M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Vaste débat, auquel il faut répondre en deux minutes, donc je vais essayer de le faire très succinctement et, par conséquent, nous ne pourrons pas approfondir un certain nombre de sujets.
Tout d’abord, pour réussir le pari de la croissance, il faut un bon budget pour l’Union européenne. Il ne servirait à rien d’avoir négocié au mois de juin un plan de croissance de 120 milliards d’euros, pour se retrouver avec 200 milliards de coupes au mois de février lors de la négociation du budget de l’Union européenne. (M. André Gattolin opine.)
Ce budget – qui sera, je l’espère, négocié à la fin de la semaine – doit permettre de conduire de bonnes politiques de croissance. De ce point de vue, les politiques de croissance, telles qu’elles seraient dotées en application des propositions de la Commission, verraient leur budget augmenter – s’il n’y a pas de coupes supplémentaires – de près de 47 %. Le programme Connecting Europe verrait son budget augmenter de près de 400 %. Celui de la recherche, suivant les propositions de la Commission, serait porté de 50 milliards à 80 milliards d’euros. Il y a donc, sur la rubrique 1a, de réelles possibilités d’utiliser tous les leviers de croissance.
Ensuite, le marché intérieur doit être approfondi. Il n’y aura pas de croissance en Europe demain si nous ne profitons pas de la réforme du marché intérieur pour mettre en place l’harmonisation sociale et fiscale ainsi que de véritables politiques industrielles, et pour promouvoir un juste échange, c’est-à-dire refuser de voir nos marchés publics ouverts à des entreprises étrangères provenant d’États européens qui n’ouvrent pas leurs marchés à nos propres entreprises.
Toutes ces règles doivent prévaloir et, de ce point de vue, ce qui se passe au titre de la modification des directives européennes sur les marchés publics et les concessions va dans la bonne direction.
Enfin, il faut également remettre en ordre la finance – c’est un sujet que vous évoquez régulièrement. Cette remise en ordre, c’est l’achèvement, en 2013, de l’union bancaire – supervision bancaire, garantie des dépôts, résolution des crises bancaires ; c’est la possibilité, pour la Banque centrale européenne, de venir aux côtés du MES, le Mécanisme européen de stabilité, et du FESF, le Fonds européen de stabilité financière, sur le marché secondaire des dettes souveraines pour stopper la spéculation lorsque des États ne peuvent emprunter qu’à des taux d’intérêts élevés sur les marchés ; c’est la mise en œuvre de la recapitalisation directe des banques, après la mise en place de la supervision bancaire, pour couper le lien entre dette souveraine et dette bancaire.
Toutes ces politiques sont des politiques de croissance. Nous essayons de les mettre en œuvre au sein de l’Europe, en la réorientant.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le ministre, dans la perspective des négociations relatives au cadre financier pluriannuel pour la période 2014–2020, je souhaite vous interroger sur trois points.
Le premier concerne le fonds européen d'aide aux plus démunis, le FEAD. Dans un premier temps, la Commission a prévu d'allouer une enveloppe de 2,5 milliards d'euros pour la période 2014–2020, ce qui représente une baisse de 1 milliard par rapport à la période précédente.
Pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que la France fera tout pour que l'enveloppe destinée aux plus démunis ne soit pas réduite à la portion congrue, afin que les 18 millions d'Européens qui la perçoivent aujourd'hui continuent à bénéficier de notre solidarité ?
Par ailleurs, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en sont les travaux de la Commission européenne sur la lutte contre la fraude fiscale ? Le commissaire chargé de la fiscalité et de la fraude fiscale a en effet déclaré, la semaine dernière, vouloir porter plainte contre l'Autriche, qui vient de signer un accord fiscal avec le Liechtenstein afin de récupérer des impôts sur des fonds que ses citoyens y ont déposés, mais tout en préservant le secret bancaire.
À l'heure où tous les États de l'Union rencontrent des difficultés pour parvenir à l’équilibre budgétaire, la lutte contre la fraude fiscale doit aussi s’exercer au niveau européen pour être plus efficace.
Mon troisième point concerne le comportement de nos amis Allemands suite à l'engagement de la France au Mali. L'Allemagne, si prompte à la rigueur budgétaire, parfois – sinon souvent – donneuse de leçons, semble plus frileuse lorsqu'il s'agit de rigueur humanitaire.
