M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation sénatoriales aux collectivités territoriales et à la décentralisation, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à mon tour de saluer une avancée, que je considère comme très structurante, première étape du travail de longue haleine, ne nous le cachons pas, à entreprendre en matière de simplification, d’évaluation et d’adaptation des normes applicables aux collectivités territoriales, dont le Sénat est le représentant constitutionnel, comme le rappelait Alain Richard.
J’articulerai mon intervention autour de trois thèmes : le foisonnement normatif impacte non seulement les collectivités locales mais aussi la compétitivité de nos entreprises ;…
M. Éric Doligé. Exact !
M. René Vandierendonck. … par ailleurs, dans le droit fil des avancées fort courtoises permises par notre collègue Éric Doligé, je ferai quelques réflexions sur l’adaptation des normes ; enfin, j’aborderai la réduction des normes comme source d’économies.
S’agissant du premier thème, je vous ferai part d’une expérience vécue. J’étais samedi matin dernier à l’inauguration du tribunal de commerce fusionné de Lille Métropole. J’ai entendu tout ce que la métropole lilloise compte de représentants des PME et j’ai pu mesurer très spontanément, puisqu’il suffisait d’écouter le discours d’installation, qu’il y avait une forte attente en matière d’allégement des normes dans le champ du développement économique.
À cet égard, je voudrais rappeler que le Président de la République, le 25 mai dernier, a pris l’engagement auprès de la Commission européenne d’avancer sur une méthode assez originale, pratiquée ailleurs en Europe, que l’on appelle « test PME ». Elle consiste à regarder la simplification du flux et du stock de normes françaises non seulement sur l’aspect quantitatif, mais également sur l’aspect qualitatif, en s’attaquant, en particulier, en se mettant à la place du client final, usager ou entreprise, – c’est l’objet du test – aux effets délétères modélisés que pouvait avoir la norme sur la compétitivité des PME.
La France, qui est mal positionnée dans ce classement européen, a, depuis le mois de mai dernier, la volonté d’avancer avec cette méthode, ce que je salue avec beaucoup d’intérêt.
S’agissant de l’adaptation des normes, madame la ministre, vous avez, avec M. Doligé, montré la voie lors d’un débat récent au cours duquel vous aviez accepté de nous lire un avis du Conseil d’État. Grâce à mon collègue Doligé, j’ai pu remettre la main sur le texte en question. Permettez-moi d’y revenir, car il me paraît utile d’insister sur ce point : « Il appartient au législateur, dans ses différents domaines d’intervention, de donner au pouvoir réglementaire un cadre juridique suffisamment précis pour lui permettre, lorsque cela est possible au regard des principes constitutionnels, de prévoir les adaptations tenant compte notamment de la situation des collectivités territoriales de faible capacité financière ou des dérogations individuelles pour des catégories objectivement déterminées de collectivités territoriales. »
L’un des mérites du rapporteur est d’avoir replacé la question de l’adaptation – d’autres disent de la « proportionnalité » – au cœur des missions du Conseil national d’évaluation des normes et de proposer ainsi, pour la première fois, un cadre pour l’application différenciée des normes en vigueur. J’ajouterai, à l’intention de la collègue qui m’a précédé à cette tribune, que l’ensemble de la production normative représente, selon les divers calculs, un poids financier de près de deux milliards d’euros pour les collectivités locales.
Saluons donc tout ce qui contribue à cette adaptation des normes. Étant optimiste de nature, j’en ai vu un signe avant-coureur, le 23 janvier, quand j’ai entendu André Laignel proclamer que l’AMF avait remporté une grande victoire, grâce à l’avis donné par la commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, en faisant reculer le taux d’encadrement des activités périscolaires, recul qui se traduira automatiquement par une économie très significative pour les élus locaux.
