M. Didier Guillaume. Nous allons bien voir comment se déroule ce débat. Pour ce qui nous concerne, nous allons le mener sereinement. Notre rôle est non pas d’en allonger la durée, mais de faire en sorte que cette loi électorale aille dans le bon sens,…
M. Yann Gaillard. Ou qu’elle déraille !
M. Didier Guillaume. Elle ne déraillera pas, mon cher collègue !
… c’est-à-dire dans le sens de l’intérêt des collectivités territoriales et de tous les élus de France. Vous verrez que la majorité sera solide pour défendre ce texte.
Mme Catherine Troendle. Vous êtes bien peu nombreux !
Mme Éliane Assassi. Cela vous est déjà arrivé !
M. le président. Nous reprenons la discussion des articles, mes chers collègues.
Chapitre Ier
Dispositions relatives à l’élection des conseillers départementaux
Article 2
(Non modifié)
L’article L. 191 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 191. – Chaque canton du département élit au conseil départemental deux membres de sexe différent, qui se présentent en binôme de candidats. »
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, sur l’article.
M. Daniel Dubois. Je tiens à féliciter nos collègues socialistes pour leur créativité. Inventer un concept unique au monde, l’élection binominale dans les cantons, il fallait le faire ! Bravo à vous !
Certes, cette création ne changera pas grand-chose en ville. Le conseiller général n’était déjà pas connu et, globalement, les citoyens des villes n’avaient pas conscience des limites de leur canton, voire de l’existence de ce dernier !
Dans les territoires ruraux, en revanche, l’adoption de ce texte changera tout ! L’esprit même de ce texte pose problème. Très honnêtement, la parité qu’il entend promouvoir n’est qu’un prétexte. (M. Didier Guillaume s’exclame.) Vous voulez plutôt remettre en cause la cohérence et l’équilibre garantis par les conseils généraux en matière d’aménagement des territoires ruraux et de cohésion sociale.
À trop vouloir favoriser un découpage au profit des villes, ce sont finalement les conseillers généraux urbains qui deviendront, dans de nombreux cas, majoritaires et prendront les décisions dans les territoires ruraux.
Napoléon n’a-t-il pas dit que, pour commander une armée, « un mauvais général vaut mieux que deux bons » ? De grâce, mes chers collègues, revenez à plus de bon sens et de réalisme ! Refusez ce concept utopique de binôme qui, rapidement, relèvera plus du duel que du duo, ainsi que de nombreux intervenants l’ont déjà dit. Cela me semble évident. A-t-on déjà vu deux maires dans la même commune, deux directeurs généraux dans la même entreprise, ou deux présidents dans la même association ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Didier Guillaume. Cela peut arriver ! L’UMP avait bien deux présidents ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Dubois. Chers collègues socialistes, vous qui vous êtes battus contre la création du conseiller territorial et contre la fermeture des services publics en milieu rural,…
M. Didier Guillaume. Avec raison !
M. Daniel Dubois. … auriez-vous perdu la tête ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste. – Oui ! sur les travées de l’UMP.)
Vous êtes comme ces médecins d’un autre temps qui n’osent pas dire la vérité à leurs patients. Vous allez pourtant leur administrer la potion, et laquelle ! L’acte III de la décentralisation confiera de grands pouvoirs aux régions, en oubliant le département.
M. Didier Guillaume. Non !
M. Daniel Dubois. L’acte III de la décentralisation encouragera la « métropolisation » en renforçant les grands centres urbains, au détriment des territoires ruraux !
En matière de fiscalité, le fonds exceptionnel d’urgence est d’ores et déjà insuffisant. Les départements demandaient 470 millions d’euros, ils n’obtiendront que 170 millions d’euros. Le fonds de péréquation a été revu au détriment des territoires ruraux. Il semble, en outre, que certains font de nouveau entendre leur voix pour défendre ce choix.
La parité à l’échelle du département est plus aisée à mettre en place en milieu urbain qu’en milieu rural.