L'intervention de la France, soutenue par la communauté internationale, contre un terrorisme finalement sans frontière, représentera un coût qui, logiquement, devrait être pris en considération dans le cadre des équilibres budgétaires au niveau européen, que ce soit à court, à moyen ou à long terme.
Quel est votre sentiment, monsieur le ministre, sur l'effort financier que nous sommes en droit d'attendre de la part de nos partenaires européens en général, et de nos amis Allemands en particulier ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Roland Courteau. Créé par Jacques Delors !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … a longtemps été alimenté par des surplus agricoles – il était donc financé au titre de la PAC. En conséquence de la diminution progressive des surplus agricoles, des fonds de l’Union européenne sont venus en relais. L’Allemagne, considérant alors que ce programme était devenu sans fondement légal, a saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour qu’il soit supprimé. La Cour a statué et, sur la base de la décision rendue, une discussion est intervenue entre la France et l’Allemagne au terme de laquelle le précédent gouvernement a accepté la suppression de ce programme et s’est même engagé à ne jamais demander qu’il soit rétabli à condition que, pendant un an – c'est-à-dire, au-delà des dernières échéances électorales –, on en poursuive la mise en œuvre.
Aujourd'hui, nous avons obtenu que ce programme soit à nouveau inscrit dans le budget de l’Union européenne, avec la volonté d’obtenir sa pérennisation – c’est la raison pour laquelle nous avons accepté qu’il soit prélevé sur l’enveloppe du Fonds social européen, le FSE. Il serait doté de 2,1 milliards d’euros, ce qui est un minimum ; nous avons reçu l’ensemble des associations caritatives, nous sommes mobilisés avec elles et avons demandé que ce programme soit porté à 2,5 milliards d’euros – j’espère qu’à la fin de la semaine nous y parviendrons.
J’en viens aux opérations au Mali. L’Europe y contribue à un double titre. D’une part, la conférence des donateurs qui s’est tenue à Addis-Abeba le 29 janvier dernier a conduit l’Union européenne à intervenir, au titre de ses contributions aux opérations de paix, à hauteur de 50 millions. Des pays de l’Union européenne, notamment l’Allemagne – je crois, à hauteur de 20 millions – ont également accepté d’abonder le budget dans le cadre de cette conférence des donateurs.
D’autre part, un certain nombre de pays de l’Union européenne contribuent à fournir des troupes à l’EUTM, qui est la structure qui assure la formation de la MISMA – la mission internationale de soutien au Mali – et des forces armées maliennes, pour qu’elles puissent prendre le relais de la France dans le rétablissement de l’intégrité territoriale du Mali.
Pour ce qui concerne l’Autriche, je profiterai peut-être d’une autre question sur la lutte contre les paradis fiscaux pour répondre à vos interrogations.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, j’évoquerai d’abord trois points à propos du cadre budgétaire.
Concernant les dépenses d’administration, la Commission voudrait les faire augmenter de 25 % en les portant à 60 milliards d’euros. Qu’en pensez-vous ?
Les dépenses liées à la politique étrangère de l’Union s’élèveraient à 60 milliards d’euros. Pensez-vous que ce montant soit cohérent avec la faible valeur ajoutée constatée en ce domaine, notamment à l’occasion de notre intervention au Mali ?
Quant à la politique de cohésion, il ne semble pas que les leçons de la période précédente aient porté, si j’en juge par les quelque 55 milliards d’euros qu’il a fallu redéployer – car non engagés –, dans le cadre du pacte de croissance de juillet dernier.
J’en viens à une autre question, celle de Chypre, qui présente un besoin d’assainissement financier. Cet État de l’Union ne fera plus ses fins de mois au-delà mars prochain. Le besoin de financement de la République de Chypre est de l’ordre de 17 milliards d’euros, soit l’équivalent de son PIB.
Allons-nous, monsieur le ministre, profiter de cette situation pour enfin soumettre à une conditionnalité l’octroi de cette aide financière ? Chypre a l’impôt sur les sociétés le plus bas de l’Union européenne ! Vous demandiez que l’on vous tende la perche en matière de paradis fiscaux… Arriverons-nous à faire ce que nous n’avons pas su – ou voulu – faire avec l’Irlande ? Est-il concevable de demander aux États qui contribuent d’accepter la concurrence déloyale d’États qui vivent sur des modèles fiscaux aussi éloignés du nôtre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Philippe Marini. Mais en deux minutes !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vais néanmoins essayer de répondre à toutes.
Concernant la rubrique 5 du budget de l’Union européenne, qui est consacrée aux frais de personnel – je confirme votre chiffre de 60 milliards d’euros –, nous considérons qu’il n’y a pas de raison que toutes les administrations fassent des efforts en redéployant leurs moyens, sans qu’il en aille de même pour la Commission.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Il ne faut pas pour autant prendre une position comparable à celle d’un certain nombre de nos partenaires européens, je pense notamment aux Britanniques, qui voudraient, sous couvert que la Commission fasse des efforts d’administration, aller jusqu’à supprimer l’administration. Nous souhaitons que l’administration européenne dispose d’un budget qui lui permette de fonctionner normalement.
En ce qui concerne la politique étrangère et la rubrique 4, nous estimons que l’on ne peut à la fois vouloir un service européen pour l’action extérieure et une politique étrangère de sécurité et de défense qui montent en puissance et couper les budgets justement au moment où en a besoin pour le Mali et sur d’autres théâtres d’opération. Je songe en particulier à la Syrie, car c’est sur cette rubrique 4 que sont prélevés les fonds d’action humanitaire, qui permettent de soutenir les 600 000 réfugiés syriens en grande souffrance.
S'agissant des fonds de cohésion, les 55 milliards d’euros non engagés résultent pour partie du décalage existant entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement qui fabrique ce qu’on appelle des « restes à liquider » en très grand nombre. Pour réduire ces derniers, il faut faire en sorte de limiter ce décalage. C’est la position française, que nous essaierons de défendre à la fin de la semaine.
Vous m’interrogez de nouveau sur Chypre. Il aurait été plus facile de demander un effort sur le taux d’impôt sur les sociétés de Chypre si un effort similaire avait été demandé à l’Irlande au moment de la négociation du mémorandum. Un autre gouvernement était alors aux affaires, et cela n’a pas été fait.
M. Philippe Marini. Nous n’avons pas été suivis ! C’est la preuve que vous faites mieux… (Mme Françoise Férat s’esclaffe.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous allons nous employer à faire mieux, monsieur le sénateur. D’ailleurs, sur un certain nombre de sujets, les résultats sont déjà là,…
M. Jean Bizet. Oh !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … mais je ne peux les détailler en deux minutes. (M. Jean Bizet s’exclame.)
Je veux simplement vous indiquer qu’une réflexion est conduite par le commissaire Semeta, dans le cadre du débat sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, l’ACCIS. Nous entendons profiter de cette réflexion pour harmoniser les assiettes d’impôt sur les sociétés à l’échelle européenne.
M. Philippe Marini. Ce n’est pas la question, tant s’en faut !
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, je n’y croyais plus ! D’ailleurs, les deux questions que je souhaitais aborder ayant déjà été posées par d’autres collègues, j’ai déjà obtenu des réponses.
Je remercie M. le ministre de sa réponse sur le fonds européen d’aide aux plus démunis. Ce fonds, qui s’élevait précédemment à 3,5 milliards d’euros, n’est plus que de 2,1 milliards d’euros, ce qui ressemble à une aumône. J’espère vigoureusement qu’il sera augmenté. Nous devons disposer d’outils de solidarité plus importants.
S'agissant de la politique agricole commune, sur laquelle M. Emorine m’a devancée, je rappellerai tout de même que les montants initialement prévus par la Commission en 2011 correspondaient, en euros courants, aux montants versés dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix lorsque l’Union comptait dix pays de moins. J’ajoute que la programmation future portera sur vingt-huit pays en comptant la Croatie. Si nous voulons atteindre les objectifs de compétitivité, de verdissement, il va falloir en tenir compte par une répartition plus équitable des aides.
J’en profite pour souligner qu’il serait temps de nous interroger sur l’utilité du maintien de droits à paiement unique, ou DPU, élevés dans des secteurs de production qui profitent de prix élevés – et qui en bénéficieront durablement, semble-t-il, d’après les prévisions. Je plaide en particulier en faveur d’une répartition plus favorable aux régions d’élevage, qui souffrent énormément.
Puisqu’il me reste encore quelques secondes de temps de parole, monsieur le ministre, je conclurai en disant qu’il faudrait enfin favoriser l’emploi dans l’agriculture. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la sénatrice, vous avez raison de rappeler que soutenir la politique agricole commune, c’est aussi soutenir l’emploi. Si les agriculteurs n’obtiennent pas un bon niveau d’aides directes au terme des négociations en cours sur le cadre financier, des centaines, voire des milliers, d’emplois pourraient disparaître.
Par ailleurs, vous avez raison de souligner que la politique agricole commune mérite d’être plus juste qu’elle ne l’a été jusqu’à présent, en particulier si nous voulons atteindre les objectifs de verdissement, à hauteur de 30 % et si nous voulons faire en sorte que les aides soient plafonnées. Si certains agriculteurs sont en grande difficulté – l’élevage, la production laitière ont été évoqués –, d’autres perçoivent des aides extrêmement importantes alors qu’ils disposent de revenus significatifs. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables, par-delà le « verdissement », au plafonnement des aides destinées à un certain nombre de grandes exploitations intensives. Nous sommes en outre favorables à la modification du dispositif d’aide dès le premier hectare, afin que de petites exploitations, actuellement en difficulté, qui contribuent à la dynamique agroalimentaire et à la dynamique d’emploi, soient très fortement aidées.
Enfin, si nous voulons une enveloppe significative, c’est pour permettre le verdissement, plus de justice et davantage de convergence entre les agriculteurs européens car les niveaux d’aide sont très différents. La convergence sera d’autant plus facile que le niveau d’aides directes sera élevé.
Justice, verdissement, équité entre les pays de l’Union européenne par la convergence des aides, cela suppose un niveau d’enveloppe d’aides directes significatif. C’est pourquoi nous avons demandé une augmentation de 8 milliards d’euros du budget que nous avons obtenue en novembre, et que nous voulons encore un rehaussement de ce niveau d’enveloppe afin de pouvoir atteindre les objectifs que je viens de vous indiquer.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président François Hollande est intervenu ce matin au Parlement européen en souhaitant une meilleure solidarité européenne entre les pays. Les présidents des principaux partis ont répondu que l’abondance de la PAC pour les agriculteurs français ne pouvait plus durer.
Pour les Allemands et les Britanniques, l’Union européenne ne doit pas soutenir les secteurs non concurrentiels. Il apparaît clairement que leur volonté est de réduire la politique agricole commune, qu’ils considèrent comme un élément de subvention d’une agriculture non compétitive. Or le premier bénéficiaire de la manne agricole européenne, comme nous le savons, est la France.
Dans le débat budgétaire européen d’aujourd’hui et de demain, la question agricole ne risque-t-elle pas de devenir une variable d’ajustement ? L’Europe deviendra-t-elle alors une zone où jouera pleinement la concurrence ? Dans ce cas, pour que notre agriculture survive, il faudra aborder tout ce qui provoque des distorsions de concurrence au niveau européen. Je pense en particulier à l’absence d’un cadre européen de protection sociale.
Le coût horaire en France est le plus élevé du monde agricole ; un producteur allemand, espagnol, belge, produit autant avec un coût du travail très inférieur. Les Allemands font appel à une main-d’œuvre étrangère. Ainsi, un travailleur saisonnier pour un maraîcher français est 80 % plus cher que pour un maraîcher allemand.
C’est la raison pour laquelle, sans traiter la problématique sociale, l’approche économique ouvre la porte à une concurrence sauvage et régressive sur le plan humain.
Quelles solutions pourrions-nous envisager pour freiner une concurrence déloyale de sociétés émanant d’autres pays européens qui, sous couvert de prestations de services à bas prix, occupent des emplois dans les secteurs du bâtiment, des travaux publics et de l’agroalimentaire ? D’année en année, les effectifs ne cessent d’augmenter, ce qui n’est pas sans incidence en termes de chômage. Par conséquent, une approche économique qui négligerait l’aspect social me paraît délicate.
