M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Claude Carle. Si des réussites incontestables ont pu être réalisées – je pense notamment à l’aéronautique –force est de constater que la technocratie bruxelloise a largement étouffé l’Europe entreprenante et industrielle des débuts.
Il est donc urgent que l’Europe de la contrainte, de la concurrence intérieure, cède la place à celle des projets communs, de la croissance, donc de la confiance, et qu’elle acquière enfin toute sa dimension politique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les filières industrielles, celle de l’automobile est stratégique pour la France. L’économie française dans son ensemble est aujourd’hui affectée par les menaces qui pèsent sur cette industrie.
Même si elle est surtout présente dans certaines régions, l’industrie automobile représente un poids considérable dans notre pays, occupant 10 % des actifs et réalisant près de 20 % de la valeur ajoutée industrielle. En tout cas, elle joue un rôle essentiel dans la région Nord-Pas-de-Calais, deuxième région de France dans ce domaine. Sur le plan industriel, la filière automobile, moteur de l’économie régionale, est le premier employeur et le premier investisseur local. C’est dire si le Nord est durement frappé par la crise qui secoue aujourd’hui cette filière.
Depuis quelque temps, les difficultés du secteur automobile en France sont au cœur de l’actualité, avec le plan de suppression de 8 000 postes et la fermeture du site d’Aulnay chez PSA, les accords de compétitivité en cours de négociation chez Renault ou encore la fermeture annoncée du site Goodyear à Amiens.
Comme pour l’ensemble de l’industrie, l’année 2012 a en effet été particulièrement cruelle pour l’automobile. Toutefois, la situation de la filière n’est pas nouvelle et concerne tout le continent européen.
Depuis plusieurs années, la tendance est à un effondrement du marché européen de l’automobile, qui a subi une baisse de 21 % depuis cinq ans. Les immatriculations de voitures neuves en Europe affichent, en ce début d’année 2013, un nouveau recul de 8,6 % sur un an. Il s’agit, selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles, du « plus bas historique » depuis le début de cette série statistique, en 1990. La situation reste toutefois contrastée selon les pays et les groupes automobiles.
Aujourd’hui, l’industrie automobile européenne doit affronter de nouveaux concurrents à l’échelle internationale. Le marché européen est devenu un marché de remplacement et la demande a globalement basculé vers les pays émergents.
Nos deux constructeurs nationaux ont du mal à faire face aux nouveaux défis. Il s’agit avant tout d’une crise structurelle, amplifiée par une conjoncture particulièrement difficile.
Si la France conserve, en Europe, le deuxième rang en matière de construction automobile et si elle représente toujours 12,5 % des emplois du secteur au sein de l’Union, elle est passée en dix ans du quatrième au huitième rang mondial.
Sur 2,2 millions de voitures particulières vendues sur le marché français en 2011, la part des constructeurs français s’élevait à 56 %. Dans la période récente, leurs ventes baissent plus brutalement que le marché lui-même. Nos constructeurs subissent de plein fouet la crise économique et, par voie de conséquence, déstabilisent l’ensemble de la filière.
Parmi les facteurs de crise, relevons le fait que Renault et PSA se positionnent principalement sur le segment du milieu de gamme, qui continue à dominer le marché européen, mais au sein duquel la demande s’effondre, alors que, dans le même temps, ces deux entreprises couvrent insuffisamment d’autres marchés internationaux. Nos constructeurs demeurent donc, en ce sens, des généralistes dépendant de la demande des classes moyennes. Ils se trouveraient ainsi pris en tenaille entre les constructeurs des véhicules d’entrée de gamme fabriqués dans des pays à faible coût du travail et la domination de marques positionnées dans le haut de gamme.
Par ailleurs, ils souffriraient tous deux de gammes courtes et vieillissantes, ayant préféré préserver leurs marges, au détriment de certaines parts de marché et au prix de l’affaiblissement de leurs fournisseurs équipementiers. Pourtant, la filière automobile doit relever de lourds défis, en particulier en matière d’emploi et de formation, de maintien de la compétitivité et d’amélioration des réponses environnementales et techniques.
Un dialogue social renforcé permettrait une vraie gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Delphine Bataille. La formation reste essentielle. L’apprentissage et les formations en alternance doivent bénéficier chez nous du même intérêt que celui que leur accordent nos voisins d’outre-Rhin.
L’Union européenne doit aussi se doter d’une stratégie de soutien à sa production industrielle, revoir son cadre réglementaire et rétablir l’équilibre en matière de commerce international, face aux obstacles tarifaires élevés par certains pays.
