Sommaire
Présidence de M. Didier Guillaume
Secrétaire : Mme Michelle Demessine.
2. Remplacement d'un sénateur décédé
3. Code forestier. – Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ; Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques.
Mmes Bernadette Bourzai, Mireille Schurch, MM. Jean-Jacques Lasserre, Stéphane Mazars, Joël Labbé, Jackie Pierre, Claude Bérit-Débat.
M. Stéphane Le Foll, ministre.
Clôture de la discussion générale.
Mme Odette Herviaux, M. Martial Bourquin.
Adoption de l'article.
Amendement n° 1 de la commission. – MM. le rapporteur, Stéphane Le Foll, ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Articles 3 et 4 (nouveau). – Adoption
M. Jean-Jacques Mirassou.
Adoption du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
4. Questions d’actualité au Gouvernement
MM. Alain Bertrand, Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.
dotations aux collectivités locales
Mme Natacha Bouchart, M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget.
situation économique de la france
MM. François Zocchetto, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.
chiffres du commerce extérieur
M. Claude Bérit-Débat, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur.
mutilations sexuelles des femmes
Mmes Kalliopi Ango Ela, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.
Mmes Annie David, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé.
MM. Hugues Portelli, Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Ronan Kerdraon, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
politique industrielle de la france
MM. René Beaumont, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.
MM. Jean-Luc Fichet, Guillaume Garot, ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.
politique sociale du gouvernement
M. Jean Louis Masson, Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
5. Ratification des nominations à une commission mixte paritaire
6. Modification de l'ordre du jour
7. Délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mmes Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement ; Esther Benbassa, rapporteur de la commission des lois.
MM. Thani Mohamed Soilihi, Michel Le Scouarnec, Mme Nathalie Goulet, MM. Yvon Collin, Pierre Charon, Mme Kalliopi Ango Ela, M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er (suppression maintenue)
Amendement n° 1 de Mme Nathalie Goulet. – Mmes Nathalie Goulet, la rapporteur, Najat Vallaud-Belkacem, ministre. – Retrait.
Adoption de l'article.
Articles additionnels après l'article 2
Amendements nos 3 et 4 de Mme Kalliopi Ango Ela. – Mmes Kalliopi Ango Ela, la rapporteur, Najat Vallaud-Belkacem, ministre ; MM. Jean-Pierre Michel, le président de la commission, Mme la présidente. – Retrait des deux amendements.
Amendement n° 2 de Mme Nathalie Goulet. – Mmes Nathalie Goulet, la rapporteur, Najat Vallaud-Belkacem, ministre ; MM le président de la commission, Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Article 3 (nouveau). – Adoption
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 5 de Mme Kalliopi Ango Ela. – Devenu sans objet.
Mme la présidente.
Mme Nathalie Goulet.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Mmes la présidente, Najat Vallaud-Belkacem, ministre ; la rapporteur.
8. Conventions fiscales avec les Pays-Bas et le Sultanat d'Oman – Adoption définitive de deux projets de loi dans le texte de la commission
Discussion générale commune : M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement ; Mme Michèle André, rapporteur de la commission des finances.
MM. Michel Billout, Yvon Collin, Mme Kalliopi Ango Ela.
M. Pascal Canfin, ministre délégué.
Clôture de la discussion générale commune.
Convention fiscale avec les Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba
M. René Beaumont.
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi
compte rendu intégral
Présidence de M. Didier Guillaume
vice-président
Secrétaire :
Mme Michelle Demessine.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Remplacement d'un sénateur décédé
M. le président. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Hélène Masson-Maret est appelée à remplacer, en qualité de sénateur des Alpes-Maritimes, M. René Vestri, décédé le mercredi 6 février 2013.
Son mandat a débuté le jeudi 7 février 2013, à zéro heure.
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue.
3
Code forestier
Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier et harmonisant les dispositions de procédure pénale applicables aux infractions forestières (projet n° 503 [2011-2012], texte de la commission n° 320, rapport n° 319).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de l’indiquer M. le président de séance, les travaux du Sénat porteront ce matin sur un projet de loi ratifiant une ordonnance relative à la partie législative du code forestier.
La forêt française est un enjeu à la fois économique et écologique. Avec plus de 15 millions d’hectares, la France a le troisième massif forestier d’Europe. C’est un potentiel.
C’est pourquoi, depuis ma prise de fonction, j’ai fait de la forêt un sujet de discussion. Au fur et à mesure, j’essaierai d’offrir des perspectives à l’ensemble de la filière.
Vous le savez, des assises de la forêt sont en préparation, qui auront lieu avant le printemps. Nous intégrerons les conclusions de toutes ces discussions dans une loi d’avenir, qui portera bien évidemment sur l’agriculture, mais aussi, et j’y tiens, sur la forêt.
L’histoire forestière de notre pays ne date pas d’aujourd’hui. Elle remonte à l’édit de Brunoy de 1346 : la guerre de Cent Ans n’est pas encore terminée que l’on a déjà pensé à la forêt ! Je citerai également l’ordonnance de Colbert dont toutes les règles de gestion visaient des objectifs extrêmement précis : la forêt servait la flotte du roi ! En Bretagne, par exemple, territoire que je connais bien, certaines landes – on l’oublie parfois – sont issues du défrichement de la forêt lié aux choix de Colbert.
Il y a donc une histoire forestière que nous devons perpétuer, et nous devons veiller à intégrer la politique forestière dans une stratégie à la fois économique et écologique.
L’objet de ce projet de loi est de modifier le code forestier, qui constitue le cadre juridique de la politique forestière. Pour marquer mon intérêt et mon attachement à cette question, j’ai souhaité que le texte que nous examinons aujourd’hui soit inscrit rapidement à l’ordre du jour du Parlement.
Cette recodification permettra de simplifier l’architecture du code forestier, et surtout de l’adapter aux enjeux que nous évoquerons et sur lesquels je reviendrai. Le travail de réécriture, par voie d’ordonnance, a été rendu nécessaire par les différentes modifications apportées au code forestier au fil du temps. Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à ratifier l’ordonnance du 26 janvier 2012.
Je salue le travail qui a été conduit ici, au Sénat, par le rapporteur, M. Leroy, pour adapter le code forestier à des enjeux multifonctionnels, mais surtout économiques, dans la perspective d’une gestion durable.
Les travaux de la commission ont porté sur différents sujets plus ou moins techniques. J’en retiendrai essentiellement deux, qui me paraissent importants.
Premièrement, il était nécessaire de prendre en compte les particularités des ventes en bloc et sur pied des bois dans le calcul des fameux délais de paiement, prévus dans la LME, la loi de modernisation de l’économie. L’adaptation des délais de paiement est un axe important. Dans la forêt, le cycle n’est pas du tout celui de l’économie « normale ». Nous avons affaire là non à des cycles courts, mais à des cycles très longs. Les délais de paiement doivent pouvoir être adaptés pour tenir compte du temps qui s’écoule entre la vente, la coupe et la réalisation de la vente. C’est pourquoi les modifications du code forestier proposées aujourd’hui sont importantes. Elles permettront d’adapter les règles de la LME au secteur forestier, qui se distingue des autres domaines économiques et commerciaux.
Deuxièmement, il fallait tenir compte de la censure du Conseil constitutionnel, qui avait considéré le caractère de cavalier budgétaire d’une disposition de transfert à la collectivité territoriale de Corse d’une compétence en matière de production de plants forestiers.
Le travail qui a été conduit est un travail de qualité. Monsieur Leroy, comme vous l’avez souligné il n’y a pas si longtemps dans le cadre du Conseil national de la forêt, le code forestier devra sans doute être modifié de nouveau après la future loi d’avenir de l’agriculture. Mais c’est la marque que nous adaptons ce code aux évolutions de la forêt afin de répondre aux grands enjeux et défis qui nous sont posés.
Il me semblait important de traiter rapidement le problème des délais de paiement et la question du transfert de compétence à la collectivité territoriale de Corse.
Dans le même temps, l’examen de ce texte par le Sénat nous donne l’occasion d’ouvrir un débat plus large sur l’avenir de la forêt française. Je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que, comme moi, vous avez pour cette dernière une grande et belle ambition, et je vous en remercie ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que l’ordre du jour du Sénat nous permette d’aborder aujourd’hui la question de la forêt. Ce n’est pas si fréquent. Mais les travaux des assises de la forêt que vous organiserez bientôt, monsieur le ministre, nous donneront certainement l’occasion de revenir sur ce sujet dans les prochains mois.
Avant d’évoquer les attentes techniques liées à la ratification de l’ordonnance du 26 janvier 2012, je parlerai de la forêt pour exprimer les attentes du Sénat sur la future loi d’avenir de l’agriculture, qui concernera également la forêt.
Avec 25 millions d’hectares de bois et forêt, dont 9 millions d’hectares dans les outre-mer, principalement en Guyane, la France est un grand pays forestier, et nous pouvons en être fiers.
Qu’il me soit permis une parenthèse. La France possède en Guyane, puisqu’il s’agit de forêts domaniales, des forêts tropicales et équatoriales dans un état relativement satisfaisant par rapport à bien d’autres pays du monde : notre pays est presque vertueux… Nous avons donc un rôle mondial à jouer pour la connaissance des forêts des pays chauds.
Quoi qu’il en soit, et pour reprendre le fil de mon discours, la forêt rend d’énormes services.
Elle rend tout d’abord des services économiques, car la forêt est un espace de production de bois. Elle rend ensuite des services environnementaux : la forêt participe au cycle du carbone, aide à lutter contre le réchauffement climatique et abrite une grande biodiversité. Elle joue enfin un rôle social important : je pense aux promenades, aux cueillettes, qui se pratiquent encore, et surtout à la chasse, qui suscite des débats passionnés entre les forestiers et les chasseurs ; la chasse constitue à la fois un loisir et une source non négligeable de revenus.
La forêt française, qui représente un tiers du territoire en métropole, est le legs d’une histoire pluriséculaire et mouvementée. Au Moyen Âge, l’auteur d’un délit forestier pouvait être condamné à mort, preuve que la protection de la forêt nécessite un engagement politique très fort. M. le ministre a évoqué l’édit de Brunoy, qui constitue le premier texte national en matière de protection forestière. Colbert a apporté évidemment sa contribution à cette histoire, avec la fameuse ordonnance royale sur les eaux et forêts. Le premier code forestier moderne date de 1827. C’est encore un monument. L’objectif est resté le même : il s’agit de protéger la forêt, d’éviter la surexploitation et d’assurer un rendement soutenu. Nous nous sommes souciés, nous, les forestiers – je suis très solidaire de cette profession pour l’avoir exercée moi-même –, de la protection des forêts bien avant les écologistes, cher collègue Joël Labbé, qui interviendrez tout à l’heure.
L’administration des eaux et forêts a joué un rôle majeur dans cette politique. C’est une grande administration forestière séculaire. Je lui rends hommage, ainsi qu’aux fonctionnaires brillants qui ont recodifié le code forestier pour parvenir à sa version actuelle. Monsieur le ministre, vous allez bientôt vous charger de faire évoluer la codification. J’espère que la future loi d’avenir de l’agriculture, qui est en préparation, permettra des avancées législatives intéressantes en la matière.
Les forêts publiques sont soumises au régime forestier, sous l’autorité unique de l’Office national des forêts, ou ONF, dont je salue également l’action.
Parler de la forêt, c’est parler aussi de la forêt privée : les deux tiers ou les trois quarts de la forêt française appartiennent à 3,5 millions de propriétaires privés, ce qui est un chiffre assez effrayant.
Rassurons-nous, la plupart de ces propriétaires possèdent de très petites surfaces ; cela représente trois millions d’hectares très morcelés, le reste étant plus facile à gérer.
Nous pouvons être fiers de notre forêt, mais nous savons aussi qu’elle peut trouver un nouveau dynamisme – il y a accord unanime sur ce point –, comme l’a d'ailleurs souligné le Conseil économique et social et environnemental dans un récent rapport.
La forêt française, en dehors de ces progrès à venir, est néanmoins riche d’emplois. La filière bois est pourvoyeuse d’environ 400 000 à 500 000 emplois, selon les branches que l’on intègre, et ce chiffre est stable. La forêt n’a pas détruit d’emplois. Les emplois ont évolué, mais la forêt française reste un employeur très important, qui pourrait encore embaucher.
Des emplois pourraient être créés à partir des 20 millions de mètres cubes supplémentaires qu’on pourrait produire au cours des années qui viennent, sachant que cette exploitation supplémentaire ne nuirait en rien à la qualité des forêts, au contraire ; cela permettrait de les moderniser ces dernières en les adaptant aux changements climatiques.
Ces récoltes supplémentaires pourraient aussi contribuer au redressement de la balance commerciale bois – c’est une question que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et dont il faudra débattre –, dont le déficit est de plus de 6 milliards d'euros par an.
Pour ce faire, il faudra mieux valoriser nos bois feuillus, qui représentent une part très importante de la récolte française, afin qu’ils puissent se substituer aux bois résineux, que nous devons importer. Nous sommes en effet déficitaires en bois résineux dans la mesure où la forêt française produit essentiellement du bois feuillu.
Des progrès sont possibles, et le projet de loi d’avenir de l’agriculture que vous nous présenterez prochainement, monsieur le ministre, devrait nous permettre d’engager une nouvelle stratégie de relance de la filière bois.
Je souligne au passage que la forêt française coûte peu aux finances publiques. C’est un point sur lequel j’insiste toujours pour convaincre non seulement l’ensemble de mes collègues – je crois cependant qu’ils en sont maintenant persuadés (Sourires.) –, mais aussi et surtout les financiers de Bercy.
La forêt française, c’est un tiers du territoire national, ce sont la Guyane et les îles, et cela représente au total pour l’État de 300 à 350 millions d'euros de crédits budgétaires chaque année – c'est-à-dire peanuts ! – dont les deux tiers servent à financer l’Office national des forêts. Le reste des crédits, complétés par quelques dispositifs fiscaux, vient soutenir l’investissement en forêt. Les quelques pics budgétaires que nous avons connus ces dernières années, qui se sont traduits par l’ajout de quelques dizaines de millions d’euros, visaient simplement à réparer les dégâts de la tempête Klaus, qui a détruit de larges parcelles de forêt dans le Sud-Ouest.
De la Seconde Guerre mondiale à 1999, la filière bois disposait du Fonds forestier national, qui a été supprimé en l’an 2000 à la suite d’une erreur, d’une faute, d’une idiotie collective. Même les professionnels de la filière qui déplorent aujourd'hui cet état de fait étaient d’accord pour le voir disparaître. Au moment où a été supprimée la taxe qui alimentait ce fonds, tout le monde a bondi de joie en se disant que le budget de l’État allait la compenser. En fait, le budget de l’État ne l’a nullement compensée, et nous nous trouvons dépourvus de moyens financiers pour assurer l’animation et le renouvellement de la forêt française et de la filière bois. C’est un point qu’il importe de souligner.
Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, j’avais présenté un amendement avec plusieurs de mes collègues afin de tenter d’arracher quelques dizaines de millions d’euros sur le produit de la vente des quotas de carbone. Le Sénat a adopté ce texte, mais les aléas de la vie parlementaire ont empêché que la loi de finances soit votée par notre assemblée, et cet amendement, intéressant pour la forêt, est tombé aux oubliettes. C’est dommage, et même si ce sont les vicissitudes de la politique, je me sens fautif…
M. Claude Bérit-Débat. Il y a de quoi ! (Sourires.)
M. Philippe Leroy, rapporteur. Monsieur le ministre, il n’en reste pas moins que le problème est posé.
M. Philippe Leroy, rapporteur. Nous sommes nombreux ici, et peut-être même unanimes, à souhaiter la mise en place d’un dispositif pérenne de soutien financier à l’investissement dans la filière bois, en créant des dessertes, en aidant les industries de transformation à évoluer, notamment dans les usages du bois feuillu, en développant la recherche en matière de chimie verte.
Il y a beaucoup à faire et cela ne requiert pas trop d’argent, mais il faut trouver cet argent.
Telles sont, monsieur le ministre, les remarques qu’en toute sincérité je voulais formuler et qui reflètent, me semble-t-il, la pensée de l’ensemble de mes collègues.
J’en viens maintenant au projet de loi proprement dit, dans le détail duquel je n’entrerai pas. Ce texte très technique, de recodification, qui a pour objet de ratifier une ordonnance, permet une meilleure organisation des textes.
La loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ou LMAP, de 2010 a habilité le Gouvernement à procéder par ordonnance. Les parlementaires n’aiment guère les ordonnances, qui leur donnent évidemment l’impression d’être court-circuités. Mais, en matière de recodification, le recours aux ordonnances est une nécessité.
En l’espèce, l’exercice était tellement technique qu’il était difficile de procéder autrement que par ordonnance. En outre, s’il est parfois arrivé que l’on ratifie des ordonnances au hasard d’une loi quelconque, le Parlement, en l’occurrence, est solennellement appelé à se prononcer. Ce texte me semble donc l’aboutissement d’un beau parcours, et nous vous remercions, monsieur le ministre, de l’avoir inscrit à l’ordre du jour du Parlement.
La loi d’habilitation a permis d’aller un peu au-delà du droit constant dans plusieurs domaines, de réaliser quelques percées et simplifications.
Cette ordonnance est donc satisfaisante et ne suscite aucune critique de notre part. La procédure suivie constitue une bonne pratique législative, et la commission des affaires économiques a approuvé ce projet de loi dans son ensemble.
J’ai présenté, en lien d’ailleurs avec les services de l’administration et ceux de votre ministère, monsieur le ministre, un certain nombre d’amendements à l’article 2 en vue de quelques percées. Vous avez bien voulu aider l’administration et la commission des affaires économiques à satisfaire les attentes de la profession, notamment en ce qui concerne les différents systèmes de vente de bois. C’est une avancée importante.
Nous allons clarifier les problèmes de pépinières en Corse, vous l’avez signalé. C’est un détail ici, mais c’est loin d’être un détail en Corse, qui possède des pépinières de pins laricio,…
M. Philippe Leroy, rapporteur. … qui sont des arbres magnifiques et les plus beaux pins du monde.
Le travail est donc très bien fait et nous pourrons avec vous, monsieur le ministre, préparer sur cette base la loi d’avenir de la forêt. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui, bien que très technique, a le mérite de nous permettre d’aborder un sujet de grande importance, celui de la forêt. Le ministre comme le rapporteur ont déjà largement évoqué ce sujet.
Ce projet de loi ratifiant l’ordonnance du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier et harmonisant les dispositions de procédure pénale applicables aux infractions forestières a pour objet de mettre ledit code en conformité avec les nombreuses modifications apportées par près d’une dizaine de lois successives depuis 1979, en particulier par la loi d’orientation forestière de 2001 qui en avait profondément modifié l’architecture.
Cette recodification vise à rendre plus lisible le code forestier, sans l’altérer sur le fond, et doit constituer une amélioration du droit forestier pour ses praticiens. S’y ajoute, en effet, l’harmonisation avec le code forestier des dispositions du code de procédure pénale relatives aux fonctionnaires et agents habilités à contrôler et à rechercher les infractions forestières et aux règles qui leur sont applicables.
Cet effort de clarification n’a visiblement pas fait l’objet de critique – au contraire – de la part des parties prenantes.
Les recodifications qui sont proposées, notamment le classement des dispositions par droit de propriété, clarifient la lecture et pérennisent bien le régime forestier et ses spécificités applicables aux forêts publiques.
Les parlementaires que nous sommes apprécient habituellement assez peu les habilitations – vous le savez, monsieur le ministre, et M. Leroy l’a rappelé – qui permettent au Gouvernement de procéder par voie d’ordonnance dans des domaines qui relèvent de la loi ; mais nous convenons que cette procédure se justifiait ici pleinement par la grande technicité de l’exercice, qui se prête moins bien à la discussion parlementaire.
Je tiens à rappeler l’esprit de consensus qui règne de ce fait sur ce projet de loi, présenté par Bruno Le Maire et inscrit à l’ordre du jour par vous-même, monsieur le ministre, et la nouvelle majorité présidentielle.
Par ailleurs, les commentaires du nouveau gouvernement ont été pris en compte par M. le rapporteur et ont abouti à des amendements adoptés à l’unanimité en commission des affaires économiques.
Je citerai en particulier une clarification sur le caractère inaliénable du domaine forestier de l’État, un principe qu’il est toujours bon de rappeler, ainsi que quelques innovations que je souhaite mettre en évidence car elles visent à régler des problèmes pratiques immédiats qui se posent au secteur de la forêt et du bois.
La première innovation tient au transfert à la collectivité territoriale de Corse de l’intégralité de la compétence de reproduction de plants forestiers, les pins laricio, transfert qui n’avait pas été effectué lors de la loi de 2002 sur la Corse. La conséquence concrète sera de confier la gestion de la pépinière d’Ajaccio-Castellucio, qui emploie cinq agents, non plus à l’État mais à la Corse. Voilà un transfert de plus ! Cette disposition avait été votée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013 mais censurée par le Conseil constitutionnel, pour une question de procédure et non de fond.
La seconde innovation est plus substantielle car elle concerne les délais de paiement dans la filière bois pour les ventes de bois en bloc et sur pied, point sur lequel nous étions très sollicités.
Nous avons ajouté en commission un nouvel article qui représente une réelle avancée pour la profession : ledit article a pour objet de mettre en place un régime spécifique permettant d’adapter les délais de paiement de marchandises au cas très particulier des ventes de bois en bloc et sur pied. Pour celles-ci, je le rappelle, le produit de la vente est extrait progressivement des parcelles, ce qui justifie un échelonnement des paiements que ne permet pas le droit actuel.
La LME prévoyait une possibilité de dérogation temporaire au plafond de délai de paiement via des accords interprofessionnels pour des raisons objectives et spécifiques au secteur. Cette dérogation s’est appliquée à la suite d’un accord interprofessionnel, mais elle a pris fin en janvier 2012, d’où la nécessité et l’urgence de prévoir cet amendement au code forestier.
Cette initiative du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt permet de faire émerger une solution consensuelle tant pour les professionnels que pour l’administration, sans remettre en cause les principes généraux régissant les relations entre acteurs économiques. Le rapporteur a pu l’évaluer au cours de ses différentes auditions et vérifier qu’un large consensus s’était établi sur le sujet.
La commission des affaires économiques a adopté le texte à l’unanimité.
De nouvelles précisions sont apportées dans l’amendement qui sera proposé lors de la discussion des articles sur la notion de vente en bloc, ainsi que sur les conditions d’exploitation qui sont définies par contrat. Cette nouvelle rédaction nous convient.
Nous soutenons le texte ainsi rédigé et nous le voterons.
Ce projet de loi a également été l’occasion pour les membres de la commission des affaires économiques d’avoir un débat animé et de rappeler unanimement l’importance de la forêt ainsi que la nécessité de développer une politique « forêt-bois » ambitieuse répondant aux attentes fortes des professionnels de la forêt et de la filière bois. Je souhaiterais évoquer rapidement ce point.
Un rapport du Conseil économique, social et environnemental, publié en octobre 2012 et intitulé La valorisation de la forêt française, a rappelé la place de la forêt dans l’espace français, mais aussi son poids économique, avec près de 430 000 emplois, essentiellement en zones rurales, et 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires, ce qui est loin d’être négligeable.
Le bois-énergie représente 65 % des 6,6 % d’énergies renouvelables produits en France ; il provient essentiellement de la valorisation des sous-produits de la filière bois et est en plein essor, notamment dans ma région.
Dans le même temps, le rapport a fait le constat, que nous connaissons bien, de l’insuffisante organisation de la filière bois, qui repose sur des petites entreprises souvent fragiles, et des difficultés de mobilisation de la ressource bois dans notre pays.
Nous vivons en effet un paradoxe : alors que notre pays est l’un des mieux pourvus d’Europe en matière de ressources forestières, notre balance commerciale souffre d’un déficit record dans ce secteur. Nous exportons des bois bruts, de faible valeur, et importons des bois travaillés, transformés, incorporant une grande valeur ajoutée.
Les précédents gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n’ont pas pris la juste mesure de l’avenir de la filière bois et de ce potentiel économique. Vous proposez, monsieur le ministre, d’y remédier dans la future loi d’avenir, en cohérence avec la communication sur les nouvelles orientations forestières que la Commission européenne doit présenter au Conseil en mai prochain. Une loi consacrée entièrement à la forêt – il y aurait de quoi faire ! – permettrait d’adresser un signal très positif aux professionnels du bois et de la forêt. Mais l’agenda est peut-être déjà très chargé…
On a trop coutume de résumer la forêt aux 30 % de superficie du territoire qu’elle occupe ; il faut aussi la considérer en hauteur, en volume et dans ses différentes valeurs d’exploitations, qui imposent certains choix de court et de long terme.
Outre son potentiel économique, elle contribue activement à la préservation des équilibres écologiques, des écosystèmes et de la biodiversité puisqu’elle stocke le carbone, purifie l’eau, enrichit les sols et offre des habitats propices à la flore et à la faune, et même aux loups !
Par ailleurs, elle génère une grande diversité d’activités notamment touristiques, cynégétiques, sportives et scientifiques ; elle produit également, outre du bois et des champignons, des baies et des lichens utilisés en pharmacologie.
La diversité de ses fonctions fait de la forêt un atout considérable pour notre pays.
Je reprendrai ici un exemple que j’ai déjà cité devant la commission des affaires économiques : certaines villes comme Munich investissent désormais dans des systèmes d’épuration de leurs eaux usées par la forêt. Peut-être serions-nous bien inspirés de suivre leur exemple, au lieu de construire d’énormes stations d’épuration, qui sont souvent extrêmement coûteuses et dont le fonctionnement peut être aléatoire.
Les aménités offertes par la forêt méritent que nous luttions pour mettre en place une politique forestière volontariste, dotée de moyens financiers suffisants. Une fraction du produit de la mise aux enchères des crédits carbone pourrait par exemple, comme nous l’avions déjà voté à l’unanimité au Sénat, être affectée à la replantation de la forêt, puisque cette dernière est précisément un réservoir de stockage du carbone et que le reboisement notoirement insuffisant depuis une dizaine d’années est la condition sine qua non du développement durable. Les membres du groupe d’études forêt et filière bois du Sénat se rendront en Haute-Corrèze, où subsistent des parcelles dévastées par la tempête de 1999, restées en friche, ou en vrac selon l’expression consacrée, qui ne seront pas replantées.
Le financement est un réel problème : la France consacre peu d’argent public – M. le rapporteur a estimé ce chiffre à 350 millions d’euros – à sa forêt et à sa filière bois, alors qu’un nouveau fonds forestier national et des investissements massifs dans les industries d’aval actuellement fragilisées seraient nécessaires.
Ma région, le Limousin, et mon département, la Corrèze, disposent d’un fort potentiel forestier qui s’est beaucoup développé depuis l’entre-deux-guerres et qui est aujourd'hui parvenu à maturité.
Le plan pluriannuel régional de développement forestier du Limousin a été mis en place pour la mobilisation des bois ; il doit également permettre de répondre aux conflits d’usage entre le bois-énergie et le bois-construction.
Je sais, monsieur le ministre, votre intérêt pour la forêt ; vous avez d’ailleurs lancé différentes initiatives dont nous nous félicitons : je pense notamment aux rencontres régionales pour l’avenir de l’agroalimentaire et du bois.
Le Premier Ministre a aussi confié en décembre dernier une mission de six mois sur la forêt française et la filière bois au député Jean-Yves Caullet, qui devrait être un élément important de la future loi d’avenir. Vous avez installé une mission pour la création d’un fonds bois carbone et d’un comité national filière qui devrait achever ses travaux en prévision de cette future loi.
Nous apprécions votre engagement, et c’est avec détermination et énergie que nous soutiendrons ce projet de loi et la future loi d’avenir de l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi nous permet d’avoir un débat sur la forêt, ce dont nous nous réjouissons.
La forêt, c’est 16 millions d’hectares, soit 30 % du territoire métropolitain, sans compter la Guyane. Bien qu’elle soit majoritairement privée, puisque 3,5 millions de propriétaires possèdent 70 % des surfaces forestières, le sentiment qui domine est que la forêt est un bien commun.
C’est aussi un véritable patrimoine écologique. Après ma collègue Bernadette Bourzai, qui a évoqué la Corrèze, j’aimerais vous parler de l’Allier, qui abrite la plus grande et la plus belle chênaie d’Europe.
M. Philippe Leroy, rapporteur. C’est vrai !
Mme Mireille Schurch. Cette chênaie compte cinquante espèces inventoriées. Je vous invite, mes chers collègues, à visiter la forêt de Tronçay. En termes de développement économique et de débouchés, la filière « chêne » est malheureusement mal en point ; il faudra prendre des mesures pour la sauver.
La forêt joue un rôle crucial dans le maintien de la biodiversité animale et végétale, la régulation du cycle de l’eau, la protection des sols et la préservation des grands équilibres naturels et climatiques, notamment au travers du stockage de carbone et de l’utilisation du bois comme source d’énergie. Elle contribue à la qualité du cadre de vie et à l’attractivité des territoires, et offre diverses aménités propices aux loisirs et à la découverte. La forêt, c’est aussi la filière bois qui fait travailler, cela a été dit, près de 430 000 personnes.
Le texte que nous examinons aujourd’hui n’est pas, comme l’a souligné M. le rapporteur, « la pierre angulaire d’une vaste réforme de la politique forestière ». Il nous permet toutefois de mettre en avant les éléments essentiels que devra comporter la future loi sur la forêt.
Nous devrons en effet sortir de la logique simplement mercantile portée par les réformes successives de la législation forestière et revoir les outils de mobilisation forestière que sont par exemple les plans pluriannuels régionaux de développement forestier ou encore les stratégies locales de développement forestier. Ces outils sont certes nécessaires, mais ils ne respectent pas toujours le temps long de la forêt.
La politique forestière doit reposer sur l’idée selon laquelle la forêt n’est pas, et ne doit pas être, considérée comme un produit quelconque. Or, dans les faits, la logique financière et commerciale prend aujourd’hui le pas sur le principe d’une gestion durable et soutenable.
En effet, nous assistons à un phénomène massif de spéculation sur les terrains boisés ; par ailleurs, nous observons un réel décalage, croissant, entre ce qu’offre la forêt française, principalement constituée de feuillus, et la demande, qui est quant à elle tournée vers les résineux.
La loi de modernisation de l’agriculture de 2010 a créé en cas de vente un droit de préférence au profit des propriétaires forestiers voisins, et ce dans l’objectif de lutter contre le morcellement de la forêt privée. La question du verrou des quatre hectares, par lot ou par parcelles, se pose et n’a pas encore été tranchée ; la future loi devra se pencher sur le sujet.
Cette loi est aujourd’hui largement contournée, ce qui permet à des groupes financiers, par exemple, de racheter des parcelles au prix fort pour ensuite rompre un écosystème fragile en couvrant ces parcelles de résineux en monoculture.
Cette exploitation a une incidence négative sur les infrastructures communales, qui ne peuvent faire face à la taille surdimensionnée des engins forestiers et des véhicules de transport.
On n’arrête pas de marteler que la France doit produire davantage de bois, que la filière bois doit être développée, que la forêt privée française est sous-exploitée, et ce depuis vingt-cinq ans. Nous sommes bien d’accord ! La filière bois est un véritable atout pour notre pays et nos territoires, mais, selon nous, il faut développer les filières courtes et le commerce de proximité.
La forêt française est majoritairement constituée de feuillus, alors que l’industrie du bois réclame actuellement de la matière résineuse pour accompagner l’essor des constructions en bois. Dès lors, il y a un véritable risque qu’une baisse systématique de l’âge d’exploitabilité des forêts soit mise en place, mais aussi qu’il soit porté atteinte à la biodiversité, avec une préférence systématique pour le résineux, plus rentable à court terme.
Ce que l’on voit se profiler, c’est une forêt qui réponde en tout point aux besoins ponctuels du marché. Ce devrait être, au contraire, l’industrie qui devrait s’adapter à la forêt pour la respecter, ce qui n’est absolument pas dans la logique de la législation actuelle.
C’est pourquoi il nous faut rechercher des débouchés diversifiés pour notre bois.
Nous en avions discuté, monsieur le rapporteur, il faudrait sans doute négocier avec Réseau ferré de France pour les traverses de chemins de fer. La promotion de la construction de maisons en bois, utilisant du bois français, peut également être envisagée. La forêt pourrait bien évidemment aussi recueillir les retombées financières de son immense réserve de carbone, sous forme des crédits carbone.
Il faudrait par ailleurs privilégier le maintien ou la création de sites de transformation au sein des territoires forestiers, ce qui entraînerait une réduction importante du transit des poids lourds et aurait un impact essentiel en termes de maintien de l’emploi et de maillage du territoire.
Enfin, si nous voulons une filière bois dépassant le stade de l’expérimentation, de la construction de-ci de-là de quelques éco-quartiers en bois, nous devrions commencer par la formation, du niveau V jusqu’à l’université, en passant par les lycées et les lycées professionnels. « Boostons » la recherche et donnons confiance aux propriétaires, aux exploitants et aux scieurs, qui hésitent, faute d’outils appropriés, à investir dans cette filière !
Monsieur le ministre, ces dernières années, l’Office national des forêts a été saigné à blanc par la RGPP, alors que ses agents jouent un rôle essentiel auprès de la myriade de petits propriétaires. On les a souvent fait douter de leurs missions et de leur rôle d’acteurs publics. Les personnels sont entraînés dans une course aux objectifs commerciaux et à la productivité alors que les effectifs sont en diminution et qu’ils ont moins de temps pour l’entretien des voies et des pièces d’eau, pour la gestion et la transmission, pour l’accueil et la sensibilisation. Il en est résulté un mal-être qui s’est traduit par de trop nombreux suicides parmi les personnels, lesquels ne se reconnaissent plus dans les nouvelles priorités de l’ONF, éloignées des missions traditionnelles de cet établissement. Nous devons conforter l’Office et rassurer ses agents.
Maintes fois proclamée, l’ambition française en faveur de la forêt se heurte à une réalité complexe et à des enjeux contradictoires. C’est pourquoi il faut à notre avis une grande loi d’avenir pour la forêt, distincte de la loi d’avenir pour l’agriculture, réunissant le plus largement possible tous les acteurs concernés ; mais j’ai bien compris que cela ne serait pas possible.
Nous attendons les assises de la forêt que vous avez annoncées, monsieur le ministre. Il sera également nécessaire de dresser un bilan de l’incidence des législations passées sur la forêt.
Il nous faudra aussi réfléchir à la mise en place d’un outil de regroupement forestier foncier efficace garantissant l’intérêt général. En ce sens, nous souhaitons non seulement élargir aux parcelles boisées le droit de préemption des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, mais aussi conférer aux communes un tel droit afin de mettre un terme à une spéculation qui dépossède les acteurs locaux.
