M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 14 avril dernier, je dénonçais déjà le recours à la procédure accélérée sur ce sujet particulièrement technique.
Permettez-moi aujourd'hui de rappeler quelques dates. Après avoir décidé d’engager la procédure accélérée sur ce projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat le 3 mars 2010 – peut-être sera-t-il promulgué deux ans après ? –, le Gouvernement ne l’a inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée qu’un an plus tard.
Ensuite, il a fallu attendre près de trois mois supplémentaires pour que l’Assemblée nationale s’en saisisse et y introduise une série de dispositions, lesquelles ont triplé le volume du texte. Deux jours après, en commission mixte paritaire, le Sénat a été mis devant le fait accompli. Mais comme le Sénat n’aime pas cela, ce que vous, monsieur le garde des sceaux, devez comprendre, il a fait échouer la CMP.
Le texte nous est aujourd'hui soumis en nouvelle lecture. Il ne faut donc pas se plaindre, comme j’ai entendu certains de nos collègues le faire en commission des lois ce matin, que nous revenions aujourd'hui sur des dispositions ayant été adoptées. C’est une nouvelle lecture : on peut donc tout supprimer, tout modifier.
Voilà où nous en sommes. À qui la faute, monsieur le garde des sceaux ?
Je me contenterai aujourd'hui d’aborder deux sujets.
En première lecture, nous avions voté contre le texte pour plusieurs raisons, notamment celles qui ont été évoquées par mon collègue et ami, M. Jacques Mézard. Notre opposition portait sur deux points de la procédure pénale : la disparition du procès contradictoire et l’extension de la compétence du parquet.
En effet, sous couvert de simplification, votre texte prévoit deux mesures totalement inacceptables de notre point de vue : l’extension du champ de l’ordonnance pénale et celle du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Il est vrai que, avec l’ordonnance pénale, les choses vont plus vite. Le justiciable est condamné sans avoir comparu. Il reçoit par La Poste un courrier, au dos duquel il est écrit – en tout petit ! – qu’il peut faire opposition, mais il ne sait évidemment pas ce que cela signifie. Il ne fait donc pas opposition et se voit condamné. Voilà exactement comment cela se passe !
Je suppose, mes chers collègues, notamment vous qui siégez à la commission des lois ou qui êtes juristes ou avocats, que vous devez recevoir dans vos permanences un grand nombre de gens étonnés d’avoir été condamnés et d’avoir à payer une amende sans jamais, disent-ils, en avoir été avertis. Or ils ont bien été prévenus, mais ils n’ont malheureusement pas bien lu le courrier qu’ils ont reçu.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que l’audience contradictoire – un juge, des justiciables et, éventuellement, des avocats – est la seule façon de juger. Tout autre système est pervers. Le genre de procédure accélérée que vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux, ne vise qu’à rationaliser les moyens, à pallier le manque de magistrats et de greffiers et à aller plus vite.
Plus grave encore est l’extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. On a beaucoup glosé, au moment où elle a été introduite, sur cette innovation procédurale, qui n’est pas dans notre tradition. Dans notre tradition, monsieur le garde des sceaux, c’est le juge qui juge, et non le procureur !
Si l’article que vous proposez est finalement voté et si l’Assemblée nationale a le malheur de vous suivre, monsieur le garde des sceaux – je dis bien « le malheur » ! –, les procureurs de la République, qui ne sont pas des juges, comme l’arrêt Moulin l’a encore redit fortement – jugeront à peu près 60 % du contentieux pénal.
Et ne me dites pas, monsieur le rapporteur, que le juge pourra ensuite contester. Ce dernier, compte tenu de la masse des affaires que lui transmettra le procureur, ne fera qu’apposer sa signature au bas d’un document. C’est tout juste s’il n’utilisera pas un tampon ! Voilà exactement comment cela va se passer.
Cette disposition est absolument inacceptable et justifie, aujourd'hui encore, notre opposition à ce texte.
Nous acceptons d’autant plus mal l’extension du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité que, aujourd’hui – grâce à vous, monsieur le garde des sceaux ! –, le statut des membres du parquet est au cœur de l’actualité.