En même temps, la France doit se préoccuper de ses propres facteurs de compétitivité. Les stratégies choisies par les constructeurs français et les impulsions données par l’État seront décisives. Bien entendu, les facteurs hors coûts, la qualité des produits, leur image et les services demeurent déterminants.
Par ailleurs, la refondation de la filière implique la réalisation de progrès dans la qualité des relations internes entre clients et fournisseurs. La sous-traitance actuelle doit faire l’objet d’un partenariat étroit et où chaque partenaire peut équitablement faire valoir ses exigences et ses contraintes.
Enfin, l’émergence d’un marché du véhicule décarboné et les progrès technologiques dans le domaine des véhicules électriques et des véhicules propres doivent être encouragés, ce qui contribuera à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des particules polluantes. (M. Roland Courteau approuve.)
Le rôle d’un État stratège est essentiel pour soutenir l’automobile et préparer l’avenir de la filière. C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous avez, avec le Gouvernement, lancé en juillet dernier un plan de soutien à la filière automobile, une plateforme permettant désormais aux constructeurs et aux équipementiers de travailler en synergie. D’ailleurs, quelques mois plus tard, la Commission européenne a adopté le plan d’action CARS 2020 pour une industrie automobile européenne forte, compétitive et durable.
Malgré une situation préoccupante, ces avancées contribueront, parmi d’autres à venir, à restaurer la compétitivité d’une filière qui possède encore de nombreux atouts en France et en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite évoquer l’avenir de l’industrie de la porcelaine et de la céramique en France, qui regroupe 7 000 emplois, dont 2 000 pour la porcelaine, sans compter les emplois indirects. Elle est implantée dans le Limousin, le Loiret, la Vienne, et d’autres départements français.
Depuis un certain temps, cette industrie est fortement fragilisée. Parce qu’elle possède un savoir-faire exceptionnel, elle est l’un des fleurons de notre culture industrielle.
Comme de nombreux secteurs industriels de notre pays, la porcelaine et la céramique connaissent une baisse d’activité due notamment à la concurrence internationale, et plus particulièrement asiatique, les pays en question pratiquant une politique de dumping commercial liée aux bas salaires ou à l’exploitation des travailleurs. Il s’est d’ailleurs produit la même chose voilà quelques années avec les pays de l’Est. Si une telle situation perdurait, c’est la filière elle-même qui disparaîtrait.
À la suite d’une plainte de la Fédération européenne des industries de porcelaine et de faïence de table et d’ornementation, relative à ces politiques commerciales contraires à l’esprit de concurrence, telles que la vente à perte, pratiquée par exemple par la République populaire de Chine et d’autres pays d’Asie, nombreux sont les parlementaires à avoir réclamé des mesures.
En accord avec vous, monsieur le ministre, la Commission européenne a donc mis en place en novembre dernier une réglementation instituant un droit anti-dumping provisoire sur les importations d’articles en porcelaine pour la table et la cuisine en provenance de Chine.
En effet, les parts de marché des produits chinois n’ont cessé de progresser en Europe, au détriment des entreprises de l’Union européenne : en quelques années, la vente de vaisselle chinoise en France est passée de 20 % à 67 %, ce qui a eu pour conséquence immédiate la chute de la production et du niveau d’emploi en France. Ces entreprises ont alors rencontré des difficultés financières.
La mesure européenne que je viens d’évoquer est prévue pour s’appliquer pendant seulement six mois. Or les importations massives de produits à des prix sous-évalués ont fait perdre au groupe Deshoulières-Apilco, leader français de la porcelaine implanté dans mon département, 300 emplois en cinq ans, soit la moitié de ses effectifs. Le groupe possède trois structures dans trois départements, la Vienne, le Loiret et le Cher. À Chauvigny, dans la Vienne, il emploie près de 100 personnes.
Il y a maintenant quelques années, les collectivités ont accompagné, la société dans son développement. Elle est aujourd’hui soutenue en partie par des capitaux étrangers, ce qui freine son refinancement par des institutions françaises, et notamment par OSEO. Il faut comprendre que, pour cette entreprise qui est à l’origine du label « origine France garantie » et est en mesure de développer l’emploi sur notre territoire, une telle situation est ubuesque. J’estime que les partenariats avec les pays étrangers hors Union européenne devront être revus.
