6
Transfert des biens sectionaux aux communes
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes (proposition n° 564 [2011-2012], texte de la commission n° 14, rapport n° 13).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, vue de Paris, notre si belle capitale, la question des biens sectionaux peut paraître aussi incongrue que celle du désenclavement de nos départements.
Et pourtant, il existe encore en France environ 27 000 sections dans plusieurs dizaines de départements, en particulier dans une dizaine où leur fonctionnement provoque de multiples litiges et de graves conflits dans beaucoup de communes. L’exaspération de nombre de maires s’explique facilement et à juste titre. Pour certains d’entre eux, c’est l’exercice même de leur mandat qui est constamment troublé.
Heureusement, il existe encore des parlementaires, des sénateurs, dont mon collègue et ami Pierre Jarlier, pour connaître et relayer les problèmes de ces nombreux collègues maires, ce qui démontre encore une fois l’utilité du cumul d’un mandat local exécutif avec un mandat parlementaire.
Cet objectif de facilitation du transfert des biens sectionaux aux communes, nous le poursuivons depuis plusieurs années. J’avais ainsi déposé et soutenu à deux reprises un amendement allant dans le même sens lors des débats sur la réforme des collectivités territoriales. J’avais retiré le premier lorsque le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, Alain Marleix, s’était engagé à faire travailler dans les meilleurs délais une commission sur ce sujet pour proposer un texte, engagement repris par le président de la commission des lois de l’époque.
Je sais qu’un travail a été réalisé au sein de la Direction générale des collectivités locales, la DGCL, et qu’il a été utile lors de la concertation ayant permis à la commission des lois d’œuvrer à son tour. Pour faire avancer le dossier, il convenait cependant de l’amener en séance publique au Sénat. C’est ce que le groupe RDSE fait aujourd’hui.
Je tiens à remercier le rapporteur, notre collègue Pierre-Yves Collombat, qui a beaucoup et bien travaillé sur un sujet qui ne concerne pas son département, ainsi que nos collègues de la commission des lois et son président, qui ont apporté leur pierre à l’édifice. Je remercie aussi de leur concours la DGCL, son directeur, et, bien sûr, notre ministre Anne-Marie Escoffier, que je salue.
Les sections de commune sont une survivance du droit d’Ancien régime, qui permettait l’utilisation des communaux par les habitants des villages. Ces biens se rattachaient alors directement à la notion féodale de « feu », que l’on retrouve encore aujourd’hui dans certaines décisions de nos tribunaux administratifs.
La notion de section de commune telle que nous la connaissons aujourd’hui a été fixée par le décret des 10 et 11 juin 1793 assignant aux sections la finalité d’un usage collectif des biens exploités. Le but était à l’époque d’assurer aux habitants modestes ou indigents des moyens de subsistance par l’exploitation directe de terres ou de forêts dont ils partageaient la jouissance.
Cette finalité historiquement datée s’est aujourd’hui totalement renversée. Les sections de commune, initialement destinées à un usage collectif, sont aujourd’hui l’enjeu de luttes entre intérêts particuliers, marquées par les égoïsmes locaux, souvent par un certain conservatisme, avec en toile de fond des querelles qui sont devenues personnelles.
La réalité est que ces différends empoisonnent la vie locale durant des années, et parfois, comme nous l’indiquent nombre d’élus municipaux, sur toute la longueur d’un mandat de maire, voire de plusieurs. J’en connais au moins un, élu depuis quatre mandats, qui a toujours affaire aux même difficultés, mettant en cause les mêmes personnes...
Le contentieux qui en résulte est aussi abondant que complexe dans la dizaine de départements particulièrement concernés par les sections. Certains tribunaux administratifs sont devenus, de fait, des spécialistes de la question, et l’un des meilleurs ouvrages sur les sections a été rédigé par un ancien président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand.
L’ancienneté de l’institution de la section et la complexité de son régime juridique expliquent en grande partie les difficultés rencontrées quotidiennement sur le terrain.
L’existence d’une section ne résulte pas d’une création ex nihilo, mais d’un constat de faits : elle est reconnue lorsque des habitants d’une partie déterminée de la commune possèdent des biens ou des droits à titre permanent et exclusif prouvés par un titre, souvent remontant à l’Ancien régime, par une décision de justice ou une sentence arbitrale, ou par un usage public paisible, continu et non équivoque. Le constat de cet usage est en lui-même déjà source de contentieux, étant donné leur ancienneté.
Par ailleurs, le nombre de sections et leur délimitation exacte ne sont pas connus avec précision. L’excellent rapport Lemoine de 2003 relevait qu’il existait quelque 27 000 sections, qui se concentraient principalement dans le Massif central.
L’absence courante de délimitation précise des périmètres entraîne des difficultés pour déterminer la commune de rattachement, lorsque la section n’est pas rattachée à plusieurs communes ou est à cheval sur plusieurs départements, ce qui est souvent le cas. Les cadastres sont de peu d’utilité puisqu’ils ne valent qu’en matière fiscale et ne constituent pas un titre de propriété. Il est en effet jugé de façon constante que le cadastre ne saurait faire preuve du droit de propriété.
Le nombre de sections est pourtant en diminution. De plus en plus de biens de sections ne sont plus exploités, en particulier dans les régions de chasse, et les revenus tirés des biens sont globalement en baisse.
À l’inverse, les difficultés ne disparaissent pas ; elles se sont au contraire maintenues, et se sont même multipliées dans certains cas.
Ces difficultés tiennent d’abord au mode de gestion des sections. Seules 200 commissions syndicales ont été constituées sur 27 000 sections. La répartition des compétences entre le conseil municipal et la commission est très complexe. Même en l’absence de commission syndicale, le conseil municipal n’est pas pleinement décisionnaire et doit s’en référer aux électeurs de la section. Voilà un bel exemple d’usine à gaz !
La jouissance des biens et la distribution des revenus qui en sont tirés ont été détournées de l’esprit initial de la loi, ce qui est grave. Nombre d’ayants droit considèrent les biens comme une propriété privée et n’hésitent pas à redistribuer en espèces les revenus tirés des biens, alors que la loi l’interdit ; tous ceux ici qui sont confrontés à ce type de situation le savent bien.
L’articulation entre les finances communales et les finances sectionales est inextricable. Il arrive souvent que des sections soient plus riches que leur commune de rattachement, mais qu’elles refusent d’engager leurs revenus à l’aménagement de leur territoire, préférant s’adresser à la commune pour qu’elle engage ses crédits.
Les sections sans commission syndicale sont encore plus complexes à gérer. Ainsi, l’absence de dispositions relatives à leur représentation en justice conduit à ce que la commune supporte les frais de justice lorsqu’elle engage une action contre une section, et ce y compris lorsque la commune gagne contre la section. C’est tout de même un paradoxe !
Les sections constituent, dans de nombreux cas, un frein au développement des territoires ruraux, notamment pour l’aménagement du territoire des communes. L’aspect de démocratie locale s’estompe derrière des considérations, le plus souvent, de défense d’intérêts particuliers. Le rapport Lemoine avait souligné certaines de ces contraintes.
Ainsi, pour préserver leurs revenus, les habitants des sections n’admettent que difficilement l’arrivée de nouveaux habitants, au risque dans certains cas d’empêcher, par exemple, l’installation de jeunes agriculteurs.
Les sections de communes cristallisent le morcellement des territoires et privilégient des arbitrages financiers de court terme.
Le poids d’une section peut être détourné et utilisé pour bloquer un projet municipal intéressant l’ensemble de la commune. Le cas s’est produit plusieurs fois dans des communes de montagne qui n’ont pu développer leur domaine skiable en raison de l’opposition des habitants d’une section qui se sont constitués en commission syndicale pour l’occasion.
L’expropriation d’une parcelle par des procédures de droit commun est toujours possible, mais à la condition qu’existe un projet d’intérêt général. De plus, elle doit être réalisée parcelle par parcelle.
L’exercice par le maire de ses pouvoirs de police administrative peut être limité à l’intérieur de la section.
Le législateur a tenté de simplifier et de rationaliser le régime, en 2004 et en 2005, mais ses tentatives n’ont pas eu les effets attendus. La procédure de transfert simplifié, introduite en 2004, n’est ainsi que peu utilisée.
Le débat engagé en 2010 sur notre amendement n’a pas non plus porté ses fruits.
En revanche, élément nouveau qui permet d’avancer aujourd'hui et qui est même fondamental, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 8 avril 2011, a clarifié la nature de la section de commune et tracé une nouvelle voie : il a jugé que les électeurs ne disposaient pas d’un véritable droit de propriété sur les biens ou droits concernés, mais d’un simple droit de jouissance sur les biens dont les fruits sont perçus en nature.
Cette décision constitue un tournant positif dans le droit des biens sectionaux et nous met dans la bonne voie.
La réflexion sur la suppression pure et simple des sections peut être engagée, mais nous savons qu’elle ne peut déboucher, en l’état actuel, que sur un dispositif complexe, coûteux pour les communes et propice à un très abondant contentieux. Nous nous passerons donc d’un tel dispositif.
C’est dans ce cadre qu’a été rédigée la présente proposition de loi, en partant de l’idée tranchée qu’il fallait faciliter la suppression des sections au profit de la communalisation des biens et, surtout, remettre la question des biens de section au cœur du débat en vue de faciliter la vie des maires ruraux.
Il convenait de réfléchir à la création d’un nouveau dispositif de communalisation des biens permettant de s’affranchir, pour des objectifs d’intérêt général, de l’accord des commissions syndicales ou des électeurs. En l’occurrence, les motifs d’intérêt général que nous mettons en avant sont la fin des blocages et des dysfonctionnements administratifs et financiers.
Comme je l’ai indiqué, le Conseil constitutionnel a tracé le cadre dans sa décision de 2011 : aucune disposition constitutionnelle ne s’oppose au transfert gratuit de biens entre personnes publiques dès lors qu’est poursuivi un objectif d’intérêt général.
S’agissant de la garantie des droits légalement acquis, en l’espèce le droit de jouissance des ayants droit, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur ne pouvait y porter atteinte que si celle-ci était justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. C’est bien le cas ici.
À la suite du dépôt de la présente proposition de loi, nous avons bien volontiers assoupli notre position initiale en préférant, pour une fois, à une solution…radicale une solution de compromis. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Radicalisme et compromis ne sont pas incompatibles ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. J’étais sûr, monsieur le président de la commission des lois, que vous feriez cette réflexion, et vous n’avez pas tout à fait tort !
Comme l’a expliqué le rapporteur, toutes les sections ne sont pas problématiques. Dès lors, s’il est opportun de faciliter et de rationaliser le fonctionnement des sections, il faut corrélativement tout faire pour faciliter la suppression de celles qui ne fonctionnent que peu ou plus en assouplissant le régime de transfert des biens.
C’est sur la base de ce diptyque que la commission des lois a fort opportunément choisi de prolonger l’objet initial de la proposition de loi pour impulser une modernisation de l’ensemble du régime des biens de section.
L’intégration de la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour définir la section et ses membres est pertinente. La section est une personne morale de droit public, qui s’acquitte à ce titre des impôts fonciers. Quant aux membres de la section, ce sont les personnes qui ont leur domicile réel et fixe sur le territoire de la section, disposition qui simplifiera l’actuelle différenciation entre électeurs et ayants droit.
Cette clarification permettra, par exemple, de faciliter le transfert aux communes des biens des sections dans lesquelles les impôts sont payés depuis des années sur le budget communal ou même admis en non-valeur. En effet, dans la pratique, le juge administratif exige que la commune apporte la preuve qu’elle a bien émis pendant au moins cinq ans – six ans dans les faits – un rôle de répartition des impôts fonciers à destination des ayants droit, et non de la section. Or les biens ne sont pas la propriété des ayants droit.
Dans le même registre, nous considérons que plusieurs dispositions vont dans le bon sens : le règlement de la question récurrente de la représentation en justice des sections dépourvues de commission – il reviendra au maire d’agir, sauf en cas d’intérêts concurrents ; l’assouplissement de la procédure de transfert simplifié des biens à la commune, procédure qu’il est possible de mettre en œuvre quand une section n’a plus de membre ; l’affirmation expresse du principe de l’interdiction de la distribution de revenus en espèces entre membres de la section ; l’affirmation expresse du principe de l’interdiction du partage des biens entre membres ; la clarification de la règle selon laquelle les revenus issus de la vente des biens ne peuvent être utilisés que dans le seul intérêt de la section, avec un tempérament, à savoir la possibilité pour la commune de financer certaines dépenses communales sur le budget sectional, sous réserve que les besoins de la section aient été satisfaits, disposition judicieuse qui résulte d’un amendement de M. Jarlier et qui facilitera le règlement de ces questions.
Il est donc parfaitement logique que la commission ait choisi de définitivement interdire la constitution de nouvelles sections.
La diminution progressive du nombre des sections simplifiera la vie quotidienne de milliers de maires : ces élus de la République ont suffisamment à faire pour ne pas avoir à être confrontés à des litiges fondés sur des dispositions qui se rattachent à une histoire et à un passé certes intéressants, mais qui appellent aujourd'hui la véritable modernisation proposée dans le texte de la commission. Nous souhaitons donc que celui-ci soit adopté. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Institution peu connue et pour beaucoup mystérieuse, la section de commune s’enracine, comme l’a rappelé Jacques Mézard, dans les droits ancestraux des villageois sur les « communaux ».
Nécessaires à la survie des plus pauvres, ces communaux ont fait l’objet non seulement d’âpres disputes entre seigneurs et villageois, mais aussi de critiques sévères de la part des « réformateurs » des Lumières, qui y voyaient une forme dépassée de mise en valeur de la terre. C’est par le partage des communaux que ces derniers entendaient régler le problème, et il est significatif que le décret des 10 et 11 juin 1793 de la Convention, qui signe l’entrée des « communaux » –institution aussi ancienne que contestée – dans la modernité, soit appelé « décret de partage ».
Âpres débats auxquels fait écho le célèbre passage du Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau : « Le premier qui, ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreur n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. »
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Patrimoine collectif, et non propriété privée indivise comme on l’interprète trop souvent, la section de commune confère à ses habitants uniquement un droit de jouissance sur les biens communs. On ne saurait donc la réduire au statut de survivance anachronique dont le destin serait de disparaître, oubliant ainsi son originalité.
Ce n’est pas, en tout cas, la position de la commission des lois, qui entend bien laisser vivre les sections de commune encore vivantes et qui fonctionnent selon leur logique originelle, ce qui ne va pas de soi.
Jusqu’à la loi municipale du 5 avril 1884, qui consacre définitivement les sections de commune en fixant les conditions d’élection des commissions syndicales, la distinction est d’ailleurs flottante entre « biens communaux » et « biens sectionaux ». Le code civil, par exemple, ne la fait pas dans sa version de 1804.
Surtout, par un de ces retournements dont l’histoire a le secret, nombre d’ayants droit vont donner aux biens sectionaux un sens inverse de leur sens originel : non plus un patrimoine collectif, mais une propriété privée, certes indivise, mais privée, dont ils peuvent se partager les revenus, y compris pécuniaires, ce qui est parfaitement illégal.
Il en est résulté de nombreux conflits, opposant les ayants droit sectionnaires et les municipalités auxquelles se rattachent les sections qu’elles gèrent, directement ou concurremment, avec une commission syndicale, opposant aussi intérêts particuliers et intérêt général. Bref, de la chicane picrocholine ou personnelle au cas des petites communes pauvres gestionnaires de sections riches dont les revenus sont redistribués illégalement entre les membres ou ne peuvent être intégralement réinvestis – les besoins des sections sont souvent relativement limités –, les situations auxquelles on assiste sont abracadabrantesques.
Les sections de commune se concentrant en plus grand nombre sur une poignée de départements, du Massif central en particulier, l’importance du contentieux varie, évidemment, selon les lieux. Constatons en tout cas que le seul tribunal administratif de Clermont-Ferrand traite annuellement de quarante à cinquante affaires de sections de commune, ce qui n’est tout de même pas rien.
Cette réalité a conduit le législateur – particulièrement le Sénat – à retoucher à plusieurs reprises le régime juridique des sections de commune, espérant le rationaliser mais, constatons-le, aboutissant plutôt à le complexifier. Comme en témoigne une surabondante jurisprudence, rien qui ne puisse être objet de chicane !
Comme le partage avant 1884, le transfert des biens sectionaux aux communes est longtemps apparu comme l’unique moyen de sortir réellement de l’imbroglio. C’est cependant une solution difficile à mettre en œuvre. Surtout, elle était souvent hors de portée financière des communes tant que ce transfert était assimilé plus ou moins clairement à une expropriation, ce qu’il n’est absolument pas.
Heureusement, par sa décision du 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel a « remis les pendules à l’heure ».
« Une section de commune est une personne morale de droit public », a-t-il ainsi statué, précisant par ailleurs que « les membres de la section ont [...] la jouissance de ceux des biens des sections dont les fruits sont perçus en nature ; […] ainsi, ils ne sont pas titulaires d’un droit de propriété sur ces biens ou droits » et que « le droit au respect des biens [...] ne s’oppose pas à ce que le législateur, poursuivant un motif d’intérêt général, autorise le transfert gratuit de biens entre personnes publiques ».
Autrement dit, le seul droit des membres de la section en cas de transfert des biens de la section peut porter sur l’indemnisation, non pas de la propriété, mais de la perte d’usufruit, ce qui est tout différent.
C’est cette voie qu’a empruntée Jacques Mézard pour élaborer sa proposition de loi et que la commission des lois a suivie à sa suite.
Prolongeant la proposition de loi, elle a voulu saisir cette occasion pour tirer toutes les conséquences de la décision rendue le 8 avril 2011 par le Conseil constitutionnel, pour rappeler ce que sont les sections de commune et pour clarifier le cadre juridique les régissant.
L’esprit du texte est de simplifier la gestion des sections de commune quand elles sont vivantes et authentiques, notamment en améliorant l’articulation entre communes et sections, mais de « faciliter le transfert des bien sectionaux aux communes » – pour reprendre le titre de la proposition de loi – lorsque les sections dépérissent, qu’il y a des conflits ou pour des motifs d’intérêt général.
Cet objet initial de la proposition de loi figure dans les articles 4 et 4 bis nouveau, de même que dans les articles 2, 3 et 5 du texte de la commission.
Pour le reste, ce dernier comprend trois types d’articles.
Certains, tout d’abord, sont essentiellement rédactionnels : ils suppriment des redondances, unifient la terminologie, etc. En un mot, ils clarifient des dispositions particulièrement obscures du code général des collectivités territoriales. Je ne les énumère pas…
Quatre articles rendent ensuite plus lisibles les conditions d’attribution des terres à vocation agricole ou forestière ou intègrent leurs nouvelles formes juridiques d’exploitation. Ils sont pour la plupart issus d’une proposition de loi dont Pierre Jarlier était le premier signataire.
Enfin, certains articles, que je qualifierais de « substantiels », procèdent, sans changer l’état du droit et de la jurisprudence, à un « décapage » qui mérite quelques explications.
Je précise au préalable que l’article 1er, qui prévoyait un inventaire préliminaire des sections de commune, a été supprimé, avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi et de la Direction générale des collectivités locales, et ce pour deux raisons. D’une part, la commission doute que les services préfectoraux aient les moyens matériels et humains de mener à bien une opération aussi complexe. D’autre part – et c’est une raison de fond –, elle a préféré éviter de multiplier les difficultés en inscrivant d’emblée dans la loi la délimitation d’une section de commune, alors même qu’a déjà été introduite une détermination de ses membres. Lorsqu’un maire voudra mettre un peu d’ordre et clarifier la situation, si des conflits surgissent, le tribunal administratif tranchera.
Parmi les dispositions substantielles, les articles 1er bis nouveau et 1er quater nouveau sont essentiels. Suivant la décision du Conseil constitutionnel, ils précisent que la section de commune est une personne morale de droit public. Ils unifient quatre notions qui ne se recouvrent pas exactement, ce qui est source d’extraordinaires complications et parfois d’absurdités : les notions d’habitant, d’électeur à la commission syndicale, d’éligible à la commission syndicale et d’ayant droit. Exemple d’absurdité : les membres de la commission syndicale ne sont pas obligatoirement des ayants droit.
Nous sommes partis du principe que l’origine des biens sectionaux tenait au fait qu’ils étaient indispensables à la vie, voire à la survie, d’une collectivité paysanne, et que ce qui se rapprochait le plus aujourd'hui de la collectivité originelle, c’était l’ensemble des habitants de la section. Nous avons posé que les membres de la section de commune, les ayants droit à l’usage de ses biens et ceux qui pouvaient être habilités à les gérer quand le conseil municipal ne s’en chargeait pas, ceux qui avaient la capacité de les désigner et de donner leur avis en l’absence de commission syndicale étaient les « habitants ayant leur domicile réel et fixe sur son territoire », ainsi que le précise l’alinéa 3 de l'article 1er bis nouveau.
Ce faisant, la commission a souhaité revenir à l’esprit de la section de commune : non pas des propriétaires indivis, mais des biens nécessaires à la vie d’une collectivité. Or ce qui aujourd'hui se rapproche le plus de la collectivité ancienne, ce sont encore les habitants.
La commission a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus avant et de définir la notion d’« habitant ayant leur domicile réel et fixe ». Celle-ci existe déjà dans la législation actuelle et est connue de la jurisprudence. Si des problèmes se font jour, la jurisprudence les réglera, comme elle le fait déjà actuellement.
Lier la qualité de membre de la section à la résidence a le mérite de la clarté et permet de revenir aux fondamentaux : à l’origine, les biens sectionaux étaient nécessaires à la vie d’une collectivité et, Jacques Mézard l’a rappelé, leur usage était réservé aux « feux », c'est-à-dire à ceux dont la cheminée fumante attestait qu’ils vivaient là.
Notons aussi que le droit actuel ne définit pas l’ayant droit indépendamment de la qualité de membre de la section : il n’a pas pris ce risque ! (Sourires.) C’est le fait d’être membre de la section qui fait l’ayant droit et non la détention d’un droit personnel à la jouissance de certains biens qui ferait le membre de la section. Il ne faut pas inverser l’ordre des priorités et celui de la preuve.
Ce droit de jouissance, aux termes de la loi et comme l’atteste la pratique notariale, n’est ni cessible ni transmissible, à la différence d’un droit patrimonial classique. Il ne peut pas être cédé définitivement ou temporairement – on ne peut, par exemple, donner son droit de jouissance pendant que l’on part en vacances ! Par conséquent, en matière de biens sectionaux, on ne peut parler de droit patrimonial acquis : il s’agit d’un droit lié à l’appartenance à une collectivité. Le fait que la Cour européenne des droits de l’homme puisse qualifier ce droit de jouissance de « bien », ce qu’il est effectivement et que nous ne contestons pas, est sans influence sur la qualification qui lui est donnée en droit interne. Ce point me paraît essentiel.
Les articles 4 sexies nouveau et 4 septies nouveau sont tout aussi importants, mais je les décrirai plus rapidement.
L'article 4 sexies permet de sortir de l’impasse née du refus d’un conseil municipal de voter le budget proposé par une section. Dans le vide des textes et en l’état de la jurisprudence, il ne peut que l’accepter ou le refuser. Nous proposons qu’il puisse modifier ce projet de budget.
L'article 4 septies autorise, une fois les besoins de la section satisfaits, et non ceux de ses membres – c’est interdit –, l’affectation du surplus de revenus au financement d’opérations d’intérêt général, au bénéfice non exclusif de la section.
Jacques Mézard l’a souligné : cette disposition met un terme à un objet de scandale pour les élus et les habitants de communes pauvres sur le territoire desquelles prospèrent des sections riches, qui, faute de pouvoir répartir leurs excédents entre membres sous forme pécuniaire, doivent les laisser dormir dans les comptes, alors que la commune doit emprunter pour investir. Si, en plus, un conflit oppose le maire et la section de commune, la situation devient intenable.
Ce pouvoir du conseil municipal est cependant strictement encadré. Seul le surplus budgétaire de la section de commune peut être utilisé, les besoins de la section devant d’abord être satisfaits. Par ailleurs, seules des dépenses pour la réalisation de travaux d’investissement ou d’entretien pourront être ainsi financées : les dépenses de personnel sont donc exclues, pour ne prendre que cet exemple. Enfin, le conseil municipal devra motiver sa délibération.
Quelle que soit notre volonté de conserver les sections de commune bien vivantes, nous proposons qu’il ne puisse plus en être créé d’autres. Je ne m’y attarde pas. Lorsque des communes prennent la décision de fusionner, aux termes des dispositions prévues par le code général des collectivités territoriales, c’est qu’elles entendent constituer une seule commune. Or, maintenant que le développement de l’intercommunalité offre des modalités d’associations très fines, laisser se créer de nouvelles sections de commune, c’est aller au-devant de difficultés inutiles !
Mes chers collègues, telles sont les propositions que la commission des lois vous soumet. Elle a poursuivi un double objectif. D’une part, il s’agit de faciliter et de pacifier les relations trop souvent conflictuelles entre les communes, leurs conseils municipaux et les sections de commune. D’autre part, lorsque ces sections se contentent de survivre ou constituent, à l’évidence, un obstacle au développement communal, il convient de donner les moyens aux conseils municipaux qui le souhaitent – j’insiste sur ce point – d’en sortir, au terme d’une procédure strictement encadrée et respectueuse des droits de chacun. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et de l'UMP.)