Il est au cœur des discussions sur toutes les travées depuis la réforme de la garde à vue. Mon collègue Jean-René Lecerf et moi-même avons rédigé un rapport sur la réforme de la procédure pénale, dans lequel nous indiquions ce qui nous paraissait acceptable pour l’avant-projet de loi, lequel, au demeurant, est resté dans les cartons.
Nous y indiquions clairement que nous n’étions pas défavorables à la suppression du juge d’instruction, mais que, au préalable, nous souhaitions une modification des conditions statutaires des membres du parquet, en termes tant de nomination que de discipline. Nous ne parlions pas de l’indépendance fonctionnelle du parquet.
Aujourd’hui, la question se pose de nouveau, d’autant plus, monsieur le garde des sceaux, que, si l’on en croit la presse – je ne suis pas membre de votre cabinet, fort heureusement, d’ailleurs –, vous proposez la nomination de votre directeur de cabinet au poste de procureur de la République de Paris. Bien entendu, votre directeur de cabinet n’est nullement en cause en tant que personne. Vous aviez déjà proposé sa nomination au poste de procureur général à Lyon, ce qui était tout de même un peu gros ! Le Conseil supérieur de la magistrature l’ayant refusée, vous lui proposez aujourd'hui de le nommer à Paris. (M. le garde des sceaux fait un signe de protestation.)
Ce poste est le plus politique – on peut le dire – de tous les parquets de France, car de nombreuses affaires se passent à Paris, comme à Lyon du reste, monsieur le garde des sceaux, où il est question de collusion entre la police et les truands, peut-être même les milieux politiques.
On se croirait revenus quarante ans en arrière, au moment de l’affaire des Écuries du Roy,…
M. Jean-Pierre Michel. … lorsqu’un député de droite magouillait avec la police, plus précisément avec le commissaire Javilliey !
À Paris, on le voit, se traitent des affaires délicates. Je n’évoquerai pas les procès qui viennent d’avoir lieu. Votre directeur de cabinet est un personnage politique, monsieur le garde des sceaux. Le directeur de cabinet – tout le monde le sait – n’est pas un simple chef de cabinet tenant votre agenda. C’est lui qui veille à l’application et à la mise en œuvre de la politique que vous êtes chargé de conduire. Et c’est lui que vous voulez nommer au poste de procureur de la République à Paris !
Je vous mets solennellement en garde, monsieur le garde des sceaux, au nom du groupe socialiste du Sénat : ne commettez pas cette erreur ! Retirez cette candidature !
M. Jean-Pierre Michel. D’ailleurs, les associations syndicales de magistrats, y compris les plus modérées d’entre elles, comme on a tendance à les qualifier, bien qu’elles le soient un peu moins grâce au Président de la République, ce dont je me réjouis, vous ont mis en garde contre cette nomination.
Vous me direz que tous les gouvernements ont procédé à de telles nominations dans le passé. Certes, mais nous sommes tous d’accord ici pour lutter contre la récidive ! (Sourires.) Cette question me paraît très importante, beaucoup plus que vous ne semblez l’imaginer, même si j’en parle avec un trait d’humour.
J’ajoute que votre directeur de cabinet a été nommé pour ordre avocat général à la Cour de cassation, à un poste qui n’existe pas. Peut-être pourriez-vous lui trouver un poste vacant quelque part, monsieur le garde des sceaux ?
J’évoquerai maintenant les juridictions financières. Je ne retracerai pas tout l’historique de cette réforme. Je rappelle simplement que le Président de la République l’avait demandée lors de la rentrée de la Cour des comptes voilà quelques années et que Philippe Seguin s’y était attelé. Il avait alors proposé une réforme un peu hard, selon son caractère. On avait trouvé que c’était un peu trop.
Le Gouvernement a ensuite déposé un projet de loi. Ce texte mettant en jeu la responsabilité des ministres et des hommes politiques, il a été bloqué. M. Warsmann, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a fait adopter quelques amendements qui ont conduit à ne laisser dans le texte que les dispositions relevant, il faut bien le dire, d’une application au rabais de la révision générale des politiques publiques.
Et la RGPP, monsieur le garde des sceaux, les élus, notamment les maires des communes rurales et des villes, savent ce que c’est. C’est vraisemblablement à cause d’elle, d’ailleurs, même si d’autres raisons ont joué, que le Sénat est passé à gauche !