Mme Cécile Duflot nous a promis l’examen d’un projet de loi sur le logement et l’urbanisme pour le mois de juin.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. René Vandierendonck. Monsieur le président de la commission des lois, vous qui avez contribué à éclairer la voie de la prospective sur la ville du XXIe siècle devez vous souvenir d’un échange que nous avons eu en novembre 2010 avec des architectes et des urbanistes, qui n’étaient pas tous socialistes : ces derniers avaient exprimé le souhait que l’innovation urbaine et la création architecturale soient encouragées dans nos villes en réservant, par exemple, 5 % de la surface urbanisable à l’évaluation des normes sur la base de leurs performances globales – confort, qualité de la vie, loyers et charges modérés, qualité et usage des espaces publics, etc. Ce serait une façon de redonner de la liberté à la création et de permettre la conception de nouvelles formes urbaines.
Le travail d’évaluation et de contrôle des normes peut constituer aussi une source d’économies, j’en ai donné un exemple tout à l’heure. Je souhaite insister sur la dématérialisation des documents administratifs, qui est une des clés pour réaliser ces économies.
Nous avons récemment adopté ici un texte consacrant le principe de la participation du public. Mesdames les ministres, j’ai voulu me rendre dès hier sur le site de la mission de lutte contre l’inflation normative, http://missionnormes.fr. Le moins que l’on puisse dire, premièrement, est que ce site a le mérite d’exister – positivons ! Deuxièmement, ce site ne fait que démarrer. Troisièmement, il s’adresse aux élus, mais il serait souhaitable qu’il vise un public plus large – je sais que telle est votre intention, madame la ministre, mais vous aurez ainsi l’occasion de nous le confirmer. Il me semble en effet que le public des élus locaux, que je suis par ailleurs chargé de représenter, est un peu trop restreint : nous aurions tout à gagner à ouvrir ce site aux associations, aux entreprises, aux représentants des syndicats professionnels, car les élus n’ont pas le monopole de l’expérience dans ce domaine.
Enfin, comme nombre de nos collègues, mesdames les ministres, je crois que, si vous voulez obtenir un résultat immédiat, il faudra suivre la proposition d’Alain Lambert concernant le déclassement : de nombreuses normes mériteraient aujourd’hui d’être déclassées, cette responsabilité incombant au Conseil constitutionnel, me semble-t-il. Une telle procédure aurait le mérite de remettre les pendules à l’heure.
Enfin, nous pourrions nous inspirer d’une expérience belge – je n’ai aucun mérite à vous en parler, puisque je suis « transfrontalier », si je puis dire –, appelée « test Kafka » : elle consiste, avant son adoption par le conseil des ministres, à soumettre toute nouvelle proposition de réglementation à une évaluation des charges administratives induites, du point de vue des élus comme des usagers. Nous pourrions utilement réfléchir à la mise en œuvre de tels tests, qui permettraient aux citoyens et aux entreprises de contribuer au débat sur la simplification des normes.
Quoi qu’il en soit, je tiens à saluer la qualité du travail réalisé. Je suis persuadé que nous avons eu mille fois raison de ne pas créer la trente-neuvième autorité administrative indépendante et de préférer placer le Conseil national d’évaluation des normes au cœur de l’exécutif. Nous aurons ainsi créé l’outil adapté pour les collectivités territoriales, il reste à creuser cette idée en faveur des entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Vincent Placé et Mme Jacqueline Gourault applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Bailly.
M. Dominique Bailly. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je consacrerai mon intervention aux normes sportives, car les collectivités locales sont aujourd’hui propriétaires de pratiquement 80 % des infrastructures sportives de notre pays, ce qui fait d’elles les premières sources de financement du sport.
En effet, les élus locaux ont su détecter le moteur que constitue le sport en matière de santé, de lien social, de développement local ou encore de notoriété des territoires. Les collectivités locales se sont saisies de ces enjeux qui, placés par François Hollande au cœur de la dernière campagne présidentielle, sont toujours d’actualité. Toutefois, beaucoup reste encore à accomplir pour garantir un accès égal de tous nos concitoyens à la pratique du sport, amateur ou professionnel. Tous les territoires ne sont pas équitablement dotés d’équipements sportifs : la comparaison avec nos voisins européens révèle que la France accuse un net retard en termes de petites, moyennes ou grandes infrastructures, notamment celles qui permettent d’accueillir des compétitions internationales. De plus, au cours du précédent quinquennat, l’État s’est considérablement désengagé en matière de politique sportive, laissant aux seules collectivités locales le soin d’assumer le poids financier de la gestion des équipements.
