compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaires :
M. Marc Daunis,
Mme Marie-Noëlle Lienemann.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.
J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
3
Licenciements boursiers
Rejet d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi tendant à interdire les licenciements boursiers, présentée par Mme Annie David et plusieurs de ses collègues (proposition n° 790 [2010-2011], texte de la commission n° 346, rapport n° 345).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annie David, auteur de la proposition de loi.
Mme Annie David, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, désindustrialisation de la France, chômage de masse, précarité accrue... L’échec de la politique menée par l’actuel gouvernement est patent ! Mais la cause profonde du mal n’est pas un manque de compétitivité, un défaut de productivité ou encore un coût du travail trop élevé : elle est dans les choix politiques d’un gouvernement à la solde des tenants du système capitaliste.
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
Mme Annie David. Tout a été bon depuis des années pour détourner les revenus du travail vers la spéculation financière ; le culte de l’argent roi, l’argent pour l’argent ont mis à mal les fondamentaux d’une politique industrielle digne de ce nom. Monsieur le ministre, combien de salariés licenciés, d’entreprises fermées, de familles meurtries, de villes et de régions sinistrées au nom de la sauvegarde des sacro-saints 15 % de taux de profit ?
M. Ronan Kerdraon. Triste bilan !
Mme Annie David. C’est pourquoi, en me présentant devant vous, je voudrais que vous vous souveniez, comme je m’en suis souvenue, des 103 salariés – presque que des femmes, monsieur le ministre ! (Mme Brigitte Gonthier-Maurin acquiesce.) – de l’usine de Saint-Savin dans la Vienne qui confectionnaient de la lingerie pour la marque Aubade. Ces salariés ont été licenciés en 2009, alors que l’entreprise mère, Calida Holding, installée en Suisse, réalisait, y compris sous la marque Aubade, d’importants bénéfices, redistribués comme il se doit aux actionnaires.
Ces licenciements, qui ont été présentés comme économiques, sont en fait la conséquence d’une délocalisation en Tunisie. Déboutés, les salariés concernés – ils ont souvent « des années de maison », pour reprendre leur expression –peineront à retrouver un emploi. Alors que le conseil de prud’hommes rendait voilà peu sa décision, l’avocat des plaignantes, Me Emmanuel Giroire-Revalier, analysait ainsi la situation : « C’est choquant : Aubade fait beaucoup de bénéfices ; plus il y a de licenciés, plus les actionnaires suisses font des bénéfices ».
Je voudrais que vous vous souveniez également, comme je m’en suis souvenue, de la situation dramatique des salariés de l’entreprise LU, filiale du groupe Danone. Il aura fallu dix ans, dix longues années de combat syndical et juridique, pour que leurs droits soient enfin reconnus et pour que le motif économique, avancé par l’employeur, soit au final écarté par les juges. Les salariés pourront donc bénéficier d’une indemnisation au titre d’un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse. C’est une maigre consolation quand on mesure que beaucoup d’entre eux n’ont pas retrouvé d’emploi et qu’ils n’en retrouveront pas dans le contexte actuel, marqué par l’inscription quotidienne de 1 000 chômeurs nouveaux à Pôle emploi !
Je voudrais que vous gardiez également en mémoire le cas des 362 employés de l’entreprise Gemalto, dans le secteur de la sécurité numérique intégrée, licenciés en 2007, prétendument, là encore, pour motif économique. Le groupe réalisait pourtant, au moment des faits, 791 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit une progression de plus de 30 millions d’euros par rapport à l’année précédente au cours de laquelle l’entreprise « n’avait » réalisé « que » – si je puis dire – 760 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Seuls 34 salariés, militants syndicaux pour la plupart, ont osé contester le caractère économique de ces licenciements. La chambre sociale de la cour d’appel d’Orléans leur a donné raison en novembre dernier, leur octroyant 570 000 euros d’indemnisation. Si cette indemnisation ne règle pas tout, tant s’en faut, elle a cependant une portée symbolique pour les salariés : elle est la preuve que leur vie a été sacrifiée non par nécessité économique, mais par stratégie financière, pour l’appétit sans cesse grandissant des actionnaires !