Alors, s’il vous plaît, n’en rajoutez pas en ce qui concerne les chambres régionales des comptes !
En fait, il reste deux dispositions combinées : tout d’abord, la réduction par décret du nombre de chambres régionales des comptes, malgré les efforts notoires et méritoires de M. le rapporteur, qui n’a pas obtenu beaucoup de garanties sur celles qui seront supprimées et celles qui seront conservées ; ensuite, une diminution de la compétence des chambres régionales des comptes en raison d’une extension de la compétence des comptables publics. On sait très bien que les comptables publics ne feront pas tout ce que la loi les autorise à faire, de sorte que vont échapper aux contrôles des chambres régionales des comptes toute une série de comptes de communes et de communautés de communes…
Combinées, ces deux dispositions sont, on le voit bien, de la RGPP au rabais, ce que nous ne pouvons évidemment pas accepter !
Je le dis solennellement – à l’intention de l’extérieur, d’ailleurs – : nous ne sommes pas hostiles à une réforme de la juridiction financière, qu’il s’agisse de la Cour des comptes ou des chambres régionales des comptes. Peut-être faut-il revoir leur statut ? Peut-être faut-il renforcer les liens organiques entre la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes ? Peut-être faut-il revoir leur implantation ? Sans doute faut-il également s’interroger sur leurs compétences….
En tout cas, cette question ne saurait être traitée par le biais d’un amendement présenté à la sauvette par « l’excellent » M. Jean-Luc Warsmann.
Nous avons repoussé cet amendement en commission mixte paritaire, et c’est d’ailleurs essentiellement pour cette raison que celle-ci n’a pu parvenir à un accord, malgré les efforts de conciliation de M. le rapporteur. Nous proposerons donc des amendements visant à supprimer toutes les dispositions du texte relatives aux juridictions financières, car nous y sommes totalement opposés.
J’ajoute que si ces dispositions devaient être maintenues par l’Assemblée nationale, nous ne manquerions pas de saisir le Conseil constitutionnel, car il s’agit à l’évidence de cavaliers législatifs. Ces dispositions n’ont de rapport, ni de près ni de loin, avec le titre et l’objet de ce texte.
En première lecture, nous avions voté contre ce projet de loi. Notre vote aujourd’hui dépendra du sort qui sera réservé aux amendements que nous avons présentés, certains conjointement avec nos amis des groupes CRC et RDSE, lors de notre première réunion de commission ce matin.
Si le Sénat confirme le vote intervenu en commission, nous ne voterons vraisemblablement pas dans le même sens qu’au printemps. Or le texte n’aura alors évidemment plus rien à voir avec celui que vous aviez présenté, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne peux que m’associer, monsieur le garde des sceaux, à la requête que vient de vous présenter Jean-Pierre Michel, au nom du groupe socialiste. À mon tour, je vous demande de vous abstenir de procéder à des nominations politiques, à l’instar de celle de votre directeur de cabinet au poste de procureur de la République à Paris.
J’en reviens au texte soumis à notre examen. Au terme de la première lecture, le 14 avril dernier, le groupe CRC avait voté contre ce projet de loi.
Si la commission mixte paritaire réunie le 6 juillet a échoué, c’est essentiellement en raison des ajouts introduits par l’Assemblée nationale, l’un réformant les juridictions administratives et l’autre les juridictions financières, sans que notre assemblée ait eu la possibilité de les examiner à l’époque.
L’échec des travaux de la commission mixte paritaire témoigne à l’évidence des dérives de la procédure accélérée, et des limites que celle-ci impose au travail parlementaire.
Les présidents des deux assemblées avaient d’ailleurs la possibilité d’en demander la mainlevée. Ils ne l’ont pas fait ; c’est pour le moins regrettable. Par voie de conséquence, la commission mixte paritaire a échoué.
À l’Assemblée nationale, saisie à nouveau du projet de loi le 12 juillet, une majorité s’est dégagée pour maintenir les dispositions litigieuses que nos collègues sénateurs membres de la commission mixte paritaire avaient refusé d’intégrer dans le texte. De la part des députés, c’était faire bien peu de cas du travail effectué ici. Nous ne pouvions l’accepter.
Pour notre part, nous avions voté contre le projet de loi en première lecture pour des raisons de forme et de fond.