Il nous semble également indispensable de modifier le mode de représentation des SAFER afin de renforcer le poids des élus locaux et de la société civile.
Le texte dont nous avons à débattre aujourd’hui est un premier pas dans cette direction. Il était nécessaire de simplifier le code forestier, comme le demandaient de nombreux professionnels, et l’article 1er répond à ce souhait. De même, ce texte permet une meilleure articulation entre le code de procédure pénale et le code forestier.
Un autre point essentiel concerne les délais de paiement dans la filière, pour les ventes de bois en bloc et sur pied. Nous nous réjouissons de l’adoption de règles plus pertinentes et plus souples que celles qui sont prévues dans la loi de modernisation de l’économie.
Ce texte permet enfin de clarifier et de simplifier les procédures en cas d’existence d’un droit de préemption.
Nous n’avons pas déposé d’amendement. Nous voterons donc ce projet de loi, qui fera, je l’espère, l’objet d’un consensus. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, dont le département recèle lui aussi de belles forêts ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec plus de 25 millions d’hectares boisés – 16 en métropole et 9 dans les régions ultramarines –, la France est le troisième pays le plus boisé de l’Union européenne.
Ce projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2012-92 du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier et harmonisant les dispositions de procédure pénale applicables aux infractions forestières ne me semble pas dénué de sens, à moi qui suis issu d’un département dont plus d’un quart du territoire est recouvert par la forêt.
Je ne m’étendrai pas sur le rôle essentiel que jouent les forêts, qu’elles soient publiques ou privées, mais je tiens à souligner la nécessité de légiférer dans ce domaine, certes bien spécifique, mais évidemment primordial par de nombreux aspects.
Dès lors, si nous attendons certes tous la grande réforme de la politique forestière prévue dans les prochains mois par l’intermédiaire de la loi d’avenir de l’agriculture, nous considérons cependant que le texte examiné aujourd’hui revêt une grande importance.
À ce titre, je veux commencer par remercier tous ceux qui ont contribué à l’élaboration de ce projet de loi, en particulier M. le rapporteur, Philippe Leroy, qui, notamment grâce à son expérience professionnelle d’ingénieur général du génie rural, des eaux et forêts, connaît parfaitement le sujet.
Nous l’avons tous constaté, le texte que nous étudions aujourd’hui est plutôt technique. Il vise principalement à ratifier l’ordonnance du 26 janvier 2012, fondée sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de 2010 et qui a elle-même pour but de refondre une partie du code forestier, refonte qui, au regard du code forestier de 1979, ne semble pas inutile, loin de là. Cette ratification constitue tout l’objet de l’article 1er du projet de loi.
Cependant, ce texte va au-delà en présentant quelques ajustements, qui, s’ils sont certes peut-être mineurs, trouvent néanmoins ici toute leur importance.
Ainsi, premièrement, l’article 2 permet de clarifier les dispositions relatives au financement du plan pluriannuel régional de développement forestier, en les distinguant bien de celles qui concernent le financement du Centre national de la propriété forestière.
Deuxièmement, il permet d’aligner le régime applicable en matière de mesures compensatoires auxquelles une autorisation de coupe dans les dunes côtières peut être subordonnée sur celui qui est applicable en matière de défrichement.
Troisièmement, il permet d’aligner les délais applicables en matière de transmission des procès-verbaux portant saisie au juge de la détention et des libertés en Guadeloupe et à la Martinique sur ceux qui sont applicables à la Réunion.
L’article 3 permet quant à lui d’actualiser le code forestier avec les dispositions du code de procédure pénale relatives aux fonctionnaires et agents habilités à constater et à rechercher les infractions forestières et aux règles qui leur sont applicables.
Ensuite, grâce au travail effectué au sein de notre commission des affaires économiques, que je salue, et notamment grâce aux huit amendements déposés par M. le rapporteur, deux articles ont été ajoutés.
Premièrement, l’article 2 bis prévoit que les ventes de bois en bloc et sur pied puissent bénéficier de délais de paiement adaptés à leur spécificité, laquelle n’avait pas été prise en compte dans la loi de modernisation de l’économie de 2008. Ainsi, ce nouvel article permet de définir par voie conventionnelle des dates de livraison théoriques qui déclenchent les tranches de paiement correspondantes, toute la spécificité des opérations de vente de bois en bloc et sur pied étant désormais, et à juste titre, prise en compte.
Deuxièmement, le nouvel article 4 concerne la collectivité territoriale de Corse. Cette dernière se voit transférer l’intégralité de la compétence de production et de multiplication de plants forestiers. Cette mesure, déjà présente dans la loi de finances pour 2013, avait été censurée par le Conseil constitutionnel car étrangère au domaine des lois de finances. Elle trouve ainsi toute sa place dans le texte dont nous débattons aujourd'hui.
Toutes ces dispositions du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier et harmonisant les dispositions de procédure pénale applicables aux infractions forestières ont été votées à l’unanimité par la commission des affaires économiques. Leur utilité et leur caractère consensuel semblent donc difficilement contestables, et c’est la raison pour laquelle le groupe UDI-UC votera aujourd’hui le projet de loi.
Pour conclure, je souhaite revenir sur ce que j’évoquais en introduction : le rôle majeur que jouent ou que pourraient jouer les forêts.
La France dispose véritablement d’un potentiel extraordinaire, mais la filière bois est à l’heure actuelle sous-exploitée. L’importation de bois transformés se fait donc de plus en plus fréquente, ce qui me paraît vraiment dommage.
Que ce soit dans la construction, l’ameublement, le chauffage ou pour son rôle écologique, le bois est un atout considérable, duquel pourraient découler nombre d’activités et d’emplois. Du reste, rendre la forêt plus productive est loin d’être incompatible avec ses autres missions, écologiques, sociales et sociétales. Il s’agit, là comme ailleurs, de savoir trouver un juste milieu.
Il me paraît donc grand temps de réfléchir à un développement efficace et intelligent de ce trésor que constitue la filière bois pour notre pays. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’a indiqué M. le rapporteur, le projet de loi que nous examinons est un texte essentiellement technique. Il a pour objet de ratifier l’ordonnance du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier, tout en corrigeant quelques imperfections juridiques qui demeuraient après la recodification ou n’avaient pas pu être traitées dans le cadre de l’habilitation.
Au-delà de son aspect technique, qui ne pose pas de problème, je vois dans ce texte deux motifs essentiels de satisfaction.
Premièrement, le projet de loi s’inscrit dans un effort de clarification, de cohérence et d’équilibre de la norme de droit qui me paraît indispensable. En effet, le code forestier était devenu, au fil des ans, peu lisible et peu maniable pour les praticiens.
Aujourd’hui, on accumule trop souvent les lois, sans identifier toujours les répétitions, les contradictions, les dispositions obsolètes ou les problèmes de coordination avec les autres textes et codes. D'ailleurs, cette question a pris une dimension nouvelle en France puisque le Conseil constitutionnel a fait de « l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi » un objectif de valeur constitutionnelle.
Deuxièmement, en inscrivant ce projet de loi à l’ordre du jour du Sénat, le Gouvernement affirme sa volonté de prêter une plus grande attention à la forêt, qui, il est vrai, en a besoin.
Notre pays dispose d’une forêt vaste, diversifiée en essences, globalement bien gérée depuis des siècles, ainsi que de savoir-faire, issus d’une longue tradition, en matière de travail du bois. Tous ces atouts devraient se traduire en un secteur d’activités économiques dynamique et créateur d’emplois.
Or, la réalité est tout autre ! La balance économique du secteur est lourdement – et de plus en plus – déficitaire, et le nombre d’entreprises, en particulier de la première transformation, est en forte régression.
Dans mon département, l’Aveyron, aussi joli que les départements de l’Allier ou de la Corrèze (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.),…
Mme Mireille Schurch. Aussi joli ? Impossible !
M. Stéphane Mazars. … la forêt représente 245 000 hectares, soit 28 % de la superficie du département. Contrairement aux idées reçues, elle est composée à 80 % de feuillus et à 20 % de résineux. D'ailleurs, la même répartition entre feuillus et résineux se retrouve au niveau national.
Mme Mireille Schurch. Eh oui !
M. Stéphane Mazars. La forêt représente aussi une véritable activité, qui crée l’équivalent de 4 000 emplois, depuis le bûcheron jusqu’à l’industriel du meuble.
En fait, le terme de « forêt » cache ici plusieurs réalités, avec des différences marquées entre les causses d’altitude et les peupleraies riveraines du Lot. Certains secteurs sont très productifs, alors que d’autres le sont beaucoup moins, en raison de pentes très fortes et de dessertes insuffisantes.
En outre, le volume annuel exploité s’élève à un peu plus de 215 000 mètres cubes, alors que la production brute annuelle courante est supérieure à 1 100 000 mètres cubes. Autrement dit, seuls 22 % de l’accroissement naturel sont prélevés ! Il est largement possible de mobiliser des volumes supplémentaires.
Depuis trente ans, de nombreux rapports soulignent ce potentiel dormant dont dispose la France ; ils n’ont, hélas ! guère été suivis d’effets. On s’est plus focalisé sur la préservation à tout prix des forêts que sur leur exploitation. Quelques mesures ont bien été prises, dans le cadre notamment de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Toutefois, elles ne sont pas suffisantes, à l’heure où le Grenelle de l’environnement a prévu, à juste titre, une utilisation croissante du bois éco-matériau dans la construction et l’habitat et du bois-énergie dans le bouquet des énergies renouvelables.
Au-delà des aspects quantitatifs, se pose aussi la question des débouchés offerts au bois potentiellement disponible en France, majoritairement issu de feuillus, alors que la demande actuelle, en particulier dans le domaine de la construction, porte essentiellement sur des essences résineuses. Certes, la très grande diversité de notre forêt est une richesse écologique, mais elle est aussi un handicap commercial. Elle a conduit, avec le morcellement des parcelles, à des scieries de petite taille, spécialisées dans une essence et donc peu compétitives.
Il faut relancer la politique forestière, préparer les récoltes de demain, aider la filière bois à se structurer.
Monsieur le ministre, vous avez lancé des assises de la forêt, dans la perspective d’un volet forestier intégré à une loi d’avenir de l’agriculture. Je salue cette très bonne initiative.
Bien des questions doivent être tranchées. Par exemple, s’agissant de la reconstitution des peuplements après « récolte », quelles essences et quels modes de régénération convient-il de privilégier ?
L’enrésinement a permis de rétablir un mélange d’essences, notamment au niveau de la hêtraie, rendue monospécifique par la pression historique conjuguée du pastoralisme et du charbonnage. Prenons garde toutefois à conserver un équilibre entre la forêt originaire et la forêt implantée.
Quoi qu’il en soit, on replante aujourd’hui beaucoup moins qu’avant. Ainsi, dans mon département de l’Aveyron, près de 50 hectares sont replantés chaque année, contre 1 500 il y a trente ans. Le renouvellement est aussi gêné par la forte densité de cervidés dans certains massifs. Néanmoins, on peut souligner l’excellente initiative prise par la région Midi-Pyrénées, qui, à travers son plan carbone, a permis de doubler la surface reboisée en 2012.
Par ailleurs, pour être valorisée par la filière bois, la production forestière nécessite sa mobilisation par des techniques modernes d’exploitation, de débardage et de transport jusqu’aux unités de transformation. Or, quelle que soit la technique d’exploitation et de débusquage utilisée, un réseau de voirie reste indispensable pour vidanger les produits de la forêt. L’apport du Fonds forestier national dans le financement d’un tel réseau a été incontestable et a répondu aux problématiques plurielles d’aménagement, notamment en montagne : valorisation forestière, bien sûr, mais également pastorale et même touristique. Malheureusement, cet outil de la politique forestière a aujourd'hui disparu.
Enfin, nulle production forestière ne sera durablement possible si les entreprises et les différents organismes qui interviennent dans la gestion et l’exploitation des parcelles ne disposent pas d’une main-d’œuvre qualifiée en nombre suffisant. Or, actuellement, le recrutement se révèle de plus en plus difficile pour les métiers concernés, faute de formation adaptée mais aussi en raison de conditions d’exercice souvent dissuasives.
Relever ces défis, tout en répondant aux enjeux de la préservation de la biodiversité et du maintien du principe de multifonctionnalité – avec, en particulier, l’accueil du public – nécessite une animation sur le terrain et des moyens supplémentaires.
L’Office national des forêts fait un excellent travail mais il a été « saigné » par la révision générale des politiques publiques. Les centres régionaux de la propriété forestière, les CRPF, ont également vocation à accompagner les propriétaires privés, lesquels doivent aussi être aidés car ce n’est pas le prix du bois qui compensera les investissements nécessaires à l’exploitation…
Monsieur le ministre, nous vous savons pleinement investi sur l’avenir de nos forêts et sur cette économie qui, tout en étant écologiquement responsable, peut également être rentable. Aussi, nous espérons que vous saurez trouver les moyens nécessaires, notamment sur le plan financier, pour accompagner votre légitime ambition. (Applaudissements.)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les forêts représentent près de 30 % du territoire – plus de 35 % si l’on intègre les outre-mer. Comme M. le ministre l’a précisé, leur gestion, en France, est réglementée de longue date, depuis bien avant le XVIIe siècle et Colbert.
M. Joël Labbé. Mon intervention se déclinera en deux points. Le premier, assez rapide, portera sur le texte lui-même – nul besoin de répéter ce qui a déjà été dit, d'autant que nous sommes très favorables au projet de loi. Le second concerna nos attentes relatives à la loi d’avenir de la forêt.
À l’issue des travaux sur le texte que nous examinons aujourd'hui, nous sommes nombreux à partager le constat que le code forestier est devenu inadapté pour les praticiens.
Le présent projet de loi apporte peu de changements sur le fond. Néanmoins, il améliore certaines dispositions du code, à commencer par la législation concernant la défense de la forêt contre l’incendie, qui est renforcée. Les sanctions pénales et administratives sont harmonisées et simplifiées et, de fait, une définition de « l’infraction forestière » apparaît pour la première fois.
Par ailleurs, ce texte résout deux problèmes pratiques immédiats. Le premier concerne la Corse. Il s’agit de permettre le transfert à la collectivité territoriale de Corse de l’intégralité de la compétence de production et de multiplication de plants forestiers et autres végétaux.
Le second problème a trait aux délais de paiement pour les ventes de bois en bloc et sur pied. L'application stricte de la loi de 2008 de modernisation de l'économie implique un paiement, au plus tard, à soixante jours de la date d'émission de la facture. Or cette disposition n'est pas adaptée à ce type de ventes. En effet, les bois étant coupés au fur et à mesure, les entreprises du secteur peuvent difficilement supporter de payer l'intégralité du bois en début de période.
Cela étant dit, ce texte d’ajustement n'a pas vocation à se substituer à une ambitieuse politique forestière promise par M. le ministre Stéphane Le Foll, qui a été très clair sur ce point en annonçant de prochaines assises de la forêt, en prélude à la grande loi d'avenir de l’agriculture qui concernera également la forêt ; c’est appréciable.
Quand on parle de la forêt française, il convient en premier lieu d’appréhender de façon spécifique l’immense massif de forêt primaire qu’est la forêt équatoriale guyanaise, qui représente plus de 90 % de la plus grande région française. Ce massif forestier, qui recouvre 8 millions d’hectares, reste parmi les plus riches et les moins écologiquement fragmentés du monde. M. le rapporteur l’a évoqué toute à l’heure, la France a ici un devoir d’exemplarité vis-à-vis du monde.
Bien que préservée, cette forêt subit, depuis quelques années, de fortes pressions dues à certaines pratiques, notamment la « biopiraterie » et l’orpaillage légal ou illégal, qui entraînent la privatisation de certaines ressources naturelles et la destruction, chaque année, de plusieurs milliers d'hectares de forêt.
M. le rapporteur a rappelé le rôle essentiel de la forêt du point de vue environnemental et de la biodiversité ainsi que pour les aspects économiques et sociaux. Concernant les aspects sociaux, il a évoqué le rôle de la forêt pour la promenade, la chasse et la cueillette, notamment la cueillette de champignons.
Mais, dans le domaine social, il y a bien plus important : c’est, dans la forêt guyanaise, le sort des peuples primaires autochtones, qu’elle abrite et fait vivre depuis la nuit des temps. Lors de la visite du cacique Raoni au Sénat – j’étais présent lorsqu’il a été reçu par Jean-Pierre Bel, ce qui fut un grand moment d’émotion –, on a appris que la France n’avait pas encore signé la déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones. Je ne sais pas si cette question est du ressort du ministre des affaires étrangères,…
M. Joël Labbé. … mais je lui en parlerai.
Pour en revenir à la forêt métropolitaine, je citerai quelques priorités. Il faut une gestion plus dynamique de la forêt française – c’est une nécessité. Il faut encourager les intermédiaires, y compris les exploitants forestiers. Il faut moderniser les scieries et les équipements de séchage. Il faut utiliser le bois d’œuvre pour la construction. Il faut véritablement lancer une filière de bois-construction, qui est porteuse pour l’avenir. Il faut mobiliser le bois-énergie dans le cadre d’une gestion durable de cette ressource, qui, par définition, est renouvelable à condition de respecter certains équilibres, en commençant par ne pas en faire un usage excessif. Il faut travailler avec les collectivités pour développer les réseaux de chaleur – le mouvement est amorcé, mais on pourrait aller beaucoup plus loin – sans oublier les chaufferies collectives. Il faut, bien entendu, développer la recherche et la formation.
Constituer une forêt soutenable, c’est aussi gérer la forêt dans le respect de la biodiversité et de l’adaptation au changement climatique. Je pense, monsieur le ministre, que vous en serez d’accord : lorsqu’on parle de développement économique, les enjeux environnementaux et concernant la biodiversité sont essentiels et indissociables.
Nous, écologistes, affirmons que la protection de l’environnement peut s’accommoder d’une gestion de type industriel ou semi-industriel, à condition qu’elle soit respectueuse. La forêt représente environ 450 000 emplois sur le territoire national. La France peut faire beaucoup mieux. Au moment où l’on recherche de nouvelles filières, la forêt nous offre l’opportunité d’en développer de nouvelles.
J’en viens à la gestion du bois hors-forêt. Le bois de bocage fait partie intégrante de nos paysages, notamment dans notre belle région de Bretagne. Les bois concernés ont été, n’ayons pas peur des mots, abominablement détruits à l’occasion des opérations de remembrement. Les leçons en ont été tirées (M. Ronan Kerdraon opine.), puisqu’on s’attache, depuis quelques années, à reconstituer ces bocages, qui jouent un rôle important pour la qualité de l’eau, les cultures, l’élevage et les paysages.
Enfin, monsieur le ministre, comme l’agro-écologie est promue en tant que voie d’avenir, l’un de ses axes de développement est l’agroforesterie,…
M. Joël Labbé. … qui, avec bonheur, conjugue bois, élevage, cultures et paysages.
La loi d’avenir a donc, précisément, un bel avenir, en agriculture comme en forêt.
Quant au présent projet de loi, nous le voterons et il sera, je le pense, comme ce fut le cas pour le texte que nous avons examiné hier soir, adopté à l’unanimité. Le Sénat va bien pour le moment ! (Sourires et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre, promoteur de la belle forêt vosgienne !
M. Charles Revet. Effectivement. Et son meilleur défenseur !
M. Jackie Pierre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi a deux qualités majeures. D’abord, il démontre que le choix de la méthode de codification à droit constant par ordonnance du Gouvernement est le bon. C’est un choix efficace qui ne remet pas en cause les prérogatives du Parlement, seul compétent pour ratifier.
Ensuite, ce projet débouche sur une recodification complète du code forestier, devenue absolument nécessaire. Le nouveau code sera plus lisible, avec une réelle amélioration pour les praticiens : au-delà du toilettage du code forestier, ce projet met en place une articulation particulièrement bienvenue entre le code pénal et le code forestier.
Comme l'a noté notre excellent rapporteur Philippe Leroy, il s’agit d’un exercice réussi,…
M. Charles Revet. Il est connaisseur !
M. Jackie Pierre. … sur lequel un consensus peut s'établir. Les propositions du rapporteur visant à apporter des correctifs techniques au code forestier et à régler quelques difficultés pratiques reçoivent bien entendu notre assentiment. Je n'y reviendrai pas, Philippe Leroy…
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Encore !
M. Jackie Pierre. … ayant été particulièrement clair sur ces points. (M. Roland du Luart opine.)
Ce projet de loi, que nous voterons, est donc un texte important. Toutefois, il reste modeste au regard des enjeux que représente l'avenir de la forêt française. C'est un texte d'ajustement, mais pas un véritable projet pour une politique forestière forte, qui reste à mettre en œuvre.
Permettez à l'élu du département des Vosges que je suis d'attirer un instant votre attention sur ce point. Vous savez que la forêt vosgienne est la deuxième surface forestière de France après celle des Landes, avec plus de 300 000 hectares. Commune à trois régions, elle est la plus grande richesse du massif des Vosges et joue aujourd'hui un rôle économique majeur.
Vous avez annoncé, monsieur le ministre, un prochain rendez-vous législatif pour la forêt. Nous sommes en attente de ce projet, qui doit être ambitieux tant la forêt française appelle un grand volontarisme politique pour être valorisée. Nous serions heureux si vous pouviez d'ores et déjà nous livrer un agenda et des perspectives concrètes.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jackie Pierre. De nombreux rapports, depuis de longues années, pointent les difficultés de la filière bois et tracent des pistes pour relancer la politique forestière en France. Je pense bien entendu à l'avis du Conseil économique, social et environnemental d'octobre 2012, qui souligne que la forêt française est mal exploitée car insuffisamment valorisée. Mais le temps n'est plus à l'analyse de la situation, il est à l'action concrète et aux investissements.
Rendez-vous compte, mes chers collègues, que la France est le troisième pays le plus boisé de l'Union européenne ! Sur le plan économique et social, la filière bois est un secteur économique de poids. Elle représente un chiffre d'affaires de 60 milliards d'euros par an et compte près de 450 000 emplois. Participant activement à la vie des territoires ruraux, elle est essentielle à leur dynamisme. Enfin, elle joue un rôle majeur dans l'équilibre de l'aménagement de nos territoires et de nos régions.
Cependant, malgré son formidable potentiel, la filière bois est aujourd'hui confrontée à d'importantes difficultés se traduisant par un fort déficit de sa balance commerciale, de l'ordre de 6 milliards d'euros. La forêt française doit faire face à de multiples défis comme le morcellement ou la chute du nombre de scieries.
Comment la filière bois peut-elle relever les défis complexes, et pourtant déterminants, concernant son avenir ? Votre projet de loi devra répondre à cette question pour être crédible, monsieur le ministre. Il faut faire évoluer l'ensemble des modalités de gestion et d'exploitation de la forêt française. Car si nous devons rendre la forêt plus productive, il est impossible d'oublier son rôle et sa mission environnementale.
Il faut opter pour une gestion durable afin de préserver la biodiversité. À ce sujet, le Grenelle de l'environnement propose nombre de pistes intéressantes, qu'il suffirait de suivre et de rendre effectives. Le rapport du Conseil économique, social et environnemental le souligne également.
Bien entendu, la filière forêt-bois doit être dynamisée pour la rendre plus compétitive, notamment au niveau international. Comment expliquer en effet que la valeur ajoutée nous échappe alors que la qualité de nos bois est réputée ?
Monsieur le ministre, une politique forestière ambitieuse ne pourra se faire sans allocation de moyens supplémentaires. Investir aujourd'hui dans la forêt pourrait rapporter demain : le potentiel de croissance et, donc, le gisement d'emplois sont réels. Une telle politique permettrait de pérenniser les emplois existants et certainement d'en créer de nouveaux. Je pense également à l'intensification des efforts de recherche et d'innovation, susceptibles de rendre ce secteur plus attractif en termes de main-d'œuvre.
À notre avis, la valorisation de la forêt française est conditionnée par un fort volontarisme politique. Il n'y a pas d'autre choix. L'amélioration de la gestion des massifs forestiers demande des moyens financiers. Affecter une partie du produit de la vente d'actifs carbone et de quotas d'émissions de gaz à effet de serre constitue une piste sérieuse pour trouver des ressources.
J'espère, comme notre rapporteur, que la future loi d’avenir de l’agriculture annoncée pour le second semestre 2013 par le Gouvernement comportera un volet forestier. Il est urgent de prêter une attention plus grande à la forêt et à son développement. Confirmez-vous, monsieur le ministre, que le projet de loi comportera des dispositions mettant en place une politique forestière ambitieuse ?
Dans cette attente, le groupe UMP votera le présent projet de loi, qui a le grand mérite de procéder efficacement à une réécriture complète du code forestier, devenu obsolète. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons ratifier aujourd'hui, en la complétant par quelques amendements, l'ordonnance de recodification du code forestier. Cette entreprise était nécessaire et attendue. Elle a été saluée aussi bien par l'ensemble des professionnels concernés que par nombre d'entre nous, comme l’ont fait ceux qui m’ont précédé à cette tribune.
Nous sentons bien que cette refonte du code forestier n'est qu'une première étape vers la définition d'une véritable politique de la forêt dans la prochaine loi d'avenir de l'agriculture.
Notre forêt représente non seulement un héritage, mais aussi un atout, à condition que nous sachions l'exploiter correctement.
Mon département, la Dordogne,…
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. C’est en France ? (Sourires.)
M. Claude Bérit-Débat. … est le troisième département français par sa superficie globale et par sa surface forestière et, sans bénéficier de l’atout des chênaies du département de l’Allier que ma collègue Mireille Schurch a évoquées, nous avons quelques chênes truffiers qui présentent un certain nombre de spécificités…
M. Alain Bertrand. Ah !
M. Claude Bérit-Débat. En Dordogne, plus de 400 salariés travaillent dans le secteur du bois, ce qui représente 20 % des emplois industriels du département. Auparavant, l'industrie du bois y était plus forte, mais elle s'est étiolée. Comme dans beaucoup de départements français, nous souhaitons que cette situation s'inverse.
Comme on l’a dit, d’après le Conseil économique, social et environnemental, l'activité forestière représente plus de 400 000 emplois directs au total.
Ces chiffres sont stables mais je ne doute pas que nous puissions les faire progresser si nous nous dotons d'une politique de la forêt digne de ce nom, et je sais, monsieur le ministre, que c’est votre ambition.
En effet, nous sommes actuellement confrontés à une sorte de paradoxe. La France exporte massivement son bois brut, ce qui est bien. Mais elle importe encore plus de bois travaillés et transformés à un coût de revient sensiblement inférieur, ce qui l'est beaucoup moins…
Ainsi, bien que la forêt représente un tiers de notre territoire, et malgré toutes nos exportations, nous accusons un déficit commercial de 6 milliards d'euros dans ce secteur.
Nous devons donc réagir. La solution passe, nous sommes tous d'accord sur ce point, par la structuration d'une filière bois enfin digne de ce nom. Tant en matière de construction que d'énergie, nous devons valoriser notre produit « bois ».
Aujourd’hui, la filière bois n’existe pas véritablement. Nous sommes donc en train de passer à côté d’un gisement d’emplois et de croissance alors que nous disposons d’atouts formidables.
Il n’appartenait pas à ce texte de traiter de ce point. Il comporte toutefois déjà quelques avancées qui pourront aider en ce sens. Je pense d’abord aux dispositions relatives au financement du plan pluriannuel régional de développement forestier.
Je pense également à l’amendement déposé par M. le rapporteur concernant les paiements en matière de vente en bloc et sur pied de bois. Cette mesure était réclamée à juste titre par les professionnels du secteur, qui sont par ailleurs confrontés à une situation difficile.
D’autres points restent encore en suspens. Je songe bien sûr à l’affectation d’une fraction du produit de la taxe carbone. Cette disposition faisait largement consensus quand nous l’avions proposée à l’occasion du vote du budget. Nous devrons y revenir, car elle contribuerait utilement, pour un coût finalement assez faible, à renforcer l’action de l’État en faveur de la filière bois.
Je pense aussi à la question du morcellement des parcelles, qui bloque toute tentative d’exploitation à grande échelle. Trois millions de propriétaires et trois millions d’hectares sont concernés par ce mitage. Il faut donc que nous approfondissions le droit de préférence pour en faire un outil pleinement efficace.
À partir de là, nous pourrons avancer vers la constitution d’une filière bois qui marchera sur ses deux jambes avec, d’un côté, le bois-énergie et, de l’autre, le bois-bâtiment.
Il est pour le moins dommage que, possédant la ressource, nous ne parvenions pas à l’exploiter. C’est pourquoi nous avons tout un secteur industriel à reconstruire, je pense notamment à l’activité sciage. Nous devons également développer des filières de formation adaptées, qu’il s’agisse de l’apprentissage ou des formations supérieures.
On le voit, il y a beaucoup à faire. C’est pourquoi il faut une politique de la forêt forte et une ambition clairement affirmée de votre part, monsieur le ministre.
Les assises régionales du bois et de la forêt ont lancé le mouvement, les assises de la forêt de mai 2013 vont l’approfondir, et il faudra le mener à son terme.
Nous pouvons aujourd’hui impulser ce mouvement en ratifiant cette ordonnance dont l’impact, on le voit, dépasse largement son objet. C’est la raison pour laquelle nous voterons, bien entendu, en sa faveur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je souhaite bien entendu répondre aux orateurs, et surtout tirer un certain nombre d’enseignements de ce débat.
Je tiens tout d'abord à féliciter une nouvelle fois le rapporteur : le Sénat a trouvé l’unité nécessaire, considérant que cette recodification constituait une étape qui devait être franchie car elle permettra d’être mieux adapté aux enjeux pour la forêt et, surtout, pour les acteurs de la forêt. C’est le premier point que je souhaitais relever.
Le deuxième point, c’est que nous sommes d’ores et déjà entrés, au travers de ce texte, dans le débat qui compte, celui de l’avenir de la forêt. Toutes les interventions, au-delà des questions techniques de recodification, ont porté sur les enjeux de la filière bois, qu’il s'agisse de son organisation, de son financement avec la question de la taxe carbone, de ses débouchés et des possibilités nouvelles que peuvent nous offrir un certain nombre de marchés. Je pense aux questions posées sur le bois, l’isolation et la construction de bâtiments, mais aussi sur la structure de notre forêt, qui souffre il est vrai d’une petite inadéquation entre les besoins exprimés, qui concernent les résineux, vous l’avez souligné, madame Schurch, et nos feuillus magnifiques, lesquels ne trouvent pas de débouchés.
Nous allons donc devoir trouver l’équilibre nécessaire entre les enjeux multifonctionnels de la forêt, son rôle dans la séquestration du carbone, la biodiversité, les paysages, et son rôle économique, qu’il ne faut jamais l’oublier. Ce secteur est également un enjeu économique et c’est tout l’objet du débat à venir, qui devra nous permettre de concilier ces objectifs et de les financer par l’investissement dans la forêt. J’ai une grande ambition en la matière. Le débat entamé aujourd’hui a montré nos convergences, c’était la meilleure manière d’anticiper le débat futur.
Je conclurai sur une anecdote, puisque nous sommes entre forestiers et que nous connaissons bien ces sujets. Voilà longtemps, lorsque je piquais des arbres en particulier pour refaire des haies après un remembrement, cher Joël Labbé, il y avait, pour faire la différence entre le hêtre et le charme, un joli procédé mnémotechnique consistant à dire : « Être à poil charme Adam ! ». Je propose au Sénat d’être prêt et sur les dents pour préparer l’avenir de la forêt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Roland du Luart applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.
Article 1er
L’ordonnance n° 2012–92 du 26 janvier 2012 relative à la partie législative du code forestier est ratifiée.
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, sur l’article.
Mme Odette Herviaux. Cet article est particulièrement technique, comme l’ensemble du projet de loi, tous mes collègues l’ont souligné. Je souhaitais simplement souligner combien nous sommes nombreux à espérer une politique ambitieuse pour la forêt et la filière bois dans son ensemble. À cet égard, je souhaite attirer votre attention sur trois points, monsieur le ministre.
Tout d'abord, pour que la forêt et la filière bois se portent bien en France, il faut travailler avec les collectivités locales. Je salue à ce sujet l’intérêt des Rencontres régionales pour l’avenir de l’agroalimentaire et du bois qui se déroulent actuellement, car un important travail de certification des bois doit être réalisé, l’avenir de la filière en dépend. L’État mais aussi les collectivités locales doivent s’y employer. Lorsque j’étais en charge de ce secteur à la région Bretagne, nous avions essayé de soutenir la mise en place de la filière et nous nous étions aperçus, comme l’a dit mon collègue Joël Labbé, de la nécessité de maintenir un équilibre entre les bois utilisés uniquement pour la filière chauffage et les bois certifiés destinés notamment à la construction.
Ensuite, je voudrais mettre l’accent sur certaines situations particulières, la forêt française étant très diverse et globalement morcelée. Vous avez évoqué les landes bretonnes dans votre propos liminaire, monsieur le ministre. Dans mon département, le Morbihan, les landes sont des zones boisées ; elles sont certes importantes, mais ne sont pas classées en bois au titre de la taxe foncière, ce qui est une catastrophe parce qu’elles peuvent être rasées sans aucun problème. Le morcellement des propriétés favorise en outre les indélicatesses, s'agissant de très petites entreprises. Je connais bon nombre de petits propriétaires, souvent de petites gens ayant peu de revenu, qui coupent leur bois, le mettent en bordure du chemin et ne sont jamais dédommagés.
Il convient donc de mettre en place une véritable politique de préservation des terrains boisés. Les communes, avec l’aide des services des impôts, pourraient dresser un bilan des espaces boisés et les reclasser en tant que bois, afin de les préserver et d’organiser les coupes.
Enfin, après d’autres collègues, je voudrais évoquer la spécificité des outre-mer. Outre la forêt primaire de la Guyane, dont on parle beaucoup, les outre-mer possèdent de nombreux bois, mais ceux-ci ne sont pas certifiés. Nos compatriotes ultramarins se trouvent donc obligés d’importer, notamment pour la construction, du bois certifié. Il me paraît par conséquent très important d’agir dans ce domaine.