Or, et j’en arrive au débat d’aujourd’hui, les collectivités ont dû en parallèle faire face à une véritable inflation des normes, et des normes sportives en particulier. Les règles édictées par les fédérations sont en constante évolution et nécessitent des investissements importants de la part des collectivités, afin de mettre à niveau leurs équipements de base ; que dire des équipements pluridisciplinaires qui doivent réussir à concilier les normes des différentes fédérations sportives !
Il est urgent d’endiguer la croissance exponentielle des normes qui contraignent de nombreuses collectivités locales à abandonner leur politique sportive, malgré leur volonté affirmée, faute de moyens financiers suffisants, au grand regret de nos concitoyens.
À titre d’exemple, l’accession d’une équipe à un niveau de compétition supérieur peut entraîner des coûts très importants pour une collectivité locale.
M. Jean-Pierre Plancade. C’est sûr !
M. Dominique Bailly. En effet, afin d’accueillir des matchs de championnat, les fédérations compétentes exigent des équipements énormes. Ainsi, dans le cas de ma commune d’Orchies, l’équipe de basket accède au championnat « pro B » et il faut équiper le terrain de deux panneaux qui représentent un investissement de 32 000 euros : si celui-ci n’est pas réalisé, l’équipe reste à la porte du championnat ! Toutes les collectivités ne peuvent pas supporter de tels coûts.
Face à ce constat, le ministère des sports a créé, en 2009, la Commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, la CERFRES, qui a pour mission de rendre des avis sur les projets de règlements, élaborés par les fédérations, qui ont trait aux équipements requis pour accueillir les compétitions. La CERFRES veille, en particulier, à ce que les normes proposées soient proportionnées aux exigences de la discipline sportive concernée.
Si l’on peut se féliciter du bilan de cette commission, il convient toutefois d’en souligner les faiblesses. Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi présentée par M. Éric Doligé sur la simplification des normes, notre collègue Jacqueline Gourault a ainsi identifié trois problèmes majeurs : premièrement, le délai de deux mois laissé à la CERFRES pour examiner les projets de règlements et rendre son avis, jugé trop court ; deuxièmement, la faible représentation des élus locaux au sein de cette commission, en comparaison des représentants du monde sportif ou de l’administration ; troisièmement, la coordination entre la CERFRES et la Commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN. À cela s’ajoutent, entre autres éléments, des défauts récurrents de saisine préalable par les fédérations sportives.
Le texte que nous examinons aujourd’hui entend remédier à ces lacunes, et je m’en réjouis. Permettez-moi de saluer, comme les orateurs précédents, le travail effectué par les auteurs de ce texte, Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Pierre Sueur, par le rapporteur, M. Alain Richard, ainsi que par tous les membres de la commission des lois.
Cette proposition de loi prévoit en effet de transformer la CERFRES en une formation restreinte du Conseil national d’évaluation des normes. Cette disposition conforte l’existence juridique de cette commission, qui ne bénéficie actuellement que d’une existence réglementaire, en lui conférant une existence législative. En outre, les dispositions relatives à la CERFRES seront alors intégrées au code général des collectivités territoriales.
Autre élément important, ce texte prévoit de modifier la composition de la CERFRES : y seront désormais représentés les administrations compétentes de l’État, le Parlement ainsi que les collectivités territoriales et leurs établissements publics. De plus, cette proposition de loi dispose que les représentants des collectivités territoriales disposent d’au moins la moitié des sièges. Cette nouvelle donne permettra aux élus locaux de bénéficier d’une minorité de blocage dont ils ne disposent pas à l’heure actuelle !
Enfin, le présent texte double la durée du délai ouvert à la CERFRES pour rendre ses avis, passant de deux mois à quatre mois, ce qui devrait lui permettre d’approfondir l’expertise des normes qui lui sont soumises par les fédérations.