Sur la forme, mêler dans un même texte des dispositions tout à fait disparates, dont certaines recouvrent des enjeux importants, n’est pas de bonne pratique parlementaire. C’est une manière de faire voter des mesures législatives en dehors, précisément, du cheminement législatif normal. Bien que nous l’ayons dénoncée à plusieurs reprises, cette pratique perdure...
La clarté et l’efficacité du débat parlementaire exigent, lorsque celui-ci porte sur des sujets spécifiques, des discussions spécifiques. Présenter des fourre-tout législatifs, ce n’est pas une bonne manière de faire la loi.
Vous aviez insisté sur le fait, monsieur le garde des sceaux, que ce projet de loi procédait à une « mise en forme législative » des propositions contenues dans le rapport Guinchard. Manifestement, avec cette nouvelle version, nous nous en sommes encore loin.
Vous aviez également affirmé que ce projet de loi était le « pendant » de la réforme de la carte judiciaire achevée en décembre 2010. Pour vous, moderniser la carte judiciaire revient à diminuer le nombre de tribunaux, de personnels, les moyens de fonctionnement, et donc à amoindrir le service public de la justice. Vous me permettrez de contester cette conception, et le projet de loi qui l’accompagne !
Sur la justice de proximité, dont vous dessinez pour la troisième fois les contours, sans jamais avoir établi de bilan, vous connaissez notre position depuis le début : pour nous, les juges de proximité, ce sont les juges d’instance, ceux-là mêmes auxquels vous avez retiré des compétences, ceux dont vous avez fermé des tribunaux.
Rattacher les juges de proximité au tribunal de grande instance ne réglera rien : c’est faire d’eux une variable d’ajustement pour faire face aux besoins en magistrats, compte tenu du nombre insuffisant de juges professionnels.
Outre une nouvelle répartition des compétences dans des domaines pour le moins éloignés les uns des autres, vous procédez à toute une série de spécialisations de contentieux, eux aussi très divers. Certains posent question.
Sommes-nous, mes chers collègues, allés au bout de notre réflexion sur l’utilité de mettre en place des juridictions spécialisées en matière d’accidents collectifs ? Pour ma part, je continue à m’interroger. Ne faut-il pas conserver une certaine proximité ?
Je me félicite qu’un pôle compétent en matière de crimes contre l’humanité voit le jour. Ce n’était pas évident après les années de tergiversations et de frilosité, de la part du Gouvernement et de la majorité, sur l’adoption et le contenu du deuxième projet de loi d’adaptation de notre législation au statut de Rome. Je continue néanmoins de regretter que cette disposition prenne place dans un texte ayant bien peu à voir avec elle, comme si on voulait non pas l’adopter de façon plénière, mais le faire passer « en douce ».
Je regrette également, une nouvelle fois, l’intégration dans ce texte du régime dérogatoire en matière de garde à vue.
Les problèmes demeurent concernant la médiation familiale, prévue à l’article 15 : problème du consentement, problème du financement en cas de généralisation ultérieure du dispositif, problème lié à l’insuffisance programmée du nombre des médiateurs familiaux et, par conséquent, risque de voir se développer un marché privé de la médiation.
Il est positif qu’une majorité se soit dégagée en commission ce matin en faveur de la suppression de cet article. Lors de cette même réunion, l’opposition s’est manifestée pour dénoncer l’extension et la banalisation des procédures simplifiées auxquelles ce texte procède. C’est de bon augure. Nous verrons bien si ces dispositions – l’ordonnance pénale, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et la transaction pénale –, auxquelles nous sommes totalement opposés, sont retirées. Certes, le tollé émanant des associations anti-tabac a été entendu, mais, pour le reste, vous avez maintenu l’essentiel des dispositions.
Or la multiplication des procédures simplifiées va à l’encontre des droits de la défense et des victimes, que vous oubliez lorsque cela vous arrange, monsieur le garde des sceaux. En effet, dans le projet de loi de finances pour 2012, les crédits de l’aide aux victimes diminuent (M. le garde des sceaux fait un geste de dénégation). En outre, vous avez décidé de faire payer aux justiciables 35 euros le droit de se pourvoir en justice. C’est un comble !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La disposition, votée à l’Assemblée nationale, tendant à garantir à l’accusé le droit de faire opposition à l’ordonnance pénale en cas de jugement rendu par défaut ne suffira pas à contrebalancer les dangers inhérents à cette procédure.