Tels sont les détails dont je souhaitais vous faire part. Nous avons généralement une vision très consensuelle, au Sénat, des questions qui touchent au bois et à la forêt. C’est un plan d’ensemble qu’il faut mettre en place et je connais, monsieur le ministre, votre volonté sur ce sujet. J’espère que le présent texte réglera certains problèmes techniques de codification dans la filière bois et que la future loi que vous avez évoquée ira bien au-delà. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, sur l'article.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais formuler brièvement deux remarques. La première, le débat est de bonne facture et nous sommes d’accord, sur l’ensemble des travées, pour dire que la filière bois est une filière d’avenir. Or, alors que l’on dit ces choses depuis plusieurs dizaines d’années, nous avons du mal à faire émerger une véritable politique de la filière bois.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Martial Bourquin. Je reprendrai à mon compte plusieurs points qui ont déjà été abordés.
Tout d’abord, nous manquons, au niveau de l’intelligence territoriale, de formations supérieures spécialisées dans le domaine du bois. Le Québec a su mettre en place une filière bois en dix ans. Même si la situation n’est pas comparable à la nôtre, les autorités ont décidé, par décret, d’interdire l’exportation de grumes de bois aux États-Unis sans qu’elles soient transformées une ou deux fois.
Par ailleurs, ces pays disposent d’universités du bois. L’ensemble des métiers et des formations est décliné. La question du bois doit donc être posée avec beaucoup plus de force dans nos universités et dans nos organismes de formation. Culturellement, par exemple dans la construction, si la question du bois commence à émerger, elle ne se développe pas aussi fortement qu’elle le pourrait. Nous savons qu’un mètre cube de bois capture une tonne de CO2. Nous savons que le bois est une ressource renouvelable et une ressource d’avenir. Pour autant, nous avons beaucoup de mal à la faire émerger.
J’en viens à ma seconde remarque. Nos scieries doivent être modernisées. Dans la filière de transformation, il nous manque l’emboutage, c’est-à-dire des entreprises produisant des agglomérés en bois de différentes forces, qui permettent de développer l’ensemble de la filière. Je me demande si nous ne pourrions pas investir massivement, à l’aide du FSI, le fonds stratégique d’investissement, et de politiques territoriales, afin d’être en mesure d’offrir toute la panoplie de la transformation.
La volonté politique du Gouvernement est, je le crois, très affirmée. Si nous faisons en sorte que les collectivités territoriales lui emboîtent le pas, nous pouvons nous donner les moyens, en quelques années, de disposer d’une filière bois compétitive.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Martial Bourquin. À la clé, il y a des centaines de milliers d’emplois, de l’habitat durable. Si nous parvenons à mettre en adéquation la ressource et la filière bois, nous aurons un domaine de croissance tout à fait extraordinaire. Il est en effet assez déplorable de constater que notre commerce extérieur est déficitaire dans ce secteur, alors que nous pourrions avoir une politique d’exportation de haut niveau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Mireille Schurch et M. Stéphane Mazars applaudissent également.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Le code forestier est ainsi modifié :
1° La section 4 du chapitre II du titre II du livre Ier est complétée par un article ainsi rédigé :
« Art. L. 122–16. – Les actions du plan pluriannuel régional de développement forestier sont financées par une part du produit de la taxe perçue sur tous les immeubles classés au cadastre en nature de bois et forêts, reversée par les chambres départementales d’agriculture aux chambres régionales d’agriculture.
« Cette part s’élève à 43 % de la recette fiscale, déduction faite des versements au Fonds national de péréquation et d’action professionnelle des chambres d’agriculture mentionnés à l’article L. 251–1 et au deuxième alinéa de l’article L. 321–13.
« Elle finance en priorité les dépenses des chambres départementales d’agriculture liées à des actions validées au titre du plan pluriannuel régional de développement forestier. » ;
1° bis (nouveau) Au premier alinéa de l’article L. 124–3, les mots : « mentionné au 1° et aux a et b du 2° de l’article L. 122–3 » sont remplacés par les mots : « mentionné à l’article L. 122–3 » ;
2° L’article L. 143–2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 143–2. – Sur les dunes côtières fixées par des plantes aréneuses et le cas échéant par des arbres épars, sans préjudice de l’application des dispositions relatives au défrichement prévues au titre IV du livre III, aucune coupe de ces végétaux ne peut être réalisée sans autorisation préalable de l’autorité compétente de l’État.
« Cette autorisation peut être subordonnée à l’exécution de travaux de restauration dans un secteur de dunes comparables du point de vue de l’intérêt de l’environnement et du public, pour une surface correspondant au moins à la surface faisant l’objet de l’autorisation.
« Le demandeur qui ne souhaite pas réaliser par lui-même les travaux mentionnés au deuxième alinéa peut proposer de s’acquitter de ses obligations par la cession à l’État, à une collectivité territoriale ou à un établissement public, de dunes côtières fixées par des plantes aréneuses d’une surface au moins égale à celle faisant l’objet de l’autorisation.
« L’autorisation peut être refusée lorsque la conservation de ces végétaux est reconnue nécessaire au titre d’un ou plusieurs des motifs mentionnés aux 1°, 2°, 4°, 8° et 9° de l’article L. 341-5.
« La durée, limitée à cinq ans, la forme ainsi que les conditions et délais de délivrance de l’autorisation sont fixés par voie réglementaire. » ;
3° Au deuxième alinéa de l’article L. 154–2, les mots : « en Conseil d’État » sont supprimés ;
3° bis (nouveau) Le second alinéa de l’article L. 161–7 est ainsi rédigé :
« Les agents mentionnés au 2° de l’article L. 161–4 peuvent rechercher et constater les infractions aux dispositions du titre III du présent livre et aux réglementations prises pour son application dans tous les bois et forêts, quel que soit leur régime de propriété. » ;
4° Au premier alinéa du II de l’article L. 161–8, les mots : « gérés par l’Office national des forêts » sont remplacés par les mots : « relevant du régime forestier ou gérés contractuellement par l’Office national des forêts » ;
5° À l’article L. 161–26, la référence : « L. 161–21 » est remplacée par la référence : « L. 161-22 » ;
6° Le titre VII du livre Ier est ainsi modifié :
a) Au chapitre Ier, il est inséré un article L. 171–1 ainsi rédigé :
« Art. L. 171–1. – Pour l’application à la Guadeloupe de l’article L. 161-19 dans le cas où le procès-verbal porte saisie, le délai prévu pour la transmission au juge des libertés et de la détention est porté à deux jours ouvrés. » ;
b) Le chapitre II est complété par un article L. 172–8 ainsi rédigé :
« Art. L. 172–8. – Pour l’application en Guyane de l’article L. 161-19 dans le cas où le procès-verbal porte saisie, le délai prévu pour la transmission au juge des libertés et de la détention est porté à trois jours ouvrés. » ;
c) Au chapitre III, il est ajouté un article L. 173–2 ainsi rédigé :
« Art. L. 173–2. – Pour l’application à la Martinique de l’article L. 161-19 dans le cas où le procès-verbal porte saisie, le délai prévu pour la transmission au juge des libertés et de la détention est porté à deux jours ouvrés. » ;
6° bis (nouveau) Au début du second alinéa de l’article L. 213–1, les mots : « Lorsque ces biens relèvent » sont remplacés par les mots : « En cas d’aliénation de biens relevant » ;
6° ter (nouveau) L’article L. 214–13 est ainsi rédigé :
« Art. L. 214-13. – Les collectivités et autres personnes morales mentionnées au 2° du I de l’article L. 211–1 ne peuvent faire aucun défrichement dans leurs bois et forêts, qu’ils relèvent ou non du régime forestier, sans autorisation de l’autorité administrative compétente de l’État.
« Les articles L. 341–1 et L. 341–2 leur sont applicables. » ;
6° quater (nouveau) À l’article L. 214–14, les mots : « L. 341–5 à L. 341–7 relatives aux conditions du défrichement » sont remplacés par les mots : « L. 341–3 à L. 341–10 relatives aux conditions du défrichement et celles des 3° et 4° de l’article L. 342–1 relatives aux exemptions » ;
7° Les deux derniers alinéas de l’article L. 321–13 sont supprimés ;
8° Le dernier alinéa de l’article L. 331–19 est ainsi rédigé :
« Ce droit de préférence s’exerce sous réserve du droit de préemption prévu au bénéfice de personnes morales chargées d’une mission de service public par le code rural et de la pêche maritime ou par le code de l’urbanisme. » – (Adopté.)
Article 2 bis (nouveau)
Le chapitre V du titre V du livre Ier du code forestier est complété par un article L. 155–2 ainsi rédigé :
« Art. L. 155–2. – Lorsque les ventes se font en bloc et sur pied, l’acheteur exploite les bois signalés ou marqués comme objet de la vente à compter de l’obtention du permis d’exploiter, dans le respect de la période d’exploitation définie par le contrat. Le contrat fixe, au sein de cette période, une ou plusieurs dates auxquelles tout ou partie des bois objet de la vente seront regardés comme livrés. Ces dates de livraison constituent le point de départ des délais de règlement sans pouvoir excéder le délai de quarante-cinq jours fin de mois mentionné à l’article L. 441–6 du code de commerce. La facture peut néanmoins être émise dès la signature du contrat pour la totalité des bois vendus en bloc et sur pied. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. P. Leroy, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 155–2. – Lorsque les ventes se font à un prix global déterminé au moment de la vente et sur pied, l'acheteur exploite les bois signalés ou marqués comme objet de la vente dans le respect des conditions d'exploitation définies par le contrat. Le contrat fixe, au sein de la période d'exploitation, une ou plusieurs dates auxquelles tout ou partie des bois objet de la vente seront regardés comme livrés. Ces dates de livraison constituent le point de départ des délais de règlement, sans pouvoir excéder les délais de quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours mentionnés à l'article L. 441–6 du code de commerce, à compter de la date de livraison. Une facture peut néanmoins être émise dès la signature du contrat pour la totalité des bois vendus. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Leroy, rapporteur. Il s’agit d’une affaire très technique, liée à l’histoire de la forêt. Chaque mot, en matière forestière, a une signification associée à des usages depuis le Moyen Âge.
Dans l’amendement que nous avions préparé, en lien avec les juristes du ministère de l’agriculture, sur les ventes et les délais de vente, nous avions introduit la notion de « permis d’exploitation ». Or ces termes ont une connotation chargée d’histoire qui risquait de troubler les interprétations modernes. Aussi, nous avons remplacé cette notion par la notion de « contrat de vente », que tout le monde comprend. C’est une modification très technique.
Permettez-moi maintenant de revenir, pour l’histoire et une bonne compréhension du sujet, sur la vente en bloc et sur pied, qui est extrêmement répandue. Elle consiste, sur une parcelle, à marquer les arbres que le propriétaire veut enlever, soit parce qu’ils sont mûrs, soit pour faire des éclaircies, soit pour un autre motif, puis à en informer ceux qui souhaitent venir les couper et à leur demander combien ils veulent donner. C’est la façon la plus facile pour un propriétaire de vendre du bois puisqu’elle lui permet de faire jouer la concurrence. Les acheteurs potentiels viennent jauger les arbres et indiquent combien ils sont prêts à en donner.
L’Office national des forêts procède d’ailleurs de la sorte très fréquemment pour les communes et pour le domaine de l’État.
Pour le propriétaire c’est très commode, car il n’a pas la charge d’exploiter les bois, de payer les bûcherons, il encaisse le produit de la vente. La valeur ajoutée résultant notamment de l’abattage et du transport revient aux exploitants forestiers. C’est le système le plus traditionnel.
Aujourd'hui, on cherche à évoluer. C’est l’un des thèmes qu’il faudra aborder, monsieur le ministre, au cours des réflexions que vous allez conduire : ce mode de vente est-il le plus adapté à la modernisation de la filière ? Certains pensent que oui, d’autres que non.
Je souhaitais ouvrir cette parenthèse, car de petits problèmes se posent.
Quant à mon amendement, je le répète, il est très technique. Il vise à éviter aux juristes de se casser la tête. En tant qu’ingénieur, je me méfie beaucoup des juristes ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Le Gouvernement émet bien entendu un avis favorable sur l’amendement de M. le rapporteur.
M. Charles Revet. Il fait consensus !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce sujet fait consensus.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur, on se méfie toujours des juristes. Il faut écouter et faire en sorte de respecter ce qui doit être le droit.
Vous avez évoqué la vente en bloc et sur pied, dont nous aurons en effet à débattre. La véritable question qui se pose est la suivante : comment parvenir à une meilleure adéquation entre l’offre et la demande, afin que les demandeurs de bois puissent trouver une offre correspondant à ce qu’ils souhaitent ? En effet, l’offre telle qu’elle existe aujourd'hui s’impose, mais elle ne permet pas toujours aux demandeurs de trouver ce qui leur est nécessaire.
J’ai récemment visité une scierie en Lorraine, spécialisée dans le plancher en chêne, dont le dirigeant m’a dit qu’il passait plus de temps à régler ses problèmes d’approvisionnement…
M. Stéphane Le Foll, ministre. … qu’à chercher des débouchés commerciaux, alors que cette entreprise exporte pourtant des planchers en chêne en Indonésie et au Japon. Nous sommes là au cœur d’un sujet sur lequel la loi d’avenir de l’agriculture devra apporter des solutions.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2 bis, modifié.
(L'article 2 bis est adopté.)
Article 3
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° La section 4 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier est ainsi modifiée :
a) L’intitulé du paragraphe 1 est ainsi rédigé : « Paragraphe 1 : Des fonctionnaires et agents habilités à rechercher les infractions forestières » ;
b) L’article 22 est ainsi rédigé :
« Art. 22. – Les agents des services de l’État chargés des forêts, les agents en service à l’Office national des forêts ainsi que ceux de l’établissement public du domaine national de Chambord, commissionnés à raison de leurs compétences en matière forestière et assermentés à cet effet, les gardes champêtres et les agents de police municipale exercent leurs pouvoirs de police judiciaire conformément aux dispositions du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du code forestier. » ;
c) L’article 23 est ainsi rédigé :
« Art. 23. – Les personnes mentionnées à l’article 22 peuvent être requises par le procureur de la République, le juge d’instruction et les officiers de police judiciaire afin de leur prêter assistance. » ;
d) Les articles 24, 25 et 26 sont abrogés ;
2° Le chapitre II du titre Ier du même livre est ainsi modifié :
a) À la première phrase de l’article 34 et au premier alinéa de l’article 39, les mots : « , sans préjudice des dispositions de l’article 105 du code forestier et de l’article 446 du code rural et de la pêche maritime » sont supprimés ;
b) Au second alinéa de l’article 45, les mots : « , soit par un ingénieur des eaux et forêts, soit par un chef de service ou un agent technique, désigné par le conservateur des eaux et forêts » sont remplacés par les mots : « par le directeur régional de l’administration chargée des forêts ou par le fonctionnaire qu’il désigne, sauf si le procureur de la République estime opportun d’occuper ces fonctions. » ;
3° Au quatrième alinéa de l’article 546, les mots : « de l’administration des eaux et forêts » sont remplacés par les mots : « du directeur régional de l’administration chargée des forêts ».
II (nouveau). – Le I entre en vigueur le 1er juillet 2013. – (Adopté.)
Article 4 (nouveau)
I. – La sous-section 3 de la section 3 du chapitre IV du titre II du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 4424–33–1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4424–33–1. – Au titre des compétences exercées par la collectivité territoriale de Corse en matière d’agriculture et de forêt prévues à l’article L. 4424–33, la collectivité territoriale de Corse exerce la compétence en matière de production et de multiplication de plants forestiers et autres végétaux. »
II. – Le transfert à la collectivité territoriale de Corse de la compétence mentionnée à l’article L. 4424–33–1 du code général des collectivités territoriales entre en vigueur le 1er juillet 2013. Les charges résultant pour la collectivité territoriale de Corse de ce transfert sont compensées dans les conditions prévues à l’article L. 4425–2 du même code, après déduction des augmentations de ressources entraînées par le transfert.
III. – Les services ou les parties des services chargés de l’exercice de la compétence transférée à la collectivité territoriale de Corse dans les domaines de la production et de la multiplication de plants forestiers et autres végétaux, en application de l’article L. 4424–33–1 du code général des collectivités territoriales, sont transférés à la collectivité territoriale de Corse selon les modalités prévues au titre V de la loi n° 2004–809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, sous réserve du présent III.
Sont transférés à la collectivité territoriale de Corse les emplois pourvus au 31 décembre 2012.
À défaut de convention mentionnée au III de l’article 104 de la loi n° 2004–809 du 13 août 2004 précitée à l’issue d’un délai de trois mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, la liste des services ou parties de services mis à disposition est établie par arrêté conjoint du ministre chargé des collectivités territoriales et du ministre chargé de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Par dérogation aux dispositions de l’article L. 4422–43 du code général des collectivités territoriales, les fonctionnaires de l’État affectés à l’exercice de cette compétence peuvent opter soit pour le statut de fonctionnaire territorial, soit pour le maintien du statut du fonctionnaire de l’État dans un délai d’un an à compter de la date de publication du décret en Conseil d’État fixant le transfert définitif des services du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Les fonctionnaires optant pour le statut de fonctionnaire territorial sont intégrés dans le cadre d’emplois équivalent de la fonction publique territoriale, les fonctionnaires optant pour le maintien du statut de fonctionnaire de l’État sont détachés sans limitation de durée dans le cadre d’emplois équivalent dans la fonction publique territoriale. Les fonctionnaires qui n’ont pas fait connaître leur choix à l’expiration du délai d’option sont détachés d’office sans limitation de durée dans le cadre d’emplois équivalent.
Lorsque le droit d’option est exercé avant le 31 août d’une année, l’intégration ou le détachement de l’agent et le droit à compensation qui en résulte prennent effet à compter du 1er janvier de l’année suivante.
Lorsque le même droit d’option est exercé entre le 1er septembre et le 31 décembre d’une année, l’intégration ou le détachement de l’agent et le droit à compensation qui en résulte ne prennent effet qu’à compter du 1er janvier de la deuxième année suivant l’exercice de ce droit.
Lorsque le même droit d’option n’est pas exercé, le détachement de l’agent et le droit à compensation qui en résulte ne prennent effet qu’à compter du 1er janvier de l’année suivant le terme de la période d’exercice du droit d’option, lorsque celui-ci est compris entre le 1er janvier et le 31 août, ou du 1er janvier de la deuxième année suivant le terme de la période d’exercice du droit d’option, lorsque celui-ci est compris entre le 1er septembre et le 31 décembre.
Les modalités de mise en œuvre du transfert des services sont précisées par décret en Conseil d’État. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Comme l’ont précisé mes collègues et notamment Martial Bourquin, une fois le travail réglementaire de toilettage de l’existant effectué, il faudra engager véritablement la structuration de la filière.
Si j’interviens, c’est pour dire que, puisque cette filière sera multiforme, il faudra être très prudent, à l’occasion de son éclosion, afin que n’apparaissent pas des antagonismes.
La forêt française constitue incontestablement un atout majeur, qu’il ne faut pas pour autant surévaluer. Odette Herviaux a eu raison d’en appeler à la responsabilité des collectivités locales. Un tri sélectif doit être effectué afin d’aboutir à une filière qui soit un lieu non pas de contradictions, mais au contraire où tout se potentialise. Je m’exprime sous le regard de Colbert, qui, lorsqu’il entreprit de réhabiliter la marine royale, a laissé quelques traces, y compris dans les hautes vallées pyrénéennes. Ceux qui connaissent le chemin de la Mâture en vallée d’Aspe savent de quoi je parle.
Point trop n’en faut et soyons prudents, en balisant l’avenir afin que tout se passe au mieux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Je constate que ce projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
réforme de la pac
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire.
Monsieur le ministre, des négociations décisives, portant sur le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020, se tiennent aujourd’hui et demain à Bruxelles. De l’accord qui sera trouvé – demain, j’en suis sûr ! – dépend le prochain budget de la politique agricole commune. Dans ces conditions, on comprend l’inquiétude qui sourd dans les territoires ruraux.
Il y a deux jours, à Strasbourg, le Président de la République a confirmé que la PAC allait « voir ses crédits diminuer par rapport aux propositions de la Commission européenne », et que « cela engendrera nécessairement des restructurations difficiles dans un secteur essentiel pour nos territoires ».
Monsieur le ministre, quelles seront ces « restructurations » ?
La PAC doit rester une politique forte et équilibrée. Je le rappelle, notre agriculture, qui représente 20 % de l’espace agricole européen, est la première de l’Union.
Mais, au-delà de ces chiffres, la nouvelle PAC devra s’attacher à privilégier les filières les plus en difficulté – et elles le sont de plus en plus –, qui sont aussi celles qui rendent le plus de services aux territoires, en termes d’aménagement du territoire et de développement durable. À ce titre, l’élevage devra faire l’objet d’une attention ciblée, tout comme les territoires de l’hyper-ruralité, pour lesquels l’activité agricole est une question de survie économique.
Monsieur le ministre, le contribuable européen ne comprendrait pas – et il aurait raison ! – que l’on aide de la même façon un céréalier,…
M. Simon Sutour. Absolument !
M. Alain Bertrand. … qui gagne, en moyenne, plus de 70 000 euros par an, et un éleveur bovin, qui dégage à peine 15 000 euros de bénéfices par an, en moyenne, alors qu’il concourt davantage, je le redis, à l’aménagement du territoire et à la biodiversité, à laquelle vous savez, mes chers collègues, que je suis très attaché. (Sourires sur certaines travées du RDSE. - On crie : Au loup ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
C’est pourquoi la prochaine PAC devra mettre en place des soutiens spécifiques. Il est indispensable de rééquilibrer les aides à l’hectare – on nous en parle depuis un moment déjà… – entre productions végétales et productions animales, en faveur de ces dernières. Il y va, ni plus ni moins, de l’avenir de l’élevage dans notre pays.
Privilégier le financement des cinquante premiers hectares, comme vous en avez l’intention, monsieur le ministre, est une excellente initiative. Cependant, il convient, là encore, d’établir les différences qui s’imposent et de privilégier le soutien aux surfaces fourragères. Cela doit aller de pair avec l’obtention d’une convergence nationale de l’aide de base, un paiement de base distinct entre surface fourragère et non fourragère, ainsi qu’une forte augmentation des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les fameuses ICHN, dont le montant stagne depuis de nombreuses années.
Monsieur le ministre, je terminerai mon intervention par quelques questions. Quelles sont les positions de la France dans les négociations en cours? De quelles informations disposez-vous sur les critères qui seront finalement retenus pour définir la nouvelle PAC ? Pouvez-nous rassurer en nous confirmant que les éleveurs seront mieux aidés et les céréaliers un peu moins (Oh ! sur les travées de l’UMP.), ce qui entrerait dans le cadre de la politique souhaitée par le Président de la République, une politique de justice ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, chargé de l’agroalimentaire. Monsieur le sénateur, c’est en effet au moment où s’ouvre au Sénat cette séance de questions d’actualité au Gouvernement que débute également le sommet européen, qui viendra donner – espérons-le – un budget à l’Europe pour la période 2014-2020.
Vous m’interrogez sur la politique agricole commune. Nous l’avons dit et répété, le Président de la République en tête, la PAC ne peut pas, ne doit pas être la variable d’ajustement du budget européen.
M. François Patriat. Très bien !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Lors du discours, d’ailleurs très applaudi, qu’il a prononcé lundi au Parlement européen, François Hollande, le Président de la République, a rappelé son attachement au socle des politiques européennes que sont à la fois la politique de cohésion et la PAC.
Nous défendons plusieurs principes pour la PAC.
Le premier principe est extrêmement important. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, la PAC doit être plus juste. L’idée serait de pouvoir réorienter les aides en faveur des régions d’élevage, qui seraient majorées pour les cinquante premiers hectares. Cette majoration se ferait donc au bénéfice direct des éleveurs.
Le deuxième principe est tout aussi important que le premier. Nous voulons, en effet, une PAC plus respectueuse de l’environnement. C’est ce que l’on appelle le « verdissement » de la PAC. Nous avons énoncé un objectif : ce verdissement doit être ambitieux, et doit représenter 30 % du budget du premier pilier. Là aussi, le changement serait considérable.
Au-delà, il me semble important de redire l’ambition qu’a la France de revenir sur la logique libérale de la PAC. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Ah !
M. Jean Bizet. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Nous avons montré le chemin, nous avons posé des actes. (M. Jean Bizet proteste.)
Le premier d’entre eux fut le maintien des droits de plantation. Rappelez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que leur suppression avait été acceptée par la précédente majorité. (Protestations et dénégations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Nous avons obtenu que le maintien de ces droits de plantation soit reconnu à partir de 2015. C’est essentiel pour l’ensemble des viticulteurs de France.
Nous travaillons également à la stabilisation du marché du lait.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Ce point est tout aussi important pour rassurer les éleveurs et les producteurs de lait, dont nous voulons qu’ils puissent regarder l’avenir avec confiance, même après la fin des quotas laitiers, en 2015.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre ambition pour l’Europe et pour la PAC est grande.
M. Jean Bizet. Cela ne se voit pas, non !
M. Jean-Louis Carrère. Il faut mettre des lunettes !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. La PAC doit être légitime aux yeux de tous les citoyens et de tous les agriculteurs. C’est pourquoi nous voulons qu’elle reconnaisse la diversité de l’agriculture française et soutienne le travail de tous nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
dotations aux collectivités locales
M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart.
Mme Natacha Bouchart. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé du budget.
Monsieur le ministre, alors que l’année 2013 s’annonce comme la plus difficile pour nos compatriotes confrontés à la crise, l’heure devrait être au rassemblement, afin de relever les vrais défis de notre pays, qui sont, avant tout, de nature économique.
M. David Assouline. Alors, pourquoi nous parlez-vous d’autre chose ?
Mme Natacha Bouchart. Les réformes sociétales que le Gouvernement met en place sont-elles la priorité des Français qui souffrent ? Rien n’est moins sûr !
M. David Assouline. C’est bien vous qui avez déposé 5 000 amendements à l’Assemblée nationale !
Mme Natacha Bouchart. Parmi les vrais sujets figure le financement des collectivités locales.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
Mme Natacha Bouchart. Les dotations versées par l’État devraient, à ce qu’il semble, de nouveau diminuer.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jean Bizet. Ce n’est pas bien !
Mme Natacha Bouchart. La presse s’en est fait l’écho : un effort financier supplémentaire considérable, de 1,5 milliard d’euros, serait imposé d’ici à 2015 pour financer une partie du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Cela représente un doublement du montant prévu par la loi de programmation que nous venons de voter, qui prévoyait 750 millions d’euros par an en 2014 et 2015.
Un sénateur du groupe socialiste. Vous ne l’avez pas votée !
Mme Natacha Bouchart. En tout, 10 milliards d’euros d’économies seront à trouver d’ici à 2015 pour financer ce crédit d’impôt, dispositif complexe, dont l’efficacité est mise en doute par les patrons de PME.
Bien sûr, les collectivités territoriales doivent participer à l’effort de redressement des finances publiques, mais elles doivent le faire dans de justes proportions.
Or nous n’en sommes plus là ! Est-ce cela, le « pacte de confiance et de solidarité » conclu entre l’État et les collectivités territoriales ?
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Non !
Mme Natacha Bouchart. La menace est brandie d’une lourde répercussion sur le fonctionnement des collectivités, qui devront payer la facture du changement des rythmes scolaires, notamment,…
M. Jean-Claude Gaudin. Eh oui !
M. David Assouline. Plus pour longtemps !
Mme Natacha Bouchart. … ville de 75 000 habitants qui luttent face à la crise, je suis inquiète et me fais le porte-parole de tous ces territoires qui souffrent, mais veulent s’en sortir, et attendent surtout d’être soutenus.
Alors, monsieur le ministre, puisque vous placez le mot de « confiance » au cœur de vos relations avec les collectivités, pouvez-vous nous expliquer précisément quelles sont les véritables intentions du Gouvernement en ce qui concerne la dotation globale de fonctionnement, la dotation de développement urbain, la dotation de solidarité urbaine et la prime d’aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget. Madame la sénatrice, je vous confirme que, dans les politiques publiques qu’il met en œuvre, le Gouvernement a deux priorités : la première est le redressement des comptes publics ; la seconde est la restauration de la compétitivité de nos entreprises, qui s’est effondrée, on le sait, ces dix dernières années.
M. Didier Guillaume. Absolument !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Je vous rappelle que notre commerce extérieur en 2011 fut déficitaire de 70 milliards d’euros, quand il était excédentaire encore en 2001.
M. Jean-Claude Gaudin. Ce ne sera pas mieux avec vous, ce sera même pire !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Madame la sénatrice, vous savez l’effort que l’État consent pour mettre en œuvre la politique de redressement des finances publiques. Nous en avons abondamment discuté dans cet hémicycle, lors de l’examen des différentes lois de finances. Il a semblé légitime au Gouvernement, ainsi, semble-t-il, qu’à une très grande majorité d’élus locaux, que les collectivités territoriales contribuent à cet ajustement, en proportion de leur responsabilité dans cet endettement.
Vous le savez, l’endettement du pays s’élève à 1 700 milliards d’euros environ, dont la responsabilité incombe pour 80 % à l’État, pour 10 % à la protection sociale et pour 10% également aux collectivités territoriales.
Ainsi, demander aux collectivités territoriales de fournir un effort correspondant à 10 % de l’effort global paraît juste et légitime. J’en veux pour preuve, d’ailleurs, que bien peu d’élus locaux, où qu’ils siègent, notamment sur ces travées, ont protesté (Exclamations sur les travées de l’UMP.) lorsque j’ai annoncé, au comité des finances locales, un effort de 750 millions d’euros en 2014 et de 750 millions d’euros supplémentaires en 2015 par rapport à 2013. Cela représente un effort total de 2,25 milliards d’euros sur trois ans, quand le budget des collectivités territoriales se monte chaque année, vous le savez, madame la sénatrice, à 220 milliards d’euros.
Un tel effort est juste, car proportionnel à la responsabilité des collectivités locales dans l’endettement du pays.
Notre seconde priorité est le rétablissement de la compétitivité de nos entreprises. La mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi nécessite de dégager une dizaine de milliards d’euros d’économies. (M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.)
Pour l’instant, aucune décision n’est prise, mais il est envisagé de demander aux collectivités de participer à cet effort, tant il est vrai que l’ensemble des territoires bénéficieront des progrès de compétitivité des entreprises rendus possibles par la richesse, l’emploi et les investissements ainsi créés (Exclamations sur les travées de l'UMP.), bref, par la vitalité soit confortée, soit rétablie dans chacun des territoires de notre pays.
L’annonce devrait en être faite, le cas échéant, lors du prochain comité des finances locales, comme c’est l’usage. Je ne puis vous en dire davantage aujourd'hui, d’autant qu’aucune décision n’a été prise à ce jour.
M. Jean-Louis Carrère. Tant mieux !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. En revanche, je vais d’ores et déjà vous préciser – je parle sous le contrôle de mes collègues Marylise Lebranchu et Anne-Marie Escoffier, que je salue l’une et l’autre – ce que le Gouvernement n’annoncera pas lors de ce comité. Il ne reprendra pas ce qui figurait dans le programme de l’UMP aux élections législatives : un effort supplémentaire de 10 milliards d’euros demandé aux collectivités territoriales ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l'UMP.) Nous avons toujours considéré qu’une telle idée était tout à fait excessive et déraisonnable. (Mme Natacha Bouchart s’exclame.)
Vous protestez, madame la sénatrice ? Je vous comprends. Imaginez que vos amis politiques aient remporté les élections. C’est probablement la mort dans l’âme que vous auriez dû accepter les décisions du gouvernement que vous auriez alors soutenu.
Mme Natacha Bouchart. Cela n’a rien à voir !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Les collectivités locales n’auraient pas pu assumer l’effort tout à fait insupportable de 10 milliards d’euros qui leur aurait été demandé sans une hausse de la fiscalité, ce à quoi, j’en suis certain, vous vous seriez refusée.
Mme Natacha Bouchart. C’est du dogmatisme !
M. Jean-Claude Gaudin. Vous ne serez pas invité à Calais, monsieur le ministre !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, madame la sénatrice.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Vous savez donc maintenant ce que le Gouvernement n’annoncera pas.
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour préciser quelle serait la part des collectivités locales dans l’effort de restauration de la compétitivité des entreprises, une compétitivité bien mise à mal par les politiques publiques qui ont été menées au cours des dix dernières années ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.–M. Roger Karoutchi proteste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, mais je vois que c’est M. le ministre du redressement productif qui s’apprête à me répondre.
Au mois de septembre dernier, le Président de la République a déclaré se donner quinze mois pour inverser la courbe du chômage.
M. David Assouline. Et alors ? Il reste encore dix mois !
M. François Zocchetto. Six mois plus tard, un premier bilan s’impose.
Chacun le sait, le chômage frappe désormais toutes les familles en France et concerne plus de trois millions de personnes. Et que fait le Gouvernement face à ce drame ?
Les emplois d’avenir ? Soit ! Les contrats de génération ? Pourquoi pas ? Passe encore pour les commissaires au redressement productif. Mais vous aurez beau énumérer toutes ces mesures et annoncer des chiffres invérifiables (M. David Assouline proteste.), vous ne nous proposerez, dans le meilleur des cas, que la perspective d’une économie administrée, à grand renfort de contrats aidés, tout en jetant – c’est probablement cela le pire – l’opprobre sur les entreprises, qui constituent pourtant le seul moteur de la croissance. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)
Monsieur le ministre, nous n’avons pas les moyens d’une politique des années quatre-vingt. Nous savons tous que les deniers publics manquent cruellement. Et c’est d’ailleurs avec une grande inquiétude que nous avons pris connaissance de l’effort supplémentaire de 5 milliards d’euros auquel les collectivités territoriales seront appelées.
Nous n’avons pas non plus le temps de nous raconter des histoires. L’heure n’est plus à rejeter la faute sur vos prédécesseurs.
M. Jean-Louis Carrère. Non !
M. François Zocchetto. L’heure n’est pas non plus à occuper le Parlement avec des sujets qui ne sont pas la priorité des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.- Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Mariage, modes de scrutin, droit de vote des étrangers, statut du chef de l’État, autant de questions qui, permettez-moi de vous le dire, apparaissent comme de plus en plus décalées quand la colère sociale gronde. Et vous le savez bien !
On ne termine pas ses fins de mois avec des promesses de lendemain qui chantent.
Monsieur le ministre, quand on ne sait pas de quoi demain sera fait, quand on ne sait pas si l’on conservera son emploi, quand on ne sait pas si ses propres enfants trouveront un travail, ne pensez-vous pas que l’urgence réside dans le retour des sujets économiques et sociaux ?
M. David Assouline. On ne vous a pas attendu pour cela !
M. François Zocchetto. L’urgence n’est-elle pas dans la restauration de notre compétitivité et dans le soutien de notre industrie, plutôt que dans la division des Français sur des sujets sociétaux ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. David Assouline. Et qui a déposé plus de 5 000 amendements à l’Assemblée nationale ?...