Comble de l’ironie, l’année suivante, la chaîne d’information économique Business FM attribuait à la société Gemalto le prix de la meilleure performance boursière. Qu’importe alors que, sur les 34 plaignants, seuls 11 aient retrouvé un CDI et que 5 d’entre eux n’aient retrouvé aucun emploi ! Ce qui compte, c’est la stratégie de court terme, la rentabilité et, au-delà même de la rentabilité, le maintien, voire l’augmentation constante des dividendes.
Souvenez-vous encore des 20 000 salariés de Caterpillar – dont 733 dans le département de l’Isère –, que la direction a privés d’emploi en 2009 alors que l’entreprise affichait un bénéfice de plus de 3,5 milliards d’euros pour l’année 2008. « Une année horrible », affirmait alors le P-DG de Caterpillar France : mais horrible pour qui ? Visiblement seulement pour les salariés, les actionnaires ayant eu, à travers ces suppressions, la garantie d’une augmentation de 17 % de leur dividende !
Horrible oui, le choix de la direction d’accroître la fortune de quelques privilégiés au détriment de milliers de familles !
Passés la stupeur et l’émoi, l’indignation et la colère ont pris le pas chez les salariés de Caterpillar comme de Moncler, ou encore de Yahoo dans mon département, et bien d’autres, tels les salariés de Molex près de Toulouse, qui ont mené une lutte exemplaire pour préserver leur emploi et la pérennité des sites industriels.
Toutes ces entreprises ont un point commun : elles ont licencié massivement alors qu’elles ont engrangé des profits et distribué des dividendes !
C’est à cette situation scandaleuse et, j’ose le dire, inhumaine que les membres de mon groupe souhaitent s’attaquer. L’heure n’est plus à une éventuelle moralisation de l’économie : le temps est venu d’apporter aux salariés de notre pays plus de justice sociale.
Les sénatrices et sénateurs communistes républicains et citoyens refusent la logique de la fuite en avant vers une économie qui serait toujours plus financière et toujours plus inhumaine. Nous refusons une économie dans laquelle les femmes et les hommes seraient réduits à n’être que des variables d’ajustement, où des vies devraient être broyées pour que d’autres accumulent encore et toujours plus de richesses.
Nous ne voulons plus revivre la triste situation observée en septembre 1999 : le cours de l’action Michelin avait alors fait un bond considérable de 12 % à la suite de l’annonce d’un plan social massif, sans précédent dans l’histoire de l’entreprise. Et que l’on ne s’y méprenne pas, il s’agissait là non pas d’un simple hasard, mais bien d’une concomitance aussi volontaire que choquante entre l’annonce de plusieurs centaines de licenciements, d’un côté, et la notification des réussites trimestrielles et annuelles, de l’autre.
L’explosion du cours de l’action constituait bien, en réalité, la réaction immédiate des actionnaires à l’annonce de ce plan social, la bourse se réjouissant de cette mesure non parce qu’elle rendait l’entreprise rentable – elle l’était déjà, monsieur le ministre ! – mais parce qu’elle garantissait aux actionnaires une hausse considérable de leur rétribution, via les dividendes qu’ils percevraient.
Pour autant, bien que ces licenciements se soient multipliés depuis des années, le code du travail, dernière protection collective des salariés – et c’est une protection que mes collègues du groupe UMP aimeraient bien voir disparaître… –, n’en fait pas mention, laissant aux juges le soin d’apprécier si le licenciement est économique ou non. Autant dire que le sort des salariés dépend aujourd’hui d’une décision de justice, laquelle, dans le silence des textes, est nécessairement variable.