Alors que les Britanniques réclament toujours une réduction des dépenses européennes et que les Allemands semblent avoir une position très proche en défendant la flexibilité sociale et la compétitivité, comment le pacte de croissance européen de 120 milliards d’euros promis par notre gouvernement trouve-t-il sa place ? Notre taux de croissance est toujours pratiquement nul, alors où en est la promesse française ? S’agit-il simplement de renflouer la Banque européenne d’investissement et d’inscrire le reste dans un cadre financier pluriannuel d’ajustement budgétaire ? (M. Jean Arthuis applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Votre question comporte beaucoup de questions.
La politique agricole commune est l’une des grandes politiques communautaires. C’est même la politique la plus intégrée, c’est la raison pour laquelle il nous paraît souhaitable qu’elle soit correctement dotée.
Vous avez raison d’indiquer qu’un bon niveau d’enveloppe pour la politique agricole commune, dans un contexte de distorsions de concurrence extrêmement importantes au sein de l’Union européenne, ne suffira pas à assurer un dynamisme équilibré de l’agriculture au sein de l’Union. Il ne sera pas possible de réduire les distorsions de concurrence entre les agricultures française et allemande sans harmonisation sociale. C’est pourquoi nous souhaitons que figure, au sein de la réflexion sur l’acte II du marché unique, l’harmonisation sociale et fiscale. Nous recherchons un processus d’harmonisation européenne sur la portabilité des droits sociaux, la garantie des qualifications professionnelles et le salaire minimum garanti, sans lequel les distorsions de concurrence que vous venez légitimement d’évoquer continueront de se produire au détriment des pays appliquant le plus haut niveau de protection sociale et les règles environnementales les plus exigeantes. Voilà pour le premier point.
Vous me demandez ensuite comment produire de la croissance et notamment où en est le pacte de croissance européen.
Ce pacte de croissance de 120 milliards d’euros comprend 55 milliards d’euros de fonds structurels mobilisables sur tous les pays de l’Union européenne. Pour nous, cela représente 3 milliards d’euros, qui permettent par exemple de réaliser des investissements sur les bâtiments d’habitat social en Champagne-Ardenne pour diminuer la consommation d’énergie ou de financer de l’énergie solaire en région Aquitaine. Nous pourrions ainsi décliner très précisément, région par région, les actions soutenues. Un ensemble de projets relevant de la transition énergétique, des transports propres, de l’équipement numérique du territoire vont émarger auprès de la BEI, dont nous attendons un retour de 7 milliards d’euros. Au total, cela représente déjà 10 milliards d’euros. Les project bonds viendront ensuite accompagner ces opérations.
C’est vous dire qu’en France – et j’en rendrai compte devant le Parlement – le plan de croissance, ce sont des actions concrètes, financées dans chaque région et qui peuvent être portées à la connaissance de la représentation nationale, laquelle pourra ainsi percevoir, derrière ce plan, une volonté et des actions précises.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette veille de Conseil européen, nous espérons, chacun l’a souligné, un compromis sur le budget européen. C’est une nécessité politique ; c’est aussi le préalable à une action déterminée de l’Europe.
Pour autant, plusieurs interrogations demeurent. Je vous les livre dans les deux minutes qui me sont imparties.
Tout d'abord, parce que nous regrettons, par principe, un budget en baisse, nous vous demandons quelle est la position de la France – vous avez déjà en partie répondu, monsieur le ministre – face aux propositions sur la table de capacité budgétaire autonome pour la zone euro, car cela va devenir à court terme le moyen de préserver le projet européen.
Ensuite, dans le contexte actuel de ressources rares, il faut redoubler de vigilance sur la bonne utilisation de ces fonds. Ceux-ci doivent être destinés prioritairement à des politiques communes d’avenir qui nourriront la croissance et, au-delà de la politique agricole commune, des fonds structurels, une grande politique de recherche européenne, une grande politique de l’énergie, une politique des infrastructures et une politique de soutien aux PME innovantes. Comment comptez-vous agir précisément pour répondre à cette nécessité, au-delà des seules déclarations sur « le pacte pour la croissance » ? M. Joseph Daul interpellait ce matin le Président de la République à ce sujet en des termes un peu plus musclés que les miens.
