M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. À mon tour, je voudrais vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos interventions. L’ensemble des sujets abordés dans le rapport de la mission commune d’information appellent des décisions.
Le cas de l’utilisation du chlordécone aux Antilles illustre parfaitement la nécessité de prendre la mesure des conséquences de moyen et long terme pouvant découler de l’emploi de produits phytosanitaires. C’est l’exemple-type, résultant d’un modèle de production mettant l’accent sur le seul rendement, de ce qu’il ne faut surtout plus jamais faire. Dans le cadre du plan « banane durable », nous serons très vigilants sur cette question, sachant que la production de bananes antillaise est l’une de celles qui recourent le moins aux insecticides et aux pesticides.
De ce point de vue, l’objectif est d’en finir avec les épandages aériens. Pour ce qui concerne la banane et le maïs, sur la période 2008-2012, les surfaces concernées par ce type d’épandage ont diminué de 75 % et de 90 % respectivement. Des progrès ont donc déjà été enregistrés, mais, je le répète, l’objectif du Gouvernement est de mettre fin à cette pratique.
En ce qui concerne les autorisations de mise sur le marché, je l’ai dit, assurer la clarté des protocoles d’évaluation et la prévention des conflits d’intérêts sera une priorité. Par ailleurs, en aval de la mise sur le marché, la phytovigilance est aussi un objectif prioritaire du plan Écophyto 2018, que le Gouvernement a souhaité renforcer, conformément à l’engagement que j’ai pris devant le comité national d’orientation et de suivi de ce plan.
En outre, toute autorisation de mise sur le marché nécessitera désormais un avis de l’ANSES, qui précisera l’EPI correspondant à la molécule ou au produit autorisé.
Concernant la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, j’ai pris l’engagement, en ma qualité de ministre de l’agriculture, de maintenir l’objectif d’une diminution de 50 % à l’horizon 2018. Nous prendrons la mesure au fil du temps des progrès réalisés, ceux-ci dépendant d’abord de notre capacité à promouvoir de nouveaux modèles de production. Si l’on devait en rester aux itinéraires techniques actuels, il serait extrêmement difficile d’atteindre notre objectif de réduction de l’emploi des produits phytosanitaires. Nous devons être capables d’ouvrir de nouvelles perspectives, de faire en sorte que les agriculteurs prennent conscience que l’on peut produire autrement. Le développement de l’agro-écologie représente un enjeu essentiel.
L’adoption à l’unanimité du rapport de la mission commune d’information montre que le moment est propice pour franchir ce pas. En tout cas, je prends devant vous l’engagement d’orienter dans cette direction les mesures que nous devrons prendre, rapidement car cette question ne peut pas être laissée pendante. Nous devons prendre nos responsabilités, compte tenu des enjeux en cause en matière de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective (rapport d’information n° 638 [2011-2012]).
Dans le débat, la parole est à Mme la rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
Mme Fabienne Keller, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de vous présenter un rapport sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes, dont la rédaction m’a été confiée par la délégation sénatoriale à la prospective, présidée par Joël Bourdin.
Ce travail fait suite à plusieurs autres rapports portant sur des sujets connexes. Je voudrais notamment citer le rapport d’Alain Milon sur l’utilisation des fonds mobilisés pour la lutte contre la grippe H1N1, intitulé « La gestion d’une crise sanitaire : la pandémie de grippe A », qui lui-même faisait suite à un rapport de la Cour des comptes sur le même thème. Je pense également au rapport de Marie-Christine Blandin et Jean-Pierre Door sur la mutation des virus et la gestion des pandémies, publié en 2010, ainsi qu’aux travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur la grippe H1N1 ou aux rapports de Nicole Bricq et du député Yves Bur sur les agences sanitaires.
À titre plus personnel, j’avais été sensibilisée au sujet des maladies infectieuses émergentes lorsque j’avais suivi le projet de création d’une unité de recherche et de formation à Kinshasa. Le bassin du Congo est en effet un territoire où apparaissent de nombreuses maladies.
J’ai effectué différents déplacements dans les pays du Sud et participé à un symposium organisé au Gabon. J’ai bien sûr eu l’occasion de rencontrer de très nombreux chercheurs et praticiens, tant européens qu’africains et asiatiques. J’ai consacré un certain temps à l’analyse de la tuberculose en Inde ; je reparlerai de cette maladie, puisqu’elle est en train de faire son retour en Europe.
À la fin du mois de mai dernier a été organisé au Sénat un atelier de prospective, retransmis par la chaîne Public Sénat, auquel ont participé, au côté de parlementaires, une centaine de représentants des grandes disciplines concernées : historiens, philosophes, ethnologues, communicants, épidémiologistes, microbiologistes cliniciens, géographes. Je veux les remercier ici de l’intérêt qu’ils ont porté à ce sujet sensible. Leurs regards croisés apportaient un éclairage absolument passionnant sur le sujet des maladies infectieuses.
La menace des maladies infectieuses est profondément ancrée dans la mémoire des populations. La dernière grande pandémie grippale de 1918 reste très présente dans les esprits, comme l’illustrent magnifiquement ces lignes du roman de Jérôme Ferrari intitulé Le Sermon sur la chute de Rome :
« Un vent fétide se levait et portait depuis la mer et les plaines insalubres les miasmes d’une grippe mortelle, balayant les villages et jetant par dizaines dans les fosses creusées à la hâte ceux qui avaient survécu à la guerre, sans que rien pût l’arrêter, comme la mouche venimeuse des légendes anciennes, cette mouche née de la putréfaction d’un crâne maléfique et qui avait surgi un matin du néant de ses orbites vides pour exhaler son haleine empoisonnée et se nourrir de la vie des hommes jusqu’à devenir si monstrueusement grosse, son ombre plongeant dans la nuit des vallées entières, que seule la lance de l’Archange pût enfin la terrasser. L’Archange avait depuis longtemps regagné son séjour céleste d’où il restait sourd aux prières et aux processions, il s’était détourné de ceux qui mouraient, à commencer par les plus faibles, les enfants, les vieillards, les femmes enceintes […]. »
Pour autant, on peut aujourd’hui se demander s’il faut encore attacher une attention particulière à des maladies qui ont disparu ou que l’on sait désormais traiter grâce aux progrès de la médecine depuis un siècle – la vaccination ou la découverte des antibiotiques, notamment – et à l’amélioration de la nutrition. Après tout, à l’exception du sida, qui a encore fait près de 2 millions de morts l’an dernier, les décès dus à ces maladies ne représentent plus, et c’est heureux, qu’un faible pourcentage de la totalité des décès, bien inférieur à celui des décès imputables aux accidents de la route, au diabète ou à l’alcoolisme.
Si l’on s’en tenait aux statistiques, la cause serait entendue et l’on pourrait imaginer que l’intérêt persistant pour ces maladies ne relève en définitive que de l’inconscient collectif, de ces peurs irraisonnées qui franchissent la barrière des générations et nous renvoient aux ténèbres de l’humanité.
Néanmoins, et c’est sur ce point que je veux insister, les spécialistes continuent de s’inquiéter. À l’occasion de la pandémie grippale H1N1 de 2009, l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, a lancé la première alerte sanitaire mondiale, et, en 2002, l’apparition du SRAS, qui a causé la mort de près de 500 personnes en quelques mois, a mis toute la communauté scientifique en émoi. Comme le disent si bien les chercheurs de l’Institut Pasteur, nous avons eu de la chance, parce qu’il s’agissait d’un virus très dangereux mais heureusement faiblement contagieux et à incubation lente. Il en aurait été tout autrement avec un virus non seulement très dangereux mais également très contagieux et à incubation rapide.
Ce qui frappe le plus quand on observe les pandémies, c’est à la fois la particularité de chaque type de maladie et la globalité des effets, désormais susceptibles d’atteindre l’ensemble de la population mondiale, dans le contexte actuel de multiplication des transports de personnes et des échanges de biens et de services. Je partage évidemment le point de vue du Président de la République,…
M. Roland Courteau. Voilà une bonne chose !
Mme Fabienne Keller, rapporteur. … qui observait le mois dernier, lors de l’inauguration du nouveau centre des maladies infectieuses émergentes de l’Institut Pasteur, à Paris, que les virus franchissaient les frontières sans présenter leurs papiers d’identité.
En effet, et c’est bien là le point central de notre sujet, les maladies infectieuses sont à l’origine d’au moins 14 millions de décès dans le monde chaque année, même en l’absence d’épidémies déclarées, 90 % de ces décès survenant dans les pays du Sud, où ils représentent 43 % des morts par maladie. Si la prévalence de ces maladies est nettement plus faible dans les pays du Nord, leur occurrence y a cependant progressé de 10 % au cours de ces quinze dernières années.
De même, le nombre de maladies émergentes est en progression, avec 335 nouvelles maladies découvertes entre 1940 et 2004, dont 60 % sont d’origine animale, les trois quarts de celles-ci provenant de la faune sauvage. Les virus les plus connus, tels le chikungunya, le monkeypox, l’orothovirus, Ébola ou celui de la fièvre de la vallée du Nil, n’ont été identifiés qu’à partir de la deuxième moitié du XXe siècle. Or l’efficacité des antibiotiques découverts au XXe siècle diminue parallèlement de manière drastique et il n’est pas anodin qu’aucune nouvelle classe d’antibiotiques n’ait été élaborée depuis trente ans.
Face à des épidémies majeures, nos sociétés pourraient ainsi se trouver fort dépourvues. L’espoir des chercheurs réside dans le séquençage à haut débit des nouveaux virus, bien plus que dans la mise au point de vaccins adaptés, qui demande de longs mois, parfois des années, avant leur exploitation. Ne seraient donc disponibles, pour faire face à la crise sanitaire, que des méthodes très traditionnelles de santé publique, comme la quarantaine, les mesures élémentaires d’hygiène, les changements de pratiques ou de comportements quotidiens.
Mais nos sociétés sont-elles prêtes à se soumettre à ce type de changements ? Pourrait-on appliquer ces mesures traditionnelles dans notre société du XXIe siècle, complexe, mobile, éclatée, parcellisée, en crise ? Jadis, dans le port de Marseille, on n’autorisait les navires à accoster qu’après de longs mois d’isolement, le temps que les personnes contaminées meurent à bord. Comment communiquer efficacement sur le risque et l’incertitude, étant donné le rôle que jouent les nouveaux médias, notamment Internet ? Comment garantir un accès équitable aux ressources en cas de crise dans des sociétés démocratiques ?
Ces questions justifient à tout le moins un début de réflexion et de mise en commun des expériences des uns et des autres, chercheurs, cliniciens, médecins, journalistes, transporteurs, responsables de la sécurité et, bien sûr, politiques.
Pour dessiner les évolutions possibles et identifier les principaux leviers d’action, mon travail a consisté à examiner les tendances des principaux facteurs ou variables propices à l’émergence de maladies infectieuses.
Le premier de ces facteurs est évidemment l’évolution de la population mondiale, qui dépasse aujourd’hui 6,5 milliards d’habitants et atteindra, d’ici à 2050, 9 milliards d’habitants, concentrés dans de vastes mégalopoles où les transmissions interhumaines de virus se trouvent facilitées.
Ensuite, des pratiques agricoles telles que la déforestation, les élevages intensifs, de porcs en particulier, ou les déplacements d’animaux entre les forêts et les villes modifient les écosystèmes et favorisent les contacts entre les hommes et la faune sauvage, notamment en Afrique et en Asie. Or j’indiquais tout à l’heure que près des deux tiers des maladies proviennent des animaux.
Il y a aussi la mondialisation des échanges, de personnes ou de biens, qui contribue à la diffusion de vecteurs épidémiques tels que les moustiques, à l’origine de l’apparition du chikungunya dans le sud de la France – en l’occurrence, il s’agit d’Aedes albopictus – ou du virus de la fièvre de la vallée du Nil aux États-Unis.
Signalons encore le facteur du changement climatique, qui explique le pullulement des bactéries borrélies, agents de transmission de la maladie de Lyme, dans le sud de l’Allemagne et dans l’est de la France, y compris aux portes mêmes de la capitale, en forêt de Sénart.
On peut évoquer par ailleurs les déplacements de populations, notamment en Afrique, soit qu’elles y soient obligées pour quitter un environnement devenu trop aride pour les troupeaux, soit qu’elles soient chassées de leur terre d’attache par des conflits ethniques, des guerres civiles ou, simplement, la pauvreté.
Je pense enfin à l’évolution défavorable de certains comportements, qu’il s’agisse d’un recours excessif aux antibiotiques, dont on sait pourtant qu’il accroît le phénomène de résistance, ou du rejet de la vaccination, dont on ne peut que déplorer la persistance, notamment quand il vient du milieu médical lui-même.
Les conséquences de l’action de ces principaux facteurs, nous les connaissons : on constate aujourd’hui la réapparition de maladies que l’on croyait oubliées, telles que la peste, le choléra – pensez à Haïti –, la tuberculose, notamment en région parisienne, la diphtérie, la rougeole, la coqueluche…
J’ai prêté une attention toute particulière aux exercices de prospective menés à l’étranger, notamment au Royaume-Uni ou en Asie, avec les travaux réalisés en Chine et par l’Organisation économique de la zone Asie-Pacifique à la suite de l’épidémie de SRAS. Ces pays se sont mobilisés pour être mieux préparés à la reproduction d’un événement de ce type.
J’ai conclu de ces travaux très approfondis qu’il est impossible d’identifier des scénarios globaux, tant les évolutions des maladies sont complexes en fonction de chaque facteur, selon les zones géographiques, le climat ou les choix politiques effectués sur des variables qui peuvent être volontaristes, satisfaisantes, tendancielles ou négatives. À cet égard, je vous invite à consulter le blog que nous avons créé sur ce sujet, dans lequel figure un petit jeu de simulation d’une pandémie qui est absolument effrayant. Il permet en particulier de mesurer les effets des choix politiques et de différents facteurs sur l’évolution et la diffusion de la maladie.
Mes chers collègues, il nous faut donc reconnaître notre ignorance quant à la nature du scénario auquel nous pourrions être un jour confrontés, comme l’écrivait déjà en 1922, de manière prophétique, le microbiologiste français Charles Nicolle :
« Il y aura donc des maladies nouvelles. C’est un fait fatal. Un autre fait, aussi fatal, est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons notion de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire. Elles apparaîtront comme Athéna parut, sortant tout armée du cerveau de Zeus. Comment les reconnaîtrons-nous, ces maladies nouvelles, comment soupçonnerions-nous leur existence avant qu’elles n’aient revêtu leurs costumes de symptômes ? Il faut bien se résigner à l’ignorance des premiers cas évidents. Ils seront méconnus, confondus avec des maladies déjà existantes et ce n’est qu’après une longue période de tâtonnements que l’on dégagera le nouveau type pathologique du tableau des affections déjà classées. »
C’est la raison pour laquelle j’ai la conviction profonde que le seul scénario important auquel il y a lieu de se préparer par des exercices d’anticipation est le scénario catastrophe, c’est-à-dire celui de l’apparition d’une maladie jusqu’alors inconnue, à incubation rapide, à forte létalité, à transmission interhumaine par voie aérienne à distance plutôt courte, et pour laquelle on ne dispose d’aucun traitement.
On ne peut évidemment s’empêcher de penser à un acte de bioterrorisme associant, dans un triptyque infernal, le SRAS, la grippe pandémique et la dissémination de la variole contre laquelle, je le rappelle, la population mondiale n’est plus protégée.
C’est pourquoi nous avons dressé, dans le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective, une liste de cinquante-trois propositions établies sur la base des recommandations faites par les spécialistes consultés, notamment ceux qui s’étaient penchés en 2011 sur les perspectives en matière de maladies infectieuses émergentes en santé humaine, sous l’égide du Haut Conseil de la santé publique.
Nous avons également identifié dix leviers d’action auxquels pourraient recourir les pouvoirs publics. Si je devais résumer en trois mots l’ensemble de nos propositions, ce seraient, et les journalistes l’ont bien noté, les suivants : informer, prévenir, coordonner.
M. Roland Courteau. Et ne pas affoler !
Mme Fabienne Keller, rapporteur. Pour ce qui concerne la préparation de la société, il est essentiel de tenir compte des contraintes des populations : si l’on souhaite promouvoir la prévention et la réaction, comment construire un modèle dynamique, interactif et flexible ? La réponse passe par le recours aux modes de communication offerts par les nouveaux outils de l’Internet. Sur ce point, mes chers collègues, tout reste à faire.
S’agissant des choix politiques, les actions à entreprendre sont nombreuses. Il convient d’adapter les systèmes de santé en concevant des outils d’alerte appropriés, en organisant, hors des périodes d’épidémie, la gouvernance que ces systèmes devront respecter pendant la crise sanitaire, en renforçant les soins, la recherche et la formation dans les pays du Sud,…
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Fabienne Keller, rapporteur. … en définissant les priorités de la recherche sur les maladies infectieuses, ces priorités ne pouvant relever de la seule décision des industriels de la santé. Sur ce point, par exemple, nous sommes très mal outillés pour lutter contre la tuberculose, parce que pendant longtemps cette maladie n’a plus concerné que les pays du Sud, et non les pays solvables ; nous avons ainsi pris plus de dix ans de retard en matière de prévention.
J’ai mené ce travail de réflexion et d’enquête avec une équipe restreinte, mais j’ai pu compter sur l’aide désintéressée et très efficace des chercheurs, des praticiens, des universitaires des principales disciplines concernées, à qui je renouvelle l’expression de ma gratitude. Je salue d’ailleurs la présence dans nos tribunes du professeur Catherine Leport, qui dirige un groupe de travail sur ce sujet au sein du Haut Conseil de la santé publique.
Je suis consciente que ce travail reste très en deçà de ce que pourrait être un exercice national de prospective mettant en relation tous les métiers et toutes les professions concernés avant que ne survienne une nouvelle pandémie.
C’est à ce type d’exercice que se sont livrés les Britanniques en 2002, avec l’appui d’environ trois cents spécialistes réunis autour d’une dizaine de thèmes centraux. C’est un exercice assez comparable que les États-Unis réalisent systématiquement chaque année. C’est pourquoi, madame la ministre, je me permets de plaider auprès de vous pour que notre pays s’engage dans la même voie.
Coordonnés par une équipe restreinte pluridisciplinaire, les représentants de toutes les professions concernées apprendraient d’abord à se connaître, voire à se respecter, à échanger leurs pratiques et à développer des réflexes communs. Je pense aux professions de la santé, bien sûr – non seulement publiques, mais aussi privées, à commencer par la médecine de ville –, ainsi qu’à celles de la sécurité, de la communication, des transports – de nombreux agents pathogènes voyagent avec les marchandises –, des collectivités territoriales, de l’enseignement, du tourisme.
Ces représentants des professions se concerteraient, au sein de plusieurs groupes de travail, sur quelques exercices de simulation, par exemple d’un retour du H1N1, avec peut-être des variantes en termes de létalité ou de gravité de la maladie, ou du développement du chikungunya dans le sud-ouest de la France. Ils pourraient également travailler sur des thématiques transversales, comme l’usage des réseaux sociaux en phase épidémique, les règles de la communication de crise, la médecine des voyages, notamment pour les destinations les plus à risques, l’interaction entre la santé humaine et la santé animale. À cet égard, je voudrais rendre hommage aux compétences existant aujourd’hui, notamment à l’INRA, en matière de santé animale.
Je forme le vœu que cette proposition d’instaurer un exercice de prospective, souhaité également, au mois de décembre dernier, en conclusion du séminaire du Val-de-Grâce, qui a été créé sur l’initiative de spécialistes des maladies infectieuses émergentes et regroupe les agences sanitaires françaises et de nombreux autres partenaires d’autres professions, reçoive un accueil favorable de la part du Gouvernement.
Les moyens à mettre en œuvre pour réaliser cet exercice sont modestes et ils permettraient sans doute d’éviter dans le futur des dépenses et, surtout, des dégâts humains qui risquent d’être considérables en l’absence d’anticipation d’un événement hélas prévisible.
Je ne doute pas que vous aurez à cœur, madame la ministre, de nous apporter, surtout d’apporter à nos concitoyens, des assurances sur ce point. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Joël Bourdin, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, chers collègues, je suis particulièrement heureux que, ce soir, pour la première fois depuis la création, en 2009, de la délégation sénatoriale à la prospective, l’un de ses rapports ait les honneurs d’un débat en séance publique.
Nous avions sollicité la tenue d’un tel débat auprès de la conférence des présidents, voilà plusieurs semaines, eu égard au sujet, éminemment sensible, exposé à l’instant avec le talent qu’on lui connaît par notre collègue Fabienne Keller.
La menace épidémique est évidemment un risque auquel tous nos concitoyens sont potentiellement exposés. Ils attendent du Gouvernement et de l’ensemble des pouvoirs publics les mesures de protection et de prévention qu’une situation aussi grave exigerait.
C’est pourquoi j’appuie avec beaucoup de détermination la demande de notre rapporteur que soit conduit un exercice de prospective « grandeur nature », pour que chacun soit préparé, sur le terrain et non pas simplement en théorie, à faire face à un tel événement. Nous attendons donc, avec grand intérêt, d’entendre la réponse que nous fera dans quelques instants, sur cette préconisation, Mme la ministre chargée de la santé.
Je profiterai du temps de parole que je dois à ma qualité de président de la délégation sénatoriale à la prospective pour vous donner quelques indications sur le travail, original, que nous effectuons.
Peut-être l’ignorez-vous, mais cette structure est une spécificité de notre assemblée au sein du Parlement, puisque l’Assemblée nationale n’en dispose pas, du moins pas encore. Je veux souligner l’importance de la prospective, c’est-à-dire la recherche approfondie, aussi scientifique que possible, grâce à la construction de scénarios, sur ce que pourraient être notre société, notre économie, notre population à un horizon très lointain, en tout cas plus lointain que celui de nos lois financières annuelles.
Cette importance, le Parlement finlandais, précurseur en la matière, l’a d’ailleurs parfaitement perçue, puisqu’il a déjà constitué, en son sein, une commission de l’avenir, à caractère permanent, qui se consacre intégralement à la prospective. Le Premier ministre finlandais, lorsqu’il prononce son discours programmatique annuel devant le Parlement, doit présenter une vision de la Finlande à l’échéance de quinze ans : c’est dire que la prospective fait vraiment partie de la culture du Parlement finlandais.
Nous n’en sommes pas encore là dans notre pays, même si j’observe que de plus en plus d’entreprises, de ministères, d’institutions se dotent désormais de cellules de réflexion à long terme. À l’inverse, nous parlementaires avons plutôt le sentiment de voter, le plus souvent dans l’urgence, des mesures de court terme qui brouillent une vision globale à échéance plus lointaine.
La suppression du Commissariat général du plan, en 2006, nous a probablement privés d’un outil précieux pour apprécier les enjeux de long terme. Certes, son mode de fonctionnement pouvait sembler dépassé dans le contexte de mondialisation et de globalisation économique ; certes, cet organisme avait quelque peu vieilli, mais peut-être aurait-on pu envisager de le réformer. Nous avons pris conscience de cet état de fait, notamment grâce au travail de sensibilisation de notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
C’est la raison pour laquelle notre délégation vient de tenir, le 5 décembre dernier, une grande réunion sur le thème de l’avenir de la planification stratégique. Cette réunion de travail a été organisée conjointement avec le Conseil économique, social et environnemental, qui, une année après nous, a également créé en son sein une structure dédiée à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques. Nous publierons, d’ici à deux semaines, le compte rendu des débats très instructifs qui se sont tenus à cette occasion.
J’observe d’ailleurs, pour m’en féliciter, que le Gouvernement a établi un constat identique au nôtre. Avant l’été, le Premier ministre a fait état, lors de la grande conférence sociale, de la nécessité de disposer, au niveau national, d’une structure de réflexion prospective à même d’aider à la prise de décision politique. Il a confié le soin d’y réfléchir à une commission présidée par Mme Yannick Moreau. Sur le fondement de son rapport, rendu le mois dernier, un commissariat à la prospective et à la stratégie devrait donc être créé prochainement. Nous suivrons évidemment son installation et ses débuts avec la plus grande attention.
Pour conclure, je souhaite que cette première expérience de débat public sur les travaux de notre délégation soit renouvelée. Nous venons d’ailleurs d’adopter un rapport consacré à l’avenir des campagnes, sujet auquel je ne doute pas que mes collègues sénateurs soient tout particulièrement attachés : ce rapport pourrait utilement faire l’objet d’échanges au sein de notre hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)