Alors, la messe est dite : vous voulez tuer les territoires ruraux. Claudy Lebreton, président socialiste de l’Assemblée des départements de France, a raison de pousser un cri d’alarme. Vous êtes bien, mes chers collègues, les fossoyeurs hypocrites des territoires ruraux. En conséquence, je tiens solennellement à saluer en ces lieux les nouveaux Indiens des territoires ruraux ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) C’est la raison pour laquelle l’UDI-UC a déposé un amendement tendant à supprimer cet article. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, sur l’article.
M. Éric Doligé. Je ne reprendrai pas tous les arguments avancés par Daniel Dubois, car ils sont identiques aux miens !
Malheureusement, je constate que notre pays régresse en bien des domaines : économie, exportations, compétitivité, charges sociales, prélèvements, classement des universités, et j’en passe !
M. Didier Guillaume. Le bilan est lourd !
M. Éric Doligé. On ne cesse de perdre des places dans la compétition mondiale.
Cependant, nous serons champions du monde dans un domaine, celui de la créativité électorale, dont le binôme cantonal est la dernière expression. Hier, Hugues Portelli nous a rappelé qu’un seul pays au monde le pratiquait, le Chili. Et encore, le binôme n’y est pas de même nature que celui qui est proposé dans le présent texte, car un seul des deux membres est élu.
Mme Cécile Cukierman. Et alors ?
M. Éric Doligé. La Constitution, cela a été dit hier, consacre le principe de l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Mais nous répondons déjà à cette exigence constitutionnelle !
Mme Bernadette Bourzai. Avec seulement 13 % de femmes ?
M. Éric Doligé. L’« égal accès », cela signifie que tous les citoyens répondant aux conditions d’âge et d’éligibilité peuvent se présenter ; ils ne seront pas forcément élus, mais ils peuvent au moins se présenter.
Certes, les textes prévoient effectivement qu’il faut favoriser la parité, la mixité. Mais, et nous l’avons rappelé hier, favoriser la mixité,…
Mme Éliane Assassi. Pas la mixité ! La parité !
M. Éric Doligé. … cela ne signifie pas porter d’un coup le taux de féminisation de 13 %, ce qui est en effet insuffisant, à 50 % ! C’est beaucoup plus compliqué que cela. Ce qui est envisagé créerait, chacun le sait, d’importants problèmes de gouvernance au sein des conseils généraux.
Permettez-moi d’ailleurs de faire un aparté. Voilà quelques jours, j’ai assisté à la clôture de l’année judiciaire passée et à l’ouverture de la nouvelle année en compagnie de M. Jean-Pierre Sueur, le président de la commission des lois. Nous avons tous deux eu le réflexe d’observer la composition du tribunal de grande instance : sur dix-huit magistrats, il y avait quinze femmes et trois hommes ! Et cette tendance ne fait qu’augmenter d’année en année. En clair, dans deux ou trois ans, nous aurons, en guise de parité, 100 % de femmes et 0 % d’hommes !
Vous le voyez, il y a beaucoup de structures dans lesquelles nous ne parvenons plus à appliquer la parité. Ce n’est donc pas la peine de voter une loi au Parlement pour l’imposer, quand on voit ce qui se passe dans nombre de secteurs importants de la société.
Mme Hélène Lipietz. Ce n’est pas le sujet !
M. Éric Doligé. L’autre volet du dispositif qui nous inquiète concerne bien entendu le redécoupage électoral. Le dispositif envisagé nous fait repartir de zéro. Si le nombre actuel de cantons est de 4 000, il sera ramené à 2 000 ; s’il est de 6 000, il sera ramené à 3 000. Vous allez redécouper 100 % des cantons. Et comme les règles de redécoupage sont extrêmement souples, vous allez pouvoir procéder selon votre bon plaisir…
Aujourd'hui, le problème des départements – d’ailleurs, nous sommes plusieurs, dans la majorité comme dans l’opposition, à l’avoir rappelé au Président de la République le 22 octobre dernier – est un problème financier. Nous avons noté que le Président de la République avait demandé au Premier ministre de mettre en place une structure de réflexion pour essayer de trouver des solutions. Or la création de cette structure, qui devait être instituée pour sauver les départements de l’asphyxie financière, est retardée de jour en jour. Nous constaterons probablement une absence d’avancée sérieuse en la matière. Les départements vont terriblement en souffrir, un certain nombre d’entre eux étant menacés de disparition !