À cette situation, génératrice d’instabilité pour les salariés, nous préférons l’état de droit, c’est-à-dire l’existence d’une situation juridique claire, de règles tangibles et durables, dont chacune et chacun pourraient se prévaloir.
Si nous constatons que, depuis un an, sans doute face à l’ampleur de la crise économique et sociale, les tribunaux français deviennent plus protecteurs pour les salariés que par le passé, nous ne pouvons cependant pas nous satisfaire de cela. D’une certaine manière, la jurisprudence est en avance sur le droit positif. Pour autant, dans cette situation, les salariés ne sont pas à l’abri d’un revirement de jurisprudence. Il convient donc de renforcer la base légale de ces décisions de justice. C’est l’ambition de notre proposition de loi, qui s’inscrit dans la continuité de ces décisions et tend à les renforcer.
Mais avant d’en venir à la présentation de ce texte, je voudrais illustrer mes propos par deux décisions récentes : l’une rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation, et l’autre par la cour d’appel de Paris.
Ainsi, le 12 mai 2011, la deuxième chambre sociale de la cour d’appel de Paris, saisie par le comité d’entreprise de la société Viveo France – celui-ci contestait la validité du plan social soumis par les dirigeants dans le cadre d’une procédure de licenciement pour motif économique –, n’a pas hésité à innover.
Profitant de la saisine sur la validité du plan social, la cour s’est prononcée sur la non-réalité du motif économique du licenciement. Bien que l’article L. 1235-10 du code du travail n’autorise le comité d’entreprise à engager une action en « nullité » qu’en cas de défaut de présentation du plan de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, les juges prud’homaux, le 16 avril 1996, lui avaient reconnu une nouvelle faculté, celle de dénoncer l’insuffisance des plans sociaux.
La cour d’appel de Paris est allée encore plus loin en reconnaissant le droit au comité d’entreprise de contester l’existence même des difficultés économiques, de la réalité du besoin de mutation technologique, ou encore de la nécessité de réorganisation de l’entreprise.
Comme l’a rappelé Frédérique Marron, avocat-conseil en droit social à Lyon, dans la Gazette du Palais du 18 juin 2011, « la cour affirme que l’absence de motif économique rend par nature la procédure de licenciement économique sans objet. Le défaut de motif économique constituerait en quelque sorte un vice privant ainsi de base légale le projet de licenciement ».
La cour en a ainsi déduit que le plan social devait être réputé « nul », c’est-à-dire n’avoir jamais existé, puisque le motif économique invoqué était lui-même inexistant ! Cette interprétation du droit, que certains juristes n’ont pas hésité à qualifier d’« osée », puisqu’elle contredit le principe général du droit selon lequel « il n’y a pas de nullité sans texte », témoigne de cette volonté de protéger les salariés placés face à des licenciements non économiques, mais d’économie.
Comme le concluait Frédérique Marron, « la juge judiciaire, à la demande d’un comité d’entreprise, serait en effet à même de contrôler la réalité du motif économique avancé par l’employeur ». Il est donc nécessaire d’exclure les licenciements boursiers du champ des licenciements pour motif économique, qui servent trop souvent de prétexte.
M. Jean Desessard. Exactement !
Mme Annie David. La décision rendue le 18 janvier 2011 par la chambre sociale de la Cour de cassation a précisément porté un regard nouveau sur la validité des licenciements pour motif économique en cas de fermeture définitive et totale d’une entreprise, appartenant elle-même à un groupe de sociétés.
En l’espèce, la Cour de cassation tranchait un contentieux survenu à l’occasion de la cessation complète d’activité d’une entreprise spécialisée dans le stockage et la commercialisation en gros de pneumatiques destinés au marché automobile. Cette cessation complète d’activité entraîna dix-sept licenciements prononcés pour motif économique, motif que contestèrent les salariés. La Cour de cassation leur donna raison, considérant que la cessation totale et définitive de l’activité d’une société appartenant à un groupe ne suffit pas, « même en l’absence de faute de l’employeur ou de légèreté blâmable, à assurer la validité des licenciements pour motifs économiques ».
