Mme Michelle Meunier. Ce n’est pas possible d’entendre cela !
M. Bruno Sido. Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, c’était bien le sens de la motion tendant au renvoi du texte en commission, même si ce raisonnement n’a pas été développé. Les arguments qui ont été présentés étaient bons, mais il y en avait d’autres. La commission n'a fait que corriger à la marge un texte qui, à l'évidence, cela a été dit, élimine le monde rural, sans faire de véritables propositions.
La discrimination positive, qui est appliquée aux États-Unis, n’est pas du tout dans la tradition française. Nous devrions éviter de transposer cette notion dans notre pays ou, à tout le moins, ne l’appliquer qu’à un seul scrutin et revenir à une situation plus normale six ans après. Voilà ma proposition !
Je le répète, la commission ne s'est pas assez penchée sur cette question. Ma proposition n'est peut-être pas parfaite ou pas assez intéressante. Nous aurions aimé que les brillants juristes qui ont, nous a-t-on dit, travaillé longtemps sur la question nous proposent d’autres pistes intéressantes, de nouveaux systèmes compatibles avec les convictions des uns et des autres. Nous aurions pu nous mettre d’accord sur des dispositifs qui auraient été moins brutaux que celui qui nous est proposé aujourd'hui.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz, sur l'article.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, mon intervention est à la fois un rappel au règlement et une intervention pour justifier mon refus, ainsi que celui de mon groupe, de voter la suppression de l’article 2.
Les propos qui ont été tenus depuis ce matin par des hommes sur les femmes sont inadmissibles et scandaleux. Je m’adresse à mes collègues masculins : accepteriez-vous que l’on parle ainsi de vous ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Chers collègues, permettez-moi de vous en donner quelques exemples. Ainsi, l’arrivée des femmes dans les assemblées départementales constituerait une « régression ».
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Qui a dit cela ?
Mme Hélène Lipietz. Relisez le compte rendu de la séance, vous verrez que ce terme a bien été employé !
Il a été dit aussi que le système binominal allait permettre d’avoir un élu et, « en prime », une femme ! Nous sommes en prime, comme les cadeaux dans les paquets Bonux !
Mme Catherine Tasca. On se croirait pendant les soldes !
Mme Hélène Lipietz. Exactement, ma chère collègue !
J’ai aussi entendu dire que le binôme serait « un gadget ». Si les femmes sont des gadgets, je proposerais bien une grève des gadgets à la maison. On verra le résultat ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Un orateur a utilisé l’expression « obsession sexuelle ». Si vous ne voyez en nous qu’une femme, homosexuelle ou hétérosexuelle – là n'est pas le problème, car on peut être femme et homosexuelle ou femme et hétérosexuelle –, la situation est vraiment grave !
Lorsque je suis ici, je ne porte pas ma robe d’avocat, qui, comme on me l’a déjà dit, me permet de ne pas avoir de sexe, mais je suis revêtue de mon mandat de sénatrice, de représentante du peuple français, et ce n’est pas une obsession sexuelle. Les femmes sont majoritaires en France !
M. Christophe Béchu. C’était de l’humour…
Mme Éliane Assassi. L’humour n’est pas possible sur ce sujet !
Mme Hélène Lipietz. Monsieur, en la matière, l’humour n’est pas de mise ! Nous en avons ras-le-bol. Vraiment, la coupe est pleine !
Messieurs, relisez tous vos textes, relisez tous vos écrits, et demandez-vous ce que vous ressentiriez si leur contenu vous était destiné !
J’ai également trouvé extraordinaire que, selon vous, ce système ferait émerger de nouveaux élus « qui n’y connaîtraient rien » et que, du coup, l’administration prendrait le pouvoir. Sauf erreur de ma part, c’est d’Aguesseau qui a déclaré que, sur cent textes que l’administration présentait au roi, quatre-vingt-dix-neuf passaient à sa convenance ! Cela fait donc bien longtemps que le pouvoir de l’administration sur l’autorité suprême ou sur les élus existe.
Les femmes mènent une triple vie ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Quant à vous, messieurs, vous n’en êtes pas capables ! Vous n’êtes pas capables de gérer à la fois vos enfants et vos aînés. Hier, j’ai dû partir m’occuper de ma belle-mère, qui vient d’avoir un accident. Combien d’hommes font ce genre de choses ? Qui s’occupe des enfants ? Qui s’occupe des personnes âgées ? Qui travaille ? Qui fait le ménage ?
M. Bruno Sido. Et la vaisselle ? (Sourires sur les mêmes travées.)
Mme Hélène Lipietz. Et qui s’investit en politique ?
Déclarer que l’arrivée de femmes dans une assemblée pourrait entraîner une réduction de la valeur politique de celle-ci est vraiment scandaleux.
M. André Reichardt. Nous n’avons jamais dit ça !
Mme Hélène Lipietz. Au contraire, leur arrivée apporte une plus-value, parce qu’elle permet à la société d’être représentée dans sa réalité.
M. Henri de Raincourt. Arrêtez les caricatures !
Mme Hélène Lipietz. Pourquoi êtes-vous contre le système prévu par le projet de loi ? Tout simplement parce qu’il supprime la moitié des cantons, donc, grosso modo, la moitié des sièges des hommes élus ! Telle est la réalité, messieurs, et c’est bien dommage pour vous.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Hélène Lipietz. Pour ma part, je pense qu’il y a urgence à changer. Que l’on ne nous reproche pas de vouloir tout changer d’un coup. Du reste, vous le savez très bien, nous disons que la parité doit advenir depuis au moins vingt ans. Dès lors, il est assez intéressant de constater que, dans les territoires ruraux, il n’y ait pas encore de femmes qui aient accédé aux responsabilités : messieurs, demandez-vous pourquoi !
Pour terminer, on a beaucoup parlé de la ruralité. J’aurais aimé que l’on parle aussi de l’urbanité.
Mme Sophie Primas. Philippe Dallier en a parlé !
Mme Hélène Lipietz. En voilà un joli terme, qui signifie aussi « politesse », « attention à l’autre » ! Or, depuis des années, les urbains ne sont pas représentés dans les conseils généraux. (M. Henri de Raincourt s’esclaffe.)
En effet, puisqu’il faut beaucoup plus de voix pour élire un conseiller général dans un canton urbain que dans un canton rural, les urbains doivent s’exprimer avec beaucoup plus de force. Encore un scandale !
Mon groupe ne votera donc pas la suppression de l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, sur l’article.
Mme Virginie Klès. Initialement, je n’avais pas prévu d’intervenir à ce stade du débat, d’autant que, pour le moment, on en est toujours à se jeter à la tête les uns des autres des accusations de tripatouillage, d’intentions cachées, de volontés sous-tendues de je ne sais quelles mauvaises intentions…
Cela étant, certains mots font tout de même sursauter. Je ne suis pas une fervente inconditionnelle de la parité stricte, à l’unité près. J’en veux pour preuve que, hier, en commission des lois, examinant une résolution européenne relative à la représentation des femmes dans les conseils d’administration de certaines sociétés, nous avons unanimement considéré qu’une répartition « 40-60 » était sans doute une meilleure idée. Du reste, messieurs, cette solution vous protège, puisque, demain, au moins 40 % des sièges vous seront encore réservés ! (Mme Hélène Lipietz approuve.)
Il ne faut pas forcément chercher à respecter strictement la parité à l’unité près. À mon sens, tendre vers l’application, partout, d’un ratio 40-60 serait certainement beaucoup plus raisonnable. Cependant, quand je vous vois, messieurs, perdre votre sang-froid,…
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Virginie Klès. … prononcer des mots qui, sur le sujet, dépassent votre pensée – du moins est-ce probablement ce que vous allez nous dire… –, j’en viens à considérer que mon collègue Jean Louis Masson, avec lequel je ne suis pourtant pas toujours d’accord, a peut-être raison : dans leur lutte contre ce projet de loi, certains d’entre vous n’ont peut-être pas des intentions aussi pures qu’ils veulent bien le dire ! C’est peut-être bien la défense de vos sièges qui vous anime ; c’est peut-être bien la perspective que, demain, un homme sur deux perde son siège de conseiller départemental qui vous tracasse. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur Maurey, pour vous, la femme est « une prime » ! La conseillère départementale, une autre « prime » ! Et pourquoi pas « la cerise sur le gâteau » ? On a beau être en période de soldes, faites-nous grâce de ces comparaisons. Quant à la parité, elle ne serait qu’un « gadget » ou une « idée sympathique ».
M. Hervé Maurey. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
Mme Virginie Klès. Bien évidemment, vous allez nous dire que les mots ont dépassé votre pensée ou qu’on les interprète mal…
Mme Éliane Assassi. C’est bien ce qu’il a dit !
Mme Virginie Klès. D'ailleurs, vous vous êtes ensuite raccroché aux branches, si j’ose dire, en nous expliquant gentiment que votre intervention visait à nous protéger, à faire en sorte que nous ne nous occupions pas seulement de « sous-dossiers », comme le social ou la famille ! (M. Bruno Sido s’exclame.)
Non, monsieur Maurey, il ne s’agit pas là de « sous-dossiers » ! Le social et la famille, ce sont des dossiers tout aussi importants que les autres !
Je vous rappelle que, sur terre, 50 % des hommes sont des femmes et que nous sommes tout autant capables que n’importe quel homme de nous occuper de n’importe quel dossier ! (Mme Anne Emery-Dumas applaudit.)
Non, la parité n’est pas un jouet ; non, la parité n’est pas un gadget ! Je vous en prie, cessons de nous battre sur ce point, d’autant que vos positions ne visent qu’à préserver les postes des conseillers départementaux masculins, et occupons-nous du vrai sujet de fond : une représentation de nos territoires qui tende vers plus de proximité et, oui, vers la parité. Sur ces questions, nous avons également beaucoup à dire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Christophe Béchu. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 36-3 de notre règlement.
Je serai bref : abstenons-nous de toute mise en cause personnelle et permettons au débat de se dérouler.
On ne saurait traiter d’horrible machiste un sénateur qui considère que tendre vers la parité est tout aussi envisageable que rechercher une parité totale ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Qui ici a dit du mal des femmes ?
Mme Laurence Rossignol. Savez-vous que vous êtes filmé ?
M. Christophe Béchu. Madame Lipietz, ne transformez pas ce sujet en guerre des sexes, notamment lorsque vous défendez votre triple ou votre quadruple vie, en opposant ceux qui feraient tout et ceux qui ne feraient rien ! Je vous prie de croire que, pour ce qui concerne la répartition des tâches domestiques, la diversité est bien plus large que ce que les étiquettes politiques pourraient laisser penser ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Nous poursuivons la discussion de l’article 2.
Article 2 (suite)
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de faire un peu d’histoire.
En 1982, a eu lieu le premier acte de la décentralisation. Le gouvernement de l’époque et sa majorité innovent : la région devient une collectivité et les conseils régionaux sont désormais élus au suffrage universel. Bref, les lois Deferre donnent à la décentralisation un élan extraordinaire.
Néanmoins, la réforme a préservé un espace : le conseil général. Il faut dire que le président du conseil général de la Nièvre, devenu Président de la République,…
M. Didier Guillaume. Il était excellent !
M. Jean-Claude Lenoir. … n’a pas souhaité que l’on revînt sur les modalités de fonctionnement des conseils généraux. À l’époque, nombre des membres de la majorité qui siégeaient à l’Assemblée nationale – pas au Sénat, je dois le dire – ont regretté cette timidité et cette frilosité.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’était il y a trente-deux ans…
M. Jean-Claude Lenoir. Or un certain nombre de propos qui sont tenus aujourd'hui n’auraient pu l’être par les acteurs de l’époque.
L’intervention de notre collègue Didier Guillaume aura marqué la matinée.
M. Jean-Claude Lenoir. Nous sommes nombreux à avoir apprécié les propos qu’il a tenus, selon lesquels le véritable problème des départements, c’est l’asphyxie financière, des charges considérables pesant sur eux.
D'ailleurs, j’ajoute que ces charges ont commencé à peser lorsqu’une majorité, qui n’était pas la nôtre, a mis en place l’allocation personnalisée d’autonomie sans la financer (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)…
M. Didier Guillaume. Un financement paritaire, vous voulez dire !
M. Jean-Claude Lenoir. … et a renvoyé aux départements le soin de financer les engagements du gouvernement socialiste de Lionel Jospin. Certes, la situation s’est aggravée et, hélas, les perspectives concernant la prise en charge de la dépendance sont mauvaises pour les finances des départements.
Tel est le véritable problème. Or la réponse du gouvernement et de sa majorité consiste à réformer le système électoral ! (M. Didier Guillaume proteste.)
Du reste, ce système présente de multiples inconvénients.
Premièrement, sur la forme, il est « croquignolesque ». Dès que l’on nous parle de deux représentants, de sexe différent, dans un territoire remodelé, nous décrochons !
Mes chers collègues, il faut notamment savoir que, sur le bulletin de vote, figureront quatre noms.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas terrifiant ! Nous nous en remettrons.
M. Jean-Claude Lenoir. On voit bien la confusion qui résultera de la recherche des équilibres géographiques et politiques, et cela, d'ailleurs, dès l’élection du président du conseil général, car, bien évidemment, rien ne garantit que les deux compères qui se sont mis d’accord, avec deux suppléants, pour figurer sur le même bulletin voteront pour le même président.
D'ailleurs, on sourit en lisant les textes qui nous ont été soumis : on nous dit que la solidarité de ces deux candidats vaut jusqu’au jour de l’élection. Et dès le lendemain, on les en délie !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela vaut pour toutes les listes !
M. Jean-Claude Lenoir. Pardonnez-moi, mais, eu égard au nombre des conseillers municipaux, on ne peut imaginer de fractures semblables à celles qui pourraient se produire à l’occasion de la conduite des affaires du conseil général. Dans les conseils municipaux, les fractures proviennent surtout de désaccords sur les projets.
Deuxièmement, vous foulez aux pieds la notion de ruralité. La ruralité vous gêne. D'ailleurs, elle est décrite d’une façon qui, pour nous, est humiliante.
La ruralité, que François Mitterrand avait respectée, est synonyme de modernité. Chers collègues, consultez les données démographiques qui nous sont fournies aujourd'hui. Tout d'abord, les Français interrogés dans les sondages déclarent préférer se rapprocher des territoires ruraux. Et ils le font !
Aujourd'hui, la population des villes diminue au profit de celle des communes rurales. Et ce phénomène ne touche pas que les grandes villes. Il les concerne toutes, y compris celles de 2 000 habitants. En effet, plus qu’une qualité de vie, les communes rurales apportent aujourd'hui, grâce à l’intercommunalité, des structures d’accueil.
Il y a vingt ou trente ans, on pouvait encore observer un décalage entre les services et les équipements respectivement offerts dans une ville et dans une commune rurale. Aujourd'hui, ce phénomène n’existe plus : la commune rurale est un territoire organisé, un ensemble qui entend offrir exactement le même cadre, la même qualité de vie, les mêmes services, les mêmes équipements que la ville.
Troisièmement, et enfin, votre texte présente l’inconvénient grave de rompre avec la proximité. Vous commettez une grande confusion en affirmant qu’un conseiller général représente des citoyens. Peut-être, mais il représente d'abord des territoires ! Et le territoire, même s’il comporte peu d’habitants, doit être respecté.
J’entendais hier que les problèmes sociaux concerneraient seulement les agglomérations, les villes, et pas les territoires ruraux. Je n’admets pas ce genre de discours, qui méconnaissent la réalité.
D'ailleurs, dans les territoires ruraux, combien de personnes, notamment âgées, bénéficient aujourd'hui de services à domicile, en particulier de l’hospitalisation à domicile ? Or cela relève du social ! Combien de jeunes, entravés dans leur mobilité, ne peuvent accéder à des formations ou à des emplois ? Voilà un autre sujet qui relève du social ! On pourrait énumérer quantité de situations…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
Mme Annie David. Il serait temps !
M. Jean-Claude Lenoir. Nous sommes tout à fait opposés à cette réforme. Que ce soit dit clairement. Du reste, nous le répéterons, puisque, apparemment, vous ne voulez pas l’entendre ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, sur l'article.
M. Alain Houpert. On a beaucoup parlé de proximité et de parité, mais guère de solidarité. J’ai entendu l’expression d’ « intérêt politicien ». Or je pense qu’il n’y a pas d’intérêt politicien quand on se préoccupe de solidarité territoriale.
On divise le nombre de cantons par deux en plaçant le curseur sur la population, si bien qu’on favorise automatiquement les territoires urbains. Vous avez parlé de générosité. En l’occurrence, celle-ci consiste à multiplier par deux, dans chaque canton, les conseillers départementaux. On va donc accentuer le pouvoir des cantons urbains, les ruraux subissant une double peine.
Les conseillers ruraux seront invités à la table des conseillers urbains, ce qui ne respecte pas la géographie française. En effet, s’il est vrai que 80 % des Français habitent en milieu urbain, 80 % des territoires sont ruraux. C’est grâce à cette magie française que notre pays est la première destination touristique mondiale.
Comment faire pour que les départements vivent, pour que les nouveaux conseillers départementaux, qui seront les syndics des départements, évitent la ruine de leurs collectivités ? Telle est la première question que nous devons nous poser.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l'article.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a souvent dans notre hémicycle des débats qui, dans nos différences, nos oppositions, nous grandissent et grandissent le Sénat. Hélas, je crains que celui de ce matin ne soit terriblement régressif. (M. Bruno Sido s’exclame.)
Pardon ? Qu’et-ce que j’entends ? Monsieur, pouvez-vous répéter tout haut votre propos, car je souhaite qu’il figure au Journal officiel ? Vous venez de demander, en parlant de moi : « C’est qui, cette nana ? » (Vives exclamations.)
Quel est votre nom, s’il vous plaît ? (Brouhaha.)
M. Bruno Sido. Ne donnez pas de leçons !
Mme Éliane Assassi. Et vous, ne tenez pas ce genre de propos !
Mme Laurence Rossignol. Monsieur Sido, je vous épargnerai le rappel au règlement, puisque je suis actuellement en train d’intervenir, mais je crois que vous avez gagné, ce matin, la palme du misogyne beauf de cette assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendle. Calmez-vous !
Mme Laurence Rossignol. Qui m’a demandé de me calmer ?
Mme Catherine Troendle. C’est moi !
Un sénateur du groupe UMP. Vous vous comportez comme une enfant !
Mme Laurence Rossignol. Oui, bien sûr, je suis une toute petite fille !...
Je disais donc que certains des propos que nous avons entendus ce matin étaient tout à fait régressifs. Je prévois même une certaine postérité et une certaine notoriété, dans les jours à venir, à MM. Christophe Béchu et Hervé Maurey.
Je crois qu’il est plus intéressant de revenir sur les erreurs juridiques que vous commettez. Ce matin, vous avez répété à l’envi que la Constitution ne fixait un objectif de parité que pour le long terme ; nous ne serions donc pas obligés de le réaliser immédiatement. Or la Constitution précise que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Et c’est bien une loi qui vise à favoriser l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux que nous examinons ce matin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Dans le concert des critiques qui se sont exprimées ce matin, je n’ai pas entendu une seule proposition s’inscrivant dans cet objectif constitutionnel, à l’exception de celles qui ont été portées par les très rares parlementaires défendant le scrutin proportionnel. Pour tous les autres, j’ai relevé du conservatisme et un fort attachement à un système qui aboutit aujourd’hui à ce que les conseils généraux ne comprennent que 13 % de femmes.
En fait, vous affirmez qu’il n’est pas besoin de faire quoi que ce soit, que la parité se fera toute seule, qu’un grand mouvement, depuis la Révolution française, conduit les femmes à être de plus en plus présentes, et qu’elles finiront donc bien par être élues. Ce mouvement nous a fait gagner 1 % de femmes en deux ans dans les conseils généraux. À ce rythme, il faudra deux cent cinquante à trois cents ans – quelques mathématiciennes ont fait le calcul – pour que la parité s’applique dans les conseils généraux !
Néanmoins, je comprends que cet objectif satisfasse très bien l’UMP. Quand on est l’élu d’un parti qui envoie 27 femmes sur 194 députés à l’Assemblée nationale, quinze ans après la loi sur la parité, je comprends que l’on se contente d’un tel objectif ! Chers collègues de l’opposition, vous payez chaque année 4 millions d’euros de pénalités pour non-respect de la parité... Votre formation politique refuse la parité. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Que vous la refusiez pour vous-même, après tout, cela vous regarde, vous et les femmes de votre formation politique. Mais vous ne pouvez tout de même pas la refuser au pays ! Les femmes, en France, veulent l’égalité des droits, et l’égalité des droits politiques.
Pour conclure, je suis, moi aussi, l’élue d’un département rural. Vous n’êtes donc pas les seuls dans ce cas, messieurs. Le département que je représente compte 690 communes ; il s’agit donc d’un département rural.
Je suis très choquée par la manière dont vous manipulez la ruralité depuis ce matin. Vous la travestissez et vous l’utilisez, car la ruralité n’est pas ce que vous décrivez. Le monde rural est infiniment moins rétrograde, moins conservateur et moins archaïque que l’image que vous voulez en donner. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon la version pour enfants abondamment délivrée depuis le début de nos débats, le mode de scrutin proposé est le seul à pouvoir nous protéger de deux terribles monstres jumeaux : la proportionnelle départementale, qui casse le lien avec le territoire, et le scrutin uninominal qui, tel Barbe-Bleue, enferme les femmes dans ses placards cantonaux. There is no alternative, disait déjà « Maggie » Thatcher…
Dans la version pour adultes, cette alternative existe. C’est celle que je vous proposerai au travers de l’amendement n° 229 rectifié bis. Il s’agit d’un mode de scrutin remplissant les objectifs de celui qu’il remplace, mais sans ses inconvénients, dont le principal est que ce mode d’élection est dénué de sens pour l’électeur – outre la probable nécessité de mettre en place, dans chaque département, une COCOE gestionnaire des conflits intra-binomiaux. (Sourires.)
Cette alternative, c’est la proportionnelle dans des circonscriptions infra-départementales. Ma proposition, vous le verrez, mes chers collègues, consiste à s’appuyer sur les intercommunalités ou groupes d’intercommunalités existantes ou prévues par les schémas départementaux, en passe d’être achevés.
Un nombre de sièges variable en fonction de la taille de ces circonscriptions permettrait de coller au terrain et, ainsi, de mieux préserver une représentation minimale des territoires ruraux, car le problème se pose. De fait, ce mode de scrutin fonctionne comme un scrutin majoritaire là où il y a un ou deux sièges, et, bien entendu, comme un scrutin proportionnel là où il y en a de nombreux, sans avoir les défauts d’un double mode de scrutin pour un même département.
M. Christophe Béchu. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Bien sûr, on me critiquera, on dénoncera cette proposition – on l’a fait élégamment en commission –, sur laquelle je reviendrai. Mais, là encore, au risque d’écorner la légende, je voudrais rappeler quelle est la véritable origine de ce « scrutin miracle », le scrutin binominal.
Le premier à avoir voulu populariser ce type de scrutin, certains s’en souviennent, c’était notre collègue Charles Gautier, ancien sénateur socialiste de Loire-Atlantique, lorsque nous nous interrogions collectivement sur la façon d’élire cette autre chimère politique qu’est le conseiller territorial. Charles Gautier avait alors un succès limité au sein de son groupe, je m’en souviens, puis, ce fut l’illumination. Eurêka ! Voilà l’ouvre-boîtes de la quadrature du cercle, qui allait sauver la majorité départementale existante, sans écorner le principe de parité…
Sauf que, plus on avance, plus on se prend à craindre que les avantages de ce scrutin miracle ne s’effacent derrière ses inconvénients. Comme l’a souligné Jacques Mézard toute à l’heure, nous pouvons laisser passer cet article pour voir, et peut-être lui apporter quelques améliorations, mais nous n’accepterons certainement d’emblée pas de voter un tel dispositif. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l'article.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai le sentiment que, avec ce texte, nous avions une merveilleuse occasion, hélas ratée, de rapprocher les électeurs de leurs représentants désormais nommés « conseillers départementaux ».
On le sait, le taux de participation aux élections du conseil général est plutôt faible, rapporté à d’autres scrutins, tout particulièrement en milieu urbain. Je n’ai pas le sentiment que, avec ce système binominal, fût-il paritaire, cumulé avec un redécoupage communal drastique, nous allons ramener les Français vers ces élections.
Je ne reviendrai pas sur les griefs qui étaient avancés encore à l’instant par M. Jean-Claude Lenoir à propos de ce mode de scrutin, mais, à tout le moins, relevons ensemble un manque de lisibilité.
Puisque je suis un sénateur alsacien, permettez-moi de vous parler de ce que nous voulons faire dans notre région. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.) Comme vous le savez, nous voulons réunir trois collectivités – l’Alsace, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin – au sein d’un même ensemble, qui s’appellerait « collectivité territoriale d’Alsace ».
Cette démarche doit permettre une réforme décisive de ces collectivités, de leur mode de gouvernance, pour mieux répondre aux besoins de la population. Pour nous, les mots clefs sont : unité, efficacité et proximité avec les citoyens. Nous voulons ouvrir la voie, si possible sur le plan national – on peut rêver –, à une démarche innovante de représentation de nos concitoyens. Bien entendu, nous appliquerons pour cela les lois de la République, s’agissant notamment des modes de scrutin.
Or, sur ce point, puisque devrait aussi s’appliquer, dans notre région, le scrutin cantonal binominal paritaire prévu par le présent projet de loi, il y aura, à mon sens, un mauvais signal adressé aux Alsaciens à quelques mois du référendum sur l’institution de cette collectivité, qui est prévu, vous le savez peut-être, mes chers collègues, le 7 avril 2013.
En effet, le redécoupage cantonal qui sera proposé à l’article 3 implique, à tout le moins, une perte de proximité. Ce n’est pas le bon moment, car, précisément du fait de la suppression des conseils généraux, nous voulons rassurer nos concitoyens sur le maintien de ce lien local jugé indispensable par tous. J’ai le sentiment qu’avec ce scrutin binominal, fût-il, je le répète, paritaire, nous allons dans la mauvaise direction. Franchement, ce scrutin est porteur d’un risque pour l’issue de ce référendum en Alsace, me semble-t-il.
Pour conclure, j’ai bien compris que c’était l’obsession de la parité – je crois, au risque, moi aussi, d’être mis au pilori, que j’ai encore le droit d’utiliser cette expression – qui conduit le Gouvernement à proposer ce mode de scrutin à tout le moins original, pour ne pas dire baroque. Permettez-moi de penser que, même si la parité est un souci légitime, elle ne doit pas devenir précisément une obsession.