Monsieur le ministre, une mesure provisoire ne permettra pas de résoudre en profondeur les difficultés de l’industrie porcelainière française, qui, chaque jour, fait référence par son savoir-faire. Accompagner financièrement toute la filière est une nécessité. Je sais que vous êtes attentif à cette question.
Je souhaite donc que des mesures directes et concrètes soient prises pour soutenir les entreprises du secteur de la porcelaine, fleuron de notre culture industrielle, dont dépendent des milliers d’emplois dans notre pays.
Pouvez-vous me dire, monsieur le ministre, ce qui peut être fait dans ce domaine ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2013, le groupe Renault a cédé les actions – actions avec droit de vote – qu’il détenait encore dans le capital de Volvo AB, constructeur de poids lourds, et annoncé que le produit de cette cession, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, serait affecté à des investissements dans les usines françaises du groupe, mais aussi en Chine et en Russie.
Cette décision stratégique apparaît favorable à l’industrie française dans la mesure où elle devrait permettre de renforcer la base industrielle des sites français de construction de voitures individuelles. Cependant, il ne faut pas oublier que Volvo AB contrôle à 100 % Renault Trucks, fabricant français de poids lourds.
Ce dernier emploie 14 000 salariés dans le monde, dont plus de 10 000 en France, répartis sur les sites de Bourg-en-Bresse, de Blainville-sur-Orne, de Limoges, de Saint-Priest et de Vénissieux, et fait travailler un nombre très important de sous-traitants français.
La première conséquence de cette cession est que Volvo AB aura les mains totalement libres pour décider de l’avenir de Renault Trucks. Quant au groupe Renault, il n’aura plus son mot à dire sur son ancienne activité poids lourds.
Or le secteur des poids lourds connaît une profonde crise, probablement plus importante encore que celle que traverse le secteur automobile.
Face à la crise, Volvo AB s’est restructuré non plus par marques, comme il l’a déjà fait précédemment avec Mack, Volvo, Renault Trucks ou UD Trucks, mais par aires géographiques – Europe, Asie, Moyen-Orient, Amérique, etc. –, ce qui laisse la porte ouverte à d’éventuels transferts d’activités en Europe.
En outre, depuis novembre dernier, plus de 4 000 salariés de Renault Trucks sont touchés par des mesures de chômage partiel en raison de l’effondrement du marché en Europe. Il est prévu 21 jours de chômage partiel au cours du premier trimestre 2013.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, ma première question est la suivante : Volvo AB a-t-il donné des garanties sur le maintien des sites de Renault Trucks en France et sur la place de cette marque dans la stratégie mondiale du groupe ?
Par ailleurs, deux autres industriels sont présents en France dans le secteur des poids lourds : Iveco, qui fabrique à Bourbon-Lancy tous ses moteurs diesels de forte puissance vendus à travers le monde pour les autobus, autocars, camions et machines agricoles ; Scania, qui assemble à Angers, depuis 1992, des camions et tracteurs gros porteurs de plus de 16 tonnes destinés au marché du sud de l’Europe, notamment la France.
Monsieur le ministre, cela m’amène à ma deuxième question : en plus du pôle de compétitivité Lyon Urban Truck & Bus, envisagez-vous d’autres mesures pour soutenir la filière française du poids lourd dans cette période de crise ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aborder les enjeux de l’industrie au cœur d’une crise d’une rare violence et d’une telle amplitude incite à se concentrer sur un sujet particulier. J’évoquerai celui de l’énergie, sujet que le rapport Gallois a d’ailleurs mis au cœur de sa problématique et qui devrait trouver toute sa place dans le débat sur la transition énergétique.
Vous me permettrez d’évoquer préalablement un sujet d’actualité pour le grand Sud-Est, à savoir les récentes décisions de la CRE – Commission de régulation de l’énergie – d’autoriser des centrales biomasse, dont celle d’E.ON, pour une capacité comprise entre 800 000 et 1 million de tonnes, et une autre à Brignoles, pour une capacité comprise entre 200 000 et 250 000 tonnes. Ces deux projets, autorisés dans une région qui dispose d’un gisement insuffisant en bois-énergie, se sont vu de surcroît accorder une dérogation de production de chaleur au moment même où un rapport, publié en décembre 2012, disqualifiait la politique énergétique misant sur la biomasse forestière pour produire de l’électricité, estimant que les grandes centrales à biomasse, incapables de mobiliser de nouvelles ressources en bois énergie, fragilisaient les filières existantes.