Je vous rappelle que, l’année dernière, une dizaine de départements avaient dû être aidés pour ne pas se retrouver en faillite.
M. Didier Guillaume. La faute à qui ?
M. Éric Doligé. Aujourd'hui, de trente à quarante départements sont dans cette situation et doivent faire face à des problèmes considérables.
Et c’est précisément au moment où les départements sont malades ou en grande difficulté que vous ajoutez un nouveau problème de gouvernance.
Monsieur le ministre, je ne sais pas si vous avez regardé ce qui va se passer dans les départements. Nos collègues de l’opposition comme de la majorité, eux, l’ont fait. Peut-être les membres de la majorité ne voudront-ils pas dire aujourd'hui ce qu’ils ont constaté, mais ils l’expriment dans d’autres cadres… Vous allez remettre en question la totalité de la gouvernance des conseils généraux, et ce dans une période extrêmement difficile. Plus de la moitié, voire les trois quarts des conseillers généraux seront changés. Nous avions des conseillers généraux et conseillères générales qui avaient une connaissance du terrain et du fonctionnement des institutions. Demain, de surcroît dans une période difficile, nous aurons une nouvelle gouvernance, avec deux personnes sûrement de grande qualité et très intelligentes, mais qui ne connaîtront pas le fonctionnement de l’institution ! (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)
Vous donnez donc la main aux régions, qui auront la prééminence. Je pense que cela s’en ressentira du point de vue des compétences… En clair, vous êtes en train de signer la mort du département ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. C’est exactement l’inverse !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, sur l'article.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous abordons l’examen de cet article 2 me paraît totalement surréaliste.
Nous sommes en train de parler du mode d’élection des conseillers départementaux. J’avais pourtant le sentiment que ce n’était pas la préoccupation principale des exécutifs départementaux.
Comme notre collègue Éric Doligé vient de le rappeler, lorsque les représentants des départements ont été reçus par le Président de la République, la préoccupation majeure dont ils lui ont fait part a été, m’a-t-il semblé, celle de l’avenir de l’institution départementale ; je parle de son avenir non seulement institutionnel, mais également financier.
Contexte surréaliste, disais-je, parce que, voilà quelques semaines, nous nous sommes tous mobilisés, au Sénat et dans nos départements, pour les État généraux de la démocratie territoriale. Or, pas plus ici que dans mon département, je n’ai entendu quiconque évoquer « l’urgente nécessité de réformer le mode d’élection dans les départements ». En revanche, j’ai entendu des élus souligner la nécessité de clarifier les compétences et de répondre aux interrogations qui se posent à propos du financement.
Mes chers collègues, en ce mois de janvier, chacun d’entre nous parcourt son département et assiste à des cérémonies de vœux. Lorsque nous discutons avec les élus locaux, ils expriment leurs inquiétudes, par exemple, quant au financement de la réforme des rythmes scolaires et aux conséquences de cette dernière pour les communes ou les conseils généraux en termes de transports scolaires. Je n’ai entendu personne m’interpeller sur l’urgence qu’il y aurait à modifier le mode de scrutin.
Contexte surréaliste encore, parce qu’on nous annonce de semaine en semaine le report de la grande loi de décentralisation censée apporter des réponses à ces questions, sous prétexte que le dispositif n’est pas prêt. Et chaque fois qu’un texte est rendu public, le ministre s’empresse de préciser qu’il s’agit seulement d’une piste de travail, et non d’un document de référence.
Par ailleurs, l’époque où vous faisiez campagne la main sur le cœur pour défendre la ruralité semble bien révolue. On se souvient du mauvais coup porté à la répartition des droits de mutation à titre onéreux dans le budget 2013.
Chacun le voit, au travers de ce projet de loi, c’est bien la ruralité qui est mise à mal. Aujourd'hui, il y a cinquante-trois conseillers généraux dans mon département ; avec le nouveau dispositif, il en restera vingt-sept. Le poids moyen d’un canton sera de 29 000 habitants alors que pratiquement 70 % des cantons en ont moitié moins aujourd'hui. Cela signifie que la ruralité ne sera plus représentée.
Mes chers collègues, si un élu représente une population, il représente également un territoire. Or, dans ce projet de loi, vous avez pris le parti de vous fonder uniquement sur la contrainte démographique, au mépris de la contrainte territoriale, en vous affranchissant totalement des circonscriptions, des agglomérations et des bassins de vie.
Comme cela a été rappelé, le conseiller territorial avait, sur le plan pratique, le mérite de la simplification. Un référent territorial unique était institué, ce qui constituait une mesure de clarification, donc de transparence et de démocratie.
Non seulement le conseiller territorial sera supprimé, mais en plus il y aura deux conseillers départementaux pour le prix d’un, avec en prime, bien entendu, une concurrence entre les deux !
Nous voyons bien quels en seront les effets concrets. Dans les cérémonies de vœux ou les inaugurations, il y aura deux discours au lieu d’un. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Je n’ai vraiment pas le sentiment qu’on y gagne en lisibilité et en simplification.
Vous vous flattez de faire preuve d’imagination et d’innovation ? En général, lorsque les socialistes français font preuve d’imagination et d’innovation, leurs trouvailles ne sont guère reprises dans les autres pays ; je vous renvoie aux 35 heures.
Mme Laurence Rossignol. Quel argument !
M. Dominique de Legge. Mes chers collègues, la véritable innovation serait de répondre enfin aux préoccupations des élus de terrain. Et ces préoccupations, vous les connaissez : il s’agit du financement et des compétences des collectivités. Je n’ai donc pas l’impression que cet article 2 corresponde parfaitement aux attentes des élus que nous devons représenter et défendre… (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l'article.
M. Philippe Bas. Quand on lit le dispositif envisagé à l’article 2, on a le sentiment que ses auteurs méconnaissent totalement la réalité du mandat d’un conseiller général. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) C’est d’ailleurs assez stupéfiant : ils semblent avoir appris dans un livre ce qu’était un conseiller général, mais n’en avoir jamais rencontré.
Qu’est-ce qu’un conseiller général ? C’est bien entendu le membre d’une assemblée départementale délibérante, mais c’est également un médiateur entre les citoyens, entre les citoyens et les institutions ou les pouvoirs, ainsi qu’un porteur ou un facilitateur de projets.
Mme Michelle Meunier. Et un homme !
M. Philippe Bas. Nous allons nous trouver en présence de vastes territoires ruraux qui regrouperont jusqu’à cinq cantons. Sitôt découpés, ces territoires ruraux, qui seront très grands, seront divisés contre eux-mêmes du fait de la désignation de deux élus. Naturellement, on peut supposer que ces deux élus s’entendront, en tout cas au moins pour être candidats et élus ensemble… (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Peut-être auront-ils aussi quelques affinités politiques. Mais, pour ma part, je crois que les affinités politiques ne suffisent pas à assurer une sorte de cohésion ou d’unité fonctionnelle entre deux élus.
M. Pierre-Yves Collombat. Ça, c’est vrai ! (Sourires.)
M. Bruno Sido. C’est clair !
M. Philippe Bas. Sur le territoire immense qui sera créé, et qui sera divisé contre lui-même du fait de la présence de deux élus – l’un viendra probablement d’une partie du territoire tandis que sa colistière sera issue de l’autre –, des tensions, des conflits apparaîtront au fil des jours. Quand l’un dira « non », on se précipitera chez l’autre pour obtenir une réponse positive. On ne saura pas quelle est la véritable position des élus, et cela tirera à hue et à dia !
M. Bruno Sido. Très bon argument !
M. Philippe Bas. Je pense qu’un tel système ne sera pas vivable en pratique. Et si d’aventure il venait à être adopté, il ne pourrait pas durer. Il est profondément instable par nature, parce qu’il porte en lui-même la contradiction.
J’en viens au second volet de mon intervention, la parité ; je me suis déjà exprimé sur le sujet hier pendant la discussion générale, mais je n’ai pas obtenu de réponse.
Il me paraît très important de prendre en compte ce que prescrit la Constitution. Ne l’oublions pas, en matière de parité, nous faisons sciemment, délibérément – et c’est un choix assumé –, de la discrimination positive. Or la discrimination positive est par principe interdite par la Constitution et les règles fondamentales de la République. Il a été procédé en 1999 à une révision constitutionnelle, sur l’initiative du président Jacques Chirac et la proposition du Premier ministre d’alors, Lionel Jospin. Mais la Constitution a été révisée dans des termes mesurés : la loi favorise – je dis bien « favorise », et non « impose » – l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Favoriser la mixité, ce n’est pas imposer la parité. Et s’agissant d’un texte dérogatoire à un principe aussi fondamental que l’égalité devant le suffrage, la règle constitutionnelle de 1999 doit s’interpréter strictement. Par conséquent, j’ai les plus forts doutes quant à la constitutionnalité d’une telle disposition. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l'article.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai retiré notre amendement de suppression pour que le débat puisse avoir lieu. En effet, le vote d’un tel amendement aurait équivalu à l’adoption d’une motion de procédure. Mais cela ne préjuge pas en l’état de notre vote final : nous verrons en fonction des réponses que vous aurez à nous apporter, monsieur le ministre.
Comme cela a été rappelé, nous avons là un système unique au monde. L’avenir dira s’il s’agit de l’expression du génie français ou de la pagaille d’origine gauloise, d’autant que l’idée vient, semble-t-il, de Clermont-Ferrand, où Vercingétorix a laissé quelques traces… (Sourires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
En tout cas, à écouter les plus hauts représentants de l’exécutif, le seul motif de cette idée aussi farfelue que le conseiller territorial est la parité. Nous passons en la matière d’un objectif tout à fait légitime – raison de plus pour retirer notre amendement de suppression – à un discours parfois à la limite de l’obsessionnel, sauf dans toute une série de secteurs professionnels où la situation s’est totalement inversée ; il est inutile de reparler de l’École nationale de la magistrature, de l’enseignement ou de la médecine…
De ce fait, vous évacuez sans aucune discussion tous les handicaps du système, dont l’instabilité des futurs exécutifs. Si la moitié des cantons est supprimée, les majorités seront souvent très courtes. C’est alors qu’apparaîtra la fragilité du couple, surtout lorsque des alliances de circonstance auront été nouées pour gagner les élections.
Voyez ce qui se passe au Parlement : quand on « fabrique » des parlementaires à la proportionnelle, cela ne suffit pas toujours à garantir leur vote.
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Jacques Mézard. Le Sénat en offre l’illustration… (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
Imaginez que je sois candidat demain dans un canton avec notre excellente collègue Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. J’en serai ravie ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Nous pourrions remporter l’élection, mais resterions-nous soudés pour la suite des votes ? Je n’en suis pas sûr.
Vous nous dites, monsieur le ministre, qu’il faut rapprocher le citoyen de la représentation politique, et vous avez raison, d’autant que vous exprimez là, j’en suis certain, une conviction, ce que je respecte toujours. Cela fonctionne pour la présidentielle et les municipales, qui attirent beaucoup de votants. Il y a un lien direct.
Toutefois, que se passe-t-il lorsque les deux partis dominants fabriquent des systèmes bizarres, qui promeuvent l’éloignement du citoyen et du candidat, comme aux européennes, avec une circonscription qui va d’Orléans, ville chère au président de la commission des lois, à Aurillac ? Peu de choses rapprochent ces territoires !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il y en a beaucoup plus que vous ne le dites !
M. Jacques Mézard. Les deux villes sont tout de même assez éloignées géographiquement !
Avant son élection, je me souviens avoir reçu le candidat socialiste M. Weber, ex-trotskiste et vieux briscard du parachutage non démocratique, à qui j’ai apporté mon soutien. Je lui ai dit : « Je pense que je n’aurais pas le plaisir de vous revoir d’ici à la fin de votre mandat ». Il ne m’a pas contredit. (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Et dans les conseils régionaux, pseudo-démocratiques, certes on élit un président de région et un exécutif, mais les conseillers, eux, sont le plus souvent des apparatchiks issus des deux grands partis,… (Protestations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Exact !
M. Jacques Mézard. … déconnectés du terrain et inconnus des citoyens – ils disparaissent d’ailleurs après quelques mois. Dans certains partis, ils sont même désignés par tirage au sort !
M. Philippe Dallier. C’est la loterie !
M. Jacques Mézard. Il ne s’agit donc pas d’un excellent exemple de lien entre le citoyen et le territoire, ni d’une d’avancée pour la démocratie.
Pour terminer, je dirai un mot du silence assourdissant du président de l’Assemblée des départements de France, l’ADF. Je trouve assez original que l’ADF ne se soit pas davantage exprimée sur un tel sujet. Mais n’a-t-elle pas récemment courbé l’échine sur la péréquation départementale devant un grand baron du régime ? (M. Gérard Roche applaudit.)
Lorsqu’on représente une institution, on a le devoir de la défendre, monsieur le ministre. C’est vrai pour les départements, mais c’est vrai aussi pour le Sénat ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l'article.
M. Jean Louis Masson. Il faut bien voir qu’il est impossible de maintenir le statu quo : les conseillers territoriaux ayant été supprimés, il aurait fallu revenir à l’ancien système et conforter le découpage des cantons existants.
Or, compte tenu des écarts de population entre cantons, un tel maintien aurait été difficilement admissible du point de vue constitutionnel, et éventuellement du point de vue de la légalité, car le Conseil d’État n’approuverait pas des écarts d’un à vingt ou de vingt à cinquante, qui sont contraires aux principes fondamentaux de la démocratie.
Soyons réalistes. Dans cette affaire, nous avons le choix entre les cantons avec binômes ou la proportionnelle. À force de vouloir taper sur le système du scrutin binominal, qui présente l’extrême avantage de maintenir un ancrage territorial, on va finir par apporter indirectement de l’eau au moulin de ceux qui souhaitent instaurer la proportionnelle intégrale dans les départements ! Personnellement, je suis défavorable à cette dernière mesure. Autant je soutiens ce projet de loi, autant je suis radicalement hostile à l’introduction de la proportionnelle intégrale dans les départements.
Certains, et nous n’avons pas fini de les entendre, ont pleuré misère sur le caractère dévastateur pour les territoires ruraux du scrutin binominal. Prenons l’exemple de mon département. Nous aurions eu cinquante-trois conseillers territoriaux ; avec cette réforme, nous aurons cinquante-deux conseillers départementaux, soit presque la même chose. Par ailleurs, le découpage des nouveaux cantons aurait respecté également l’écart de 20 %. Au total, les zones rurales auront certes deux fois moins de cantons, mais pas deux fois moins de conseillers.
Ce qui dérange dans cette affaire, c’est qu’il y aura moitié d’hommes et moitié de femmes. Pour avoir discuté avec bon nombre de conseillers généraux, je sais qu’ils approuveraient le principe du binôme des candidats si la parité était supprimée. Ils pourraient alors continuer à faire leur soupe, si j’ose dire, car ils maintiendraient finalement leur position élective.
Là, il y aura certes deux fois moins de cantons pour le même nombre de conseillers, mais avec le binôme de candidats il y aura aussi deux fois moins d’élus hommes. Le fait qu’un grand nombre d’hommes soient actuellement conseillers généraux explique que beaucoup d’entre eux préfèrent maintenir le système existant.
Pour ma part, il me semble que cette réforme apportera un souffle nouveau dans les conseils généraux qui, en de nombreux endroits, ont bien besoin d’un certain renouveau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme Jacqueline Gourault. C’est vrai !
M. Jean Louis Masson. Dans de nombreux départements, il est nécessaire de rénover les cadres et d’apporter une dynamique nouvelle.
M. Jean-Claude Lenoir. La majorité des départements est à gauche !
M. Jean Louis Masson. Bien sûr, il est possible que des disputes interviennent dans le tandem, comme certains l’ont dénoncé, mais, en principe, lorsqu’on forme une alliance, on essaie plutôt de se mettre d’accord !
Quoi qu’il en soit, nous connaissons tous des mairies où le premier adjoint et le maire ne sont plus d’accord au bout de six mois. Supprime-t-on pour autant le système électoral municipal ? Non, car c’est la démocratie. Il faut permettre la représentation.
Enfin, j’ai entendu aujourd’hui beaucoup d’interventions stupéfiantes dans cet hémicycle. Je le rappelle, nous sommes les représentants de l’intérêt général et non ceux des intérêts particuliers des départements ou des présidents de conseils généraux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
C’est un point important. Je sais comment cela fonctionne : je suis conseiller général depuis trente-six ans ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)