compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Gérard Le Cam.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Bisphénol A
Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale, visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (proposition n° 171, texte de la commission n° 202, rapport n° 201).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteur.
Mme Patricia Schillinger, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en deuxième lecture, la proposition de loi relative aux conditionnements alimentaires comportant du bisphénol A, ou BPA.
Nous avons longuement débattu de ce texte le 9 octobre dernier et, avant de vous présenter les modifications apportées par l’Assemblée nationale au texte du Sénat, je souhaite vous rappeler en quelques mots le contexte.
Le bisphénol A est très largement utilisé dans les produits de la vie courante et il fait l’objet, depuis plusieurs années, de nombreuses études et évaluations scientifiques. Celles-ci permettent de tisser aujourd’hui un faisceau d’indices que l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, ont analysés en 2011 et en 2012. Il existe dorénavant un certain consensus autour de quatre conclusions principales.
La toxicité du BPA est avérée chez l’animal et suspectée chez l’être humain. L’alimentation en constitue la source principale d’exposition. Le BPA ne répond pas à l’approche toxicologique classique et peut notamment produire des effets à faibles doses, avec des mécanismes encore mal élucidés. Enfin, les périodes de grossesse et du début de la vie sont critiques et constituent une zone de vulnérabilité.
C’est dans ce contexte scientifique qu’intervient la discussion de la proposition de loi dont l’objectif principal est de supprimer le bisphénol A des conditionnements alimentaires.
Quelles sont les principales modifications adoptées par l’Assemblée nationale en deuxième lecture ?
Commençons, bien sûr, par ce qui nous a beaucoup occupés, tout le monde s’en souvient, à savoir la date.
Premièrement, la suspension de la commercialisation des conditionnements destinés aux nourrissons et enfants de moins de trois ans avait été fixée par le Sénat au 1er janvier 2013. L’Assemblée nationale a conservé ce principe, mais, par prudence, au cas où le calendrier parlementaire ne permettrait pas une adoption définitive avant cette date, elle a prévu que cette suspension entrerait en vigueur le premier jour du mois suivant la promulgation de la loi.
Je vous rappelle que les industriels ont largement anticipé ce vote, ce qui démontre l’intérêt de tels débats parlementaires, et qu’il n’existe quasiment plus de conditionnements alimentaires pour bébés comportant du BPA.
Deuxièmement, en ce qui concerne les autres conditionnements, notre commission avait proposé de prévoir un délai de deux années entre la promulgation de la loi et la suspension de la commercialisation. Un débat a eu lieu, en séance, entre les tenants du 1er janvier 2015, position défendue par notre commission, ceux du 1er juillet et ceux du 1er janvier 2016.
Ce débat, certes long, était pourtant nécessaire, car il était utile d’entendre les différents arguments échangés et de mesurer la portée de la décision que nous allions prendre. Finalement, le Sénat avait opté pour le 1er juillet 2015.
Je ne sais s’il s’agissait de la légendaire sagesse de notre Haute Assemblée, mais je milite toujours pour un objectif plus volontariste. Alors que les industriels travaillent depuis déjà plusieurs années sur la substitution du BPA, je ne suis pas certaine qu’ajouter six mois leur soit nécessaire. A contrario, ce délai serait un signal de relâchement ou d’incertitude, alors qu’au fond nous sommes très largement, voire unanimement, d’accord sur l’objectif.
L’Assemblée nationale a, de son côté, approuvé la date du 1er janvier 2015, qui me semble d’autant plus acceptable par le Sénat que nos collègues députés ont fait un pas sensible vers le compromis, en adoptant deux mesures complémentaires.
Première mesure : seuls les conditionnements entrant en contact direct avec les aliments seront concernés, alors que le texte englobait également, jusqu’alors, les surfaces externes des emballages ou des récipients. Cette précision importante est cohérente avec les expressions utilisées en droit communautaire en la matière. En outre, elle conserve toute sa validité à notre objectif qui, conformément au cadre scientifique aujourd’hui établi, est d’éviter la migration de BPA dans les aliments.