Or c’est tout le grand Sud-Est, avec les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes, qui se trouvera déstabilisé (Mme Christiane Demontès approuve.), les industries fortement consommatrices de déchets bois dans leur processus de fabrication représentant plusieurs centaines d’emplois, à commencer par la papeterie de Tarascon et par la papeterie Cascades, en Savoie, qui ont de surcroît la particularité, en matière de développement durable, de pouvoir retraiter sept fois leur ressource bois.
Ce sont, monsieur le ministre, des centaines d’emplois qui seront fragilisés, voire, pour un certain nombre d’entre eux, détruits, si ces deux projets de centrale devaient être menés à terme.
Je vous interpelle parce que cette situation, parfaitement connue, semble être vécue par les autorités comme une fatalité, alors qu’elle n’a encore rien d’irréversible.
Mais ce sujet, pour important qu’il soit, ne saurait m’écarter du thème central que je souhaite aborder, à savoir la filière industrielle, plus particulièrement la filière électro-intensive.
On connaît votre engagement pour l’industrie et j’ai pu mesurer votre détermination, dont je vous sais gré, en faveur de la filière aluminium, avec la situation particulière de Rio Tinto Alcan, anciennement Pechiney. Je ne tenterai donc pas de vous convaincre de la nécessité de défendre notre industrie et de l’importance du secteur des électro-intensives, qui représente des dizaines de milliers d’emplois, davantage encore avec le secteur aval.
La France, qui, avec le nucléaire, disposait d’une énergie à bas coût et d’un modèle lui permettant de répondre avec succès aux besoins de son industrie, se trouve aujourd’hui concurrencée par tous les grands pays industriels qui ont fait de l’énergie, pour l’essentiel très carbonée, leur arme industrielle.
L’exemple d’actualité est bien évidemment celui des États-Unis, avec le gaz de schiste.
Le paradoxe, c’est que l’Allemagne, qui faisait jeu égal avec la France voilà quinze ans et qui a su conserver son potentiel industriel tandis que le nôtre se réduisait de moitié, a su maintenir sa position avec une énergie dont le coût était plus élevé qu’en France, mais qui était mise à la disposition de son industrie à un prix plus bas.
Y a-t-il une fatalité ? Non ! Mme Batho a invité au débat national de la transition énergétique Peter Altmaier, ministre fédéral allemand de l’environnement. Je la félicite de cette initiative et conseille à tous de prendre connaissance avec la plus grande attention de la déclaration qu’a faite celui-ci. Parmi les cinq priorités des politiques de transition énergétique allemandes, j’en retiens une, qui est parfaitement claire : les compensations financières pour les industries électro-intensives.
Un seul exemple illustre cette démarche volontariste. La France a intégré dans la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », pour les gros consommateurs, le dispositif de l’effacement et du marché capacitaire, qui, pour être opérationnel, nécessite que soit mobilisé un budget. Or, en un an, les Allemands ont adopté ce même mécanisme d’effacement, dont ils attendent 3 000 mégawatts pour 2014, et lui ont consacré un budget de 350 millions d’euros, en qualifiant clairement celui-ci de « subvention à l’industrie ».
L’industrie française, qui représentait 36 % de la consommation d’électricité dans les années quatre-vingt, n’en représente plus que 21 % à ce jour, soit 125 térawatts, dont environ 70 pour les électro-intensives.
Les besoins qu’a l’industrie d’une énergie à un prix compétitif sont-ils en contradiction avec le mix énergétique et l’apport massif des énergies renouvelables ? Non, bien au contraire, j’en ai la conviction.
Si le nucléaire constitue un avantage avec une base à faible coût, les énergies renouvelables nécessitent régulation et équilibre, mais, en même temps, elles peuvent offrir, à un certain moment, une énergie à un coût marginal.
De toute évidence, la transition énergétique impose un nouveau modèle économique qui repose sur la contribution à la régulation et à l’équilibre de la production, qui peut être à la fois la réponse à l’usage des énergies renouvelables et la réponse aux besoins de l’industrie, tout particulièrement des industries électro-intensives.
Si j’ai volontiers évoqué le modèle allemand, ce n’est pas pour en faire un exemple, car je suis convaincu qu’un nouveau modèle est à construire. Néanmoins, la pratique allemande pose des prémisses. Elle nous impose de travailler à un modèle européen, de lui donner un cadre législatif solide et une force économique qui permette à l’Europe de défendre son industrie face à des productions mondiales qui auront toutes un jour à relever le défi des politiques décarbonées.
