retenu par l’Assemblée nationale consiste à renvoyer au pouvoir réglementaire la définition du siège et du ressort des chambres régionales des comptes et à limiter leur nombre à vingt, contre vingt-sept aujourd’hui.
Parmi les dispositions relatives aux juridictions financières, il faut également relever l’élaboration de normes professionnelles que devront respecter les magistrats financiers, ainsi que le relèvement des seuils de l’apurement administratif, lequel sera étendu aux communes dont la population est comprise entre 3 500 et 5 000 habitants et à leurs établissements publics, ainsi qu’à la plupart des établissements publics locaux d’enseignement.
En conséquence, les chambres régionales des comptes ne contrôleront plus directement et systématiquement que 3 606 communes, au lieu de 9 354 aujourd’hui, mais elles pourront toujours examiner la gestion des collectivités soumises à l’apurement administratif, comme elles l’ont fait, par exemple, pour une trentaine de communes et pour quatre établissements publics de coopération intercommunale au cours de l’année 2010.
J’ajoute que, comme aujourd’hui, seules les chambres régionales des comptes pourront mettre en jeu la responsabilité des comptables publics de façon définitive, y compris lorsque celle-ci est engagée au titre d’organismes dont les comptes seront soumis à l’apurement administratif.
Parmi les dispositions nouvelles relatives aux chambres régionales des comptes figure également la simplification du fonctionnement des formations inter-juridictions, qui devrait permettre de réduire les délais de réalisation des enquêtes et des contrôles relevant de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, ainsi que l’inscription dans la loi de la possibilité, pour le Premier ministre, de demander à la Cour de réaliser des enquêtes.
Au regard du développement des enquêtes menées conjointement par la Cour et par les chambres, la plupart de ces mesures paraissent utiles.
La disposition la plus sensible est donc bien celle qui concerne le nombre et le ressort des chambres régionales des comptes. L’article 24 novodecies, introduit par l’Assemblée nationale, fixe à vingt le nombre maximal de chambres régionales des comptes, ce qui pourrait conduire à la suppression de sept chambres en métropole.
Au cours de l’examen de ces dispositions le 12 octobre dernier, la commission des lois a, dans un premier temps, rejeté l’amendement que je lui proposais visant à fixer un nombre minimum de chambres et à permettre, le cas échéant, au pouvoir réglementaire de conserver dix-huit chambres en métropole sur les vingt que l’on y compte actuellement. Dans un second temps, elle a purement et simplement supprimé l’article 24 novodecies.
La discussion des articles nous donnera sans doute l’occasion de revenir sur cette importante question, mais nous ne devons pas oublier que ce sont les députés qui auront le dernier mot sur ce texte, comme je le rappelais au début de mon intervention.
Pour terminer, permettez-moi de revenir sur la nouvelle lecture du texte à l’Assemblée nationale, le 12 juillet dernier. Un député, par ailleurs bon connaisseur des juridictions financières, a cru utile – je pense que M. le garde des sceaux s’en souvient – de s’exprimer de la manière suivante : « Que souhaite donc le Sénat ? Veut-il enterrer cette réforme qui va dans le sens de l’amélioration de l’efficacité des juridictions financières ? [...] L’argument employé par les sénateurs pour bloquer la commission mixte paritaire n’est pas sérieux ! [...] Je saurai m’en souvenir lors de la discussion des lois de finances, monsieur le garde des sceaux, car c’est nous – les députés – qui sommes les représentants du peuple français, et personne d’autre dans ce pays ! ».
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Vous aurez compris que je ne fais pas mienne cette citation ! Je souhaitais juste la porter à votre connaissance, mes chers collègues.
M. Yves Détraigne, rapporteur. Effectivement !
Mme Nathalie Goulet. Elle est pétillante !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Un certain nombre d’entre vous auront compris qui en est l’auteur… (Nouveaux sourires.)
Comme vous tous, je ne peux que regretter de tels propos, que je qualifierai d’outranciers. Permettez-moi, en réponse, de citer Talleyrand : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant. »
Quelle que soit la décision que nous prendrons aujourd’hui, celle-ci sera, s’agissant d’une disposition qui concerne directement les territoires et les collectivités territoriales, dont nous sommes constitutionnellement les représentants, tout aussi légitime, pour ne pas dire plus, que celle qu’ont prise les députés.