Pour conclure, au cours des états généraux de la démocratie territoriale, les élus locaux ont mis l’accent sur l’inflation normative et sur ses conséquences sur les politiques locales. Bien évidemment, les normes répondent à des exigences de sécurité et ont vocation à protéger, en matière sportive en particulier. Néanmoins, la multiplication des normes est à l’origine d’une importante complexification des procédures qui pèsent de plus en plus sur les élus locaux chargés de les appliquer au quotidien.
C’est pourquoi le texte que nous examinons aujourd’hui répond à une nécessité. En effet, il crée le Conseil national d’évaluation des normes, en se fondant sur les bilans positifs de la CCEN et de la CERFRES, mais surtout il renforce les pouvoirs de ces instances. Meilleure articulation et renforcement des moyens d’intervention existants : tel est l’état d’esprit dans lequel ont travaillé les auteurs de cette proposition de loi, et je m’en félicite ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jean-Vincent Placé et Jean-Pierre Plancade ainsi que Mme Jacqueline Gourault applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Néri.
M. Alain Néri. Madame la présidente, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons l’examen d’un texte demandé depuis longtemps, non seulement par les élus de ce pays, mais également par nos concitoyens.
Ce texte fait consensus, tous les orateurs l’ont dit : il faut absolument simplifier, clarifier et même – je ne crains pas d’être outrancier en le disant – balayer les écuries d’Augias de la norme excessive.
Talleyrand disait que tout ce qui est excessif est insignifiant ; en ce qui concerne les normes, c’est le contraire qui est vrai !
L’excès de normes ne tue pas la norme. Il est paralysant et trop coûteux. Il est également un sujet et une source d’insécurité pour nos concitoyens et nos élus, car les normes varient si souvent qu’on ne sait plus lesquelles doivent s’appliquer.
Nous sommes en train d’évoluer dans un maquis inextricable. Aussi, je me permets de saluer avec beaucoup de plaisir l’initiative prise par le Sénat, à la demande de son président, de décider de faire place nette. Elle réunit l’ensemble des sénateurs dans un consensus. J’espère que ce sera un premier pas.
Je salue, pour commencer, le changement de dénomination de l’organisme mis en place. L’intitulé « Haute autorité pour les normes applicables aux collectivités locales » ne me donnait pas du tout satisfaction. Comme les normes, les « Hautes autorités » sont, en effet, l’objet d’une inflation telle que tout finit par devenir Haute autorité ! Or j’ai la faiblesse de croire que, dans notre pays, il y a une seule Haute autorité : le Parlement, car il a la légitimité du suffrage universel.
M. Alain Richard, rapporteur. Le Gouvernement ne trouve pas grâce à ses yeux !
M. Alain Néri. Et dans une démocratie, rien n’est au-dessus du suffrage universel et de la légitimité de ceux qui en sont les dépositaires pendant la durée de leur mandat !
Cette accumulation de contraintes législatives et réglementaires, fruit d’une véritable frénésie – vous aviez dit, vous, madame la ministre, « incontinence »,…
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. À peu près.
M. Alain Néri. … « frénésie », « inflation » –, crée, dans notre pays, dans nos communes, un véritable désespoir, une exaspération, tant ces règles tatillonnes sont sources de problèmes quotidiens pour les élus et les citoyens. Certes, nous y avons tout de même participé largement, parfois par démagogie, lorsque nous avons voté, par exemple, l’inscription du principe de précaution dans le préambule de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous ne l’avons pas tous voté !
M. Alain Néri. Ce principe, qui est tout sauf un principe de précaution, est plutôt un principe de stérilisation des initiatives. Qui plus est, il nous met aujourd’hui dans une situation d’insécurité telle que l’on confond « précaution » et « principe de précaution ».