M. François Zocchetto. Et puisque vous voulez parler de sujets sociétaux, ne croyez-vous pas que le véritable sujet de société aujourd'hui, c’est le chômage ? (Approbations sur les mêmes travées.)
Quand allez-vous enfin réaliser ce vrai choc de compétitivité que le pays attend ? Quand allez-vous enfin adopter la seule solution réaliste ? Je sais qu’il existe des divergences de vues au sein de votre gouvernement, mais la seule solution réaliste, c’est bien la baisse directe des charges des entreprises compensée par une TVA sur les produits importés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le sénateur, le Gouvernement considère en effet que le chômage – vous le soulignez à juste titre – est le principal problème de notre pays, avec tous les risques économiques qu’il fait peser sur notre pays.
Je voudrais d’ailleurs vous en apporter la démonstration. Nonobstant les 5 000 amendements que vos amis ont déposés et l’agitation parlementaire que vous vous plaisez à entretenir sur des questions qui vous paraissent pourtant mineures, nous avons pris un certain nombre de décisions importantes.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Arnaud Montebourg, ministre. D’abord, nous avons stabilisé l’environnement fiscal des entreprises. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) C’est le sens de l’arbitrage du Premier ministre dans le pacte de compétitivité. Cinq mesures fiscales ont été stabilisées, et pour cinq ans, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. Philippe Dallier. Nous attendons de voir !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Cela n’avait jamais fait l’objet d’un quelconque engagement de la part de nos prédécesseurs.
Nous avons, et c’est un fait historique (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.), mis 20 milliards d’euros sur la table à la disposition des entreprises, au terme d’un effort national sans précédent.
D’ailleurs, aujourd'hui, avec OSEO, nous rendons praticable et utilisable ce crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dont je suis certain qu’il va faire beaucoup de bien dans les TPE, les PME et même les grandes entreprises françaises, des entreprises qui souffrent aujourd'hui du fait de la réduction de leurs marges. (Très bien ! sur certaines travées du groupe socialiste.)
En outre, nous avons adopté une mesure d’unité nationale, qui devrait vous réjouir. Je fais ici référence au crédit d’impôt recherche, qui a été inventé par Jean-Pierre Chevènement, amplifié par Nicolas Sarkozy et sanctuarisé par François Hollande. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Il est à la disposition des petites et moyennes entreprises.
Comme je n’en suis pas à accuser mes prédécesseurs, j’aimerais vous faire part des chiffres qu’un institut public de recherches vient de publier sur la désindustrialisation de notre économie. Au cours des trois dernières années, 1 087 usines ont fermé et des centaines de milliers d’emplois industriels ont été détruits, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. Jean-Claude Gaudin. Avec vous, ce sera encore pire !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Certes, chacun a sa part de responsabilité. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. David Assouline. Surtout la droite !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Mais, à présent, il nous faut prendre le taureau par les cornes.
Alors, oui, nous menons une politique d’endiguement, en faveur d’un grand nombre d’outils industriels et de savoir-faire technologiques, pour aider des entreprises qui risquent, sinon, de disparaître dans la tornade !
Vous semblez négliger le rôle des commissaires au redressement productif. Pour ma part, je veux leur rendre hommage. Tous ceux qui siègent dans cet hémicycle, quelle que soit leur sensibilité politique, font appel aux commissaires au redressement productif en cas de sinistre dans leur département. Et ils ont raison de le faire ; je ne peux que les y encourager. En tout cas, ce dispositif permet de sauver des emplois. Permettez-moi à cet égard de citer le sénateur Jean Arthuis, dont la sensibilité est, me semble-t-il, proche de la vôtre, monsieur Zocchetto.
Il faut dire que, à Château-Gontier, dans la Mayenne, avec le commissaire au redressement productif, nous avons sauvé l’entreprise Arféo, spécialisée dans la réalisation de panneaux pour la fabrication de meubles de bureau, qui s’est désormais transformée en société coopérative ouvrière de production.
M. Jean-Claude Gaudin. C’est le conseil général qui a payé !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Et que déclare M. Arthuis à la presse locale ? S’il était au départ dubitatif, il admet à présent que le redressement productif, cela fonctionne, monsieur Zocchetto ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Ma question s’adresse à Mme la ministre du commerce extérieur.
Madame la ministre, selon les chiffres du commerce extérieur pour 2012, qui sont tombés ce matin, le déficit de notre balance commerciale a fortement reculé, pour s’établir à 67 milliards d’euros, contre 74 milliards d’euros l’an dernier.
Ce résultat est d’autant plus remarquable qu’il est porté par la réduction presque de moitié de notre déficit hors énergie, qui passe de 29 milliards d’euros à 15 milliards d’euros.
Alors que la croissance européenne reste atone et que la facture énergétique s’est alourdie, de tels chiffres soulignent l’amélioration de notre compétitivité.
En effet, nos exportations ont progressé de 3,2 % et, surtout, le nombre d’entreprises françaises qui exportent a fortement augmenté. Et si certains secteurs, comme l’automobile, sont dans une situation difficile, beaucoup d’autres se sont montrés très performants. Je pense, par exemple, à l’aéronautique, qui a réalisé 20 milliards d’euros d’excédents.
Cette embellie est donc un signal très positif pour la France. On le voit, le Gouvernement agit de manière cohérente, au service de notre économie, conformément aux engagements du Président de la République.
Madame la ministre, vous avez vous-même inscrit votre action dans une stratégie de renforcement de notre présence à l’international reposant sur une réforme des financements à l’export et sur l’identification des secteurs porteurs pour nos entreprises.
Cette stratégie s’appuiera sur la Banque publique d’investissement, la BPI, et mobilisera tous les acteurs locaux, à travers la mise en place des plans régionaux d’internationalisation des entreprises.
Nos entreprises savent donc maintenant qu’elles peuvent enfin compter sur un gouvernement qui agit de manière claire et efficace pour renforcer leur compétitivité. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Madame la ministre, les chiffres du commerce extérieur de 2012 montrent donc que nous sommes sur la bonne voie. Dans ces conditions, ma question est simple : quelles actions le Gouvernement entend-il mener pour renforcer cette tendance positive, alors que 2013 s’annonce comme une année difficile ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du commerce extérieur.
Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, le déficit commercial de la France s’est réduit. Toutefois, il s’établit tout de même à 67 milliards d’euros !
M. François Rebsamen. Il y a encore du travail !
Mme Nicole Bricq, ministre. Si donc le signal est plutôt bon, il reste beaucoup à faire.
Je rappelle en effet que M. le Premier ministre m’a fixé pour objectif de parvenir à un équilibre de la balance commerciale hors énergie d’ici à la fin du quinquennat. En d’autres termes, il nous faut gagner environ 26 milliards d’euros.
Nous n’allons donc pas nous arrêter en chemin.
Comme vous l’avez souligné, nous avons obtenu des résultats très satisfaisants dans ce que l’on appelle les « grands contrats », à commencer par l’aéronautique. Nous avons livré 1 200 aéronefs, ce qui est, je crois, un record historique pour l’aéronautique française.
Nous n’aurons sans doute pas les mêmes résultats chaque année, même si nous pourrions le souhaiter, dans la mesure où cela a tout de même permis 10 000 créations d’emploi dans la filière aéronautique. C’est donc un enjeu important.
Mais nous devons également œuvrer pour le développement du commerce courant, qui représente le « gros » de la balance commerciale. Je pense aux PME, aux PMI et aux entreprises intermédiaires. Hier, au Salon des entrepreneurs, j’ai indiqué que 150 millions d’euros seraient mobilisés en faveur des entreprises exportatrices et durablement exportatrices. Ces fonds seront pris sur le programme FSI France investissement et mis à disposition de CDC Entreprises.
Nous devons également avoir, me semble-t-il, des financements compétitifs. Nous avons commencé à travailler en ce sens l’année dernière. Il faut continuer. Avoir des fonds propres, cela signifie avoir des capacités d’investir et d’innover. Et qui dit « innover » dit aussi « exporter ».
Au demeurant, et c’est une nouveauté intéressante, dans une Europe en difficulté, le commerce s’oriente vers les pays qui sont des relais de croissance. On constate ainsi une progression de 13 % du commerce avec l’Asie. Nous nous occupons donc beaucoup de ces terres plus lointaines géographiquement et plus éloignées de nos références traditionnelles, mais où les entreprises françaises sont présentes, réussissent et veulent réussir.
M. le Premier ministre et moi-même nous déplaçons beaucoup dans des pays qui ne font pas partie de notre « jardin naturel ». J’étais en Chine voilà quinze jours, et le Président de la République s’y rendra au mois d’avril ou au mois de mai. Le chef du Gouvernement s’est rendu à Singapour et aux Philippines. Cette semaine, j’étais avec lui en en Thaïlande. Je me rendrai prochainement en Indonésie et au Vietnam. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Ce sont des terres de conquête pour nous, mais nos entreprises y sont déjà très présentes.
La leçon à en retenir, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est que le déficit n’est pas une fatalité ! Nous devons retrousser nos manches et poursuivre l’action entreprise.
Je vois aussi ce qui se passe sur le terrain. Pour m’être rendue dans onze régions - j’étais encore à Marseille la semaine dernière (Mêmes mouvements.) – je sais que les entreprises sont mobilisées et que les entrepreneurs sont entreprenants et conquérants. Il faut les aider du mieux possible. C’est le rôle de l’État, qui doit fixer un cap, une stratégie et des priorités d’action.
J’observe également, et c’est très positif, que notre offre commerciale est parfaitement en phase avec les besoins de certains pays en croissance. Alors, allons-y, et allons-y tous ensemble ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
mutilations sexuelles des femmes
M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Ma question s'adresse à Mme la ministre des droits des femmes.
Madame la ministre, hier, 6 février, c’était la Journée internationale contre les mutilations génitales féminines.
La lutte contre ces crimes que constituent l’excision, l’infibulation ou toute autre mutilation génitale dont sont victimes les femmes, jeunes filles et petites filles, nous concerne toutes et tous. Pour mener efficacement ce combat, il est avant tout nécessaire qu’il soit visible, notamment dans cet hémicycle.
Ces pratiques inacceptables concernent plus de 135 millions de femmes dans le monde. Cette situation dramatique concerne directement la France, où le nombre de femmes excisées est estimé à 50 000.
Il me semble indispensable de rappeler que ces combats se mènent depuis des années dans plusieurs pays en Afrique, en Indonésie et ailleurs, grâce au courage de femmes exceptionnelles qui se mobilisent en vue de l’éducation des filles et qui luttent aussi contre « l’économie de l’excision ».
Nous devons comprendre que les ressortissants des États concernés sont, plus que jamais, mobilisés contre ces tortures. Les discours de Thomas Sankara contre l’excision sont bien connus. Plus récemment, le musicien et interprète ivoirien Tiken Jah Fakoly chantait « Non à l’excision ! Ne les touchez plus, elles ont assez souffert ! »
Femmes, hommes, chefs d’État, tous s’impliquent donc dans cette lutte nécessaire.
Je citerai, par exemple, le Protocole de Maputo, signé le 11 juillet 2003 par cinquante-trois chefs d’État de l’Union africaine et dont l’article 3 dispose que les mutilations génitales féminines doivent être interdites et sanctionnées.
Je tiens à saluer ici l’immense travail qu’accomplit en France depuis trois décennies le GAMS, le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants, notamment en matière de prévention et d’information. Il mène aussi et surtout un combat judiciaire, ayant permis de faire progresser à la fois les esprits et notre droit.
À l'échelon international, diverses résolutions ont été prises par l’ONU sur ce « problème de santé publique prioritaire », comme ce fut également le cas, à l'échelon communautaire, par le Parlement européen.
Enfin, le Conseil de l’Europe appelle à une attention particulière pour les demandes d’asile liées au genre. Sa Convention dite « d’Istanbul », du 5 mai 2011, consacre son article 38 à la lutte contre les mutilations génitales féminines.
Madame la ministre, j’apprécie et j’encourage évidemment votre engagement dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et plus particulièrement sur ces questions. Pour autant, quelles nouvelles initiatives le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour accompagner ce mouvement en faveur de la lutte contre les mutilations génitales féminines ? Quand la France ratifiera-t-elle la Convention d’Istanbul et procédera-t-elle aux adaptations préalables nécessaires en droit pénal français ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des droits des femmes.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame la sénatrice, vous avez raison de le souligner, plus de 100 millions de femmes à travers le monde sont victimes de cette pratique barbare, intolérable, violente, dangereuse, pour laquelle aucune justification culturelle ou religieuse ne peut être avancée.
Nous devons d'abord nous réjouir du fait que, le 20 décembre dernier, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution pour en finir une fois pour toutes avec cette pratique et s'en donner enfin les moyens. Sachez que la France a compté pour beaucoup dans ce combat qui est mené depuis des années et qu’elle reste mobilisée aux côtés du Secrétaire général des Nations unies.
Regardons aussi ce qui se passe sur notre sol. La France est l'un des premiers pays à avoir saisi ce sujet à bras-le-corps, dès 1983, notamment grâce à l'action du GAMS, que vous avez eu raison de citer et auquel il faut rendre hommage, madame la sénatrice. Oui, notre pays est l’un des premiers à avoir jugé et condamné les familles responsables des mutilations sexuelles féminines. Je rappelle que, dans notre code pénal, l'excision, qu'elle ait été commise en France ou à l'étranger, est un crime, jugé donc en cour d'assises.
Nous comptons renforcer encore la sanction prévue pour ces faits.
Le Gouvernement vient d’élaborer un projet de loi visant à adapter notre droit pénal aux dispositions de la convention d'Istanbul. Ce texte a été très récemment adressé au Conseil d'État et sera présenté en conseil des ministres d'ici à la fin de ce mois. Il sera ensuite sans délai présenté au Parlement et déposé sur le bureau de votre assemblée. Il prévoit en particulier de faire de l'incitation à subir une mutilation sexuelle féminine une infraction autonome. Ce sera un progrès supplémentaire.
Mais, au-delà du droit et de la vertu dissuasive des grands procès, c'est la qualité de la prévention qui fera reculer ces pratiques. C'est pourquoi nous devons toujours plus informer les populations les plus exposées, en particulier lorsqu'elles s'apprêtent à se rendre à l'étranger. Le Gouvernement y travaille.
Il faut également veiller à ce que ces cas d'excision soient détectés le plus précocement possible, afin de pouvoir intervenir à temps, notamment pour protéger les filles qui sont dans l'entourage des victimes signalées.
Le Parlement a déjà amélioré la loi pour que le secret médical ne s'oppose plus à ce que les médecins signalent les infractions de ce type.
Les professionnels de la protection maternelle et infantile jouent un rôle absolument majeur dans cette action de prévention. Les pays étrangers suivent de très près leur travail et nous envient ces structures. Cette participation doit se poursuivre. Il faut en particulier veiller à ce que, dans le cadre de la formation qui sera conduite par l'Observatoire national des violences faites aux femmes qui vient d'être mis en place, l'excision et les mutilations sexuelles féminines soient considérées comme des violences à part entière. Ce sera le cas.
Je veux enfin insister sur l’importance de l'après. La France compte des professionnels qui, comme Pierre Foldes, sont spécialisés dans la réparation des dommages causés par l’excision. Cela permet de dire aux victimes que leur souffrance n'est pas définitive.
Madame la sénatrice, le meilleur service à rendre aux victimes est de les faire parler et de parler de ces pratiques. Alors, comme le Gouvernement s'apprête à le faire, soutenons l’initiative du collectif « Excision, parlons-en ! » qui va se dérouler tout au long de l’année 2013. (Applaudissements.)
situation des hôpitaux
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Respect des tarifs opposables, non-discrimination pour les soins, qualité des personnels médicaux et paramédicaux : nos hôpitaux sont les fleurons de notre système de santé.
Pourtant, madame la ministre, mis à mal par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », imposée par Nicolas Sarkozy, que nous avions combattue ensemble, fragilisés par la convergence tarifaire et victimes d’un mode de financement similaire à celui qui est pratiqué dans les cliniques commerciales, nos hôpitaux subissent aujourd’hui une situation économique et financière insupportable.
L’insuffisance de l’évolution de leurs crédits et la baisse des tarifs prévue cette année leur imposeront une contrainte financière telle que, selon la Fédération hospitalière de France, cela aboutira à la suppression de 35 000 emplois ! Ce sont autant de femmes et d’hommes en moins, pourtant indispensables pour accueillir, orienter, soigner les patients ou leur apporter toute la sécurité dont ils ont besoin. Ce seront également autant de fermetures d’établissements, d’hôpitaux, de maternités de proximité, telles celles de Marie-Galante ou de Vire, accroissant de fait les inégalités territoriales en matière de santé.
Madame la ministre, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, nous vous avions fait part de nos craintes, considérant que les moyens mobilisés pour les hôpitaux publics étaient insuffisants. Aujourd’hui, les élus locaux, qui rejettent en nombre les schémas régionaux d’organisation des soins ou émettent pour le moins d’importantes réserves, mais aussi les personnels, les représentants des hôpitaux publics et les collectifs qui défendent les hôpitaux de proximité partagent notre analyse.
Dans l’intérêt du service public de la santé, dans l’intérêt de nos concitoyennes et concitoyens, il est temps de rompre avec les logiques libérales imposées par le précédent gouvernement. Pourquoi ne pas instaurer, par exemple, un moratoire sur la fermeture des hôpitaux et cliniques de proximité et sur les restructurations qui découlent de la loi HPST ? Pourquoi ne pas stopper la tarification à l’activité ?
Madame la ministre, vous nous avez annoncé un pacte de confiance pour l'hôpital. Aujourd'hui, les actrices et acteurs du secteur attendent des actes. Quelles mesures urgentes et pérennes entendez-vous prendre pour assurer un financement de l’hôpital public à la hauteur des besoins ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame David, vous qui êtes présidente de la commission des affaires sociales, vous savez combien la France peut être fière de ses hôpitaux publics. Oui, les Français peuvent s’honorer de l'engagement de celles et ceux qui, au quotidien, se dévouent pour permettre à la santé d'atteindre ce très haut niveau de qualité que nous envient nos voisins.
D'ailleurs, les Français ne s'y trompent pas, puisqu'une étude récente montre qu'ils sont plus de 75 % à accorder leur confiance à l'hôpital public quand il s’agit de les accueillir, les soigner, les soutenir.
De ce point de vue, il est absolument nécessaire de rompre avec la logique qui a prévalu au cours des années précédentes, assimilant l'hôpital public aux établissements privés dans son fonctionnement, ses modes de construction et de financement.
Madame la sénatrice, nous n'avons pas attendu. Ainsi, lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, des mesures importantes ont été prises. L'importance du service public hospitalier a d'ores et déjà été réaffirmée.
Mme Annie David. C'est vrai !
Mme Marisol Touraine, ministre. Il a été mis fin à la convergence tarifaire entre le service public et les établissements privés.
Nous avons pris des engagements, votés par ceux qui ont apporté leurs suffrages à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, pour que 1,6 milliard d'euros supplémentaires soient accordés en 2013 à l'hôpital public. Il s’agit d’un effort important dans un contexte de restrictions et de nécessaire responsabilité au regard des finances publiques.
Mais vous avez raison, nous devons aller au-delà.
M. Dominique Watrin. Oui !
Mme Marisol Touraine, ministre. Comme je l'ai annoncé, un pacte de confiance doit pouvoir rendre à l'hôpital public de l'élan et du dynamisme, mais aussi des perspectives.
C’est pourquoi j'ai d'ores et déjà installé un comité de financement qui a pour mission de revoir les règles de financement et d'adaptation de la tarification à l'activité, car la T2A ne peut plus continuer à s'appliquer de manière homogène à l'ensemble des services hospitaliers.
Parallèlement, nous avons la volonté de répondre aux besoins de santé de nos concitoyens sur tous les territoires, dans tous les bassins de vie, tout en leur garantissant la sécurité. C'est à l’aune de cette exigence que nous devons envisager le maintien et le renforcement des coopérations entre les établissements, afin que nos concitoyens puissent compter sur un service public hospitalier de qualité.
Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement a la volonté de renforcer le rôle de l'hôpital public, de le conforter dans ses missions. Le service public hospitalier est l'une des fiertés de la France. C’est pourquoi il nous faut collectivement faire en sorte qu'il ait un grand avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
transports franciliens
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Ma question s'adresse à M. le ministre chargé des transports.
Monsieur le ministre, malheureusement, depuis des années, les usagers du Transilien ont pris l'habitude de subir des dysfonctionnements. Depuis le mois de janvier, le phénomène a pris une ampleur nouvelle, notamment sur le RER A, soit la principale ligne de transport en France. Tous les jours, des trains sont supprimés ; tous les jours, des rames arrivent en retard !
M. David Assouline. C’est la faute de Sarkozy !
M. Hugues Portelli. Sur la ligne J aussi, régulièrement, des trains sont supprimés ou arrivent en retard.
M. David Assouline. Dix ans de droite et il n'y a plus de trains !
M. Hugues Portelli. De même, sur la ligne H, où les rames ont pourtant été changées récemment, tous les jours, des trains sont supprimés.
M. David Assouline. C'est la droite !
M. Hugues Portelli. Sur les lignes B et C, des dysfonctionnements réguliers sont recensés.
Tout aussi régulièrement, le nettoyage des trains n'est pas assuré correctement.
M. David Assouline. Dix ans de droite et il n'y a plus de nettoyage !
M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, quand supprimera-t-on enfin l'interconnexion SNCF-RATP sur les lignes A, B et D ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. Gérard Larcher. Indispensable !
M. Hugues Portelli. Quand introduira-t-on enfin des rames à deux étages sur la ligne A ?
Quand la SNCF daignera-t-elle répondre aux usagers qui l’interrogent sur les raisons de ces suppressions de trains ou ces retards ?
Comment expliquez-vous que ceux qui se présentent à un entretien d'embauche doivent d’abord répondre à des questions du style : Comment comptez-vous venir à votre travail ? Quelles lignes de transport utiliserez-vous ? Comment expliquez-vous que les usagers des lignes que j’ai évoquées voient leur candidature la plupart du temps écartée s’ils répondent sincèrement à ces questions ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. Ce sont des patrons libéraux !
M. Gérard Larcher. C'est la réalité !
M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, nous sommes attachés au service public des transports. Nous vous demandons de le faire respecter, notamment par la SNCF ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, grâce à vous, nous apprenons bien des choses, notamment que, depuis le 6 mai 2012, le service public des transports s’est à ce point dégradé que la responsabilité ne peut qu’en être rejetée sur ce gouvernement ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Cher Arnaud Montebourg, nous avons là une nouvelle explication du niveau du chômage : mauvaises odeurs dans les RER, propreté défaillante dans les transports en commun, voilà pourquoi nos concitoyens ne peuvent plus trouver un emploi ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Pas de caricature ! C'est la vie quotidienne des gens !
M. Gérard Cornu. C'est honteux !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Au-delà de la caricature à laquelle vous vous livrez, monsieur le sénateur, votre intervention souligne des difficultés bien réelles du quotidien, qui ne sont pas nouvelles et qui sont même récurrentes. (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Natacha Bouchart. On vous demande de répondre à la question !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Nous nous attaquons à cette situation depuis le premier jour.
M. Christian Cointat. Vous ne devez pas prendre souvent le RER, monsieur le ministre !
M. David Assouline. Et vous, vous savez vraiment ce que c’est ?
M. Christian Cointat. Moi, si, et je confirme que cela ne fonctionne pas !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Permettez-moi de porter à votre connaissance un certain nombre d’informations. (Brouhaha sur les travées de l'UMP.) Ces cris ne se justifient pas, particulièrement dans cette enceinte, mesdames, messieurs les sénateurs.
Cela étant, j’ai la conviction, et j’espère ne pas être le seul, que c’est en faisant en sorte que les opérateurs, le syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, la région et l’État, travaillent ensemble que nous pourrons gommer les dysfonctionnements trop récurrents sur l’ensemble du réseau parisien.
Dans les prochaines semaines, à la suite du travail qui a été piloté par Cécile Duflot, le Premier ministre va annoncer le calendrier de réalisation du plan de financement du Grand Paris express. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
Ce plan sera également accompagné de mesures d’amélioration du transport du quotidien, et je vous remercie de reconnaître avec moi que c’est un enjeu majeur pour le Président de la République comme pour le Gouvernement. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Par la concrétisation d’engagements anciens, nous faisons en sorte que ces projets ne soient plus du domaine de la fable, mais qu’ils deviennent réalité.
M. David Assouline. Et voilà !
M. François Rebsamen. Cela n’a pas été le cas pendant dix ans !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Par ailleurs, nous souhaitons également, avec la région d’Île-de-France, accélérer des opérations qui visent à moderniser le réseau existant.
Je pense notamment à la modernisation des schémas directeurs du RER ou au travail engagé pour faire aboutir de nouveaux chantiers indispensables à la dé-saturation, comme le projet Eole.
Les opérateurs, l’État, la RATP et la SNCF sont également aux côtés du STIF pour mener à bien de grands projets de modernisation du matériel roulant, lesquels sont indispensables pour offrir aux usagers régularité et qualité du service.
Rappelons que le STIF, depuis la décentralisation, a lancé de vastes projets : le Francilien, les rames à deux niveaux sur le RER A, la rénovation des matériels roulants sur les RER B, C et D.
Nous avons d’ores et déjà demandé l’amélioration de l’exploitation de la ligne B, notamment à travers la création du centre de commandement unique, qui sera effectif dès 2013. J’ai également souhaité qu’une réflexion similaire soit engagée pour la ligne A. (Marques d’impatience sur les travées de l'UMP.)
Par ailleurs (Exclamations sur les mêmes travées.),…
M. le président. Monsieur le ministre délégué, il vous faut conclure.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. … les présidents de la SNCF et de Réseau ferré de France, RFF, anticipent d’ores et déjà ce qui sera l’axe de la réforme ferroviaire : coordonner et améliorer le pilotage de l’ensemble des travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
plan dépendance
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie.
Évaluées en 2000 à 800 000, les personnes âgées dépendantes seraient 920 000 en 2025 et 1,8 million d’ici à 2040, selon l’INSEE.
Le nombre de personnes âgées dépendantes explose, et ce tout simplement parce que la population française vieillit.
En 2011, l’espérance de vie était de 84,8 ans pour les femmes et de 78,2 ans pour les hommes. C’est le papy-boom ou, plus exactement, le mamy-boom ! (Sourires.)
La proportion de personnes âgées dans la population va croître : les 60 ans et plus sont 15 millions aujourd’hui ; ils seront 20 millions en 2030 et 24 millions en 2060, 11 % d’entre eux ayant alors plus de 80 ans. Entre 2010 et 2040, le nombre de personnes de plus de 85 ans devrait augmenter de plus de 300 %.
Cette évolution, qui représente à la fois un progrès et une chance, constitue aussi un enjeu majeur : il est en effet nécessaire d’adapter la société française à cette révolution de l’âge. Elle explique également pourquoi la perte d’autonomie est l’une des premières préoccupations des Français.
Dans cette perspective, il devient urgent d’adopter une grande réforme sur la perte d’autonomie, qui permettrait d’adapter l’offre de soins tout en intégrant les besoins sociaux et psychologiques des patients et de leur entourage.
Promise par Nicolas Sarkozy en 2007, cette réforme a été repoussée tout au long du dernier quinquennat, avant d’être définitivement abandonnée en septembre 2011.
Et pourtant, quatre groupes de travail avaient été chargés d’établir un état des lieux et de formuler des propositions.
Des débats interrégionaux et interdépartementaux ont été organisés à travers la France. Ils ont aussi suscité une grande attente des professionnels et de toutes les familles concernées, en particulier des aidants.
Consciente de cette attente, madame la ministre, vous avez demandé à notre collègue députée Martine Pinville, au docteur Jean-Pierre Aquino et à Luc Broussy de réfléchir sur « les mesures d’anticipation, de prévention et d’adaptation de la société face au vieillissement de la population ».
Ces missions, dont les rapports doivent être rendus dans les prochaines semaines, constituent le prélude à une réforme plus globale.
Dans cette attente, l’annonce faite par le Président de la République, au congrès de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux, l’UNIOPSS, d’une réforme de la dépendance avant la fin de cette année 2013 est une excellente nouvelle.
Cette réforme de la dépendance viendra parfaitement compléter la loi sur l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, mise en place en 2001 par Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d’État aux personnes âgées dans le gouvernement de Lionel Jospin.
Aussi, madame la ministre, pourriez-vous nous préciser quels seront les priorités et les objectifs de cette « loi d’adaptation de la société au vieillissement » pour gérer avec sérénité et solidarité l’un des plus formidables progrès des XXe et XXIe siècles, celui de l’allongement continu de la durée de la vie ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur Kerdraon, comme vous l’avez dit, le Président de la République a donné, le 25 janvier dernier à Lille, le « top départ » de la réforme de la dépendance, qui devra être prête avant la fin de l’année 2013, soit, je le souligne, dix-huit mois seulement après la constitution de notre gouvernement.
Il s’agit d’une réforme ambitieuse, qui couvrira tout le champ de l’avancée en âge, ce qu’aucun gouvernement, dans aucun pays, n’a fait. Elle dessine en particulier le parcours résidentiel des personnes âgées, avec une priorité donnée au vœu exprimé par 87 % des Français : rester à leur domicile aussi longtemps que possible. Cela passe par l’adaptation et l’aménagement de 80 000 logements.
Mais le domicile, ce sont aussi, vous le savez, ces logements intermédiaires où l’on est parfaitement autonome, « chez soi », mais en prise directe avec les services et la vie sociale.
La prévention et l’anticipation constitueront également l’une de nos priorités, et donc l’un des volets majeurs de ce projet de loi
Le Président de la République nous a également confié la mission de rendre les maisons de retraite financièrement accessibles aux familles des classes moyennes, de loin les plus nombreuses.
Il s’agit de réduire le fossé, devenu totalement inacceptable, entre le montant moyen des retraites – 1 100 euros pour une femme, les plus nombreuses en établissement – et le coût moyen pour les familles des maisons de retraite – 1 600 euros dans le secteur public, 2 400 euros dans le secteur privé commercial.
M. Alain Néri. Il faut le dire !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Pour cela, nous avons mission d’étudier toutes les pistes : la réduction des coûts, la régulation des tarifs, mais aussi, bien sûr, l’amélioration des aides publiques.
C’est un engagement considérable. Comme nous l’a rappelé le Président de la République, nous le devons aux familles françaises, aujourd’hui si souvent en difficulté. Toutes les familles sans exception sont concernées par la cause de l’âge et nous démontrons d’ores et déjà qu’elle est l’une des priorités de notre gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC et du RDSE.)
politique industrielle de la france
M. le président. La parole est à M. René Beaumont. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. René Beaumont. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre du redressement productif. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Monsieur le ministre, je vais vous parler de culture cet après-midi, d’une « guerre des anciens et des modernes » réinventée en l’occurrence, une guerre aux effets contradictoires, où se mêlent en quelque sorte le bien mais aussi le mal !
Amazon, le distributeur américain aux 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, expression même de la modernité numérique et du commerce dématérialisé, arrive chez vous, monsieur le ministre, et chez nous !
Ce sont 1,12 million d’euros d’aides publiques qui ont été débloquées pour la création de 250 emplois fermes, voire un millier à terme – aucune date n’est précisée –, dans un nouvel entrepôt, à Sevrey, en Saône-et-Loire.
Dans le contexte économique ultra-déprimé actuel, quand les licenciements succèdent aux licenciements, dans tous les secteurs et partout en France, quelle que soit la taille des entreprises – de surcroît, ces dernières mettent le plus souvent la clé sous la porte sans crier gare ! –, une telle implantation peut apparaître comme une bonne nouvelle.
Mais, comme vous le savez aussi, plus rien n’est simple dans notre monde compliqué : la médaille a un revers et la mariée n’est pas si belle…
Dans le même temps, en effet, les vingt-six magasins de Virgin – un « grand » de la distribution de produits culturels dans notre pays – ont été placés en redressement judiciaire pour une période de quatre mois, le temps de trouver éventuellement une solution pour le millier de salariés encore en poste.
Prompte à réagir, votre collègue ministre de la culture, Mme Aurélie Filippetti, a fait un parallèle entre cette situation et la nouvelle implantation du mastodonte américain, le rendant en partie responsable des difficultés des Virgin stores !
Mais la ministre n’est pas la seule à souligner que cette société est à l’origine d’une concurrence déloyale : Amazon n’est en effet pas soumise aux mêmes contraintes sociales, et surtout fiscales, que les autres.
M. David Assouline. C’est vrai !
M. René Beaumont. Un véritable « front anti-Amazon » des distributeurs se développe, qui va de la FNAC aux enseignes de toute la grande distribution, pour dénoncer le fait que cette société paie peu ou pas d’impôts en France.
Eux-mêmes acteurs du commerce électronique,…
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. René Beaumont. … ils estiment cependant scandaleux que l’on accorde des subventions à une entreprise qui ne le mérite pas ou si peu.
Monsieur le ministre, quelle incohérence gouvernementale que ce gaspillage d’euros ! Qu’envisagez-vous donc pour éviter ces coûteuses bavures ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du redressement productif.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur Beaumont, il est vrai que le dossier Amazon montre de façon éclatante les contradictions de la société actuelle.
Nous vivons en effet un véritable changement sociétal, qui voit de plus en plus de nos concitoyens faire leurs courses depuis chez eux, sans se déplacer, et attendre un service très rapide de livraison à domicile.
Il est vrai que le commerce classique, petit, moyen ou grand, n’échappe pas à cette mutation généralisée et mondiale – on pensait que cette évolution nuirait avant tout au petit commerce de détail, mais, en réalité, elle impacte aussi la grande distribution.
Nous avons deux solutions : nier cette mutation, ou l’accompagner. Nous avons fait le choix de ne pas la nier et de l’accompagner, tout en contestant ses excès.
Je vais me faire le porte-parole temporaire et amical de ma collègue Aurélie Filippetti. Fallait-il ne pas accueillir Amazon sur les quatre territoires où cette société souhaitait s’installer en France, à savoir Montélimar, dans la Drôme, Saran, dans le Loiret, Sevrey, en Saône-et-Loire, et Douai, dans le Nord ?
Je vous rappelle que nous parlons d’environ 2 500 emplois au total créés d’ici à 2015.
Nous pourrions en effet dire à Amazon : nous ne voulons pas de vous, quittez la France ! Ce n’est pas la stratégie qu’a choisie le ministère du redressement productif, qui est aussi celui de l’hospitalité économique et industrielle. (Sourires.)