À nous donc de faire en sorte que le Sénat joue pleinement son rôle cet après-midi et ce soir, pour que l’Assemblée nationale soit, bon gré mal gré, obligée de tenir compte de nos apports. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, apparentés, et groupe Europe écologie Les Verts rattaché, 18 minutes ;
Groupe Union pour un mouvement populaire, 17 minutes ;
Groupe Union centriste et républicaine, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 7 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 7 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 3 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 14 avril dernier, soutenant devant cette assemblée une motion de renvoi à la commission, j’exposais l’opposition ferme de la majorité de notre groupe à ce texte de circonstance, dont l’objectif fondamental est de déjudiciariser à tout prix, au mépris du contradictoire, de la proximité et de l’intérêt du justiciable.
Ce même 14 avril 2011, avec le talent qui est le sien, notre ancien collègue Robert Badinter soutenait une motion tendant à opposer la question préalable, explicitant clairement les raisons pour lesquelles son groupe contestait ce projet de loi. Je le cite : « Monsieur le garde des sceaux, soyons clairs : ce qui est actuellement au cœur du débat en matière judiciaire, c’est la question majeure, première, de l’indépendance et des garanties statutaires qui doivent être données aux magistrats du parquet s’agissant de leur nomination, de leur promotion et de leurs responsabilités. »
Me souvenant de l’un des ultimes messages si forts de notre ancien collègue, quelle ne fut pas ma surprise de constater la semaine dernière, en commission des lois, l’évolution de quelques-uns de mes collègues socialistes sur ce sujet ! Certes, chacun est libre d’évoluer. C’est respectable. Peut-être est-ce là un avant-goût d’une gouvernance partagée ou, tout simplement, une perte passagère de mémoire ? En tout cas, nous, nous n’adorerons pas ce que nous avons brûlé !
En effet, ce texte est inacceptable, et d’abord en la forme : d’une part, l’utilisation de la procédure accélérée est totalement injustifiée, d’autre part, la tentative d’insérer à la hussarde, avant la réunion de commission mixte paritaire, non un cavalier mais un escadron législatif, à savoir un texte autonome sur les juridictions financières, est déplorable. Je remercie donc M. Hyest, l’ancien président de la commission des lois, et M. le rapporteur d’avoir résisté.
M. Jacques Mézard. Il convient de persévérer dans cette voie,…
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Jacques Mézard. … même si le député René Dosière a qualifié l’attitude du Sénat de « non admissible ».
Banaliser le recours à la procédure accélérée et le vote conforme, ce n’est respecter ni le Sénat ni la démocratie.
Certes, nous pouvons comprendre la volonté de réformer les juridictions financières. Achevant moi-même un rapport sur le contrôle de légalité et sur les chambres régionales des comptes, j’entends nombre d’arguments de la Cour des comptes sur l’insuffisante coordination en la matière, sur les thèmes de contrôle, sur les différences de traitement entre collectivités, sur les délais, sur le recrutement, sur les détachements, sur l’évolution du contrôle de légalité par les préfets, sur l’utilisation de leur réseau d’alerte, sur la mise en place de recommandations.
Mais une telle réforme ne peut être réalisée par le biais d’un texte voté à la sauvette, dont le contenu est à géométrie variable.
Monsieur le garde des sceaux, les griefs majeurs que nous vous adressons aujourd'hui concernant ce texte sont les mêmes que ceux que nous formulions en première lecture. La justice de ce pays est dans un état suffisamment grave pour ne pas être davantage encore déstabilisée par des textes traduisant une méfiance envers les magistrats et qui ne s’attaquent pas à ses véritables maux, lesquels nous inquiètent tous.
Ce que nous refusons, c’est l’incohérence des choix politiques effectués au détriment d’une justice accessible, efficace, transparente et respectueuse des principes de l’État de droit. Oui, j’ai bien dit « incohérence » ; et je dirai même « incohérence absolue ».
À cet égard, la justice de proximité est un exemple éclairant. En 2002, année de sa création, elle était censée, nous disait-on, « répondre aux besoins d’une justice plus accessible ». Or la suite, ce fut la réforme de la carte judiciaire et la destruction de centaines de tribunaux d’instance : quelle proximité ! Au 1er janvier 2011, vingt-neuf juridictions ne disposaient toujours d’aucun juge de proximité.
