M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, ce soir, nous débattons du projet de loi portant création du contrat de génération, c'est-à-dire du trente-troisième engagement du candidat François Hollande, devenu Président de la République.
Afin de faire plaisir au groupe UMP,…
M. André Reichardt. Ah !
M. Ronan Kerdraon. … permettez-moi de rappeler les termes de cet engagement : « Je proposerai un contrat de génération pour permettre l’embauche par les entreprises, en contrat à durée indéterminée, de jeunes, accompagnés par un salarié plus expérimenté, qui sera ainsi maintenu dans l’emploi jusqu’à son départ à la retraite. Ce “tutorat” permettra de préserver des savoir-faire et d’intégrer durablement les jeunes dans la vie professionnelle. »
Lors de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012, le Président de la République a proposé aux partenaires sociaux, dans son discours inaugural, de négocier sur ce type de contrat.
De fait, ce texte s’inscrit dans la bataille pour l’emploi que mène le Gouvernement depuis mai 2012.
Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, c’est une belle idée, n’en déplaise à Mme Debré, car il vient en appui de l’alternance et de l’apprentissage, dont il est le complément.
La situation de l’emploi est, en effet, particulièrement préoccupante. Le chômage atteint un niveau historiquement élevé. La réalité est cruelle : la barre des trois millions de chômeurs a été dépassée, soit près de 10 % de la population active.
La responsabilité politique de l’actuelle opposition est écrasante.
M. André Reichardt. Bien sûr…
M. Ronan Kerdraon. Ce sont toujours les mêmes catégories sociales, les mêmes classes d’âges et, souvent, les mêmes territoires qui sont touchés.
Le texte dont nous débattons fait suite au projet de loi sur les emplois d’avenir, qui permet de remettre le pied à l’étrier à des jeunes avec peu ou pas de qualification.
Le principe du dispositif est simple : inciter, à travers une aide publique, les entreprises à embaucher un jeune tout en maintenant un senior dans l’emploi.
Sa force réside dans le fait qu’il est issu du dialogue social, remis à l’ordre du jour par notre gouvernement, messieurs les ministres.
En seulement un mois de discussions, syndicats et patronat sont parvenus à un accord sur la mise en œuvre des contrats de génération. Le Gouvernement avait fixé le cahier des charges et les partenaires sociaux ont précisé le dispositif.
La chose est suffisamment rare pour être soulignée : le projet de loi est la transcription d’un accord national signé par les cinq confédérations syndicales de salariés et les organisations d’employeurs. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Cette méthode mérite d’être saluée et encouragée, car elle est exemplaire. Elle reste porteuse d’avenir !
Le projet de loi apporte une réponse forte à ce qui est l’une des plaies récurrentes de notre marché du travail depuis de trop nombreuses années : le chômage excessif des jeunes et des seniors.
Son originalité, sa spécificité réside en effet dans le fait qu’il allie les âges : les jeunes et les seniors. Ce sont eux les premières victimes de la crise que nous traversons et de la précarisation accrue du marché du travail.
Aux deux extrémités de la pyramide des âges, l’accès à l’emploi est parsemé de multiples obstacles que, jusqu’à présent, les dispositifs imaginés ne sont pas parvenus à lever.
Dans les deux cas, c’est bien la question de l’utilité sociale qui se pose. Comment se sentir utile à notre société ? Comment avoir le sentiment d’en être un véritable acteur ?
Mes chers collègues, nous le savons tous, le fait d’avoir un emploi conditionne toute une vie : la capacité à acquérir un logement, à fonder une famille, à participer aux frais de scolarité ou d’études de ses enfants.
Avoir un emploi conditionne aussi le regard que les autres, en particulier les proches, portent sur votre situation.
C’est en ce sens aussi que le contrat de génération propose un changement de regard.
Les réponses pour relever le défi du chômage, mes chers collègues, ne peuvent provenir que de la politique de l’emploi et de la politique économique générale.
J’évoquais précédemment les emplois d’avenir. Lors du débat, à cette tribune, j’avais formulé le regret que ces emplois ne soient pas comptabilisés dans les effectifs de l’entreprise. Leur prise en compte aurait sans doute contribué à une meilleure insertion des jeunes dans le monde du travail et de l’entreprise.
Aussi, je me réjouis qu’il n’en soit pas de même pour les contrats de génération, en raison de la nature même de ces contrats, qui sont des CDI.
Lors de la discussion sur les emplois d’avenir, nous avons tous fait le même constat : l’emploi des jeunes est particulièrement préoccupant et la situation de ces derniers est alarmante.
Songez, mes chers collègues, qu’un jeune actif sur quatre est au chômage et que près de 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme !
Il s’agissait donc d’offrir une première expérience professionnelle réussie à une jeunesse souffrant d’un manque de formation.
Pour autant – et je l’ai souligné lors d’un récent débat –, il ne faut pas oublier les difficultés spécifiques rencontrées par un certain nombre de jeunes diplômés.
Selon l’Association pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés, l’AFIJ, près d’un tiers de ces jeunes diplômés de l’année 2011 n’ont occupé aucun poste depuis la fin de leurs études.
De plus, il convient de noter que 42 % de ceux qui étaient employés l’étaient au titre d’un contrat précaire, c’est-à-dire au titre d’un contrat à durée déterminée ou d’une mission d’intérim de moins de six mois.
Nous constatons ici la précarisation des jeunes, diplômés ou non, qui oscillent entre des périodes de chômage et d’emploi, des emplois qu’ils qualifient eux-mêmes d’« alimentaires ».
La moitié des salariés embauchés en contrat à durée déterminée, en stage ou en apprentissage, ont moins de vingt-neuf ans. En outre, les jeunes servent régulièrement de variable d’ajustement des effectifs en périodes de crise.
Dans ce domaine comme dans d’autres, le précédent gouvernement a failli. Aussi fallait-il renouer le dialogue avec les partenaires sociaux, les régions, élaborer des stratégies de confiance pour redonner à la jeunesse une vision plus positive et moins sombre de l’avenir, de son avenir.
La situation n’était plus admissible, car ce sont les jeunes, avec les seniors, qui grossissent les cohortes de chômeurs.
Venons-en maintenant à la seconde problématique, l’emploi des seniors.
En France, leur taux d’activité, environ 40 %, est l’un des plus faibles d’Europe, contre 70 % en Suède et 57 % au Royaume-Uni. Nous restons très en deçà de l’objectif des 50 % qui avait été fixé par la stratégie de Lisbonne pour 2010.
Mal aimés des entreprises, les seniors sont souvent écartés des plans d’évolution de carrière, voire poussés vers la sortie. Jean Desessard l’a très bien démontré tout à l’heure.
Pourtant, l’emploi des seniors est crucial, car de moins en moins de salariés ont suffisamment cotisé pour prendre leur retraite à l’âge légal.
Il n’en demeure pas moins que, d’après une récente étude de France Retraite et d’Add’if, qu’a citée Isabelle Debré, près de la moitié des directeurs de ressources humaines ont pour priorité l’emploi de seniors.
Mes chers collègues, nous ne pouvons que nous réjouir de cette prise de conscience. Encore faut-il, me direz-vous, la traduire en actes. Le contrat de génération constitue une réponse adaptée qui favorisera, chers collègues de l’opposition, le maintien des seniors au sein de leur entreprise.
Paul Bourget écrivait ceci : « Vérité sociale profonde : il n’y a d’accroissement de la force d’un pays, que si les efforts des générations s’additionnent ».
Les politiques publiques en faveur de l’emploi des seniors se sont, au fil des années, accumulées, avec plus ou moins de succès, il faut le reconnaître. L’une des dernières en date, à savoir les « accords seniors », initiés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, instituait l’obligation de négocier un accord d’entreprise ou de branche sur l’emploi des seniors sous peine de se voir infliger une pénalité représentant 1 % de la masse salariale.
Si les 34 200 plans d’action et accords d’entreprise et les 90 accords de branche semblent attester la réussite du dispositif, en réalité, le bilan, sur le fond, est plus beaucoup plus contrasté. Ces accords n’ont, en effet, que rarement pris en compte la gestion des âges au sein de l’entreprise.
Le texte qui nous est proposé répond à un double objectif : encourager l’emploi de la jeunesse, dont le taux de chômage atteint presque 25 % et pour laquelle trois quarts des embauches sont précaires, sans pour autant marginaliser les seniors, qui se voient parfois licencier aux portes de leur retraite et sans espoir de retour à l’emploi.
Dans ses modalités, il prévoit que toute entreprise qui signe un contrat de ce type avec un jeune de moins de vingt-six ans, ou de trente ans s’il est en situation de handicap, et s’engage à maintenir dans l’emploi un salarié de plus de cinquante-cinq ans bénéficiera en contrepartie d’une aide financière.
De ce fait, et vous serez tous d’accord avec moi, mes chers collègues, les enjeux et les défis ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit d’une petite entreprise familiale, d’une PME ou d’une grande entreprise. C’est pourquoi le dispositif prévoit des modulations en fonction de la taille des entreprises.
Le contrat de génération est porteur d’une innovation pour la transmission des petites entreprises et le maintien du tissu économique. Le principe est qu’un contrat pourra être conclu par un chef d’entreprise de cinquante-sept ans et plus, embauchant un jeune en CDI en vue de lui transmettre son entreprise.
Cette possibilité est particulièrement adaptée aux petits artisans qui n’ont pas d’héritier ni de repreneur. Elle répond à un vrai besoin économique. Je peux en témoigner, plusieurs artisans costarmoricains m’ayant fait part de leur intérêt pour cette disposition.
Vous le voyez, madame Debré, la majorité n’est pas hostile aux entreprises !
Oui, mes chers collègues, nous devons enfin parvenir à inverser la courbe du chômage, car le parcours d’un salarié est rythmé par toute une série de difficultés qu’il se doit de contourner : multiplier les petits emplois avant de décrocher un emploi stable, connaître des périodes de chômage, le rallongement de l’âge de la retraite, les baisses de rémunérations, etc.
Les répercussions sur le plan social de ces parcours, de ces vies actives plus que chaotiques, sont souvent dramatiques.
Bien sûr, nous en sommes tous persuadés, la politique de lutte contre le chômage ne pourra se résumer au seul contrat de génération. D’autres dispositifs devront venir se greffer pour enrichir et consolider notre action déterminée dans la bataille de l’emploi.
Cette politique de lutte contre le chômage relève aussi de la mobilisation de chacun et nécessite l’activation de multiples leviers.
En ce domaine comme dans bien d’autres, il ne faut jamais renoncer, jamais se priver d’imagination. Et, en la matière, le contrat de génération est un outil innovant et pertinent.
Ce pacte intergénérationnel constitue un dispositif ambitieux, indispensable, qui doit amener les entreprises à mettre en place une véritable dynamique de gestion active des âges.
Dans la panoplie des moyens disponibles pour favoriser l’insertion professionnelle des jeunes, le contrat de génération tiendra donc une place de choix aux côtés des emplois d’avenir.
Notre pays se prive trop souvent de compétences et de ressources en maintenant les jeunes et les seniors à l’écart de l’emploi. Le contrat de génération a une vocation résolument transgénérationnelle en incitant à l’emploi des jeunes dans les entreprises.
Comme le disait Marcel Aymé, « Peut-être le décalage entre générations est-il beaucoup plus dans la forme que dans le fond »…
M. André Reichardt. Ah !
M. Ronan Kerdraon. Le contrat de génération s’adaptera à la situation de chaque entreprise en faisant une large place au dialogue social dans sa mise en œuvre.
Des modalités adaptées à la taille des entreprises sont ainsi prévues. Les entreprises de trois cents salariés et plus devront négocier des engagements portant sur l’embauche et l’intégration des jeunes dans l’entreprise, l’emploi des seniors et la transmission des compétences, sous peine d’être soumises à une pénalité.
Les entreprises de moins de trois cents salariés pourront par ailleurs bénéficier d’une aide lorsqu’elles embaucheront en contrat à durée indéterminée un jeune de moins de vingt-six ans et maintiendront dans l’emploi un senior de cinquante-sept ans et plus.
Pour les entreprises dont l’effectif est compris entre cinquante et trois cents salariés, qui se trouvent dans une situation intermédiaire, le bénéfice de l’aide sera subordonné à la recherche d’un accord collectif.
On le voit, le contrat de génération allie le soutien à la compétitivité et le développement des compétences à la nécessaire inclusion des jeunes et des seniors dans l’emploi.
La transmission des savoirs et des compétences dans l’entreprise peut recouvrir des modalités diverses selon les caractéristiques propres de l’entreprise. Citons parmi celles-ci le binôme d’échange de compétences entre salariés, la mise en place d’un référent et des conditions d’accueil du jeune par celui-ci, l’organisation de la pluralité des âges au sein des équipes de travail et l’organisation de la charge de travail du référent.
Le contrat de génération vise à changer le regard sur les âges, à infléchir les pratiques des entreprises et à refaire enfin du contrat à durée indéterminée la norme.
Il est à noter, mes chers collègues, une réalité, une aberration. En effet, plus la taille de l’entreprise augmente et plus la proportion d’embauches de jeunes en CDI diminue.
Le contrat de génération propose un pacte entre les générations afin de maintenir dans l’emploi les cinq millions de salariés dits « âgés » qui partiront à la retraite d’ici à 2020 et de faciliter l’entrée dans la vie active de six millions de jeunes.
Après une montée en charge progressive la première année, environ 100 000 contrats de génération pourraient faire l’objet d’une aide chaque année, soit 500 000 en cinq ans.
Ce dispositif sera financé par des crédits budgétaires, dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Le coût total est estimé à 900 millions d’euros sur trois ans et plus de 400 millions d’euros seront consacrés aux petites entreprises.
Contrairement aux emplois d’avenir, ce contrat de génération s’adresse à tous les jeunes et à toutes les entreprises.
Je dirai un mot de l’article 5 bis de ce projet de loi, qui prévoit d’augmenter le nombre des inspecteurs du travail. En effet, 15 % des contrôleurs pourront devenir inspecteurs. Or certains syndicats redoutent l’extinction du corps des contrôleurs du travail alors qu’ils réclament une vraie reconnaissance de ce corps et non son extinction.
Cet article, inséré par l’Assemblée nationale, semble susciter quelques inquiétudes. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser vos réflexions pour adapter l’inspection du travail au nouveau contexte économique et social auquel elle est confrontée ?
Nous sommes tous d’accord pour déplorer le véritable gâchis en termes d’emploi que nous connaissons aujourd’hui. Alors, oui, messieurs les ministres, il était urgent de prendre la question de l’emploi des jeunes et des seniors à bras-le-corps.
Mes chers collègues, c’est à cette tâche que le Gouvernement s’est attelé et c’est avec enthousiasme que le groupe socialiste lui apportera son entier soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le ministre, je reviens quelques semaines en arrière lorsque, à l’occasion du débat sur les fameux emplois d’avenir, le groupe UMP vous avait demandé d’ouvrir ce dispositif au secteur marchand. Vous nous aviez alors répondu : attendez la discussion du projet de loi portant création du contrat de génération, vous aurez la réponse et vous ne serez pas déçus !
Il est bien évident que toute mesure qui peut contribuer à lutter contre le fléau du chômage, surtout si elle concerne les deux extrémités de la pyramide des âges, ne peut qu’être intéressante et doit être encouragée, si elle est efficace.
Malheureusement, force est de constater que l’espoir que vous aviez fait naître dans nos esprits est aujourd’hui déçu. Pour ma part, comme de nombreux collègues de mon groupe, je considère que ce dispositif est fragmentaire, compliqué et coûteux.
Plutôt que de paraphraser les propos d’Isabelle Debré, je centrerai mon propos sur deux des griefs principaux que l’on peut formuler contre ce texte.
En premier lieu, contrairement à ce que le titre d’appel pourrait laisser croire, le projet de loi ne vise pas à instituer un tutorat direct. Tout à l’heure, un de nos collègues a cité les propos que le Président de la République a tenus au cours de la campagne électorale, mais il a oublié de préciser que le candidat avait alors déclaré que le senior devrait consacrer entre un tiers et un quart de son temps aux plus jeunes. Or, dans le contrat qui nous est proposé, s’il y a bien une corrélation entre la création quantitative d’un emploi jeune et d’un emploi senior, il n’y a pas de lien direct de tutorat pour transmettre le savoir.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Jean-Noël Cardoux. En second lieu, il suffit d’écouter les interventions des uns et des autres ou de lire les amendements qui ont été déposés par la majorité pour constater que le dispositif est assorti de contraintes administratives et financières considérables : il n’est question que d’interdiction, de pénalité, d’évaluation, de contrôle, ce contrôle qu’exerceront bientôt les contrôleurs du travail qui seront devenus inspecteurs. D’un côté, on ouvre un certain nombre de dispositifs aux entreprises mais, dans le même temps, tout est fait pour leur mettre des bâtons dans les roues, parce que malheureusement, il faut bien le constater, il semblerait que, dans vos esprits, toute entreprise, tout entrepreneur soient a priori suspects.
M. Jean-Noël Cardoux. Non, monsieur le ministre, je suis parfaitement lucide, c’est ce que je ressens à l’écoute de vos propos ! Je n’ai pas voulu compter le nombre de fois où le mot « pénalité » a été prononcé, mais le résultat aurait sans doute été intéressant. Les amendements du groupe UMP auront notamment pour objet de corriger un peu le tir.
J’en viens à l’aspect financier, qui a été évoqué tout à l’heure. Je commencerai par une question, monsieur le ministre. Peut-être ai-je mal entendu, mais vous avez évalué à 500 000 le nombre d’emplois concernés. J’ai cru entendre que le coût serait de un milliard d’euros tous les ans, mais je crois comprendre qu’il sera de un milliard d’euros sur cinq ans, si je me fie à un calcul simple : 500 000 emplois pour un coût de 2 000 euros par emploi. J’attends que vous me répondiez sur ce point.
M. Jean-Noël Cardoux. Vous m’expliquerez, parce que j’ai souvent du mal à compter. (Nouveaux sourires.)
Mme Isabelle Debré. C’est par an en année de croisière !
M. Jean-Noël Cardoux. Mme Jouanno a abordé tout à l’heure le problème de la fiscalité. Nous vous avions demandé, monsieur le ministre, si la somme allouée aux entreprises serait comprise dans la base imposable au titre de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu. Vous n’avez pas répondu.
M. Jean-Noël Cardoux. Vous nous la donnerez. Pour ma part, j’ai tendance à répondre par l’affirmative. En effet, le code général des impôts est très explicite. Tout produit exceptionnel – c’est le cas ici – doit être compris dans la base imposable, sauf si une disposition expresse l’en dispense. Là encore, j’attends votre réponse avec impatience.
Je me livrerai maintenant à un petit calcul. Supposons que le taux soit de 30 %, les 2 000 euros ne font plus alors que 1 400 euros ! Si l’on fait une comparaison avec à un salaire normal, soit environ 1 500 euros par mois pour un jeune qui débute, on se rend compte que l’avantage pour nos entreprises serait compris entre 8 % et 10 % du salaire, et même plutôt 8 %. Et la mesure va coûter un milliard d’euros à l’État !
Je considère pour ma part que d’autres solutions pouvaient s’intégrer dans un système centré sur le développement de la compétitivité des entreprises. L’une d’elles a été évoquée tout à l’heure, mais j’y reviens, car c’est mon cheval de bataille : il s’agit de la fameuse « TVA compétitivité », que vous avez abrogée il y a peu, mais que vous réintroduisez timidement en loi de finances pour des questions d’équilibre budgétaire.
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
M. Jean-Noël Cardoux. Un jour ou l’autre, il faudra sauter le pas, car cette taxe permettrait de financer des exonérations, des réductions de charges sur les salaires comprises entre 5 % et 6 % selon les taux retenus, sans que cela coûte un sou à l’État.
On nous oppose souvent l’argument que cette taxe freinerait la consommation et pénaliserait les consommateurs. Je réponds, comme je l’ai déjà fait, par la négative, car il est possible de pratiquer des taux sélectifs : des taux bas pour les produits de consommation courante et de première nécessité, des taux élevés, pouvant aller jusqu’à 25 %, pour les produits haut de gamme ou de luxe, voire pour les produits que l’on voudrait retirer du marché du fait, par exemple, de leur effet négatif sur l’environnement.