Les collectivités locales peuvent-elles résister à la tentation, légitime, humaine et naturelle, d’accueillir cette société qui entend créer des emplois ? La réponse est non, ce ne serait pas sérieux et, en tant qu’ancien président d’un département que je connais bien, monsieur le sénateur, vous seriez le premier à attaquer ceux qui se comporteraient de cette manière !
M. Didier Guillaume. Ces implantations créent des emplois !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Des règles sont déjà applicables, dans toutes les collectivités locales, pour la totalité des emplois qui viennent s’implanter sur nos territoires, quels qu’ils soient.
Toutefois, monsieur le sénateur, le Gouvernement a entrepris des démarches visant à soumettre les géants de l’internet à une fiscalité concurrentielle, en tout cas de même niveau et de même nature que celle qui s’applique à leurs concurrents. C’est bien le minimum ! Nous ne souhaitons pas que l’Union européenne se transforme en immense paradis fiscal pour les géants de l’internet ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
C’est la raison pour laquelle la France a pris l’initiative, dans une négociation motrice, monsieur le président, de faire évoluer le taux d’imposition, en liaison avec nos partenaires européens. Cette négociation, nous l’espérons, devrait aboutir dès 2015.
Ne pas rejeter ce qui est utile, mais éliminer ce qui est mauvais : voilà une ligne sur laquelle nous devrions tous pouvoir nous mettre d’accord ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
filière avicole
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.
Monsieur le ministre, la filière avicole de notre pays subit aujourd’hui une crise majeure.
Or, au moment où cette filière se met enfin en ordre de marche afin de se restructurer, de reconquérir les marchés intérieur et extérieur et d’aborder l’avenir plus sereinement, la Commission européenne a décidé, de manière brutale, de réduire de moitié les aides financières consacrées aux exportations de viande de volaille.
Nous savions tous, et les entreprises concernées au premier chef, que les subventions européennes à l’export ne dureraient pas indéfiniment.
Vous travailliez, monsieur le ministre, à moderniser et à orienter cette filière à travers un véritable plan stratégique. C’est ce que vous aviez annoncé lors d’un déplacement dans mon département, le Finistère, en décembre dernier. Vous le rappeliez alors : l’agroalimentaire est une force pour notre pays et un vrai potentiel d’emplois pour l’avenir.
Les industries agroalimentaires, ainsi que l’agro-industrie, doivent être parties prenantes du redressement productif dont la France a besoin. Cependant, pour y parvenir, nous avons besoin de temps.
Comment la France peut-elle peser au niveau européen en faveur d’une suspension de cette décision et, si la Commission persistait dans sa décision, comment pourrions-nous mettre en place un calendrier d’extinction des restitutions ?
Quel fonds pourrait être mobilisé pour favoriser la mutation de la filière avicole dans des conditions socialement acceptables et économiquement viables ?
Quelles mesures peuvent être envisagées pour éviter la crise majeure qui s’annonce et pour rassurer les aviculteurs et les salariés concernés, tout particulièrement – vous me permettrez de le préciser, monsieur le ministre, mes chers collègues – ceux des entreprises Doux et Tilly-Sabco, implantées sur le territoire breton ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'agroalimentaire.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, vous évoquez la difficile question des restitutions accordées aux exportations de viande de volaille par l’Union européenne.
Sachez tout d’abord que les interventions de la France, depuis de nombreux mois, ont permis de retarder cette décision de la Commission. Elle est malheureusement intervenue le 17 janvier dernier et s’est concrètement traduite par une baisse de 50 % du montant des aides.
Vous l’avez noté, nous avons immédiatement contesté à la fois le fondement économique de l’analyse présentée, mais aussi le caractère beaucoup trop brutal de la décision.
Je veux redire que ces restitutions ne sont pas un cadeau à notre filière ni à nos entreprises. Elles ont un sens économique : elles viennent compenser les différences de change et de coûts de production existant entre nos entreprises et celles de pays extra-européens avec lesquels nous sommes en concurrence extrêmement féroce.
Comment avons-nous réagi ? Tout d’abord, dès l’annonce de la Commission, nous avons immédiatement réuni les représentants des entreprises concernées, parmi lesquelles Doux et Tilly-Sabco. Nous avons travaillé avec elles afin de mettre en place un accompagnement concret. Dans les prochains jours, les prochaines semaines, nous mobiliserons le crédit d’impôt pour offrir à ces entreprises un ballon d’oxygène.
Au-delà, nous sommes également intervenus directement auprès de la Commission, le 28 janvier dernier, par l’intermédiaire de Stéphane Le Foll. Le ministre de l’agriculture s’est tourné vers le commissaire concerné, M. Cioloş, pour envisager les mesures à prendre afin que les entreprises disposent du temps nécessaire pour s’adapter. Vous l’avez dit, ces restitutions ne seront sans doute pas éternelles ; encore faut-il donner aux entreprises la capacité de s’adapter dans un délai raisonnable.
Nous devons maintenant, vous l’avez très bien dit, regarder devant nous et penser à l’avenir. Depuis dix ans, nous ne cessons de perdre des parts de marché dans cette filière avicole. Songez que nous importons aujourd’hui 44 % du poulet que nous consommons ! Pendant ces dix ans, la précédente majorité n’a rien fait, ou pas grand-chose. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. C’est faux !
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Il faut le dire ! Il nous faut aujourd’hui, je vous le disais, regarder devant nous et prendre des mesures concrètes. C’est ce que nous allons faire dès la fin de cet hiver.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. Je veux dire que la filière avicole a un avenir ! Je veux dire ma confiance dans cet avenir ! Je veux le dire aux éleveurs et je veux le dire à l’ensemble des salariés : nous nous battons pour l’emploi (Mouvements d’impatience sur les travées de l'UMP.),…
M. Gérard Larcher. Et voilà : nous n’avons rien fait non plus pour le poulet ! (Sourires.)
M. le président. Merci de conclure, monsieur le ministre.
M. Guillaume Garot, ministre délégué. … pour l’emploi agricole et pour l’emploi dans nos industries agroalimentaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
politique sociale du gouvernement
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie.
Madame la ministre, la famille est la cellule de base de notre société. À juste titre, les parents ont l’obligation d’assurer l’éducation de leurs enfants et, réciproquement, les enfants ont ensuite l’obligation de s’occuper de leurs parents âgés. Hélas, ces deux principes sont trop souvent oubliés.
Ainsi la presse a-t-elle évoqué récemment le cas d’une personne de quatre-vingt-dix ans, renvoyée de sa maison de retraite parce que, depuis deux ans, sa famille refusait de payer sa pension et avait accumulé plus de 40 000 euros de dettes. Le directeur de la maison de retraite a alors été dénigré, la méthode employée ayant été jugée par trop expéditive.
Cependant, madame la ministre, vous savez parfaitement que lorsqu’un résident d’une maison de retraite ne paye pas sa pension, ce sont indirectement les autres résidents qui en subissent les conséquences et qui en font les frais. Il n’est donc pas possible de fermer les yeux ; le laxisme en la matière serait synonyme d’irresponsabilité.
Madame la ministre, plutôt que de s’en prendre au directeur de la maison de retraite, comme vous l’avez fait, il fallait mettre en cause l’indignité des deux enfants de cette personne âgée qui refusaient de s’occuper de leur mère et de subvenir à ses besoins. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Qui vous dit que la ministre ne l’a pas fait ?
M. Jean Louis Masson. C’est d’autant plus scandaleux, madame la ministre, qu’ils en avaient largement les moyens, l’un d’eux étant gynécologue dans un grand hôpital de la région parisienne.
Les attaques répétées contre les valeurs familiales finissent par conduire à de telles dérives, et je tiens ici à le déplorer solennellement !
Madame la ministre, qu’envisagez-vous de faire à l’encontre de ceux qui abandonnent leurs parents âgés ou qui refusent de les aider à subvenir à leurs besoins ?
Plus généralement, en raison des restrictions budgétaires, les conditions d’accueil des personnes âgées se dégradent et il n’y a plus assez de personnel dans les établissements. Or vous avez pris le prétexte du triste fait divers que j’évoquais à l’instant pour suggérer un gel de la tarification des maisons de retraite.
Je tire la sonnette d’alarme : si vous ne compensez pas financièrement, et vous n’avez rien proposé, les conséquences seront désastreuses sur la qualité de l’hébergement des personnes âgées et des soins qui leur sont dispensés.
Madame la ministre, vous semblez oublier que, si la France est ce qu’elle est aujourd’hui, elle le doit aux générations qui nous ont précédés ! Nous avons donc à leur égard un devoir de solidarité et devons faire tout notre possible pour que les personnes âgées soient prises en charge dans de meilleures conditions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l’autonomie.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, ce n’est pas en disant des contre-vérités que l’on fait avancer le débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Tout à fait !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Je n’ai jamais parlé de « gel » des tarifs des maisons de retraite.
M. Jean Louis Masson. Mais si ! Vous l’avez dit !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. J’ai parlé, et encore à l’instant, de leur mise en adéquation avec le montant des retraites et les revenus des familles.
Nous ne pouvons laisser plus encore se creuser le fossé qui existe déjà entre le montant moyen des retraites et le reste à charge pour les familles.
En ce qui concerne la retraitée nonagénaire de Chaville, nous avons tous été très émus par cet événement particulièrement fâcheux. Je respecte à ce point les personnes âgées que je ne peux concevoir que l’on mette, sans qu’elle en soit autrement informée, une personne de quatre-vingt-dix ans dans une ambulance sans s’assurer que sa famille peut l’accueillir…
M. Jean Louis Masson. Vous ne répondez pas à la question !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Permettez-moi de poursuivre !
Je ne peux l’accepter et, je le pense, vous non plus. Lorsqu’une maison de retraite commet des erreurs, nous devons nous en inquiéter.
J’ai aussitôt demandé une enquête à l’agence régionale de santé d’Île-de-France afin d’établir les faits.
M. Jean Louis Masson. Et que faites-vous des familles qui ne paient pas ?
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Qu’il s’agisse de la signature du contrat de séjour ou des conditions d’expulsion, la maison de retraite a contrevenu à la loi.
Ne croyez pas que j’ignore les problèmes financiers qui se sont posés au sein de cette famille, et que la justice viendra très probablement résoudre. C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai pas souhaité évoquer – je ne le ferai pas ici non plus – les cas particuliers de ces quatre enfants qui, en effet, n’ont pas répondu à leurs obligations. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Vous avez rappelé un point tout à fait important : le code civil nous impose de subvenir aux besoins fondamentaux de nos enfants comme de nos ascendants. Cependant, la question n’aurait pas dû se poser dans ce cas précis, puisque la personne concernée disposait d’une retraite d’importance, pratiquement en adéquation avec le montant des frais d’hébergement de la maison de retraite.
Vous le voyez, j’ai su, pour ce qui relevait de ma responsabilité, dénoncer ce qui constituait une violation des droits de la personne âgée en établissement, droits que nous allons préciser, expliciter et conforter, laissant par ailleurs à la justice de mon pays le soin d’établir, et probablement de sanctionner, les fautes individuelles des membres de cette famille. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.- Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants ; nous les reprendrons à seize heures vingt-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Ratification des nominations à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant création du contrat de génération.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mercredi 6 février prennent effet.
6
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la question orale n° 303 de Mme Françoise Laborde est retirée, à la demande de son auteur, de l’ordre du jour de la séance du mardi 19 février 2013.
Acte est donné de ce retrait.
Par ailleurs, la question n° 312 de M. Jacques Mézard pourrait être inscrite à la séance du mardi 19 février 2013.
7
Délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 (proposition n° 122 [2011-2012], texte de la commission n° 325, rapport n° 324).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ouverte le 6 mai dernier, la perspective de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe et de la reconnaissance des familles homoparentales a de toute évidence réveillé dans notre pays les réflexes de rejet, de violence, de haine qui sommeillaient encore ici et là à l’égard des homosexuels.
C’est au moment où notre pays s’apprête enfin à accorder les mêmes droits à chacun, homosexuel ou hétérosexuel, au moment où notre République s’apprête enfin à reconnaître la même valeur à chacun, sans distinction fondée sur l’orientation sexuelle, que les manifestations de l’homophobie se multiplient.
L’association SOS homophobie en témoigne : au mois de janvier dernier, elle a reçu quatre fois plus de témoignages de victimes qu’au mois de janvier 2012.
Depuis la loi du 30 décembre 2004, les peines encourues par ceux qui se rendent coupables d’injure, de diffamation, de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence sont aggravées lorsque le délit a été commis à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap, réel ou supposé, de la victime.
La République combat ainsi le sexisme, l’homophobie, la « handiphobie », au même titre que le racisme ou l’antisémitisme ou toute haine visant un individu en raison de son identité.
Sur votre initiative, mesdames, messieurs les sénateurs, la liste des pratiques répréhensibles a été complétée au cours de la discussion du projet de loi relatif au harcèlement sexuel. En effet, depuis l’adoption de la loi du 6 août 2012, la transphobie est également condamnée.
Une anomalie subsiste cependant, anomalie que la proposition de loi dont nous allons débattre vise à corriger.
Alors que les sanctions prononcées à l’encontre des auteurs de propos et d’écrits publics à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif, sont les mêmes, les délais de prescription applicables sont, eux, différents.
La justice oublie les insultes sexistes, homophobes, transphobes, « handiphobes » en trois mois seulement, alors qu’elle met un an à oublier les insultes xénophobes, racistes, ou encore fondées sur la religion.
Il n’y a pas lieu de discriminer entre les discriminations : tel est le sens de la présente proposition de loi.
Il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie du pire entre les propos haineux, en fonction de la composante de la population qui en est la cible.
La proposition de loi que nous examinons a donc pour objet d’appliquer la prescription d’un an de l’action publique instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif.
Au mois de mai 2003, le garde des sceaux de l’époque, Dominique Perben, avait justifié l’allongement du délai de prescription relatif aux injures racistes en indiquant que le délai de trois mois applicable aux délits de presse était devenu trop court dans un contexte de multiplication et d’accélération des publications.
Le constat reste pertinent, que les propos soient racistes ou homophobes.
Mme Nathalie Goulet. Et les autres !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. C’est ce qui justifie la proposition de loi dont vous allez débattre, mesdames, messieurs les sénateurs.
Cette proposition de loi a déjà connu une première vie, puisqu’elle avait été déposée en octobre 2011 à l’Assemblée nationale par l’opposition d’alors. Son adoption, le 22 novembre 2011, avait fait l’objet d’un consensus, et le Défenseur des droits s’était lui aussi prononcé en faveur de l’alignement des délais de prescription. Tout cela nous montre qu’il ne s’agit pas que d’un symbole ; à plusieurs reprises, les associations de lutte contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie ou la handiphobie se sont heurtées, dans leurs démarches, à la brièveté du délai de prescription.
Or les propos incriminés sont loin d’être anecdotiques. Ils constituent une violence, ils font des victimes, qu’ils soient proférés en public, dans la presse ou sur Internet. Il ne faut jamais sous-estimer l’impact de ces propos, en particulier sur les plus jeunes d’entre nous. Le risque suicidaire chez les jeunes homosexuels justifie absolument notre vigilance. Au-delà de ces jeunes, je pense souvent, à titre personnel, aux parents qui élèvent aujourd’hui un enfant homosexuel et qui sont terrorisés – j’en ai reçu plusieurs témoignages – lorsqu’ils découvrent des appels au meurtre de leur fils ou au viol de leur fille. Je pense aussi aux familles homoparentales, qui sont angoissées à l’idée que leur enfant soit un jour confronté à la violence de propos qui ne font, ni plus ni moins, que nier leur humanité ou leur existence. Nous sommes ici pour réparer ces blessures.
La loi de 1881 est une grande loi de notre République. Nous y sommes attachés parce qu’elle est gardienne d’un équilibre très précieux. La liberté d’expression est un principe de valeur constitutionnelle, dont découle celui de la liberté de la presse. Le Gouvernement tient à ces principes, mais il est également attaché à la lutte contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. Le 31 octobre dernier, nous avons présenté en conseil des ministres un plan d’action assez complet en la matière.
Au moment où chaque département ministériel agit sans faille contre l’homophobie et la transphobie, la proposition de loi que vous présentez, madame la rapporteur, vient corriger une anomalie de notre droit. J’invite le Sénat à l’adopter, car nous n’avons que trop tardé sur le chemin de l’égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Esther Benbassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme, en son article 11, que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
C’est inspiré par cet article que, le 29 juillet 1881, le législateur a adopté la loi dite « sur la liberté de la presse », qui définit les libertés et les responsabilités de la presse française en imposant un cadre légal à toute publication, de même qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique.
Si les dispositions que prévoit de modifier la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui relèvent de la loi du 29 juillet 1881, les infractions visées ne concernent en réalité que marginalement cette dernière. En effet, dans la majorité des cas, il s’agit de propos tenus en public et d’écrits de particuliers, sans lien avec la presse.
Le droit en vigueur traite différemment les propos discriminatoires à caractère racial, ethnique ou religieux et les propos discriminatoires tenus à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité sexuelle ou du handicap. Cette législation a été qualifiée avec raison de « discriminatoire » par la rapporteur de l’Assemblée nationale, Catherine Quéré, lors de la discussion de cette proposition de loi. L’unification des délais de prescription prévue par celle-ci permettrait ainsi de mettre fin à une inégalité de droit entre les victimes qui n’est pas justifiable.
Cette harmonisation fait l’objet d’un très large consensus parmi les différentes personnalités entendues lors des auditions. Le Défenseur des droits l’a recommandée dès 2011, dans sa proposition de réforme n° 11-R009. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui en est directement inspirée.
Par ailleurs, le droit européen ne fait aucune différence entre les types de discrimination. L’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales interdit les discriminations, qu’elles soient fondées sur « le sexe », « l’appartenance à une minorité nationale » ou « toute autre situation ». Quant à l’article 13 du traité instituant la Communauté européenne, il dispose que « le Conseil […] peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».
Si le droit communautaire n’instaure pas de différence de traitement entre les types de discrimination, pourquoi le droit français devrait-il le faire ?
En l’état actuel de notre législation, l’action publique et l’action civile résultant des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 se prescrivent par trois mois révolus. Notons que ce délai est le plus bref de toute l’Europe, et que le délai d’un an, en vigueur pour les discriminations de type racial, ethnique et religieux, constitue lui-même une dérogation importante au droit commun, qui prévoit un délai de prescription de trois ans pour les délits.
Voilà déjà huit années que les injures, diffamations et provocations à la haine racistes et xénophobes se prescrivent par un an. Ce délai n’a jusqu’ici nullement muselé la presse ni porté atteinte à la liberté d’expression. Pourquoi devrions-nous craindre l’application de ce délai d’un an aux propos relevant de l’homophobie, du sexisme et de la handiphobie, qui se prescrivent aujourd’hui par trois mois ?
Le texte dont nous débattons complète le travail entamé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II », dont l’élaboration avait été motivée par la multiplication des propos antisémites sur Internet. Cette loi a introduit une exception au régime de la loi sur la liberté de la presse de 1881, en portant à un an le délai de prescription de certaines infractions – provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, diffamation et injure – lorsqu’elles sont commises en raison de l’origine de la personne, de son appartenance ou de sa non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Confronté à des évolutions techniques, liées notamment à l’essor d’Internet, qui rendent plus difficiles la détection et la répression de tels actes, le législateur avait voulu, par cette loi, adapter le droit aux nouvelles formes de criminalité, notamment cybernétiques, et faciliter ainsi la poursuite de ces infractions.
C’est dans le droit fil de cette évolution que la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Catherine Quéré et Jean-Marc Ayrault, et adoptée par les députés le 22 novembre 2011 à une écrasante majorité –473 voix pour, 4 contre –, prévoit de porter à un an le délai de prescription des délits de provocation à la haine, à la violence ou aux discriminations, de diffamation et d’injure, commis en raison du sexe de la personne, de son orientation sexuelle, de son identité sexuelle ou de son handicap, aujourd’hui prescrits par trois mois.
L’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat intervient – cela ne vous aura pas échappé – dans un contexte particulier, celui du débat entourant l’examen du projet de loi relatif à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ces dernières semaines, ce débat a frayé la voie à l’émergence d’un climat souvent ouvertement homophobe et à la multiplication de propos intolérables. La présente proposition de loi, qui vient donc à point, a pour objet de remédier à une anomalie juridique, en faisant en sorte que des actes punis des mêmes peines soient poursuivis dans les mêmes conditions.
Le meilleur moyen de situer clairement l’enjeu de notre débat est peut-être de citer Didier Eribon, philosophe et éminent spécialiste de la question gay. Voici ce qu’il écrit aux pages 25 et 26 de la récente réédition en format poche de ses Réflexions sur la question gay :
« Au commencement il y a l’injure. Celle que tout gay peut entendre à un moment ou à un autre de sa vie, et qui est le signe de sa vulnérabilité psychologique et sociale […]. L’insulte est un verdict. C’est une sentence quasi-définitive, une condamnation à perpétuité, et avec laquelle il va falloir vivre […].
« L’injure n’est pas seulement une parole qui décrit. Elle ne se contente pas de m’annoncer ce que je suis. Si quelqu’un me traite de “sale pédé”, ou “sale nègre”, ou “sale youpin”, ou même, tout simplement, de “pédé”, de “nègre” ou de “youpin”, il ne cherche pas à me communiquer une information sur moi-même. Celui qui lance l’injure me fait savoir qu’il a prise sur moi, que je suis en son pouvoir. Et ce pouvoir est d’abord celui de me blesser. De marquer tout mon être de cette blessure en inscrivant la honte ou la peur au plus profond de mon esprit et de mon corps. »
Madame la ministre, madame la présidente, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, vous le savez, en certaines circonstances, et quelles que soient leurs cibles, les mots se transforment en véritables armes. Ils peuvent tuer. Il apparaît fort malaisé et sans doute illégitime – Didier Eribon le souligne indirectement en rapprochant des exemples empruntés à des registres différant seulement en apparence – d’établir des degrés ou des classifications dans l’insulte ou l’injure. Pourquoi, dès lors, prévoir un de délai de prescription d’un an pour les unes et de seulement trois mois pour les autres ? À l’aune de quel instrument mesurer et comparer les blessures et les souffrances qu’elles infligent ?
Cependant, n’imaginons pas un instant – j’y insiste à nouveau – que nous risquons de compromettre la liberté de notre presse en harmonisant nos délais de prescription. Certes, le premier article de la Déclaration des droits américaine – le Bill of Rights – ne met pas de limite à la liberté d’expression. Cet amendement à la Constitution des États-Unis est entré dans les mœurs américaines, ainsi que l’éducation qui va avec et qui s’est ensuivie au fil des siècles. Bien entendu, les Américains ne sont pas pour autant des citoyens parfaits, mais on peut penser ou espérer que la pédagogie qui en a découlé a permis d’encadrer plus ou moins une liberté en principe totale.
Mme Nathalie Goulet. C’est surtout que les indemnités à verser en cas de condamnation sont élevées…
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Un article publié en mai 2011 par l’université de Montréal nous apprend que, en France, 49 % des décisions judiciaires liées à Internet sont rendues pour diffamation, contre 15 % aux États-Unis et au Canada. Comment expliquer ce décalage ? Les Français seraient-ils, moins que d’autres, capables d’autocontrôle ? Internet aurait-il ouvert chez nous, plus qu’ailleurs, un espace échappant définitivement à tout cadrage ?
Mme Nathalie Goulet. Oui !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Ces chiffres sont, en tout état de cause, éloquents. Ils appellent à la réflexion, ils nous interpellent sur les conditions requises pour un apprentissage responsable de cet outil nouveau qu’est Internet.
Dans un pays comme le nôtre, où la menace de la sanction est brandie très tôt dans l’existence d’un enfant et continue d’encadrer en toute occasion la vie des adultes, bref, dans le contexte français, il semble pour le moins peu judicieux, quand bien même on le regretterait, de se prévaloir de l’exemple nord-américain pour laisser impunis les discours racistes, homophobes, sexistes ou autres, qui envahissent la « toile ».
À cet égard, la différence de délai de prescription entre différentes infractions touchant à la liberté de la presse se justifie d’autant moins qu’elle fragilise les actions menées en matière de répression des discriminations.
La présente proposition de loi vise donc à remédier à ces distorsions. Tout comme en 2004, elle ne concerne que marginalement les délits commis par voie de presse. En réalité, elle a une portée plus large, puisqu’elle vise les actes commis dans un cadre public, que les propos en cause soient écrits ou oraux.
L’extension du délai de prescription permettrait ainsi une nette avancée de la protection des droits des personnes, tout en simplifiant un régime aujourd’hui difficilement lisible.
Les victimes de ces infractions bénéficieraient toutes d’une protection comparable, Internet ayant multiplié les infractions commises à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité sexuelle et, dans une moindre mesure, du handicap.
Le fait que ces infractions, faisant l’objet des mêmes peines, se prescrivent les unes par un an et les autres par trois mois peut être considéré comme créant un écart à tout le moins disproportionné.
Une modification du droit actuel, destinée à redonner une cohérence au dispositif de lutte contre les provocations à la discrimination, les diffamations et les injures commises en public, paraît donc s’imposer, d’autant que l’essor des réseaux sociaux, dont le développement était encore balbutiant à l’époque de l’examen de la loi dite « Perben II », a facilité leur diffusion en dématérialisant la parole et l’objet de ces propos diffamatoires.
Dans la contribution qu’elle a fait parvenir, l’Association des paralysés de France, l’APF, a, par exemple, souligné la multiplication des propos tenus contre les handicapés par le biais, notamment, de ces réseaux.
Comme pour tous les délits de presse, les infractions commises par le biais d’Internet sont des infractions instantanées, qui se prescrivent à compter du jour où elles ont été commises. Or, une fois la prescription acquise, les propos peuvent rester en ligne, hélas !
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Dans la lettre qu’il m’a adressée à ce propos, le président du Conseil national des barreaux, M. Christian Charrière-Bournazel, parle d’Internet en ces termes :
« À la mémoire éphémère du papier s’est substituée une mémoire inaltérable et universelle qui ne laisse aucune chance à l’oubli. »
Mme Nathalie Goulet. Aucune !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. « Or toute personne humaine a droit au respect de sa vie privée, de sa vie intérieure, à ses secrets et à l’oubli de ce qu’elle veut taire. […] Internet permet en effet à la mémoire de l’emporter pour toujours sur l’oubli. »
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Internet offre ainsi à tout particulier la possibilité de donner une publicité à des diffamations, à des provocations ou à des injures, en bénéficiant des garanties de la loi de 1881, sans pour autant être soumis à la déontologie des journalistes. Cette situation avait déjà été soulignée dans le rapport d’information n° 338 sur le régime des prescriptions civiles et pénales du 20 juin 2007, rédigé par nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung.
Une des justifications de la brièveté des délais tenait au caractère éphémère de l’infraction. Avec Internet, cette argumentation n’est plus aussi recevable : l’infraction ne disparaît plus avec le temps. Le temps bref qui avait pu être celui de la presse imprimée s’est paradoxalement allongé indéfiniment avec l’apparition d’Internet.
Outre les difficultés entraînées par la multiplication et la persistance des messages permises par Internet, le traitement des infractions apparaît également particulièrement complexe. En effet, il est difficile d’identifier non seulement les responsables de sites,…
Mme Nathalie Goulet. Impossible !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. … mais aussi les internautes coupables de ces agissements, le caractère universel du réseau faisant également obstacle à ce que des poursuites soient efficacement engagées contre des personnes installées à l’étranger ou agissant par le biais de sites eux-mêmes hébergés à l’étranger.
Mme Nathalie Goulet. Ou en France !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Internet a cette faculté de transcender les frontières et de défier les lois, de nous ramener à la fragilité de notre pouvoir, avec cette superbe insolente que lui confèrent son « immortalité » et son universalité.
Vous comprendrez qu’il est urgent, aujourd’hui, d’élaborer une loi sur la liberté d’Internet, à l’instar de la loi sur la liberté de la presse de 1881.
Chers collègues, pour toutes ces raisons, je sollicite donc l’adoption sans réserve de la présente proposition de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la liberté de la presse, consacrée par la loi du 29 juillet 1881, s’est vue, au fil du temps, progressivement limitée par des exceptions qui se sont imposées dans les hypothèses de diffamation, d’injure, de propos discriminatoires.
Elles-mêmes d’interprétation nécessairement stricte, ces exceptions ont dû être enfermées dans des délais de prescription au-delà desquels l’action publique est frappée d’extinction, toute poursuite devenant de ce fait impossible.
Durant plus de douze décennies, la législation sur la liberté de la presse s’est ainsi accommodée d’un délai de prescription de l’action publique de trois mois, alors que le droit commun prévoyait, et prévoit encore, un délai butoir de trois ans pour les délits pénaux, d’un an pour les contraventions et de cinq ans pour les fautes délictuelles.
Mais, à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des prouesses informatiques, un délai aussi court équivalait presque à l’impunité,…
Mme Nathalie Goulet. Pas « presque » !
M. Thani Mohamed Soilihi. … comme le reconnaissait Dominique Perben, alors garde des sceaux, lors de l’examen en première lecture au Sénat, le 1er octobre 2003, du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Les infractions dites « de presse » se commettent en effet de plus en plus fréquemment dans ce qu’il convient d’appeler le cyberespace, par des internautes qu’il importe désormais de traquer et de retrouver, aux fins d’exercer à leur encontre l’action publique, voire l’action civile.
Or, la brièveté du délai de trois mois, conjugué à la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, qui considèrent que la mise en ligne de propos délictueux est non pas une infraction continue, mais un délit instantané, amenait à faire tomber bon nombre d’infractions commises sur Internet sous le coup de la prescription.
Comme le faisait remarquer Albert Chavanne, professeur à la faculté de droit de Lyon, ce délai de prescription, « achevé à peine commencé, aboutit bien souvent à des dénis de justice ».
C’est pourquoi la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a fait passer ce délai de trois mois à un an, s’agissant des infractions d’incitation à la violence, de provocation à la discrimination, de diffamation et d’injure commises en raison de l’origine de la personne ou de son appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
La loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme tend à poursuivre ce mouvement d’allongement de la prescription de trois mois à un an pour les faits de provocation directe aux actes de terrorisme ou à leur apologie.
Ces évolutions, qui ont eu lieu par étapes, peuvent apparaître comme autant d’hésitations dans notre législation. Elles s’expliquent cependant par la nécessité d’être constamment prudent dans ces matières très sensibles et de veiller à un équilibre satisfaisant entre le respect du principe de la liberté d’expression et la répression des propos discriminatoires.
Mais, de fait, ces avancées par à-coups ont laissé se faire jour des inégalités dans les délais de prescription pour des infractions de même nature, donc des inégalités entre victimes placées dans la même situation.
À titre d’exemple, selon les statistiques du ministère de la justice, entre 2005 et 2010, une seule condamnation a été prononcée sur le motif de « provocation à la haine ou à la violence à raison de l’orientation sexuelle par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ». C’est bien la preuve que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du bref délai de prescription.
Personnellement, dans l’exercice de ma profession d’avocat, j’ai pu constater que bon nombre de plaignants potentiels, victimes de propos discriminatoires tenus sur des réseaux sociaux, ont vite renoncé à exercer des poursuites, dissuadés par les contraintes induites par la brièveté du délai de prescription.
Le législateur ne pouvait davantage tolérer ce genre de discrimination.
C’est dans ces circonstances que Catherine Quéré, Jean Marc Ayrault, alors député, et plusieurs de leurs collègues présentèrent une proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité le 22 novembre 2011.
Les auteurs du texte entendaient que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réponde à l’obligation constitutionnelle de clarté des textes législatifs s’agissant des crimes et délits de « discrimination commis par voie de presse ou par tout autre moyen » à l’encontre d’une personne en raison, d’une part, de son origine, de son ethnie, de sa race vraie ou supposée, de sa religion, ou, d’autre part, de son sexe, de son orientation sexuelle ou de son handicap.
À la suite de son adoption par l’Assemblée nationale, il nous appartient à présent, mes chers collègues, de connaître de cette proposition de loi.
Son article 1er tend à clarifier le neuvième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, en mettant sur le même plan toutes les provocations, à savoir les provocations à la haine, à la violence et à la discrimination, quelle qu’en soit la cause. Quant à l’article 2, par souci de cohérence, il vise à faire bénéficier de cette mesure les personnes victimes de propos discriminatoires à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.
La commission des lois a ajouté un article 3 tendant à rendre la loi applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
L’objet du présent texte consistant à rétablir un minimum de cohérence et de lisibilité, en appliquant le même traitement aux propos discriminatoires, quelles qu’en soient les victimes, l’unanimité qui a présidé à son adoption en commission des lois devrait prévaloir aujourd’hui en séance plénière.
Dans une contribution écrite, M. Emmanuel Dreyer, professeur de droit à l’université de Paris-Sud, a résumé les enjeux liés à la présente proposition de loi en ces termes :
« Il n’y a aucune raison pour traiter différemment les propos sexistes ou homophobes et les propos racistes ou sectaires. Au contraire, dans sa sagesse, le législateur a pris la précaution de fondre ces incriminations dans le même moule : puisque c’est le même comportement qui est incriminé – seul le mobile de l’auteur du propos varie –, la répression doit obéir aux mêmes règles. Il en va notamment ainsi pour le délai de prescription. »
Il convient par ailleurs de rassurer ceux qui pouvaient craindre, en raison de l’allongement du délai de prescription, une atteinte à la liberté de la presse, une telle crainte ne pouvant, en tout état de cause, résister à l’examen des objectifs visés par les auteurs de la proposition de loi.
Tout d’abord, le texte vise des faits qui sont très rarement de vraies infractions de presse commises dans les médias, selon l’esprit de la loi de 1881, mais au contraire des comportements qui relèvent du droit commun et qu’il s’agit de sanctionner pour éviter leur banalisation.
Ensuite, le droit européen, prohibant toutes les discriminations, sans distinction, donne pouvoir au Conseil de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de combattre ces dernières.
Enfin, l’égalité de tous les citoyens proclamée à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne peut avoir de sens ni de force que si le législateur s’emploie à lutter contre les discriminations de toute sorte.
À l’heure où, à l’occasion de la discussion au Parlement de textes de loi, des attaques sexistes ou homophobes d’un autre temps se font chaque jour entendre, l’examen de la proposition de loi qui nous est soumise est une excellente occasion de faire un rappel à la vigilance et aux valeurs fondamentales gouvernant notre nation.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe socialiste, à la suite de la présentation de l’excellent rapport de notre collègue Esther Benbassa, dont je salue la qualité du travail, votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la lutte contre la discrimination a été une longue et dure bataille. Les avancées en la matière ont été difficiles et sont extrêmement récentes. Sans aucun doute, il restera d’autres progrès à réaliser dans les années futures.
La pénalisation des propos discriminatoires, des injures et des diffamations fondées sur l’origine, l’appartenance ethnique, raciale ou religieuse remonte ainsi à 1972 : quarante ans seulement ! Pour un texte de loi, c’est très peu ; en revanche, à l’aune de la vie humaine, c’est beaucoup !
Quant aux propos discriminatoires fondés sur le sexe, l’orientation sexuelle ou le handicap, leur pénalisation a été extrêmement tardive, puisqu’elle date de 2004 à peine. Plusieurs initiatives législatives ayant d’abord été successivement rejetées, ces infractions sont donc sanctionnées par la loi depuis moins de dix ans.
En plus d’être tardives, la lutte contre la discrimination et la sanction des propos discriminatoires n’ont pas placé d’emblée toutes les discriminations sur un même plan, créant ainsi une discrimination au sein même de la lutte contre la discrimination, comme vous l’avez souligné à juste titre, madame la ministre.
Plus grave encore, la loi continue aujourd’hui d’établir une différence de traitement injustifiable entre les deux types de discrimination se trouvant au cœur de la loi sur la liberté de la presse. Cela est surprenant et tout à fait injuste !
Il faut tout d’abord rappeler que la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit des délais de prescription dérogatoires au régime de droit commun concernant les propos discriminatoires. Il s’agit en effet de préserver deux principes, dont aucun ne saurait primer sur l’autre : celui de la liberté d’expression, d’une part ; celui de la nécessaire répression des propos discriminatoires, d’autre part.
Pour le régime des crimes et délits de discrimination commis par voie de presse à l’encontre d’une personne, le délai de prescription initialement prévu était de trois mois, alors que dans le régime de droit commun il est de trois à cinq ans. La loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a remis en cause ce délai de trois mois, dont la brièveté s’est trouvée renforcée par l’émergence des médias numériques. Ce délai ne permettait plus aux victimes d’exercer effectivement un recours, ce qui équivalait quasiment à une impunité…
Mme Nathalie Goulet. Non, pas « quasiment » ! Je l’ai vécu !
M. Michel Le Scouarnec. Vous avez raison, ma chère collègue.
La loi a donc allongé le délai de prescription, le portant à un an, mais pas dans tous les cas. Elle a laissé subsister des différences de traitement sans fondement, par négligence, dirons-nous, pour ne pas dire par manque de considération pour un certain type de discrimination, dont la gravité n’a pas été évaluée à son juste degré. Il nous incombe d’apporter aujourd’hui la correction réparatrice !
Depuis 2004, la législation relative à la liberté de la presse prévoit ainsi des délais de prescription différenciés pour les régimes des crimes et délits de discrimination commis par voie de presse à l’encontre d’une personne, selon la nature de cette discrimination : lorsqu’elle est fondée sur l’origine, l’ethnie, la race ou la religion, le délai de prescription est d’un an depuis 2004 ; lorsqu’elle est fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle ou le handicap, le délai est alors de trois mois, car il n’a pas été modifié par la loi de 2004.
Il est urgent de remédier à cette inégalité de traitement, car la loi de 2004 a introduit une hiérarchisation dans les discriminations, considérant que les discriminations, les diffamations et les propos injurieux à raison de l’origine, de la race ou de la religion présenteraient un caractère de particulière gravité, justifiant un traitement spécifique, tandis que ces mêmes infractions à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap ne relèveraient pas du même degré de protection.
Cette différence de traitement porte atteinte au principe d’égalité devant la loi. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante en la matière : les dérogations au principe d’égalité devant la loi ne peuvent se justifier que par un motif d’intérêt général, ce qui ne saurait être le cas en l’espèce, ou par une différence objective de situation, ce qui impliquerait de démontrer, par exemple, qu’une injure faite à une personne à raison de son handicap est moins grave qu’une injure faite à une personne à raison de sa couleur de peau. J’observe au passage qu’il est aujourd’hui établi qu’il n’y a pas de races, mais seulement une unique espèce humaine. La référence à la notion de race devrait d’ailleurs disparaître prochainement de la Constitution.
La présente proposition de loi a donc pour objet d’abolir cette atteinte à l’égalité. D’ailleurs, les débats de société actuellement en cours, donnant lieu à des propos excessifs, sont la preuve qu’il est indispensable de rester vigilants, pour éviter que ne soit jetée une ombre sur l’égalité des droits pour toutes et tous.
L’article 2 de la proposition de loi vise à faire bénéficier les personnes victimes de propos discriminatoires à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap du délai de prescription d’un an.
Nous sommes évidemment extrêmement favorables à ce texte, qui constitue un pas supplémentaire vers la justice, réparant une anomalie de notre droit et établissant une cohérence qui sera protectrice pour toutes les victimes de diffamations ou d’injures. Nous voterons donc en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, toucher à la loi de 1881 constitue une aventure parlementaire et juridique de première ampleur. C’est s’attaquer à quelque chose de sacré, que l’on ne devrait toucher que d’une main tremblante, tant la liberté de la presse comporte une dimension émotionnelle et symbolique !
Réformer le droit de la presse est une entreprise titanesque, et l’adapter à telle ou telle cause peut déstabiliser l’ensemble. Tel est le cas de la présente proposition de loi, puisqu’en supprimant utilement certaines discriminations, elle va rendre plus criantes certaines omissions discriminantes. Je pense, par exemple, aux propos turcophobes, au négationnisme du génocide du Rwanda, non visé par la loi Gayssot. À la place de notre collègue Kaltenbach, président du groupe parlementaire d’amitié France-Arménie, je n’aurais pas manqué de saisir l’occasion de l’examen de cette proposition de loi pour rappeler quelques mauvais souvenirs à notre assemblée !
Le fait est que l’adoption du texte qui nous est présenté va encore entraîner des distorsions dans la protection des victimes, réelles ou présumées.
Pourtant, il faut bien constater que notre droit de la presse n’est absolument pas adapté aux nouveaux médias et qu’il marque un certain retard. Chaque année – sauf en 2012, puisque nous n’avons pas eu l’occasion d’examiner la seconde partie du projet de loi de finances pour 2013 –, lors de la discussion des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », j’évoque ce sujet.
Injures et diffamations sont instantanément répandues sur la « toile », les procédures sont interminables, devant des tribunaux surchargés. Il est impossible de faire retirer des serveurs des imputations diffamatoires, y compris celles qui pourraient être reconnues comme telles par les tribunaux. Il est également impossible d’obtenir des rectificatifs de Wikipédia, cette bible des temps modernes. Le droit à l’oubli sur Internet, pour lequel notre collègue Yves Détraigne et notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier ont plaidé devant le Sénat, n’existe absolument pas.
Les blogueurs ne sont pas seuls au monde ; leurs droits s’arrêtent où commencent ceux des autres, leur liberté s’arrête où commence celle des autres. L’affaire Wikileaks constitue une illustration déplorable et extrême de mes propos, de même que l’affaire récente des tweets antisémites.
Je n’ai pas besoin de recourir à des citations de philosophes pour parler du droit à l’oubli sur Internet, car je dispose malheureusement d’un certain vécu dans ce domaine : je vous le dis d’expérience, il est impossible de faire retirer des propos diffamatoires. Je pense ici à l’ensemble des délits visés par la loi de 1881, c’est-à-dire les propos diffamatoires ou injurieux portant atteinte à l’honneur et à la considération, pas seulement à ceux qui entrent dans le champ de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Dans son livre sur les privilèges du Sénat écrit en 2008, un journaliste m’a consacré un chapitre intitulé « Comment être veuve et sénateur ». Il y indiquait que j’étais le mieux nanti des sénateurs, puisque je percevais, outre mon indemnité, une pension de réversion… Il s’agit là non pas d’une injure ni d’une diffamation, mais d’un mensonge pur et simple, puisque les articles 16, 33 et 53 du règlement de la caisse de retraite des anciens sénateurs interdisent absolument un tel cumul. Or, la longue interview de ce journaliste réalisée un matin à la radio par Jean-Jacques Bourdin est toujours disponible sur Internet. N’ayant pu obtenir de ce dernier ni un droit de réponse ni une simple réponse à la lettre recommandée que je lui avais adressée, je profite de cette occasion pour l’épingler : il aura le privilège de voir son nom figurer au Journal officiel de la République française !
Je puis vous assurer, madame le ministre, que de telles situations, qui surviennent quotidiennement, sont extrêmement désagréables. J’ajoute que la victime, de guerre lasse, abandonne les poursuites, qui lui font perdre non seulement de l’argent, mais aussi du temps. Le cas des États-Unis a été évoqué tout à l’heure, mais il faut savoir que, en France, les juges allouent à la victime, dans ce genre d’affaires, entre 5 000 et 7 000 euros, tandis que les honoraires d’avocat peuvent dépasser 10 000 euros…
J’en arrive à un point selon moi essentiel, sur lequel j’avais déposé un amendement que la commission des lois a rejeté.
La fameuse adresse Internet Protocol, ou adresse IP, ne doit pas être le rempart protégeant les auteurs anonymes d’infamies répandues sur Internet ni le gage de leur impunité. Je sais que notre collègue Yves Détraigne et notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier ont rendu un rapport concluant que l’adresse IP doit constituer une donnée à caractère privé. Mais ce rapport portait sur la protection de la vie privée à l’heure du numérique, or il ne s’agit pas d’autre chose ici ! Considérer l’adresse IP comme une donnée à caractère privé est une position compréhensible dans le cadre du respect de la vie privée, mais indéfendable dans celui de la loi de 1881, parce qu’on ne peut pas trouver l’auteur de l’infraction… La victime ne peut alors saisir les juridictions civiles. Quant à saisir les juridictions pénales, entre le dépôt de la plainte, la consignation et, le cas échéant, les réquisitions de police pour rechercher le détenteur de telle ou telle adresse IP, il est impossible de respecter le délai de prescription. Tout cela aboutit évidemment à un déni de justice, d’où le dépôt de l’amendement que j’évoquais à l’instant.
Je sais qu’il existe une philosophie aimable et bienveillante selon laquelle on ne peut pas tout réglementer. Je sais aussi qu’il est parfois très difficile d’avoir prise sur la technique pour mettre en place un certain nombre de protections. Ainsi, les moteurs de recherche font mécaniquement apparaître des éléments d’identification religieuse liés à telle ou telle personne.
J’ai naguère soutenu Nadine Morano – cela a dû être la seule fois ! (Sourires.) –, quand elle a attaqué Dailymotion : il faut tout de même savoir jusqu’où on peut aller dans l’humiliation et dans la critique. De Roger Salengro à Pierre Bérégovoy, un certain nombre d’hommes politiques ont vu leur honneur « livré aux chiens ». L’honneur est bien peu de choses aujourd’hui, et la présomption d’innocence est totalement bafouée. Je pense à Dominique Baudis, à l’affaire d’Outreau, à d’autres drames encore, en particulier à celui que j’ai vécu, dont on retrouve encore la trace sur Internet… Nous avons du pain sur la planche !
Madame le ministre, vous l’avez compris, je revendique haut et fort le droit à l’oubli. Je revendique haut et fort le droit de réfléchir, avec vos services, à une nouvelle architecture du droit de la presse à l’aube du XXIe siècle. J’ai déjà tenu ces propos en 2008, en 2009, en 2010. Chère Esther Benbassa, j’espère que, à nous deux, nous obtiendrons une avancée en ce sens !
J’avais demandé au précédent président du Sénat la constitution d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information pour conduire une réflexion sur ce thème. Je viens de réitérer cette demande auprès du président Bel.
M. Yvon Collin. Devant témoins !
Mme Nathalie Goulet. Je l’adresse également au président de la commission des lois. Mon vécu personnel me permettrait, me semble-t-il, de présider brillamment cette commission ou cette mission ! (Sourires.) On n’est jamais mieux servi que par soi-même !
Le sujet est vraiment fondamental. Sans revenir sur mon cas personnel, je voudrais dire très solennellement que cela n’arrive pas qu’aux autres ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1881 fait partie de ces grandes lois de progrès social et de liberté votées par le Parlement de la IIIe République qui ont fondé le pacte républicain dont nous sommes aujourd’hui à la fois les bénéficiaires et les dépositaires.
Faut-il le rappeler, c’était aussi l’époque où les radicaux faisaient souffler un vent nouveau de liberté dans notre pays… Après des années d’ordre moral et de contrôle strict de la circulation des idées et des opinions, bien sûr au détriment des idées républicaines, la loi du 29 juillet 1881 instituait le délicat équilibre entre la liberté d’expression et la sauvegarde de l’ordre public que nous connaissons toujours aujourd’hui.
Naturellement, nous sommes tous ici profondément attachés à cette liberté d’expression durement conquise au fil de l’histoire, mais nous réprouvons les discriminations, sous quelque forme qu’elles s’expriment. Rien ne saurait, en effet, justifier le rejet d’une personne ou l’insulte à raison de la couleur de la peau, des origines, des opinions, de la religion, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. Chacun a droit au respect, quels que soient les éléments qui composent son identité.
Les délits de presse tels qu’ils sont définis dans notre législation forment une limite raisonnable à la liberté d’expression dans une société démocratique. Néanmoins, pas plus qu’il ne saurait exister de hiérarchisation entre les discriminations, il ne saurait y avoir de hiérarchisation entre les éléments constitutifs des délits de presse, à commencer par les délais de prescription applicables. C’est pourtant ce que prévoit aujourd’hui notre droit, comme cela a été rappelé, même si l’on observe une certaine homogénéité des peines encourues et appliquées.
Cette différence résulte de la loi Perben II du 9 mars 2004, qui allongea les délais de prescription pour les insultes visant l’origine, l’ethnie, la nationalité, la race ou la religion. Or cette différence de traitement avec les insultes liées à l’orientation sexuelle ou au handicap pose un réel problème de constitutionnalité. Comme cela a été dit, la Cour de cassation a d’ailleurs transmis au Conseil constitutionnel, le 23 janvier dernier, une question prioritaire de constitutionnalité portant précisément sur cette entorse au principe d’égalité devant la loi.
En conséquence, les évolutions prévues par la présente proposition de loi constituent une avancée positive, dès lors que le contexte actuel n’a évidemment plus rien à voir avec celui qui prévalait en 1881. Il est pour le moins choquant que toutes les victimes de propos portant atteinte à leur dignité ne soient pas traitées de façon équivalente. Or, on relèvera que la plupart des délits de presse visés par le présent texte tiennent, en réalité, à des propos tenus en public ou à des écrits diffusés par des particuliers, via Internet, sans lien avec la presse stricto sensu.
Le fait est que l’irruption d’Internet et son développement exponentiel ont transformé en profondeur la façon dont le droit doit appréhender les comportements et les faits sociaux. Autrefois, un délai de prescription de trois mois était adapté pour des propos tenus dans la presse écrite. Aujourd’hui, à l’heure du web hypermnésique, un tel délai est foncièrement inadapté, puisque toute information ou tout propos laissera, d’une manière ou d’une autre, une trace virtuelle rendant le délai de prescription de trois mois tout à fait inopérant.
Cette réflexion devra, de toute façon, être prolongée afin de procéder à une véritable remise à plat. Il est évident que les problèmes soulevés par Internet ne sont aujourd’hui pas totalement appréhendés par le droit. Une refonte de la loi de 1881 s’imposera en toute hypothèse, madame la ministre, même si la prudence doit prévaloir en la matière, comme l’avait souligné le rapport de la mission d’information sur la réforme des délais de prescription en matière civile.
Tel n’est pas le débat qui nous occupe aujourd’hui et le groupe du RDSE accueille tout à fait favorablement cette proposition de loi, chère Esther Benbassa.
Je formulerai cependant quelques remarques, d’un point de vue plus juridique.
Ce texte ne mettra pas un terme à toutes les incohérences du dispositif de la loi de 1881 en matière de prescription. Je le rappelle, trois régimes distincts subsisteront : un premier régime, qui concerne, par exemple, l’apologie des crimes contre l’humanité, prévoit un délai de prescription de trois mois et une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ; un deuxième régime, introduit par la loi du 21 décembre dernier et visant la provocation au terrorisme, prévoit un délai de prescription d’un an et une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ; enfin, un troisième régime, celui qui nous occupe aujourd’hui, prévoit un délai de prescription d’un an et une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Par ailleurs, il faut encore remarquer que ce texte tend à élargir le champ des dérogations aux principes généraux de la procédure pénale pour ce qui concerne les circonstances aggravantes. La loi du 9 mars 2004 avait déjà créé une entorse aux règles générales de prescription, en établissant des distinctions selon les circonstances dans lesquelles une infraction a été commise. La présente proposition de loi suit la même logique : prenons garde à ne pas trop étendre le champ des régimes dérogatoires, car un allongement trop important des délais de prescription ne doit pas nuire à la liberté de la presse, en toutes hypothèses.
Ces quelques remarques ne nous empêcheront pas, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, madame la ministre, d’apporter notre entier soutien à ce texte qui, il faut le reconnaître, constitue en la matière une avancée certaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Charon.
M. Pierre Charon. Madame le président, madame le ministre, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la loi du 19 juillet 1881 constitue l’un des nombreux symboles de notre République. D’ailleurs, il ne viendrait à l’idée de personne d’en contester les bienfaits démocratiques. Ainsi, en ces temps où l’on se donne pour principe de dénoncer les lois « bavardes », les lois « fragiles », qui ne résistent pas à un changement de majorité, c’est avec beaucoup de respect et d’humilité que j’évoque un texte qui fait honneur à la nation et à ses représentants.
Nous pouvons être fiers de cette loi, non pas uniquement parce qu’elle constitue le socle fondateur de la liberté de la presse, mais aussi – et c’est un point non négligeable – parce qu’elle emporte la protection de l’ensemble des citoyens en définissant les responsabilités de la presse française.
En effet, cette loi, qui a fait basculer la réglementation de la presse du régime préventif au régime répressif, préserve la liberté d’expression de tous débordements tels que l’offense, l’atteinte à l’honneur, la diffamation, la discrimination raciale, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 1er juillet 1972, ou la discrimination sexuelle, depuis l’adoption de la loi du 4 octobre 2004.
C’est d’ailleurs de ces deux dernières incriminations qu’il est question dans le présent texte. En effet, cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 22 novembre 2011, vise à harmoniser les délais de prescription institués par la loi du 29 juillet 1881 pour la poursuite des propos racistes ou xénophobes, d’une part, et pour celle des propos discriminatoires à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap de la victime, d’autre part. Alors que la poursuite des propos racistes ou xénophobes est prescrite après une période d’un an, la poursuite de propos discriminatoires à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap de la victime n’était plus recevable après une période de trois mois.
C’est pourquoi il est opportun de proposer d’instaurer un délai de prescription commun d’un an pour les deux types d’infraction, afin de concilier le droit de chacun d’exprimer ses opinions librement et celui d’obtenir justice pour les victimes de propos injurieux ou diffamatoires.
Une telle harmonisation se justifie d’autant plus que les sanctions pénales sont équivalentes. Cette incohérence résulte, en fait, de la loi du 9 mars 2004, qui avait prévu la répression des délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence commis à l’encontre de personnes à raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, sans modifier l’article 65-3 du code pénal afin de procéder à l’alignement des délais de prescription avec ceux qui sont prévus en matière de lutte contre les discriminations raciales.
Par ailleurs, le choix d’un alignement sur le délai le plus long se justifie, quant à lui, par la difficulté d’identifier les auteurs d’infractions sur Internet, qui empêchait la justice d’agir à temps.
En effet, un délai inférieur ne donnerait pas aux autorités de police le temps nécessaire pour recueillir les éléments indispensables à la poursuite des délits visés par la loi de 1881, car le caractère transfrontalier et anonyme des sources rend parfois compliquée l’identification des auteurs, notamment sur Internet.
Telle est ici la question principale. Dans bien des cas, en effet, les contenus diffusés ne sont pas le fait de journalistes ou de professionnels de l’information, soumis au contrôle d’un directeur de la rédaction et encadrés par des règles de déontologie.
Je tiens à saluer les propos tenus par Mmes Benbassa et Goulet. J’accepterais bien volontiers de participer à la mission d’information ou à la commission d’enquête dont elles demandent la création, afin que nous puissions élaborer ensemble un dispositif permettant de réguler l’expression sur Internet. Imaginez ce qui se serait passé pendant la Seconde Guerre mondiale si Internet avait existé : le travail de la Gestapo aurait été facilité…
Enfin, l’examen de ce texte en commission aura permis de le coordonner avec la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Il est logique de procéder à cet aménagement, puisque nous avions pris soin de condamner les incitations aux crimes terroristes.
Ainsi, en adoptant cette proposition de loi, nous permettrons de préserver, au-delà du droit de la presse, ce qu’il y a de noble dans le métier de la presse : l’information et le débat.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement que nous soutenions avait pris soin de ne pas donner un champ trop large pour les délits de discrimination portant sur le sexe ou l’orientation sexuelle, afin de ne pas viser toutes les distinctions opérées entre les personnes physiques, ce qui aurait ouvert la voie à de nombreuses revendications susceptibles de constituer une réelle entrave au débat public.
Ce texte ne se limite pas à cela.
Tout d’abord, il vise non plus le seul métier de la presse, ou tout au moins la presse de métier, mais tous ceux qui souhaitent exprimer librement et ouvertement leur opinion et qui, de fait, doivent être soumis aux mêmes obligations que celles s’imposant aux professionnels.
Mme Nathalie Goulet. Nous n’y sommes pas encore !
M. Pierre Charon. Ensuite, il préserve le droit de chacun de voir respecter ses droits les plus essentiels, ceux qui font la grandeur de notre République.
Trop souvent, nous avons vu des individus porter atteinte au respect de la présomption d’innocence au seul motif que leur victime appartenait à une ethnie particulière ou à un sexe particulier ! Pourrions-nous tolérer aujourd’hui la résurgence de thèses prétendument scientifiques qui font le lit des comportements les plus répréhensibles, que nous avons payés autrefois au prix du sang et de la honte ? Certes non !
Ainsi, comme je le disais, cette loi est grande par le symbole qu’elle constitue, et aussi par la protection qu’elle apporte à nos droits les plus chers. C’est pourquoi je suis favorable à l’adoption du présent texte, qui vient en renforcer les bienfaits. Nos collègues de l’Assemblée nationale l’ont d’ailleurs adopté à l’unanimité des suffrages exprimés.
En guise de conclusion, je souhaite attirer votre attention, mes chers collègues, sur une question prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise dernièrement par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel.
La haute juridiction judiciaire a en effet transmis, le 23 janvier dernier, une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881, qui dispose que le délai de prescription est porté à un an pour les délits évoqués précédemment.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Pierre Charon. Or les requérants ont estimé que la dérogation à la règle d’ordre public de la prescription trimestrielle prévue par la loi du 29 juillet 1881 portait notamment atteinte au principe d’égalité devant la justice.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Pierre Charon. C’est pourquoi, et bien que nous n’ayons à l’heure actuelle aucune information sur les moyens des requérants, ni bien évidemment sur la position du Conseil constitutionnel, nous devons agir avec une certaine prudence, afin de ne pas fragiliser le dispositif de la loi sur la liberté de la presse, qui a allié, jusqu’à présent, efficacité et longévité. (Applaudissements.)
Mme Nathalie Goulet. Mais pas réparation !
Mme la présidente. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le groupe écologiste se réjouit que l’examen de la présente proposition de loi ait enfin été inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Adopté à une forte majorité à l’Assemblée nationale, le 22 novembre 2011, ce texte est plus que jamais nécessaire.
Nous avions d’ailleurs, dès le printemps 2011, déposé à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, une proposition de loi similaire, de nouveau déposée le mois dernier par le groupe écologiste. Nous estimons que l’allongement du délai de prescription à un an, s’agissant de la provocation à la discrimination, de la diffamation ou de l’injure à raison de l’origine ou de la religion, devrait également s’appliquer aux mêmes infractions lorsqu’elles sont à caractère sexiste, homophobe, transphobe, ou liées à un handicap.
Ce traitement différencié des victimes n’a pas lieu d’être ! En effet, ces diverses infractions sont soumises à un régime de peines identique, prévoyant de six mois à un an d’emprisonnement et de 22 500 à 44 500 euros d’amende.
Or la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », a porté ces délais de prescription à un an dans le seul cas où ces faits ont été commis à raison de l’origine ou de la religion. De ce fait, comme l’a fort justement rappelé notre rapporteur, le législateur a introduit une distorsion dans les délais de prescription pour des infractions de même nature. Cependant, rien ne justifie que ces actes se prescrivent toujours dans un délai de trois mois lorsqu’ils ont été commis contre des femmes, des gays, des lesbiennes, des bisexuels, des personnes transgenres ou des personnes handicapées.
Les délais de prescription des délits commis par voie de presse relèvent d’un régime dérogatoire au droit commun. Cela s’explique par une volonté légitime de protéger la liberté de la presse et d’assurer le respect des droits des médias. Néanmoins, l’exception introduite en 2004 pour la poursuite des propos injurieux, discriminants et diffamants à caractère raciste et xénophobe doit impérativement s’appliquer aux infractions de même nature à caractère sexiste, homophobe, transphobe ou handiphobe. Ne discriminons pas entre les personnes discriminées : il y va d’une application stricte du principe d’égalité et de la protection des droits des victimes.
Les évolutions techniques, l’essor d’Internet et des réseaux sociaux complexifient l’identification des auteurs de tels actes, dont les victimes, ainsi que les associations de défense de leurs droits, ne peuvent, bien souvent, pas intenter une action judiciaire dans un délai aussi court. Il est donc nécessaire d’harmoniser par le haut les délais de prescription, afin que toutes les victimes disposent d’un délai d’une année pour ester en justice.
Dans son excellent rapport, notre collègue Esther Benbassa relève d’ailleurs l’absence de condamnations pénales définitives, entre 2003 et 2011, concernant les infractions de provocation à la discrimination et les actes de diffamation à raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle, ou encore du handicap.
Ces mêmes agissements ont en revanche donné lieu, en 2006, à quatre-vingt-douze condamnations définitives en matière de provocation à la discrimination raciale ou religieuse. On n’en avait dénombré que vingt-six en 2003, avant l’entrée en vigueur de la loi Perben II. L’exploitation de ces données, issues du casier judicaire national, permet de penser que l’allongement du délai de prescription à un an a rendu possible une telle évolution.
Les chiffres relatifs aux injures publiques sont tout aussi significatifs. En 2008, par exemple, 467 condamnations définitives sanctionnant des faits d’injures racistes ou à raison de la religion ont été prononcées, contre seulement deux pour des injures sexistes et LGBT-phobes et deux pour des injures à raison du handicap.
Une homogénéisation des délais de prescription est donc nécessaire, car des victimes se trouvant dans des situations comparables devraient pouvoir bénéficier du même droit effectif à la justice.
Cette proposition de loi, outre qu’elle vise à supprimer une différence de traitement injustifiée, permettra également, je l’espère, de renforcer la sécurité juridique, en particulier au regard des infractions commises sur Internet.
À cet égard, j’ai été fort sensible aux messages que m’ont adressés des personnes en situation de handicap à la suite du dépôt de la proposition de loi écologiste. Ces personnes m’indiquaient avoir constaté la circulation sur la « toile » de propos haineux, d’une particulière cruauté à leur encontre. Certaines d’entre elles avaient été directement victimes de telles atrocités via des réseaux sociaux ; d’autres faisaient référence à des commentaires et injures diffusés, en particulier, à l’occasion des Jeux paralympiques.
Voter le texte qui nous occupe aujourd’hui sera donc une façon de témoigner notre soutien à toutes les victimes de ces infractions.
En cette matière, les femmes ne sont malheureusement pas en reste ! Il n’est nul besoin de faire des recherches sur Internet pour s’en convaincre : les comportements sexistes se manifestent sous nos yeux… J’en veux pour preuve les remarques inadmissibles formulées par certains, dans cet hémicycle, lors des débats sur la parité dans les listes de candidats aux élections locales, ou l’attitude inacceptable de certains députés, dont la ministre du logement, coupable d’avoir osé mettre une robe, a eu à pâtir. Ce n’est là qu’un échantillon d’un sexisme décomplexé et arrogant !
De même, la discussion, à l’Assemblée nationale, du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe suscite des dérives et des propos intolérables.
L’association SOS Homophobie note d’ailleurs, dans son rapport de 2008 consacré à la lesbophobie, que les femmes homosexuelles sont à la fois victimes de sexisme et d’homophobie.
Enfin, il me semble important de saluer, au détour de l’examen de la présente proposition de loi, le programme d’action gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, dont la responsabilité vous a été confiée, madame la ministre.
Il faut à l’évidence également appliquer un délai de prescription d’une année aux actes de provocation à la discrimination, à ceux de diffamation et aux injures publiques à raison de l’identité de genre. En effet, la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel a introduit dans notre droit la notion d’« identité sexuelle ». Le VI de son article 4 a modifié la loi du 29 juillet 1881, sur laquelle porte également la présente proposition de loi. Ce dernier texte concerne donc aussi la poursuite des injures et diffamations transphobes et celle de la provocation à la discrimination envers les personnes « trans ». Un amendement déposé par Mme la rapporteur est d’ailleurs venu modifier l’intitulé de la proposition de loi, en y intégrant une mention de l’« identité sexuelle », conformément à la loi de 2012 précitée.
Il s’agit d’une première étape, franchie l’été dernier. Il me semble cependant qu’une telle notion ne permet pas de recouvrir la réalité et la diversité de toutes les situations. J’ai donc souhaité, avec les membres du groupe écologiste, déposer sur le texte adopté en commission des amendements tendant à substituer la notion d’« identité de genre » à celle d’« identité sexuelle ». Je les présenterai tout à l’heure.
Il n’en demeure pas moins que le groupe écologiste est extrêmement favorable à la proposition de loi n° 325, qu’il votera sans hésitation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la loi sur la liberté de la presse, dès l’origine, en 1881, faisait de la diffamation raciste un délit pénal. Ce dispositif a été élargi, en 1972, par le biais de l’incrimination des propos discriminatoires, injurieux ou incitant à la haine, fondés sur l’origine, l’appartenance ethnique, nationale, raciale ou religieuse. Pourtant, la tenue de tels propos à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap n’a été qualifiée de délit qu’en 2004.
Toutefois, les délais de prescription des délits de cette nature n’étaient pas harmonisés. Il subsistait une différence en matière de délai pour engager l’action pénale : ce délai était fixé à trois mois pour les personnes victimes de propos discriminatoires à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, et à un an pour celles ayant été l’objet de propos à caractère raciste ou xénophobe.
Cette différence de traitement a conduit à la transmission au Conseil constitutionnel, par la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité pour atteinte au principe d’égalité des délits et des peines.
En adoptant aujourd’hui cette proposition de loi, nous mettrons fin, si j’ose dire, à une discrimination dans la lutte contre les discriminations. Nous harmoniserons les délais de prescription, en tenant compte des évolutions techniques : le passage d’une presse écrite, dont l’impact est immédiat et éphémère, à une publication sur Internet, qui est quasiment indélébile et peut continuer longtemps à se propager.
La prescription des délits commis par voie de presse repose sur un régime dérogatoire ayant pour finalité de protéger la liberté de la presse. C’est la raison pour laquelle des délais de prescription très courts, bien plus courts que pour les autres délits, furent fixés en 1881.
Mais, à l’époque, à moins qu’il ne soit réédité par son auteur, le délit était – excusez la trivialité du mot ! – « consommé » en quelques jours. Avec les publications électroniques, le délit se répète automatiquement et en permanence. Il peut être constaté et se propager longtemps après avoir été commis.
Cette situation a motivé la démarche, engagée en 2004, d’allongement des délais de prescription. Toutefois, rien ne justifiait qu’elle ne concerne que certains types de propos discriminatoires ou incitant à la haine ; tel fut pourtant le cas.
Notre commission des lois en a convenu : trois mois est un délai de prescription trop court pour une infraction commise sur Internet. Ce qui vaut pour les propos racistes et antisémites aurait dû aussi, bien évidemment, valoir pour les propos sexistes, homophobes et handiphobes.
Or, c’est d’abord sur Internet que l’on trouve ce type de propos, car la presse professionnelle a une déontologie et des habitudes qui permettent de limiter sérieusement, pour ne pas dire totalement, les éventuelles dérives.
Mme Nathalie Goulet. Ah non, pas totalement !
M. Jean-Yves Leconte. Internet, outil formidable au service de la liberté d’expression, donne évidemment une dimension nouvelle aux phénomènes de diffamation, d’injure et de provocation à la discrimination : les auteurs potentiels sont plus nombreux, la diffusion large d’un message prend peu de temps, la trace est indélébile et l’auteur perd le contrôle de ses propos, des effets de ses écrits et de leur diffusion.
Trois mois était un délai beaucoup trop court pour lancer une action contre des sites ou des blogs où se tiennent des propos à caractère discriminatoire ; un an donnera une bien plus grande marge de manœuvre pour poursuivre leurs auteurs.
Les statistiques du ministère de la justice ont d’ailleurs confirmé de manière frappante la nécessité d’allonger les délais. En effet, entre 2005 et 2010, une seule condamnation a été prononcée sur le motif de « provocation à la haine ou à la violence à raison de l’orientation sexuelle par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ». Cela prouve que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du délai de prescription. Il convient d’être particulièrement vigilants sur ce point, compte tenu de la nature des débats qui mobilisent aujourd’hui la société française.
Cette proposition de loi, initialement déposée par Catherine Quéré et Jean-Marc Ayrault et adoptée par l’Assemblée nationale, recueille le soutien d’une large majorité, en raison du souci d’harmoniser la lutte contre les discriminations qui la sous-tend.
Son examen offre en outre l’occasion d’engager une réflexion plus large sur la relation entre l’État, la puissance publique, le législateur, d’une part, et Internet, d’autre part. Ce dernier remet-il en cause le rôle des premiers ? Comment la puissance publique doit-elle s’adapter pour mieux jouer le sien face aux avancées techniques qui changent les moyens de communication entre les hommes ? Ces questions sont d’autant plus cruciales que les fournisseurs d’accès à Internet et de matériels en savent aujourd’hui plus que les États eux-mêmes sur chacun d’entre nous. Quelle régulation d’Internet faut-il mettre en place ? Quelle loi doit s’appliquer, et comment la rendre crédible, dès lors que la « toile » se joue des frontières ?
L’État, le législateur doit protéger la personne, sa sécurité, son intégrité : c’est là son rôle premier, le fondement de sa légitimité. Comment peut-il y parvenir, s’agissant d’actes commis sur un réseau qui se veut un espace de totale liberté, un réseau qui est vecteur d’ouverture, d’idées, d’expériences, un réseau qui est un briseur de chaînes, parvenant en quelques semaines à faire se soulever un peuple alors qu’il fallait auparavant des années de structuration souterraine d’une opposition avant que puisse éclater une révolution ?
Comment faire en sorte que les dangers issus de cet espace de liberté et d’échange n’entraînent pas, n’entraînent jamais, une violation permanente de l’intimité, du cheminement de la pensée et des actes, de la correspondance privée ?
Poser le principe que les adresses IP doivent être protégées à l’instar des données personnelles est essentiel. Comment bien identifier les responsables des actes délictueux et la nature de leur responsabilité quand l’appropriation de ces données par les opérateurs de réseaux sociaux et les fournisseurs de services n’est pas toujours maîtrisée ni connue des utilisateurs ? Comment justifier un contrôle sur la « toile » sans excuser les limitations de son usage et les censures qu’imposent de nombreux États totalitaires ?
La position adoptée au Conseil des droits de l’homme de l’ONU par la Tunisie, lors du vote du 5 juillet 2012 sur la résolution relative à la liberté d’expression sur Internet, est significative à cet égard. Le texte adopté affirme que l’exercice des droits qui s’appliquent hors ligne, en particulier la liberté d’expression, doit aussi être protégé en ligne, quel que soit le média et sans tenir compte des frontières. La résolution appelle encore tous les États à promouvoir et à faciliter l’accès à Internet, ainsi que la coopération internationale pour favoriser le développement des médias et des communications dans tous les pays. Or le représentant tunisien, Moncef Baati, a rappelé, à cette occasion, le rôle crucial joué par Internet dans la mobilisation ayant conduit, l’an passé, à la « révolution » dans son pays, fer de lance du « printemps arabe ».
Cette liberté sur la « toile » est une garantie contre le politiquement correct, la dictature s’exerçant sur la pensée, la vénération des « vaches sacrées ». (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) C’est un levier pour la libération de la pensée et de la connaissance. Comme l’indique la Cour européenne des droits de l’homme dans l’un de ses arrêts, « la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels, il n’est pas de société démocratique ».
Mme Nathalie Goulet. On verra quand ça vous arrivera !
M. Jean-Yves Leconte. La régulation de l’expression sur Internet peut-elle s’institutionnaliser, alors que le principe même qui régit le web, c’est l’autorégulation, la responsabilisation des internautes ? Sous tous les aspects, le web oblige à l’apprentissage, à la sensibilisation, au respect d’une déontologie. Il en va de même sur le plan technique, car c’est la condition du bon fonctionnement du réseau. Sur le plan éthique, les choses sont beaucoup plus compliquées.
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Oui !
M. Jean-Yves Leconte. Il faudrait que chaque utilisateur prenne conscience que la liberté de s’exprimer n’inclut pas celle de diffamer. Il y va du respect de l’autre, mais aussi de la crédibilité du réseau.
Notre rapporteur, Esther Benbassa, a exprimé un faible pour le premier amendement de la Constitution américaine, qui ne pose pas de limite à la liberté d’expression, principe entré dans les mœurs américaines par le jeu de l’éducation et des habitudes : « La pédagogie qui l’a accompagné a permis d’encadrer une liberté en principe totale. En France néanmoins, où la menace de la sanction est brandie dès les premières années de l’enfance, il semble difficile de s’en remettre à une telle mesure. »
C’est la raison pour laquelle nous voterons ce texte, qui s’inscrit dans notre continuité juridique et répond à une nécessité à la fois technique, juridique et morale.
Toutefois, la nature même d’Internet, de ses potentialités, mais également de ses risques, doit nous amener à réfléchir sur l’intérêt de l’approche américaine, beaucoup plus pédagogique que la nôtre et qui requiert éducation et expérience. Il faut faire confiance à la capacité de chacun de confirmer cette célèbre parole de Marat : « La liberté de tout dire n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d’elle-même et son triomphe est assuré. »
C’est sur cette citation, madame Goulet, que je comptais terminer mon intervention, mais je tiens auparavant à saluer votre témoignage. Je suis convaincu que le Sénat, à l’occasion d’une réflexion sur les moyens de faire respecter la dignité de chacun sur Internet, parviendra à faire converger les préoccupations qui se sont exprimées cet après-midi.
Mme Nathalie Goulet. Inch’Allah !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la ministre, je voudrais tout d’abord vous remercier d’avoir placé votre action sous le signe de la lutte contre la discrimination. Ainsi, ce matin, avec Mme Pau-Langevin, vous êtes allée à la rencontre de lycéens pour aborder avec eux la question de la lutte contre le sexisme en milieu scolaire. Cet après-midi, dans le droit fil des préoccupations qui sont les vôtres, vous avez parlé avec talent de la nécessité de lutter contre toutes les discriminations. En effet, rien ne justifie qu’il existe des discriminations entre les discriminations : toutes les atteintes à la dignité humaine sont intolérables et doivent donc être considérées par la loi de la même manière.
Cela étant, comme l’a souligné Mme Goulet, nous ne devons toucher à la loi de 1881 que d’une main tremblante,…
Mme Nathalie Goulet. … mais ferme !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … mais sûre.
Je pense souvent à cette tirade célèbre magnifiant la liberté de la presse que Beaumarchais place dans la bouche de Figaro : « pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs ». (Sourires.)
Nous allons donc toucher à la loi de 1881 parce que cela est absolument nécessaire. À cet égard, je tiens à saluer les propos éclairants que vous avez tenus, madame Benbassa, sur l’injure. En effet, on ne parle pas seulement pour communiquer ; il y a des mots qui sont des actes. Cela renvoie à tout un courant de la philosophie qui a mis l’accent sur le caractère performatif de certains énoncés. On peut évoquer Quand dire c’est faire, de John Langshaw Austin, Les mots et les choses, de Michel Foucault. Plus près de nous, John Searle et Oswald Ducrot ont eux aussi mis en évidence l’importance des actes de langage. Le langage peut devenir acte de haine, de violence : il y a en effet des mots qui tuent…
J’ajouterai un dernier mot, sous l’autorité de Jean-Pierre Michel, qui est un grand spécialiste de ces questions, comme de beaucoup d’autres d’ailleurs. (Nouveaux sourires.)
Comme l’ont souligné MM. Mohamed Soilihi, Leconte et Collin, ainsi que Mme Goulet, il nous faut mener une réflexion sur la régulation d’Internet, mais en gardant à l’esprit qu’il ne peut y avoir, sur ce sujet, de conception réaliste autre qu’internationale. À cet égard, l’Europe peut peser au niveau international. Certes, il est impensable qu’Internet soit un espace exempt du droit, qu’il s’agisse de la diffamation, du droit d’auteur, de la propriété intellectuelle, ou tout simplement de l’honnêteté, mais il faut des règles qui s’imposent partout.
Bien sûr, je suis tout à fait d’accord pour que nous engagions au Sénat, via la constitution d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information, une réflexion approfondie sur la question.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela relève de notre responsabilité. Si nous ne menons pas une telle démarche, notre action de législateur concernant le fonctionnement d’une sphère d’Internet qui pour l’heure se joue quotidiennement de nos lois ne pourra que souffrir de graves lacunes. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de l’esprit de consensus qui règne dans votre assemblée sur cette question. Compte tenu de l’actualité, on aurait pourtant pu s’attendre à un débat plus polémique. Cela a été rappelé, cette proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale. J’espère qu’il en ira de même au Sénat.
Je tiens à remercier Mme Benbassa de son excellent travail. Elle a rappelé, à juste titre, que nous débattons aujourd’hui de valeurs autour desquelles nous devons nous rassembler, dans le respect de notre tradition juridique, qui mérite cependant parfois d’être réactualisée.
J’ai retenu de vos propos, madame la rapporteur, que les mots sont parfois des armes, et qu’ils peuvent tuer. Je partage absolument ce point de vue.
Vous avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’arrivée d’Internet est un fait nouveau qui doit nous amener à moderniser notre législation, y compris la loi du 29 juillet 1881.
Monsieur Mohamed Soilihi, vous avez relevé avec raison que des délais de prescription trop courts entraînent non seulement la forclusion d’un certain nombre de procédures, mais découragent de surcroît les recours. Or il convient au contraire de favoriser l’introduction de ceux-ci lorsqu’ils sont justifiés.
Madame Goulet, nous aurons peut-être la main tremblante au moment de modifier la loi de 1881, mais sachez que cette main sera néanmoins ferme et déterminée. Je veux le redire ici : Internet ne doit pas être une zone de non-droit, un sanctuaire. Je pourrais moi aussi vous raconter quelques anecdotes à ce sujet. Je rencontrerai demain les responsables de Twitter, un réseau social sur lequel des propos antisémites, racistes ou homophobes ont été échangés ces derniers mois ; j’y reviendrai.
J’ai bien entendu votre demande, madame Goulet, d’une réflexion en commun sur ces sujets. M. le président de la commission des lois vient d’y donner une réponse favorable. À titre personnel, je ne peux que soutenir une telle démarche. Sachez cependant que la garde des sceaux travaille, en ce moment même, sur un habeas corpus numérique, conçu notamment pour garantir le droit à l’oubli que vous avez tous, à juste titre, appelé de vos vœux. Il me semble nécessaire d’assurer une bonne articulation entre ces deux démarches.
Plus généralement, au travers de ce texte, il s’agit de mettre fin aux discriminations entre les discriminations. À cet égard, je voudrais remercier certains d’entre vous d’avoir mis l’accent sur cette violence terrible, quotidienne et bien réelle qu’est l’handiphobie. Je recevrai très prochainement Jean-Marie Barbier, le président de l’Association des paralysés de France, qui nous alerte régulièrement sur la progression rapide des dérapages en ligne à l’encontre des personnes en situation de handicap. L’impunité qui règne en la matière est assez affligeante : en neuf ans, dix condamnations seulement ont été prononcées pour sanctionner des injures de cette nature.
Au fond, ce que révèlent ces affaires, c’est une forme de banalisation de toutes ces injures, qu’elles soient sexistes, homophobes, transphobes, racistes ou handiphobes. Cela tient au fait qu’elles correspondent à des stéréotypes, minimisés en permanence, dont nos sociétés restent imprégnées et qui sont autant d’obstacles à l’égalité et au respect des personnes.
Savez-vous, par exemple, que 64 % des Français pensent sincèrement que les personnes handicapées sont inaptes au travail ? La persistance de ces stéréotypes fait que les handicaps s’additionnent pour les personnes concernées : au handicap fonctionnel, corporel s’ajoute le préjudice quotidien, permanent, créé par la société au travers de tels clichés.
J’ai pleinement conscience que ces stéréotypes forment la racine de toutes les discriminations auxquelles nous devons faire face aujourd’hui. En tant que ministre des droits des femmes, je ressens avec une particulière acuité le jeu des mécanismes qui constituent ce sexisme « ordinaire » conduisant petit à petit aux actes de harcèlement et aux discriminations que nous avons souvent dénoncés ici. Je ne les sous-estime pas. C’est la raison pour laquelle je souhaite que soit mené un travail en profondeur sur ce sujet ; j’espère que votre assemblée me suivra, dans quelques mois, lorsque je lui présenterai un projet de loi traitant de cette question.
La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui ne fait courir aucun risque à la liberté de la presse en tant que telle, au contraire. Comme vous l’avez indiqué, monsieur Collin, nous avions, avec la loi Perben, commencé un travail qu’il convient de terminer et qui soulève d’ailleurs un certain nombre de questions de constitutionnalité. Au-delà du texte que le Sénat va, je l’espère, adopter tout à l’heure, il faudra peut-être envisager une refonte plus ambitieuse de la loi de 1881. Cela étant, telle n’est pas exactement la question qui nous occupe aujourd’hui et il faudra certainement, monsieur Charon, patienter un peu avant d’ouvrir ce chantier. Néanmoins, je considère que cela peut être extrêmement utile et intéressant. Attendons donc que le Conseil constitutionnel se soit exprimé sur la question prioritaire de constitutionnalité que vous avez évoquée.
En conclusion, je vous remercie vivement de votre engagement personnel, madame Benbassa, sur un sujet qui, je le sais, vous tient à cœur et semble faire l’objet d’un consensus au Sénat, ce dont, une fois encore, je me félicite. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article 1er
(Suppression maintenue)
Article 2
L’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifié :
1° La référence : « et huitième » est remplacée par les références : « , huitième et neuvième » ;
2° La référence : « le deuxième alinéa » est remplacée par les références : « les deuxième et troisième alinéas » ;
3° La référence : « le troisième alinéa » est remplacée par les références : « les troisième et quatrième alinéas ».
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
...° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les délits prévus par l'article 29, lorsqu’ils sont commis par un moyen de communication au public par voie électronique, le délai de prescription prévu par l'article 65 est porté à un an. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’un amendement d’appel, on l’aura compris.
L’injure et la diffamation de droit commun finissent par être moins bien traitées que les délits faisant l’objet du présent texte. Cet amendement vise donc à aligner le délai de prescription instauré par la loi sur la presse sur celui qui est prévu par la présente proposition de loi, à savoir un an. En créant des dérogations au régime de droit commun, on a institué des différences de traitement entre les victimes d’injures et de diffamations selon le caractère de celles-ci. En définitive, un homme ou une femme politique injurié ou diffamé sur Internet pour des raisons ne tenant ni à son orientation sexuelle, ni à sa couleur de peau, ni à sa religion, ni à un handicap est moins bien protégé que les autres victimes.
Je propose simplement d’aligner les délais de prescription de l’action publique en matière d’injures et d’actes de diffamation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Esther Benbassa, rapporteur. La mesure proposée est pertinente mais, comme cela a déjà été dit, il faudrait élaborer une loi relative aux limites de l’expression sur ce média fort utile qu’est Internet.
La commission a donné un avis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, pour deux raisons.
Tout d’abord, l’adoption de cet amendement changerait la nature du texte, puisque celui-ci a vocation à prolonger le délai de prescription en fonction du contenu, et non du support.
En outre, une proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription pour les actes de diffamation, les injures et les provocations commis par l’intermédiaire d’Internet a été adoptée par le Sénat le 4 novembre 2008 et redéposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 2 juillet dernier. Il me semble donc que la discussion de cet amendement s’inscrirait beaucoup mieux dans le cadre de l’examen de ce texte.
Mme la présidente. Madame Goulet, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, il aura donc fallu quatre ans pour que le texte que vous évoquez – je l’avais d’ailleurs voté en 2008 – traverse le boulevard Saint-Germain et parvienne à l’Assemblée nationale… (Sourires.) Vous comprendrez que des personnes ayant été diffamées ou injuriées et se trouvant dans l’impossibilité de poursuivre les auteurs des faits puissent en concevoir quelque impatience !
Quoi qu’il en soit, je retire cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 1 est retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Mme la présidente. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.
Articles additionnels après l'article 2
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :
A. Au neuvième alinéa de l'article 24, au troisième alinéa de l'article 32 et au quatrième alinéa de l'article 33, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de leur identité de genre » ;
B. Au premier alinéa de l'article 48-4, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre ».
La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Madame la présidente, si vous le permettez, je présenterai en même temps l'amendement n° 4.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 4, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, et ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I – Le code pénal est ainsi modifié :
A. Aux premier et second alinéas de l'article 132-77, au 7° de l'article 221-4, au 5° ter des articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13, à la seconde phrase de l'article 222-18-1, au 9° de l'article 222-24, au 6° de l'article 222-30, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre » ;
B. Aux premier et second alinéas de l'article 225-1, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre » ;
C. Au premier alinéa de l'article 226-19, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou à l’identité de genre » ;
D. Au 9° de l'article 311-4, et au 3° de l'article 312-2, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou de son identité de genre ».
II. – Au 3° de l'article 695-9-17, au 5° de l'article 695-22 et au 4° des articles 713-20 et 713-37 du code de procédure pénale, après le mot : « politiques », le mot : « ou » est remplacé par la marque de ponctuation : « , », après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou de son identité de genre ».
III. – Le code du travail est ainsi modifié :
A. À l'article L. 1132-1, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de son identité de genre » ;
B. Au 3° de l'article L. 1321-3, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre » ;
C. Au 1° de l'article L. 1441-23, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , l’identité de genre ».
IV. – À l'article L. 032-1 du code du travail applicable à Mayotte, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de son identité de genre, ».
V. – Au deuxième alinéa de l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre ».
VI. – Le code du sport est ainsi modifié :
A. Au premier alinéa de l'article L. 332-18, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , de leur identité de genre » ;
B. Au dernier alinéa de l'article L. 332-19, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : «, de son identité de genre ».
VII. – La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :
A. Au premier alinéa de l'article 1er, après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , son identité de genre » ;
B. Au 2° de l'article 2, après le mot : « âge », le mot : « ou » est remplacé par la marque de ponctuation : « , », après le mot : « orientation », les mots : « ou identité » sont supprimés et après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « ou l’identité de genre ».
Veuillez poursuivre, madame Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. L’amendement n° 3 a pour objet de substituer la notion d’« identité de genre » à celle d’« identité sexuelle » dans la loi sur la presse de 1881.
En effet, le deuxième alinéa de l’article 2 de la présente proposition de loi tend à modifier l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 en y intégrant le neuvième alinéa de l’article 24.
En d’autres termes, cela signifie que seront dès lors concernées par le délai de prescription d’une année les infractions visées au neuvième alinéa de l’article 24, c’est-à-dire la provocation « à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap » ou les provocations commises, « à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal ».
En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, « l’identité sexuelle » figure sur la liste des motifs fondant de telles infractions.
Si Europe Écologie-Les Verts a apprécié cette première prise en considération, nous regrettons cependant que la notion d’identité de genre n’ait pas été préférée à celle d’identité sexuelle. Le choix de cette dernière risque, en effet, d’exclure du champ d’application du dispositif plusieurs milliers de personnes en cours de transition, ou vivant durablement dans des situations transgenres, ou à qui l’État refuse un changement d’état civil.
Si nous aspirons, évidemment, à une réforme d’ensemble des droits des personnes « trans » – permettant surtout, et fondamentalement, le traitement administratif et non plus judiciaire des demandes de changement d’état civil –, la reconnaissance de la notion d’identité de genre nous semble en être un préalable.
Le groupe écologiste entend ici rappeler son engagement dans la lutte pour les droits des personnes « trans », ainsi que le souhait d’EELV de voir « inclure l’identité de genre dans la liste des discriminations punies par la loi ».
Tant que nous ne légiférerons pas sur ce point, nous laisserons aux tribunaux le soin de déterminer si des personnes transgenres sont ou non protégées au titre de la notion d’identité sexuelle.
Je sais, madame la ministre, votre engagement en la matière, et j’évoquais d’ailleurs, tout à l’heure, le programme d’action gouvernemental contre les violences et discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre dont la responsabilité vous a été confiée. Je connais également l’engagement de longue date de nos collègues de la majorité sur ces questions.
Vous aviez tenu les propos suivants en juillet 2012, madame la ministre : « Le débat sur l’identité de genre me passionne et j’espère que nous aurons d’autres occasions de le poursuivre. » L’occasion n’est-elle pas venue ?
L’argument fondant à l’époque le refus d’intégrer cette notion dans le droit français reposait sur l’absence de définition de celle-ci en droit interne, mais je rappelle que l’identité sexuelle n’y est pas non plus définie. Je souligne également que cette définition de « l’identité de genre » existe dans des accords internationaux auxquels la France est partie et qu’elle est également reconnue au niveau européen.
Vous aviez également évoqué à ce sujet, madame la ministre, la saisine de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH : peut-être pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
L’amendement n° 4 est un amendement de coordination avec tous les autres textes législatifs comportant la notion d’« identité sexuelle », de même que l'amendement n° 5, qui porte sur l’intitulé de la proposition de loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 3 et 4 ?
Mme Esther Benbassa, rapporteur. En tant que chercheur en sciences humaines, je suis favorable à l’utilisation du mot « transgenre ». Mais, en tant que rapporteur, il n’en va pas de même, puisque la commission a donné un avis défavorable.
J’ajouterai que les personnes transsexuelles sont protégées par les dispositions du droit pénal relatives à l’identité sexuelle.
En outre, dans le courrier qu’elles ont adressé en janvier dernier à la CNCDH, Mme la ministre et Mme la garde des sceaux indiquent clairement leur souhait d’être éclairées sur cette question du vocabulaire à employer. À l'avenir, nous aurons sans doute l'occasion de faire évoluer la terminologie, afin que ce changement puisse progressivement entrer dans les mentalités. Les magistrats doivent pouvoir appréhender ce que recouvre un terme, « transgenre », bien mal traduit de l’anglais transgender. En effet, en français, le mot « genre » peut renvoyer à bien d’autres choses que le sexe, alors que l’anglais « gender » vise spécifiquement celui-ci. Cela étant, le terme est entré dans l’usage en sciences humaines et l’on peut penser que, à l'avenir, les praticiens du droit percevront bien sa signification.
La commission a émis un avis défavorable sur les deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame Ango Ela, ces amendements témoignent de votre vigilance sur ce sujet ; nous la partageons. Vous aurez d'ailleurs noté que, dès le 6 août dernier, par le biais de la loi relative au harcèlement sexuel, Mme la garde des sceaux et moi-même avons tenu à introduire la transphobie dans la liste des motifs de discrimination pénalement répréhensibles.
Dans le même ordre d’idées, un très intéressant travail de réflexion a été engagé au Sénat, sous la houlette de vos collègues Michelle Meunier et Maryvonne Blondin, sur des dispositions législatives qui permettraient de renforcer la protection des personnes en cours de transition. Là encore, nous entendons faire preuve de vigilance pour assurer la meilleure protection possible à ces personnes.
Pour ce qui est du vocabulaire utilisé, je ne peux que vous concéder que la France est en effet partie à un certain nombre de textes internationaux qui emploient la notion d'identité de genre. Cette terminologie est par ailleurs aussi régulièrement utilisée dans la société civile, en particulier par les universitaires et les chercheurs.
Cela étant, si nous avons pour l'instant choisi d’en rester à la notion d'identité sexuelle en droit français, c'est parce que c'est l'expression qui a toujours été employée jusqu’à présent. Je rappelle que la circulaire pénale prise par la garde des sceaux dans la foulée de l’adoption de la loi relative au harcèlement sexuel afin d’expliciter le texte est tout à fait claire : les violences et les discriminations commises à raison de l'identité sexuelle doivent être entendues comme celles qui visent une personne parce qu'elle est « trans », transgenre ou transsexuelle. La transphobie est donc désormais bel et bien reconnue et condamnée dans notre droit.
Pour ce qui est de l'expression « identité de genre », que vous aimeriez voir introduire dans notre droit, Mme la rapporteur l’a indiqué, Christiane Taubira et moi-même avons saisi sur ce point la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui rendra avant l'été son avis sur la signification et la place de l'identité de genre dans notre droit. Nous verrons alors s'il faut faire évoluer celui-ci en ce sens.
En attendant que ce travail prospère, je vous propose de retirer vos amendements ; sinon, le Gouvernement y sera défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Ces amendements soulèvent un problème extrêmement complexe. Je signale que le groupe socialiste a mis en place en son sein un groupe de travail sur ce sujet, animé par Maryvonne Blondin et Michelle Meunier. Il devrait rendre prochainement ses conclusions.
Ce débat est très ancien. Je me souviens avoir déposé, en 1980, des conclusions sur cette question devant la chambre civile du tribunal de Créteil. À l’époque, la jurisprudence était très erratique, certains tribunaux acceptant le changement d'état civil, d'autres pas, tandis que la Cour de cassation prenait des décisions contradictoires. Il faut régler non seulement la question de la transphobie, mais aussi celle du statut des personnes qui demandent à changer d'état civil. Je le redis, le sujet est très compliqué.
J'ajoute que, sur cette question comme sur celle de la régulation d'Internet, l'Europe ne se résume pas, fort heureusement, à l'Union européenne ! L’Europe, c'est aussi le Conseil de l'Europe, dont je vous invite à consulter les travaux sur ces deux questions, notamment sur celle de la transphobie et des personnes transgenres. Vous y trouverez des recommandations très intéressantes, qui pourraient peut-être être reprises à l’échelon européen, sachant que ces problèmes ne peuvent être appréhendés que sur un plan international, particulièrement en ce qui concerne Internet.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je sais la contribution de M. Michel aux travaux du Conseil de l'Europe. Sa modestie lui interdit d’en faire état ! (Sourires.)
Mme la présidente. Madame Ango Ela, les amendements nos 3 et 4 sont-ils maintenus ?
Mme Kalliopi Ango Ela. En attendant des jours plus favorables, je les retire, madame la présidente !
Mme la présidente. Les amendements nos 3 et 4 sont retirés.
L'amendement n° 2, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Tout numéro identifiant le titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne ne constitue pas une donnée à caractère personnel au sens du présent alinéa. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. En matière de prescription, l'identification de l'auteur de l’infraction est un élément essentiel.
Cet amendement vise, comme je l'ai expliqué lors de la discussion générale, à ce que l'adresse IP ne soit pas considérée comme une donnée à caractère personnel. La cour d'appel de Paris a statué en ce sens, notamment dans un arrêt du 15 mai 2007, par lequel elle a considéré qu’une série de chiffres ne saurait constituer « une donnée indirectement nominative à la personne dans la mesure où elle ne se rapporte qu’à une machine, et non à l’individu ».
L’exclusion proposée de l’adresse IP du champ des données à caractère personnel ne concernerait bien entendu que la poursuite des infractions visées par le texte qui nous est soumis.
Cet amendement n'est pas un cavalier législatif, le lien avec la question des délais de prescription étant absolument évident. En outre, il apporte une précision extrêmement utile.
Comme à l’habitude dans cette maison, on me renverra certainement à la discussion d’un texte à venir pour m’inciter à le retirer, mais je le maintiendrai. La commission des lois a rejeté cet amendement, mais j’estime qu'il doit tout de même être examiné avec une grande attention. L’article 1er du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ayant été supprimé, il y aura une navette : nous aurons donc l’occasion de revenir sur cette question.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Cette proposition n'a rien à voir avec le texte dont nous discutons. Personnellement, je suis favorable à ce que l'adresse IP reste une donnée à caractère personnel : même si nous l’avons beaucoup critiqué aujourd'hui, Internet demeure un espace de liberté.
La question pourra probablement être discutée dans le cadre d'une véritable concertation sur les limites de l’expression sur Internet, car je suis convaincue qu’il faut instituer de telles limites.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Le Gouvernement est du même avis que la commission. Le sujet mérite un débat approfondi, mais il sort quelque peu du champ de la proposition de loi qui nous occupe aujourd'hui.
Internet est certes un espace de liberté, mais nous devons tout de même réfléchir aux moyens de ne pas en faire une zone de non-droit. À cet égard, la discussion que nous aurons demain avec les responsables de l’entreprise Twitter devrait être très instructive. Il me semble possible de trouver des réponses, techniques et juridiques, pour lutter contre la diffusion de propos diffamatoires ou incitant à la haine.
Sur le fond, je suis plutôt d’accord avec vous, madame Goulet. Cela étant, il faut faire attention à ne pas remettre en cause de façon quelque peu précipitée les équilibres qui ont été établis par la loi informatique et libertés. Votre amendement mérite, je le répète, de faire l’objet d’un examen approfondi, peut-être dans le cadre du groupe de travail dont la création a été évoquée.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je voterai bien sûr comme la commission : comment pourrait-il en aller autrement ? Cependant, je tiens à dire que je considère pour ma part que, dès lors que des propos sont publiés sur un site Internet, il doit exister l'équivalent du directeur de la publication d’un journal. Rien ne doit pouvoir être publié sans qu'un responsable de cette publication ait été nommément désigné.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Sur cet amendement, il est évident que je vais être battue, puisque la majorité votera comme la commission. Je voudrais toutefois, avant de le retirer, développer mon argumentation.
Comment voulez-vous identifier l'auteur de l'infraction dans le délai de prescription sans recourir à l'adresse IP ?
Aujourd'hui, en cas d’injure ou de diffamation, vous ne pouvez poursuivre au civil si vous ne connaissez pas l’auteur de l’infraction. Même si vous avez pu identifier le serveur et l’hébergeur, cela ne suffit pas !
Si vous voulez poursuivre au pénal, il faut déposer une plainte contre X, attendre ensuite l'ouverture de l'information, puis la consignation chez le juge d'instruction, avant que des mesures de commission rogatoire soient décidées pour rechercher l'adresse IP de l'auteur de l'infraction. On n'y arrivera pas, que le délai soit de trois mois ou d’un an !
La présente proposition de loi, qui sera certainement adoptée à l'unanimité, vise à la fois les supports électroniques et les supports papier classiques. Je le redis, je ne vois pas comment le dispositif pourra avoir une portée effective ! Cela ne fonctionnera que pour les journaux, et encore faudra-t-il qu’ils ne soient pas en grève, comme cela arrive souvent malgré les 175 millions d'euros d’argent public qui leur sont versés chaque année – sans qu’aucune obligation soit prévue en contrepartie en matière de déontologie –, prétendument pour financer leur modernisation, mais en réalité pour soutenir leur activité…
Dans ces conditions, ce texte représente un coup d'épée dans l'eau ! Je veux bien retirer mon amendement, qui, de toute façon, n’a aucune chance d’être adopté, mais je considère que le travail n’est qu’à moitié fait, dans la mesure où il ne sera pas possible d’identifier l'auteur de l'infraction ! Nous sommes dans l’utopie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je comprends votre préoccupation, madame Goulet, mais prenons garde à ne pas systématiquement faire courir la loi derrière la technique. La loi doit avoir une portée générale et impersonnelle.
Il est vrai que l’exclusion de l’adresse IP du champ des données à caractère personnel rendrait l’identification de l’auteur présumé d’une infraction beaucoup plus facile dans nombre de cas, mais vous savez bien que des alias ou d’autres éléments peuvent s’opposer à une identification exacte. Par conséquent, n’essayons pas de réinventer la loi sur la presse, cent trente ans après sa publication, en pensant que la presse d’aujourd'hui serait celle de 1881 transférée sur un iPad ! Il ne s’agit pas que de technique. Au reste, l’adresse IP peut être truquée. Les choses ne sont donc pas aussi simples que cela.
Reste que je suis d’accord avec vous sur le fait que l’allongement des délais de prescription permettrait de faire un certain nombre de recherches, mais ce que vous proposez n’est pas la solution miracle.
Mme Nathalie Goulet. Je n’ai jamais prétendu cela !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Je suis d’accord avec Mme Goulet. Toutefois, le parquet peut ordonner une requête pour obtenir l’adresse IP.
Mme Nathalie Goulet. Mais dans quels délais ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme la présidente. Madame Goulet, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 2 est retiré.
Article 3 (nouveau)
La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie – (Adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par Mmes Ango Ela, Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après le mot :
orientation
supprimer les mots :
ou de l'identité
et après le mot :
sexuelle
insérer les mots :
, de l’identité de genre
Cet amendement n'a plus d’objet.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous voterons bien évidemment ce texte. Mais sachez que je suivrai avec beaucoup d’attention la suite qui sera donnée aux engagements de Mme la ministre ainsi qu’aux promesses de M. le président de la commission des lois – nous savons tous qu’il les tient (M. le président de la commission des lois le confirme.) – et de Mme la rapporteur, à qui je rappelle l’antériorité de mes demandes sur cette question.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je tiens à remercier la Haute Assemblée pour ce débat de haute tenue et pour le consensus qui s’est dégagé. C’est un grand pas que nous venons de franchir, même si, on le voit, un certain nombre d’interrogations restent ouvertes, qui méritent d’être creusées et approfondies.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Je voudrais également remercier nos collègues qui ont participé à nos travaux ainsi que M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci !
Mme Esther Benbassa, rapporteur. Nous avons pu examiner ce texte dans le calme, ce qui nous change !
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Conventions fiscales avec les Pays-Bas et le Sultanat d'Oman
Adoption définitive de deux projets de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 136, texte de la commission n° 316, rapport n° 315) et du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions (projet n° 135, texte de la commission n° 314, rapport n° 313).
Il a été décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est une priorité du Gouvernement, comme l’ont par exemple montré les mesures qui ont été prises dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013.
Je sais que, à l’instar des députés, les sénateurs sont très impliqués sur ces questions. D'ailleurs, je me réjouis que, hier soir, à l’Assemblée nationale, un amendement à la loi bancaire, imposant aux banques une transparence de leurs activités, pays par pays, ait été adopté en commission, avec le soutien du Gouvernement. La France pourrait ainsi être le premier pays au monde à imposer une telle transparence, laquelle, comme chacun le sait, est un outil puissant de lutte contre les paradis fiscaux.
Comme vous le savez, lors du sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009, l’OCDE a établi et fait publier les listes grises et noires de « paradis fiscaux », listes désormais bien connues. La France a alors engagé des négociations avec les pays figurant sur ces listes : ont été conclus des avenants, lorsqu’il existait déjà une convention fiscale entre la France et les États concernés, et des accords d’échange de renseignements fiscaux, dans les autres cas.
Depuis mars 2009, la France a signé deux conventions fiscales, onze avenants et vingt-huit accords d’échange de renseignements. Au total, cent quarante-deux accords ont été conclus, faisant de notre pays l’un des plus entreprenants dans l’action internationale en faveur de la transparence fiscale.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent l’accord relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale entre la France et les Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba, lequel, comme chacun le sait, est un territoire au large du Venezuela, et l’avenant à la convention entre la France et le Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions, qui font l’objet des projets de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.
Ces accords ont pour objet principal la mise en place d’un cadre juridique permettant un échange de renseignements effectif et sans restriction. Ces accords prévoient notamment la levée du secret bancaire, ce qui, évidemment, est un élément essentiel. En outre, ils sont conformes aux standards internationaux les plus récents en matière de transparence et d’échange d’informations fiscales, et particulièrement aux modèles de convention élaborés par l’OCDE. Certes, ces standards pourraient encore être améliorés, mais c’est un premier pas important en matière de lutte contre les pratiques fiscales dommageables.
Je souligne qu’Aruba a déjà été évalué par la revue par les pairs au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, enceinte internationale chargée d’apprécier le degré de transparence fiscale des États. Ce rapport d’évaluation, adopté en avril 2011, lui a permis de passer en « phase 2 », programmée en 2014. Le cadre juridique d’Aruba lui permet de se conformer à l’accord d’échange de renseignements signé avec la France. Rappelons également que l’île s’est conformée aux standards internationaux en matière de transparence fiscale, ce qui a permis son inscription sur la liste « blanche » de l’OCDE.
Quant au Sultanat d’Oman, s’il n’a pas été évalué par le Forum fiscal mondial, il n’a pas non plus été identifié par celui-ci comme une juridiction présentant un risque particulier en matière de transparence fiscale.
Cela étant dit, je tiens à préciser que l’essentiel n’est pas de signer ou de ratifier de tels accords : l’essentiel est bien évidemment de les faire appliquer. À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous assurer que toutes les précautions nécessaires sont prises par la France afin que ces accords soient effectivement suivis d’effets et mis en œuvre. Le Gouvernement est extrêmement attentif sur ce point.
Je souhaiterais également insister sur le fait que la signature et l’approbation de ces accords ne sont évidemment pas une fin en soi mais s’inscrivent dans le cadre de la mise en place d’un véritable dispositif global de lutte contre les pratiques fiscales dommageables et risquées. En effet, c’est au moyen de ces accords que la France consolidera les règles d’échange de renseignements avec ses partenaires et confortera chacun d’entre eux dans leurs engagements en faveur de la transparence fiscale.
La liste française des États et territoires non coopératifs constitue, quant à elle, un levier d'action complémentaire. En effet, si le Forum fiscal mondial devait rendre une évaluation défavorable ou si l'assistance administrative prévue par ces accords ne se déroulait pas de manière satisfaisante, l'inscription ou la réinscription de ces États sur la liste française reviendrait à l'ordre du jour.
La France est en mesure de prononcer de lourdes sanctions fiscales à l’encontre des États figurant sur cette liste. Ces sanctions se traduisent notamment, comme vous le savez, par moins d'investissements sur place et, pour nos entreprises, par le refus du bénéfice du régime mère-fille au profit de leurs filiales situées sur ces territoires.
En conclusion, je voudrais insister sur le fait que l’application de ces accords, qui appuient la politique fiscale menée par la France, sera suivie avec la plus grande attention par le Gouvernement et par les services de l’État.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michèle André, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accord entre la France et les Pays-Bas pour ce qui est d'Aruba, signé le 14 novembre 2011, et l'avenant à la convention entre la France et Oman, signé le 8 avril 2012, ont tous deux pour objet de renforcer la transparence fiscale au niveau international en instituant un dispositif d'échange de renseignements conforme aux standards développés par l'OCDE.
S'agissant d'Aruba, cette île est l'une des quatre composantes du Royaume des Pays-Bas. Située, comme chacun le sait, dans la mer des Caraïbes en face des côtes vénézuéliennes, elle est peuplée d'environ 100 000 habitants. Son économie, relativement prospère – le produit intérieur brut par habitant est de 24 000 dollars –, repose principalement sur le tourisme et le raffinage pétrolier. Le poids du secteur financier y est, quant à lui, assez limité. Les échanges commerciaux entre la France et Aruba s'élèvent à 20 millions d'euros et sont légèrement déficitaires pour notre pays.
Mes chers collègues, vous aurez tout compris quand vous saurez que, au total, vingt et un Français sont inscrits auprès du consul honoraire de cet espace des Pays-Bas et qu’aucune entreprise française n’est implantée sur ce territoire…
Si les relations commerciales entre la France et Aruba sont modestes, cet accord d'échange de renseignements ne s’en inscrit pas moins dans la stratégie française de promotion de la transparence et de la coopération en matière fiscale. L'accord-cadre élaboré par l'OCDE en 2002, dont s'inspire le présent accord, constitue un support habituel pour favoriser l'échange de renseignements en matière fiscale.
À l'occasion du G20 de Londres d’avril 2009, l'OCDE, cherchant à promouvoir la coopération fiscale, a établi une « liste grise ». Cette liste, sur laquelle figurait Aruba, recense les pays qui, bien que s'étant engagés à respecter la norme fiscale internationale, ne l'avaient pas encore réellement mise en œuvre à cette date. Aussi la France a-t-elle proposé aux pays ainsi identifiés de signer un accord d'échange de renseignements du type de celui qu’avait élaboré l'OCDE.
Dès 2001, Aruba s'est engagé sur la voie de la coopération en matière fiscale. Ainsi, dans son droit interne, des garanties supplémentaires ont été apportées en termes de transparence et, à partir de 2009, Aruba a développé son réseau conventionnel. Pour avoir signé plus de douze accords d'échange de renseignements, l'île d'Aruba a été retirée de la « liste grise » de l'OCDE dès le 10 septembre 2009.
À la fin de 2010, le Forum mondial sur la transparence fiscale a jugé le système juridique d'Aruba globalement satisfaisant. Je vous rappelle que les trois critères retenus en la matière sont la disponibilité des informations, l'accès aux renseignements et l'effectivité des échanges. Dans les trois cas, le Forum mondial a certes identifié des faiblesses, mais pas de nature à remettre en cause la capacité normative d'Aruba.
La seconde phase d'évaluation par le Forum mondial, prévue au premier semestre de 2014, permettra d'apprécier concrètement l'état d'avancement de la coopération, sans se cantonner au cadre juridique en vigueur.
La rédaction de l'accord qui nous est soumis est donc adaptée à la capacité normative d'Aruba et conforme à l'accord-cadre de l'OCDE relatif à l'échange de renseignements en matière fiscal défini en 2002. En effet, l'accord reprend les dispositions du modèle de l'OCDE et y intègre même certains des commentaires qui y figurent. De plus, certaines dispositions de l'accord vont au-delà des dispositions du modèle. Ainsi, il est prévu que les deux pays peuvent échanger spontanément des renseignements. Bien que cette possibilité soit évoquée dans le commentaire du modèle, il s'agit là d'un élargissement important de la coopération par rapport au modèle de l'OCDE.
Concernant le Sultanat d'Oman, une convention fiscale visant à éviter les doubles impositions avait déjà été conclue en 1989. Le présent avenant a pour objet d'insérer une clause d'échange de renseignements en matière fiscale. Il modifie également les stipulations concernant le régime de taxation des redevances.
Le Sultanat d'Oman est situé au sud de la péninsule arabique, entre le Yémen, l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ; il compte près de 3 millions d'habitants. L'économie du pays repose principalement sur l'exploitation des hydrocarbures.
La présence française en Oman est modeste : environ quarante entreprises françaises y ont développé leurs activités et sept cent soixante-deux de nos compatriotes étaient officiellement inscrits sur les listes consulaires en 2012.
Il convient de préciser que, contrairement au Royaume des Pays-Bas et à l'île d'Aruba, le Sultanat d'Oman n'est pas membre du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales de l'OCDE. Cela signifie que son cadre normatif n'a pas fait l'objet d'un examen par les pairs au regard des critères d'effectivité de l'échange de renseignements développés par l'OCDE. Cette absence d'évaluation spécifique à l'aune de ces critères devra nous conduire, comme avec les autres conventions fiscales, à être particulièrement attentifs quant à sa mise en œuvre.
À ce titre, soulignons que, dans l’hypothèse où l'accord ne permettrait pas aux autorités françaises d'obtenir les informations demandées, l'article 238-0 A du code général des impôts prévoit la possibilité de réintégrer Oman sur la liste des États et territoires non coopératifs. La modification de la convention constitue néanmoins un préalable nécessaire pour renforcer la transparence fiscale entre nos deux pays.
Je tiens à mentionner deux arguments qui plaident tout particulièrement en faveur de la ratification de cet accord.
Tout d'abord, les stipulations relatives au mécanisme d'échange de renseignements sont, comme dans le cas d'Aruba, conformes à celles du dernier modèle de convention fiscale de l'OCDE. La rédaction de la clause d'échange de renseignements est même plus stricte que le modèle de l'OCDE, car elle précise explicitement que chaque État devra « prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ces renseignements et à les transmettre à son homologue ». L'ajout de ce paragraphe, à la demande de la France, doit garantir la mise en œuvre effective de la coopération fiscale.
Ensuite, la modification du régime de taxation des redevances introduite par l'avenant ne réduit en rien le degré de transparence fiscale entre les deux pays. L'instauration d'une retenue à la source de 7 % sur les redevances – c'est-à-dire des rémunérations payées pour l'usage ou la concession d'un droit d'auteur, d'un brevet, d'une marque ou d'un savoir-faire – correspond au souhait du gouvernement d'Oman de taxer les versements des entreprises omanaises à des entreprises étrangères. À défaut, ce type de flux échapperait largement aux autorités fiscales omanaises en raison du faible nombre d'entreprises étrangères sur place. Actuellement, cette possibilité de retenue à la source sur les redevances demeure fictive puisqu'aucun flux correspondant à la définition de redevances inscrites dans l'avenant n'a été recensé à ce jour.
Par ailleurs, Oman ne dispose pas d'un centre financier d'envergure. Le secteur bancaire, de dimension modeste, est soumis à une régulation continuellement renforcée par la Banque centrale depuis ces dix dernières années. Même si le pays dispose d'un système fiscal attractif avec la non-imposition des particuliers sur leur revenu et un taux d'imposition sur les sociétés fixé à 12 %, il n'a pas été identifié comme une juridiction à risque par le Forum mondial sur la transparence. De plus, le gouvernement d'Oman lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme au niveau international dans le cadre du groupe d'action financière.
Ces deux accords étant conformes aux standards internationaux en matière d'échange de renseignements, leur ratification apparaît nécessaire pour renforcer le réseau conventionnel français et garantir une plus grande transparence fiscale. Mais, naturellement, il faudra rester attentif à la mise en œuvre effective des mécanismes de coopération.
En conclusion, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter les deux projets de loi qui sont soumis à notre examen.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est évidemment pas la première fois que notre assemblée accorde quelque intérêt à la discussion de conventions fiscales internationales – qu'il s'agisse d'ailleurs de textes initiaux fixant les relations entre les administrations françaises et étrangères ou d'avenants apportés aux conventions existantes –, mais le débat d’aujourd’hui va nous permettre de procéder à des rappels utiles.
Le Sénat, depuis que notre groupe a été à l'initiative d'une commission d'enquête sur l'évasion et la fraude fiscales, se montre particulièrement attentif et vigilant pour tout ce qui concerne les relations internationales en matière de fiscalité, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Cela d'autant plus que, parmi les outils dont nous disposons pour réduire autant que possible les déficits publics, la lutte contre la fraude fiscale – source de difficultés financières majeures pour les États et de souffrances redoublées pour les populations – figure évidemment en bonne place.
Avant même d'évoquer le cas des deux entités concernées par les conventions bilatérales, le fait est que, selon des sources et des documents concordants, la fraude fiscale et sociale priverait la France de ressources importantes : plus de 40 milliards d'euros d’après le Conseil des prélèvements obligatoires, voire plus de 50 milliards d'euros selon les organisations syndicales du ministère des finances.
On notera que les évaluations de la fraude fiscale, qu'il s'agisse de celle du Conseil des prélèvements obligatoire ou de celle des syndicalistes de la direction générale des finances publiques, sont telles que le manque à gagner suffit à empêcher la France de se retrouver, pour son déficit budgétaire, sous la fameuse limite des 3 % du PIB. Pour sa part, la fraude aux cotisations sociales constitue l'équivalent du déficit prévisionnel de la sécurité sociale en 2013.
Après ce rappel destiné à garder en « toile de fond » de notre débat les objectifs que la France peut décemment poursuivre dans ses relations fiscales internationales, je vous livre quelques éléments sur les deux entités territoriales que sont l'île d'Aruba et le Sultanat d'Oman, avec lesquelles sont passées les conventions fiscales conformes au modèle de l’OCDE.
Observons tout d’abord les différences qui existent entre ces deux entités.
Peuplée, comme le rappelait Mme la rapporteur, d'un peu plus de 100 000 habitants, l’île d’Aruba est une possession de la couronne des Pays-Bas et fait partie intégrante des Antilles néerlandaises, qui regroupent également les îles de Curaçao, Bonaire et la partie néerlandaise de Saint-Martin, un bel endroit. (Sourires.)
Nos relations commerciales – du moins pour ce qui en est déclaré – avec les Antilles néerlandaises sont limitées ; elles portent notamment sur la fourniture de produits alimentaires et de quelques produits finis et, en sens inverse, parmi d’autres importations, sur le pétrole que Shell raffine dans ces terres éloignées de la métropole.
Aruba est une entité démocratique, avec des partis politiques constitués, une législation civile plutôt évoluée et largement inspirée, bien entendu, du modèle hollandais. Cependant, sur le plan fiscal, comme nul ne l'ignore, l'île voit s'appliquer le droit néerlandais dont on sait qu'il est plutôt allégé pour les entreprises, singulièrement pour les cessions de titres et les plus-values, dès lors que l'on a pris soin de structurer une entreprise ou un groupe avec une holding de tête et des filiales...
Dans le cas du Sultanat d'Oman, nous sommes en présence d'une monarchie absolue – comme dans beaucoup d'États de la région du golfe Persique. Peuplé d'environ 3 millions d'habitants, Oman vit depuis une cinquantaine d'années de l'exploitation des gisements de gaz et de pétrole présents dans le sous-sol, qui alimente 80 % de ses ressources budgétaires.
Situé dans une région stratégiquement importante – il donne sur le détroit d'Ormuz et se trouve sur la côte sud de la péninsule Arabique –, le Sultanat est dirigé depuis plus de quarante ans par le sultan Qabous, héritier d'une lignée fondée sous le règne de Louis XV, qui, comme nombre de ses voisins, confond volontiers les affaires de l'État avec celles de sa famille. C'est ainsi que la famille régnante dispose de la majorité des parts de Petroleum development Oman, société qui exploite les gisements de pétrole et de gaz du pays et en tire une part importante de ses revenus.
Quant à l’État omanais, il dispose de deux assemblées dont les membres sont, pour la première, désignés par le sultan et, pour la seconde, élus sans l’intermédiaire de partis politiques et après accord du sultan. Même si les formes d’exercice du pouvoir politique dans le Sultanat sont moins rigoristes qu'elles peuvent l'être dans le Royaume d'Arabie Saoudite, Oman n'est pas un État démocratique au sens où nous pourrions l'entendre.
Dans ce débat, un point nous intéresse particulièrement : Oman a été retiré de la liste des États dits non coopératifs en 2012 par l'OCDE et, en conséquence, par la France.
On supposera donc que la présente convention fiscale pourra trouver sa pleine application même si l’on rappelle que le Sultanat ignore l'impôt sur le revenu et ne taxe pas les mutations de propriété, que le taux de l'impôt sur les sociétés comme sur les résultats d'une entreprise individuelle y est faible – 12 % – et que le taux frappant les résultats localisés des entreprises non résidentes y est plus faible encore : 10 %.
Les échanges extérieurs entre la France et Oman sont encore limités, une bonne part du commerce du Sultanat s'effectuant sur place ou avec le Royaume-Uni. Pour ce qui concerne les exportations françaises – qui comprennent tout particulièrement des avions, notamment des Airbus, ainsi que des produits pétroliers raffinés –, elles se limitent à environ 400 millions d'euros, tandis que nos importations représentent un peu plus de 70 millions d'euros et concernent notamment des hydrocarbures sous forme de pétrole brut.
La convention fiscale peut conduire, sous certains auspices, au développement des relations commerciales entre les deux pays, mais elle permettra plus sûrement – c'est en tout cas notre point de vue – de faciliter la présence de nos entreprises dans la région.
Cependant, Oman prépare l’« après-pétrole », notamment au travers de ses fonds souverains, dont le principal dispose de 24 milliards d'euros d'actifs, ce qui représente une force de frappe proche de celle de notre Fonds stratégique d'investissement. Est-ce à dire que les années à venir seront marquées par des investissements omanais en France ? C’est l’exécution de cette convention qui nous le dira.
Pour en revenir au fond du débat, ces deux exemples montrent assez nettement, au-delà des paramètres de chaque situation et de l’exotisme apparent des deux entités concernées, que notre politique de coopération fiscale doit faire l’objet d’une évaluation.
Comme nul ne l’ignore, la crise financière de 2008 a provoqué une vague de conventions fiscales sans précédent dans le monde entier. Si l’OCDE, à l’origine d’un modèle de convention, a favorablement accueilli ce mouvement de coopération fiscale en procédant à la réduction progressive de sa liste de « paradis fiscaux », nombre d’observateurs et d’organisations non gouvernementales discutent de la réalité des efforts accomplis et de la soudaine qualité des conventions fiscales passées.
C’est pourquoi, sans nous opposer formellement à l’adoption des deux conventions examinées ce jour, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite que soit prochainement inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée, dans le cadre de nos activités de contrôle, un débat sur le bilan des conventions fiscales passées ces dernières années et sur les résultats qu’elles ont permis de dégager, singulièrement du point de vue de la transparence économique et fiscale des opérations visées. Il nous semble d’ailleurs qu’il serait intéressant que ce débat soit préparé avec quelques documents et éléments transmis par l’administration de Bercy en la matière.
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, chère Michèle André, mes chers collègues, depuis le G20 de Londres de 2009, qui a fait de la lutte contre les paradis fiscaux une priorité mondiale, les conclusions de conventions fiscales suivant le modèle établi par l’OCDE se sont multipliées de façon exponentielle. Pourtant, il est très difficile d’affirmer que la transparence fiscale a été significativement renforcée ces dernières années. Les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales ont bien montré que beaucoup reste à faire en la matière.
Il y a quelques semaines, le syndicat Solidaires Finances publiques a publié un rapport chiffrant entre 60 milliards et 80 milliards d’euros les pertes pour l’État français pouvant être associées à la seule fraude fiscale. La Commission européenne avait quant à elle évalué ce montant entre 30 milliards et 40 milliards d’euros, et ce voilà quelques années déjà. Établir ce chiffre avec certitude est bien évidemment impossible, mais il n’en reste pas moins que cela représente de toute évidence des sommes non négligeables, vous en conviendrez, monsieur le ministre, pour le budget de l’État.
Les travaux récemment conduits par la Haute Assemblée dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini pour une fiscalité numérique neutre et équitable ont également remis ces questions sur le devant de la scène, avec le rappel des montages utilisés par certaines sociétés pour réduire le montant de leur impôt.
Lorsque j’ai auditionné, au nom de la commission des finances, les deux rapporteurs de la mission d’expertise sur la fiscalité du numérique, demandée par le Gouvernement, ces derniers ont souligné l’impérieuse nécessité de faire évoluer la notion d’« établissement stable » au niveau international, compte tenu de l’inadaptation flagrante de celle-ci à l’économie numérique. Le numérique sera pourtant au centre de la création de richesses pour les prochaines décennies, nous en sommes tous d’accord. Or si nous nous montrons incapables d’adapter notre système fiscal, cela reviendra non seulement à vider les caisses de l’État, mais aussi à créer une forte iniquité entre les contribuables.
Preuve que beaucoup reste à faire pour renforcer la transparence et la justice fiscales, ainsi que pour lutter contre des pratiques dites gentiment d’« optimisation fiscale », certes légales, mais qui n’en sont pas moins inacceptables. L’OCDE a lancé le projet BEPS – en français : « érosion des bases d’imposition et transfert des bénéfices » –, qui, espérons-le, aboutira à des propositions ambitieuses permettant des avancées rapides au niveau international.
J’en viens maintenant plus directement aux deux textes que l’on nous demande d’approuver aujourd’hui.
Je me réjouis tout d'abord, madame la rapporteur, que l’avenant à la convention avec le Sultanat d’Oman tout comme l’accord fiscal concernant Aruba aillent plus loin que le modèle de l’OCDE, en renforçant notamment les exigences relatives à l’effectivité de l’échange de renseignements ; c’est important.
Aruba disposait d’un réseau conventionnel en matière d’échange de renseignements à peu près inexistant en 2009 lorsqu’il a été placé sur la « liste grise » de l’OCDE. Depuis lors, nous en convenons, il a rattrapé son retard à vitesse grand V, en concluant des accords avec de nombreux pays, dont le nôtre, bien qu’aucune entreprise française ne soit implantée et que seule une poignée de ressortissants français se soit installée sur ce territoire, qui compte au total quelque 100 000 habitants.
L’article 2 de l’accord précise que les renseignements peuvent être échangés, qu’ils « portent ou non sur un résident, un ressortissant ou un citoyen d’une partie contractante, ou soient détenus ou non par ce résident, ce ressortissant ou ce citoyen » ; l’article 6 prévoit la possibilité d’échanger des renseignements de façon spontanée.
Bien sûr, je me réjouis que notre pays prenne très au sérieux son rôle dans la dynamique globale de renforcement de la transparence fiscale, mais en avons-nous véritablement les moyens ? Il me semble difficile d’évaluer l’importance et la pertinence des renseignements qui pourront être échangés entre les administrations fiscales française et arubéenne. D’ailleurs, notre collègue Michèle André nous précise dans les conclusions de son excellent rapport que « l’approbation du présent accord a une portée symbolique ». Cela ne pose donc pas de problème majeur d’approuver cet accord « symbolique », mais on peut tout de même s’interroger sur son utilité.
Enfin, je tiens à rappeler que la véritable limite de la transparence fiscale aujourd’hui réside dans l’effectivité de l’échange de renseignements. Aruba a passé avec succès la première phase de l’examen par les pairs du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, mais seul le rapport émis à l’issue de la seconde phase permettra d’évaluer la mise en application concrète des normes relatives à la transparence fiscale.
A contrario, le Sultanat d’Oman n’étant pas membre du Forum mondial, son cadre normatif n’a pas été évalué par les pairs. Il faudra donc, comme l’a souligné Mme la rapporteur, être très vigilant quant à sa mise en œuvre effective, notamment sur l’échange d’informations. Bien sûr, en l’absence d’échange effectif, le Sultanat d’Oman pourra être rétabli sur la liste française des États et territoires non coopératifs. Je me demande cependant, monsieur le ministre, au bout de combien de temps et selon quels critères précis on évalue l’effectivité de l’échange de renseignements. Combien d’États ont déjà été réintégrés à cette liste ou pourraient l’être, et est-ce vraiment envisageable ?
En attendant de pouvoir juger de leur effectivité, vous l’aurez compris, les membres du groupe du RDSE approuveront ces deux conventions fiscales, qui, comme l’a souligné Mme la rapporteur, vont tout de même dans le sens d’un renforcement de la transparence, que nous appelons de nos vœux.
Mme Michèle André, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas anodin que la lutte contre les paradis fiscaux ne soit véritablement devenue un sujet de préoccupation pour les dirigeants et les instances internationales qu’en 2009, au cœur de la tourmente financière.
La virtualité de l’économie abritée par les paradis fiscaux, qui fait, par exemple, des îles Anglo-Normandes le premier importateur de bananes en Europe, incarne en effet à merveille la déraison d’un système que tout le monde s’accorde désormais à dénoncer. Toutefois, à se focaliser sur la lutte contre les paradis fiscaux, il ne faudrait pas oublier que si ces petits États nous posent un problème, c’est uniquement parce qu’il se trouve, parmi nos multinationales les plus florissantes et nos ressortissants les plus fortunés, certaines personnes – physiques ou morales – désireuses de s’affranchir des règles collectives qui fondent notre société en ne payant pas leurs impôts.
En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, permettez-moi d’ailleurs de déplorer que les quelques personnalités dont l’inconduite est aujourd’hui médiatisée puissent causer autant de tort aux Français de l’étranger, dont les choix de vie n’altèrent en rien le sens civique pour l’immense majorité d’entre eux, bien au contraire.
En ce qui concerne les sociétés, parmi toutes les multinationales, les banques endossent une responsabilité particulière : en tant qu’intermédiaires financiers, elles sont un vecteur privilégié de l’évasion fiscale de nombreux autres acteurs économiques. À cet égard, nous pouvons tous nous féliciter, me semble-t-il, qu’hier soir en commission des finances à l’Assemblée nationale, le ministre le rappelait, les députés écologistes Éric Alauzet et Éva Sas soient parvenus à faire adopter un amendement à la réforme bancaire imposant aux établissements financiers de décrire dans leur rapport annuel, pays par pays, la nature de leurs activités, le nombre de leurs salariés et leur chiffre d’affaires.
La pression du lobby bancaire n’a pas encore permis d’obtenir que soient également mentionnés le bénéfice net et le montant de l’impôt, mais je ne doute pas que les députés en séance, puis nous-mêmes, mes chers collègues, saurons prendre à cet égard toutes nos responsabilités. Les Français ne comprendraient effectivement pas pourquoi nos banques, qui se prétendent si vertueuses, redouteraient d’indiquer le montant des bénéfices qu’elles réalisent et celui des impôts qu’elles acquittent aux Bermudes ou aux îles Caïmans.
S’il ne faut pas oublier que les paradis fiscaux ne pourraient prospérer sans nos propres turpitudes, il n’est pour autant pas illégitime de chercher à encadrer leurs pratiques. De ce point de vue, la ratification de conventions bilatérales d’échange de renseignements fiscaux peut constituer un outil utile, dès lors que l’on peut s’assurer que l’accord sera réellement appliqué et qu’il n’aura pas pour seule conséquence d’offrir un blanc-seing à l’État cocontractant, en lui permettant de disparaître des listes stigmatisant les pays considérés comme non coopératifs.
En ce qui concerne Aruba, petite île de souveraineté néerlandaise située au large du Venezuela, nous disposons d’un certain nombre de garanties. Membre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, institution placée sous l’égide de l’OCDE, Aruba a été récemment évalué sur son cadre normatif, c’est-à-dire sa capacité administrative et juridique à répondre aux requêtes qui pourraient lui être adressées dans le cadre des accords d’échange d’informations.
Sur neuf critères évalués, chacun par une note à trois niveaux, elle a obtenu quatre fois la meilleure note et cinq fois la note intermédiaire. Des progrès restent possibles, mais tout cela semble témoigner d’une certaine bonne volonté de la part des autorités d’Aruba. En outre, l’île ne figure plus aujourd’hui sur aucune liste de paradis fiscaux. Il semble donc aux sénatrices et sénateurs écologistes que rien ne s’oppose à la ratification de cette convention avec la France, qui devrait permettre d’entamer avec Aruba une réelle forme de coopération.
En ce qui concerne le Sultanat d’Oman, la situation nous paraît beaucoup moins évidente. Comme souvent dans les pétromonarchies, la fiscalité des sociétés comme des particuliers y est assez légère. Dans un contexte de revendications politiques et sociales naissantes, il ne faudrait pas que ce pays soit tenté de trouver dans le jeu de la concurrence fiscale une solution de facilité pour suppléer une économie pétrolière dont les réserves d’hydrocarbures sont prévues pour s’épuiser d’ici à quinze ans.
La convention fiscale qui lie la France et Oman depuis 1989 ne comprend aucune clause d’échange d’informations. L’introduction d’une telle clause, qui nous est proposée aujourd’hui, pourrait donc aller dans le sens de davantage de transparence. Toutefois, très peu d’éléments nous permettent de nous assurer que le cadre normatif du Sultanat est suffisamment adapté. Si le droit omanais semble protéger assez peu les personnes morales et ne serait donc a priori pas excessivement propice à la dissimulation d’activités coupables, il est pour le moins intrigant de voir qu’Oman n’a pas encore adhéré au Forum mondial de l’OCDE, ce qui le dispense des évaluations, fussent-elles mauvaises, auxquelles se soumettent aujourd’hui la plupart des pays.
Les écologistes sont donc particulièrement sceptiques quant à l’engagement vertueux du Sultanat d’Oman. Pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, si l’adhésion d’Oman au Forum mondial a fait l’objet de sollicitations expresses de la part de la France dans le cadre de la négociation qu’elle a menée et si le Gouvernement compte à l’avenir agir en ce sens ? Le fait que la ratification de cette convention ait pour conséquence de sortir Oman de la liste des paradis fiscaux nous confère en effet une responsabilité particulière quant à l’évaluation de la réalité de cet accord.
Sous toutes ces réserves, les sénatrices et sénateurs écologistes ont choisi de faire confiance au Gouvernement en approuvant également cette convention. Le fait que la France n’ait pas hésité à inscrire temporairement Oman sur sa liste des paradis fiscaux nous a semblé écarter la crainte que ne prévale une trop grande mansuétude liée aux enjeux économiques et géopolitiques. Néanmoins, la plus grande vigilance s’imposera dans le suivi de cet accord, et il conviendra évidemment de procéder à la réintégration d’Oman à la liste des paradis fiscaux s’il s’avérait qu’il ne respecte pas ses obligations. Son adhésion au Forum mondial pourrait également permettre d’atténuer les suspicions.
Pour ce suivi, les parlementaires pourront désormais s’appuyer sur le rapport annuel, annexé depuis peu au projet de loi de finances initiale, portant sur le réseau conventionnel français en matière d’échange de renseignements. Il découle de cette lecture, instructive, que le Luxembourg et la Suisse ne répondent qu’à la moitié des requêtes adressées par l’administration fiscale française, et la Belgique à aucune, alors que les Bermudes ou les îles Anglo-Normandes ont toujours répondu !
Pour les écologistes, c’est bien d’abord chez nos voisins, plutôt que dans des juridictions lointaines, que devrait se concentrer la lutte contre les paradis fiscaux. Il est véritablement intolérable qu’une part importante de l’évasion fiscale que nous subissons trouve aujourd’hui refuge dans des pays frontaliers, au cœur même de l’Europe politique. Là encore, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles voies politiques compte emprunter la France pour s’attaquer au scandale de cette délinquance fiscale intra-européenne et au non-respect des clauses de certaines conventions bilatérales ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Pascal Canfin, ministre délégué. Je vous remercie de vos remarques, mesdames, messieurs les sénateurs. Même si la lutte contre les paradis fiscaux se poursuit, beaucoup reste à faire, et le Gouvernement en a parfaitement conscience. Les exemples que vous avez relevés montrent l’étendue du chemin qu’il reste encore à parcourir.
Vous avez posé des questions précises, madame Ango Ela, sur les négociations avec Oman et les conséquences du retrait de ce pays de la liste des paradis fiscaux. Sachez que les négociations ont eu lieu avec le Sultanat entre 2008 et 2012 et que la France n’a pas demandé son inscription au Forum mondial. Reste que si des pratiques à risques avaient eu cours, elles auraient pu être relevées par ledit Forum, même si ce pays n’en est pas membre. Cela s’est produit pour la Macédoine en 2010.
Le gouvernement de l’époque a considéré que s’il n’y avait pas eu de demande particulière faite à l’échelon international et que si aucun risque particulier n’avait été relevé, la France pouvait se contenter de l’état existant.
Cela étant, il va de soi, comme l’ont souligné l’ensemble des intervenants, que, ce qui compte, au-delà de la signature de la convention, c’est l’effectivité des échanges d’informations. Cela signifie que la France pourra à tout moment inscrire ou réinscrire les pays concernés sur sa liste si les engagements qui ont été pris dans le cadre de ces conventions n’étaient pas respectés. Je le répète, nous accorderons une grande importance à la mise en œuvre effective des échanges d’informations.
Pour conclure, je dirais que du travail reste encore à faire dans le cadre de l’OCDE pour améliorer les conventions-cadres et tirer les bénéfices de l’expérience entamée depuis quelques années. Depuis 2008-2009, le nombre de conventions fiscales explose. Un bilan est donc nécessaire, vous avez tout à fait raison. Il faut sans doute améliorer les cadres généraux des relations bilatérales.
Comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice, les juridictions non coopératives ne sont pas forcément des endroits exotiques. Certaines ne sont pas très éloignées de notre propre territoire. Cette situation suppose d’autres règles européennes. À cet égard, la France est en pointe en ce qui concerne la directive Épargne et sa renégociation. Toutefois, vous savez aussi bien que moi que plusieurs pays n’ont pour l’instant pas encore renoncé à certains comportements. Nous continuons donc à travailler sur ce sujet.
Le combat contre l’évasion fiscale est extrêmement important et nous savons que nous pouvons compter sur le soutien de l’ensemble des groupes politiques pour le mener.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
convention fiscale avec les pays-bas pour ce qui est d’aruba
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d'Aruba relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale, signé à La Haye, le 14 novembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. René Beaumont, pour explication de vote.
M. René Beaumont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon explication de vote vaudra pour les deux projets de loi.
Le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions s’inscrit dans la longue lignée des textes visant à approuver les avenants à des conventions fiscales entre notre gouvernement et ceux d’autres pays. Ces dispositions sont indispensables non seulement pour éviter les doubles impositions, mais surtout pour lutter contre l’évasion fiscale.
La plupart des conventions précédentes ont été signées durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui s’était fait fort de lutter contre l’évasion fiscale. Le Sénat connaît d’ailleurs bien ce sujet. Je rappelle en effet qu’une commission d’enquête sénatoriale, présidée par notre collègue Philippe Dominati, et dont le rapporteur était Éric Bocquet, a effectué un travail remarquable sur cette question.
Cet avenant à la convention fiscale va permettre de débloquer la coopération fiscale entre la France et Oman, dont les règles datent de presque quinze ans.
Comme l’a précisé Mme la rapporteur de la commission des finances, Michèle André, que je tiens à féliciter de son travail, l’échange de renseignements fiscaux va s’inscrire dans un cadre encore plus strict que celui du dernier modèle de convention fiscale de l’OCDE. En outre, le Forum mondial sur la transparence fiscale et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE ne considère pas Oman, qui s’est investi dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’échelon international, comme un pays à risque.
Le groupe UMP ne peut donc qu’approuver ce renforcement de la transparence et de la coopération fiscales entre nos deux pays.
Quant au projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Royaume des Pays-Bas pour ce qui est d’Aruba relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale, il va lui aussi indéniablement dans le sens d’une plus grande transparence et d’une coopération utile.
Aruba ne figure plus sur la liste grise des paradis fiscaux, et s’il faut attendre une nouvelle évaluation en 2014 par le Forum mondial sur la transparence fiscale, lequel a décerné un premier satisfecit, les progrès de cette île néerlandaise sont incontestables en matière de transparence et de contrôle des flux financiers. Je rappelle d’ailleurs, comme l’a déjà fait notre collègue Joël Bourdin en commission des finances, que la France a une frontière commune bien connue avec les Pays-Bas, à savoir Saint-Martin, dont le représentant est notre distingué collègue Louis-Constant Fleming.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe UMP votera ces deux projets de loi.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
convention fiscale avec le sultanat d’oman
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le gouvernement du Sultanat d’Oman en vue d’éviter les doubles impositions.
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Sultanat d'Oman en vue d'éviter les doubles impositions, signé à Mascate, le 8 avril 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
Je rappelle que ce vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.
Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 11 février 2013, à seize heures et le soir :
- Projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports (Procédure accélérée) (n° 260, 2012-2013) ;
Rapport de M. Roland Ries, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique (n° 338, 2012 2013) ;
Résultats des travaux de la commission (no 339, 2012-2013) ;
Avis de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, fait au nom de la commission des finances (n° 334, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART