Sommaire
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
Secrétaires :
Mmes Michelle Demessine, Odette Herviaux.
2. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
3. Dépôt d’un rapport du Gouvernement
4. Débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe
M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC.
M. Gérard Le Cam, Mme Aline Archimbaud, M. Jacques Mézard.
5. Communication d'avis sur des projets de nomination
6. Débat sur l'avenir de l'industrie en France et en Europe (suite)
MM. Alain Chatillon, Yannick Vaugrenard, Gérard Longuet, Jean-Jacques Mirassou, Jean-Claude Carle, Mme Delphine Bataille, MM. Alain Fouché, Michel Teston.
Suspension et reprise de la séance
MM. Jean-Pierre Vial, Martial Bourquin, Aymeri de Montesquiou.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
7. Hommage à un soldat mort au Mali
MM. le président, Victorin Lurel, ministre des outre-mer.
8. Débat sur la situation à Mayotte
MM. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois ; Félix Desplan, rapporteur de la commission des lois.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois
M. Yvon Collin, Mmes Esther Benbassa, Éliane Assassi, MM. Abdourahamane Soilihi, Thani Mohamed Soilihi, Serge Larcher, Michel Vergoz.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer.
9. Communication du Conseil constitutionnel
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Odette Herviaux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France, déposé ce jour sur le bureau du Sénat.
3
Dépôt d’un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur le suivi de l’objectif de baisse d’un tiers de la pauvreté en cinq ans, établi en application de l’article L. 115-4-1 du code de l’action sociale et des familles.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales et est disponible au bureau de la distribution.
4
Débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe, organisé à la demande du groupe UDI-UC.
La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat tombe à point ! Disant cela, je vise non pas la polémique qu’un « palmipède » informé a lancée ce matin, mais la question de fond : la situation de notre industrie aujourd’hui et demain. Je pense à la souffrance des salariés, à celle des patrons de PME, à l’inquiétude des partenaires sociaux, des industriels et de tous nos concitoyens.
Beaucoup a été dit sur le constat du déclin industriel. Beaucoup, mais pas tout ! Je souhaite donc que ce débat nous permette d’aborder le sujet en renouvelant notre approche. Je crois en effet qu’il est urgent de sortir de quelques faux débats, et pour vous, monsieur le ministre, de passer du mode réactif au travail de fond.
Ce constat a été largement partagé au moment de l’élection présidentielle. Certains candidats en ont même fait leur marque de fabrique : François Bayrou a sans doute été celui qui a le plus insisté sur ce thème, mais d’autres s’en sont également emparés. Vous avez repris le flambeau, monsieur le ministre, même si certains parrainages peuvent vous paraître encombrants. En tout cas, les propositions de votre ministère sont très attendues par les Français. Après tout, ce sujet mérite le consensus – celui-ci n’excluant pas le débat –, et vous devez veiller, monsieur le ministre, à y parvenir.
Voilà quelques jours, un grand quotidien économique titrait : « La grande panne de l’industrie française », traduisant ainsi la situation dégradée de notre industrie ces derniers mois. De fait, en 2012, ce sont 266 sites industriels qui ont fermé en France, soit 42 % de plus qu’en 2011. La situation s’aggrave alors que notre pays se distingue déjà en Europe par une désindustrialisation massive.
De nombreux rapports, notamment celui de nos collègues membres de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, décrivent depuis quelques années la désindustrialisation qui touche notre pays.
Le décrochage industriel de la France est avéré. Si le phénomène touche tous les pays européens – en fait, toutes les économies développées –, certains résistent mieux que la France : l’Allemagne, mais aussi la Suède ou l’Italie du Nord.
Le constat est double : alors que la succession de drames industriels pourrait laisser penser à l’opinion publique que le déclin de l’industrie est une fatalité, la désindustrialisation n’est pas inexorable, il faut l’affirmer fortement.
La désindustrialisation de notre pays a commencé dans les années soixante-dix et s’est accélérée depuis. Ainsi, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale est passée, en France, de 24 % en 1980 à 18 % en 2000 et environ 12,5 % aujourd’hui ; en Allemagne, l’industrie représente encore plus de 26 % de la valeur ajoutée totale.
La part de l’emploi industriel dans l’emploi salarié total traduit également cette désindustrialisation massive : elle est passée de 26 % en 1980, avec plus de 5 millions de salariés, à seulement 12,6 % en 2011, avec 3 millions de salariés. En trente ans, la France a donc perdu plus de 2 millions d’emplois industriels.
Enfin, autre signe de cette aggravation : le déficit de plus de 70 milliards d’euros de notre balance commerciale, qui était encore excédentaire en 2002, est la conséquence de la perte de compétitivité de l’industrie française.
Le constat est désormais clairement posé. Le rapport de Louis Gallois, commissaire général à l’investissement, est certainement le document qui a donné le plus grand écho à cette réalité. Il marque aussi, il faut l’espérer, une prise de conscience de la part de nos concitoyens. Je remarque qu’il a en outre marqué un tournant dans la politique du Gouvernement, tournant salutaire et salué comme tel, mais sans doute insuffisant, tant les signaux contradictoires se multiplient.
La reconquête de la compétitivité industrielle doit en effet être considérée comme la priorité de la politique économique de notre pays. Elle conditionne tout le reste : la perte de compétitivité de notre économie est à l’origine de nos déficits publics, mais aussi de celui de notre commerce extérieur ; elle contribue au chômage et, donc, aux déséquilibres qui affectent notre système de protection sociale. À terme, c’est notre niveau de vie qui est en cause.
Il y a urgence à agir pour réindustrialiser notre pays. Mais cette action demandera du temps, de la persévérance, et notre pays devra accomplir des efforts. Cela demandera également un fort consensus national autour de cet objectif : redresser notre industrie. Car l’image de cette dernière est déjà dévalorisée en France et commence malheureusement à l’être de manière critique à l’étranger.
La France possède pourtant de grands groupes, leaders mondiaux dans leur secteur : Axa, Total, Airbus, Air Liquide, Safran, Carrefour, BNP Paribas, etc. Avec quatre compagnies dans le classement des vingt-cinq plus grandes entreprises mondiales, elle arrive en deuxième position derrière les États-Unis. C’est toute la dualité du constat : des difficultés, mais de vrais savoir-faire et des pôles industriels d’excellence !
Ces champions nationaux contribuent à tirer nos exportations. Nous conservons des filières d’excellence : l’aéronautique, qui m’est chère, l’agroalimentaire, le luxe, le nucléaire, la pharmacie, des secteurs sur lesquels nous devons nous appuyer et pousser notre avantage comparatif.
Il n’y a pas de fatalité à la désindustrialisation, monsieur le ministre, nous serons d’accord sur ce point. Nous partageons d’ailleurs votre volontarisme en la matière. Il ne faut pas se résigner : l’action est bienvenue ; le verbe est souvent moins productif.
M. Vincent Capo-Canellas. Les déclarations à l’emporte-pièce contre les entreprises ou leurs dirigeants ne créent pas un climat favorable aux entrepreneurs dans notre pays. Je ne crois pas qu’il faille stigmatiser les patrons. Au demeurant, si vous aviez continué dans cette voie, vous vous seriez coupé des industriels. Or c’est le climat de confiance qu’il nous faut rétablir.
Le constat est aussi qualitatif : le décrochage de ces dix dernières années s’explique par le positionnement de notre industrie avec des produits de moyenne gamme qui subissent de plein fouet la concurrence des produits moins chers obtenus grâce à des coûts de production beaucoup plus faibles que les nôtres et celle de produits de meilleure qualité, haut de gamme, par certains de nos concurrents européens. La comparaison avec notre voisin et principal partenaire commercial, l’Allemagne, est frappante : avec des coûts de production assez proches, l’industrie allemande réussit à être compétitive en étant le deuxième pays exportateur au monde, derrière la Chine, mais devant les États-Unis.
Louis Gallois l’affirme clairement : l’industrie française ne pourra s’en sortir qu’en montant en gamme. Cela nécessite un effort de productivité, d’innovation, de qualité et de service. Pour cela, il faut donner la priorité à l’investissement : nous devons parier sur l’innovation, la compétitivité, les secteurs d’avenir. L’État a bien sûr un rôle de stratège à jouer, en définissant les priorités, en donnant sa vision de l’avenir, mais aussi en garantissant un environnement favorable à l’investissement, en créant cette confiance et cet écosystème accueillant.
Le choc fiscal que le Gouvernement a assené aux entreprises depuis qu’il est en place est à l’opposé de cette politique. Comment demander aux entreprises d’investir et d’innover lorsqu’on augmente drastiquement leurs charges et qu’on les taxe ?
On voit ici que, si le constat est partagé, des divergences fortes existent sur les solutions de court terme.
Donner la priorité à l’investissement, cela suppose de dégager des marges pour les entreprises. Du fait de leur perte de compétitivité, les entreprises ont rogné sur leurs marges, ce qui ne leur permet plus d’investir aujourd’hui. Pour y remédier, Louis Gallois a proposé un choc de compétitivité qui devait être aussi un choc de confiance, traduisant le soutien et la confiance que l’État accorde aux entrepreneurs.
On le sait, le Gouvernement n’a pas retenu le dispositif proposé par Louis Gallois et consistant à alléger de 30 milliards d’euros les charges des entreprises pour favoriser l’investissement et l’innovation. Le Gouvernement a préféré un système plus complexe, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dont nous verrons dans quelques mois s’il a atteint l’objectif visé.
Pour ma part, je crains qu’il n’y ait pas de choc, ni de confiance, ni de compétitivité, car il aurait été préférable de développer une mesure plus simple, immédiate et percutante.
Le Gouvernement a aussi éludé en partie la question des coûts de production élevés dans notre pays, liés à notre mode de financement de la protection sociale, qui handicape certains secteurs de notre industrie face aux pays émergents. Mon collègue Aymeri de Montesquiou évoquera plus longuement cette question.
Cela dit, monsieur le ministre, vous ne partez pas de rien, surtout en matière d’investissement industriel. De nombreuses initiatives avaient été prises – car le constat est ancien et est bien antérieur à l’arrivée de l’actuel gouvernement –, qui allaient dans le bon sens ; je pense aux états généraux de l’industrie, au lancement du programme d’investissements d’avenir ou bien encore à la « marque France ».
Monsieur le ministre, lorsque vous intervenez pour tenter le sauvetage d’entreprises, la politique de réindustrialisation que vous menez s’inspire beaucoup des mesures de vos prédécesseurs et, c’est bien naturel, reprend des outils déjà existants : pôles de compétitivité, conférences de l’industrie, Conseil national de l’industrie, Commissariat général à l’investissement, FSI – Fonds stratégique d’investissement.
Il s’agit maintenant de savoir si les décisions prises aujourd’hui vont dans le bon sens. Se posent, à cet égard, de véritables interrogations.
L’État a joué son rôle en investissant hier dans des secteurs prioritaires, par le biais des 35 milliards d’euros du PIA, le programme d’investissements d’avenir. Ces crédits ont été bénéfiques à notre industrie. Toutefois, maintenant qu’ils sont quasiment épuisés, comment assurer la suite ? Comment certains programmes seront-ils financés ?
Je songe notamment à des projets intéressant l’aéronautique, comme l’A350 ou le futur hélicoptère X6 : ils ne peuvent plus, semble-t-il, bénéficier des crédits du PIA, non plus que du système d’avances remboursables, celui-ci ayant été arrêté. Ainsi, un problème se pose entre la fin du PIA et l’éventuelle remise en place du système des avances remboursables. Je m’empresse d’indiquer que ce dispositif est profitable à l’État et qu’il permet d’assurer des investissements de long terme que le secteur privé ne peut assumer seul. De surcroît, les avances remboursables sont tout à fait capitales pour garantir des sauts technologiques nous permettant de rester compétitifs et, partant, de conserver notre rang mondial.
Veillons à ne pas faire de l’aéronautique l’automobile de demain : actuellement, ce secteur va très bien, mais il faut penser aux investissements d’avenir. Si le soutien à la recherche devait se tarir, un problème majeur se ferait inévitablement jour.
Le soutien à la recherche et à l’innovation est essentiel. Si la recherche publique s’élève en France à 2,4 % du PIB, ce qui situe notre pays au même niveau que ses voisins, la recherche financée par les entreprises privées reste faible. L’innovation est également moins développée chez nous que dans des pays comparables.
Or, on le sait, aujourd’hui la concurrence internationale contraint les entreprises à développer des produits de plus en plus innovants. C’est pourquoi le crédit d’impôt recherche doit être préservé. Il s’agit d’un outil qui permet d’anticiper les prochaines ruptures technologiques. L’effort de recherche permettra par exemple à Airbus de consolider sa position au cours des prochaines décennies.
C’est d’autant plus vrai que les pays émergents remontent peu à peu la chaîne de production, depuis la fabrication d’éléments jusqu’à l’assemblage et à la conception. Ainsi, la Chine devrait être en mesure de développer une gamme complète d’avions commerciaux d’ici à 2020. Elle pourrait devenir, à terme, avec Airbus et Boeing, le troisième grand acteur de l’aéronautique mondiale.
Nous savons combien la recherche sur les véhicules du futur est vitale pour l’industrie automobile française. C’est pourquoi il faut intensifier les échanges et les partenariats entre le monde de l’industrie et les laboratoires de recherche, entre les entreprises et les universités, à l’image de ce qui se fait au sein des pôles de compétitivité, afin de faciliter les transferts de la recherche vers l’industrie et les applications industrielles.
Dans cette perspective, le soutien aux jeunes entreprises innovantes est tout aussi déterminant.
Pour autant, il faut se garder de toute idéologie « anti-grandes entreprises ». Certes, il existe des PME performantes, et il faut miser sur elles. Toutefois, concernant les domaines qui seront à l’origine des grandes ruptures technologiques de demain, la recherche est plutôt menée dans les grands groupes.
Au surplus, nous devons lutter contre un travers typiquement français : la multiplication des contraintes et des réglementations, qui constitue souvent un handicap pour notre industrie. C’est un sujet rebattu : nous le savons tous, la multiplication des normes et l’instabilité juridique suscitée par des modifications successives compliquent l’action des entreprises et engendrent des coûts importants de mise en œuvre. Ce problème frappe plus particulièrement les PME, qui ne disposent pas toujours des moyens financiers et humains nécessaires pour assumer ces contraintes. Il faut clarifier et simplifier les procédures pour faciliter la vie des entreprises.
Parallèlement, les pouvoirs publics doivent développer une fiscalité favorable aux entreprises. On sait bien que le poids des prélèvements obligatoires, lié au niveau élevé de nos dépenses publiques, est trop lourd dans notre pays. Cette situation handicape nos entreprises.
Monsieur le ministre, ces quelques considérations montrent que, si le consensus se fait sur un certain nombre de points, à commencer par le constat de l’affaiblissement de notre industrie – et il faut saluer l’action menée dans certains domaines à la suite de ce constat –, des points de divergence et des interrogations demeurent.
À ce titre, je ne peux manquer d’évoquer un sujet central : le financement de l’industrie.
Le Gouvernement a souhaité mettre en place, à travers la création de la Banque publique d’investissement, la BPI, un nouveau système de financement des entreprises. Un certain nombre de dispositifs existaient déjà, notamment avec OSEO et le FSI. La question qui se pose est de savoir si la BPI prolongera réellement la politique de financement des entreprises ?
Vous placez beaucoup d’espoirs dans cette nouvelle structure pour financer l’industrie et dégager de nouveaux moyens pour financer notre tissu industriel. La BPI pourra-t-elle faire plus et mieux qu’OSEO ?
Améliorer le financement des entreprises, c’est également pallier l’une des faiblesses de notre secteur industriel : le nombre insuffisant des entreprises de taille intermédiaire, les ETI. On en compte deux fois moins en France qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Le constat n’est pas nouveau : nous n’arrivons pas à faire grandir nos PME, de façon qu’elles puissent investir davantage dans la recherche et l’innovation, puis s’insérer sur le marché mondial et exporter.
Contrairement à une idée répandue, les créations d’entreprises sont nombreuses en France, mais il s’agit essentiellement de très petites entreprises, des TPE, dont beaucoup disparaissent après quelques années. Les causes en sont connues : elles se heurtent souvent à des obstacles juridiques et fiscaux, à des problèmes de seuils et à un manque de fonds propres. Tout cela doit être au centre de nos réflexions.
Enfin, il faut aider à la constitution de véritables filières industrielles ; je sais que vous vous souciez d’agir à cet égard.
Au sein de ces filières s’élaborent des stratégies entre les entreprises et des coopérations entre sous-traitants et donneurs d’ordres. Il s’agit d’un sujet majeur car, souvent, les entreprises sont trop isolées, le tissu industriel est trop peu solidaire et les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants ont besoin d’être améliorées.
Dans le secteur de l’aéronautique, le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, le GIFAS, est fréquemment cité en exemple. Cette structure, qui regroupe au sein d’un même organisme l’ensemble des professionnels de la filière, pourrait servir de modèle. Du reste, le secteur de l’automobile s’en inspire puisqu’il met en place un organisme similaire, la Plate-forme de la filière automobile, pour que les constructeurs et équipementiers travaillent en synergie.
Les grands groupes doivent comprendre l’avantage qu’ils ont à disposer d’un tissu de fournisseurs et de sous-traitants dynamiques et compétitifs : c’est leur intérêt même !
Nous approuvons les travaux des comités stratégiques de filières qui, au sein du Conseil national de l’industrie, doivent permettre de définir les orientations et les stratégies au sein des différentes branches d’activité. À côté de ces filières industrielles, des synergies territoriales doivent être développées à partir des pôles de compétitivité.
Je viens de décrire globalement la situation de notre industrie, ainsi que les pistes sur lesquelles nous pourrions éventuellement rapprocher nos points de vue.
C’est à présent les points de désaccord que je souhaite évoquer.
L’adaptation des entreprises et des salariés constitue l’un des sujets décisifs pour la compétitivité de l’industrie française. Le mauvais fonctionnement du marché du travail, généralement trop rigide, et un dialogue social souvent défaillant rendent difficile le traitement en amont des problèmes liés aux mutations économiques.
Le marché du travail ne permet pas aux entreprises de s’adapter à la conjoncture et le système de formation ne prépare pas suffisamment la reconversion des salariés. Le climat de méfiance qui existe trop souvent entre salariés et dirigeants empêche ces derniers de rechercher ensemble des solutions pour sauver les entreprises et les emplois.
Il faut favoriser le dialogue social ; nous devons le revivifier pour permettre à nos entreprises de s’adapter aux mutations économiques et aux évolutions conjoncturelles. Il faut anticiper les difficultés, négocier des accords de compétitivité et faciliter le recours au chômage partiel afin d’éviter les licenciements et les pertes de compétences pour les entreprises.
C’est ce qui s’est passé à Sevelnord, notamment, où les salariés ont conclu un accord de compétitivité qui a permis de sauvegarder le site et les emplois, en obtenant la production d’un nouveau véhicule. Je tiens à saluer ce succès. Certes, la négociation sociale a été difficile, mais l’ensemble des partenaires sociaux et le groupe industriel se sont réunis autour de la table et ont trouvé des solutions pour assurer la pérennité du site de production. Il faut parler de ce qui marche !
En effet, trop souvent, le conflit prime sur le dialogue social, ce qui empêche la conclusion d’accords, voire aboutit à des fermetures de sites et à des licenciements. C’est donc un enjeu capital. Notre culture, notre organisation, notre législation et notre mode de pensée font que nous n’offrons qu’une caricature de dialogue social. Trop souvent, la transparence sur la situation de l’entreprise n’est pas au rendez-vous, les informations ne sont pas partagées ; d’où des désillusions et des déconvenues brutales.
Des contre-exemples heureux existent certes, mais ils sont rares. Or, dans un monde qui évolue très vite, pouvons-nous conserver les rigidités de notre système ? Ne finissent-elles pas par se retourner contre les salariés eux-mêmes ? Nous devons réinventer un modèle qui préserve les droits des salariés et permette d’accomplir les mutations en les anticipant.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est ce qui a été fait !
M. Jacky Le Menn. C’est ce que nous mettons en œuvre !
M. Vincent Capo-Canellas. Le Parlement débattra prochainement de l’accord signé par les partenaires sociaux sur la sécurisation des parcours professionnels. Cette démarche semble s’inscrire dans cette perspective.
Nous devons admettre que la compétition économique est rude et qu’en cas de retournement des marchés les entreprises et leurs salariés doivent rester soudés pour faire face aux difficultés. Ayant cité le cas positif de Sevelnord, je me dois d’évoquer le contre-exemple de PSA.
En évoquant ce sujet à ce stade de mon intervention, je ne souhaite pas l’employer à des fins polémiques. Toutefois, force est de le reconnaître, il y avait mieux à faire que de laisser croire aux salariés que le plan de fermeture serait révisé. De fait, cet engagement n’a pu être tenu. Pis, vous avez fait de PSA un repoussoir (Protestations sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Jean-Jacques Mirassou. Il ne faut pas exagérer !
M. Vincent Capo-Canellas. … l’érigeant en anti-modèle de la reconversion et de la mutation réussies.
Mme Christiane Demontès. Vous inversez les rôles !
M. Vincent Capo-Canellas. Le choc suscité par l’annonce de la fermeture du site avait été suivi de l’engagement, par Peugeot, d’assurer l’emploi des salariés. Il fallait prendre l’entreprise au mot, et s’occuper avant tout de ces derniers.
Il est vrai, le groupe PSA présentait un gros défaut : celui d’être le premier sur la liste.
Monsieur le ministre, la reconversion des salariés et des sites de production se prête mal à la politique de l’urgence. Elle se prête encore moins bien au spectaculaire. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Soyons sérieux !
M. Vincent Capo-Canellas. D’ailleurs, dans l’urgence, il faut distinguer le sauvetage des salariés, la solution à leur offrir, dont la mise en œuvre peut malheureusement être longue, et la reconversion des friches, qui, elle, s’inscrit assurément dans le long terme.
C’est un problème que beaucoup d’élus connaissent, hélas. Pour ma part, je peux citer le cas d’un ancien site industriel qui se trouvait dans ma commune du Bourget et qui appartenait au groupe que l’on appelait alors GEC-Alsthom. J’ai moi-même vu se dérouler le drame qu’a été la fermeture de cette usine et dont mon territoire porte encore les stigmates. Mais j’ai aussi en tête le drame que vivent aujourd'hui les salariés de PSA qui résident au Bourget et qui travaillent sur le site d’Aulnay-sous-Bois, ainsi que leurs familles.
Je ne peux que vous inviter, monsieur le ministre, à accélérer les processus et les décisions concernant ce site : la situation se dégrade et, chacun le sait, il n’est pas facile de surmonter les difficultés et de fournir des solutions aux salariés. À mon sens, nous venons cependant de franchir un nouveau cap dans la désespérance : celle-ci est telle que la situation est de plus en plus tendue. Non seulement les salariés éprouvent de réels problèmes pour envisager leur avenir, mais l’entreprise voit, parallèlement, sa situation s’aggraver.
Monsieur le ministre, j’évoque ces questions avec gravité. Il me semble que le débat concernant Aulnay doit porter sur l’engagement souscrit par Peugeot d’offrir à ses salariés des solutions d’emploi au sein du groupe comme en dehors de celui-ci. C’est le plus important à court terme : des pistes existent, il est urgent de les examiner à fond en profondeur et de ne pas sacrifier la clarté : aucune solution ne peut être mise en œuvre sans difficulté.
J’achèverai ainsi mon intervention, afin de ne pas dépasser excessivement mon temps de parole. Je souligne simplement que des solutions d’avenir existent, et que nous sommes prêts à les appuyer.
M. Vincent Capo-Canellas. En tout cas, j’appelle chacun à faire preuve de lucidité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, nous sommes au chevet de notre industrie. De rapports en débats on le répète à l’envi : l’industrie et l’emploi doivent être la préoccupation numéro un du Gouvernement.
Ce constat a été réitéré lors des états généraux de l’industrie. Pourtant, l’année 2012 a encore enregistré la fermeture de 266 sites industriels, soit 42 % de plus qu’en 2011. Quelque 1 200 usines ont fermé leurs portes depuis 2009, représentant plus de 120 000 emplois perdus.
Qui plus est, aujourd’hui, 12 000 emplois sont menacés par la perspective de fermeture définitive de certains sites, comme celui de Peugeot à Aulnay. Au reste, les difficultés de PSA, de Renault, d’Arcelor Mittal ou encore d’Alcatel ne sont que la partie émergée de l’iceberg : de telles firmes entraînent en effet dans leur chute une foule de PME et de sous-traitants. Goodyear annonce ainsi la suppression de 1 173 postes.
Notre système financier a été profondément transformé depuis les lois déréglementant l’activité bancaire et les marchés financiers, et ce dès 1984.
L’évolution vers une finance au service des marchés et non plus de l’économie réelle a affecté le mode de contrôle du capitalisme français. Ce modèle, qui permettait des relations financières stables avec un capital « patient » et des stratégies industrielles de long terme, est aujourd’hui remis en cause, voire inexistant.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les gouvernements successifs ont donné aux multinationales, qui dominent largement notre secteur industriel, les moyens d’organiser leur propre non-rentabilité. Ces entreprises peuvent pratiquer l’optimisation fiscale et sociale. Pis, elles emploient ces méthodes de façon de plus en plus agressive, via les prix de transferts auxquels les différentes entités d’un groupe se vendent ou s’achètent produits et prestations de services afin de localiser les profits là où l’imposition des bénéfices est la plus faible.
Le cas de l’Irlande montre l’ampleur de ces manipulations. Les Français restent parmi les plus productifs au monde. Ainsi, en 2012, un Français qui occupe un emploi a produit 75 000 euros de richesse, contre 63 000 euros seulement en Allemagne et 65 000 euros en moyenne dans la zone euro. Mais les Irlandais sont censés être beaucoup plus efficaces encore, avec 89 000 euros par emploi, 17 % de plus qu’en France et 36 % de plus que dans la zone euro. C’est là une fiction qui ne résulte que des manipulations frauduleuses des multinationales pour transférer en Irlande les bénéfices réalisés ailleurs en Europe.