Sans doute faut-il voir dans ces deux décisions une prise en compte par les juges de la réprobation massive par l’opinion des licenciements boursiers. Pour autant, l’autonomie des juges reste très limitée, malgré ces deux arrêts. Dans une étude publiée par le Centre d’études de l’emploi en septembre 2010, trois chercheurs font la démonstration de cette limite : « L’exigence d’une cause réelle et sérieuse pour justifier le licenciement économique a concentré les critiques, le risque de voir à cette occasion le juge s’immiscer dans la décision étant particulièrement souligné. Pourtant, ce dernier ne dispose pas d’un tel pouvoir. »
C’est la raison pour laquelle il a semblé nécessaire à mes collègues et à moi-même d’apporter des précisions sur la nature du licenciement pour motif économique. À ce jour, les licenciements boursiers ne font l’objet d’aucune interdiction ; ils ne sont tout simplement pas définis dans le code du travail. Ce sont des licenciements déduits soit par les observateurs qui constatent qu’une entreprise se porte bien, soit par les juges qui, de manière ponctuelle, écartent le motif économique.
Comme on le voit dans les deux arrêts que je viens de citer, ce sont donc les tribunaux qui considèrent que le motif économique n’est pas recevable et qu’il s’agit en fait de licenciements boursiers.
Avec cette proposition de loi, nous entendons conforter cette jurisprudence et donner aux salariés les moyens effectifs de se défendre face à des situations inacceptables.
À cette fin, l’article 1er, dont la rédaction a été améliorée par la commission des affaires sociales, exclut du champ d’application des licenciements pour motif économique ceux qui sont réalisés par des entreprises ayant versé des dividendes à leurs actionnaires, comme aux détenteurs de parts sociales.
Ces licenciements constituent à nos yeux des licenciements boursiers : notre proposition de loi vise à les interdire, en rappelant qu’ils sont sans cause réelle et sérieuse. Après tout, si l’entreprise se permet de rémunérer les détenteurs de parts sociales ou d’actions, c’est qu’elle a le moyen de se priver de sommes colossales. Ces sommes auraient en effet été bien plus utiles si elles avaient été investies dans l’emploi, dans l’outil industriel ou dans les dépenses de recherche et développement.
Notre volonté d’interdire le recours au licenciement pour motif économique à des entreprises versant des dividendes tient au fait qu’il nous est insupportable qu’une entreprise puisse, dans le même temps, supprimer des emplois pour motif économique et rétribuer le capital ; et il nous est également insupportable qu’une entreprise choisisse systématiquement de faire primer les détenteurs de capital sur les salariés et sur l’intérêt industriel, voire sur l’intérêt général.
Cela témoigne de la voracité des actionnaires, de l’appétit sans faim des marchés, de la prédominance de l’économie sur le réel. Les actionnaires ne se contentent en effet pas d’entreprises rentables, ils veulent que ces dernières leur rapportent toujours plus. Peu importe que la part des bénéfices réalisés par les entreprises consacrée à la recherche et au développement ne cesse de diminuer, mettant en péril le développement et la survie même de l’entreprise ; ce qui compte, c’est que les dividendes qu’ils perçoivent ne soient pas en diminution d’une année sur l’autre, et même qu’ils augmentent !
Nous refusons cette logique et souscrivons à l’analyse de M. le rapporteur pour lequel « la rémunération du capital est toujours privilégiée sur la défense de l’emploi, ce qui est une illustration de la domination que la finance exerce sur l’économie réelle. » Il faut en finir avec cette logique selon laquelle, pour garantir les revenus de quelques-uns, il faudrait sacrifier l’emploi de celles et ceux qui, avec leur travail, produisent des richesses dans l’entreprise.