J’évoquerai maintenant la réforme des juridictions financières. Nous nous réjouissons que la commission des lois ait souhaité supprimer l’article qui réduisait le nombre des cours régionales des comptes. L’article qui visait les juridictions financières a également été repoussé. C’est encore mieux ! Nous verrons, là encore, quel sera le vote du Sénat sur ce point.
Pour notre part, nous avons déposé des amendements visant à supprimer l’ensemble des dispositions réformant les juridictions financières.
Nous considérons qu’une telle réforme, qui est loin d’être anodine, n’a pas sa place dans le présent texte. Elle devrait faire l’objet d’un débat sérieux, à l’occasion de l’examen d’un texte spécifique. L’échec de la commission mixte paritaire aurait dû en convaincre tous nos collègues.
Ce projet de loi fourre-tout s’inscrit, je le répète, dans une logique de pénurie du service public de la justice, laquelle est appelée à s’aggraver. Nous ne pourrons donc pas le voter en l’état. Notre position finale dépendra, je le répète, du sort qui sera réservé aux amendements votés en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le garde de sceaux, mes chers collègues, j’ai écouté avec grand intérêt les propos de M. Jean-Pierre Michel. Je les ai trouvés si pertinents que je les reprendrai en grande partie. Vous méritez bien cette attention, monsieur le garde de sceaux ! (Sourires.)
Je poserai tout d’abord la question de la méthode, dont l’importance a été soulignée par de nombreux membres de cette assemblée. Pourquoi nous avoir imposé la procédure accélérée ? Jean-Pierre Michel a rappelé que ce projet de loi avait été déposé en 2010 ; or le rapport Guinchard date, lui, de 2008...
Voilà bien un mystère s’agissant d’un texte dont l’objet initial était de reprendre l’essentiel des propositions du rapport Guinchard. Alors que ce texte n’est soumis à notre examen en nouvelle lecture qu’en cette fin 2011, vous auriez pu nous épargner le ridicule d’une procédure accélérée, monsieur le garde des sceaux !
Le mystère s’épaissit lorsque l’on considère le cheminement législatif du projet de loi. Le texte s’est alourdi d’un volet sur la réforme des juridictions financières. Or, ces juridictions, si importantes pour le contrôle des deniers publics, méritent mieux, notamment un texte spécifique et un temps de débat qui lui soit propre.
À cet égard, je remercie M. Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des lois, car c’est en partie grâce à lui si ces égarements législatifs n’ont pu aller jusqu’à leur terme et si la commission mixte paritaire a échoué. Le Sénat, qui avait été ravalé au rang de chambre d’enregistrement par la majorité à l’Assemblée nationale, en est sorti grandi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
J’en viens à présent à ce qui constitue, selon moi, l’essentiel du texte, c’est-à-dire le chapitre 8, qui tend à modifier véritablement, même si c’est de façon discrète, la nature de notre système judiciaire. Or je considère que l’on n’y consacre pas suffisamment de temps.
Jusqu’à présent, notre système judiciaire plaçait au cœur du débat judiciaire le pouvoir du juge. Or ce texte introduit, une fois encore, plusieurs inflexions destinées à déposséder le juge de son pouvoir et à transférer celui-ci au procureur. Au prétexte d’alléger la procédure, vous allégez le pouvoir judiciaire lui-même.
M. André Reichardt se réjouissait de l’introduction de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Pour ma part, je m’en désole !
Vous avez le droit, monsieur le garde des sceaux, de changer de système judiciaire, mais votre devoir est alors d’organiser un véritable débat, car ce sujet le mérite.
Nous dirigeons-nous, oui ou non, vers le système anglo-saxon ou, plus exactement, « à l’américaine » ? Vous dites que non, mais c’est pourtant ce que prévoit votre texte.
Sommes-nous favorables, oui ou non, au plaider-coupable « à la française » ? Je comprends bien les raisons de cette évolution. Elles sont simples, et tiennent en quelques mots : la paupérisation de la justice.
Il est vrai que nos tribunaux sont encombrés et qu’ils manquent de moyens. Certains ne parviennent pas à payer leur facture d’électricité ou à régler les frais d’expertise. Mais pour pallier la paupérisation de l’institution judiciaire, devons-nous affaiblir le pouvoir judiciaire lui-même ? Je ne le pense pas.
La situation est d’ores déjà inquiétante. Aujourd’hui, 96 % des enquêtes s’effectuent sous le contrôle du parquet, et 4 % sous celui des juges d’instruction. Vous voulez aller encore plus loin.
En effet, jusqu’à présent, le plaider-coupable « à la française » concernait les seules infractions passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou inférieure à cinq ans. Or vous proposez subitement de l’étendre à toutes les infractions, sans fixer de plafond.
La commission des lois a heureusement restreint cette possibilité en première lecture, en précisant que les atteintes à la personne, à l’instar des agressions sexuelles et des violences à la personne, ne pourront être concernées par le plaider coupable « à la française ». Une telle précision était nécessaire.
Donner du pouvoir au parquet, pourquoi pas ? Mais de quel parquet parlons-nous ? C’est un vieux débat, monsieur le garde des sceaux !
Nous étions en désaccord à propos de la garde à vue « à la française », non conforme, selon nous, et contrairement à votre avis, à la Convention européenne des droits de l’homme. Après plusieurs mois et de nombreux débats, vous avez finalement reconnu que tel était sans doute le cas.
En l’espèce, la situation est la même. Non, le parquet « à la française » n’est pas conforme à la définition du juge au sens européen, tout simplement parce que c’est un juge dont la carrière dépend étroitement du pouvoir, en particulier de celui du garde des sceaux.
Enfin, en conclusion, monsieur le garde des sceaux, comment la justice pourrait-elle être indépendante, alors que vous-même, qui devriez en être le garant, venez de proposer la nomination de votre directeur de cabinet au poste de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ? Nous aimerions vous éviter une telle erreur !
M. Alain Anziani. Ainsi, nous empêcherions, au sein de la République, un mélange des genres entre les fonctions de votre plus proche conseiller et celles de celui qui, selon les pouvoirs que vous allez lui conférer, sera en situation demain de décider si une enquête, y compris si elle est d’ordre politique ou financier, doit donner lieu à un procès public ou se terminer en toute discrétion dans le bureau d’un procureur de la République. De toute évidence, il y a là une atteinte directe à l’indépendance de la justice.
Monsieur le garde des sceaux, il est encore temps de vous ressaisir et de garantir une justice indépendante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Michel, vous avez sur les nominations d’anciens directeurs de cabinet au poste de procureur de la République de Paris des connaissances que je n’ai pas moi-même.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est sûr !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le ton vindicatif que vous avez employé tout à l’heure n’était peut-être pas très judicieux… Des directeurs de cabinet, que vous connaissez bien, ont déjà été nommés à cette fonction.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. En l’occurrence, qu’est-ce qui a motivé ma décision ? Tout d’abord, je recherchais un bon professionnel, et la personne dont j’ai proposé la candidature a parfaitement réussi au parquet de Bobigny, qui n’est pourtant pas facile.
M. Jean-Pierre Michel. Ce n’est pas la question !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mais pour moi, c’est la seule qui vaille !
Je rappelle que vous avez contribué, monsieur Michel, à la nomination du directeur de cabinet d’un ministre socialiste au poste de procureur de la République de Paris.
M. Jean-Pierre Michel. Mais après, un autre a suivi !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vous ai laissé parler, alors laissez-moi à mon tour m’exprimer !
J’ai trouvé votre ton un peu excessif. Vous tentez de passer pour un saint, pour un ange, alors que tel n’est pas le cas !
Par ailleurs, aucune décision prise n’a passé outre un avis du CSM depuis que je suis garde des sceaux, contrairement à ce qui s’est fait auparavant à de multiples reprises. (Mme Virginie Klès proteste.) Pour ma part, avant toute nomination, j’examine le professionnalisme de la personne dont je propose la candidature.
Je le reconnais, je ne transigerai jamais sur un point, à savoir sur le droit de présentation des membres du parquet, qu’il s’agisse des procureurs ou des procureurs généraux. C’est la seule façon de mener une politique générale nationale.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !