M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean Desessard. Il ne faut pas laisser échapper les électeurs, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Surtout pas les girafes ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4 duodecies, modifié.
(L'article 4 duodecies est adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Les conséquences financières pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
Les conséquences financières pour l’État de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Cet amendement vise à lever le gage, ce à quoi nous sommes évidemment fort attachés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. La commission n’a pas eu connaissance de cette bonne nouvelle mais, à titre personnel, je ne me vois pas la refuser ! (Sourires.)
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean Boyer, pour explication de vote.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, permettez d’abord que l’élu de Haute-Loire, l’un des départements du Massif central, se félicite que l’ancienne sénatrice de l’Aveyron soit restée égale à elle-même. Elle a gardé sa classe, dans une compétence discrète et naturelle. (M. Gilbert Barbier applaudit.) Madame la ministre, je voulais très simplement vous le dire.
Il n’est pas nécessaire d’enfoncer des portes lorsqu’elles sont ouvertes. Je tenais simplement à apporter, au nom de mon groupe, au nom de Pierre Jarlier et de tous ceux qui ne sont pas là, les mots qui alimentent une conclusion positive plutôt qu’une interrogation.
Permettez-moi, ensuite, de saluer les deux Cantalous, les deux Cantaliens. Je connaissais le premier, prénommé Pierre. Il n’habite pas très loin de la Haute-Loire, dont le Cantal est séparé par la chaîne de la Margeride. Je le connaissais pour l’avoir vu ici, il y a deux ans de cela, nous sensibiliser sur ce sujet lors de la discussion d’une proposition de loi analogue à celle que nous examinons aujourd’hui. D’ailleurs, nous avons pu le constater, la plupart des amendements alors déposés ont été repris.
Pour aborder les biens de section, il faut, à mon sens, avoir une conviction. Il faut, d’abord, vivre les problèmes dans son pays. Je le redis, madame la ministre, je suis du département de la Haute-Loire, qui compte 2 825 sections. (Exclamations.) C’est un record ! Mais en Lozère, les biens sectionaux représentent 72 000 hectares. Si je cite ces chiffres, ce n’est pas pour me livre à une surenchère ! Je veux, surtout, féliciter Jacques Mézard d’avoir pris cette initiative et d’avoir trouvé en Pierre Jarlier un complice constructif.
Je m’écarte du texte que j’avais rédigé pour m’en tenir à l’essentiel. Pendant trente-six ans, j’ai été maire d’une commune qui comptait tout l’éventail des biens de section, productifs et non productifs. Et je sais qu’il suffit d’en parler pour allumer la mèche ! Quand on ne parle pas des biens de section, les ayants droit ne se réveillent pas. Mais si vous y touchez, vous verrez qu’ils portent tous dans le dos un panneau avec l’inscription « Touche pas à mon pote ! »
Pour faire avancer nos communes, pour qu’il y ait une cohérence dans les équipements et une vision sur l’avenir, il faut aller dans le sens que vous avez indiqué, cher monsieur Mézard, avec cette proposition de loi.
Nous ne sommes pas cinq siècles en arrière. Nous sommes en 2012 et nous devons regarder de l’avant.
Dans nos zones de montagne, il y a des obstacles constitués par la topographie et le climat. Mais il y a des obstacles administratifs contre lesquels les hommes de bonne volonté que nous sommes devons trouver des solutions dans le respect du passé et dans la perspective de l’avenir.
Vous l’avez deviné, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe auquel nous appartenons, Pierre et moi, votera, sans hésitation, cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, faciliter la gestion des communes et la mission de leurs maires en mettant fin aux dysfonctionnements qui frappent la majorité des sections de commune, tel est l’objet de cette proposition de loi que le groupe du RDSE soumet, ce soir, à l’examen du Sénat.
Cela a été dit tout au long de ces débats, les sections de commune sont une institution qui peut trouver toute sa place dans le paysage de nos territoires ruraux à partir du moment où leur fonctionnement et leur gestion ne viennent pas perturber la vie communale.
Malheureusement, trop souvent, des différends personnels ou la crispation sur des intérêts particuliers viennent grever les relations entre les sections ou leurs ayants droit et les communes.
Les blocages constatés n’ont d’autre source que le conservatisme d’une minorité qui, par exemple, ne veut pas partager ses revenus avec de nouveaux et jeunes agriculteurs ou qui préfère s’arc-bouter sur des droits particuliers au détriment de l’intérêt de l’ensemble de la commune et de ses habitants.
Il est clair que, lorsque la section met un frein au développement de nos territoires ruraux ou devient un facteur de morcellement des terres, tout doit être mis en œuvre pour favoriser l’intérêt général. C’est ce que nous avons souhaité faire en mettant à la disposition des maires un nouvel outil plus simple, plus rapide et plus sécurisé, de communalisation des biens sectionaux. C’est ce qu’a également fait notre rapporteur Pierre-Yves Collombat, en s’appuyant sur ce texte pour proposer une modernisation et une rationalisation du régime même des sections de commune.
Ce soir, il me semble que nous avons indéniablement fait œuvre utile pour l’ensemble de nos communes, en accomplissant un travail législatif de profondeur, appuyé sur la réalité du terrain et sur l’expérience de ses représentants.
Mes chers collègues, je ne peux donc que vous inviter à voter en faveur de la présente proposition de loi, déposée par plusieurs membres de mon groupe. Ce texte facilitera la gestion de nos communes et notamment d’un certain nombre d’entre elles que je connais parfaitement, étant donné qu’elles sont situées dans mon département, l’Aveyron.
Pour ces mêmes raisons, ainsi que pour d’autres, évoquées par plusieurs orateurs avant moi, nous avons la certitude de pouvoir compter sur le soutien actif de Mme le ministre, pour assurer une inscription rapide du présent texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. (Mme la ministre déléguée acquiesce.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !
M. Stéphane Mazars. En effet, madame le ministre, vous partagez avec la très grande majorité d’entre nous cette parfaite et nécessaire connaissance des territoires ruraux. Aussi, j’espère qu’à compter de ce soir, comme vous l’avez appelé de vos vœux, ces territoires seront désormais plus dorés. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Avant tout, je tiens à remercier Jacques Mézard de m’avoir conduit à m’initier aux mystères des sections de communes,…
Mme Michèle André. Heureux homme que vous êtes ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. … je connaissais certes l’existence de ce statut juridique mais, sauf erreur de ma part, mon département ne compte pas de biens sectionaux.
Quoi qu’il en soit, les sections de commune constituent un sujet extrêmement intéressant sur le plan intellectuel.
Mme Cécile Cukierman. Sur le terrain aussi, c’est intéressant !
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Ensuite, je tiens à remercier l’ensemble de nos collègues qui nous ont permis d’accomplir ce travail collectif : nous nous sommes efforcés, ensemble, d’améliorer la situation.
Enfin, pour éviter toute ambiguïté, je dresserai ce constat : certes, nous l’avons souligné, ce texte a pour but d’éradiquer un certain nombre de déviances, en évitant que certains intérêts particuliers n’entravent l’existence des communes. Toutefois, parallèlement, nous nous sommes efforcés de perpétuer cette longue tradition des sections de commune, qui se perd dans le fond de notre histoire, avec tout ce qu’elle peut avoir de vivant et d’un peu étonnant pour des juristes d’aujourd’hui : de fait, il n’y a aucune raison d’empêcher ces structures de vivre, dès lors qu’elles fonctionnent bien et qu’elles donnent satisfaction. Lorsque tel n’est pas le cas, ou lorsqu’elles n’ont même plus d’existence réelle, il faut évidemment passer à autre chose.
Tel est, mes chers collègues, l’esprit général dans lequel nous avons essayé de travailler.
M. Alain Néri. Dans un esprit consensuel et constructif !
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. À observer vos réactions, je constate que nous ne nous sommes pas trompés ! (M. Alain Bertrand et Mme Gisèle Printz applaudissent.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, et sur certaines travées de l'UCR. – Mme Marie-Annick Duchêne applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout a été dit, et bien dit !
M. le président. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous dire combien je me réjouis que cette proposition de loi ait été adoptée, qui plus est dans les conditions que vous avez relevées les uns et les autres, à savoir dans une belle harmonie.
Cette coproduction, ce travail collectif ne pourra que faciliter sur le terrain l’action de tous ceux qui, jusqu’à présent, restaient confrontés à l’ensemble des difficultés que chacun d’entre nous a successivement énumérées.
À mes yeux, ce texte ne présente qu’un seul défaut, que je tiens malgré tout à mentionner : demain, nos avocats vont être au chômage ! (Sourires. – Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’UCR. – MM. Alain Néri et Bruno Retailleau applaudissent également.)
Mme Françoise Laborde. Bravo !
M. le président. Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, il convient d’interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires
Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la discussion de la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (proposition n° 576 [2011-2012], texte de la commission n° 11, rapport n° 10).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi.
Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en juin 2011, le Parlement avait eu à débattre de la révision des lois de bioéthique. L’un des points fondamentaux du texte qui nous était alors soumis concernait la recherche sur les cellules souches embryonnaires : fallait-il l’autoriser ou continuer de l’interdire ? Le débat est récurrent depuis les premières lois de bioéthique.
En 1994, le législateur avait édicté un principe d’interdiction absolue, estimant que de semblables recherches portaient atteinte à une personne humaine potentielle. En 2004, il avait maintenu ce principe d’interdiction, tout en en atténuant la rigueur. Des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires pouvaient être menées à titre exceptionnel pour une durée de cinq ans sur les embryons surnuméraires, à deux conditions : d’une part, elles devaient permettre des progrès thérapeutiques majeurs et, d’autre part, elles ne pouvaient pas être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable. En d’autres termes, la recherche était interdite sauf dans les cas dérogatoires où elle était autorisée !
En juin 2011, lorsque nous avons eu à débattre de la question, nous étions assez nombreux dans cet hémicycle à souhaiter passer d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation encadrée.
Au demeurant, je tiens à saluer le courage du rapporteur Alain Milon, qui, à l’époque, a défendu cette position avec force. Il s’agissait avant tout de mettre fin à une certaine hypocrisie. Au terme d’une longue discussion, le Sénat a malheureusement capitulé en deuxième lecture.
Mme Michèle André. C’est vrai !
Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi. Au nom de quoi ? Au nom d’une conception philosophique ou religieuse du statut de l’embryon.
Ceux qui prônent l’interdiction estiment que l’embryon est un être en devenir, et qu’à ce titre la recherche sur les cellules souches embryonnaires porte atteinte à la dignité humaine. Toutefois, dans ce cas, il fallait interdire complètement ces recherches : pourquoi les avoir assorties de dérogations ? Il y a là une logique qui m’échappe !
Par ailleurs, si l’embryon est une personne humaine potentielle, la seule potentialité ne suffit pas à constituer une personne humaine. Comme le rappelle notre collègue Gilbert Barbier dans son rapport, « [le] potentiel de vie [de l’embryon] n’existe pas en soi […] [Il] dépend de la nature et du projet du couple qui l’a conçu ou pour lequel il a été conçu. »
Qui plus est, les embryons concernés par la recherche sont conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et ne font plus l’objet d’un projet parental. Autrement dit, ils seront détruits.
À l’époque, on nous a également objecté qu’il existait une solution alternative plus respectueuse de l’embryon : les cellules souches pluripotentes induites, les IPS, découvertes par le professeur Yamanaka, qui vient d’ailleurs de recevoir le prix Nobel de physiologie et de médecine 2012. Ces cellules souches sont obtenues à partir de cellules adultes génétiquement reprogrammées pour se comporter comme une cellule souche embryonnaire. Si ces travaux ont indéniablement constitué une extraordinaire avancée scientifique, il est encore nécessaire de travailler en parallèle sur ces deux types de cellules, qui sont complémentaires.
En 2004, le manque de recul dont nous disposions pouvait expliquer le choix d’un régime d’interdiction avec dérogation. À l’époque, c’était surtout le moyen pour le législateur de surmonter un dilemme moral.
En revanche, je ne comprends pas la position choisie il y a un peu plus d’un an, d’autant que la disposition adoptée est bien plus restrictive que celle de 2004.
M. Jean Desessard. Oui !
Mme Françoise Laborde, auteur de la proposition de loi. Ainsi, la nouvelle rédaction de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique prévoit que les chercheurs doivent expressément apporter la preuve qu’il leur est impossible de parvenir autrement au résultat escompté.
En d’autres termes, les scientifiques devront explorer toutes les hypothèses alternatives, même les moins vraisemblables, pour obtenir une autorisation. Ce nouveau dispositif est particulièrement ambigu et, surtout, impossible à mettre en œuvre. (M. Jean-Pierre Plancade acquiesce.)
Nous avons cautionné l’immobilisme souhaité par le gouvernement d’alors : ignorant les propositions suggérées par la plupart des instances consultatives et les chercheurs eux-mêmes, nous avons opté pour une révision a minima. Nous n’avons pas été à la hauteur des enjeux !
Pourtant depuis quelques années déjà, de nombreux rapports nous invitaient à modifier la législation pour faciliter le progrès de la science et de la médecine, tout en garantissant le respect des principes éthiques fondamentaux.
Ainsi, dans son bilan de l’application des lois de bioéthique remis au ministre chargé de la santé en octobre 2008, l’Agence de la biomédecine craignait que le régime d’interdiction ne bloque des projets fondamentaux permettant des avancées thérapeutiques et préconisait un régime d’autorisation pérenne.
Dans son rapport sur la révision des lois de bioéthique de mai 2009, le Conseil d’État proposait également de substituer au régime actuel d’interdiction assorti de dérogations, un régime permanent d’autorisation encadré par des conditions strictes.
C’est également la position de l’Académie nationale de médecine, qui estime depuis très longtemps qu’il serait inadéquat et même dangereux qu’une interdiction de principe soit maintenue au nom d’un antagonisme entre recherche et protection de la vie.
Plus récemment, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, a rappelé qu’un tel régime était nuisible à la recherche en France et qu’il stigmatisait les chercheurs. Il a largement plaidé pour la levée du moratoire et la suppression de l’interdiction au profit d’un régime d’autorisation encadrée, plus adapté à la réalité scientifique et tout aussi protecteur de l’embryon.
Pourquoi avoir refusé de prendre en compte les avis de ces différentes instances ?
Le maintien d’un régime d’interdiction fragilise la position de la France au sein de la communauté internationale. Notre législation est, en effet, l’une des plus restrictives au monde. Elle handicape sérieusement les scientifiques et décourage les investisseurs étrangers. Pendant ce temps, dans plusieurs pays européens, aux États-Unis, au Japon, en Israël, au Canada, en Australie, la recherche progresse à grands pas. Face à cette concurrence, nous prenons beaucoup de retard et le risque est grand de ne jamais le rattraper.
Pourtant, sur le plan scientifique, il ne fait guère de doute que les recherches sur les cellules souches embryonnaires sont porteuses de grands espoirs. Ces cellules, dites « pluripotentes » proviennent de l’embryon humain au tout premier stade de son développement. Elles peuvent se répliquer indéfiniment et se différencier en plusieurs types de tissus. Au cours du développement, elles ont vocation à former tous les tissus de l’organisme. Contrairement aux cellules souches adultes, dont l’efficacité s’est révélée limitée, le potentiel thérapeutique des cellules souches embryonnaires est immense.
Un des enjeux majeurs de ces cellules est la thérapie cellulaire, que l’on appelle aussi médecine régénératrice. Cette perspective consiste à remplacer des cellules endommagées du fait d’une maladie ou d’un accident. Elle pourrait intervenir dans le traitement des grands brûlés, des leucémies ou des maladies génétiques et neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson. Il n’est pas exclu, à terme, que ces cellules puissent un jour se substituer à certaines greffes d’organes.
Les cellules souches embryonnaires devraient également permettre aux chercheurs de connaître des progrès majeurs dans la connaissance et le traitement des maladies génétiques et révolutionner la toxicologie prédictive.
La recherche doit progresser et faciliter le développement de nouvelles thérapeutiques. Nous ne devons pas empêcher les équipes scientifiques et les malades de mettre leurs espoirs dans cette voie nouvelle de la science. Ils ont déjà perdu beaucoup de temps et attendent un signal fort.
C’est l’objectif que cherche à atteindre notre proposition de loi. Nous voulons mettre un terme à l’insécurité juridique et à l’ambiguïté de la loi de 2011, fondée sur une décision absurde, et offrir une meilleure lisibilité de notre législation dans l’intérêt de tous. Je me félicite à ce titre de la position du Président de la République et de celle de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur le sujet.
