Mme Cécile Cukierman. En fonction du degré de contrainte et de protection qu’il nous appartient d’apprécier, si la création d’une nouvelle norme à l’échelon national nous semble relever de l’intérêt général, nous devrons ensuite assurer les moyens de sa mise en œuvre, faute de quoi nous risquons de renforcer les inégalités dans nos territoires.

J’en reviens plus précisément à la proposition de loi que nous examinons.

Aux termes du rapport, « des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années, grâce notamment au rôle du commissaire à la simplification, de la commission consultative d’évaluation des normes – CCEN – et de la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs – CERFRES – qui, à travers le dialogue et la concertation, ont permis l’évolution des méthodes de travail des administrations centrales, qui s’interrogent davantage sur l’utilité des textes qu’elles rédigent et évaluent avec les élus locaux les conséquences techniques et budgétaires de leurs prescriptions ».

Privilégier la concertation en amont permet donc de renforcer le dialogue entre les élus locaux et les services de l’État. Et c’est afin de développer encore le dialogue et la concertation entre le Gouvernement ou le Parlement et les élus locaux que nous approuvons la proposition de loi dont nous débattons.

Nous approuvons notamment la volonté d’accroître le nombre de textes passés au crible du futur Conseil national, ainsi que le renforcement de son expertise par le biais de l’élargissement de sa composition. Cet élargissement du collège des élus permettra de mieux faire face aux cadences imposées par l’État. Nous nous interrogeons toutefois sur les modalités de représentation du Parlement, la présence de deux députés et de deux sénateurs interdisant un véritable pluralisme.

Nous approuvons la volonté de renforcer la portée des avis rendus par l’actuelle commission, qui laissera sa place au Conseil national d’évaluation des normes. Les avis sur les projets de textes réglementaires et les projets de loi de cette nouvelle instance seront publiés au Journal officiel de la République française. Ses avis sur les projets de loi seront aussi annexés à l’étude d’impact, ce complément étant destiné à renforcer l’information du Parlement dans le cadre de sa mission législative et de contrôle.

Comme l’a souligné M. le rapporteur, ces dispositions contribueront à accroître la publicité des travaux de cette nouvelle institution et à responsabiliser les administrations centrales lors de leurs travaux d’élaboration des projets réglementaires ou législatifs. Dès lors, comme l’a rappelé M. le président de la commission, tout parlementaire pourra aisément se référer aux prescriptions du Conseil national d’évaluation des normes.

Ainsi, comme l’actuelle CCEN, ce dernier jouera un rôle d’expertise et d’alerte très important. Pour autant, il ne faudrait pas qu’il se substitue au pouvoir exécutif. Lors de nos travaux en commission, nous nous sommes interrogés sur le pouvoir qui lui est donné d’obliger le Gouvernement à présenter un nouveau « projet modifié » de règlement lorsqu’il émet un avis défavorable sur celui-ci. Cet avis s’apparente quelque peu à un avis contraignant. Le Gouvernement ne sera peut-être pas tenu de le suivre à la lettre, mais l’article 1er est explicite : le projet de règlement devra bel et bien être modifié.

Malgré ces interrogations, qui seront peut-être levées au cours du débat, nous soutenons, je l’ai déjà indiqué, la présente proposition de loi. Mais, comme je l’ai aussi souligné au début de mon intervention, gardons ce fait à l’esprit : l’édiction de règles répond le plus souvent à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique ; derrière le rejet des normes par les élus se cache en réalité la difficulté de les mettre en œuvre, faute d’accompagnement technique par les administrations et de soutien financier par l’État.

Nous ne devons donc pas céder à la facilité et contourner le problème. Au contraire, nous devons l’envisager dans sa globalité afin de répondre aux attentes des élus, essentiellement demandeurs d’expertise et de moyens, et, plus largement, de l’ensemble de la population.

Pour conclure, mes chers collègues, je souhaiterais attirer votre attention sur un point. Mercredi dernier, lors de sa réunion, la commission des lois a précisé, sur l’initiative de son rapporteur, que le Conseil national pourrait proposer, dans ses recommandations, des mesures d’adaptation de normes réglementaires en vigueur si l’application de ces dernières entraîne des conséquences matérielles, techniques ou financières disproportionnées au regard des objectifs poursuivis pour les collectivités territoriales ou leurs groupements.