C’est donc un changement de paradigme que nous proposons avec l’article 1er : selon nous, l’entreprise, pour faire face à une crise économique, doit d’abord non pas couper dans l’emploi, mais s’attaquer au capital. En effet, si l’on y regarde de plus près, ce qui cannibalise les entreprises, c’est non l’emploi, mais la place faite au capital et à sa rémunération.
M. le rapporteur a raison de le rappeler, « on ne peut plus accepter que des milliers d’emplois soient sacrifiés au nom de la crise, alors que, dans le même temps, selon le cabinet PrimeView, la valeur des dividendes versés aux actionnaires a augmenté de 13 % en 2010 ».
Je sais, monsieur le ministre, que vous ne serez pas d’accord, puisque cela revient à dire – nous l’assumons – que ce qui plombe l’économie, les entreprises et la compétitivité, c’est le coût non pas du travail, mais du capital.
La réalité, c’est que la part des salaires dans la valeur ajoutée ne fait que baisser, alors qu’augmente la part consacrée à la rémunération des actionnaires. Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale américaine, affirmait d’ailleurs : « J’ai attendu et j’attends encore quelque normalisation dans le partage du profit et des salaires » car « la part des salaires dans la valeur ajoutée est historiquement basse, à l’inverse d’une productivité qui ne cesse de s’améliorer ». Nous ne saurions dire mieux !
Dans ce contexte, il est grand temps, pour qui veut défendre l’emploi et l’industrie, pour qui veut éviter que la France ne perde son indépendance industrielle, de prendre les mesures qui protègent l’emploi, le travail et, par conséquent, les salariés. Avant de s’attaquer aux hommes et aux femmes qui produisent les richesses dans nos entreprises, exigeons de la finance qu’elle prenne ses responsabilités. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les actionnaires ne prennent plus actuellement aucun risque. Si l’investissement est mauvais, si la stratégie est hasardeuse, ce n’est jamais aux actionnaires de régler la note, la solution la plus simple résidant toujours dans une vague de licenciements ! Celles et ceux qui assument aujourd’hui les risques et les aléas industriels, ce sont bien les salariés !
Nous ne pouvons donc que suivre M. le rapporteur quand il propose de mettre d’abord à contribution le capital. Avec cette proposition, les juges, saisis par les salariés, disposeront d’un outil performant pour vérifier la validité du licenciement. Cette faculté, couplée à notre proposition de renforcer les missions de l’inspection du travail, permet d’écarter d’emblée les licenciements boursiers.
Que les choses soient claires, il ne s’agit pas de réintroduire l’autorisation administrative de licenciement. Il s’agit pour nous d’éviter la période de dix ans qu’ont eu à supporter les salariés de Danone, dont je vous parlais voilà un instant.
L’inspection du travail vérifiera si l’entreprise a ou non distribué des dividendes ; elle remettra ses conclusions aux salariés, qui pourront les faire connaitre au juge ; celui-ci, constatant le versement de dividendes, requalifiera les licenciements en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui permettra l’octroi rapide d’indemnités aux salariés.
Nous sommes convaincus que cette mesure, outre son aspect réparateur, aura à l’avenir une influence importante : en effet, les entreprises, pour ne pas risquer d’être condamnées à d’importantes indemnisations, exigeront des actionnaires, avant tout plan social, de contribuer à redresser la situation économique de l’entreprise.
Voilà une mesure qui est favorable à l’emploi et qui n’augmente pas le coût du travail puisqu’elle ne fait qu’opérer un rééquilibrage entre le capital et le travail !
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Annie David. Voilà une proposition concrète qui tend à protéger l’emploi et à renforcer les protections des salariés !
M. Jean Desessard. Voilà !
Mme Annie David. J’ai entendu le nouveau candidat-président ou président-candidat…
M. Jean Desessard. Qui ? (Sourires.)
Mme Annie David. … Nicolas Sarkozy,…
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Si vous l’évoquez, j’en parlerai moi aussi !
Mme Annie David. Je n’en doute pas, monsieur le ministre !
… annoncer qu’il souhaitait, s’il était réélu, faire un remake de la loi relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi.
Avec cette proposition de loi, nous nous situons en amont, avant la perte par les salariés de leur emploi. En effet, monsieur le ministre, n’attendez pas que les salariés perdent leur emploi ; faites plutôt en sorte qu’ils le gardent !
Notre proposition de loi revient en quelque sorte à créer des devoirs nouveaux pour les employeurs. Et puisque vous envisagez de recourir au référendum, je vous invite à soumettre également à l’opinion de nos concitoyennes et concitoyens notre proposition d’interdiction des licenciements boursiers qui, soyez-en certains, obtiendrait leur approbation !
Enfin, pour conclure, je voudrais dire quelques mots de l’article 2, relatif au remboursement des aides publiques perçues par les employeurs ayant pratiqué des licenciements boursiers.
Aujourd’hui déjà, quelques collectivités locales intervenant financièrement auprès d’entreprises exigent d’elles, comme c’est bien légitime, certaines contreparties en matière d’emploi. Si des fonds publics sont mobilisés, l’employeur doit alors consentir, pour reprendre une formule qui vous est chère, à « quelques devoirs » en matière soit d’emplois – durée, qualité, qualification –, soit d’investissement. Ainsi, les fonds publics, qui se font de plus en plus rares, ne peuvent pas servir à subventionner des entreprises qui préfèrent rémunérer leurs actionnaires plutôt que protéger l’emploi.
M. Jean Desessard. Oui !
Mme Annie David. Mes chers collègues, cette proposition de loi est donc bien un outil supplémentaire au service de l’emploi, du travail et de la protection des travailleurs. Mais nous sommes bien évidemment conscients du fait que le concept même de licenciements boursiers peut paraître simplificateur dans la mesure où ce texte ne répond pas aux problèmes de nombreux autres licenciements, tous aussi scandaleux : je pense à ceux qui résultent des opérations de fusion-absorption ou à ceux qui sont menés par de grandes entreprises non cotées en bourse qui, au nom d’un taux de profit maximum, considèrent les salariés comme la variable d’ajustement par excellence.
Notre proposition de loi s’inscrit dans un projet de société qui comprend bien d’autres dispositions, notamment fiscales et sociales. Il nous semble impératif de poursuivre à l’avenir dans cette voie en proposant, par exemple, de taxer les dividendes autant que les revenus du travail, de diminuer de 40 % à 20 % le crédit d’impôt portant sur ces dividendes, d’instaurer une véritable protection sociale de l’emploi et de la formation qui prendrait en charge les périodes de non-emploi, de formation et de retrait d’activité avec maintien de salaire, et enfin d’octroyer aux salariés de nouveaux droits et des comités d’entreprise.
Il n’en demeure pas moins que, au regard de la situation actuelle, une mesure d’urgence s’impose. Notre proposition de loi amendée par la commission constitue cette réponse, qui est attendue par les salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Watrin, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis cinq ans, la situation de l’emploi n’a cessé de se dégrader dans notre pays : le nombre de demandeurs d’emploi a progressé de 700 000 et le taux de chômage frôle aujourd’hui les 10 % de la population active. Si l’on prend en compte les personnes en activité réduite, on constate que 4,5 millions de personnes sont actuellement à la recherche d’un emploi.
Face à cette montée dramatique du chômage, le Gouvernement invoque systématiquement la crise. Si cette dernière a certes une part de responsabilité, je note cependant que la politique d’austérité qui se généralise en Europe, à votre instigation, monsieur le ministre, ne fait qu’aggraver la rechute de l’activité, comme l’illustre tous les jours le cas tragique de la Grèce. La politique d’austérité étouffe l’activité et retarde d’autant la réduction des déficits.
La crise, par ailleurs, n’explique pas tout : les grandes entreprises du CAC 40 continuent de réaliser des dizaines de milliards d’euros de profits. Elles ont distribué l’an dernier, au titre de leurs résultats pour 2010, 40 milliards de dividendes à leurs actionnaires. Il est trop tôt pour savoir quel sera le montant versé à ce titre en 2012. En tout cas, les actionnaires de Total, n’ont pas à s’inquiéter : l’entreprise a annoncé qu’elle avait réalisé 12 milliards d’euros de profits au titre de l’exercice 2011…
Ces excellents résultats n’empêchent pourtant pas ces grands groupes de supprimer des emplois sur notre territoire et de délocaliser une partie de leur activité. C’est notamment le secteur industriel qui souffre de ces suppressions de poste : je rappelle que nous avons perdu 500 000 emplois industriels depuis cinq ans.
Face à cette situation, le Président de la République a décidé, une fois de plus, de s’en prendre aux chômeurs au lieu de s’attaquer aux causes du chômage.
À l’entendre, les demandeurs d’emploi seraient responsables de leur situation parce qu’ils refuseraient de suivre des formations ou de répondre aux offres d’emploi disponibles. Pourtant, tous ceux qui connaissent le sujet savent qu’une infime minorité des demandeurs d’emploi refusent les offres d’emploi qui leur sont proposées, à condition bien sûr qu’il s’agisse d’offres d’emploi valables !
Je rappelle que votre majorité a déjà voté, en 2008, une loi relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d’emploi. Ce texte a durci les règles en matière de recherche d’emploi et a donné à Pôle emploi tous les outils pour sanctionner les éventuels fraudeurs. Ce n’est certainement pas en accablant encore les chômeurs de contraintes et d’obligations que l’on va résoudre le problème du chômage. La réalité, c’est que beaucoup trop d’emplois, notamment industriels, sont aujourd’hui supprimés sans réel motif économique, dans le seul but d’élargir les marges des grandes entreprises et de satisfaire les actionnaires.
La proposition de loi que nous examinons ce matin, proposition déposée par les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, vise précisément à apporter une première réponse à ces questions.
Certains estimeront peut-être que notre texte ne va pas assez loin ou que son objet est trop limité. Il constitue néanmoins une étape indispensable pour endiguer la vague de suppressions d’emploi à laquelle nous assistons et pour moraliser le fonctionnement de notre marché du travail.
Si nous voulons maintenir une production sur notre territoire national, il est indispensable de fixer de nouvelles règles du jeu, afin de remettre la finance au service de l’économie.
Très concrètement, la proposition de loi vise à mieux encadrer les possibilités de licenciement pour motif économique, en interdisant ce qu’il est convenu d’appeler les « licenciements boursiers ».
Un licenciement boursier peut être défini comme une réduction d’effectifs effectuée par une entreprise pour des raisons purement financières et en dehors de toute nécessité économique ou industrielle, alors que, dans le même temps, elle continue à distribuer des dividendes.
Chacun garde en tête l’exemple de Michelin, qui, en septembre 1999, a annoncé simultanément une augmentation de 20 % de son bénéfice semestriel et la suppression de 7 500 emplois, soit 10 % de ses effectifs en Europe. Le lendemain, le cours de bourse de l’entreprise avait d’ailleurs bondi de plus de 11 % !
On peut aussi citer l’exemple de LU-Danone, qui, en 2001, a rendu publics des résultats très positifs, suivis, deux mois plus tard, de l’annonce d’un plan de restructuration entraînant la suppression de plus de 800 emplois et la fermeture de deux sites, l’un, à Ris-Orangis, l’autre, dans mon département, à Calais.
Comment ne pas également évoquer le cas, plus récent, des ouvriers de l’usine sidérurgique de Gandrange, abandonnés à leur sort, malgré les promesses du Président de la République, par Arcelor-Mittal, groupe international qui réalise par ailleurs des milliards de profits ?