Par ailleurs, ne doit-on pas également et surtout chercher à réaliser des économies et à mutualiser certaines dépenses, je pense notamment à des chevauchements entre agences nationales et européennes ? Nous obtiendrions là, au-delà des économies, une meilleure intégration et une meilleure lisibilité de l’Union européenne. Personnellement, j’ai quelques idées sur ce point et j’aimerais que l’on favorise des économies en la matière.
Enfin, un budget est nécessairement lié à des choix de politique économique. Néanmoins, sont reportées les négociations sur la convergence économique et la contractualisation « réformes structurelles contre financements européens ». Quelle sera la position de négociation de la France ? Aura-t-elle d’ailleurs une marge de manœuvre, car si la majorité à laquelle vous appartenez, monsieur le ministre, a quelque peu évolué sur la ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – comme nous nous y étions engagés, nous vous avons donné un coup de main –,…
M. Philippe Marini. Un bon coup de main !
M. Jean Bizet. … la compétitivité ou la flexisécurité sur le marché du travail – ce sera un peu plus difficile –, certains économistes présagent que nous ne respecterons vraisemblablement pas, cette année, les critères européens de déficit public.
Nous aimerions, sur ces différents points, avoir votre analyse.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, vous voulez un bon budget de croissance pour l’Europe. Je me permets de vous rappeler, bien que vous l’ayez certainement à l’esprit, que le précédent gouvernement était aligné sur la position britannique : il voulait 200 milliards d’euros de coupes budgétaires ! Dans le club des contributeurs nets auquel nous appartenons, également qualifié de « club like-minded » ou de « club des radins », beaucoup de nos partenaires, parmi lesquels les Suédois et les Britanniques, se sont émus de voir le gouvernement actuel changer la position du précédent gouvernement qui était qualifiée de raisonnable. Eh bien, nous, nous ne voulons plus de coupes de 200 milliards d’euros !
Je me réjouis aujourd’hui de vous voir demander un bon budget, mais vous avez soutenu pendant des années un gouvernement qui, je le répète, demandait 200 milliards d’euros de coupes, comme le gouvernement britannique. Nous avons changé de position. Dans ces conditions, il sera plus facile pour nous d’obtenir un bon budget que cela l’aurait été pour le précédent gouvernement.
M. Philippe Marini. Il faudra bien contrôler son exécution !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En tous les cas, c’est vérifiable, et c’est la réalité.
Ce bon budget pour la croissance doit, comme vous l’avez dit à juste titre, monsieur le sénateur, financer les politiques dont vous avez parlé – la recherche, Erasmus, qu’a évoqué tout à l’heure Jean Arthuis, les grands programmes de recherche GMES et ITER, le programme d’aide aux PME-PMI les plus innovantes, le programme COSME.
Dans les propositions qui nous sont faites aujourd'hui, le budget passe de 97 milliards d’euros – c’était la mouture précédente – à 139 milliards d’euros au titre de la rubrique 1a, qui regroupe les politiques que vous souhaitez que l’on soutienne. Nous avons beaucoup insisté pour que le budget de cette rubrique augmente, afin d’atteindre les objectifs que vous avez évoqués. Si nous ne voulons pas de coupes supplémentaires dans le budget de l’Union européenne pour la période 2014–2020, c’est pour que ces politiques puissent être financées sans préjudice pour la politique de cohésion et pour la politique agricole commune.
Dans la mesure où vous avez dépassé votre temps de parole, monsieur le sénateur, je ferai de même afin de répondre à la dernière partie de votre question.
Nous avons fait des propositions en matière de contractualisation lors du Conseil européen du mois de novembre. Elles ont été prises en compte. On nous proposait alors une contractualisation « réforme structurelle pure » venant s’ajouter à la discipline budgétaire pure du TSCG, ce qui aurait transformé l’Europe en une maison de redressement.
Pour notre part, nous voulons de la croissance et une contractualisation qui soit une contractualisation de compétitivité et de croissance. Autrement dit, la contractualisation doit comporter les réformes structurelles et les grandes politiques de croissance dont l’Europe a besoin pour que la récession ne devienne pas, avec l’austérité, l’horizon indépassable de l’Union européenne.