On retrouve, en filigrane, le principe de proportionnalité des normes, prôné par notre collègue Éric Doligé et que nous avions dénoncé lors de la discussion de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

Ce principe est évidemment inacceptable, car son application ne reviendrait, comme je le disais, qu’à contourner le problème et à créer de nouvelles sources d’inégalités en fonction des richesses disponibles sur les territoires.

Certes, la présente proposition de loi ne prévoit qu’une simple possibilité. Nous serons donc extrêmement vigilants sur ce point. Nous devrons veiller à ce que les recommandations du Conseil national n’aboutissent pas à mettre en place une forme de déréglementation ou de dé-régularisation dans laquelle les objectifs d’accessibilité, de sécurité, de normes sanitaires et de protection de l’environnement seraient relégués.

Indépendamment des réserves que j’ai émises au nom des membres du groupe CRC, nous soutiendrons, je le répète, la présente proposition de loi, qui résulte d’une forte demande exprimée lors de la campagne pour les élections sénatoriales au cours de l’été de 2011 et qui est largement revenue sur le devant de la scène lors des états généraux de la démocratie territoriale, au mois d’octobre dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la question des normes devrait relever d’un arbitrage entre la sécurité et la liberté, entre le principe de précaution et celui de la responsabilité citoyenne. Hélas, dans la société actuelle, le citoyen réclame de plus en plus de sécurité aux pouvoirs publics pour se défausser de ses propres exigences de responsabilité.

Que de textes n’avons-nous votés dans cette enceinte ces dernières années sur les chiens qui mordent, les manèges qui tournent, les piscines pleines d’eau qu’il faut transformer en Fort Knox pour permettre aux parents d’un peu moins surveiller leurs enfants…

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Chaque accident, chaque drame donne lieu à des lois adoptées sous le coup de l’émotion, des « lois compassionnelles », selon l’expression de notre ancien collègue Michel Charasse, « co-père » – c’est d’actualité ! –, avec Alain Lambert, de la Commission consultative d’évaluation des normes.

Ayant le plaisir de travailler le président du conseil général de l’Orne, je connais son amabilité, sa compétence, son dévouement, son attention…

M. Jean-Pierre Plancade. C’est un homme de qualité !

Mme Nathalie Goulet. … et je n’oublie pas à quel point il m’a soutenu lors des élections sénatoriales, ceci expliquant sans doute cela ! (Exclamations amusées.) Vous riez, mes chers collègues, mais, croyez-moi, la victoire n’était pas assurée !

Aujourd’hui, sous le coup de l’actualité et au nom de l’immédiateté, le législateur fait bien trop souvent de la loi un outil de proclamation plus que de droit.

Le fameux principe de précaution se transforme à tel point en cauchemar pour nos collectivités que, parfois, on a du mal à établir une hiérarchie entre les normes qui relèvent de la nécessité et celles qui sont superflues, sans parler de celles qui sont obsolètes…

Le droit français a longtemps représenté un modèle pour de nombreux autres États qui s’en sont inspirés. Il constituait un ensemble cohérent, intelligible, servi par une langue claire, dense et précise. Mais ces caractères se sont gravement altérés, puisqu’il est devenu d’une complexité asphyxiante pour l’économie et l’action publique.

Les causes sont souvent cherchées dans le caractère effectivement trop foisonnant du droit communautaire, mais cela revient à esquiver le sujet prégnant, qu’il faudra bien traiter un jour, de la complexité liée à l’évolution de nos propres institutions, à la décentralisation des politiques publiques et à l’activité des autorités dites indépendantes.

C’est pourquoi nous devons absolument nous attaquer aux autres causes du caractère instable et foisonnant de notre droit. Comme le soulignait Alain Lambert, « le législateur bavarde, le citoyen renonce, l’entreprise se plaint, la compétitivité de notre pays s’en ressent, l’action publique devient lente et coûteuse ».

Le nombre et la longueur des textes ne cessent d’augmenter. Le nombre de pages de l’édition « Lois et décrets » du Journal officiel est passé de 15 000 en 1980 à 24 000 en 2009. Les décrets représentaient près de 136 000 articles en 2010, soit 24 000 de plus que trois ans plus tôt. Les normes jaillissent de partout et ne cessent d’être modifiées. Le niveau d’instabilité est devenu un cancer juridique, économique et financier.

Il ne suffit plus de porter un diagnostic : il faut trouver les remèdes. Dans le cadre de la mission qui leur a été confiée, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard vont proposer au Gouvernement quelques actions pour sortir de cette spirale infernale. Il faut couvrir les champs de confusion dans lesquels nous nous sommes enfermés en procédant tant à partir de la source des normes, c’est-à-dire des administrations centrales, qu’à partir de l’usager, c’est-à-dire des collectivités, qui les mettent en œuvre et paient leurs conséquences directes. Ces sujets sont souvent évoqués, mais jamais tranchés.

Dans ce cadre, et après tant de tentatives de simplification, la présente proposition de loi ne semble pas, au stade de cette première lecture, apporter de solution à la situation de diarrhée normative qui transforme la vie de nos collectivités en cauchemar. Elle ne comporte rien sur la pluralité des acteurs et la multiplicité des sources, et ne prévoit pas davantage de sanctions, mais il est vrai qu’il n’est pas possible d’adresser d’injonction au Gouvernement non plus qu’aux administrations.

À y regarder de plus près, ce texte constitue tout de même une avancée.

D'abord, la nouvelle instance ne se limitera pas au flux : elle pourra s’attaquer au stock.

Ensuite, elle reprend le travail patiemment réalisé par la Commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, créée, je le rappelle, sur l’initiative de nos anciens collègues Michel Charasse et Alain Lambert.

À cet égard, je me suis autorisée à déposer un amendement, car la rédaction de la proposition de loi ne me semble pas assez précise en la matière. Je propose ainsi que toutes les décisions rendues par la CCEN, y compris ses avis et leurs motifs, soient opposables aux administrations centrales, qui seraient trop heureuses sinon de pouvoir s’y soustraire.

Encore nous faut-il également, mes chers collègues, balayer devant notre porte. Le 12 décembre dernier, lors du débat sur la proposition de loi de notre collègue Éric Doligé, Marylise Lebranchu nous a rappelé que, selon le Conseil d’État, dont elle a cité l’avis, notre droit contenait toutes les dispositions nécessaires au législateur pour adapter les normes aux particularités locales : « L’attribution d’un pouvoir réglementaire aux collectivités par la loi n’est pas, par elle-même, contraire au principe d’égalité. […] Une loi peut donc prévoir dans chaque cas les circonstances qui autoriseraient les collectivités à déroger à la mise en œuvre de telle ou telle disposition. […] Notre droit permet déjà de faire plus et mieux que ce que nous faisons aujourd’hui ; dégager une règle générale d’adaptation des normes au niveau local serait vain. Surtout, la rédaction d’une telle règle générale la rendrait peu intelligible, suscitant une forte insécurité juridique. »

Il dépend donc de nous, mes chers collègues, que les lois soient mieux rédigées. Des expériences ont été menées et réussies à l’étranger, notamment au Canada, aux États-Unis, en Allemagne et en Espagne. Il faudra sans doute s’inspirer de ces exemples.

Enfin, j’ose évoquer une solution qui nous permettrait d’économiser bien du temps, de l’argent et des difficultés : il s’agirait d’établir, une fois pour toutes, que les normes ne sont opposables au civil ou au pénal que quand elles ont été prévues par la loi. Notre pays, mes chers collègues, est en effet le seul où un élu peut être envoyé en correctionnelle pour un bouton électrique défaillant !

Il faudrait éviter que les normes soient opposables lorsqu’elles émanent d’un sous-attaché d’une sous-direction du ministère de l’intérieur ou du ministère de l’environnement et sont énoncées, comme c’est souvent le cas, dans les clauses générales d’un cahier des charges dont le caractère réglementaire n’est pas toujours avéré.

Un autre principe déterminant pourrait être le suivant : qui décide paie et, ajouterai-je, paie sans délai ! Cela freinerait, à n’en pas douter, les élans normatifs. Actuellement, ce sont toujours les collectivités territoriales qui doivent assumer le coût des normes supplémentaires.

Nous avons encore du travail devant nous et nous n’aurons pas trop de cinq ans, mesdames les ministres, pour vous apporter notre entier soutien quand vous nous présenterez des mesures en ce sens. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous comptons sur vous !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, tout le monde s’accorde sur le diagnostic, mais la méthode n’a pas encore été trouvée.

Tout le monde reconnaît que nos collectivités territoriales sont écrasées sous le poids des normes, comme d’ailleurs sous celui du droit en général. Les chiffres ont déjà été évoqués, mais ils sont trop éloquents pour ne pas être rappelés. Au 1er juillet 2007, 2 619 textes de nature législative, représentant 22 334 articles, étaient en vigueur. Au niveau réglementaire, 23 883 décrets étaient recensés au 1er juillet 2008, pour un total de 137 219 articles. Il existe par ailleurs 64 codes, qui comportent 33 742 articles de nature législative, 57 080 articles de nature réglementaire et 11 415 articles indifférenciés. L’Association des maires de France, l’AMF, évoque le chiffre de 400 000 normes de toute nature applicables aux collectivités territoriales.

Le diagnostic n’est pas nouveau : dans son rapport public de 1991, le Conseil d’État stigmatisait déjà la surproduction législative et soulignait que, « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Ce précepte vaut également pour les collectivités territoriales.

La mission commune d’information sur le bilan de la décentralisation, dont Michel Mercier était le rapporteur, insistait quant à elle, en 2000, sur la perte de la maîtrise de leurs compétences par les collectivités en raison de cette inflation normative qui revient à entraver leur libre administration.

Sont en cause la kyrielle de règlements types, de normes techniques et autres schémas imposés par l’État sans concertation, qui sont loin d’être de nature à faciliter l’exercice de leurs compétences par les collectivités.

Ce constat était toujours partagé en 2007 par le groupe de travail présidé par notre ancien collègue Alain Lambert, pour lequel l’accroissement des charges pesant sur les collectivités ne pouvait que complexifier les procédures et in fine amoindrir les initiatives locales.

La création, dans le sillage de ce groupe de travail, de la CCEN constitua une avancée importante. Le travail qu’elle a effectué depuis 2008 sous la présidence d’Alain Lambert, auquel je tiens à rendre hommage, a déjà permis de mettre en place de nouvelles méthodes de production des normes.

Le caractère systématique du dialogue entre la CCEN et les administrations centrales avant toute édiction de norme applicable aux collectivités a permis l’émergence d’une véritable relation de confiance et s’est traduit par la production de textes mieux rédigés et plus adaptés aux réalités locales. Nous nous félicitions d’ailleurs que notre commission ait elle aussi salué le travail accompli par la CCEN en inscrivant le nouveau Conseil national d’évaluation des normes dans la continuité des travaux et avis qu’elle a rendus depuis 2008.

La présente proposition de loi se veut la traduction législative des préoccupations exprimées par une grande majorité des élus locaux lors des états généraux de la démocratie territoriale. Ces préoccupations, nous devons bien sûr les entendre, car, en tant que législateurs, nous avons aussi notre part de responsabilité dans l’inflation normative qui frappe les collectivités et dont nous sommes souvent les premières victimes.

Je pense notamment aux quatre propositions de loi dites de simplification du droit qui nous ont été soumises lors de la précédente législature. Nos votes ont un impact direct sur les élus locaux ; à nous de mieux en tenir compte.

La Haute autorité, renommée Conseil national d’évaluation des normes par la commission des lois, a toute son utilité au regard du stock de normes qui accable les collectivités.

Notre groupe s’interroge toutefois sur le choix de la présente proposition de loi comme véhicule législatif. Les états généraux de la démocratie territoriale appelaient en effet une traduction législative rapide et concrète. Or la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales que nous avait récemment présentée notre collègue Éric Doligé contenait déjà des dispositions en grande partie similaires, il faut bien le reconnaître, à celles du texte que nous examinons. Dans son rapport, notre excellente collègue Jacqueline Gourault avait d’ailleurs établi une liste des améliorations qui auraient pu être apportées à la CCEN, améliorations que l’on retrouve, appliquées au nouveau CNEN, dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui.

Nous nous interrogeons également sur la place du futur Conseil national d’évaluation des normes dans le paysage administratif. La suppression des normes excessives ou inadaptées est un impératif, mais pourquoi avoir tout récemment mis en place la mission Lambert-Boulard sur la chasse aux « norme absurdes » dans le stock, donc, de normes existantes au lieu de confier au Conseil des compétences à la fois sur le stock et sur les flux ?

Par ailleurs, nous espérons que le Conseil national ne sera pas une structure administrative de plus, qui ne fera qu’alourdir un processus décisionnaire déjà complexe et lent.

Sa composition – près de 36 membres – n’est pas nécessairement de bon augure. Quand bien même des sous-sections thématiques seraient créées en son sein, les exemples de commissions administratives pléthoriques qui fonctionnent mal, voire qui ne se réunissent pas du tout, sont légion. Il n’aurait pas été scandaleux, à nos yeux en tout cas, de prévoir une composition aussi pluraliste mais plus ramassée.

Il sera également impératif que le président – ou la présidente – du Conseil national fasse preuve d’un grand volontarisme pour insuffler à cette structure un véritable dynamisme qui légitimera son action.

Nous nous interrogeons aussi sur l’articulation du Conseil national avec le futur Haut conseil des territoires que le Gouvernement semble vouloir créer, Haut conseil à propos duquel mon groupe est plus que réservé.

Ce Haut conseil serait appelé à rendre des avis sur tout projet de loi relatif aux compétences, au sens large, des collectivités locales. Que se passera-t-il si son avis diverge de celui du Conseil national d’évaluation des normes ? Une telle divergence serait d’autant plus problématique que ces deux organismes seront composés d’élus locaux.

Notre groupe est par ailleurs assez peu enthousiaste à l’idée d’une intervention du Conseil national dans la procédure législative. En premier lieu, sa composition n’en fait pas une autorité strictement indépendante, puisque des représentants de l’État siègent en son sein. Or il sera obligatoirement saisi des projets de loi créant ou modifiant des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs groupements.

À l’heure actuelle, d’après la Constitution, le Gouvernement n’est soumis qu’à deux obligations de saisine préalable : il doit consulter le Conseil d’État, qui ne porte pas d’appréciation en opportunité, sur tous ses projets de loi, et le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, sur tous les projets de loi de programmation en matière économique ou sociale.

La proposition de loi précise, pour formaliser une sanction en cas d’absence de saisine, que l’avis du Conseil national doit être joint à l’étude d’impact d’un projet de loi. Le procédé est ingénieux, mais il revient à subordonner le pouvoir d’initiative du Gouvernement à l’avis d’une commission administrative dont l’existence n’est prévue que par la loi, ce qui nous paraît discutable sur le plan constitutionnel.

En second lieu, la procédure de saisine du Conseil national sur les amendements du Gouvernement et des parlementaires ne va pas forcément de soi. L’article 45 de la Constitution ne subordonne la recevabilité des amendements du Gouvernement qu’à l’existence d’un lien avec le texte en discussion. Quant à l’article 50 de notre règlement, il prévoit que les amendements du Gouvernement ne sont soumis à aucune règle de délai.

Il conviendrait certes de mettre fin à la pratique quelque peu détestable du dépôt d’amendement à la dernière minute, en particulier lorsqu’il s’agit d’amendements de plusieurs pages. Cependant, instituer une compétence obligatoire du Conseil national sur les amendements du Gouvernement nous paraît ajouter une contrainte discutable, dans la mesure où il n’existe pas actuellement de contrôle préalable des amendements gouvernementaux.

Quand bien même cet avis ne lierait pas le Gouvernement, l’obligation de saisine pourrait retarder la discussion des textes ou susciter l’embarras en cas d’avis négatif.

En outre, la présence de parlementaires au sein du Conseil national pose question au regard du principe de séparation des pouvoirs. Cette réflexion peut d’ailleurs être étendue à l’hypothèse d’une compétence facultative du Conseil national sur les amendements d’origine parlementaire en cas de saisine par le président d’une des deux assemblées. En effet, il est pour le moins curieux que des parlementaires se prononcent a priori sur des initiatives de leurs collègues.

M. Alain Richard, rapporteur. C’est surtout nouveau !

M. Jean-Pierre Plancade. Enfin, les règlements des assemblées, qui ont une valeur supérieure à la loi ordinaire puisqu’ils sont soumis d’office au contrôle du Conseil constitutionnel, ne prévoient pas de subordonner le droit d’amendement à un tel dispositif ; ce point me semble important.

En troisième lieu, la faculté offerte aux présidents de groupe de saisir le Conseil national pose elle aussi question. Seuls les règlements des assemblées prévoient l’existence des présidents de groupe. Il y a donc une contradiction : d’un côté, on s’appuie sur les règlements des assemblées pour faire référence aux groupes politiques et, de l’autre, on prévoit un dispositif d’examen des propositions de loi ou des amendements qui ne tient pas compte de ces mêmes règlements.

Surtout, la disposition prévoyant l’examen de propositions de loi inscrites à l’ordre du jour du Parlement réduit mécaniquement le délai d’examen du texte, même s’il peut déjà être réduit à deux semaines au lieu de six. Son caractère opérationnel n’est donc guère évident.

Nous souhaitons que les débats et la navette parlementaire apportent des éléments de réponse à ces interrogations, ce qui, nous en sommes certains, ne devrait pas manquer de se produire.

Mais, pour l’heure, il est malgré tout urgent de mettre un frein à la frénésie réglementaire qui touche et inquiète nos collectivités.

Vous l’aurez compris, ce texte est, selon nous, encore perfectible et suscite en l’état de multiples réserves, mais il a le mérite de proposer de nouvelles méthodes, dont nous espérons sincèrement qu’elles feront leurs preuves.

Aussi, notre groupe a décidé de lui apporter son soutien pour permettre au débat de se poursuivre. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Mme Jacqueline Gourault et M. Éric Doligé applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, madame Gourault, monsieur Sueur, respectivement auteure et auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, encore un « machin », mais, au moins, celui-ci aura le mérite d’en supprimer un autre... (Sourires.)

J’emploie le terme « machin », car je ne me souvenais plus, lorsque j’ai commencé la rédaction de cette intervention, du nom que notre commission des lois, dans sa grande sagesse, avait retenu.

Ce machin doit être une machine de guerre contre l’excès de normes !

Je ne peux donc que souhaiter longue vie au Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales, puisque tel est son nom.

Quel va donc être le premier axe de travail de cette instance ? Si je peux me permettre un avis de juriste en me fondant sur des exemples pris dans les lois générales, qui, elles aussi, devraient avoir leur autorité d’évaluation, je pense qu’elle devra s’attacher à traquer les normes inutiles, inutilisées ou inutilisables parce que trop complexes, trop détaillées, le diable se cachant, comme vous le savez, dans les détails, bref, le droit qui nourrit la chicane depuis Les plaideurs ou Le mariage de Figaro : rappelez-vous la fameuse querelle pour savoir si c’est « et l’épouserai » ou bien « ou l’épouserai ».

En somme, ces normes doivent être retoquées, refusées.

Certes, en réclamant une norme plus simple, plus facile à comprendre, bien écrite, bien codifiée et, donc, plus facile à appliquer, je plaide ici pour la ruine de mon métier d’origine, mais qu’importe !

Car enfin, est-il normal, c’est-à-dire dans la norme, que, pour reconduire un étranger chez lui, il existe huit modalités juridiques différentes, sans compter l’expulsion ?

Il faudrait aussi s’attaquer au stock incroyable de normes que nous avons accumulées, toutes n’étant pas codifiées, à l’instar d’une partie de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 – on a encore le temps ! (Rires.) –, d’une règle civiliste de d’Aguesseau, dont la statue est représentée dans cet hémicycle, ou encore des règles du droit intermédiaire, notamment la loi du 6 fructidor an II, bien connue des femmes qui refusent de porter le nom de leur beau-père.

Nous devrions aussi supprimer une bonne partie des 400 000 normes actuellement applicables, à tout le moins les refondre ou les recycler selon leur consistance.

Ce travail gargantuesque, cyclopéen, pharaonique est une nécessité si nous voulons permettre au plus grand nombre, que ce soit de simples citoyens, des fonctionnaires, des responsables d’entreprises privées ou publiques, de comprendre, de respecter et de faire leur le droit que nous produisons.

Car, aujourd’hui, il est de plus en plus complexe pour un acteur de la vie publique, économique, sociale, de savoir à quelles normes il est assujetti et quelle norme il doit appliquer. C’est surtout vrai pour les bénévoles, non juristes, que sont nos élus locaux, puisque c’est en pensant à eux que cette proposition de loi a été rédigée.

Il ne faut de surcroît pas oublier, ainsi que nous le rappelle régulièrement M. Pélissard, président de l’Association des maires de France, que toutes ces normes ont un coût pour les collectivités, les surcoûts engendrés ayant représenté une enveloppe de 783 millions d’euros en 2011. Et encore, j’imagine qu’il a fait son calcul « à la louche » !

Certes, le montant a baissé de 50 millions d’euros par rapport à l’exercice précédent, mais il reste important, c’est un doux euphémisme !

Le dernier problème que nous aurons à affronter est celui de la stabilité de notre ordonnancement juridique.

Nous ne pouvons mettre les citoyens dans une incertitude permanente concernant l’application des normes dans le temps et leur évolution.

Il ne s’agit pas de figer le droit, lequel doit évoluer pour suivre l’évolution de la société, selon un cheminement normal.

Mais lorsque le code général des collectivités territoriales est renouvelé à 80 % tous les dix ans, nous tombons dans l’excès de réforme et nous mettons les acteurs dans une situation très inconfortable.

De même, lorsqu’un fait divers conduit à un durcissement de la loi, ou plus exactement à un prétendu durcissement de celle-ci, sans que la précédente réforme ait été évaluée, pouvons-nous considérer qu’il s’agit d’une bonne politique, d’une bonne organisation de la cité ?

Il nous faut des lois relativement stables dans le temps, qui puissent s’appliquer pendant de nombreuses années sans devenir obsolètes.

Faut-il rappeler que l’article 1384 du code civil, voulu notamment par Portalis et d’Angély, longtemps en sommeil, a été « réveillé » par l’arrivée des accidents de voitures, plus d’un siècle après ?

La méthode, pour parvenir à une réflexion sur le sujet, choisie dans cette proposition de loi, est évidente : il s’agit de la concertation, dont cette proposition de loi est, d’ailleurs, elle-même issue, puisqu’elle est le premier résultat, comme il a été rappelé, des états généraux de la démocratie territoriale.

C’est le même type de démarche qui préside à la réforme des collectivités territoriales et qui guide l’acte III de la décentralisation. Les instances de concertation qui existent formellement, et celles qui se développent en dehors du formalisme légal, sont en passe de trouver une forme de consécration grâce à votre réforme, madame la ministre, au travers du concept de conférence territoriale.

Pour la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, il s’agit de créer un conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales. Il aurait compétence pour évaluer les normes nouvelles et leur pertinence ; ses avis seraient publiés au Journal officiel ; sa composition permettrait de respecter les différents échelons du territoire et de tenir compte des visions différenciées que peuvent développer les services de l’État, les parlementaires ou les collectivités territoriales.

Ce service, d’ailleurs, est assez complémentaire, mesdames les ministres, de celui que vous venez de mettre en place avec la mission de lutte contre l’inflation normative et, notamment, son site internet http://missionnormes.fr.

Espérons que certaines normes disparaîtront bientôt, à l’image de cet arrêté du 30 septembre 2011, sur lequel seraient intervenus quinze ministres de la République, qui régit minutieusement la place respective des merguez, des chipolatas, des saucisses de Francfort, de Strasbourg, de Toulouse dans les cantines scolaires ! Cette disposition, parmi beaucoup d’autres, complique l’action des mairies et des collectivités. Pour nous, écologistes, elle a de surcroît un véritable défaut : elle ne prévoit rien pour les saucisses bio ! (MM. Jean-Vincent Placé et Dominique Bailly applaudissent. – Exclamations amusées sur plusieurs travées.)

Mme Hélène Lipietz. D’autant plus que, comme le pointe Alain Lambert, président de la Commission consultative d’évaluation des normes, « certaines normes s’élèvent parfois au-dessus de leur condition ».

Des circulaires se transforment en arrêtés, des arrêtés en décrets et des décrets en lois. Il est urgent de déclasser certains textes, comme il a déjà été dit. Jean-Claude Boulard et Alain Lambert publieront leur « tableau de chasse » des normes absurdes le 15 mars prochain. « Cette mission ne sera pas un rapport de plus », avez-vous promis, madame la ministre. Nous l’espérons vivement.

Comme c’est l’habitude pour mon groupe, vous constaterez que nous avons déposé une série d’amendements afin de viser à la parité et d’introduire une plus grande diversité des sensibilités politiques.

De plus, afin de rappeler que les écologistes sont les premiers soutiens du Président de la République,…

M. Éric Doligé. Pas toujours ! (Sourires.)

Mme Hélène Lipietz. Si !

… nous proposons de traduire la promesse qu’il a formulée lors des états généraux de la démocratie territoriale : supprimer une norme ancienne et obsolète pour chaque nouvelle que nous votons ou que produit une administration.

Mes chers collègues, si vous suivez le Président de la République dans son vœu, donc en votant notre amendement, le Conseil national aura pour rôle de proposer des normes à abroger chaque fois qu’il émettra une recommandation concernant une nouvelle norme, étant précisé que son acte de naissance sonnera le glas de la Commission consultative d’évaluation des normes, ce qui est donc, et nous nous en réjouissons, une première application du principe que je viens de rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mme Gourault et M. Jean-Pierre Plancade applaudissent également.)