Seconde mesure complémentaire : le Gouvernement remettra, avant le 1er juillet 2014, un rapport au Parlement pour évaluer les substituts possibles au BPA au regard de leur éventuelle toxicité. Ce rapport permettra, plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la suspension, de faire un point d’étape et, le cas échéant, d’adapter notre législation, par exemple si nous nous rendons compte qu’il n’existe pas de substitut acceptable pour certains aliments, notamment ceux qui ont une acidité élevée.
En outre, l’Assemblée nationale n’a pas modifié l’habilitation que nous avions introduite pour que les agents de la répression des fraudes puissent contrôler effectivement le respect des dispositions de la proposition de loi.
Enfin, elle a confirmé la présence d’un avertissement sanitaire déconseillant l’usage des conditionnements alimentaires comportant du BPA aux femmes enceintes ou allaitantes et aux nourrissons et enfants en bas âge.
Au Sénat et à l’Assemblée nationale, le texte s’est enrichi de dispositions concernant les dispositifs médicaux ou certains produits destinés aux nourrissons.
Sur l’initiative de notre collègue Chantal Jouanno, le Sénat avait transposé le mécanisme applicable aux conditionnements alimentaires à tous les dispositifs médicaux destinés aux femmes enceintes ou allaitantes, aux nourrissons ou aux enfants jusqu’à trois ans et comportant soit une substance CMR : cancérogène, mutagène ou reprotoxique, soit un perturbateur endocrinien.
L’Assemblée nationale a supprimé cette mesure, estimant que son champ d’application très large était susceptible d’englober certains dispositifs indispensables au traitement ou à la prise en charge d’un patient et sans produit de substitution connu. Cette difficulté est d’autant plus forte que le nombre de substances concernées est très élevé : l’Assemblée nationale évoque le nombre de quatre cents, mais le tableau des substances CMR concernées représente plus de mille pages du Journal officiel de l’Union européenne, soit plusieurs milliers de substances.
Je n’évoquerai pas plus cette question à cet instant, car nous en aurons l’occasion plus tard dans la matinée.
Dans le même esprit et sur l’initiative de notre collègue Gilbert Barbier, le Sénat avait introduit une autre mesure, plus ciblée, qui consistait à interdire, à compter du 1er juillet 2015, dans les services de pédiatrie, néonatologie et maternité, l’utilisation de matériaux de nutrition parentérale, tubulures et contenants comportant certains phtalates.
L’Assemblée nationale a conservé cet ajout du Sénat, l’estimant à juste titre pertinent, mais elle en a défini plus précisément le champ d’application. Je crois que la rédaction trouvée à l’Assemblée nationale non seulement ne dénature pas l’amendement adopté au Sénat, mais en respecte l’objectif. En outre, la demande de rapport dont je viens de parler a été complétée par une étude sur la présence de ces phtalates dans les dispositifs médicaux.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a inséré deux interdictions supplémentaires.
Les collerettes de tétines et de sucettes, et les anneaux de dentition comportant du BPA seront interdits sans délai. L’utilisation de biberons comportant du BPA sera explicitement interdite, même s’ils relèvent de la catégorie des dispositifs médicaux, ce qui ne peut constituer qu’une régularisation de la loi de 2010.
J’aborderai un dernier point avant de conclure. Sur l’initiative du groupe écologiste, le Sénat avait demandé la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur les perturbateurs endocriniens. Même si nous avons déjà eu plusieurs rapports de ce type, notamment celui de Gilbert Barbier pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, le Gouvernement pourra ainsi actualiser les données scientifiques et présenter la politique qu’il entend mener à ce sujet. Je le disais, ce rapport devra également contenir des informations sur les dispositifs médicaux, ce qui est tout à fait pertinent.
En conclusion, je constate que la navette parlementaire a été fructueuse : nous avons eu des débats approfondis sur la date d’entrée en vigueur de la fin programmée des conditionnements alimentaires comportant du bisphénol A et nous avons enrichi le texte de mesures complémentaires.
À ce stade de la deuxième lecture, je crois que nous avons abouti à un compromis tout à fait satisfaisant, qui conforte nos ambitions dans un cadre réaliste.
Au regard des mesures restant réellement en discussion, il me semble inutile de reporter l’adoption définitive du texte de plusieurs semaines. En adoptant conforme le texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale, le Sénat adresserait, dès aujourd’hui, un signal politique déterminant, puisque notre pays serait alors le premier au monde à programmer effectivement la fin de l’utilisation du bisphénol A dans les conditionnements alimentaires.
Tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, il existe une très large majorité, voire un consensus, sur le principe et les grandes modalités.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose, au nom de la commission des affaires sociales unanime, d’adopter la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, je vous serais reconnaissante de bien vouloir excuser Mme Marisol Touraine, qui ne peut être au Sénat aujourd’hui en raison du lancement du plan de lutte contre les déserts médicaux.
J’en viens à cette proposition de loi, qui se fonde sur une seule exigence : assurer la sécurité de nos concitoyens. C’est elle qui doit guider nos choix en matière de santé publique.
En appliquant le principe de précaution, notre objectif n’est pas de sanctionner. Toutefois, lorsque la santé des Français est en jeu, les intérêts privés doivent être relégués au second plan.
La qualité de l’environnement est une préoccupation majeure du Gouvernement. Aujourd’hui, nous savons que certains produits, dont nous avons un usage quotidien, ont un impact néfaste sur notre santé. Nous pouvons établir avec certitude que de nombreux objets entourant les Français dans leur vie quotidienne ne sont pas exempts de risques.
Il est donc essentiel de soutenir et d’amplifier les initiatives qui ont été développées à l’échelle communautaire. Je pense notamment à la directive REACH, qui nous a permis de parfaire nos connaissances scientifiques dans ce domaine en constituant une large base de données sur les produits utilisés dans l’Union européenne.
L’Assemblée nationale et le Sénat ont voté à l’unanimité, en 2010, l’interdiction de l’utilisation des biberons contenant du bisphénol A. Ce fut une étape majeure et le début d’un processus qu’il nous revient aujourd’hui de poursuivre.
De nombreuses études mettent régulièrement en garde les pouvoirs publics contre les effets nocifs du bisphénol A sur notre état de santé. Celles-ci ont prouvé, vous l’avez rappelé, madame le rapporteur, que le BPA est une substance toxique pour l’animal. Par ailleurs, nous savons que ce produit est un perturbateur endocrinien.
En 2010, l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments avait synthétisé les travaux de recherche sur le sujet et reconnaissait la présence de « signaux d’alerte » dans les études scientifiques.
Très concrètement, cela signifie que nous pouvons aujourd’hui établir un lien clair entre le bisphénol A et certaines pathologies humaines, telles que les maladies cardiovasculaires et métaboliques.
Un an plus tard, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a montré que les nourrissons, les femmes enceintes et les femmes allaitantes étaient plus touchés par le bisphénol A. Ces populations fragiles en seraient ainsi les premières victimes.
Il serait totalement irresponsable de ne pas agir : douter de l’innocuité d’une substance doit nous suffire à appliquer le principe de précaution.
C’est la conviction du Gouvernement.
C’est également le devoir du législateur que d’encadrer, de réglementer, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner.
C’est tout le sens de cette proposition de loi.
Le bisphénol A représente un véritable danger : il est en effet utilisé dans la fabrication d’objets qui entourent nos concitoyens au quotidien. Il entre notamment dans la composition d’un nombre considérable de contenants alimentaires. Or nous savons aujourd’hui que le bisphénol A peut spontanément migrer vers les aliments et que nos concitoyens peuvent donc l’ingérer.
Voilà un an, de nombreux députés ont cosigné ce texte, dont Jean-Marc Ayrault et Gérard Bapt, qui est à l’initiative de cette démarche, que je salue. La proposition de loi que nous défendons vise à la « suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A ».
Notre volonté, c’est donc d’aller plus loin dans la protection des consommateurs et de compléter les textes législatifs déjà en vigueur.
Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre pour protéger les populations les plus fragiles des effets nocifs du BPA.
Toutefois, notre ambition est plus grande encore, car c’est bien l’ensemble des Français qui est aujourd’hui menacé par le BPA. Il nous faut donc assurer la protection de tous nos concitoyens des effets néfastes des perturbateurs endocriniens.
Sur ce sujet, nous pouvons être fiers que la France soit pionnière en Europe.
Le Gouvernement a pris la mesure des enjeux en matière de santé-environnement. La conférence environnementale a été l’occasion de rappeler notre mobilisation et notre engagement sur ce sujet essentiel.
Le Premier ministre avait d’ailleurs exprimé son soutien quant à l’initiative législative qui visait à interdire le bisphénol A dans les contenants alimentaires.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permettra, le 1er jour du mois suivant la promulgation de la loi, de suspendre les contenants alimentaires produits avec du bisphénol A à destination des enfants de moins de trois ans.
En 2015, elle fera disparaître l’ensemble des contenants alimentaires fabriqués avec cette substance.
Ce n’est que par réalisme que nous avons fait le choix de procéder en deux étapes. Il ne suffit pas de décréter l’interdiction de l’utilisation d’une substance, encore est-il nécessaire de trouver des produits de substitution qui remplaceront le bisphénol A et qui ne présenteront aucun risque nouveau pour les consommateurs.
Cette proposition de loi est une étape décisive, mais nous devons poursuivre notre mobilisation.
La conférence environnementale nous a également permis de rappeler notre volonté de prévenir, avec pragmatisme, les risques de santé-environnement. En faisant vivre la démocratie environnementale, nous avons fixé des objectifs et établi une méthode afin d’inscrire notre action dans la durée.
La table ronde relative à la « santé-environnement » et animée par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, nous a permis de redire l’importance de faire face à l’apparition des risques « émergents ». Ceux-ci sont particulièrement difficiles à appréhender. Leurs effets sur la santé sont encore trop mal connus. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de miser sur la recherche. Une mobilisation européenne et internationale est aujourd’hui primordiale.
En outre, nos concitoyens sont confrontés à d’autres expositions au BPA et à des molécules dites cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Nous attendons beaucoup des travaux scientifiques qui ont été engagés. Leurs résultats devraient nous permettre de prendre rapidement les mesures qui s’imposent.
Cependant, pour certains produits, nous ne pouvons plus attendre. Les expositions environnementales aux perturbateurs endocriniens, particulièrement durant le développement fœtal, sont par exemple suspectées d’être à l’origine d’une diminution de la concentration spermatique dans les pays industrialisés. Il a été observé qu’au contact de l’un des phtalates les plus communément utilisés, le DEHP, 40 % des cellules à l’origine de la production des spermatozoïdes disparaissaient au bout de trois jours.
C’est pourquoi, à la suite d’un amendement de son rapporteur adopté par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, l’article 3 de ce texte prévoit d’interdire les tubulures comportant du DEHP dans les services de pédiatrie, de néonatologie et de maternité. Cette interdiction sera applicable dès 2015 ; un substitut inoffensif existe et les industriels produisent déjà des tubulures l’utilisant.
En nous saisissant de la question des phtalates, nous serons précurseurs, dans une Europe où les règles de santé publique doivent s’appliquer à tous les industriels. La protection des consommateurs doit constituer notre unique objectif. Ce texte marque la fin du laisser-faire.
Le Gouvernement s’est également saisi du sujet des dispositifs médicaux. Si le BPA est aujourd’hui interdit dans les biberons vendus en pharmacie ou en grande surface, il ne l’est pas dans ceux que les consommateurs peuvent trouver dans les maternités et les services de néonatologie. Nous avons fait le choix de corriger cette situation inacceptable.
Ces deux dispositifs sont également l’occasion de dire aux industriels qu’il est urgent d’accélérer leurs travaux sur les produits de substitution des phtalates et des perturbateurs endocriniens. En effet, nous ne pourrons pas nous permettre d’attendre que les industriels s’adaptent une fois que les études auront été publiées.
Je tiens enfin à redire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que la prévention des risques sanitaires environnementaux est un thème majeur de la politique de santé du Gouvernement.
L’action que nous mènerons se déclinera autour de trois axes.
Le premier, c’est la constitution d’un groupe de travail qui associe l’ensemble des acteurs de la lutte contre les perturbateurs endocriniens. D’ici à juin 2013, il aura pour mission d’élaborer une stratégie nationale globale : son objectif est de coordonner efficacement les actions de recherche, d’expertise, d’information du public et de réflexion sur l’encadrement réglementaire.
Le deuxième axe, c’est la priorisation de nos actions. Pour faire face aux enjeux de demain, nous ne pouvons pas nous limiter au BPA : l’ensemble des perturbateurs endocriniens, tels que les phtalates, doivent faire rapidement l’objet de notre attention. Pour chaque sujet, il faut aborder le problème en nous fondant sur une expertise plurielle et contradictoire, dans laquelle l’industrie ne sera pas juge et partie de ce processus de recherche.
Enfin, le troisième axe concerne les produits de substitution : ils ne devront pas être à l’origine de doutes nouveaux ou de risques insoupçonnés pour les Français. Il nous faut donc les mesurer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre priorité en matière de santé publique, c’est la sécurité des Français. Je vous appelle donc à soutenir unanimement cette proposition de loi, mais je vous appelle également à voter conforme ce texte. Il est en effet essentiel que la suspension du bisphénol A dans la fabrication des contenants alimentaires soit effective le plus rapidement possible. Il y va de la sécurité de nos enfants et des populations les plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée examine en deuxième lecture la proposition de loi du député M. Gérard Bapt visant à suspendre la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.
Je rappelle que ce produit représente un danger sanitaire principalement lorsqu’il est porté à haute température au contact d’un aliment, comme le lait dans les biberons chauffés au micro-ondes. Par conséquent, les personnes les plus exposées sont les nourrissons et les enfants de moins de trois ans, puisque leur système hormonal est encore immature.
La loi du 30 juin 2010 tendant à suspendre la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A avait été adoptée pour ces raisons : il s’agissait, en application du principe de précaution, de protéger dans l’urgence une population à risque.
Je rappelle que l’initiative en revient à notre Haute Assemblée.
Cette interdiction était à l’époque entièrement justifiée étant donné la nocivité avérée du BPA pour cette population dans ces conditions d’utilisation.
La question se pose de façon différente pour l’extension de cette interdiction à d’autres contextes : non chauffé et sans contact direct avec des aliments, il représente un risque moindre.
Entendons-nous bien : nous sommes évidemment favorables par principe à toute mesure qui pourrait améliorer la protection de la santé de nos concitoyens, a fortiori des nourrissons et des enfants en bas âge, mais nous devons procéder de façon pertinente, pour éviter que le remède ne s’avère pire que le mal. Notamment, il est nécessaire, avant de nous prononcer définitivement, de prendre en compte deux enjeux essentiels : d’une part, la garantie de l’innocuité des substituts au BPA et, d’autre part, le délai d’adaptation des industriels concernés.
S’agissant des substituts, nous n’avons, en l’état actuel de la recherche, aucune garantie scientifique qu’ils représenteraient un danger sanitaire moindre que le BPA. Dans un rapport de 2011 et une note de 2012, l’ANSES a présenté 73 substituts possibles. Le constat est clair : sur ces 73 produits, aucun ne présente de garantie d’innocuité.
Nous ne disposons pas encore du recul nécessaire pour déterminer quels produits pourraient améliorer la sécurité sanitaire par rapport au bisphénol A. C’est pourquoi il nous semble nécessaire de prendre le temps de la recherche et de la précaution si nous voulons vraiment privilégier la sécurité sanitaire.
C’est dans cet esprit que nous approuvons les mesures adoptées par l’Assemblée nationale, particulièrement le nouvel alinéa 6 de l’article 1er, qui sont de nature à apporter des garanties quant à la validation de l’innocuité des substituts envisagés pour les applications industrielles.
Le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport évaluant les substituts possibles au bisphénol A, pour ses applications industrielles, au regard de leur éventuelle toxicité. Au cas où certains usages du bisphénol A n’auraient pas pu trouver de substitut sûr, le législateur pourra réexaminer les présentes dispositions en vue d’aménager l’entrée en vigueur de l’interdiction selon les produits.
En effet, l’adaptation des industriels français à la production de substituts est plus délicate qu’il n’y paraît. Le bisphénol A est un composant chimique très utilisé pour le conditionnement de produits alimentaires en raison de son efficacité pour leur conservation. Sans BPA, nous serions confrontés à des problèmes d’altération et de contamination des denrées alimentaires par leurs contenants mêmes.
Nous ne devons donc pas nous précipiter en décidant une interdiction trop rapide et potentiellement contre-productive. Il nous semble indispensable de laisser aux industries le temps de préparer l’interdiction complète dans de bonnes conditions.
En outre, nous sommes un des rares pays européens à avoir une réglementation stricte sur le bisphénol A ; une entrée en vigueur prématurée de l’interdiction générale risquerait de pénaliser nos industries en Europe.
C’est pour cette raison que notre groupe avait défendu en première lecture un amendement visant à reporter l’entrée en vigueur de cette interdiction générale au 1er janvier 2016.
Finalement, les députés ont fixé la date de cette interdiction au 1er janvier 2015, rejoignant ainsi la position de la commission des affaires sociales du Sénat. Ce délai est à notre avis raisonnable, comparé à celui qui figurait dans le texte initial, à savoir un terme fixé au 1er janvier 2014.
Par ailleurs, comme je l’ai déjà rappelé, nous approuvons l’entrée en vigueur prochaine de l’interdiction du BPA pour les contenants destinés aux enfants de moins de trois ans.
En outre, nous soutenons l’article 4, qui prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement sur les conséquences sanitaires et environnementales de la présence des perturbateurs endocriniens dans notre alimentation, notre environnement et notre organisme. Ce document devra permettre d’élaborer une réglementation complète et scientifiquement à jour pour garantir à nos compatriotes une protection sanitaire de qualité.
En conclusion, le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, protéger l’environnement ainsi que nos concitoyens des dangers pouvant potentiellement naître de l’activité humaine, telle est la responsabilité qui nous incombe, une responsabilité politique et juridique depuis que notre pays a conféré au principe de précaution une valeur constitutionnelle.
Cet impératif, qui fait de la prévention des scandales sanitaires une obligation, aurait dû nous conduire à l’adoption d’une mesure législative qui, permettez-moi de le dire, soit moins frileuse.
En 2010, nous avions soutenu la proposition de loi visant à suspendre la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A, et déjà nous regrettions que cette loi n’ait pas été le support législatif pour une interdiction totale.
Nous avons également voté la présente proposition de loi en première lecture, faisant encore une fois le constat qu’il aurait été préférable que les impératifs sanitaires prédominent sur les intérêts économiques. Nous avons à cette occasion regretté le report au 1er juillet 2015 de la date d’interdiction de commercialisation et d’importation de produits contenant du BPA.
Aussi, mes chers collègues, compte tenu des débats et des travaux de l’Assemblée nationale, vous pouvez imaginer combien nous sommes déçus.
Certes, les députés ont souhaité que le texte, destiné à devenir prochainement une loi, soit d’application plus rapide que ce qui avait été décidé par la Haute Assemblée.
Malgré cela, la mesure d’interdiction est considérablement réduite. Ainsi, la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de contenants produits à base de BPA ne portera plus désormais que sur les seuls contenants ayant un contact direct avec les produits alimentaires.
Cette disposition, dont chacun sait qu’elle était défendue par l’industrie agroalimentaire, ne nous paraît pas totalement satisfaisante.
Nous souhaitons que tous les moyens soient mobilisés pour que la recherche sur les substituts au BPA permette de déboucher rapidement sur des résultats concrets. Nous souhaiterions savoir comment les pouvoirs publics peuvent l’accompagner, voire y participer. Les conclusions de cette recherche peuvent avoir des conséquences importantes pour la santé de nos concitoyens, ce qui justifie qu’elle ne soit pas laissée à la seule volonté des industriels.
L’Assemblée nationale a également supprimé l’amendement présenté par la sénatrice Chantal Jouanno et adopté par la Haute Assemblée en première lecture, interdisant l’utilisation dans la composition des dispositifs médicaux destinés aux nourrissons, jeunes enfants et femmes enceintes, l’ensemble des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques – CMR de catégorie 2 – ainsi que des perturbateurs endocriniens. Cette disposition, qui concernait près de 400 produits, était sans doute trop ambitieuse pour être pleinement opérationnelle à l’horizon du 1er janvier 2015. Toutefois, sa suppression pure et simple nous paraît regrettable. Là encore, nous souhaiterions que le Gouvernement puisse nous rassurer sur la mobilisation des pouvoirs publics dans la recherche concernant les produits mis en cause par l’amendement de nos collègues. Si des doutes existent, tout doit alors être mis en œuvre, même en l’absence d’un impératif d’interdiction.
Nous formulons les mêmes regrets quant à l’adoption au sein de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur Gérard Bapt, d’une mesure réduisant la portée de l’amendement voté par le Sénat sur l’initiative de Gilbert Barbier.
Alors que la disposition retenue par le Sénat interdisait l’utilisation, dans les unités de néonatologie et de maternité, de matériel de nutrition parentérale contenant l’un des trois phtalates classés comme CMR, les députés ont préféré n’interdire qu’un phtalate, le di ou DEHP, considérant que seul celui-ci présentait une documentation scientifique capable de justifier son interdiction.
Là encore, on voit toute l’importance d’intensifier la recherche publique.
L’exercice qui consiste à légiférer sur la base du principe de précaution n’est pas aisé. Il s’agit de trouver le juste dosage entre les connaissances scientifiques acquises, les doutes possibles, probables ou certains, et la nécessité de protéger les consommateurs et/ou l’environnement. L’exercice est certes complexe, mais, vous le voyez, nous regrettons que la portée de cette proposition de loi soit réduite par rapport à ce que le Sénat avait proposé.
Pour autant, en dépit de ces reculs, nous n’ignorons pas que le rejet de cette proposition de loi aurait pour effet de revenir à la situation actuelle, c’est-à-dire à la simple interdiction d’utilisation du BPA dans les biberons. L’adoption de cette mesure en 2010, bien qu’insuffisante à nos yeux, n’est pas pour rien dans le dépôt du texte que nous examinons aujourd’hui.
Nous savons également que la loi de 2010 a permis de faire bouger les lignes au-delà de nos frontières, puisque trois pays européens ont décidé d’interdire la commercialisation des contenants de produits alimentaires comportant du bisphénol A et destinés aux nourrissons.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe CRC votera en faveur du texte transmis par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)