M. Jean Desessard. J’aurais aimé entendre cela il y a un an !
M. Jean-Noël Cardoux. Cette taxe est la seule solution. Certains d’entre vous l’ont d’ailleurs admis. Quelques pays l’ont appliquée. Je sais que toute référence à l’ancien gouvernement fait pousser des hurlements aux membres de la majorité, néanmoins, je considère que c’est la seule solution possible.
Je souhaite que l’on remette un jour la TVA-compétitivité sur le tapis. Si vous le faisiez, nous serions prêts à vous soutenir, vous ou vos successeurs. C’est le seul moyen à notre disposition pour infléchir de manière importante le coût du travail dans notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, avec la discussion du projet de loi instaurant le contrat de génération nous sommes, j’en suis convaincue, à un moment important de la présente mandature.
On a trop souvent tendance, dans notre pays, à opposer les générations entre elles. Voilà un texte qui a pour ambition de faciliter l’insertion des jeunes en s’appuyant sur l’expérience des seniors qui, par le biais d’une vraie mission de passage de témoin, pourront quitter progressivement le monde professionnel.
J’ai été déléguée syndicale et je reste au plus profond de moi-même une syndicaliste convaincue de la nécessité et de la primauté du dialogue social.
Comment ne pas se réjouir que le texte qui nous est soumis résulte d’un accord social, conclu sous l’impulsion du Gouvernement? Les partenaires sociaux, à la suite de la conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012, ont en effet signé à l’unanimité l’accord national interprofessionnel du 19 octobre 2012 relatif au contrat de génération. Le projet de loi en reprend l’essentiel et fait une très large place à la négociation d’entreprise et de branche.
Je verrai aussi comme élément de satisfaction le fait que ce texte a fait l’objet, à l’Assemblée nationale, d’un débat riche et constructif, débouchant sur un soutien qui va au-delà de la majorité parlementaire. J’espère qu’il en sera de même ici, au sein de la Haute Assemblée. Un tel sujet ne devrait-il pas nous rassembler, comme il a rassemblé les partenaires sociaux ?
Ce texte, qui a été un engagement emblématique du candidat à la présidence de la République François Hollande pendant la récente campagne, constitue à l’évidence une urgence et je me réjouis de le voir inscrit dès à présent dans le calendrier parlementaire.
Oui, c’est une urgence au regard de la situation économique et sociale et de la cause qui devrait et doit nous rassembler, celle de l’emploi, à un moment où le nombre de demandeurs d’emplois retrouve les tristes records des années quatre-vingt-dix. Or les deux cibles de ce texte, les jeunes et les seniors, sont particulièrement touchées : le taux de chômage des jeunes atteint aujourd’hui le niveau inquiétant de 24 % et le phénomène concerne de plus en plus de jeunes diplômés. Moins d’un jeune sur deux de moins de vingt-six ans est employé en CDI, la majorité subissant des contrats précaires, voire des successions de stages.
Parallèlement, les seniors ont un taux d’activité particulièrement faible, notamment par rapport aux autres pays européens, de 41 % pour les 55-64 ans en 2011. Or, dans le même temps, on ne cesse de constater, pour s’en réjouir, que l’espérance de vie progresse.
On nous dit aussi que, malgré la réforme de 2010, le financement de nos régimes de retraite n’est pas garanti et que seraient inévitables, à nouveau, l’allongement de la durée des cotisations, le report de l’âge du départ à la retraite ou encore la baisse du niveau des pensions.
Dans le même temps, le taux d’activité des plus de cinquante ans ne cesse de diminuer. Quelle contradiction ! Dans le monde du travail, on est considéré comme senior dès cinquante ans et on est alors bien trop souvent la première cible des plans de suppressions d’emplois. Il s’agit d’un drame social, car la brutalité de ces situations est ressentie comme un couperet qui tombe et conduit bien souvent à une exclusion durable. Il en résulte des détresses individuelles et familiales, un sentiment d’abandon, de déclassement, qui ont souvent des conséquences destructrices pour les personnes.
Au-delà des drames que nous rencontrons tous sur nos territoires, quel immense gâchis social et humain, pour toute notre société, pour les entreprises concernées. Oui, c’est une perte de substance et de compétitivité pour la France !
C’est bien à une double exclusion du marché du travail, celle des jeunes et celle des seniors, que vise à répondre le projet de loi. Le contrat de génération propose un pacte entre les générations afin de maintenir dans l’emploi les 5 millions de salariés « âgés » qui partiront à la retraite d’ici à 2020, et de faciliter l’entrée dans la vie active de 6 millions de jeunes. Le Gouvernement en espère 500 000 embauches de jeunes en cinq ans dans les entreprises de moins de trois cents salariés. Pour 2013, 85 000 contrats sont attendus pour un coût de 200 millions d’euros.
Dans les entreprises de plus de trois cents salariés, le Gouvernement estime à 800 000 le nombre de jeunes de moins de vingt-six ans déjà en CDI, auxquels s’ajouteront « plusieurs dizaines de milliers d’embauches » et 400 000 seniors de cinquante-sept ans et plus.
La réussite d’un dispositif aussi ambitieux est essentielle pour notre pacte républicain et pour la pérennité d’un modèle de société qui repose sur la solidarité entre générations.
Le maintien en emploi et l’embauche des seniors, ainsi que la transmission des compétences, constituent, avec l’insertion des jeunes, l’objectif central du projet de loi.
Je voudrais insister sur l’intérêt du dispositif, un pacte intergénérationnel, qui permet d’éviter des départs couperets, brutaux, qu’il s’agisse de suppressions d’emplois ou même de départs à la retraite. Il s’agit non seulement d’encourager la progressivité d’un tel départ, mais aussi de la valoriser avec la perspective de transmettre à un jeune son expérience et son savoir-faire, même si le dispositif ne repose pas forcément sur un binôme.
Son originalité consiste à ne plus opposer une génération à une autre. Les jeunes pouvaient avoir le sentiment que les seniors occupaient des places qui devaient leur revenir.
Au contraire, le contrat de génération est un outil innovant, destiné à renforcer les solidarités intergénérationnelles et à rassurer les jeunes, en leur faisant bénéficier de l’expérience et du savoir-faire des seniors.
Ce contrat, unique en Europe, est aussi un moyen de permettre des transitions harmonieuses, alors que la crise a accentué les effets de rupture brutale, le phénomène de couperet. Je peux témoigner personnellement des effets des départs soudains liés à des mesures d’âge. J’ai été salariée de Sollac – aujourd’hui Arcelor Mittal –, et j’ai dû quitter mon poste du jour au lendemain, à l’âge de cinquante et un ans, victime, si l’on peut dire, de la convention générale de protection sociale, la CGPS.
Le choc a été brutal pour tous. Certes, beaucoup, dans la « génération CGPS », se sont investis dans le bénévolat, la vie associative ou encore politique. Mais il y a eu aussi des drames personnels, des personnes sombrant dans la dépression, dans l’inactivité, dans l’alcoolisme ou la maladie. Des vies, des couples, des familles ont ainsi été brisés. C’est cette expérience concrète, que j’ai vécue, qui me conduit à apporter un soutien enthousiaste au projet de loi portant création du contrat de génération.
Je voudrais enfin souligner l’intérêt du dispositif pour les femmes entrant dans la catégorie des seniors.
Les femmes ont, bien souvent, des carrières interrompues, du fait des charges de famille. Nous savons que, de ce fait, la réforme des retraites de 2010 les a fortement pénalisées. Dans ces conditions, un système qui facilite leur « employabilité » lorsqu’elles sont dans la catégorie des seniors, leur permettant ainsi d’accroître leur période de cotisations, constitue une mesure intéressante pour elles.
Ma dernière observation portera sur le financement du contrat de génération.
Il est très important que le dispositif soit financé dans le cadre du pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, et que des moyens spécifiques soient prévus pour les petites entreprises.
Voilà la démonstration que, pour notre gouvernement et sa majorité, l’emploi est au cœur de la stratégie de compétitivité, mais aussi que ce dispositif d’insertion des plus jeunes, de progressivité pour les seniors, de solidarité intergénérationnelle constitue un vrai enjeu de compétitivité de notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)