Au printemps, vous faisiez voter la loi créant les jurés populaires en correctionnelle, en indiquant, alors que vous nous disiez l’inverse quelques semaines auparavant, qu’avec la suppression de la juridiction de proximité les juges de proximité deviendraient des supplétifs des tribunaux correctionnels. Voilà la réalité des textes, monsieur le garde des sceaux : ils prévoient tout et son contraire.
La proximité consiste à rapprocher la justice du citoyen. Vous, vous faites tout pour l’en éloigner. Vous aviez la possibilité de développer la procédure de conciliation devant les tribunaux d’instance, prévue par l’article 830 du code de procédure civile, dont le fonctionnement donnait satisfaction. Vous ne l’avez pas fait, préférant éloigner le justiciable du palais de justice et des magistrats.
Un autre exemple de cette incohérence tient dans l’obligation de médiation préalable lors de la saisine du juge aux affaires familiales sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Voilà une proposition qui me paraît, même si elle ne sera mise en place qu’à titre expérimental, tout simplement aberrante, tant sur le fond qu’en ce qui concerne ses modalités d’application techniques ou financières. En effet, il n’y a pas suffisamment de médiateurs compétents et formés. En outre, leur rémunération est à la charge du justiciable, les moyens faisant défaut. L’obligation de passer devant le médiateur avant de saisir le juge est incongrue. En effet, la saisine du juge aux affaires familiales implique qu’il y a urgence à décider, même provisoirement.
Vouloir déjudiciariser à tout prix – telle est la philosophie même de ce texte – pour confier des responsabilités aussi graves à des intervenants extérieurs est contraire à l’intérêt de nos concitoyens.
Ainsi que Robert Badinter l’avait mis en exergue, le point le plus crucial de ce projet de loi, outre le problème des juridictions financières, sur lequel la position du Sénat a été peu respectée, est le développement des procédures pénales dites « simplifiées », avec un pouvoir quasi discrétionnaire confié à un parquet toujours dépendant, au mépris du droit européen.
Ces procédures pénales simplifiées ont le même objectif : pallier le manque de moyens et le délabrement de l’institution.
L’ordonnance pénale, dont vous étendez le champ d’application, c’est la grande distribution en matière de justice pénale. Ce virus, dont vous avez permis le développement, a atteint le tissu délictuel, alors qu’il s’agit d’une procédure écrite et non contradictoire. Le rapport Guinchard, dont vous n’avez retenu que les passages qui vous arrangeaient, préconisait de l’appliquer à tous les délits, ce qui est absolument effrayant. L’article 20 prévoit une large extension du champ de cette procédure, en particulier aux délits de vol, de recel, de destruction, de fuite, et même, ce qui est curieux au regard des objectifs de votre politique générale, au délit de port d’armes de la sixième catégorie, et vous l’assortissez d’un ticket de réduction de moitié de l’amende encourue.
À la page 111 du rapport de première lecture, M. le rapporteur écrivait qu’une telle disposition « est de nature à réduire davantage l’incitation du prévenu à former opposition ». Tout est dit. Est-ce là l’objectif de votre politique pénale, monsieur le garde des sceaux ? Certes, si la « pochette-surprise pénale », c’est « tout à un euro », même les innocents en redemanderont !
Aux mêmes fins, vous proposez l’extension du champ de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, laquelle peut se résumer ainsi : « Avouez, c’est moins cher ! » Le projet de loi prévoyait d’étendre cette procédure à tous les délits. Heureusement, la commission a joué un rôle modérateur, en excluant le nouveau dispositif pour certaines atteintes graves aux personnes.
Monsieur le garde des sceaux, je vous l’ai déjà dit, vous n’appliquez pas les directives du Président de la République. Celui-ci se réjouissait, lors de la réforme de la garde à vue, de la fin de la culture de l’aveu. Eh bien, vous faites le contraire ; il ne sera pas content !
Mes chers collègues, nous ne sommes pas dans un pays anglo-saxon. La CRPC élargie écartera des prétoires la quasi-totalité des délits financiers, ce qui n’est pas un hasard…
Nous subissons ces dernières années une avalanche de textes : leur fil conducteur est non pas la construction d’une justice efficace, proche des citoyens, mais l’utilisation de séquences médiatiques axées sur le message sécuritaire et un processus de déjudiciarisation constant, en harmonie avec la RGPP.
La justice de ce pays va mal, tout le monde le dit. Sa réforme est urgente. Encore faut-il la mener correctement.
Plutôt que de débattre de l’indépendance du parquet, du maintien d’une instruction indépendante, d’une justice des mineurs adaptée ou de la proximité, nous en sommes encore à discuter d’un texte inopportun et rejeté par l’immense majorité des professionnels.
De surcroît, vous le savez, monsieur le garde des sceaux, faute de moyens, la loi pénitentiaire est difficile à appliquer. Cette question devrait être une véritable priorité.
Il est aujourd'hui démontré que nombre de nos concitoyens ont perdu confiance dans cette institution qu’est la justice, ce qui n’est guère étonnant compte tenu de la méfiance dont les plus hauts responsables de l’État font preuve eux-mêmes envers les magistrats.
Voilà la réalité, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues. Ce projet de loi est un mauvais texte et, vous l’avez compris, notre groupe votera très majoritairement contre. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici de nouveau conduits à débattre du projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles.
Que dire de cette nouvelle lecture, si ce n’est que si nous en sommes arrivés là, c’est peut-être à cause de l’excès de ferveur de certains, qui ont eu, certes, des idées intéressantes, mais peu opportunes en raison de la procédure adoptée.
De notre point de vue, il n’y a pas lieu de refaire entièrement le débat qui nous a déjà occupés de longues heures.
Néanmoins, je souhaiterais redire, au nom de mes collègues UMP, que nous soutenons les propositions de M. le rapporteur, Yves Détraigne, qui a fait un travail remarquable de concertation et de proposition.
Face à un système judiciaire de plus en plus incompréhensible et complexe pour nos concitoyens, il est nécessaire d’envisager une justice rénovée, plus lisible et plus proche des justiciables.
Penser une justice rénovée, c’est envisager une justice adaptée aux évolutions de la société, c’est aussi établir une justice porteuse de sens pour l’intervention du juge.
Tel est l’objet de ce texte, qui entend compléter la démarche de modernisation entreprise depuis 2009, en offrant, d’une part, une simplification et une clarification de l’institution judiciaire, et, d’autre part, un allègement et une rationalisation des procédures.
Le principal axe d’intervention est centré sur une certaine forme de confusion qu’a engendrée la création de la juridiction de proximité.
Aujourd’hui, trois juridictions interviennent dans le contentieux civil de première instance. Les critères de répartition entre celles-ci manquent à l’évidence de clarté.
Je tiens à redire ici notre attachement aux juges de proximité, lesquels ont su trouver une place légitime et singulière dans notre fonctionnement judiciaire.
C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, nous soutenons de nouveau la proposition de M. le rapporteur de maintenir la compétence des juges de proximité pour connaître des petits litiges civils, d’une valeur n’excédant pas 4 000 euros. Cette proposition avait d’ailleurs fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire, mais nos collègues députés ont préféré la supprimer lors de l’examen du texte en nouvelle lecture.
Nous souhaitons maintenir les attributions des juges de proximité, en dépit du rattachement de ceux-ci aux tribunaux de grande instance. En effet, les tribunaux d’instance ne paraissent pas en mesure d’assumer le retour de près de 100 000 affaires civiles nouvelles chaque année, sans que leurs effectifs soient augmentés. À défaut d’une adaptation des effectifs à cette nouvelle charge, le jugement des contentieux civils relatifs aux petits litiges de la vie quotidienne risquerait d’intervenir dans des délais beaucoup plus longs qu’actuellement.
Nous avons bien entendu, monsieur le ministre, votre engagement personnel d’examiner avec attention les difficultés que pourraient connaître les tribunaux d’instance, engagement dont nous n’avons aucune raison de douter.
Pour autant, nous nous interrogeons : pourquoi engager des dépenses supplémentaires pour priver les juges de proximité de contentieux qu’ils connaissent bien, qu’ils tranchent avec une qualité massivement appréciée et qui leur confèrent une réelle légitimité ?
J’en viens à un autre sujet qui a fait couler beaucoup d’encre depuis le mois de juillet et qui a été évoqué cet après-midi à de nombreuses reprises, celui des juridictions financières.
Je rappelle à mon tour que les dispositions sur ce sujet ont toutes été introduites lors de la commission mixte paritaire, alors même que nous n’en avions jamais discuté au cours de l’examen de ce texte. Je ne reviendrai pas sur la méthode. Il n’empêche que le texte soumis en nouvelle lecture à la Haute Assemblée comportait ces mêmes dispositions, permettant notamment au pouvoir réglementaire de fixer le siège et le ressort des chambres régionales des comptes.
Comme nous l’a expliqué M. le rapporteur, le nouveau schéma retenu limite le nombre de chambres à vingt, alors que le territoire en compte aujourd’hui vingt-sept, dont vingt-deux en métropole et cinq outre-mer.
La commission des lois a décidé de supprimer purement et simplement l’article les concernant. Nous vous proposerons, conjointement avec nos collègues du groupe UCR, une nouvelle rédaction de cet article. Elle prévoit que le nombre de chambres ne peut être inférieur à quinze afin d’assurer un schéma territorial adapté aux exigences de contrôle des collectivités territoriales.
Par ailleurs, nous proposons de créer une chambre unique dans la zone Antilles-Guyane, laquelle regrouperait les trois chambres actuelles de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, et une chambre unique dans la zone Réunion-Mayotte, laquelle regrouperait alors les deux chambres actuelles de la Réunion et de Mayotte. En effet, ces chambres régionales fonctionnent déjà actuellement avec les mêmes personnels par zone. Une telle solution serait inodore, incolore et ne poserait aucune difficulté.
Les dispositions relatives aux juridictions financières comportent d’abord la définition de normes professionnelles que devront respecter les magistrats financiers.
Elles relèvent ensuite les seuils de l’apurement administratif des comptes, qui sera étendu aux communes dont la population est comprise entre 3 500 et 5 000 habitants et à leurs établissements publics, ainsi qu’à la plupart des établissements publics locaux d’enseignement.
Elles prévoient, enfin, l’inscription dans la loi de la possibilité pour le Premier ministre de demander à la Cour des comptes de réaliser des enquêtes.
Nous ne pouvons que nous réjouir de ces dispositions, comme de celles qui concernent les juridictions administratives, qui visent à faciliter un règlement rapide du contentieux.
Nous nous réjouissons, par ailleurs, que l’Assemblée nationale ait pris en compte un point d’accord, important pour nous, à savoir l’article 25 A, qui a trait à la multipostulation des avocats. Celle-ci est désormais possible, outre en région parisienne, entre les tribunaux de grande instance de Bordeaux et de Libourne d’une part, et ceux de Nîmes et d’Alès, d’autre part.
Je dirai un mot, monsieur le garde des sceaux, sur un sujet qui m’est particulièrement cher, ainsi qu’à ma collègue Catherine Troendle, celui de l’adaptation de la procédure de faillite civile, applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, au statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’EIRL. Cette disposition, que nous avions adoptée en première lecture, avec avis favorable de la commission et du Gouvernement, a été maintenue à l’Assemblée nationale.
Pour finir, j’évoquerai rapidement les dispositions faisant l’objet d’un accord entre les deux assemblées. Qu’il s’agisse de la création de nouvelles juridictions spécialisées en matière de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, de la réforme de la justice militaire, des dispositions relatives à la procédure de divorce et à la médiation familiale, de la création des pôles régionaux compétents pour les accidents collectifs ou de l’extension du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et de l’ordonnance pénale, nous nous réjouissons de la rédaction trouvée grâce au travail des deux assemblées.
La clarification de notre organisation judiciaire prévue dans ce texte s’accompagne d’un effort de clarification des procédures, effort auquel nous ne pouvons que souscrire, grâce à la rationalisation du traitement des contentieux et à la spécialisation des juridictions dans les contentieux les plus complexes et les plus techniques, afin de renforcer l’efficacité de notre justice pénale.
Monsieur le président, mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce projet de loi permet de faire face, de manière efficace et maîtrisée, aux enjeux actuels auxquels est confrontée notre organisation judiciaire. Il s’inscrit dans la continuité des différentes réformes entreprises par le Gouvernement et la majorité afin de rendre notre justice plus lisible et plus compréhensible pour nos concitoyens.
En conclusion, il est important aujourd'hui que nous suivions les recommandations de M. le rapporteur. Vous l’aurez compris, le groupe UMP votera donc ce texte, pour une justice plus simple, plus équitable et plus accessible. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)