En matière de recherche sur l’embryon, on ne peut pas faire n’importe quoi. C’est là le sens même du mot « éthique ». C’est pourquoi la nouvelle rédaction que nous vous proposons pour l’article L. 2151-5 du code de la santé publique substitue au régime actuel d’interdiction assorti de dérogations, un régime d’autorisation particulièrement encadré. Pour être autorisées, les recherches devront remplir quatre conditions sans lesquelles il ne sera pas possible de mener de recherche. Je rappelle d’ailleurs qu’à partir du moment où d’autres recherches offriront des capacités similaires à celles que présentent des cellules souches embryonnaires, la recherche sur celles-ci sera interdite.
Je tiens enfin à saluer l’excellent travail de notre rapporteur Gilbert Barbier, que je remercie pour les améliorations qu’il a apportées.
Le texte que nous vous proposons d’adopter n’est en aucun cas la remise en cause de la dignité humaine. Il s’agit avant tout de donner à nos scientifiques la possibilité de faire progresser la recherche médicale et de sauver des vies. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Muguette Dini et MM. Alain Milon et René-Paul Savary applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, il y a une semaine, le prix Nobel de physiologie et de médecine 2012 a été attribué à John Gurdon et à Shinya Yamanaka qui, à quarante-cinq ans de distance, ont démontré, d’abord chez l’animal puis chez l’homme, qu’il est possible de faire régresser des cellules adultes jusqu’au stade de la pluripotence.
M. Jean Desessard. Oui !
M. Gilbert Barbier, rapporteur. L’importance de cette découverte scientifique majeure, aujourd’hui consacrée par l’Académie Nobel, n’a échappé ni aux scientifiques, ni à l’opinion publique. Depuis la publication des travaux du professeur Yamanaka en 2006, plusieurs équipes se sont lancées dans les recherches sur les cellules souches pluripotentes induites, les IPS. On entend souvent que ces recherches rendraient caduques celles qui sont menées sur les cellules souches embryonnaires humaines car ces IPS et les cellules embryonnaires auraient les mêmes caractéristiques. Les scientifiques que j’ai auditionnés me disent que pour l’instant tel n’est pas le cas.
M. Jean Desessard. Il y en a effectivement qui le disent !
M. Gilbert Barbier, rapporteur. Peut-être se trompent-ils, mais si demain l’équivalence est possible, alors la recherche à partir de cellules souches embryonnaires humaines ne sera plus autorisée en France. C’est expressément ce que prévoit la proposition de loi que nous examinons ce soir.
Cette proposition de loi modifie le texte de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique qui a fait, vous vous en souvenez tous sans doute, l’objet de débats approfondis dans cet hémicycle, débats intenses et parfois passionnés entre partisans de l’autorisation de ces recherches et tenants de leur interdiction. Dans un contexte préélectoral qui n’a pas été sans peser sur ses choix (M. Jacques Mézard opine.), le gouvernement de l’époque soutenait ce qu’il présentait comme une voie moyenne. En 2004, le principe de l’interdiction avait été posé et assorti de dérogations pour cinq ans. Le ministre de la santé proposait, à l’instar des états généraux de la bioéthique, de maintenir l’interdiction de principe de ces recherches mais de l’assortir de dérogations permanentes. À une très courte majorité, cette vision était finalement celle qui a prévalu au Sénat.
La commission des affaires sociales, saisie au fond, avait pour sa part suivi les conclusions de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, du Conseil d’État et du rapporteur du projet de loi, Alain Milon. La commission s’était engagée résolument, et de manière transpartisane, dans la voie de l’autorisation encadrée des recherches.
Les auteurs de la présente proposition de loi estiment que ce choix était le bon et nous proposent d’adopter un texte issu des travaux de l’Office parlementaire et très largement similaire à celui que nous avions adopté en première et, de nouveau, en deuxième lecture du projet de loi relatif à la bioéthique.
La commission des affaires sociales a examiné ce texte tant du point de vue éthique que du point de vue juridique. Je note qu’un an après ce texte la mobilisation des chercheurs et de ceux qui s’opposent aux recherches sur l’embryon n’a pas faibli. La question éthique s’analyse sous deux aspects : faut-il interdire par principe la recherche sur l’embryon ? Un régime d’autorisation encadrée est-il la voie ouverte à toutes les dérives ?
La nécessité d’un « interdit symbolique fort » a été souvent invoquée pour justifier le maintien de dispositions contradictoires au sein de l’article L. 2151-5. Le groupe de travail du Conseil d’État, que présidait notre collègue Philippe Bas, avait étudié cet interdit avant de l’écarter. En effet, l’interdiction de principe de la recherche sur l’embryon n’est pas une garantie éthique pertinente et ce n’est pas elle qui offre la meilleure protection contre les dérives potentielles de la science.
Pourquoi interdire la recherche sur l’embryon ? Parce qu’il est une vie humaine potentielle. Toutefois, ce potentiel de vie n’existe pas en soi, comme l’a rappelé Françoise Laborde. Il dépend de la nature et du projet du couple qui l’a conçu ou pour lequel il a été conçu. S’agissant des embryons conçus dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, qui sont les seuls visés par l’article L. 2151-5, les embryons dont un couple peut faire don à la recherche sont ceux qui sont voués à la destruction. En effet, soit ils ne sont pas implantables en raison d’un problème affectant leur qualité, soit ils sont porteurs d’une anomalie détectée à la suite d’un diagnostic préimplantatoire, soit, enfin, ils ne font plus l’objet d’un projet parental et, à moins d’être donnés à un autre couple, l’article L. 2141-4 du code de la santé publique prévoit qu’ils doivent être détruits au bout de cinq ans de conservation.
M. Jean Desessard. Exactement !
M. Gilbert Barbier, rapporteur. Il s’agit de faire de la recherche sur des embryons dont la vocation est la destruction.
L’alternative entre destruction et recherche à des fins de progrès de la médecine est la seule ouverte pour décider du devenir de ces embryons. Il me semble que la possibilité pour les parents de faire don d’un embryon sain ou porteur d’un défaut ou d’une pathologie pour l’amélioration du bien-être collectif, plutôt que de le laisser simplement détruire, est un choix éthique de la part de ce couple. Le texte de la proposition de loi prévoit la nécessité de confirmer le don après un délai de réflexion pour le don des embryons sains et, dans tous les cas, la possibilité de révoquer le don sans motif tant que les recherches n’ont pas commencé.
Plusieurs de nos collègues ont pourtant soutenu que la destruction était de toute façon préférable afin de limiter la tentation démiurgique de l’homme qui souhaite « créer la vie » et la modeler selon ses désirs. Il s’agit, bien sûr, d’éviter les dérives de la science ; cet objectif, nous le partageons tous et il est garanti par le texte de la proposition de loi.
En effet, le régime d’autorisation encadré n’est nullement un droit pour toute équipe de recherche de mener sans contrôle des expériences sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires. Les équipes de pointe qui élaborent des protocoles de recherche nécessitant l’étude de ces embryons ou de ces cellules doivent déposer une demande auprès de l’Agence de la biomédecine et obtenir le droit de mener leurs expériences. Tel n’est pas le cas pour les recherches sur les cellules souches dites « adultes » qui se trouvent dans les tissus humains ou pour les cellules orientées vers un retour aux cellules souches. Les équipes qui les utilisent n’ont de compte à rendre à aucune autorité publique.
Je rappelle que l’autorisation de l’Agence de la biomédecine ne peut être accordée que si quatre conditions cumulatives sont réunies.
Premièrement, le projet doit être scientifiquement pertinent. Le texte prévoit par ailleurs l’interdiction d’implanter à des fins de gestation les embryons sur lesquels une recherche a été effectuée, et je rappelle que la création de chimères ou d’embryons transgéniques est interdite en France.
Deuxièmement, le projet doit avoir une finalité médicale, ce qui exclut notamment les projets à visée purement esthétique.
Troisièmement, le projet ne doit pouvoir être conduit qu’avec des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines.
Quatrièmement, enfin, il doit respecter des garanties éthiques, ce qui signifie notamment que l’Agence exerce un contrôle sur la manière dont ont été conçues les lignées de cellules souches embryonnaires, notamment les cellules importées de l’étranger.
De ces quatre conditions cumulatives, la plus contraignante en pratique est la troisième. Elle a pour conséquence que les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires n’auront jamais qu’un caractère subsidiaire.
Je l’ai dit, s’il devient possible, demain, de mener, à partir des cellules souches induites, le même type d’expériences que celles qui peuvent être conduites avec les embryons humains et les cellules souches embryonnaires, ces recherches seront interdites. C’est l’état de la science et l’évaluation par un comité scientifique qui permettent à l’Agence de se prononcer sur cette question chaque fois qu’un protocole lui est soumis.
Cette disposition garantit la « protection adéquate de l’embryon » telle qu’elle est prévue par la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, que la France a ratifiée.
Les chercheurs que j’ai auditionnés soulignent qu’en pratique les différents types de recherche sont menés en parallèle et que les équipes ne prennent pas le parti de privilégier la recherche sur l’embryon humain. Je pense que nous pouvons accréditer cette assertion, mais cette condition est liée à la nature particulière de l’embryon humain et, interprétée à la lumière du progrès des connaissances scientifiques, il convient de la conserver.
Il me semble néanmoins important de souligner que les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires sont aujourd’hui, et sans doute pour plusieurs années encore, primordiales pour faire progresser les connaissances sur le développement de la vie, comme vient de l’indiquer notre collègue Françoise Laborde, ainsi que pour la modélisation des maladies génétiques.
Comme le soulignent les chercheurs, de nombreuses questions de génétique, mais aussi d’épigénétique, sont posées, qui impliquent, sans alternative crédible, le recours aux embryons humains et aux cellules souches embryonnaires qui en sont issues.
L’Agence de la biomédecine ne se fonde pas uniquement sur des avis scientifiques pour prendre ses décisions. Son comité d’orientation, qui réunit des scientifiques et des représentants de la société civile, et au sein duquel siègent désormais quatre sénateurs, dont moi-même, est appelé à se prononcer sur chaque dossier. Les considérations éthiques sont donc présentes pendant l’instruction même du dossier.
Par ailleurs, les avis de l’Agence sont susceptibles de faire l’objet d’un réexamen à la demande conjointe des ministres chargés de la recherche et de la santé.
Enfin, l’Agence reçoit des rapports annuels sur le progrès des recherches et conduit des inspections. Un amendement adopté en commission vise d’ailleurs à renforcer ces pouvoirs d’inspection.
J’en viens aux questions de droit.
Le Gouvernement soutenait à l’époque que l’interdiction de principe assortie de dérogations et l’autorisation encadrée étaient, de ce point de vue, équivalentes. Le juge administratif n’en a pas décidé ainsi.
La cour administrative d’appel de Paris a déduit de l’existence de l’interdiction de principe qu’il appartenait à l’Agence de la biomédecine de faire la preuve que des recherches employant des moyens alternatifs ne pouvaient parvenir au résultat escompté. Elle a, en conséquence, annulé l’autorisation accordée trois ans auparavant à un protocole de recherche.
En cas d’annulation, les scientifiques sont tenus d’arrêter immédiatement leurs travaux sous peine de sanctions pénales. Cinq recours en annulation, dont quatre concernent les travaux d’équipes de l’INSERM, sont actuellement en cours d’instruction par le tribunal administratif de Paris.
L’insécurité juridique à laquelle sont confrontés les chercheurs résulte des ambiguïtés de la loi de 2004, lesquelles ont été accentuées par le texte voté en 2011, qui consacre une ambiguïté morale et juridique.
En effet, l’actuel article L. 2151-5 du code de la santé publique porte la marque de ceux qui, à l’Assemblée nationale, à défaut de pouvoir obtenir l’interdiction des recherches, cherchaient à rendre quasiment impossible leur autorisation à force de conditions en pratique irréalisables : ainsi, la nécessité d’établir « explicitement qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté » autrement, ou celle d’informer le couple donateur de la nature des recherches projetées.
Il n’y a en réalité que deux possibilités : interdire complètement cette recherche, une position respectable aux yeux de certains, ou l’autoriser de manière encadrée. Dès lors que, en l’état de la science, la recherche sur l’embryon humain et les cellules embryonnaires est nécessaire, elle doit être autorisée, tout en prenant les précautions indispensables afin de garantir l’absence de dérives.
La commission des affaires sociales, en adoptant la proposition de loi, amendée pour préciser que les recherches fondamentales sont possibles et pour renforcer les pouvoirs de contrôle de l’Agence, a clairement fait le choix de la clarté et de la responsabilité. J’espère que la Haute Assemblée fera de même. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées de l’UCR. – Mme Catherine Deroche, ainsi que MM. Guy Fischer, Alain Milon et René-Paul Savary applaudissent également.)