Ces choix sont urgents. Pour la première année, la France, qui était exportatrice nette d’électricité vers l’Allemagne, est devenue largement importatrice. Par ailleurs, les industries électro-intensives arrivent au terme de leur contrat d’approvisionnement électrique à bas coût.
Le débat national sur la transition énergétique est une vraie opportunité, et je remercie Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, d’avoir saisi Mme Delphine Batho afin que l’enjeu industriel soit pris en compte.
Le marché du charbon et de l’acier a été à l’origine d’une Europe qui s’est bien peu préoccupée de son industrie depuis. Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas que la transition énergétique soit l’occasion de créer l’Europe de l’énergie pour sauver notre industrie et lui donner toute sa place dans un débat auquel, à ce jour, elle n’a pas beaucoup été associée ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat montre que la désindustrialisation a malheureusement pris racine dans la vie économique française, provoquant des dégâts impressionnants dans le domaine économique, certes, mais aussi et surtout en matière sociale. C’est en effet en grande partie à la désindustrialisation que nous devons le chômage de masse que nous connaissons.
Comme le disait Hannah Arendt, qui a beaucoup scruté l’Europe, « ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire ».
Eh bien, essayons de comprendre ce qui se passe, efforçons-nous d’agir sur des facteurs de croissance et cherchons à retrouver une culture commune afin de faire de l’industrie une véritable cause nationale.
En premier lieu, nous devons comprendre qu’il n’y aura pas d’avenir et que la France ne sera pas une grande nation si elle ne retrouve pas un socle industriel puissant.
En second lieu, nous devons articuler notre politique entre une stratégie globale volontariste et une stratégie de filières. Les deux sont intimement liées. Sans une volonté politique très forte liée à une stratégie de filières, il n’y aura pas de réindustrialisation.
À cet égard et pour avoir assisté à l’installation du Conseil national de l’industrie, je peux dire que l’ensemble des partenaires sociaux reconnaissent le volontarisme du Gouvernement et, en particulier, du ministère du redressement productif.
Une politique de filière, c’est avant tout une politique visant à inciter les grands groupes et les entreprises de toute taille à travailler ensemble, à tisser des relations de coopération et de complémentarité dans le cadre d’écosystèmes productifs, mêlant intimement recherche industrielle et développement.
Plusieurs intervenants l’ont souligné, notre industrie a besoin d’une montée en gamme, ce qui passe par l’innovation, et celle-ci ne doit pas être réservée à quelques grands groupes : elle doit être diffusée dans l’ensemble de nos entreprises. C’est pourquoi le crédit d’impôt recherche doit aussi bénéficier à nos PME et TPE.
Qui peut croire que notre industrie automobile, par exemple, a un avenir sans une montée en gamme ? À ce qu’en a déjà dit Delphine Bataille j’ajouterai que ce qui rendra cette montée en gamme possible sera sa capacité à mettre au point très rapidement un moteur écologique de deux litres. Il nous faut en effet repenser nos modes de déplacement : si nous relevons ce défi, nous donnerons un avenir à notre industrie automobile !
Dans le domaine de l’agroalimentaire, nous sommes placés devant un choix : aller vers le bas de gamme ou vers des produits de moyenne ou de haute gamme qui feront la différence avec les produits low cost qui vont arriver sur le marché et avec lesquels nous ne pourrons sinon pas rivaliser ?
Nous devons aussi engager, on l’a dit, une politique européenne. L’Europe a cru que la mise en concurrence en son sein des différents pays européens suffirait à faire une politique industrielle. Or, nous avons besoin de grands investissements, de grands emprunts européens. Nous devons pouvoir nous appuyer sur des politiques de grands travaux, mais aussi sur une politique industrielle pensée au niveau de l’Europe.
De ce point de vue, monsieur le ministre, la nécessité de la réciprocité devient évidente. Savez-vous comment les États-Unis ont conservé leur filière photovoltaïque ? Eh bien, ils ont décidé, en quarante-huit heures, de bloquer l’importation des panneaux photovoltaïques en provenance de Chine ! Quand l’Europe affichera-t-elle la même volonté politique ?
M. Martial Bourquin. Enfin, mes chers collègues, il n’y a pas d’avenir industriel sans politique de croissance. Et je ne pense pas à une croissance uniquement productiviste ; je pense à une croissance nouvelle, fondée sur la demande en énergies renouvelables, sur les besoins en isolation des bâtiments, mais aussi sur les nouvelles technologies ou sur la filière bois.
Les biotechnologies recèlent des capacités incroyables. Nous ne retrouverons plus l’industrie d’hier ; nous devons construire l’industrie de demain.
Dans cette optique, les délais de paiement restent trop longs. L’Observatoire des délais de paiement vient de rendre son verdict : ces retards ont privé nos PME et TPE de quelque 11 milliards d’euros de trésorerie. Nous devons absolument mieux réguler les délais de paiement entre les grands donneurs d’ordre et les PME-TPE.
Une mission gouvernementale m’a été confiée par le ministère du redressement productif afin précisément de rechercher les moyens de remédier à cette situation : pour certaines de nos entreprises, c’est du cash indu ; pour d’autres, c’est un défaut d’investissement, notamment dans l’innovation.
Enfin, mes chers collègues, n’oublions pas les trois « i » : industrie, investissement, innovation ! J’y ajoute un « f » : la formation. Si nous assurons ces trois « i » et si nous restons animés par la volonté farouche de retrouver un socle industriel puissant, il y aura un avenir pour notre industrie. À voir votre ministère déployer ses activités pour que notre pays passe de la désindustrialisation à la réindustrialisation, nous y croyons, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « jamais un pays n’aura mené une politique aussi contraire à ses intérêts qu’aujourd’hui ».
Ce constat éminemment provocateur de l’économiste Christian Saint-Étienne appelle à la réaction, au réveil, à l’urgence de repenser notre modèle économique et industriel. La fiscalité punitive et le marché sclérosé du travail ne lui donnent, hélas ! pas tort.
Ayons la lucidité et la modestie de faire notre autocritique et d’agir en conséquence. Le rapport Gallois est la base de ce futur rebond : mettez-le en œuvre. La Cour des comptes est notre conscience budgétaire : écoutez-la !
Nos politiques industrielles furent de tout temps et demeurent orientées vers nos grands groupes, ces vitrines de notre économie qui pourtant ne créent plus d’emplois en France, et non vers les PME, qui génèrent, elles, le plus d’emplois industriels. Notre économie crée de nombreuses entreprises mais ne parvient pas à les faire grandir.
Trois éléments sont cruciaux pour l’avenir de notre industrie : l’investissement, obéré par la complexité administrative et une fiscalité décourageante ; la formation, car nous ne serons compétitifs que dans l’excellence ; l’envie enfin. Donnons envie à nos étudiants, à nos cadres, à nos entrepreneurs, aux investisseurs de rester ou de venir en France !
Nous connaissons tous les atouts, l’excellence, le potentiel d’innovation de notre pays. En contraignant les moteurs de notre économie à l’exil par une fiscalité confiscatoire et une atmosphère d’hostilité, vous rejetez toute une fraction de la population qui le fait prospérer. Vous devriez plutôt créer les conditions de leur épanouissement en France, en les associant et non en les excluant, grâce au dialogue.
L’absence de dialogue à tous les niveaux est un problème majeur dans un marché du travail englué dans des procédures administratives kafkaïennes et vicié par une atmosphère de lutte des classes d’un autre âge. Le rapport de force est-il le seul moyen de négociation ?
Monsieur le ministre, provoquez le dialogue entre le monde de l’entreprise et l’État, promouvez le dialogue interentreprises, encouragez le dialogue entre syndicats et patronat, comme l’a fait le Premier ministre avec la conférence sociale, favorisez le dialogue au sein de l’entreprise.
Il faut que tous, quels que soient leurs choix politiques, aient conscience qu’un entrepreneur prend des risques et que ce qu’il gagne ne spolie pas ses salariés : ils sont interdépendants. L’entrepreneur engage ses biens et ses capitaux, fragilise sa vie personnelle par un emploi du temps de stakhanoviste pour faire fonctionner l’entreprise. Son intérêt, bien sûr, est d’avoir les meilleurs collaborateurs, ayant des idées, de l’énergie, contribuant ainsi à développer son entreprise. Pour cela, l’entrepreneur doit être équitable dans les rémunérations et montrer à ses salariés la considération qu’ils méritent.
Un intéressement financier est donc indispensable. La nouvelle taxation que vous imposez à l’intéressement est contreproductive. En revanche, votre projet de participation des salariés au conseil d’administration pour définir les objectifs de l’entreprise est une très bonne initiative. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Un impôt doit être incitatif. À cette fin, il doit bien évidemment être juste et, contrairement à ce que pensent certains, ce n’est pas contradictoire : c’est complémentaire ! Votre fiscalité tue l’envie. Or, dans quelque domaine que ce soit, l’envie est un moteur essentiel.