Je suis pour le fait de prendre des précautions, mais je suis contre le principe de précaution. Je vais prendre un exemple. Le Livradois, dans le Puy-de-Dôme, est une terre granitique. Chacun sait que ce qui serait extraordinaire, c’est de ne pas trouver d’arsenic dans une terre granitique ! Eh bien, au nom du principe de précaution, on a demandé aux communes de supprimer toutes les adductions d’eau qu’elles avaient réalisées sans demander un sou de subvention ni à l’État ni aux conseils généraux et de les remplacer par des tuyauteries de longueurs assez extraordinaires pour défigurer le paysage ! Car il fallait, pour monter l’eau jusque dans les plus petits villages, des pompes de relevage. Et l’arsenic contenu dans l’eau des sources, dans cette eau consommée depuis des années, voire des siècles, n’avait jamais tué personne ! Je dirais même, pour reprendre Jean Ferrat, que cette eau faisait « des centenaires à ne plus que savoir en faire » ! (Sourires.) Il faut donc appeler à la raison.
Une autre source d’excès a été évoquée tout à l’heure par notre collègue du Nord M. Dominique Bailly, elle concerne le domaine sportif. Il faut arrêter et rappeler que les conseilleurs ne sont pas forcément les payeurs,…
Mme Nathalie Goulet. Ils sont rarement les payeurs !
M. Alain Néri. … et que qui paye doit commander et que qui commande paye ! Madame la ministre, au titre de la dernière mesure – dont je ne sais si elle va rester longtemps en vigueur –, on nous a expliqué que, pour les matchs de basket, la zone de tir à trois points allait être agrandie de dix centimètres. C’est fondamental pour le jeu…
Mme Nathalie Goulet. Ah ! ça compte !
M. Alain Néri. Cela ne changera pas le résultat des matchs, mais cela va changer les ressources et les charges de nos communes. En effet, s’il faut retracer tous les terrains de basket où les gamins viennent jouer et où on fait de l’éducation sportive et de l’éducation sociale, eh bien, mes chers amis, je crois que le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle et qu’il faut appeler à davantage de bon sens ! Car ce que je voudrais surtout, c’est qu’on en revienne au bon sens, que toutes ces normes défient !
Et je crois, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, qu’il faut se demander pourquoi on en est arrivé là. Pour le comprendre, il faut savoir qu’il y a deux sources de normes.
Je commencerai par évoquer les normes législatives, qui sont les moins nombreuses, mais qui sont souvent très chères. Elles sont votées par le Parlement sans se soucier des conséquences sur les collectivités locales. Ainsi, il faut avoir le courage de le dire, si la loi sur l’accessibilité a été votée par le Parlement, c’est parce que le Gouvernement de l’époque était dans l’incapacité d’augmenter l’allocation pour les personnes handicapées. Alors, on s’est défaussé très largement sur les collectivités pour faire plaisir aux associations auxquelles on a expliqué qu’à défaut d’augmenter l’allocation, on allait leur donner l’accessibilité. Sauf que ce n’étaient pas les mêmes qui payaient et que ceux qui ont décidé n’étaient pas ceux qui étaient amenés à financer ce dispositif !
M. Éric Doligé. Ce n’est pas tout à fait ça !
M. Alain Néri. Il faut donc avoir, à un certain moment, le courage de revenir sur le caractère obligatoire. En effet, si ces normes sont d’application obligatoire, cela veut dire que si nous ne les respectons pas, si nous ne les appliquons pas, notre responsabilité pénale est engagée. Et les maires – c’est très souvent eux qui sont l’autorité concernée –sont dans cette situation inacceptable d’être soumis à des normes excessives dont le non-respect est susceptible d’entraîner une mise en cause leur responsabilité pénale. Et, à partir de là, nous avons, mes amis, une véritable tutelle, qui est inacceptable.
Cette tutelle est d’autant plus inacceptable, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que nous avons, me semble-t-il, une loi qui organise les collectivités locales dans ce pays, la loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation. Je me plais à rappeler son intitulé exact, tant il est exemplaire, il s’agit de « la loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ». Mais quand on veut parler des droits et libertés des communes, des départements et des régions, il est une chose incontournable, c’est les moyens financiers et les moyens juridiques pour exercer lesdites prérogatives. Il est précisé, dans l’article 72 de la Constitution, qu’« aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».
Et, là, on arrive quand même au bout du bout puisque ce sont les administrations qui exercent une tutelle sur les collectivités ! Les administrations prennent donc le pas sur les représentants du suffrage universel et des citoyens. Et si nous avons le courage de le dire, il faudra, à mon sens, avoir le courage de revoir tout ça, et de voter le retour à l’ordre normal des choses et de le faire respecter.
J’en viens aux normes européennes. Je suis profondément européen, je tiens à le préciser et je ne voudrais pas que mon intervention soit prise comme une mise en cause de l’Europe. Mais, enfin, je souhaite tout de même que nous gardions une certaine indépendance et une certaine latitude.
Ayons le courage de voir les choses en face ! Vice-président de l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion, en cette qualité, de participer à des réunions au cours desquelles le bureau de l’Assemblée nationale avait décidé d’organiser et de restreindre l’activité éventuelle des lobbyistes auprès des parlementaires. Je sais qu’il en va de même au Sénat. Il avait donc été dit que l’accès du Parlement serait restreint et contrôlé. Cependant, mes amis, au Parlement européen, il existe, au contraire un lobbying organisé, voire institutionnalisé, qui s’exprime dans le cadre du Comité européen des normes ! Composé d’industriels, il modifie, sous le prétexte de sécurité, les normes. Et il le fait souvent, et de façon très importante. Mais, en réalité, ne nous le cachons pas, l’objectif est d’alimenter et de grossir le chiffre d’affaires des industries que ses membres représentent ! Et il élabore un certain nombre de normes de modeste intérêt, mais qui varient plus souvent que le temps !
S’agissant de ces normes européennes, je crois qu’il nous faudra bien finir par faire savoir que le budget des collectivités territoriales n’est pas là pour financer l’augmentation des profits de ces industries et de ces lobbyings. Ce sont, en effet, toujours les collectivités locales qui paient la note ! Et, au bout du compte, ce sont nos concitoyens, nos contribuables locaux qui paient la note de décisions sur lesquelles nous n’avons aucune prise. Cela, c’est contraire à la démocratie telle que je le conçois !
Je crois qu’il faudra bien arriver…
M. Éric Doligé. À la fin de votre intervention !
M. Alain Néri. … à une situation dans laquelle toutes ces normes pourront être éradiquées et balayées. J’ai dit qu’il fallait balayer les écuries d’Augias. C’est par cela qu’il faut commencer ! Ensuite, il faut simplifier. Madame la ministre, vous me l’aviez dit à l’occasion d’une question que je vous avais posée. Le président Jean-Pierre Bel vient de le rappeler.
Où en est-on aujourd’hui (M. Éric Doligé marque son impatience.), alors qu’il y a, nous dit-on, 9 000 lois et 400 000 textes concernés par ces normes, ce qui coûte, chaque année, 2 milliards d’euros à nos concitoyens ? Il est temps de mettre un terme à cette frénésie !
M. Éric Doligé. Et de mettre un terme au débat !
M. Alain Néri. Par ailleurs, la Commission consultative d’évaluation des normes, émanation du Comité des finances locales, accepte, dans 90 cas sur 100, les normes, une fois de plus par peur de la mise en cause de la responsabilité pénale.
Mme la présidente. Il va falloir conclure, mon cher collègue !
M. Éric Doligé. La norme, c’était dix minutes !
M. Alain Néri. Je conclus, madame la présidente, ne soyez pas inquiète.
Sans mettre en cause le travail fait par la CCEN, qui reste insuffisant, je souhaite au Conseil national d’évaluation des normes bon vent, bonne chance, bonne représentativité. Qu’il prenne en compte le sens commun, comme les réalités quotidiennes de nos concitoyens et de nos collectivités, étranglées par cet excès de normes.
Je lui souhaite de devenir le lieu de rendez-vous du bon sens. Nous ferons ainsi un grand pas pour que notre pays connaisse le progrès, un progrès raisonné, quotidien, un progrès qu’on puisse se payer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Pierre Plancade et Mme Jacqueline Gourault applaudissent également.)
M. René Vandierendonck. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.