La finance, qui crée et organise la mobilité du capital dans l’espace, influence la géographie des activités productives. La participation des investisseurs est devenue très volatile. La durée moyenne de détention des titres à la bourse de Paris est ainsi passée en quelques années de deux ans à moins de six mois : ce n’est pas là le temps de l’industrie.
Les réformes qui ont conduit à l’extension de la place de la finance dans l’économie avaient pour justification l’amélioration du financement des activités économiques. Pourtant, selon un diagnostic publié par le Centre d’analyse stratégique, cette efficience des marchés n’a pas été au rendez-vous. D’ailleurs, le rapport concluant les états généraux de l’industrie souligne l’inadéquation entre la longueur des cycles de développement, qui peuvent atteindre, voire dépasser la dizaine d’années, et les délais de rendement attendus par les investisseurs, qui sont beaucoup plus courts.
Alors, lorsque Carlos Ghosn, PDG de Renault, propose, pour « donner l’exemple », de différer à fin 2016 le paiement de 30 % de la part variable de sa rémunération de l’an passé, rémunération de près 3 millions d’euros, en demandant en échange aux employés, pour sauver les emplois les plus menacés, notamment ceux de Sandouville, d’accepter des baisses de salaires,…
M. Gérard Le Cam. … un allongement du temps de travail et une plus grande mobilité, on aimerait croire à une vaste blague !
Lorsque le patron de Goodyear, M. Maurice "Morry" Taylor Junior…
M. Jean-Jacques Mirassou. Ah oui ! celui-là, il est particulièrement gonflé !
M. Gérard Le Cam. … nous explique que les salaires des ouvriers en France sont trop élevés, que, ô scandale, les ouvriers disposent d’une heure pour leur pause et leur déjeuner, qu’ils discutent pendant trois heures et travaillent trois heures, alors l’indignation devient colère !
Selon le Bureau des statistiques du travail américain, une heure de travail dans le secteur manufacturier coûtait 40,60 dollars en moyenne en France en 2010, contre 40,40 dollars dans la zone euro et 43,80 dollars en Allemagne, soit un écart de 8 %.
Pour autant, le coût du travail français a nettement moins augmenté qu’en Espagne, en Italie, au Portugal, en Irlande et en Grèce, mais aussi qu’en Belgique, aux Pays-Bas ou encore au Danemark. Au sein de la zone euro, en dehors de l’Allemagne, il n’y a qu’en Autriche que ce coût a un peu moins progressé qu’en France.
En termes de productivité horaire du travail, c'est-à-dire la quantité de richesses produite pendant une heure de travail, sur la période 1999-2010, la. France a connu, dans le domaine industriel, une progression de 36 %, alors qu’elle n’était en Allemagne que de 28 %.
Dès lors, on ne peut que souscrire à l’idée que le premier problème de notre industrie est le coût du capital et sa financiarisation.
Comme beaucoup, nous pouvons légitimement nous interroger sur le 1,1 milliard d’euros de bénéfices réalisés par PSA en 2010, ou les 600 millions d’euros réalisés en 2011, ou encore sur la distribution de 275 millions d’euros de dividendes l’an dernier. Et ce n’est qu’un exemple !
La France était, selon l’OFCE la cinquième économie exportatrice et importatrice sur le marché industriel mondial en 2010. Il est nécessaire de penser l’industrie en lien avec la finance, car l’industrie reste un moteur de l’économie et le secteur des services aux entreprises – la logistique, les transports, les services d’administration, mais aussi le marketing et la recherche et développement –, qui représente plus de 16 % du PIB français, est largement lié à la conjoncture industrielle.
L’industrie a ainsi un rôle crucial dans notre économie. Il est temps de passer aux actes !
En matière agricole, les grands équilibres de l’industrie agroalimentaire sont largement remis en cause. L’actualité n’en offre malheureusement qu’une illustration. C’est pourquoi nous avions proposé, lors de la discussion du projet loi sur la modernisation de l’agriculture, de desserrer l’étau de la grande distribution sur les entreprises du secteur.
Les sénateurs du groupe CRC ont, en février 2012, déposé une proposition de loi portant sur des mesures urgentes de politique industrielle. Elle revenait sur les pratiques des groupes qui manipulent leur comptabilité de façon légale pour délocaliser des bénéfices et réaliser de substantielles économies d’impôt. Par ce texte, nous entendions permettre aux salariés de ne plus être « les spectateurs passifs et résignés » lorsque leur entreprise est engagée dans une procédure de sauvegarde. Nous avions évoqué l’intérêt de développer les circuits courts pour donner un nouveau souffle entrepreneurial dans l’agriculture.
Afin de sécuriser l’environnement des PME, essentielles à notre tissu industriel, nous avons rappelé que la BPI, dont nous avons voté la création, ne nous semblait pas en mesure de répondre complètement aux besoins de liquidités et de trésorerie immédiate des entreprises. Cet instrument est très loin du pôle financier public que nous proposons pour faire décoller le financement de l’activité économique, encourager l’innovation, l’export et la formation.
Nous avons déposé une proposition de loi sur l’interdiction des licenciements boursiers, qui a été rejetée à six voix près.
Enfin, les conclusions de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales ont mis en évidence l’impact de ces phénomènes sur les entreprises et présenté des pistes pour y remédier.
Toutes ces propositions s’inscrivent dans une véritable dynamique d’ensemble, et non dans une démarche par à-coups, en réponse à une actualité dramatique. Le véritable renouveau et la maîtrise des filières industrielles ne pourront devenir réalité sans politiques d’investissements orientées vers les innovations industrielles et la recherche-développement.
Aujourd’hui, les perspectives sont nombreuses dans les biotechnologies, les nanotechnologies, dans le domaine de l’industrie propre, dans le BTP, pour réduire la consommation d’énergie par l’isolation, dans le domaine des transports collectifs et de l’aménagement des espaces de vie.
Les textes sont là, il faut désormais les voter ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pas un jour ne passe sans que l’actualité vienne cruellement nous rappeler que le secteur industriel est en crise grave : les plans sociaux s’enchaînent les uns après les autres et pourraient sembler inéluctables…
Nous mesurons l’ampleur de la tâche devant laquelle vous vous trouvez, monsieur le ministre.
Pour le groupe écologiste, il est d’abord important de protéger et de maintenir l’emploi industriel en France et en Europe. Cela signifie qu’il faut penser dès aujourd’hui les enjeux et les secteurs porteurs de demain et qu’il faut amorcer la transition écologique de l’économie, en gardant d’abord à l’esprit que, derrière les chiffres, ce sont des êtres humains, des familles entières et des territoires qui sont concernés par l’échec d’une vision industrielle passéiste, purement comptable et « court-termiste ».
Élue de Seine-Saint-Denis, je prendrai l’exemple de PSA à Aulnay-sous-Bois. Les salariés nous disent : « Nous avons passé notre vie dans cette entreprise. Qu’allons-nous devenir ? » Cette angoisse est évidemment de plus en plus difficile à supporter et il nous revient de trouver des solutions.
Pour nous, écologistes, il est nécessaire de travailler à des solutions industrielles nouvelles, en impliquant tous les acteurs concernés : élus locaux, experts, mais aussi syndicats. Certains syndicats travaillent en effet sur des solutions et sont intéressés par la recherche de filières nouvelles. Je pense, par exemple, à un syndicat de Renault Sandouville, qui réfléchit à la filière de déconstruction automobile, dont beaucoup disent qu’elle pourrait être fortement porteuse d’emplois.
Mme Aline Archimbaud. Il faut en finir avec la stratégie industrielle que nous avons connue, imposée par les directions d’un certain nombre de groupes cherchant la rémunération maximale des actionnaires à court terme, faisant fi des répercussions sur les salariés, sur l’avenir de l’entreprise. Beaucoup le disent, cette stratégie est un échec total !
Mais, dans cette démarche de recherche de nouvelles filières, il est impératif de garantir les salaires des employés qui sont présents pendant toute la transition, sans aucun licenciement. Les pouvoirs publics doivent proclamer la nécessité de cette garantie parce que les salariés, menacés aujourd’hui par dizaines de milliers, ne doivent pas être victimes de la cécité stratégique des directions des groupes industriels qui n’ont pas anticipé la crise. Ce n’est pas à eux d’en faire les frais !
Par ailleurs, nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, penser le long terme, c’est penser la reconversion et l’adaptation des secteurs qui déclinent parce que leur production est devenue obsolète. Mais ce n’est pas parce que l’on cherche à définir une stratégie à long terme qu’il faut sans cesse en reporter la mise en place. La reconversion, il faut la mettre en place tout de suite !
Par exemple, il faut moins d’automobiles de grosses cylindrées et plutôt des voitures consommant peu de pétrole. Il nous faut moins d’avions et davantage de bateaux, moins de pétrole et plus d’énergies renouvelables et d’éco-matériaux, moins de surconsommation individuelle standardisée et plus de services partagés à haute valeur ajoutée. Il nous faut moins de camions et d’autoroutes et plus de circuits courts, nous devons développer les énergies renouvelables, l’isolation thermique des bâtiments et la filière de traitement des déchets. Ce ne sont là que quelques exemples !
L’isolation thermique des bâtiments, si l’on met en place une véritable filière, avec les formations et tout l’investissement nécessaire, pourrait créer des centaines de milliers d’emplois. Ce n’est pas une fable !
Pourquoi, alors, toujours reporter ces perspectives ? Pourquoi ne pas s’y mettre tout de suite, massivement et résolument ?
Je rappelle les déclarations du Président de la République, qui s’exprimait ainsi le 14 septembre 2012, en ouverture de la Conférence environnementale : « La France, et j’en prends ici l’engagement, se mobilisera dans la transition énergétique, voilà le cap : la transition ! » Vous-même, monsieur le ministre, avez dit voilà quelques jours, à Saint-Nazaire, que « la transition énergétique » était « un point de passage pour la réindustrialisation ».
J’évoquerai à nouveau le cas de l’automobile, qui me touche puisque, comme élue en Seine-Saint-Denis, je l’ai dit, je suis évidemment avec beaucoup d’attention la situation du site de PSA à Aulnay-sous-Bois, en espérant qu’une dynamique va se mettre en place pour répondre à l’angoisse des salariés.
Je rappelle que le secteur de l’automobile représente 445 000 emplois directs et au moins autant dans la distribution et les services. On sait de quoi souffre aujourd’hui cette industrie. Sa situation résulte pour l’essentiel d’une saturation du marché dans les pays européens. Il faut vraiment penser dès maintenant la reconversion de l’appareil de production – ainsi, bien sûr, que celle des salariés de cette industrie –, son redéploiement : c’est le message que nous répétons, en ayant parfois l’impression de ne pas être vraiment pris au sérieux.
M. Gérard Longuet. Et c’est vrai !
Mme Aline Archimbaud. Il est impératif de poser la question dès maintenant. Sinon, l’automobile connaîtra le sort de la sidérurgie dans les années 1980 : une restructuration menée dans l’urgence, c'est-à-dire mal ! Plutôt que de subir la situation, nous proposons de nous y préparer pendant qu’il est encore temps.
Des étapes sont nécessaires pour ponctuer cette démarche. Nous sommes ainsi favorables à la mise en place d’un fonds national et de vingt-deux fonds régionaux de conversion, qui pourraient être financés par une taxe de 1 % sur les dividendes, afin d’accompagner ce travail de transition du secteur industriel et d’assurer son maintien sur notre territoire dans l’avenir.
Nous demeurons convaincus qu’une importante partie de la solution industrielle se trouve dans une stratégie nationale d’investissement public fort. De ce point de vue, j’espère que le séminaire industriel d’aujourd’hui, qui doit tracer des perspectives dans de nombreux secteurs économiques – numériques, haut débit, transport, logement, transition énergétique, santé – permettra de définir des politiques fortes, à mettre en œuvre dès maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie est au cœur de nos préoccupations depuis longtemps. En témoigne le nombre de questions, de débats, de propositions de loi ou de rapports émanant de la Haute Assemblée qui concernent de près ou de loin cette question pour s’en convaincre.
Nous sommes face à un échec collectif et à une responsabilité collective, qu’il s’agisse des gouvernements successifs, toutes sensibilités confondues, du patronat ou des syndicats. D’ailleurs, depuis des décennies, notre relation au travail et à l’entreprise n’a pas été des plus performantes. Le problème tient certainement aussi à la sensibilité particulière que nous avons en la matière.
Même si les solutions proposées pour remédier aux faiblesses et aux difficultés que connaît notre secteur industriel peuvent faire débat, la conviction qu’il faut agir est aujourd'hui unanimement partagée, car il apparaît à tous que la réindustrialisation est la clé du retour à la croissance et de la baisse du chômage.
Je dois du reste dire au passage que je n’aime guère le terme « réindustrialisation » ; je pense que, pour l’avenir, monsieur le ministre, il conviendrait plutôt de penser à une nouvelle industrialisation, à une production centrée sur des productions innovantes, et cela va d’ailleurs bien au-delà de la seule transition énergétique. En effet, l’idéologie et l’entreprise ne font jamais bon ménage !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Néanmoins, entre les 23 mesures présentées à l’issue des états généraux de l’industrie lancés par la précédente majorité en 2009 et les 35 actions déclinées dans le fameux pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, la situation n’a pas encore beaucoup évolué. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on apprenne la fermeture de telle usine ou les très grandes difficultés que connaît telle autre dans l’un de nos territoires ; vous êtes confronté chaque jour à ces graves préoccupations, monsieur le ministre.
Comme le souligne le constat introductif de l’excellent rapport remis au Premier ministre par M. Gallois,…
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Très bon rapport !
M. Jacques Mézard. En effet, mon cher collègue !
Selon M. Gallois, disais-je, « la compétitivité de l’industrie française régresse depuis dix ans » – c’est pourquoi j’ai parlé de responsabilités collectives – « et le mouvement semble s’accélérer ». (M. Gérard Longuet opine.)
Mes chers collègues, on peut se demander si les Français aiment l’entreprise, s’ils ne confondent pas trop souvent finances, affairisme condamnable et monde de l’entreprise ou production industrielle.
M. Jean-Jacques Mirassou. Parfois, ils n’ont pas vraiment tort !
M. Jacques Mézard. J’ajoute que les réformes engagées ces dernières années et dont nos entreprises, notamment industrielles, étaient censées bénéficier, n’ont pas changé grand-chose à leur situation. Ainsi, la réforme de la taxe professionnelle, par exemple, n’a pas été, de toute évidence, le remède miracle tant attendu à l’hémorragie industrielle.
M. Gérard Longuet. On a allégé les charges de l’industrie capitalistique !
M. Jacques Mézard. Cette mesure a peut-être allégé les charges, monsieur Longuet, mais je ne suis pas sûr que toutes les économies réalisées par les entreprises aient été consacrées à l’investissement.
M. Yannick Vaugrenard. En tout cas à l’investissement productif !
Mme Christiane Demontès. Très bien !
M. Jacques Mézard. L’industrie française a perdu 1,9 million d’emplois entre 1980 et 2007. Sur la même période, sa part de la valeur ajoutée dans le PIB est passée de 24 % à 14 %. C’est un constat.
M. Yannick Vaugrenard. L’héritage !
M. Jacques Mézard. Cette part se situe aujourd’hui bien en dessous de la moyenne de l’Union européenne.
Une chose est sûre : la désindustrialisation est un fléau qu’il faut absolument combattre.
Ceux qui ont prêché un temps les mérites d’une économie postindustrielle fondée sur les services se sont gravement trompés. Nous nous accordons tous, me semble-t-il, à reconnaître qu’il y a urgence à promouvoir une nouvelle industrialisation, car l’industrie est essentielle à notre économie : elle est au cœur de l’innovation, qui, elle-même, est le moteur de la croissance. D’ailleurs, 85 % de l’effort de recherche des entreprises françaises est concentré dans le secteur industriel.
L’industrie est aussi, nous le savons tous, un élément majeur pour le commerce extérieur : on le voit aujourd’hui avec le déficit catastrophique de notre balance commerciale.
Dès lors, que faire pour remédier à cette situation ?
Le Gouvernement a déjà engagé un certain nombre d’actions, comme la création de la Banque publique d’investissement, qui devrait contribuer à rationaliser les dispositifs publics d’aide aux entreprises afin de les rendre enfin accessibles aux PME et aux TPE, ou encore le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui peut permettre de répondre au moins partiellement à la problématique compétitivité-coût. Voilà autant de mesures que nous avons, pour notre part, soutenues.
Au cours de ces dernières années, les entreprises françaises ont considérablement réduit leurs marges pour maintenir leur compétitivité. Toutefois, cela a conduit, en réalité, à l’effet inverse, à savoir une détérioration de la compétitivité à moyen et long terme du fait de la réduction des investissements.
Si le coût du travail, qui est souvent montré du doigt dans notre pays, joue un rôle dans notre déficit compétitif, il n’est certainement pas l’unique facteur de perte de notre compétitivité. Les comparaisons qui peuvent être faites avec d’autres pays européens montrent que le coût du travail joue certes un rôle à cet égard, mais qu’il n’est pas le facteur déterminant.
D’ailleurs, la politique de modération salariale conduite depuis une dizaine d’années par l’Allemagne n’est pas la principale source du succès de son industrie. Il existe une différence majeure entre les industries françaises et allemandes : le positionnement de gamme. C’est en montant en gamme que les entreprises françaises pourront véritablement renforcer leur compétitivité.
Le développement des PME à l’international est aussi l’un des points faibles du tissu industriel français et, a contrario, l’un des points forts du fameux Mittelstand allemand. Certes, nous avons de grandes entreprises, qui sont de véritables « championnes mondiales », par exemple, dans le secteur aéronautique, qui est un fleuron de notre industrie, mais nous n’avons que très peu de PME et d’ETI exportatrices.
C’est pourquoi il est nécessaire d’engager d’autres réformes pour renforcer la compétitivité de notre industrie sur le long terme, en mettant, notamment, l’accent sur les formations.
Le choix d’une formation technique est trop souvent dévalorisé dans notre pays, alors que l’une des forces de l’industrie allemande réside dans l’importance accordée à la formation en alternance. Les pays émergents ont également compris l’importance du « capital humain ». Ainsi, des pays comme la Chine investissent des sommes considérables dans la mise en place de systèmes éducatifs et de formation de qualité.
Enfin, l’intitulé de ce débat nous invite, à juste titre, à nous pencher sur la dimension européenne que revêt cette question.
C’est en effet à l’échelle européenne que nous devons agir aujourd’hui pour corriger les déséquilibres du libre-échange, en instaurant une nécessaire réciprocité notamment en matière d’ouverture des marchés publics. Nous avons besoin d’une véritable politique industrielle européenne, qui est indissociable de la mise en place d’une politique européenne en matière d’énergie.
Enfin, monsieur le ministre du redressement productif, permettez-moi de conclure en formulant ce qui est plus qu’un vœu, une conviction : développez la recherche et l’innovation, faites confiance à l’intelligence de notre pays, faites en sorte que nos cerveaux ne s’exportent plus pour que nos productions continuent à se développer et à s’exporter ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
5
Communication d'avis sur des projets de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions des articles 13 et 56 de la Constitution ainsi que de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, la commission des lois, lors de sa réunion du mercredi 20 février 2013, a émis un vote favorable (17 voix pour et 6 voix contre sur 23 suffrages exprimés) sur le projet de nomination de Mme Nicole Maestracci aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel en remplacement de M. Pierre Steinmetz.
Elle a également émis un vote favorable (13 voix pour et 11 voix contre sur 24 suffrages exprimés) sur le projet de nomination de Mme Nicole Belloubet aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel en remplacement de Mme Jacqueline de Guillenchmidt.
MM. Jean-Jacques Mirassou et Didier Guillaume. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Le résultat est serré ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
6
Débat sur l'avenir de l'industrie en France et en europe (suite)
M. le président. Nous reprenons le débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Alain Chatillon.
M. Alain Chatillon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous livrer quelques chiffres.
La part de l’industrie dans le PIB était de 22 % en 1999, contre 16 % en 2009. Ce secteur représente maintenant 14 % du PIB en France, contre 28 % – le double ! – en Allemagne. Et n’oublions pas que l’industrie représente aussi 85 % de notre recherche.
Vaste sujet que la désindustrialisation de la France, avec 70 000 emplois perdus chaque année depuis trente ans. C’est donc un mouvement qui progresse à pas de géant et qui tend même à s’accélérer encore !
J’ai été rapporteur de la mission commune d’information sur ce sujet en 2011 et, après une année de travail, nous avons formulé pas moins de dix-sept propositions ; j’espère que certaines d’entre elles pourront être mises en œuvre.
Il est en tout cas urgent de mettre en place une nouvelle stratégie économique. Nous connaissons les causes de notre mal, mais les remèdes que nous propose actuellement le Gouvernement ne me semblent pas adéquats : ils manquent de cohérence stratégique et sont, à mon sens, mal ciblés.
Permettez-moi d’évoquer plus précisément certains points, en commençant par le coût du travail.
Un ouvrier qualifié percevant un salaire annuel brut de 40 000 euros en France coûte 59 000 euros à son employeur, contre 48 000 euros en Allemagne ; un cadre rémunéré 70 000 euros en France coûte 100 000 euros à son employeur, contre 81 000 euros outre-Rhin.
Autrement dit, l’allégement du coût du travail, ce n’est pas la baisse du salaire versé, c’est tout simplement un signal fort adressé aux entreprises par la diminution des charges. À cet égard, la TVA sociale ou « anti-délocalisation » nous semblait être la bonne solution. De surcroît, cette mesure permettait de récupérer 8 milliards à 12 milliards d’euros sur les importations, ce qui diminuait d’autant la fiscalité et améliorait sensiblement la compétitivité de nos entreprises.
Deuxième point : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.
Le CICE concerne très peu les PME puisque 85 % d’entre elles n’ont pas d’impôt à payer. Ainsi se trouvent exclus bon nombre de bénéficiaires potentiels.
À l’origine, le CICE visait à donner aux entreprises les moyens de redresser la compétitivité de la production française et à soutenir l’emploi. Qui plus est, il pouvait être de nature à créer un véritable choc de confiance. Or qu’en est-il réellement ?
Je l’ai dit, les PME sont très peu susceptibles d’utiliser ce dispositif. En outre, s’il a été mis en place en 2013, ce n’est qu’en 2014 qu’elles pourront le cas échéant en bénéficier.
Or nous savons que nos PME créent plus de richesses que leurs homologues allemandes, pourtant deux fois plus nombreuses.
Selon une étude conduite sur 500 entreprises non cotées dont le chiffre d’affaires est compris entre 2 millions et 50 millions d’euros, les PME ont réalisé en moyenne 1,737 million d’euros de valeur ajoutée l’an passé, contre 1,576 million d’euros pour les entreprises d’outre-Rhin. Globalement, les PME ont donc la capacité de développer l’emploi ; elles font mieux que la moyenne européenne. Accompagner leur développement m’apparaît dès lors comme une nécessité absolue !
Troisième point : l’innovation et l’accroissement de la valeur ajoutée grâce au crédit d’impôt recherche, ou CIR.
Le développement des ETI reste un objectif majeur pour la France, en vue de rattraper nos voisins allemands : il faut accompagner et faciliter la création de nouvelles ETI, en regroupant des entreprises dans chaque filière. Les pôles de compétitivité jouent un rôle essentiel en soutenant les entreprises et les filières en matière de recherche et développement. En effet, c’est par l’innovation dans tous les domaines que l’on créera de la valeur ajoutée.
Concernant le crédit d’impôt recherche, rappelons que 85 % des bénéficiaires, à hauteur de 50 % du montant global affiché, sont des PME. Est-il vraiment nécessaire que le fisc traque actuellement les PME pour vérifier qu’elles font bien un bon usage de ce dispositif ? À mon sens, il conviendrait plutôt de regarder si le CIR participe véritablement à l’innovation dans les grandes entreprises. C’est là que devrait s’exercer le contrôle !
Est-il nécessaire qu’une politique fiscale spécifique à l’endroit des classes moyennes et entrepreneuriales, plus particulièrement les dirigeants de TPE et de PME, soit mise en place ? Cela, loin de résoudre les problèmes, va les accentuer ! Ne l’oublions pas, la plupart de ces entreprises sont familiales.
Quatrième point : les exportations.
Gardons toujours à l’esprit que l’industrie représente 80 % de nos exportations.
Voilà dix ans, la France comptait 130 000 entreprises exportatrices ; elles ne sont plus que 117 000 aujourd'hui.
Quant aux PMI exportatrices, en 2005, on en dénombrait 100 000 en France, contre 219 244 en Allemagne. En 2009, nous n’en comptions plus que 91 000, contre 241 446 en Allemagne. En d’autres termes, nous avons assisté une diminution de 9 % en France et à une progression de plus de 10 % en Allemagne. Il conviendrait de savoir quelles sont les raisons d’une telle évolution.
Au moment où le marché mondial s’accroît, la France doit poursuivre la montée en qualité de ses produits. Cette stratégie est un facteur de différenciation très important ; j’en veux pour preuve le succès de nos marques à l’exportation dans certaines catégories de produits : vins et spiritueux, produits laitiers, produits à forte valeur ajoutée.
Les chiffres récents permettent d’affirmer que l’Europe reste une zone de prédilection pour 91 % des entreprises françaises présentes à l’export. Dans le secteur industriel, elles sont même 97 % à exporter en Europe. Cette situation est favorisée par la proximité et par l’existence d’une zone de monnaie unique.
Reste qu’il nous faut apporter des solutions aux problèmes qui se posent. En particulier, nous devons rendre la fiscalité plus incitative et mieux répondre aux besoins de financement des entreprises exportatrices, que ce soit par des prêts directs ou par des garanties.
À cet égard, monsieur le ministre, je m’interroge sur les raisons pour lesquelles la COFACE diminue actuellement les montants d’engagement. Ce problème est grave et je vous demande de l’examiner de près. Aujourd’hui, la COFACE finance très peu les entreprises du secteur agroalimentaire, notamment celles qui exportent vers l’Espagne.
M. Ladislas Poniatowski. C’est bien vrai !
M. Alain Chatillon. L’appui d’Ubifrance et la restructuration en cours au ministère des affaires étrangères me paraissent opportuns, car c’est un meilleur accompagnement des entreprises qui est recherché.
Il est indispensable que les pôles de compétitivité, les régions et les chambres de commerce soutiennent les ETI dans les filières susceptibles d’apporter un nouveau dynamisme à nos exportations, afin que notre balance commerciale se redresse et que le made in France nous permette de reconquérir les parts de marché que nous détenions il y a bien des années.
Permettez-moi d’insister sur l’importance du secteur agroalimentaire. Si la France a perdu la première place européenne dans ce domaine, son industrie agroalimentaire demeure puissante. Au niveau national, contrairement à ce qu’on lit le plus souvent dans les journaux, l’agroalimentaire est le premier secteur industriel : il réalise 147 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 30 milliards d’euros de valeur ajoutée. Ce secteur est également le premier pourvoyeur d’emplois industriels, avec 415 000 salariés.
Ainsi, l’agroalimentaire est l’un des atouts majeurs de notre pays. Sachons donc nous appuyer sur lui pour rééquilibrer notre balance commerciale. Je vous signale que ce secteur a réalisé 9 milliards d’euros d’excédent commercial en 2011 et que, la même année, il a contribué pour 14 % aux exportations françaises.
Monsieur le ministre, je renouvelle auprès de vous ma demande – je l’avais formulée systématiquement auprès de vos prédécesseurs – de voir le salon international de l’alimentation, le SIAL, aider les entreprises françaises à conquérir de nouveaux marchés, notamment dans les pays émergents. Aujourd’hui, le SIAL de Paris est surtout un salon touristique qui sert de tremplin aux entreprises étrangères face à quatre distributeurs français qui représentent 80 % de notre chiffre d’affaires. Autrement dit, la France est le seul pays au monde qui finance la concurrence sur son propre sol ! (M. Jean-Claude Lenoir acquiesce.)
Enfin, que dire de la politique menée par la BCE, qui a soutenu pendant dix ans un euro fort au détriment des économies européennes, à l’exception de l’économie allemande ? Pour que nos entreprises puissent exporter, nous avons besoin d’un euro plus compétitif ! L’aéronautique a payé un lourd tribut à la politique monétaire de la BCE. Essayons d’améliorer la situation.
Nous devons également corriger les défauts chroniques de notre système éducatif, qui n’a jamais établi de réelles passerelles entre le monde éducatif et le monde du travail et des entreprises. (M. Jean-Claude Carle acquiesce.) Il ne faut pas oublier que la formation professionnelle, en ajustant l’offre et la demande de compétences, est une condition essentielle du développement de la compétitivité des entreprises.
Par ailleurs, je pense, comme beaucoup, que la flexibilité du temps de travail est une nécessité absolue.
La part de l’emploi total assurée par les PME de 20 à 499 salariés est restée stable en dix ans : 53 % en moyenne du total des emplois salariés. C’est donc que les PME, même en pleine crise, ont manifesté une réelle volonté de maintenir les emplois. Sachons le reconnaître et le souligner !
Afin de favoriser l’emploi en alternance, j’avais suggéré, il y a deux ans, d’imposer aux entreprises un contrat d’emploi en alternance par tranche de trente à cinquante emplois. Cette mesure aurait permis l’entrée dans le monde du travail de 60 000 à 80 000 jeunes chaque année. Or l’expérience prouve que 70 % des jeunes en alternance restent dans leur entreprise parce qu’ils y sont bien acceptés et qu’ils se la sont appropriée. De surcroît, ce système coûterait infiniment moins cher que les emplois d’avenir, dont la plupart sont, à mon sens, sans avenir. En effet, les collectivités territoriales susceptibles d’offrir ces emplois devront elles aussi réaliser des efforts de compétitivité et alléger leurs charges.
Je poursuivrai par quelques développements relatifs au secteur du BTP et à l’artisanat.
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure.
M. Alain Chatillon. Monsieur le président, puis-je terminer mon intervention ?
M. le président. Faites-le très vite, alors, car vous avez déjà dépassé votre temps de parole de près de 50 % !
M. Jean-Louis Carrère. Vous savez peut-être gérer les entreprises, mais sûrement pas votre temps de parole !
M. Alain Chatillon. La TVA dans le bâtiment a doublé en deux ans, ce qui fait peser une menace importante sur le secteur. Songez, mes chers collègues, que 40 000 emplois vont être supprimés en deux ans !
Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, je vous rappelle que Dexia n’a toujours pas été remplacée. Les 19 milliards d’euros de financements assurés autrefois par cette banque manquent aujourd’hui aux collectivités territoriales, qui ne peuvent plus financer les emplois de proximité, notamment dans le domaine de l’artisanat et dans les petites entreprises.
Pour finir, j’abordai la question de la Banque publique d’investissement. La parité entre l’État et les collectivités territoriales, c’est très bien. Seulement, un problème se pose sur lequel j’avais déjà attiré l’attention de M. Jouyet lors de son audition, en novembre dernier, par la commission des affaires économiques : intégrer OSEO et le FSI nécessitera une assemblée générale et un audit d’évaluation. Je crois qu’on aurait pu procéder à cette fusion en deux temps.
En outre, la question du partage des responsabilités entre le ministère des finances et les régions n’est pas tranchée. La plupart des régions étant engagées aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations dans des sociétés de financement régionales, elles auront des arbitrages à faire.
Monsieur le président, mes chers collègues, je n’en dirai pas plus, car j’ai dépassé mon temps de parole. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Vous l’avez dépassé de beaucoup !
M. Alain Chatillon. Permettez-moi simplement de souligner que nous avons des décisions importantes à prendre. Monsieur le ministre, le monde de l’entreprise et les salariés attendent ces décisions ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie européenne représente un potentiel impressionnant de savoir-faire : 2,3 millions d’entreprises emploient 35 millions de salariés, qui produisent plus de 1 600 milliards d’euros de valeur ajoutée par an.
Pourtant, la crise mais aussi la mondialisation ont fortement mis à mal notre industrie. En effet, celle-ci connaît un recul qui se manifeste par des signaux particulièrement inquiétants : pertes d’emplois, stagnation de l’effort d’innovation, déséquilibres commerciaux. À titre d’exemple, au cours des dix dernières années, l’Europe a accumulé près de 1 200 milliards d’euros de déficit commercial dans ses échanges de produits manufacturés avec la Chine.
En France, nous subissons ce recul de plein fouet ; les conséquences en sont extrêmement préoccupantes pour notre économie. Heureusement, ayant pris la mesure du problème, le Gouvernement a déjà commencé de mettre en place un arsenal complet de mesures, combinant des actions d’urgence avec des actions à plus long terme. Des efforts particuliers sont réalisés en direction des PME et PMI.
La France compte 2 550 000 PME, qui représentent plus de 97 % de ses entreprises et emploient près de 7 millions de salariés. Pour ces entreprises, l’une des mesures les plus importantes prises par le Gouvernement est la création de la Banque publique d’investissement, qui permettra notamment de diminuer les conséquences des délais de paiement.
Le fait est qu’en 2011 la réduction des délais de paiement engagée depuis 2008 a malheureusement marqué le pas. C’est ainsi qu’un tiers des entreprises françaises voient toutes leurs factures réglées au-delà de soixante jours, ce qui fragilise leur situation financière.
Cependant, depuis le début de l’année, un fonds spécifique créé au sein de la BPI permet de garantir des crédits accordés par les banques privées ; les décisions sont prises totalement au niveau local, avec un délai de réponse de quelques jours. Cette décentralisation de l’action de la BPI est indispensable et particulièrement utile à nos entreprises.
Une autre piste pour aider les PME et PMI consiste à améliorer le fonctionnement du marché de l’assurance-crédit. L’assurance-crédit, qui permet aux entreprises de se garantir contre le risque de non-paiement d’une créance, peut constituer un outil efficace de protection contre les aléas économiques. Seulement, il apparaît que l’organisation de ce marché ne permet pas à l’ensemble des entreprises d’y avoir accès. Un travail doit donc être mené dans ce domaine. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez annoncé une consultation de l’ensemble des acteurs en vue de favoriser le développement de l’assurance-crédit par le biais de contrats de filière.
Je voudrais maintenant aborder la dimension européenne de la politique industrielle, notamment les obligations légales qui pèsent sur nos entreprises par comparaison avec celles qui pèsent sur les entreprises des pays extérieurs à l’Union européenne.
Indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur, la politique européenne de la concurrence est l’une des plus exigeantes au monde. Rares, en effet, sont les pays qui disposent d’une législation aussi restrictive en matière d’aides d’État.
Or, face au recul de l’industrie européenne, le succès du géant chinois est tout à fait impressionnant : au cours des cinq dernières années, la Chine a augmenté de 7,7 % sa part dans la production manufacturière mondiale ; cette part s’établit aujourd’hui à 21,7 %, ce qui place la Chine devant les États-Unis et l’Europe. Le fait est que les aides d’État substantielles dont bénéficient les entreprises chinoises jouent un rôle non négligeable dans ces bons résultats, tandis que la Commission européenne les encadre très strictement, et même parfois de manière obsessionnelle. La concurrence déloyale à laquelle les pays de l’Union européenne sont ainsi confrontés est incontestablement un frein pour notre économie.
Il faut exiger des pays qui adhèrent à l’Organisation mondiale du commerce qu’ils respectent les normes édictées par l’Organisation internationale du travail, voire renforcer ces exigences pour contrecarrer le dumping social.
En dépit de cette situation d’inégalité face à ses concurrents, l’Europe tente quelques réactions. Ainsi la Commission européenne s’est-elle saisie du problème de la baisse de la production industrielle en se fixant comme objectif de porter la part de l’industrie dans le PIB européen de 15,6 % aujourd’hui à 20 % en 2020. Pour atteindre cet objectif, les efforts en direction de la recherche sont absolument essentiels, car nous savons bien qu’il faut toujours avoir un temps d’avance sur ses concurrents.
Le programme Galileo, par exemple, est une formidable initiative. Ce projet de navigation par satellite présente de multiples intérêts : il met à contribution le meilleur de la recherche et de la technologie européennes dans le domaine spatial et il assurera à l’Europe l’autonomie qui lui manque pour identifier les lieux où il convient d’intervenir. Ce système aura des applications pour le sauvetage de vies après les catastrophes, la couverture de missions de la paix, la sécurité des transactions financières et, de manière massive, pour les transports en tous genres.
Galileo participe à la compétitivité internationale de l’industrie européenne dans le secteur, en pleine croissance, des services et des applications de la navigation par satellite : le marché mondial est évalué à plus de 240 milliards d’euros en 2020. Félicitons-nous donc de la réalisation de ce projet emblématique, dont les quatre premiers satellites seront lancés cette année depuis la base de Kourou. Galileo, c’est l’exemple type de ce qu’il convient de faire !
Tous les espoirs peuvent être permis à l’industrie européenne et française, mais il faut que plusieurs conditions soient réunies.
D’abord, une vraie volonté politique est nécessaire ; je pense que notre Gouvernement en fait preuve. Ensuite, il faut une détermination sans faille à mettre la finance européenne et française au service de notre économie, particulièrement de notre industrie, en condamnant fermement toute dérive spéculative. Il faut aussi une vigilance dans le soutien que nous apportons à notre tissu de PME et PMI, pour encourager les relations gagnant-gagnant avec les grosses entreprises. Enfin, il ne faut pas avoir la naïveté de soutenir la concurrence libre et non faussée sans surveiller, avec la même rigueur, le respect des droits sociaux chez nos partenaires commerciaux.
Le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, ne manquez pas de volonté. Cette attitude nous convient, raison pour laquelle nous vous soutenons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la brièveté du temps qui m’est imparti m’obligera à être schématique ; j’espère toutefois ne pas être trop simpliste.
Mon intervention portera essentiellement sur un sujet rarement évoqué : l’intensité capitalistique croissante exigée par l’emploi industriel. Monsieur le ministre, ce phénomène couvre une période de dix à vingt années ; trois Présidents de la République, cinq Premiers ministres et quatre politiques différentes n’ont pas réussi à y faire face. Je n’ai donc contre vous aucun grief personnel. Je veux seulement attirer votre attention sur l’absolue nécessité de répondre aux besoins liés à l’augmentation de l’intensité capitalistique des activités industrielles.
Le diagnostic, très simple, a été rappelé avec beaucoup de brio par nos collègues Vincent Capo-Canellas et Alain Chatillon : l’industrie française est en recul. J’insiste sur le fait que ce recul s’observe, en termes de parts de marché, non seulement par rapport aux pays industriels, mais aussi par rapport aux seuls pays de la zone euro. Autrement dit, nous régressons alors que d’autres pays de la zone euro réussissent. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que l’euro serait la seule explication des difficultés industrielles de notre pays !
Sur la période 1990-2012, on observe une quasi-stagnation de la productivité globale des facteurs, c'est-à-dire celle qui résulte de la combinaison du travail, du capital et de ce facteur résiduel qu’est la liberté d’initiative, la libre entreprise, avec la réglementation la plus adaptée.
On constate également un trop faible niveau des marges des entreprises industrielles françaises. Il faut le répéter inlassablement : dans la zone euro, il est de 10 points inférieur à la moyenne européenne. En effet, celle-ci est de 38 %, alors que nous sommes à 28 %, en légère régression depuis douze ans puisque nous étions à 31 %. Quand vous faites moins de marges, vous avez évidemment moins de facultés pour investir !
La part qui est consacrée en France à la recherche et développement, en pourcentage du PIB, est en apparence plus faible que, notamment, chez nos voisins allemands, auxquels nous nous comparons souvent. Cependant, en pourcentage des marges, nous sommes au même niveau que les Allemands. C’est donc bien le problème de la rentabilité des entreprises françaises qui est posé. Lorsqu’elles ont des marges suffisantes, elles peuvent investir dans la recherche. Malheureusement, leurs marges sont beaucoup plus faibles que celles des entreprises allemandes.
Enfin, toujours en ce qui concerne le diagnostic, nous avons une forte croissance de l’intensité capitalistique, c’est-à-dire le capital nécessaire pour créer de la richesse ou soutenir un emploi. Je pense profondément que cette intensité capitalistique est une chance pour notre pays, à condition, naturellement, d’y faire face et de répondre aux besoins en capitaux.
Au fond, trois lectures de cette augmentation de l’intensité capitalistique sont possibles.
Si vous me permettez de m’amuser un peu, je dirai qu’il y a d’abord la lecture marxiste classique, qui consiste à dire qu’il s’agit du rendement décroissant du capital : c’est la faillite du système capitaliste ! Je dirai simplement qu’une génération de mode de production connaît une productivité asymptotique. À un certain moment, il est nécessaire de changer de système de production, à condition, naturellement, d’avoir des partenaires politiques. Je pense, par exemple, à la production de l’énergie, qui accepte des changements de production sans s’arc-bouter sur des systèmes hors des réalités économiques.
On peut avoir une deuxième lecture, parfaitement libérale, celle qui est ancrée dans notre pays. Nous avons une intensité capitalistique plus forte en France en raison d’une réglementation de l’utilisation de l’outil de travail qui est beaucoup plus stricte et rigide, et qui demande plus de capitaux pour moins d’emplois, et cela pour une raison très simple : l’absence de flexibilité dans l’utilisation de l’outil de travail.
Quant à la troisième lecture que l’on peut faire de l’intensité capitalistique, elle relève d’une analyse à laquelle je crois profondément : le triangle vertueux dans lequel la production résulte à la fois du travail, du capital et de la libre initiative, c'est-à-dire la possibilité d’entreprendre, d’imaginer, de créer, sans être en permanence paralysé par le principe de précaution. Dans cette configuration-là, il faut accepter d’équilibrer nos atouts.
Après tout, tant pis si nous n’avons pas l’atout du coût salarial. Ce n’est pas grave ! Forçons l’atout du capital, c’est-à-dire de la très forte valeur ajoutée. Cela nécessite de lourds investissements à la fois en formation de notre main-d’œuvre – Alain Chatillon l’a évoqué – et en outils de travail. Naturellement, cela suppose que les entreprises aient un objectif de rentabilité et dégagent des marges ! En effet, monsieur le ministre, il n’y aura pas d’industrie sans capitaux, ni de réussite sans profits. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. Jean-Claude Lenoir. Analyse brillante et pertinente !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce qui me concerne, j’évoquerai un secteur industriel qui, s’il n’est pas sinistré, soulève néanmoins un certain nombre de questions, je veux parler de l’industrie pharmaceutique.
Au préalable, je relève qu’au même titre que l’aéronautique, le spatial, voire l’agroalimentaire, le secteur de l’industrie pharmaceutique, en dégageant des excédents, permet de limiter en quelque sorte la « casse » quant à notre commerce extérieur.
Mais l’actualité nous rattrape ! En effet, Sanofi-Aventis, quatrième laboratoire mondial, réalise un chiffre d’affaires évoluant entre 35 milliards et 40 milliards d’euros, pour des bénéfices qui se situent entre 5 milliards et 9 milliards d’euros par an. Cette bonne santé se traduit par son placement au sein du CAC 40, où il est lancé avec Total dans une course-poursuite pour détenir la première place, que l’un et l’autre occupent alternativement.
Pourtant, on annonce une réorganisation de ce laboratoire qui serait finalisée en 2015, l’objectif avancé étant de muscler la recherche et développement, en y injectant d’ailleurs 2 milliards d’euros par an.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes si ce constat correspondait au diagnostic réalisé par les salariés de Sanofi. Or tel n’est pas le cas, c’est le moins que l’on puisse dire !
Dans le cadre de cette réorganisation annoncée, en effet, il est envisagé de supprimer 1 000 postes. Vous avez d’ailleurs, monsieur le ministre, avez fait en sorte de diminuer l’étiage en la matière puisqu’il était initialement question de supprimer 1 000 à 2 000 postes. Bien entendu, ces suppressions de postes s’accompagnent de la disparition de sites. Je note que huit ont déjà disparu en cinq ans et que, sur les neuf centres de recherche existants, quatre seulement doivent être conservés, deux d’entre eux dans la région parisienne, les autres à Lyon et à Strasbourg.
Une telle perspective, on le comprendra, ne fait l’affaire ni du site de Toulouse ni de celui de Montpellier, où seraient respectivement remis en cause 600 et 300 postes. Depuis près de huit mois, on assiste donc à une mobilisation très importante, qui du reste ne mollit pas, des employés de ces deux sites. Ils font valoir un certain nombre d’arguments très pertinents, que je ne suis pas le seul à partager.
Ils constatent d’abord que la masse des dividendes distribués aux actionnaires a enregistré une augmentation pour le moins spectaculaire puisqu’elle a doublé en dix ans ! On est fondé à se demander si, mécaniquement, ce qui va aux actionnaires est autant qui ne va pas à la recherche et développement. Mes chers collègues, cela s’appelle tout simplement la financiarisation de l’activité !
Dans le même temps, s’agissant de l’ensemble de l’industrie pharmaceutique, on observe que de plus en plus de molécules tombent dans le régime des génériques et rapportent donc moins d’argent aux laboratoires. Il arrivera même un moment où ces derniers seront en situation difficile s’ils ne se donnent pas les moyens d’avoir deux ou trois molécules d’avance. Par conséquent, de mon point de vue et de celui de nombreux observateurs, ce n’est vraiment pas le moment de baisser la garde en matière de recherche !
Notons aussi que le même laboratoire n’hésite pas à externaliser sa recherche du côté soit des laboratoires publics, soit des start-up considérées, de manière lapidaire, comme des prestataires de services, le tout, bien sûr, pour diminuer les frais fixes de recherche qui sont situés jusqu’à présent en interne. On est en droit de se demander à partir de quel moment il y aura effectivement une rupture.
Parallèlement, même s’il existe encore, au niveau de ces laboratoires, des produits phares – je pense notamment à Lantus –, on semble mettre un peu plus l’accent sur les vaccins – c’est un moindre mal ! –, les médicaments délivrés sans ordonnance, la santé animale, voire ce qu’on appelle des alicaments ; eu égard au rapprochement avec Coca-Cola, ce sont surtout des inquiétudes que ces alicaments nous permettent de nourrir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Ces inquiétudes sont d’ailleurs partagées par l’immense majorité des salariés de Sanofi. En effet, ils sont conscients non seulement des répercussions sur la stratégie industrielle de leur laboratoire, mais aussi du fait que l’on va ainsi les faire sortir de leur cœur de métier, un métier qu’ils aiment, qu’ils pratiquent avec talent, et qui consiste tout simplement à rechercher des médicaments destinés à soigner les gens.
Monsieur le ministre, quel est votre sentiment à ce sujet et, surtout, quelles sont vos intentions ? En vous posant ces questions, je n’ignore pas que, depuis maintenant huit mois, vous observez cette situation et que vous ne vous interdisez pas, il s’en faut, d’intervenir.
Il faut savoir que les laboratoires pharmaceutiques ont un sort particulier. En effet, par le biais des autorisations de mise sur le marché, les AMM, ils voient mécaniquement les produits qu’ils fabriquent remboursés par la sécurité sociale que les Français s’échinent à financer au jour le jour !
Par ailleurs, ils ont bénéficié et continuent de bénéficier du crédit d’impôt recherche. À cela s’ajoutent, s’agissant du site de Toulouse, les efforts consentis par les collectivités locales pour aménager l’Oncopôle dans les meilleures conditions. À mon sens, cela signifie très clairement que, dans ce dossier, les pouvoirs publics ont un droit, j’allais dire un devoir d’ingérence.
Monsieur le ministre, vous imaginez bien que vos réponses sont très attendues sur le site de Toulouse, qui est le plus exposé et où la colère sociale pourrait très rapidement éclater ! Les salariés ont d’autant plus raison de formuler des exigences et de demander des éclaircissements que, dans ce qui est finalement une partie de poker menteur face à la direction de Sanofi, la seule réponse qui leur est faite est qu’il n’y a pas urgence et qu’ils verront bien ce qui se passera d’ici à 2015 !
C’est dire, monsieur le ministre, avec quelle impatience nous attendons les conclusions du chargé de mission que vous avez bien voulu nommer et qui devra poser un diagnostic afin d’envisager un traitement.
Pour sa part, le groupe socialiste du Sénat a demandé la nomination d’un médiateur, afin de tenter, dans le cadre du traitement qui sera envisagé par le chargé de mission, de rassembler les points de vue des uns et des autres, le dialogue social étant aboli sur le site de Toulouse depuis maintenant huit mois !
Monsieur le ministre, je ne doute pas que vos réponses seront satisfaisantes. On a compris qu’il s’agissait, à travers cet exemple bien précis, d’un combat à moyen et à long terme concernant un problème de nature industrielle et aussi de santé publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie est au cœur des débats actuels et je m’en réjouis. Le leurre d’une transition vers une économie de services semble aujourd’hui ne plus avoir cours et l’industrie est de nouveau perçue comme une source essentielle de la croissance économique, pourvoyeuse d’emplois pérennes.
En effet, le constat est sans appel : les pays qui se portent le mieux sur le plan économique sont ceux qui bénéficient d’un tissu industriel fort ; c’est vrai en Europe comme dans les pays émergents. Par là même, ce sont aussi ceux qui ont les taux de chômage les plus bas.
Force est de constater que la France n’est plus dans le peloton de tête. Pour ma part, j’identifierai quatre raisons à la fois culturelles et structurelles qui expliquent cette situation.
Premièrement, nous n’avons pas su anticiper l’évolution du capitalisme. M. Gérard Longuet a abordé ce point tout à l’heure. Au capitalisme de production, des années de croissance à deux chiffres, qui a permis l’expansion de notre économie et le plein-emploi, a succédé, depuis la fin du XXe siècle, un capitalisme de spéculation, qui est souvent générateur d’exclusion et de délocalisations. Nous avons ainsi perdu des pans entiers de notre outil de production. Il est donc urgent de déplacer le curseur de la fiscalité au profit du secteur productif.
Deuxièmement, notre société n’aime pas beaucoup l’entreprise et l’entrepreneur. La France, peut-être davantage que d’autres pays, notamment l’Allemagne, n’a pas une bonne image de l’entreprise et de l’entrepreneur. En effet, si ce dernier réussit, il est souvent objet de suspicion et de contrôles en tout genre.
De plus, notre société n’a d’yeux que pour les cols blancs, rejetant très souvent les cols bleus. De ce fait, notre système éducatif hiérarchise les voies de formation, réservant essentiellement les voies professionnelles et l’apprentissage aux jeunes en situation d’échec.
Comment s’étonner que le taux de chômage des jeunes dépasse depuis des décennies les 20 %, alors qu’il est, si j’ose dire, de seulement 7 % en Allemagne et que des entreprises du secteur industriel ne trouvent pas le personnel qualifié dont elles ont besoin ?
Troisièmement, on observe, si l’on considère le profil de notre tissu industriel, un trop petit nombre d’entreprises de taille intermédiaire et un manque d’investissements en recherche et développement.
Notre tissu industriel est composé, d’un côté, de grands groupes, dont la situation est contrastée – certains enregistrent des résultats positifs, alors que d’autres, en particulier dans le secteur automobile, rencontrent de grandes difficultés –, et, d’un autre côté, de nombreuses PME et TPE.
Mon département, par exemple, concentre plus de 800 entreprises du secteur de la mécanique et d’activités connexes. Ces PME et TPE remplissent parfaitement leur fonction de production, mais, du fait de leur structure, elles n’ont pas les moyens nécessaires pour investir dans la recherche et développement et dans la commercialisation.
Par ailleurs, lorsqu’elles sont confrontées à des problèmes de transmission, elles sont reprises par des groupes étrangers. C’est non pas l’étranger en tant que tel qui m’inquiète, mais bien l’étranger à la culture de l’entreprise. En effet, les repreneurs se comportent le plus souvent en financiers plus qu’en chefs d’entreprise, ne se souciant que du haut de bilan.
Parallèlement, nous accusons un déficit important pour ce qui concerne les entreprises de taille intermédiaire, notamment par rapport à l’Allemagne. Pourtant, les ETI conjuguent à la fois réactivité, capacité à conquérir des marchés extérieurs et innovation.
Or l’innovation est incontestablement l’un des facteurs les plus importants de la compétitivité industrielle sur le marché mondial. Force est de constater les faiblesses françaises en la matière. Tous secteurs confondus, la France ne dépose que 304 brevets par an et par million d’habitants, contre 579 pour l’Allemagne, soit 48 % de moins.
Les entreprises allemandes investissent beaucoup plus dans la recherche et le développement : 38,7 milliards d’euros, contre 14,1 milliards d’euros en France.
Quatrièmement, le coût du travail est trop élevé. Chacun le sait, c’est l’un des principaux handicaps de l’économie française. De fait, les charges sociales pèsent lourdement sur les emplois français : elles représentent un coût de 15,3 milliards d’euros. Ainsi une PME française, dans la concurrence mondiale, part avec un handicap de 14 points par rapport à ses homologues allemands.
Pourtant, la France dispose d’atouts non négligeables : une compétitivité comparable à celle qui est observée outre-Rhin, une bonne productivité du travail et des performances encore remarquables dans certaines niches à l’export.
Face à cette situation, nous devons, si nous voulons développer notre tissu industriel, privilégier quatre axes.
D’abord, il faut redonner à nos compatriotes l’esprit d’entreprendre, et faire confiance aux entrepreneurs plutôt que les suspecter.
Ensuite, nous devons adapter notre système éducatif au projet du jeune, certes, mais surtout aux besoins de notre tissu industriel.
Par ailleurs, il est nécessaire de réduire les charges fiscales et sociales pesant sur nos entreprises. (Mme Christiane Demontès s’exclame.)
Enfin, il convient de modifier le profil de notre tissu productif, en favorisant l’émergence d’entreprises de taille intermédiaire.
Monsieur le ministre, votre gouvernement doit tout mettre en œuvre pour corriger les faiblesses que j’ai décrites, dans le cadre d’une politique industrielle agressive et efficace.
Cette politique doit être fortement soutenue par l’Europe. N’oublions pas, en effet, mes chers collègues, que c’est à partir de deux secteurs industriels stratégiques – le charbon et l’acier – que de Gaulle et Adenauer ont jeté les bases de l’Europe que nous connaissons.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Claude Carle. Si des réussites incontestables ont pu être réalisées – je pense notamment à l’aéronautique –force est de constater que la technocratie bruxelloise a largement étouffé l’Europe entreprenante et industrielle des débuts.
Il est donc urgent que l’Europe de la contrainte, de la concurrence intérieure, cède la place à celle des projets communs, de la croissance, donc de la confiance, et qu’elle acquière enfin toute sa dimension politique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les filières industrielles, celle de l’automobile est stratégique pour la France. L’économie française dans son ensemble est aujourd’hui affectée par les menaces qui pèsent sur cette industrie.
Même si elle est surtout présente dans certaines régions, l’industrie automobile représente un poids considérable dans notre pays, occupant 10 % des actifs et réalisant près de 20 % de la valeur ajoutée industrielle. En tout cas, elle joue un rôle essentiel dans la région Nord-Pas-de-Calais, deuxième région de France dans ce domaine. Sur le plan industriel, la filière automobile, moteur de l’économie régionale, est le premier employeur et le premier investisseur local. C’est dire si le Nord est durement frappé par la crise qui secoue aujourd’hui cette filière.
Depuis quelque temps, les difficultés du secteur automobile en France sont au cœur de l’actualité, avec le plan de suppression de 8 000 postes et la fermeture du site d’Aulnay chez PSA, les accords de compétitivité en cours de négociation chez Renault ou encore la fermeture annoncée du site Goodyear à Amiens.
Comme pour l’ensemble de l’industrie, l’année 2012 a en effet été particulièrement cruelle pour l’automobile. Toutefois, la situation de la filière n’est pas nouvelle et concerne tout le continent européen.
Depuis plusieurs années, la tendance est à un effondrement du marché européen de l’automobile, qui a subi une baisse de 21 % depuis cinq ans. Les immatriculations de voitures neuves en Europe affichent, en ce début d’année 2013, un nouveau recul de 8,6 % sur un an. Il s’agit, selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles, du « plus bas historique » depuis le début de cette série statistique, en 1990. La situation reste toutefois contrastée selon les pays et les groupes automobiles.
Aujourd’hui, l’industrie automobile européenne doit affronter de nouveaux concurrents à l’échelle internationale. Le marché européen est devenu un marché de remplacement et la demande a globalement basculé vers les pays émergents.
Nos deux constructeurs nationaux ont du mal à faire face aux nouveaux défis. Il s’agit avant tout d’une crise structurelle, amplifiée par une conjoncture particulièrement difficile.
Si la France conserve, en Europe, le deuxième rang en matière de construction automobile et si elle représente toujours 12,5 % des emplois du secteur au sein de l’Union, elle est passée en dix ans du quatrième au huitième rang mondial.
Sur 2,2 millions de voitures particulières vendues sur le marché français en 2011, la part des constructeurs français s’élevait à 56 %. Dans la période récente, leurs ventes baissent plus brutalement que le marché lui-même. Nos constructeurs subissent de plein fouet la crise économique et, par voie de conséquence, déstabilisent l’ensemble de la filière.
Parmi les facteurs de crise, relevons le fait que Renault et PSA se positionnent principalement sur le segment du milieu de gamme, qui continue à dominer le marché européen, mais au sein duquel la demande s’effondre, alors que, dans le même temps, ces deux entreprises couvrent insuffisamment d’autres marchés internationaux. Nos constructeurs demeurent donc, en ce sens, des généralistes dépendant de la demande des classes moyennes. Ils se trouveraient ainsi pris en tenaille entre les constructeurs des véhicules d’entrée de gamme fabriqués dans des pays à faible coût du travail et la domination de marques positionnées dans le haut de gamme.
Par ailleurs, ils souffriraient tous deux de gammes courtes et vieillissantes, ayant préféré préserver leurs marges, au détriment de certaines parts de marché et au prix de l’affaiblissement de leurs fournisseurs équipementiers. Pourtant, la filière automobile doit relever de lourds défis, en particulier en matière d’emploi et de formation, de maintien de la compétitivité et d’amélioration des réponses environnementales et techniques.
Un dialogue social renforcé permettrait une vraie gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Delphine Bataille. La formation reste essentielle. L’apprentissage et les formations en alternance doivent bénéficier chez nous du même intérêt que celui que leur accordent nos voisins d’outre-Rhin.
L’Union européenne doit aussi se doter d’une stratégie de soutien à sa production industrielle, revoir son cadre réglementaire et rétablir l’équilibre en matière de commerce international, face aux obstacles tarifaires élevés par certains pays.
En même temps, la France doit se préoccuper de ses propres facteurs de compétitivité. Les stratégies choisies par les constructeurs français et les impulsions données par l’État seront décisives. Bien entendu, les facteurs hors coûts, la qualité des produits, leur image et les services demeurent déterminants.
Par ailleurs, la refondation de la filière implique la réalisation de progrès dans la qualité des relations internes entre clients et fournisseurs. La sous-traitance actuelle doit faire l’objet d’un partenariat étroit et où chaque partenaire peut équitablement faire valoir ses exigences et ses contraintes.
Enfin, l’émergence d’un marché du véhicule décarboné et les progrès technologiques dans le domaine des véhicules électriques et des véhicules propres doivent être encouragés, ce qui contribuera à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des particules polluantes. (M. Roland Courteau approuve.)
Le rôle d’un État stratège est essentiel pour soutenir l’automobile et préparer l’avenir de la filière. C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous avez, avec le Gouvernement, lancé en juillet dernier un plan de soutien à la filière automobile, une plateforme permettant désormais aux constructeurs et aux équipementiers de travailler en synergie. D’ailleurs, quelques mois plus tard, la Commission européenne a adopté le plan d’action CARS 2020 pour une industrie automobile européenne forte, compétitive et durable.
Malgré une situation préoccupante, ces avancées contribueront, parmi d’autres à venir, à restaurer la compétitivité d’une filière qui possède encore de nombreux atouts en France et en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite évoquer l’avenir de l’industrie de la porcelaine et de la céramique en France, qui regroupe 7 000 emplois, dont 2 000 pour la porcelaine, sans compter les emplois indirects. Elle est implantée dans le Limousin, le Loiret, la Vienne, et d’autres départements français.
Depuis un certain temps, cette industrie est fortement fragilisée. Parce qu’elle possède un savoir-faire exceptionnel, elle est l’un des fleurons de notre culture industrielle.
Comme de nombreux secteurs industriels de notre pays, la porcelaine et la céramique connaissent une baisse d’activité due notamment à la concurrence internationale, et plus particulièrement asiatique, les pays en question pratiquant une politique de dumping commercial liée aux bas salaires ou à l’exploitation des travailleurs. Il s’est d’ailleurs produit la même chose voilà quelques années avec les pays de l’Est. Si une telle situation perdurait, c’est la filière elle-même qui disparaîtrait.
À la suite d’une plainte de la Fédération européenne des industries de porcelaine et de faïence de table et d’ornementation, relative à ces politiques commerciales contraires à l’esprit de concurrence, telles que la vente à perte, pratiquée par exemple par la République populaire de Chine et d’autres pays d’Asie, nombreux sont les parlementaires à avoir réclamé des mesures.
En accord avec vous, monsieur le ministre, la Commission européenne a donc mis en place en novembre dernier une réglementation instituant un droit anti-dumping provisoire sur les importations d’articles en porcelaine pour la table et la cuisine en provenance de Chine.
En effet, les parts de marché des produits chinois n’ont cessé de progresser en Europe, au détriment des entreprises de l’Union européenne : en quelques années, la vente de vaisselle chinoise en France est passée de 20 % à 67 %, ce qui a eu pour conséquence immédiate la chute de la production et du niveau d’emploi en France. Ces entreprises ont alors rencontré des difficultés financières.
La mesure européenne que je viens d’évoquer est prévue pour s’appliquer pendant seulement six mois. Or les importations massives de produits à des prix sous-évalués ont fait perdre au groupe Deshoulières-Apilco, leader français de la porcelaine implanté dans mon département, 300 emplois en cinq ans, soit la moitié de ses effectifs. Le groupe possède trois structures dans trois départements, la Vienne, le Loiret et le Cher. À Chauvigny, dans la Vienne, il emploie près de 100 personnes.
Il y a maintenant quelques années, les collectivités ont accompagné, la société dans son développement. Elle est aujourd’hui soutenue en partie par des capitaux étrangers, ce qui freine son refinancement par des institutions françaises, et notamment par OSEO. Il faut comprendre que, pour cette entreprise qui est à l’origine du label « origine France garantie » et est en mesure de développer l’emploi sur notre territoire, une telle situation est ubuesque. J’estime que les partenariats avec les pays étrangers hors Union européenne devront être revus.
Monsieur le ministre, une mesure provisoire ne permettra pas de résoudre en profondeur les difficultés de l’industrie porcelainière française, qui, chaque jour, fait référence par son savoir-faire. Accompagner financièrement toute la filière est une nécessité. Je sais que vous êtes attentif à cette question.
Je souhaite donc que des mesures directes et concrètes soient prises pour soutenir les entreprises du secteur de la porcelaine, fleuron de notre culture industrielle, dont dépendent des milliers d’emplois dans notre pays.
Pouvez-vous me dire, monsieur le ministre, ce qui peut être fait dans ce domaine ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en janvier 2013, le groupe Renault a cédé les actions – actions avec droit de vote – qu’il détenait encore dans le capital de Volvo AB, constructeur de poids lourds, et annoncé que le produit de cette cession, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, serait affecté à des investissements dans les usines françaises du groupe, mais aussi en Chine et en Russie.
Cette décision stratégique apparaît favorable à l’industrie française dans la mesure où elle devrait permettre de renforcer la base industrielle des sites français de construction de voitures individuelles. Cependant, il ne faut pas oublier que Volvo AB contrôle à 100 % Renault Trucks, fabricant français de poids lourds.
Ce dernier emploie 14 000 salariés dans le monde, dont plus de 10 000 en France, répartis sur les sites de Bourg-en-Bresse, de Blainville-sur-Orne, de Limoges, de Saint-Priest et de Vénissieux, et fait travailler un nombre très important de sous-traitants français.
La première conséquence de cette cession est que Volvo AB aura les mains totalement libres pour décider de l’avenir de Renault Trucks. Quant au groupe Renault, il n’aura plus son mot à dire sur son ancienne activité poids lourds.
Or le secteur des poids lourds connaît une profonde crise, probablement plus importante encore que celle que traverse le secteur automobile.
Face à la crise, Volvo AB s’est restructuré non plus par marques, comme il l’a déjà fait précédemment avec Mack, Volvo, Renault Trucks ou UD Trucks, mais par aires géographiques – Europe, Asie, Moyen-Orient, Amérique, etc. –, ce qui laisse la porte ouverte à d’éventuels transferts d’activités en Europe.
En outre, depuis novembre dernier, plus de 4 000 salariés de Renault Trucks sont touchés par des mesures de chômage partiel en raison de l’effondrement du marché en Europe. Il est prévu 21 jours de chômage partiel au cours du premier trimestre 2013.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, ma première question est la suivante : Volvo AB a-t-il donné des garanties sur le maintien des sites de Renault Trucks en France et sur la place de cette marque dans la stratégie mondiale du groupe ?
Par ailleurs, deux autres industriels sont présents en France dans le secteur des poids lourds : Iveco, qui fabrique à Bourbon-Lancy tous ses moteurs diesels de forte puissance vendus à travers le monde pour les autobus, autocars, camions et machines agricoles ; Scania, qui assemble à Angers, depuis 1992, des camions et tracteurs gros porteurs de plus de 16 tonnes destinés au marché du sud de l’Europe, notamment la France.
Monsieur le ministre, cela m’amène à ma deuxième question : en plus du pôle de compétitivité Lyon Urban Truck & Bus, envisagez-vous d’autres mesures pour soutenir la filière française du poids lourd dans cette période de crise ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aborder les enjeux de l’industrie au cœur d’une crise d’une rare violence et d’une telle amplitude incite à se concentrer sur un sujet particulier. J’évoquerai celui de l’énergie, sujet que le rapport Gallois a d’ailleurs mis au cœur de sa problématique et qui devrait trouver toute sa place dans le débat sur la transition énergétique.
Vous me permettrez d’évoquer préalablement un sujet d’actualité pour le grand Sud-Est, à savoir les récentes décisions de la CRE – Commission de régulation de l’énergie – d’autoriser des centrales biomasse, dont celle d’E.ON, pour une capacité comprise entre 800 000 et 1 million de tonnes, et une autre à Brignoles, pour une capacité comprise entre 200 000 et 250 000 tonnes. Ces deux projets, autorisés dans une région qui dispose d’un gisement insuffisant en bois-énergie, se sont vu de surcroît accorder une dérogation de production de chaleur au moment même où un rapport, publié en décembre 2012, disqualifiait la politique énergétique misant sur la biomasse forestière pour produire de l’électricité, estimant que les grandes centrales à biomasse, incapables de mobiliser de nouvelles ressources en bois énergie, fragilisaient les filières existantes.
Or c’est tout le grand Sud-Est, avec les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes, qui se trouvera déstabilisé (Mme Christiane Demontès approuve.), les industries fortement consommatrices de déchets bois dans leur processus de fabrication représentant plusieurs centaines d’emplois, à commencer par la papeterie de Tarascon et par la papeterie Cascades, en Savoie, qui ont de surcroît la particularité, en matière de développement durable, de pouvoir retraiter sept fois leur ressource bois.
Ce sont, monsieur le ministre, des centaines d’emplois qui seront fragilisés, voire, pour un certain nombre d’entre eux, détruits, si ces deux projets de centrale devaient être menés à terme.
Je vous interpelle parce que cette situation, parfaitement connue, semble être vécue par les autorités comme une fatalité, alors qu’elle n’a encore rien d’irréversible.
Mais ce sujet, pour important qu’il soit, ne saurait m’écarter du thème central que je souhaite aborder, à savoir la filière industrielle, plus particulièrement la filière électro-intensive.
On connaît votre engagement pour l’industrie et j’ai pu mesurer votre détermination, dont je vous sais gré, en faveur de la filière aluminium, avec la situation particulière de Rio Tinto Alcan, anciennement Pechiney. Je ne tenterai donc pas de vous convaincre de la nécessité de défendre notre industrie et de l’importance du secteur des électro-intensives, qui représente des dizaines de milliers d’emplois, davantage encore avec le secteur aval.
La France, qui, avec le nucléaire, disposait d’une énergie à bas coût et d’un modèle lui permettant de répondre avec succès aux besoins de son industrie, se trouve aujourd’hui concurrencée par tous les grands pays industriels qui ont fait de l’énergie, pour l’essentiel très carbonée, leur arme industrielle.
L’exemple d’actualité est bien évidemment celui des États-Unis, avec le gaz de schiste.
Le paradoxe, c’est que l’Allemagne, qui faisait jeu égal avec la France voilà quinze ans et qui a su conserver son potentiel industriel tandis que le nôtre se réduisait de moitié, a su maintenir sa position avec une énergie dont le coût était plus élevé qu’en France, mais qui était mise à la disposition de son industrie à un prix plus bas.
Y a-t-il une fatalité ? Non ! Mme Batho a invité au débat national de la transition énergétique Peter Altmaier, ministre fédéral allemand de l’environnement. Je la félicite de cette initiative et conseille à tous de prendre connaissance avec la plus grande attention de la déclaration qu’a faite celui-ci. Parmi les cinq priorités des politiques de transition énergétique allemandes, j’en retiens une, qui est parfaitement claire : les compensations financières pour les industries électro-intensives.
Un seul exemple illustre cette démarche volontariste. La France a intégré dans la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », pour les gros consommateurs, le dispositif de l’effacement et du marché capacitaire, qui, pour être opérationnel, nécessite que soit mobilisé un budget. Or, en un an, les Allemands ont adopté ce même mécanisme d’effacement, dont ils attendent 3 000 mégawatts pour 2014, et lui ont consacré un budget de 350 millions d’euros, en qualifiant clairement celui-ci de « subvention à l’industrie ».
L’industrie française, qui représentait 36 % de la consommation d’électricité dans les années quatre-vingt, n’en représente plus que 21 % à ce jour, soit 125 térawatts, dont environ 70 pour les électro-intensives.
Les besoins qu’a l’industrie d’une énergie à un prix compétitif sont-ils en contradiction avec le mix énergétique et l’apport massif des énergies renouvelables ? Non, bien au contraire, j’en ai la conviction.
Si le nucléaire constitue un avantage avec une base à faible coût, les énergies renouvelables nécessitent régulation et équilibre, mais, en même temps, elles peuvent offrir, à un certain moment, une énergie à un coût marginal.
De toute évidence, la transition énergétique impose un nouveau modèle économique qui repose sur la contribution à la régulation et à l’équilibre de la production, qui peut être à la fois la réponse à l’usage des énergies renouvelables et la réponse aux besoins de l’industrie, tout particulièrement des industries électro-intensives.
Si j’ai volontiers évoqué le modèle allemand, ce n’est pas pour en faire un exemple, car je suis convaincu qu’un nouveau modèle est à construire. Néanmoins, la pratique allemande pose des prémisses. Elle nous impose de travailler à un modèle européen, de lui donner un cadre législatif solide et une force économique qui permette à l’Europe de défendre son industrie face à des productions mondiales qui auront toutes un jour à relever le défi des politiques décarbonées.
Ces choix sont urgents. Pour la première année, la France, qui était exportatrice nette d’électricité vers l’Allemagne, est devenue largement importatrice. Par ailleurs, les industries électro-intensives arrivent au terme de leur contrat d’approvisionnement électrique à bas coût.
Le débat national sur la transition énergétique est une vraie opportunité, et je remercie Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, d’avoir saisi Mme Delphine Batho afin que l’enjeu industriel soit pris en compte.
Le marché du charbon et de l’acier a été à l’origine d’une Europe qui s’est bien peu préoccupée de son industrie depuis. Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas que la transition énergétique soit l’occasion de créer l’Europe de l’énergie pour sauver notre industrie et lui donner toute sa place dans un débat auquel, à ce jour, elle n’a pas beaucoup été associée ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat montre que la désindustrialisation a malheureusement pris racine dans la vie économique française, provoquant des dégâts impressionnants dans le domaine économique, certes, mais aussi et surtout en matière sociale. C’est en effet en grande partie à la désindustrialisation que nous devons le chômage de masse que nous connaissons.
Comme le disait Hannah Arendt, qui a beaucoup scruté l’Europe, « ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire ».
Eh bien, essayons de comprendre ce qui se passe, efforçons-nous d’agir sur des facteurs de croissance et cherchons à retrouver une culture commune afin de faire de l’industrie une véritable cause nationale.
En premier lieu, nous devons comprendre qu’il n’y aura pas d’avenir et que la France ne sera pas une grande nation si elle ne retrouve pas un socle industriel puissant.
En second lieu, nous devons articuler notre politique entre une stratégie globale volontariste et une stratégie de filières. Les deux sont intimement liées. Sans une volonté politique très forte liée à une stratégie de filières, il n’y aura pas de réindustrialisation.
À cet égard et pour avoir assisté à l’installation du Conseil national de l’industrie, je peux dire que l’ensemble des partenaires sociaux reconnaissent le volontarisme du Gouvernement et, en particulier, du ministère du redressement productif.
Une politique de filière, c’est avant tout une politique visant à inciter les grands groupes et les entreprises de toute taille à travailler ensemble, à tisser des relations de coopération et de complémentarité dans le cadre d’écosystèmes productifs, mêlant intimement recherche industrielle et développement.
Plusieurs intervenants l’ont souligné, notre industrie a besoin d’une montée en gamme, ce qui passe par l’innovation, et celle-ci ne doit pas être réservée à quelques grands groupes : elle doit être diffusée dans l’ensemble de nos entreprises. C’est pourquoi le crédit d’impôt recherche doit aussi bénéficier à nos PME et TPE.
Qui peut croire que notre industrie automobile, par exemple, a un avenir sans une montée en gamme ? À ce qu’en a déjà dit Delphine Bataille j’ajouterai que ce qui rendra cette montée en gamme possible sera sa capacité à mettre au point très rapidement un moteur écologique de deux litres. Il nous faut en effet repenser nos modes de déplacement : si nous relevons ce défi, nous donnerons un avenir à notre industrie automobile !
Dans le domaine de l’agroalimentaire, nous sommes placés devant un choix : aller vers le bas de gamme ou vers des produits de moyenne ou de haute gamme qui feront la différence avec les produits low cost qui vont arriver sur le marché et avec lesquels nous ne pourrons sinon pas rivaliser ?
Nous devons aussi engager, on l’a dit, une politique européenne. L’Europe a cru que la mise en concurrence en son sein des différents pays européens suffirait à faire une politique industrielle. Or, nous avons besoin de grands investissements, de grands emprunts européens. Nous devons pouvoir nous appuyer sur des politiques de grands travaux, mais aussi sur une politique industrielle pensée au niveau de l’Europe.
De ce point de vue, monsieur le ministre, la nécessité de la réciprocité devient évidente. Savez-vous comment les États-Unis ont conservé leur filière photovoltaïque ? Eh bien, ils ont décidé, en quarante-huit heures, de bloquer l’importation des panneaux photovoltaïques en provenance de Chine ! Quand l’Europe affichera-t-elle la même volonté politique ?
M. Martial Bourquin. Enfin, mes chers collègues, il n’y a pas d’avenir industriel sans politique de croissance. Et je ne pense pas à une croissance uniquement productiviste ; je pense à une croissance nouvelle, fondée sur la demande en énergies renouvelables, sur les besoins en isolation des bâtiments, mais aussi sur les nouvelles technologies ou sur la filière bois.
Les biotechnologies recèlent des capacités incroyables. Nous ne retrouverons plus l’industrie d’hier ; nous devons construire l’industrie de demain.
Dans cette optique, les délais de paiement restent trop longs. L’Observatoire des délais de paiement vient de rendre son verdict : ces retards ont privé nos PME et TPE de quelque 11 milliards d’euros de trésorerie. Nous devons absolument mieux réguler les délais de paiement entre les grands donneurs d’ordre et les PME-TPE.
Une mission gouvernementale m’a été confiée par le ministère du redressement productif afin précisément de rechercher les moyens de remédier à cette situation : pour certaines de nos entreprises, c’est du cash indu ; pour d’autres, c’est un défaut d’investissement, notamment dans l’innovation.
Enfin, mes chers collègues, n’oublions pas les trois « i » : industrie, investissement, innovation ! J’y ajoute un « f » : la formation. Si nous assurons ces trois « i » et si nous restons animés par la volonté farouche de retrouver un socle industriel puissant, il y aura un avenir pour notre industrie. À voir votre ministère déployer ses activités pour que notre pays passe de la désindustrialisation à la réindustrialisation, nous y croyons, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « jamais un pays n’aura mené une politique aussi contraire à ses intérêts qu’aujourd’hui ».
Ce constat éminemment provocateur de l’économiste Christian Saint-Étienne appelle à la réaction, au réveil, à l’urgence de repenser notre modèle économique et industriel. La fiscalité punitive et le marché sclérosé du travail ne lui donnent, hélas ! pas tort.
Ayons la lucidité et la modestie de faire notre autocritique et d’agir en conséquence. Le rapport Gallois est la base de ce futur rebond : mettez-le en œuvre. La Cour des comptes est notre conscience budgétaire : écoutez-la !
Nos politiques industrielles furent de tout temps et demeurent orientées vers nos grands groupes, ces vitrines de notre économie qui pourtant ne créent plus d’emplois en France, et non vers les PME, qui génèrent, elles, le plus d’emplois industriels. Notre économie crée de nombreuses entreprises mais ne parvient pas à les faire grandir.
Trois éléments sont cruciaux pour l’avenir de notre industrie : l’investissement, obéré par la complexité administrative et une fiscalité décourageante ; la formation, car nous ne serons compétitifs que dans l’excellence ; l’envie enfin. Donnons envie à nos étudiants, à nos cadres, à nos entrepreneurs, aux investisseurs de rester ou de venir en France !
Nous connaissons tous les atouts, l’excellence, le potentiel d’innovation de notre pays. En contraignant les moteurs de notre économie à l’exil par une fiscalité confiscatoire et une atmosphère d’hostilité, vous rejetez toute une fraction de la population qui le fait prospérer. Vous devriez plutôt créer les conditions de leur épanouissement en France, en les associant et non en les excluant, grâce au dialogue.
L’absence de dialogue à tous les niveaux est un problème majeur dans un marché du travail englué dans des procédures administratives kafkaïennes et vicié par une atmosphère de lutte des classes d’un autre âge. Le rapport de force est-il le seul moyen de négociation ?
Monsieur le ministre, provoquez le dialogue entre le monde de l’entreprise et l’État, promouvez le dialogue interentreprises, encouragez le dialogue entre syndicats et patronat, comme l’a fait le Premier ministre avec la conférence sociale, favorisez le dialogue au sein de l’entreprise.
Il faut que tous, quels que soient leurs choix politiques, aient conscience qu’un entrepreneur prend des risques et que ce qu’il gagne ne spolie pas ses salariés : ils sont interdépendants. L’entrepreneur engage ses biens et ses capitaux, fragilise sa vie personnelle par un emploi du temps de stakhanoviste pour faire fonctionner l’entreprise. Son intérêt, bien sûr, est d’avoir les meilleurs collaborateurs, ayant des idées, de l’énergie, contribuant ainsi à développer son entreprise. Pour cela, l’entrepreneur doit être équitable dans les rémunérations et montrer à ses salariés la considération qu’ils méritent.
Un intéressement financier est donc indispensable. La nouvelle taxation que vous imposez à l’intéressement est contreproductive. En revanche, votre projet de participation des salariés au conseil d’administration pour définir les objectifs de l’entreprise est une très bonne initiative. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Un impôt doit être incitatif. À cette fin, il doit bien évidemment être juste et, contrairement à ce que pensent certains, ce n’est pas contradictoire : c’est complémentaire ! Votre fiscalité tue l’envie. Or, dans quelque domaine que ce soit, l’envie est un moteur essentiel.
M. Vincent Capo-Canellas. Bravo !
M. Aymeri de Montesquiou. Vous en êtes d’ailleurs certainement convaincu, monsieur le ministre.
Observez le comportement de nos futurs cadres, de ceux qui sortent des grandes écoles, des diplômés en master ou doctorants, observez combien se destinent à une carrière à l’étranger sachant qu’ils ne reviendront pas !
Le crédit d’impôt recherche est l’exemple même d’une fiscalité incitative. Vous l’avez maintenu, c’est très bien ! Adaptez-le pour que plus petites entreprises y aient accès.
Votre crédit d’impôt compétitivité est quasi incompréhensible, donc très difficilement applicable. L’augmentation de la TVA était simple, donc facile à mettre en œuvre, et elle aurait contribué à rééquilibrer nos échanges.
Simplifiez le droit du travail, libérez les énergies au lieu d’autosanctionner notre pays par l’Himalaya administratif du code du travail et du code des impôts !
L’ancien médiateur interentreprises industrielles l’a souligné avec vigueur, « les industries disparaissent certes parce que certaines sont délocalisées, mais surtout parce qu’elles sont dépassées ». Les Scandinaves, qui se sont trouvés dans une situation analogue à la nôtre, ont parfaitement intégré cette affirmation : ils cultivent un esprit d’innovation compétitif et l’érigent en modèle à suivre.
Sommes-nous capables de l’admettre en France ? C’est une invitation à préparer l’avenir, à anticiper les choix et à cesser l’acharnement thérapeutique sur des secteurs moribonds.
Là réside toute l’importance de la formation professionnelle pour la reconversion des salariés et de la formation initiale pour les étudiants cherchant des débouchés.
M. Jean-Louis Carrère. Priorité à l’éducation !
M. Aymeri de Montesquiou. Car, bien sûr, l’industrie a besoin de chercheurs, de personnels formés, de cadres, d’entrepreneurs : la passerelle avec les écoles et les universités est urgente.
C’est aussi un appel à parier sur les filières d’avenir et d’excellence. Les centres de recherche français sont à la pointe des biotechnologies et des nanotechnologies. Le secteur agroalimentaire est une valeur solide qui ne pourra que se développer avec l’augmentation de la population mondiale. Le luxe, la mode, le tourisme restent nos atouts majeurs. Ne gâchons pas ces chances formidables par une administration étouffante et paralysante, par une fiscalité stérilisante et décourageante ! Je vous rappelle que les marges des entreprises françaises sont de dix points inférieures à la moyenne européenne.
La priorité absolue, nous en sommes tous ici convaincus, réside dans l’essor des PME et des entreprises de taille intermédiaire au fort potentiel d’emplois, d’innovation et d’exportation. Or leur nombre est spectaculairement inférieur à celui de nos voisins européens.
La coopération active entre les groupes d’envergure mondiale, les PME et les ETI est le chaînon manquant de l’économie française. En revanche, elle existe chez la plupart de nos concurrents. Souhaitons que le Pacte PME, association présidée par le P-DG d’Airbus, y remédie. Ses objectifs, à savoir la simplification et la dynamisation des relations entre les grands groupes, leurs sous-traitants et les PME-ETI du secteur, ainsi que l’évolution des PME les plus performantes – bref, la chasse en meute que pratiquent si bien nos voisins allemands et italiens – sont des priorités pour notre économie.
En plus de ces révolutions internes, une harmonisation au niveau européen, en particulier pour la fiscalité et les charges sociales, dont découlera une gouvernance indispensable, est vitale. Je rappelle que 60 % de notre commerce extérieur est à destination des membres de l’Union européenne. Nous sommes aussi en compétition avec nos partenaires européens.
Allez-vous relancer le Small Business Act européen ? Ne soyons pas candides, il faut préserver le marché européen par la mise en place de la réciprocité.
Parallèlement, l’Europe doit être unie pour les grands projets qui ne peuvent être portés par un seul pays. Elle a su le faire pour l’aéronautique et l’espace. Il reste les fusions des industries des matériels de défense où les coopérations sont encore beaucoup trop éparpillées. C’est un domaine essentiel au niveau européen mais de surcroît majeur pour la place de l’Europe dans le monde, car, pour exister, elle doit jouer un rôle géopolitique.
Monsieur le ministre, la gauche ne voulait pas désespérer Billancourt ; aujourd’hui, elle ne doit pas désespérer ceux qui aiment la France, qui veulent y réussir et la faire gagner. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier la Haute Assemblée pour ce débat sur le sens de notre politique industrielle. Où allons-nous ? Que voulons-nous ? Comment allons-nous nous y prendre ?
Il est fondamental de s’intéresser à la production. D’ailleurs, dans toutes les allégories, déjà sous l’Ancien Régime, bien avant la première révolution industrielle, était célébrée, en grande place, la capacité à créer la richesse.
Depuis plusieurs années, une certaine classe dirigeante – je ne vise personne en particulier mais beaucoup de monde en général – a théorisé la fin des usines en France. Comme si le fait d’avoir des bases productives solides était en quelque sorte une forme de luxe dont nous aurions pu nous priver !
Or un pays qui ne produit pas est dans la main des pays qui produisent et, s’il ne produit plus, il s’affaiblit. Comment allons-nous financer notre modèle social, nos services publics, nos dépenses militaires, notre rayonnement culturel, notre réseau diplomatique ? Ces questions sont posées chaque jour.
Ces dernières années, et surtout depuis la crise qui l’a frappée, la France a encaissé une désindustrialisation qui est statistiquement visible, politiquement sensible, socialement douloureuse. Ses effets, tels que nous les mesurons sur le terrain, sont confirmés par les chiffres et les agrégats dont nous disposons.
En dix ans, ce sont 750 000 emplois industriels de qualité qui ont été détruits. Derrière ces emplois, ce sont des laboratoires de recherche et de développement, des ingénieurs, des cadres, des ouvriers, des familles entières et des territoires – que vous représentez ici mieux que quiconque, mesdames, messieurs les sénateurs – qui ont subi ces dégâts, généralement considérés comme irrémédiables.
La désindustrialisation, c’est un peu comme la tempête : lorsque les arbres sont tombés, il faut un certain temps avant qu’ils repoussent. Les propriétaires fonciers doivent consentir beaucoup d’efforts avant que les arbres reprennent de la vigueur et de l’envergure. Cette image de la tempête, dont nous ne sommes pas sortis, que nous sommes en train de vivre, est assez juste.
À cet égard, les interventions des uns et des autres me paraissent contenir des diagnostics partagés mais aussi des remèdes partageables. Je n’affirmerai pas qu’ils le sont, mais j’ai le sentiment que, face à l’urgence, mon ministère revêt un caractère d’unité nationale où nous pouvons admettre les diagnostics portés par chacun, considérer que les solutions apportées sont d’utilité collective et, plutôt que de nous affronter, conjuguer nos efforts. C’est avec ce sens de l’unité nationale que mon ministère a décidé de prendre le taureau par les cornes.
Je souhaiterais brièvement expliciter notre démarche afin de donner du sens à l’ensemble des questions que vous vous posez et des dossiers que vous avez à traiter dans l’exercice de vos fonctions, auxquelles s’attache d'ailleurs la noblesse de la responsabilité publique, pour vous permettre aussi de comprendre notre action et permettre que nous agissions ensemble.
D’abord, qu’avons-nous fait dans la tempête ? Nous avons fait face ! On a dit de ce pauvre ministère du redressement productif qu’il était le brancardier, le pompier. Et alors ? Il n’y a pas de sot métier. Nous faisons face à l’urgence, nous avons organisé la riposte, comme nous le faisons à la tête du Comité interministériel de restructuration industrielle, le CIRI, sur le plan national, pour les entreprises de plus de 400 salariés. Nous avons également mis en place des mini-CIRI dans chacune des régions afin de pouvoir traiter tous les dossiers.
Il n’y a pas de dossier qui ne nous intéresse pas, car un emploi qui est préservé, un outil industriel qui est conservé, c’est quand même une victoire contre la fatalité et la résignation. C’est toujours cela de gagné ou de pris.
C’est une énergie qui est déployée, et je tiens à profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour rendre hommage à toute l’équipe ministérielle, les ingénieurs des mines qui travaillent dans les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRRECT, les commissaires au redressement productif. Je décernerai d'ailleurs à plusieurs d’entre eux des titres de reconnaissance de la nation pour avoir travaillé dans des conditions difficiles et obtenu des résultats étonnants. Cela prouve une fois encore que les combats perdus d’avance sont ceux que l’on n’a jamais engagés.
Le travail a consisté à organiser le maintien de l’outil industriel. C’est une stratégie à l’allemande, qui va à l’inverse de celle qui consiste à considérer qu’une entreprise qui connaît des difficultés est condamnable, condamnée, que c’est perdre son temps et son argent que de s’en préoccuper. Cette vision, inspirée de la doctrine libérale et malthusienne, presque darwiniste, consiste à penser qu’un malade n’a aucune chance de survivre dans le monde impitoyable de la compétition actuelle. C’est aussi stupide que de prétendre qu’un malade se présentant devant un hôpital doit être abattu sans sommation afin de permettre aux vivants de continuer à prospérer. Cette idée est absurde, et nous en faisons tous les jours la démonstration.
Le tableau de bord de mon ministère recense 1 900 entreprises en difficulté. Nous arrivons parfois – je le dis en toute modestie – à sauver 100 % des emplois, 100 % de l’outil industriel. Nous sommes parfois obligés, pour sauver l’essentiel, d’accepter quelques sacrifices. Tout le monde consent des sacrifices avec le ministère du redressement productif ! Les actionnaires recapitalisent, les banquiers abandonnent des créances, les dirigeants sont parfois obligés de prendre la porte ou leur retraite, les salariés, d’abord les intérimaires puis les autres, perdent parfois leur emploi.
Je donnerai quelques exemples qui sont significatifs à la fois des succès et des échecs de cette lutte dans laquelle la représentation nationale au sens large, les parlementaires comme les élus territoriaux, est particulièrement impliquée, et je tiens à l’en remercier.
À l’usine General Motors de Strasbourg, les 989 emplois vont être conservés. En revanche, toujours dans le secteur automobile, qui subit des pertes extrêmement sévères actuellement, sur les 313 emplois de l’entreprise TRW à Ramonchamp, située dans la vallée de la Moselle, dans le beau département des Vosges, seuls 83 ont pu être sauvés. Trois cadres de l’entreprise ont organisé la reprise, avec une réduction de la voilure, mais nous avons maintenu l’emploi, l’outil industriel.
Notre stratégie est celle qui a été suivie par nos amis et partenaires allemands pendant la première partie de la crise, où ils utilisaient le chômage partiel pour éviter le démantèlement. Avec Michel Sapin, le ministre du travail, nous cherchons toutes les solutions possibles et imaginables pour lutter contre la tendance française à préférer le licenciement, le déclassement ou le démantèlement. Nous pensons qu’il y a d’autres solutions. Ce sont celles-là que nous cherchons avec vous.
Ce travail d’urgence n’est pas suffisant, c’est la jambe défensive. Nous devons aussi reconstruire : bâtir, c’est le sens de ce ministère. Nous défendons d’une jambe, nous avançons de l’autre.
Vous avez évoqué, les uns et les autres, divers instruments. Ils ne sont pas des objectifs en eux-mêmes, mais ils servent notre projet. Quel est-il dans cette période difficile ?
En premier lieu, nous devons poursuivre – c’est une politique qui avait été engagée avant nous – la politique des filières.
Une filière est un ensemble d’entreprises qui sont unies par des liens contractuels, qui travaillent dans un même secteur, qui connaissent des hauts et des bas en même temps. Nous avons engagé le travail de solidarité de filières : les grandes entreprises travaillent avec les petites ; les collectivités locales, les pôles de compétitivité travaillent avec le secteur privé ; les laboratoires de recherche publics, tels l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, le Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, le Commissariat à l’énergie atomique, le CEA, travaillent avec les laboratoires de recherche privés ; les médiateurs, c’est-à-dire ceux qui interviennent dans les relations contractuelles entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre, unissent les entreprises là où elles se divisaient beaucoup trop.
Grâce à ce nouvel outil qu’est la Banque publique d’investissement, la BPI, et aux quelques fonds qui ont été créés, nous finançons la solidarité.
Aux entreprises qui ont fait le choix de cette solidarité de filière et qui mutualisent leurs moyens, l’État apporte son soutien, au travers de la BPI, dotée des fonds issus du grand emprunt et du fonds stratégique d’investissement. Elles peuvent ainsi aider les autres entreprises de la filière à se consolider, à être puissantes et exportatrices.
Cette solidarité financière se traduit, par exemple, par la multiplication des fonds filières qui seront gérés par la BPI. Surtout, l’État joue son rôle de leader, et notamment de leader technologique, en exposant à l’ensemble d’une filière où il veut aller.
Beaucoup d’entre vous, notamment Mme Bataille et M. Bourquin, ont parlé du secteur de l’automobile, qui perd beaucoup de ses capacités industrielles. Nous sommes en effet dans un moment difficile, même si d’autres secteurs connaissent une croissance très positive. C’est le cas de l’aéronautique et du nucléaire, qui est une filière d’avenir. Le nucléaire sera ainsi en mesure d’embaucher 110 000 personnes d’ici à 2020 et, l’année dernière, l’aéronautique a embauché 13 000 personnes. C’est dire à quel point les situations que nous vivons sont contrastées ! C’est d'ailleurs à nous d’organiser la solidarité entre filières ou le passage d’une filière à une autre pour les salariés qui connaissent des difficultés ou la perte de leur travail.
Mais, pour en revenir à la filière automobile, nous avons réuni pour la première fois autour d’une même table les « patrons » de la recherche et développement des deux grands constructeurs et des quatre équipementiers. Nous leur avons demandé s’ils étaient en mesure de progresser et de nous donner des horizons technologiques. Moteur deux litres, pour ceux qui travaillent sur l’hybridation, véhicule électrique zéro émission, hydrogène, air comprimé… Qu’ils se prononcent ! Nous ferons les choix ensemble, et nous les financerons avec eux.
Cette stratégie est une stratégie de leadership technologique et politique et, dans ce cadre, nous avons décidé de systématiser les grands programmes de renouveau industriel.
C’est ce que nous faisons dans la filière ferroviaire. Nous avons dit aux constructeurs que nous mettrions sur la table de 4 milliards à 5 milliards d’euros de commandes publiques pendant la durée du quinquennat. Nous allons trouver une structure de financement pour aider les régions qui n’arrivent plus à financer leurs TER, nous allons financer les trains Intercités et commander quarante rames de TGV de la génération précédente. En contrepartie, il est hors de question qu’il n’y ait pas, d’ici à 2018, un TGV du futur sur les rails, c'est-à-dire un train qui consommera moins d’énergie, qui pourra transporter plus de passagers, avec des moteurs dans les roues plutôt que dans les motrices, qui deviendront des wagons de transport.
Cette orientation technologique, qui a d’ailleurs été approuvée par les industriels du secteur, permet d’offrir cinq années de visibilité : voilà le sens que nous voulons donner à la commande publique dans le cadre de la réindustrialisation.
Mme Archimbaud a évoqué l’importante question des éco-industries. À l’issue du débat sur la transition énergétique, qui bat aujourd'hui son plein, nous aurons à « choisir entre des différents impossibles », pour reprendre l’expression de Nicolas Hulot. Les choix seront en effet difficiles à effectuer ; nous ne pourrons pas tout faire, le souhaitable et le possible ayant du mal à se rejoindre. Il n’en demeure pas moins que nous cherchons, de façon systématique et sur la base de choix technologiques, à fixer des orientations partagées avec l’ensemble des industriels concernés, qu’il s’agisse des PME, des ETI ou des leaders de filière, c'est-à-dire des grands groupes qui mènent le jeu dans les secteurs à l’exportation.
Dans les secteurs du photovoltaïque, de l’éolien et du stockage de l’énergie, nous faisons des choix, et nous les défendons !
Le choix des outils est un point sur lequel se sont concentrés beaucoup de vos commentaires.
L’avenir du grand emprunt dépendra du travail que nous menons sur les filières, dont j’ai évoqué deux exemples, le ferroviaire et l’automobile. Nous avons déjà traité six ou sept filières ; nous devrions avoir terminé d’ici au mois de juin. En juillet prochain, nous serons en mesure de « dessiner le visage » de ces grands programmes de renouveau industriel, qui rappellent la belle époque post-gaullienne, pompidolienne, où l’on voyait l’État comme le leader de la politique industrielle.
Les pôles de compétitivité, les territoires et les filières seront donc ordonnés en fonction des choix financiers et technologiques qui seront faits. On peut se demander comment articuler autour de cette politique l’ensemble des outils sur lesquels vous m’avez obligeamment interrogé.
S’agissant du programme d’investissements d’avenir, 28 milliards d’euros ont d’ores et déjà été engagés et dépensés. Suivant les recommandations de Louis Gallois, le Premier ministre vient d’arbitrer le redéploiement du petit solde restant vers les secteurs industriels, notamment pour financer l’innovation.
J’en viens maintenant au crédit d’impôt recherche.
Vous le savez, ce dispositif a été étoffé dans la loi de finances. Il s’agit, à mes yeux, d’une mesure d’utilité nationale, inventée par Jean-Pierre Chevènement, amplifiée par Nicolas Sarkozy et sanctuarisée par François Hollande. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je rappelle que 200 millions d’euros supplémentaires ont été affectés aux PME dans la loi de finances pour 2013, que vous n’avez malheureusement pas votée ici.
M. Albéric de Montgolfier. Nous ne sommes pas la majorité !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Cette mesure constitue pourtant un progrès. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est d’ailleurs devenu un outil de dialogue social entre les partenaires sociaux dans l’entreprise.
À ce propos, je vous invite à regarder ce qui se passe dans le secteur automobile, puisque vous avez été nombreux à m’interroger à son propos. Nous luttons, c’est vrai, contre la tentation de se débarrasser du personnel en cas de problème, l’être humain étant la variable d’ajustement pour les entreprises. Eh bien, les accords du 11 janvier, que vous devrez bientôt transposer, fixent justement le cadre dans lequel les partenaires sociaux peuvent s’emparer des différents crédits d’impôt – CICE, mais aussi recherche, développement et, maintenant, innovation – pour préserver l’emploi, comme c’est actuellement le cas chez Renault.
Dans le cadre défini par les partenaires sociaux figurent deux progrès : l’équilibre des concessions réciproques – les efforts doivent être réalisés non seulement par les salariés, mais également par les actionnaires et les dirigeants –, ainsi que l’évaluation partagée du diagnostic. Au-delà des concessions réciproques, il s’agit avant tout de préserver l’emploi et d’éviter les licenciements quand l’entreprise est en perte de rentabilité.
Il me semble que la Haute Assemblée pourrait reconnaître que les 20 milliards d’euros affectés au crédit d’impôt, après que, sur proposition de Louis Gallois, le Gouvernement a replacé au centre du débat public la question de la réindustrialisation, représentent un effort historique. Toute la nation devra se mobiliser, dans tous les domaines et sur tous les plans.
Dans le sillage du rapport Gallois, le Premier ministre a aussi arbitré en faveur de la stabilité fiscale pour ce qui concerne cinq mesures fiscales : les taxes locales – c’est un point important –, le crédit d’impôt recherche, la fiscalité sur les jeunes entreprises innovantes, les déductions de l’ISF lorsqu’elles sont investies dans les PME et la loi Dutreil sur la transmission d’entreprises.
C’est la première fois qu’un gouvernement prend, dès le début de son mandat – si certaines des interventions les plus caricaturales laissent à penser que nous sommes au pouvoir depuis dix ans, nous n’y sommes en effet que depuis huit mois –, l’engagement de ne pas toucher à un certain nombre de mesures fiscales pendant toute la période où il sera aux responsabilités.
D’ailleurs, monsieur de Montesquiou, vous attaquez finalement plus la France que la gauche (Protestations sur les travées de l'UMP.) lorsque vous évoquez la bureaucratie grandissante : c’est une coproduction, en tout cas une production récente de gouvernements que vous avez soutenus pendant dix ans et qui n’ont absolument rien fait !
Mme Catherine Troendle. C’est une ineptie !
M. Arnaud Montebourg, ministre. C’est la réalité ! Nous avons même découvert dans mon ministère une « commission de la paperasse », qui, comme beaucoup de commissions, n’a d’ailleurs rien fait.
Nous allons essayer de faire mieux et d’abroger un certain nombre de normes qui concernent aussi bien les collectivités locales que les entreprises. Je voudrais que nous en reparlions prochainement,…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. D’accord !
Mme Catherine Troendle. Et la proposition Doligé ?
M. Arnaud Montebourg, ministre. … et avec la dose d’humour nécessaire.
Comme le sujet a été abordé, il est également intéressant de noter que le Conseil national de l’industrie, qui succède à la conférence nationale de l’industrie, est un outil permettant de rassembler l’ensemble des forces productives : les partenaires sociaux, les régions, les industries et leurs représentants, le MEDEF et les organisations professionnelles patronales, ainsi que l’appareil de l’État.
M. Jean-Claude Gaudin. Les bœufs avant la charrue !
M. Arnaud Montebourg, ministre. Ce conseil prendra des positions et s’exprimera, par exemple, sur l’euro trop fort. Je lui ai demandé de le faire en toute indépendance par rapport au Gouvernement. Ses prises de position seront, nous l’espérons, plus ou moins consensuelles – en son sein, en tout cas, ce serait préférable ! – et permettront d’enrichir le débat que nous aurons avec le Sénat et l'Assemblée nationale sur les questions industrielles.
Nous avons ainsi en quelque sorte un mini-Parlement de l’industrie auquel participeront l’ensemble des forces productives autour du Gouvernement. En sont d’ailleurs membres un sénateur, Martial Bourquin, et un député, Jean Grellier. Cela permettra de placer en permanence la question industrielle au cœur de tous les enjeux.
En ce qui concerne la politique européenne, évoquée par de nombreux intervenants, il faut bien reconnaître que l’Union européenne n’est pas au même niveau de protectionnisme et de déloyauté qu’un certain nombre d’États, de puissances et de continents…
Il est d’ailleurs utile d’observer que les États ayant résisté à la crise sont ceux qui ont été les plus unis et qui ont su rassembler l’ensemble de la société autour de l’acte productif. Pour nous, c’est une belle leçon ! Voilà l’une des raisons pour lesquelles je m’emploie à mobiliser les Français autour du made in France. Quelle que soit la place de chacun dans la société, que l’on soit consommateur ou producteur, nous avons un devoir à l’égard de notre pays.
Je remarque que le made in France progresse d’ailleurs dans la tête des consommateurs. Les dernières enquêtes montrent que 77 % des Français considèrent que le critère de la fabrication en France est suffisamment important pour payer un produit plus cher.
En ce qui concerne les producteurs, nous voyons bien que le mouvement de relocalisation est lancé et s’amplifie. Certaines entreprises font un calcul différent après avoir pris la mesure de la progression des salaires dans les pays émergents et de l’envolée du prix de l’énergie, y compris dans ces mêmes pays, et après s’être rendu compte que l’éloignement entre lieu de production et lieu de consommation alourdissait les coûts logistiques.
Ces entreprises sont devenues « démondialisatrices » dans leurs actes du quotidien, tout comme l’est le ministre du redressement productif ! Je pense à l’entreprise de jouets Smoby, dans le Haut-Jura ; au lunettier Atoll, qui a transféré une partie de son activité de la Chine vers le Haut-Bugey ; à l’entreprise de skis Rossignol, dont la décision de relocalisation, très saluée, date d’avant notre arrivée au gouvernement. De nombreuses autres entreprises réfléchissent à suivre cette voie.
Chaque pays fédère aujourd'hui la cohésion de l’ensemble de sa société autour de son label : made in France, made in USA, made in England, made in Italy... Cet engouement est un phénomène de société sur lequel nous devons prendre appui pour reconstruire, réindustrialiser et relocaliser.
Cette mobilisation passe évidemment par le financement de l’innovation. À ce propos, j’ai déjà dit que nous souhaitions ouvrir un programme d’innovation radicale avec le redéploiement du grand emprunt.
Il faut aussi que la société française reconnaisse et rende hommage à ceux qui innovent, font preuve d’audace et prennent des risques. Il faut qu’une attention soit portée au design, auquel de nouveaux investissements doivent être consacrés, notamment dans les PME. Il faut que le mentorat soit généralisé, comme mon ministère s’attache à le faire avec l’aide des chambres de commerce. Il faut aussi une politique à destination des PME…
Mais, vous l’avez mesuré, rien de tout cela ne pourra se faire si les données macro-économiques ne sont pas plus favorables et s’il n’y a pas une réorientation de la politique européenne.
Sur ce dernier point, je l’ai indiqué, la bataille a commencé dès le mois de juin dernier pour orienter l’Union européenne vers plus de croissance.
Au sein du Conseil compétitivité, qui réunit les ministres de l’industrie, nous cherchons depuis plusieurs mois à donner davantage de poids aux thématiques de la réciprocité, évoquées par certains d’entre vous. Nous ne pouvons accepter de nous priver des pratiques employées par d’autres pays ou de ne pas nous prémunir contre certaines méthodes, comme l’arme monétaire et le dumping social ou environnemental.
C'est l’une des raisons pour lesquelles les questions énergétiques, abordées par M. Vial, doivent être traitées au niveau européen. Nous avons déjà en Europe REACH et une très bonne politique de réduction des émissions de CO2, que nous approuvons, car elle est conforme à nos valeurs et à notre modèle. Il faudrait cependant équilibrer les règles du jeu mondial. Si nos entreprises quittent les zones de haute pression, à prix énergétiques élevés et à normes réglementaires strictes, c’est tout simplement pour quitter l’Europe. L’arbitrage se fait non pas entre la France et l’Allemagne, mais entre l’Europe et le reste du monde.
La France, en particulier par l’intermédiaire de mon ministère, n’a cessé de répéter, de façon quasi obsessionnelle, que l’Union européenne devait agir pour rééquilibrer les règles du jeu mondial. J’ai d’ailleurs demandé encore la semaine dernière devant le groupe de haut niveau sur l’acier à Mme la commissaire chargée de l’environnement ce qu’elle attendait pour imposer la taxe carbone aux frontières. Cette mesure sera le pendant des accords internationaux qui ont été signés par l’Europe et que nous appliquons ; elle permettra que la compétition se déroule dans des conditions équilibrées et loyales.
D'ailleurs, nous demandons exactement la même mise à niveau en matière sociale. Les normes de l’Organisation internationale du travail devraient-elles être distinctes des normes de l’Organisation mondiale du commerce ? La réponse est non ! Nous devons donc nous défendre.
Malheureusement, avec la Commission européenne, les sujets de polémique ne manquent pas. Monsieur Fouché, sachez toutefois que la Commission, exerçant son pouvoir propre, a d'ores et déjà pris des mesures dans le domaine de la porcelaine et de la céramique, contre les importations abusives en provenance de Chine. Des mesures ont également été prises concernant les aciers très spéciaux, comme une hausse des droits de douane de 58 %. Enfin, madame Archimbaud, des mesures ont été prises dans le domaine photovoltaïque : une enquête et un monitoring ont été lancés sur les importations de panneaux photovoltaïques venant de Chine.
Bref, l’Union européenne commence, doucement, à se réveiller. Est-ce suffisant ? Nullement !
Cela étant, je suis heureux que, lors des réunions des Conseils des ministres, nous arrivions de plus en plus souvent à réunir nos partenaires et à constituer une majorité pour réclamer l’évolution des règles du jeu mondial, à travers une transformation de l’attitude de l’Union européenne.
Nous attendons la réforme des aides d’État. Hier, à Bruxelles, lors d’une discussion avec le commissaire européen Joaquín Almunia, la France et l’Allemagne ont fait bloc pour demander un assouplissement des règles de contrôle tatillonnes sur ces aides aux entreprises. M. Almunia a entendu la revendication des grandes nations industrielles et technologiques, ce qui constitue un progrès.
Le monde entier connaît une déferlante technologique considérable. Nos concurrents, les grandes nations émergentes, investissent des milliards dans les nouvelles technologies. Les Européens, eux, s’interdisent et contrôlent tout investissement étatique, et on tire dans les jambes de ceux qui essaient d’avancer !
Notre choix est de nous défendre, d’organiser notre mise à niveau, de construire les industries de demain, de favoriser la recherche, le développement, l’innovation. Bref, le rôle des États est fondamental et l’unité du secteur privé avec la puissance publique est essentielle pour réussir cette mise à niveau. C’est une des raisons pour lesquelles la politique européenne en matière industrielle est en train d’évoluer.
Certains d’entre vous ont salué l’action du commissaire Antonio Tajani. Au nom de la France, je l’ai remercié plusieurs fois d’avoir fixé pour but que la politique industrielle représente 20 % du PIB global européen d’ici à 2020. C’est une ambition considérable, qui suppose que les autres politiques européennes soient révisées à l’aune de cet objectif prioritaire. C’est le cas pour la politique de la concurrence – nous y venons – et de la politique commerciale – il faut y venir davantage.
Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de vous, de votre soutien. Il est toujours difficile, dans la vie d’une nation, de passer d’une période à une autre. Nous sommes dans une de ces périodes difficiles.
M. Henri de Raincourt. Tout à fait !
M. Arnaud Montebourg, ministre. En guise de conclusion, je veux vous lire un extrait du discours prononcé, en 1883, par Jules Ferry, alors ministre de l’instruction publique, dans un lycée d’enseignement professionnel de Vierzon : « Oui, messieurs, sur le champ de bataille industriel comme sur l’autre, les nations peuvent tomber et périr : sur ce champ de bataille comme sur l’autre, on peut être surpris, on peut, par excès de confiance, par adoration de soi-même ou par l’inertie des pouvoirs publics, perdre en peu de temps une supériorité jusqu’alors incontestée ; c’est à ce grand danger que doit parer l’enseignement professionnel dans notre pays ; il n’est pas d’intérêt national plus considérable, et je puis dire et répéter ici, sans crainte d’être démenti par personne : à l’heure qu’il est, messieurs, relever l’atelier, c’est relever la patrie ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est l’esprit patriotique dans lequel le ministère du redressement productif et le Gouvernement travaillent. Nul doute que nos efforts seront couronnés de succès, mais, dans cette œuvre collective, nous avons besoin de chacun.
La France a besoin de toutes les énergies. Merci de lui donner la vôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe.
(M. Jean-Pierre Bel remplace M. Jean-Patrick Courtois au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
7
Hommage à un soldat mort au Mali
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux rendre hommage au sergent-chef Harold Vormezeele, du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi, tué hier dans le nord du Mali, lors d’un accrochage violent avec des forces terroristes. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Le Sénat tout entier salue le courage de ce sous-officier de la Légion étrangère, engagé aux côtés des forces africaines dans le combat pour que le Mali retrouve sa souveraineté.
Nous nous associons à la douleur de sa famille et de ses proches.
Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir observer une minute de silence à la mémoire de ce soldat. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez au Gouvernement de s’associer à l’hommage que la Haute Assemblée vient de rendre à Harold Vormezeele, qui, vous le savez, était âgé de trente-trois ans et père de famille.
Nous compatissons à la peine de la famille de ce soldat.
Un hommage solennel lui sera rendu lundi, aux Invalides, par le ministre de la défense.
8
Débat sur la situation à Mayotte
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation à Mayotte, organisé à la demande de la commission des lois.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis, à la demande de la commission des lois, pour débattre de la situation à Mayotte, à la suite de la mission que Christian Cointat, Félix Desplan et moi-même y avons menée.
Je salue les sénateurs de Mayotte, qui sont bien sûr présents parmi nous aujourd'hui.
Monsieur le ministre, je tiens à dire que nous savons combien vous êtes attentifs à la situation de ce cent unième département français, qui est cher à notre cœur, qui fait partie de notre nation et que nous avons accueilli parce que ses habitants en ont ainsi décidé.
Mayotte est un département à part entière. C’est pourquoi il est légitime que puissent y être mises en œuvre des décisions qui s’appliquent partout ailleurs.
Comment dès lors comprendre la situation atypique de ce département dont le conseil général a si peu de dépenses sociales à mettre en œuvre alors que, d’évidence, il y a beaucoup à faire, comme notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui a fondé une association qui vient en aide à beaucoup les jeunes Mahorais, le dira mieux que moi ?
Comment ne pas comprendre qu’il est normal qu’à Mayotte la scolarité soit de la même qualité qu’ailleurs ? Beaucoup de nos concitoyens ignorent que, par manque de locaux, une moitié des enfants de Mayotte sont scolarisés le matin, l’autre l’après-midi !
Nous connaissons aussi les problèmes qui se posent en matière de justice. Ainsi, le fait que les instances judiciaires de Mayotte dépendent de celles de la Réunion n’est pas sans créer des difficultés, à la fois pour les magistrats, pour les personnels du ministère de la justice et pour les justiciables.
Enfin, nous savons que 3 000 mineurs vivent isolés et nous sommes conscients de la nécessité de prendre en considération ces jeunes privés de repères et de soutien.
Il y a donc beaucoup à faire, et je ne doute pas que mes collègues évoqueront tous ces sujets.
Quant à moi, je veux me concentrer sur une question : celle de l’immigration, que nous devons aborder avec vérité.
Je l’ai dit, avec Christian Cointat et Félix Desplan, nous nous sommes rendus sur place ; nous avons reçu M. Christnacht, qui a rédigé un rapport pour le ministère de l’outre-mer, le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires étrangères.
Mes chers collègues, nous ne pouvons accepter que la situation actuelle perdure. Elle est insupportable pour les personnes qui en sont victimes. Elle est insupportable pour les Mahorais, qui en subissent les conséquences.
Cette situation, tout le monde la connaît.
D’après le rapport de M. Christnacht, 90 000 étrangers, souvent en situation irrégulière, sont présents à Mayotte et environ 25 000 reconduites à la frontière sont recensées chaque année. Certes, un tel chiffre peut faire bel effet dans les statistiques, mais ce n’est pas ce qui nous préoccupe !
La réalité, c’est que beaucoup d’habitants des Comores, tout particulièrement d’Anjouan, veulent, pour quantité de raisons, venir à Mayotte – pour devenir français, pour résider sur le territoire de l’Union européenne, pour pouvoir se soigner ou encore pour bénéficier d’une éducation… –, ce qui donne lieu à un trafic incessant, parfaitement irrégulier, mais connu de tous, sur les kwassa kwassa, ces petits bateaux, souvent dirigés par des mineurs, où s’entassent une cinquantaine de personnes, naturellement pour le plus grand profit des passeurs.
Les moyens douaniers et policiers ayant été renforcés, pour tenter de parvenir, si je puis dire, « à bon port », les kwassa kwassa doivent franchir des passes dangereuses, notamment des barrières de coraux. Souvent, dans la presse, un entrefilet nous apprend qu’il y a eu un naufrage, quelques morts, des morts que l’on est incapable de dénombrer précisément... On dit qu’il y en a eu plus de dix mille en une vingtaine d’années, mais sans doute y en a-t-il eu davantage, hélas !
Lorsque les passagers de ces bateaux parviennent à atteindre Mayotte, il peut arriver qu’ils ne soient pas interceptés ; ils restent alors, dans des conditions plus ou moins précaires, à Mayotte, où le logement, notamment, est un problème aigu – il y a, on le sait, des cités insalubres.
Souvent, ils sont arrêtés par les autorités françaises, puis placés dans un centre de rétention que nous avons visité. Ce centre comprend deux pièces, l’une destinée aux femmes et aux enfants, l’autre aux hommes. Lorsque nous sommes arrivés, tous se sont dirigés vers nous, nous faisant part de leur misère et demandant à être traités dignement. Mais tout a été dit sur ce sujet, notamment, avec beaucoup d’éloquence, par Jean-Marie Delarue et par Dominique Baudis…
Le centre de rétention va donc être reconstruit, ce qui est incontestablement positif, comme l’est d’ailleurs aussi le fait que des travaux vont être entrepris à la maison d’arrêt de Mamoudzou.
Cela ne change cependant rien à la réalité : après avoir passé un jour et une nuit en centre de rétention les personnes arrêtées sont ramenées aux Comores – je l’ai dit, il y a 25 000 reconduites à la frontière par an –, puis, après quelques jours, peut-être quelques semaines, beaucoup reviennent – s’il n’y a pas de naufrage… – pour retenter leur chance à Mayotte, mais plus souvent pour retrouver le centre de rétention et être à nouveau renvoyées !
Ces reconduites à la frontière coûtent chaque année entre 50 millions et 70 millions d’euros à la France.
Face à une telle situation, ne devrait-on pas, par simple humanité, songer à utiliser ces 50 millions d’euros autrement ? C’est pourquoi nous plaidons, comme le fait aussi M. Christnacht, en faveur d’une coopération avec les Comores.
Je sais bien que c’est difficile, car les Comores ne reconnaissent pas et ne veulent pas reconnaître Mayotte comme un département français. Mais, lorsqu’on regarde le vaste monde et sa longue histoire, on voit bien des exemples de contentieux qui, à force de bonne volonté, ont pu être aplanis. Alors mettons tout en œuvre pour parvenir à un accord avec les Comores !
Nous préconisons une coopération policière et douanière, solution peut-être plus intelligente que ces reconduites onéreuses pour mettre un terme à l’activité néfaste des passeurs et, surtout, pour éviter tant de morts.
Investissons dans le développement de Mayotte et celui des Comores, œuvrons, par exemple, pour les hôpitaux et pour les écoles avec cet argent finalement tout à fait improductif puisque les gens reviennent…
Enfin, piste sur laquelle nous a mis Christian Cointat, nous proposons de revoir le visa Balladur et d’adopter une approche plus rigoureuse. Magnifique dans sa lettre, le dispositif actuel est censé empêcher toute immigration irrégulière, mais c’est une véritable passoire puisque l’immigration clandestine se chiffre par milliers.
Le mieux serait donc de parvenir à un accord qui permette de maîtriser ces flux désastreux tout en étudiant la possibilité d’autoriser une certaine immigration, pour raisons de santé ou de famille, qui serait justifiée et maîtrisée.
Je crois que, pour le bien de ce cent unième département que nous aimons, il y a là quelque chose d’urgent, de nécessaire, d’indispensable. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mayotte a besoin de nous et je suis heureux que ce débat nous permette de manifester à ce département français et à ses habitants notre intérêt, notre attachement et notre affection. L'« île hippocampe » se dresse fièrement dans les eaux bleues de son lagon et porte avec force les couleurs de la France !
Nous ne devons jamais oublier, mes chers collègues, que Mayotte fait partie des rares territoires français d'outre-mer qui ont non pas été conquis mais qui ont librement choisi leur appartenance à la France. Certes, leur choix n'était pas sans intérêt puisque les Mahorais réclamaient à l'époque la protection du roi de France contre les exactions de ses voisins. Comme l'a déclaré le commandant Passot, premier gouverneur de Mayotte, le 13 juin 1843, lors de sa prise de fonction : « Louis-Philippe Ier, roi des Français, a bien voulu accepter l'offre que vous lui avez faite de la cession en toute propriété de la souveraineté de l'île Mayotte, et son représentant à Bourbon m'a envoyé vers vous pour vous commander et vous protéger contre vos ennemis. »
Ainsi, Mayotte devint française une cinquantaine d'années avant le reste de l'archipel des Comores. Il convient de souligner que, lorsque les Comores passèrent sous pavillon français, le territoire ainsi formé avec Mayotte prit le nom de « Mayotte et dépendances » et non celui de « Comores », comme ce fut le cas plus tard.
Ce bref rappel historique n'est pas sans intérêt, car il montre que, depuis au moins deux siècles, les relations entre Mayotte et les autres îles de l’archipel des Comores sont difficiles, voire conflictuelles. Pourtant, ces relations sont fréquentes, voire vitales, car la géographie oblige ces îles à vivre ensemble. « Je t'aime, moi non plus », pourrait-on dire ! En fait, tout le problème est là.
La situation de Mayotte est en plus assez paradoxale. D’un côté, le niveau de vie y est presque dix fois inférieur à celui de la métropole et, de l'autre côté, il est presque dix fois supérieur à celui des Comores. Ainsi, aussi curieux que cela puisse paraître, au sein de l'archipel des Comores, Mayotte a des relents d'Amérique ! Elle apparaît comme une forme d'Eldorado en dépit des sérieuses difficultés économiques, sociales et financières dont elle souffre.
Mayotte est ainsi devenue le point de mire de ses voisins, qui veulent, par tous les moyens – y compris au péril de leur vie, comme vient de le rappeler le président de la commission des lois –, s'y rendre pour trouver de meilleures conditions de santé, d'étude ou de formation, bref, pour trouver un meilleur avenir.
Pourtant, les infrastructures locales de Mayotte ne peuvent faire face à un tel afflux d'immigrés. Mayotte a donc besoin – j’y insiste, monsieur le ministre – de la solidarité nationale.
Pour affirmer leur identité française, les Mahorais ont eu beaucoup de courage. Ils ont accepté de modifier leurs traditions, de remodeler leur culture, d'adapter leur religion. Ils ont ainsi dû choisir un état civil modifiant leurs vocables traditionnels et leur imposant un nom et un prénom, mettre au point un cadastre, abandonner la justice musulmane…
On ne soulignera jamais assez l'ampleur de la révolution culturelle et personnelle qu’ils ont dû accomplir afin d'être comme les autres Français. Ces efforts impliquent maintenant un retour sur investissement. Aussi faut-il une accélération du rattrapage économique et social avec le reste de la nation.
Cela suppose parallèlement que la France s’engage résolument dans une reconstruction des relations avec les Comores, car il ne peut y avoir de développement durable de Mayotte sans une coopération sereine et fructueuse avec ses voisins.
Le niveau d'immigration clandestine a largement dépassé le seuil de dangerosité supportable. Les jeunes en déshérence seront de véritables bombes pour l’avenir s'ils ne sont pas pris en main sur le plan social et sur celui de la formation.
Leur nombre est tel que l'on est obligé d'avoir, comme l’a rappelé le président de la commission des lois, des écoles du matin et des écoles du soir, faute d'équipements suffisants ! On est confronté, en quelque sorte, au phénomène des « chaises chaudes », par analogie avec les « lits chauds » de l'industrialisation du XIXe siècle ! C’est totalement inacceptable à notre époque.
Force est de constater qu’en dépit des équipements de surveillance, des mesures administratives, des contrôles de plus en plus draconiens pour lutter contre l’immigration clandestine et d’un visa délivré au compte-gouttes, rien, absolument rien n'a empêché l'invasion de Mayotte par ses voisins !
Mes chers collègues, quand une politique ne marche pas, ou l’on ferme les yeux et l’on se donne bonne conscience, mais les choses iront encore moins bien, ou l’on ouvre grand les yeux pour mieux voir où cela coince.
C’est le second choix que nous devons faire, parce que cela coince : le visa Balladur, s’il a constitué une excellente décision en son temps et est parfait en lui-même, n’est absolument plus adapté puisqu’il n’empêche en rien l’immigration clandestine.
Tout le monde le sait parfaitement, même si l’on ne veut pas toujours se l'avouer, rien de bien solide et de pérenne ne peut se faire à Mayotte sans une participation active des Comores.
Il convient donc de rétablir la confiance avec ce voisin – n’oublions pas qu’il fut autrefois français ! – en lui démontrant que, pour autant que l'on en ait la volonté, cette coopération lui sera tout aussi profitable qu’à nous-mêmes. Il est impératif de l'inviter et de lui permettre d'aborder cette question délicate la tête haute, car chacun doit pouvoir sauver la face. Seul un « gagnant-gagnant » peut aboutir. Sinon, mes chers collègues, ce sera un « perdant-perdant » ! Il faut donc un geste fort et habile de la part de la France.
Dans le rapport d'information de la commission des lois, des pistes sont évoquées, et je n'y reviens donc pas ; il suffit de les prendre en compte. D’ailleurs, nous n’avons rien inventé. Nous avons beaucoup écouté, échangé et réfléchi.
Je me limiterai simplement à dire en conclusion que le département de Mayotte ne pourra prendre son véritable essor que dans un archipel où une libre circulation sereine, confiante, contrôlée et maîtrisée sera rétablie dans l’intérêt de tous.
Alors, oui, mes chers collègues, l’hippocampe s’élèvera au-dessus du lagon. Il deviendra Pégase et, comme lui, sera en mesure de vaincre les chimères ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan, rapporteur.
M. Félix Desplan, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les défis majeurs auxquels le département de Mayotte est confronté, il en est un qui est particulièrement lourd, mais aussi porteur d'espoir : celui de sa jeunesse.
Dans cette île très peuplée – la plus densément peuplée du sud-ouest de l'océan Indien –, plus d'un habitant sur deux est âgé de moins de vingt ans. En moyenne, une femme a cinq enfants. À cette explosion démographique mahoraise s'ajoute une forte présence clandestine de mineurs étrangers.
Comme nous l'avions souligné dans le rapport, cette situation atypique renforce considérablement les besoins en matière de scolarisation et de formation. Ainsi, il faudrait ouvrir une classe par semaine.
Les locaux existants sont souvent vétustes, insalubres, voire dangereux. La moitié des élèves en primaire sont accueillis par rotation, ce qui diminue le temps nécessaire à l'acquisition des connaissances. Les livres, les cahiers manquent. À la rentrée 2012, il aurait fallu plusieurs centaines d’enseignants supplémentaires.
Les besoins sont d’autant plus grands que l’enfant de Mayotte vit dans une culture orale où l’écrit a peu de place et qu’il maîtrise mal le français, la plupart des familles étant non francophones.
Les enfants étrangers, qui formeraient jusqu’à 70 % du public scolaire de Mamoudzou, ont un niveau scolaire très faible. Nombre d’entre eux vivent dans des conditions d’hygiène déplorables et sont souvent sévèrement malnutris. Certains n’ont d’ailleurs même pas accès à l’école, les mairies les refusant en l’absence de représentant légal, d’extrait de naissance ou de vaccinations à jour.
Dans le secondaire, les personnels enseignants et de direction sont presque tous métropolitains, avec une rotation très rapide. Aucun établissement n’est classé en ZEP. Le tissu économique reste un obstacle au développement des CAP et des bacs professionnels, qui seraient pourtant très utiles pour le développement de l’île, parce que les stages ne peuvent se trouver qu’en métropole ou dans les îles voisines.
En raison du faible niveau scolaire, mais aussi de la non-préparation à un environnement culturel différent, les bacheliers peinent souvent par la suite à continuer leurs études quand ils doivent les faire hors du territoire.
Des progrès importants ont été réalisés, il faut le souligner. À présent, l’ensemble d’une classe d’âge mahoraise est scolarisée dans le premier degré, et de plus en plus d’élèves ont accès au second degré.
D’excellentes initiatives ont été prises récemment.
Le Centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte, créé à la fin de l’année 2011 et dont le directeur a été nommé en décembre dernier, assure désormais des formations jusqu’au niveau bac plus deux. Dès son adoption par le Parlement, 60 des 180 étudiants en L2 ont demandé et obtenu d’intégrer le dispositif des emplois d’avenir professeur et 325 postes d’emplois d’avenir ont été accordés.
Il y a aussi une montée en puissance du Groupement du service militaire adapté, qui offre à une partie de la jeunesse en difficulté, sous statut de volontaire dans les armées, la possibilité d’un nouveau départ dans la vie avec un comportement citoyen et une vraie employabilité ; 400 jeunes devraient être concernés en 2013, et plus de 500 en 2015. Cependant, l’insertion de ces jeunes s’avère d’ores et déjà difficile. D’une part, l’offre d’emplois est limitée sur l’île : elle est d’environ 600 par an, alors que, chaque année, 4 500 jeunes arrivent sur le marché de l’emploi. D’autre part, se pose un problème de qualité de suivi de ces jeunes, qui quittent parfois l’entreprise peu de temps après y être entrés.
Monsieur le ministre, la tâche reste immense.
Dans notre rapport d’information, Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et moi-même avions suggéré un programme de construction de 600 classes supplémentaires d’ici à 2017, un programme qui ne peut être réalisé sans la participation de l’État, la situation des communes et du Syndicat mixte d’investissement pour l’aménagement de Mayotte, le SMIAM, ne permettant pas de l’assumer. Les mairies n’ont même pas les ressources suffisantes pour entretenir les locaux existants ou mettre en place une restauration scolaire. Pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, si de nouvelles classes ont été ouvertes et si la dotation spéciale de construction et d’équipement des établissements scolaires allouée aux communes mahoraises pourra être prorogée au-delà de 2013 ? Selon les syndicats, au moment où nous avions rédigé notre rapport, seul le quart de cette dotation avait été utilisé.
Construire des classes est nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant. Ne faudrait-il pas que notre système éducatif s’adapte à la situation de Mayotte, et ce dès la petite enfance ? Ne conviendrait-il pas de préscolariser les enfants pour qu’ils appréhendent mieux la langue française, de créer des garderies publiques, car la plupart des garderies sont privées et n’accueillent que des enfants d’un niveau social moyen ou élevé ? Pour les élèves plus âgés, pourquoi ne pas instaurer des cours de soutien en français et en mathématiques pendant les vacances scolaires comme à la Réunion, ou développer, compte tenu des problèmes de transport, un système d’internat, mais aussi créer des classes de transition entre le secondaire et le supérieur, ou encore assurer une formation continue aux enseignants du primaire, qui, pour certains, ne sont pas francophones ?
Des propositions semblables avaient été évoquées pendant les États généraux de 2009. Il avait été noté, à cette occasion, que la maîtrise du français renvoyait à une question plus vaste, celle de la coexistence des langues, officielle et maternelle, dans la société mahoraise. La langue et la culture françaises peuvent paraître aux jeunes Mahorais très éloignées de leur quotidien, tout en étant désormais indispensables pour poursuivre des études et trouver leur place dans la société. Il faudrait éviter, toutefois, le sentiment d’une occultation d’une partie de leur identité – comme ce qui a pu se passer autrefois aux Antilles –, alors même que les Mahorais ont consenti à des changements culturels considérables pour devenir citoyens à part entière de la République française.
La société mahoraise est de plus en plus confrontée à une immigration illégale considérable, comme viennent de le souligner mes collègues, immigration qui provoque des effets de déstructuration et de fragilisation, peu favorables au développement économique et au rattrapage social de l’île.
Cette immigration repose en partie sur le souhait des familles comoriennes de faire bénéficier leurs enfants d’un accès aux soins et à l’éducation. Mais, comme je vous l’ai dit, la situation de ces enfants est en réalité catastrophique. Il n’existe pas à Mayotte de foyer de l’enfance, et les familles d’accueil et les personnels spécialisés locaux sont en petit nombre et mal formés. Ces jeunes, livrés à eux-mêmes, développent une délinquance de survie, mendient, volent, parfois en bandes organisées.
D’autres adolescents, mahorais mais sans formation ni travail, dérivent aussi vers la violence. Ils sont considérés par la population comme trop souvent impunis. La justice, avec peu de ressources, fait de son mieux. Des médiations-réparations, des travaux d’intérêt général sont mis en place ; mais sans outils statistiques, on ne peut pas évaluer leur efficacité.
On en revient toujours, monsieur le ministre, à une question de moyens, il est vrai peu commodes à mobiliser en ces temps difficiles où la maîtrise des dépenses publiques doit être privilégiée.
La question est d’autant plus préoccupante qu’au 1er janvier 2014, c’est-à-dire demain, Mayotte entrera dans la fiscalité de droit commun. Dans notre rapport, nous nous inquiétions du niveau des futures recettes fiscales dont disposeront le département et les communes. Le cadastre n’est toujours pas fiabilisé et les Mahorais propriétaires ne disposent pas tous de revenus pour s’acquitter des taxes inhérentes à ces biens.
Or ces collectivités sont d’ores et déjà dans une situation financière très dégradée. Il est à craindre qu’elles ne pourront assumer toutes leurs charges. En métropole, l’aide sociale et l’aide sociale à l’enfance représentent entre 40 % et 70 % du budget des départements ; à Mayotte, les dépenses sociales ne représentent que 3 % du budget du conseil général, qui est consacré à 80 % aux dépenses de fonctionnement.
Nous avons formulé trois propositions dans notre rapport : engager une réflexion sur la répartition du produit fiscal issu de l’application du droit commun ; aménager une transition réaliste pour l’application de ce droit commun ; prévoir une subvention d’équilibre de l’État aux collectivités territoriales pour financer un plan de redressement qui apparaît indispensable afin de faire face à des difficultés ciblées et circonscrites.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer où en est la préparation de ce basculement fiscal et nous assurer qu’il permettra aux collectivités mahoraises d’assumer toutes leurs obligations ?
Les attentes des Mahorais sont fortes ; ils ont placé leurs espoirs de vie meilleure dans la départementalisation et dans leur attachement à la France. L’État doit être à leurs côtés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire des quarante années passées montre clairement que les Mahorais ont fait le choix de la France. Entre Mayotte et la métropole, je crois pouvoir le dire sans me tromper, c’est une histoire d’amour. C’est la France qui a protégé le territoire depuis cinquante ans, et les habitants ont conscience que, sans cette aide et sans cette considération, Mayotte ressemblerait aujourd’hui aux Comores, avec toutes les difficultés économiques, sociales et de sécurité que cela suppose. Cette situation, évidemment, implique des devoirs.
Le processus de départementalisation doit désormais être poursuivi. Vous avez ainsi présenté l’année dernière, monsieur le ministre, un certain nombre d’ordonnances concernant les secteurs de l’emploi et de la formation professionnelle, de l’action sociale et de la famille, du code rural et de la pêche maritime. Malgré cette marche en avant vers de nouvelles structures institutionnelles et administratives, force est de constater que la situation de l’île reste complexe, voire préoccupante, et son intégration difficile.
Pour devenir un département, Mayotte a connu au cours des dix dernières années des évolutions nécessaires mais profondes. C’est le cas, par exemple, pour le statut civil de droit local, qui a dû évoluer afin d’être compatible avec les droits et libertés consacrés par notre Constitution. De même, la mise en application du droit commun et la mise en place d’une nouvelle organisation judiciaire et de l’état civil constituent de véritables révolutions culturelles, parfois difficiles à faire accepter alors que le droit coutumier reste très prégnant sur l’île.
Comme les autres départements d’outre-mer, Mayotte doit par ailleurs faire face à des difficultés économiques et au problème récurrent de la vie chère. L’économie mahoraise est largement tournée vers l’agriculture, l’industrie y étant peu développée. Il y a bien un secteur agroalimentaire, qui fournit par exemple des produits laitiers, mais ses activités sont réduites. Or les taxes liées aux importations fragilisent beaucoup l’économie de l’île.
Les événements de 2011 ont tragiquement rappelé cette réalité.
La tension sociale, alimentée par un essor démographique spectaculaire, est très forte. La population a été multipliée par huit en cinquante ans et plus de 60 % des Mahorais ont moins de vingt-quatre ans. Si nous n’y prêtons pas attention, cette jeunesse causera, nous en sommes tous conscients, de plus en plus de troubles dans les prochaines années.
Le fort taux de chômage et les difficultés économiques de la population entraînent de nombreux problèmes de financement des aides sociales, notamment du RSA.
Enfin, le problème de l’immigration clandestine est, à Mayotte plus qu’ailleurs, difficile à résoudre. Le nombre des migrants venus des Comores dans des barques de fortune, dans des conditions souvent dramatiques, se multiplie. Ces flux de populations massifs et incontrôlables créent des situations tragiques, comme celle des mineurs isolés : les femmes des Comores, en quête d’un avenir meilleur pour leur enfant, viennent accoucher sur l’île et certaines d’entre elles repartent, hélas sans lui…
Partant de ce constat alarmant, nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan ont eu le mérite de pointer dans leur rapport les nombreux défis auxquels Mayotte est aujourd’hui confrontée, tout en esquissant des pistes de réflexion. Je souhaiterais revenir sur les aspects qui me paraissent les plus importants.
Au sujet du statut et de la vie chère, tout d'abord, il est important que Mayotte devienne une région ultrapériphérique aux yeux de l’Union européenne : elle pourra enfin accéder aux fonds européens d’aide sectorielle pour le développement régional, la pêche, l’agriculture, la recherche, le commerce, l’éducation et la formation.
De ce côté-là, bien sûr, nous pouvons raisonnablement être optimistes puisque l’île a obtenu ce statut par décision du Conseil européen en juillet dernier. Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour veiller à ce qu’il soit rendu effectif d’ici au 1er janvier 2014.
L’aboutissement de ce processus pose cependant la question plus générale du devenir des régions ultrapériphériques dans le cadre du budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020, fortement sous tension, comme chacun a pu le constater. Il me semble utile d’aborder également cet aspect de la question.
En définitive, face au phénomène de la vie chère, inextricablement lié à la condition ultramarine de Mayotte, nous devons trouver des solutions contre les monopoles de fait, qui font augmenter les prix, et diminuer les taxes d’importation des produits de première nécessité.
Dans le domaine de la justice, permettez-moi de souligner tout le travail qui a été réalisé par le tribunal de Mayotte, lequel n’a été créé que le 1er avril 2011, soit voilà moins de deux ans. Les échanges avec la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion sont importants. Ils permettront d’avancer rapidement vers une homogénéisation du droit. Mais cela ne suffit pas.
Il convient également de renforcer la formation des officiers d’état civil pour gérer le retard pris dans la transcription de l’état civil mahorais. Il faut également intégrer les surveillants pénitentiaires au même grade de la fonction publique que les autres surveillants.
La disparition de la justice cadiale, une des expressions les plus manifestes de l’attachement de Mayotte à ses traditions, mêlant droit musulman et coutumier, au profit de la seule justice de droit commun mérite également toute notre attention pour éviter un ébranlement la société mahoraise.
Enfin, la question migratoire est l’un des principaux défis auquel ce département doit faire face et auquel nous sommes collectivement confrontés.
Les recommandations de la mission confiée à Alain Christnacht étaient très attendues. La nécessité de favoriser le développement des échanges de Mayotte avec son environnement régional, notamment avec l’Union des Comores, spécifiquement dans les secteurs de la santé et de l’éducation est tout particulièrement mise en avant.
Si le type de coopération ainsi prônée est clairement indispensable pour résoudre à moyen et à long terme les problèmes d’immigration rencontrés par Mayotte, ces derniers restent lancinants à court terme.
Ne faudrait-il pas dès à présent s’atteler aux conditions des demandeurs d’asile et des personnes en situation irrégulière, monsieur le ministre ?
Jean-Pierre Sueur a longuement évoqué cette question. Plusieurs d’entre nous – tel n’est pas mon cas – se sont rendus sur place. Nous écoutons donc leurs témoignages avec beaucoup d’attention. Pas plus que d’autres, je n’ai de solution et je ne détiens pas la vérité. Toutefois, il est certain que renoncer à investir dans des bâtiments plus grands, plus adaptés et plus humains pour le centre de rétention administratif n’est pas une bonne chose. S’il n’y a pas de solution alternative crédible à la rétention pour maîtriser les flux migratoires, la solution ne peut pas être de ne pas prévoir de moyens d’action.
Le dispositif existant, avec tous les problèmes qu’il occasionne, a tout de même un effet dissuasif, même si, comme cela a été fort bien dit, beaucoup de gens passent au travers. Il faut tout de même que nous ayons, dans le respect bien sûr des règles de la République, un dispositif un tant soit peu organisé. J’aimerais connaître votre opinion sur ce sujet, monsieur le ministre, mais, en ce qui me concerne, je pense, et je le dis de manière très humble, qu’il faudra y réfléchir à deux fois avant d’abandonner les investissements dévolus au centre de rétention.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons que constater que beaucoup de chemin reste à parcourir pour que les Mahorais bénéficient de l’ensemble des droits garantis par notre Constitution. Alors que la naissance officielle du département de Mayotte n’a bien entendu pas résolu l’ensemble des problèmes auxquels l’île doit faire face, ce bouleversement institutionnel implique néanmoins une plus grande mobilisation des pouvoirs publics.
Gardons à l’esprit que le développement de Mayotte et des outre-mer, certes semé d’embûches, constitue un atout pour la France dans la mesure où elle saura l’accompagner. Je crois que les satisfactions mutuelles que nous pouvons attendre du travail extrêmement difficile dans lequel notre pays et le département de Mayotte sont engagés seront à l’échelle des espérances, notamment celles des populations au service desquelles nous sommes. (Applaudissements.)
(M. Jean-Patrick Courtois remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1976, nos compatriotes mahorais avaient affirmé avec force leur attachement à la France et à la République en rejetant à 99,4 % l’idée de rejoindre la toute jeune Union des Comores. À cet égard, je prie nos collègues mahorais présents de saluer pour nous le sénateur Marcel Henry, qui a été, avec la présidente Zéna M’Déré, la figure de proue de ce combat, avec le slogan: « rester français pour être libres ».
Presque quarante ans plus tard, et malgré trois changements institutionnels majeurs, il est regrettable de constater que la situation de Mayotte demeure problématique et que les difficultés structurelles n’ont pas été réglées.
Comme l’ont relevé nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan dans leur rapport, la société mahoraise est confrontée à des défis majeurs pour son avenir et son développement, à commencer par une pression démographique qui menace à tout moment de provoquer une véritable explosion sociale, à l’image des tensions qui agitent la Guyane.
Située au milieu d’une partie du monde en proie au sous-développement, Mayotte fait figure d’Eldorado pour les populations voisines, attirées par la perspective d’une vie meilleure, ainsi que par une situation économique et sociale plus enviable.
La prise en charge sanitaire – et, incidemment, l’idée d’accoucher sur le sol français –, l’emploi et l’éducation constituent sans surprise les trois principaux motifs de migration. Toutefois, la désillusion est le plus souvent au bout du voyage, quand l’issue de la traversée n’est pas tragique.
Surtout, la politique de lutte contre l’immigration illégale ne semble pas avoir atteint ses objectifs. Mayotte est le premier département français en termes de reconduites à la frontière, avec 50 % du total, pour un coût de 50 millions à 70 millions d’euros.
Les conditions de rétention des clandestins sont particulièrement dégradées et à la limite de la dignité, notamment à Pamandzi, mais il est vrai que l’administration dispose de peu de moyens pour gérer les flux auxquels elle fait face et qui conduisent à une surpopulation chronique. La nécessité de construire un nouveau centre de rétention est devenue encore plus urgente dans ces conditions. Le Sénat, on s’en souvient, avait d’ailleurs déjà, et ce à plusieurs reprises, fort opportunément attiré l’attention du précédent gouvernement sur ce point, notamment lors des discussions budgétaires.
Face à cet état de fait particulièrement dramatique, plusieurs solutions sont avancées : il faudrait d’abord relever les moyens et les effectifs des administrations ; assurer ensuite une meilleure prise en charge des mineurs isolés ; mettre fin au visa Balladur au profit d’un dispositif plus réaliste ; enfin, mettre en place une coopération renforcée avec les Comores.
Pour notre part, tout en souhaitant le maintien du système de visa, nous souscrivons à l’ensemble de ces recommandations, même si nous avons conscience qu’elles ne pourront être mises en place à très court terme et qu’une volonté politique sans faille devra accompagner leur mise en œuvre.
Pour l’heure, il nous semble évident que la pression migratoire rend l’adaptation des services publics et des infrastructures très complexe au regard des besoins de la population. Tout État, quel qu’il soit, peinerait à absorber une augmentation d’un tiers de la population en seulement cinq ans, sachant, en outre, que la clandestinité d’une grande partie des migrants rend impossible un recensement exhaustif et l’adaptation des équipements en conséquence.
Mayotte est une société très jeune – 54 % de la population a moins de vingt ans –, mais les pouvoirs publics peinent à suivre cette démographie vigoureuse. Par exemple, il manque encore près de 450 classes pour pouvoir scolariser l’ensemble des enfants dans des conditions décentes, dont 150 dans le chef-lieu du département, Mamoudzou.
Des signes encourageants apparaissent cependant, comme la stabilisation des naissances depuis 2009, même si le taux de fécondité reste compris entre cinq et six enfants par foyer.
La société mahoraise s’était déjà engagée sur la voie du progrès avant l’aboutissement du processus de départementalisation. La loi du 21 juillet 2003 avait ainsi conduit à une profonde mutation du statut civil de droit local pour adapter l’île aux principes fondamentaux de la République.
Ce processus a été parachevé avec l’ordonnance du 3 juin 2010, qui a posé le principe selon lequel le statut local ne saurait limiter ou contrarier les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français. Je pense notamment à l’établissement de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage et de divorce.
Dans le même registre, nous nous félicitons de l’achèvement de la révision de l’état civil ou de l’alignement progressif sur le droit commun de l’organisation judiciaire.
Le changement majeur pour Mayotte fut sa transformation en département d’outre-mer à compter de mars 2011. La départementalisation de Mayotte, approuvée à 95 % par les électeurs en 2009, permettra-t-elle toutefois d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire de l’île et de son développement, comme le souhaitent ses laudateurs ? Nous sommes nombreux ici à le souhaiter, mais nous rappelons aussi que la question institutionnelle constitue un débat récurrent dans nos collectivités ultramarines et que, jusqu’à présent, les changements de statut n’ont pas eu d’effets décisifs en termes de décollage économique.
La question institutionnelle n’est pas marginale, mais elle ne saurait constituer la panacée universelle. Le statut n’est qu’une boîte à outils, à charge pour ceux qui s’en servent de l’utiliser avec audace, mais aussi avec rigueur ; à charge également pour l’État français d’apporter tout son concours et ses compétences pour aider nos compatriotes mahorais à s’engager dans la voie d’un véritable progrès endogène.
Or, sur cette question, le plus gros travail reste à faire, comme le relève l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, l’IEDOM. La forte croissance du PIB ces dernières années s’explique à titre principal par le poids des administrations publiques, sa contribution à la valeur ajoutée représentant la moitié. Entreprises et ménages ne contribuent chacun qu’à environ un quart de la richesse produite, la consommation demeurant le principal moteur de l’économie.
Malgré cette croissance dynamique, le PIB par habitant reste quatre fois inférieur à celui de la France métropolitaine. Cela étant dit, le développement économique de l’île et l’élévation du niveau de vie ont en partie pour effet d’accroître la demande des biens, mais cette augmentation de la demande, associée à des coûts d’acheminement importants, a surtout engendré une situation inflationniste particulièrement préjudiciable au développement et source de tensions sociales. Ce phénomène n’est pas propre à Mayotte – on se souvient de la grève générale en Guadeloupe en 2009 –, mais il entraîne une hausse de la précarité que nous ne pouvons accepter.
Dans ce contexte, le département est en première ligne pour assurer la prise en charge sociale des populations. Or la transformation en cours d’une économie agricole vers une économie de service laisse trop de monde sur le carreau. Les administrations constituent le premier employeur de l’île, mais souffrent de façon concomitante d’une fragilité financière inquiétante, alimentée par une structure fiscale volatile.
Le conseil général a bien tenté de jouer un rôle d’amortisseur social en procédant à des embauches massives, mais une telle politique n’est pas soutenable, nous le comprenons tous, à long terme.
La transition vers la fiscalité de droit commun sera décisive, et l’État devra faire en sorte que la solidarité nationale s’exerce pleinement pour permettre à Mayotte de relever ces défis.
Monsieur le ministre, le groupe du RDSE et les Radicaux de gauche tiennent à saluer le choix de nos compatriotes mahorais d’approfondir leur enracinement dans la République. Qu’ils sachent qu’ils pourront compter sur notre solidarité, assurée par les valeurs qui fondent notre pays, pour progresser vers une société meilleure. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à 8 000 kilomètres de notre assemblée se trouve un département français, petit morceau de France coincé entre l’Afrique et Madagascar, qui constitue aujourd’hui un des plus grands défis de notre République.
Les Mahoraises et Mahorais ont longtemps rêvé de cette République, et c’est ainsi qu’ils se sont prononcés, le 29 mars 2009, à 95,2 %, pour la départementalisation de leur territoire.
Le 31 mars 2011, Mayotte devenait ainsi le cent unième département français et le cinquième département d’outre-mer.
Cette départementalisation devait, avec le temps, sortir l’île de Mayotte du régime d’exception et la faire entrer dans le droit commun.
Le chemin de l’égalité entre Mayotte et la métropole, il faut le reconnaître, est encore bien long. C’est à raison que nos compatriotes mahorais exigent que l’article 1 de la Constitution prenne tout son sens pour eux, cet article étant celui qui assure, je le rappelle, l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion.
En mars 2012, vous vous rendiez, monsieur le président de la commission des lois, en compagnie de Christian Cointat et Félix Desplan, dans ce tout nouveau département.
Vous constatiez, dans le riche et instructif rapport d’information rendu en juillet 2012, les nombreux défis lancés à la République par nos compatriotes mahoraises et mahorais. Vous concluiez, comme le font depuis de nombreuses années les associations qui se battent sur le terrain, qu’il y avait urgence à agir.
L’un des enjeux dont il importe de se saisir – et c’est celui auquel je m’attacherai aujourd’hui, même si certains de nos collègues en ont déjà parlé – est celui de l’immigration à Mayotte et, à travers lui, celui du respect des droits et de la dignité des personnes immigrées.
En effet, l’application du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’a pas été rendue obligatoire par la départementalisation de Mayotte. C’est donc un régime d’exception qui est en vigueur, celui de l’ordonnance du 26 avril 2000.
Dans ce cadre, les recours contre les décisions d’éloignement ne sont pas suspensifs, et les étrangers, venant en majorité des Comores voisines, peuvent être reconduits dans des délais très courts, sans qu’un juge ait pu s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux.
C’est d’ailleurs cette absence de recours suspensif qui a amené la Cour européenne des droits de l’homme à condamner la France en décembre dernier. Certes, il s’agissait, en l’espèce, d’un ressortissant brésilien en Guyane. Mais le raisonnement peut, sans le moindre doute, être transposé à Mayotte.
Les témoignages de reconduites expéditives vers les Comores sont nombreux, et pour le moins choquants dans un pays qui clame comme le nôtre si continûment son attachement aux droits de l’homme.
Certains argueront que, si les recours venaient à suspendre l’éloignement, les centres de rétention administrative ne seraient plus en mesure d’« accueillir » tous les étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire.
Il ne me semble pourtant ni que l’enfermement soit une solution acceptable aux problèmes liés à l’immigration clandestine à Mayotte, ni que le manque de places dans les centres de rétention administrative puisse justifier le non-respect des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales instituant le droit à un recours effectif et le droit au respect de la vie privée et familiale.
Je veux ici citer les propos tenus par la ministre de la justice, Christiane Taubira, au sujet de l’outre-mer : « Si ces territoires relèvent de l’État de droit, il ne peut y avoir de dérogations qui, sous couvert d’adaptation à la situation locale, sont en réalité des dispositions restrictives de liberté. Il n’est pas concevable de transiger sur les principes démocratiques de la citoyenneté pleine et entière, qu’il s’agisse du respect des niveaux de juridictions, des possibilités de recours. »
Au contraire, c’est une politique de coopération, fondée sur des rapports plus équitables et une liberté de circulation accrue, qui permettra de soulager la pression migratoire dont souffrent Mayotte et les autres départements d’outre-mer.
La mise en place de cette politique est urgente. Elle seule pourra mettre fin aux tragédies des kwassa kwassa, ces petites embarcations surpeuplées qu’empruntent des Comoriens désespérés pour arriver à Mayotte et qui ont transformé le canal du Mozambique en un véritable cimetière marin.
Il est donc impératif, comme le précise le rapport dont nous débattons, de passer sans délai des accords bilatéraux entre la France et les Comores dans le domaine de l’immigration.
Le régime d’exception appliqué dans le traitement de l’immigration ainsi que la pauvreté de nos concitoyens mahorais ont également fait de Mayotte une véritable bombe à retardement sanitaire. C’est le constat que dresse Médecins du monde depuis plusieurs années. Cette organisation dénonce un système de santé performant mais dont trop d’habitants sont exclus. Mayotte affiche, en effet, le taux inacceptable de 7 % de malnutrition infantile. Il n’est plus possible de fermer les yeux sur cet état de choses.
Il ne s’agit pas ici d’établir la liste exhaustive des défis qu’il reste à relever à Mayotte. Cela va de la lutte contre la vie chère au relèvement du RSA mahorais à au moins 50 % du RSA national dans les plus brefs délais, en passant par la construction de 600 classes supplémentaires dans les écoles primaires d’ici à 2017, par les garanties à apporter au droit d’asile, ou encore par le renforcement de la sécurité publique.
Ces nombreux défis appellent un investissement sans faille de notre République. C’est bien là la réponse qu’exige votre rapport, monsieur le président de la commission des lois. À chacun de prendre conscience de l’urgence qu’il y a à agir et à prendre rapidement, pour ce qui le concerne, les mesures qui s’imposent.
« Sommes-nous des Français à part entière ou des Français entièrement à part ? », se demandait Aimé Césaire. Les Mahoraises et les Mahorais pourraient se poser cette question dans les mêmes termes, eux qui sont aussi les enfants mal servis de la nation. Les pouvoirs publics métropolitains, par leur programme en plusieurs volets en vue d’améliorer la situation à Mayotte, sont seuls à être en mesure de donner aux habitants de ce département la meilleure réponse. Il n’est plus temps d’attendre ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat fait suite au très bon rapport d’information rédigé par nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan. À partir d’un constat que je partage, ils ont émis un certain nombre de propositions, dont certaines devraient, selon moi, faire l’objet d’un débat plus précis que celui qui nous rassemble cet après-midi mais dont je me félicite toutefois.
Ce rapport a été rédigé à la suite d’une mission réalisée à Mayotte par une délégation de la commission des lois en mars 2012, soit un an après que ce territoire est devenu le cent unième département français, conformément au souhait des Mahorais, qui, en 2009, ont voté très majoritairement en ce sens.
Je vous ferai grâce de ce que j’ai pu dire devant la Haute Assemblée avant et après la tenue de ce référendum. Je garde toutefois le souvenir de séances animées, ponctuées de remarques quelque peu désobligeantes, pour ne pas dire violentes, émanant de collègues de l’opposition d’aujourd’hui et de la ministre de l’intérieur de l’époque.
Je rappelle que le groupe CRC était défavorable, non pas tant à la départementalisation, mais aux conditions dans lesquelles elle avait été présentée aux Mahorais, et qu’il regrettait le quasi-mépris qui s’était exprimé à l’égard des Comores et des Comoriens.
Ainsi, lors du débat sur une déclaration du Gouvernement tenu au Sénat le 12 février 2009, j’avais attiré l’attention sur les conséquences que pouvait avoir la méthode employée par le gouvernement d’alors pour faire accepter la départementalisation par la population mahoraise. Ces nombreuses mises en garde concernaient aussi bien la forme que le fond du processus retenu.
Aujourd’hui, je constate que beaucoup trop de nos craintes se sont vérifiées dans les faits, comme j’ai pu le constater sur place.
La départementalisation a été présentée aux Mahorais comme un facteur d’amélioration immédiate de leurs conditions de vie. Elle a fait naître un véritable espoir, il faut le reconnaître. Le résultat du référendum en témoigne d’ailleurs.
Très vite, pourtant, la déception a remplacé l’espoir. Durant quarante-cinq jours, en septembre et en octobre 2011, la colère populaire contre la vie chère a traversé Mayotte, comme elle a traversé les Antilles et à la Réunion.
Les revendications formulées par ce mouvement n’étaient rien d’autre que l’expression d’une vie trop dure, couplée au sentiment, pour les Mahorais, d’être considérés comme des citoyens de seconde zone.
Le principe de réalité s’est donc bien vite imposé, et les conditions dans lesquelles la départementalisation avait été mise en place ont suscité de violentes réactions. Soyons clairs : la départementalisation s’est faite au rabais. Ainsi, le niveau des prestations sociales reste très faible, au regard, notamment, de celui qui est appliqué en métropole.
Au prétexte que « la départementalisation ne doit pas ajouter des bouleversements et des frustrations provoquées par une élévation artificielle des niveaux de vie », il ne paraît « pas envisageable que les habitants de Mayotte disposent immédiatement de l’ensemble des transferts sociaux en vigueur dans les départements de métropole », pouvait-on lire dans le rapport de 2008. Que dire devant de telles remarques, si ce n’est qu’il serait intéressant de savoir ce que les Mahorais en pensent eux-mêmes ? Au bout du compte, il s’agit de leur vie !
Même si le RSA, créé à Mayotte le 1er janvier 2012, a vu son montant forfaitaire revalorisé de 52,29 % au 1er janvier 2013, il ne représente que 181,22 euros pour une personne seule sans enfant.
Une nouvelle revalorisation portera le montant forfaitaire du RSA mahorais à 50 % du montant national, mais cette mesure fait débat. J’ai cru comprendre, en effet, que le ton était monté au conseil général de Mayotte, où cette mesure discriminatoire a été d’autant plus mal accueillie qu’elle s’est accompagnée de commentaire sur les risques de déstabilisation à Mayotte si y était appliqué le RSA à 100 %. Vous l’avouerez, mes chers collègues, c’est un peu rude à entendre !
J’en viens à la répartition territoriale des 8,4 millions d’euros de crédits de paiement alloués en 2013 au dispositif d’aide juridictionnelle dans les départements d’outre-mer. La Réunion est destinataire de la majorité de ces crédits, suivie de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et, enfin, de Mayotte, pour environ 5 %, ce qui ne peut que renforcer le sentiment de discrimination des Mahorais.
La départementalisation entérine le morcellement des Comores, au détriment de la population comorienne et de la stabilité institutionnelle et politique de l’archipel. Or, vous le savez bien, mes chers collègues, ce sont les mêmes familles qui peuplent les quatre îles qui le constituent !
Le visa Balladur n’est toujours pas supprimé. Il continue de crisper les relations entre les îles de l’archipel, en créant une frontière artificielle séparant Mayotte des autres îles. La situation était déjà tragique avant la départementalisation ; elle s’est encore aggravée depuis. Chaque année, on l’a dit, ce sont des milliers de Comoriens qui tentent d’accéder à Mayotte sur les fameux kwassa kwassa, et ils sont nombreux à perdre la vie dans cette traversée désespérée.
Depuis l’instauration du visa Balladur, en 1994, près d’un millier de Comoriens meurent ainsi chaque année dans des naufrages entre Mayotte et Anjouan.
À Mayotte, les informations funèbres se succèdent et se ressemblent : le 16 juillet 2012, sept morts dont quatre enfants ; le 16 août, décès d’un nourrisson au centre de rétention administrative après l’interception d’un kwassa kwassa ; le 8 septembre, six morts et vingt-huit disparus ; le 8 octobre, trois morts et treize disparus dans un naufrage.
Fait sans précédent, le porte-parole du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a réagi, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à Genève, à cette accumulation de chiffres en octobre dernier. Son intervention faisait suite au naufrage du 8 octobre 2012 qui avait porté à 109, dont soixante-neuf décès, le nombre des victimes de naufrages au large des côtes de Mayotte pour cette même année.
« Ce naufrage, disait-il, rappelle les risques encourus par des personnes désespérées qui fuient la pauvreté, le conflit ou la persécution. » Parfois les trois à la fois ! « Comme en Méditerranée et dans le golfe d’Aden, la mer entourant les îles de Mayotte est le théâtre de traversées clandestines entreprises par des migrants et des réfugiés » – des hommes, des femmes et des enfants… – « en quête d’une vie meilleure ou de protection… »
Ainsi, en 2012, environ 1 200 demandes d’asile ont été déposées à Mayotte par celles et ceux qui sont en quête d’un endroit pour vivre, soit 41 % de plus qu’en 2010, 90 % des demandeurs étant bien sûr originaires des Comores. Autrement dit, des femmes et des hommes comoriens qui tentent de se rendre sur un territoire qu’ils connaissent bien.
Il m’apparaît donc important de prendre la mesure d’une situation aussi singulière, dégradante. Il faut d’admettre l’hypothèse qu’elle ne relève en rien d’une quelconque fatalité et qu’elle n’est pas non plus la simple conséquence des risques encourus par toute personne qui prend la mer.
Je partage totalement ce qu’a indiqué notre collègue Jean-Pierre Sueur : au lieu de laisser Mahorais et Comoriens s’opposer, ayons le courage d’innover en matière de coopération, afin d’aider les Comores à se doter – ce n’est qu’un exemple parmi d’autres – d’infrastructures telles que des maternités, pour permettre aux femmes d’accoucher en toute sécurité chez elles, c'est-à-dire aux Comores !
Dans la continuité, il est primordial d’améliorer immédiatement les conditions de rétention à Mayotte ; cela a d’ailleurs été souligné. À cet égard, les mesures qui ont été prises par le ministère de l’intérieur me semblent encore insuffisantes. Nous devons mettre un terme aux traitements indignes dont sont victimes les personnes enfermées au centre de rétention, ainsi qu’à l’enfermement des enfants. Et c’est du vécu ; je me suis moi-même rendue dans ce centre de rétention !
À l’instar de ma collègue Esther Benbassa, je rappelle ce que Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, déclarait dans un entretien publié dans Causes communes à propos de l’outre-mer : « Si ces territoires relèvent de l’État de droit, il ne peut y avoir de dérogations qui, sous couvert d’adaptation à la situation locale, sont en réalité des dispositions restrictives de liberté. »
Monsieur le ministre, il convient donc de mettre un terme à la situation d’exception que connaît ce département français, pour en finir avec la contradiction consistant à défendre l’universalité des droits partout dans le monde, ce qui est à l’honneur de la France, sans le faire dans certains territoires de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la nouvelle législature a commencé avec la décision du Président de la République de convoquer le Parlement en session extraordinaire pour examiner dans l’urgence certains textes de grande importance, dont le projet de loi sur la vie chère en outre-mer. Vous avez qualifié ce texte de « boîte à outils », monsieur le ministre ; c’est un dispositif qu’il faut utiliser à bon escient.
Malgré la récente promulgation de la loi, Mayotte reste profondément touchée par le phénomène de la vie chère, qui frappe de plein fouet ses habitants, dont le pouvoir d’achat demeure très faible. Pour éradiquer le fléau, le combat sur le terrain doit se poursuivre.
À ce dispositif de lutte contre la cherté de la vie outre-mer viennent s’ajouter d’autres textes. Je pense, d’une part, à celui sur les emplois d’avenir, qui a été adopté et promulgué récemment pour stimuler l’emploi des jeunes sans qualification ou peu qualifiés, et, d’autre part, à celui sur les contrats de génération, qui n’a pas été promulgué à ce jour. Mais qu’en serait-il de leur application dans le territoire mahorais, où le tissu économique demeure très fragile ?
Cela dit, un certain nombre de remarques doivent guider notre réflexion sur la situation globale de ce département.
Premièrement, vous avez pris la décision d’y ajouter une mesure supplémentaire en faveur de l’égalité sociale, en chargeant une mission d’inspection d’étudier les différentes éventualités s’agissant de la mise en œuvre de l’indexation à Mayotte. Je salue avec sincérité l’avènement de cette mesure. Mais que ressort-il réellement des travaux de la délégation interministérielle sur l’évaluation et les conditions de mise en place de ladite indexation ?
Le dispositif des emplois d’avenir oriente les jeunes vers un travail qualifié au bout de quelques années de formation dans le secteur public. C’est une mesure que j’encourage. Toutefois, monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir que les collectivités locales mahoraises sont dans une conjoncture budgétaire et financière de plus en plus difficile et inquiétante. Compte tenu de l’absence de développement du secteur privé, leurs effectifs sont déjà trop importants et peu qualifiés.
Comment tous ces efforts doivent-ils s’articuler dans un tel contexte budgétaire contraint ?
Parallèlement à cela, j’approuve pour ma part la proposition issue du rapport de MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan. Nos collègues insistent sur la nécessité de mettre en place un programme de formation destiné aux fonctionnaires locaux et aux élus pour affronter au mieux les grands bouleversements sociétaux qui attendent Mayotte au tournant de son histoire.
Deuxièmement, à travers le processus d’évolution institutionnelle de l’île que nous examinons, je note que ces collectivités restent aujourd'hui encore mal dotées au plan budgétaire et mal accompagnées sur le plan administratif.
J’espère que l’acte III de la décentralisation n’occultera point les problématiques criantes actuelles et que ces considérations seront prises en compte.
Et, a fortiori, à l’heure où la crise mondiale et européenne fait rage, le département doit poursuivre sa modernisation institutionnelle, socio-économique, voire identitaire.
En somme, nous pouvons remarquer que le calendrier de la départementalisation fixé par le pacte a été approuvé collectivement par les responsables politiques locaux et la population.
À l’appui de ce document, nous ne pouvons dévier le cadre évolutif qui a été fixé avec des orientations précises. Mais il n’en demeure pas moins que tout peut faire l’objet de discussion.
L’esprit de débat, c’est ce qui nous anime ici, dans cette Haute Assemblée, qui a toujours eu des rapports singuliers avec Mayotte.
La départementalisation a été voulue par des femmes et des hommes de conviction. Ils souhaitaient qu’elle soit un facteur de liberté, de stabilité, de justice, d’égalité et d’équité entre tous les citoyens, ainsi qu’un moyen de développement économique et social profitable à tout le monde, jeunes et moins jeunes.
Mais, pour qu’un tel désir devienne réalité, il importe que nous ouvrions aujourd’hui une nouvelle page de l’histoire de l’île, une page dans laquelle nos jeunes compatriotes mahorais pourront occuper en toute légitimité républicaine leur place en devenant des porteurs d’un nouveau projet de société pour les trente années à venir, des citoyens responsables et résolument engagés dans le développement de leur île, des porteurs de projets économiques viables et innovants et des partenaires sérieux pour les pays voisins, à travers une coopération régionale décentralisée, mieux cadrée, dans un esprit gagnant-gagnant, capable de leur permettre de faire face aux défis actuels de la mondialisation.
Monsieur le ministre, par cette énumération, vous avez sans aucun doute saisi le sens profond de ma pensée : la départementalisation reste à construire, pour qu’elle soit synonyme de vie meilleure et d’égalité de chances pour nous tous.
Les gouvernements successifs ont à maintes reprises promis d’accompagner les collectivités mahoraises dans cette phase importante de notre évolution institutionnelle, qui sera marquée, nous le savons bien, par des moments douloureux et difficiles, mais incontournables dans la voie de la responsabilité que nous avons collectivement tracée.
Le président de la commission des lois, également rapporteur, avait d’ailleurs souligné au mois de juillet 2012 que la départementalisation se réalisait dans des conditions difficiles. Il déclarait ne pas imaginer que l’on puisse atteindre le droit commun à court terme.
À cet effet, j’affirme avec force que la solidarité nationale est plus que jamais nécessaire pour permettre à cette population, la plus exposée de toute la nation française, de faire face aux difficultés de la vie quotidienne.
Car si la départementalisation statutaire n’est plus ce projet en devenir ou ce combat d’un demi-siècle, il reste une autre conquête, d’une aussi grande importance, à accentuer – elle est déjà engagée – et à mener à terme dans les toutes prochaines années : c’est la grande affaire de l’éducation et de l’encadrement de la jeunesse. Beaucoup des orateurs qui m’ont précédé y ont fait référence. C’est avec elle que doit se bâtir la nouvelle société mahoraise que j’appelle de mes propres vœux ; l’essentiel de l’action publique doit se structurer autour de cet enjeu majeur.
À ce titre, sachez qu’il existe à travers toute l’île une insuffisance manifeste de salles de classes pour accueillir une part très importante de jeunes à scolariser. Et l’éducation nationale est confrontée aujourd'hui encore à cette lourde difficulté ; de nombreuses écoles actuelles se trouvent dans un état de délabrement pitoyable. Cela expose nos jeunes et les personnels à des risques majeurs d’insécurité.
Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur cette situation, qui exige des solutions immédiates. En effet, l’éducation est une mission régalienne de l’État. Or un peuple qui ne se soucie pas de sa jeunesse est un peuple qui se suicide.
Pour rappel, l’INSEE a recensé 212 600 habitants en 2012 à Mayotte, en soulignant que la population augmentait toujours fortement. Selon cet organe, avec 570 habitants au kilomètre carré, Mayotte est le département français le plus dense après ceux d’Île-de-France, et la périphérie de Mamoudzou, le chef-lieu, se développe au détriment de la ville même.
Troisièmement, je voudrais évoquer brièvement la loi du 7 décembre 2010 relative au département de Mayotte, qui prévoit sans ambiguïté l’entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2014 d’un nouveau régime fiscal fondé essentiellement sur la fiscalité locale directe.
Je conçois qu’une telle initiative soit de nature à donner une impulsion nouvelle et une dynamique à réinventer à l’échelle locale, afin de gagner la bataille économique, sociale et culturelle du nouveau département.
Mais, force est de le constater, la dynamique transcrite dans le pacte pour la départementalisation mérite d’être accentuée, afin de dissiper les inquiétudes qui se sont manifestées et qui se manifestent toujours dans le territoire.
En outre, en l’absence de lisibilité claire et de transparence quant à la mise en application des mesures prises par le Gouvernement, je ne suis pas convaincu que la mise en œuvre de la fiscalité locale et l’octroi des différents fonds structurels européens s’effectueront en 2014 dans les conditions appropriées.
Il faut accentuer la formation des autorités locales et des cadres qui auront à gérer ces nouveaux fonds européens.
Une véritable synergie doit être engagée pour mettre à contribution toutes les administrations de l’État, des collectivités locales, groupements, chambres consulaires et divers syndicats, pour affronter de concert les défis de la mise en œuvre des mesures à prendre.
Pour mémoire, monsieur le ministre, lors de votre audition, le 11 juillet dernier, devant la délégation sénatoriale à l’outre-mer, vous avez pris le soin de détailler les programmes d’action, les priorités et les méthodes que vous souhaitiez impulser.
Vous avez tout d’abord indiqué qu’une nouvelle méthode d’action serait mise en place, en favorisant la participation des élus à l’action gouvernementale. De plus, vous avez précisé que le ministère des outre-mer bénéficierait d’une émancipation vis-à-vis du ministère de l’intérieur, afin de gagner en autorité pour mener une action ministérielle plus efficace.
Vous avez aussi annoncé l’affectation dans chaque ministère des référents outre-mer, afin de tenir compte de la spécificité de ces territoires en amont du travail normatif. C’est une bonne chose, mais je constate une nouvelle fois que le jeune département est à la marge de toutes ces mesures et ne bénéficie pas du même traitement que les autres.
Aujourd’hui, on demande à celui-ci d’exercer l’ensemble de ses compétences sans aucun accompagnement. Le conseil général de Mayotte assurant les attributions d’un département doit également assumer celles d’un conseil régional.
Certes, cela pourrait se faire, mais au préalable la mise en œuvre de ces responsabilités suppose, d’une part, un accompagnement accru de l’État face au déficit chronique qui asphyxie lourdement la collectivité et, d’autre part, le transfert de certaines compétences aux autres collectivités locales afin de désengorger celui-ci.
Dans la perspective de parvenir à un équilibre institutionnel, j’estime que le projet de l’acte III de la décentralisation doit prendre en compte cette exigence avec les moyens financiers adéquats.
Pour clore ce chapitre et dans la lignée de vos observations, j’ajoute qu’il faudrait que nous repensions, en étroite synergie, de nouvelles méthodes de travail pour une véritable décentralisation des compétences en direction des collectivités mahoraises, dans leurs sphères respectives.
Par ailleurs, en ce qui concerne la lutte contre l’immigration clandestine, certes, des efforts ont été engagés, mais force est de constater que le combat est loin d’être gagné. Combien d’enfants et d’adultes périssent dans ce bras de mer, monsieur le ministre, à l’heure où la France réaffirme sa place prépondérante en matière de politique étrangère, comme en témoigne l’épisode malien ?
Il est vrai que nous nous sommes rencontrés pour évoquer des mesures de lutte contre l’immigration illégale afin de tenter d’apporter des éléments nouveaux. Néanmoins, je réaffirme mon souhait de voir s’amorcer un dialogue sérieux entre les différentes autorités françaises et comoriennes pour que les passages des barques de fortune s’arrêtent, et que la coopération régionale s’effectue dans un climat apaisé et de codéveloppement.
Afin de préparer l’intégration de Mayotte dans son environnement proche, je réitère avec vigueur mon vœu : entreprendre des partenariats sérieux avec les pays voisins, à travers une coopération régionale décentralisée, mieux cadrée, dans un esprit « gagnant-gagnant », pour faire face aux nouvelles donnes de la mondialisation.
La place de Mayotte dans la République et celle de la France dans l’Europe constituent une valeur ajoutée certaine pour Mayotte, ce qui devrait favoriser l’émergence d’une politique de coopération et les actions extérieures des collectivités territoriales mahoraises.
Pour en finir, je souhaite souligner que, à l’occasion du recensement 2012, l’INSEE a indiqué que le logement augmente moins vite que la population du département. Sachez que cette question reste un sujet crucial dans les outre-mer. Elle est d’autant plus importante à Mayotte, où l’habitat insalubre connaît une proportion, somme toute, non négligeable.
J’ai eu l’occasion de préciser lors de la discussion du projet de loi « vie chère outre-mer » que la politique de logement à Mayotte est inexistante, alors qu’elle devrait constituer une préoccupation pour les gouvernements successifs.
Je saisis l’opportunité qui m’est offerte aujourd’hui, à l’occasion de ce débat très animé, pour revendiquer au nom des collectivités territoriales dont je suis le porte-voix, dans cette assemblée, que l’application du droit commun, dans le département, passe aussi par un alignement équilibré de toutes les institutions de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès le lendemain de mon élection au Sénat en septembre 2011, j’ai adressé un courrier au président Jean-Pierre Bel, dans lequel je demandais qu’une délégation parlementaire puisse se rendre dans mon département, à Mayotte, afin de constater sur place une situation sociale extrêmement difficile.
L’île tout entière était alors en proie à un mouvement de grève générale sans précédent.
Le 15 novembre suivant, le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, décidait d’y envoyer une mission. À l’issue de très nombreuses visites et rencontres sur place, celle-ci a remis un rapport d’une grande qualité, en date du 18 juillet dernier.
Depuis quelques mois, le regard sur ce département semble changer. L’organisation d’un débat lui étant exclusivement consacré est l’un des signes forts et encourageants d’une prise de conscience de la situation spécifique et particulièrement délicate de Mayotte. Je tiens, à ce titre, à remercier le président de la commission des lois, ainsi que tous ceux qui ont bien voulu y prendre part.
Je salue également le groupe socialiste, auquel j’appartiens, pour la solidarité qu’il a su témoigner. Merci, chers collègues, de ne pas avoir laissé entre mes seules mains la « patate chaude » de Mayotte ! (Sourires.)
Il est vrai que de nombreux rapports ont été commandés ces dernières années. Cependant, le temps de l’action est venu, et je souhaite que le débat d’aujourd’hui pose les bases d’un engagement réel et concret de la force publique dans le devenir du 101e département. Car à Mayotte, il n’est pas un seul secteur qui ne soit une priorité !
L’imbrication des problématiques provoque une situation apparemment inextricable et si nous ne voulons pas établir un énième cahier de doléances impossible à satisfaire, il convient d’analyser les causes premières des difficultés afin de déterminer la nature des actions à mener et de les prioriser.
J’identifie deux aspects majeurs, qui préfigurent les enjeux programmatiques de notre débat.
Le premier est lié au fait que Mayotte est un tout jeune département, et que son accession à ce statut le 31 mars 2011 n’a pas été accompagnée des moyens suffisants pour que ce territoire se développe normalement, à l’instar d’autres départements d’outre-mer plus anciens, structurellement mieux équipés et plus expérimentés.
En somme, beaucoup – presque tout, serait-il plus judicieux de dire – reste à faire à Mayotte pour que le statut dont l’île vient d’hériter ne soit pas une « coquille vide » dépourvue de moyens, d’outils et de compétences au service des citoyens.
Le Gouvernement a récemment assuré que la mise en place de la fiscalité propre serait effective au 1er janvier 2014. La réussite du passage de Mayotte dans la fiscalité de droit commun repose, en grande partie, sur le succès de la fiabilisation du cadastre.
Or ce chantier n’est toujours pas bouclé, et la loi de finances pour l’année 2013 ne prévoit aucun crédit pour résoudre le problème.
Nous appelons tous de nos vœux l’instauration de cette fiscalité locale, mais il faut impérativement expliquer en amont aux Mahorais les conséquences que celle-ci aura sur le pouvoir d’achat de ceux qui seront effectivement imposables. Car, je le rappelle, le revenu moyen à Mayotte est inférieur à 1 000 euros par mois !
Par ailleurs, cet état de fait appelle une question simple : si les communes ne peuvent compter que sur un nombre réduit de contribuables, de quoi vivront-elles ?
Aujourd’hui, alors même qu’elles bénéficient de dotations de l’État, onze communes sur dix-sept sont placées sous tutelle de la chambre régionale des comptes...
Une compensation budgétaire sera donc incontournable. À combien s’élèvera-t-elle ?
Il me paraît opportun de formuler, ici, une proposition globale, dont je souhaite que nous puissions débattre sérieusement tant sur le fond que sur les modalités de son éventuelle mise en œuvre.
Aussi, pour répondre à toutes ces difficultés, et instaurer les bases d’une véritable départementalisation, des dispositifs spécifiques ne pourraient-ils pas être créés, à l’instar de ce qui avait été fait pour l’état civil ?
Malgré un bilan en demi-teinte, la Commission de révision de l’état civil, la CREC, a abattu un travail, certes incomplet, mais indispensable. Il lui avait été, notamment, reproché l’absence de campagne d’information et de sensibilisation à destination de la population concernant les enjeux de cette réforme.
Tenant compte des critiques qui ont été formulées, des commissions ad hoc pourraient permettre de structurer et de former durablement les services des collectivités mahoraises.
La ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu, dont la venue à Mayotte semble être annoncée à la fin du mois, précisera, je l’espère, le calendrier et les modalités de la fiscalité propre, ainsi que l’avenir institutionnel de ce territoire.
Le second point névralgique, c’est l’immigration clandestine massive et incontrôlée à laquelle le département doit faire face, et qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec le statut de département dont Mayotte a voulu se doter.
Cette pression migratoire exceptionnelle affecte lourdement tous les pans de la société. Sur 30 000 reconduites à la frontière par an au niveau national, 20 000 à 25 000 migrants clandestins sont reconduits par an de Mayotte vers les Comores, pour un coût estimé – vous l’avez souligné, monsieur le président Sueur – entre 50 millions et 70 millions d’euros.
Les immigrés clandestins retentent inlassablement leur chance, au péril de leur vie. Le dernier recensement faisait état de 212 600 habitants sur notre territoire, auxquels il convient d’ajouter quelque 85 000 immigrés clandestins, soit 40 % de la population totale !
Lorsqu’ils sont arrêtés, beaucoup font le choix d’abandonner leurs enfants dans un eldorado factice, pensant ainsi leur offrir une vie meilleure. Mais quelle vie ? Une vie d’errance, de misère, de délinquance, de prostitution...
Nous revient alors la lourde responsabilité de nous occuper de ces enfants, dont le nombre oscille entre 6 000 et 8 000, alors même que le département ne dispose pas des moyens d’accueillir et de scolariser ses propres enfants dans des conditions décentes.
Les solutions que nous inventons pour remédier à cette difficulté, telles que le système de rotation, les redoublements injustifiés, sont tout bonnement intolérables et sont en partie à l’origine d’un chiffre inacceptable : 73 % des jeunes ont de grandes difficultés pour la lecture et l’écriture ! Je vous laisse imaginer le ressenti des parents mahorais devant les initiatives, souvent louables, qui sont prises en faveur des étrangers.
Le Défenseur des droits, présent aujourd’hui dans nos tribunes et que je tiens à saluer, a chargé Mme Yvette Mathieu, préfète à l’égalité des chances, d’examiner le dossier relatif à ces mineurs isolés. Un rapport devrait être remis au Gouvernement début mars. Il faudrait, monsieur le ministre, que vous puissiez nous éclairer sur les principales préconisations contenues dans ce rapport, dont vous avez sans doute eu la primeur.
D’autres secteurs, comme celui de la santé, sont également touchés par cette pression migratoire insensée.
Avec une activité record de 8 000 naissances par an, le centre hospitalier de Mamoudzou est la première maternité de France. Sept femmes sur dix qui y accouchent sont des clandestines.
L’hôpital de Mayotte doit également faire face à de nombreux cas d’étrangers en situation irrégulière présentant des maladies graves et nécessitant des soins urgents – certains d’entre eux étant amenés en kwassa kwassa, ces embarcations de fortune, depuis Anjouan dans un état dramatique, d’autres effectuant des allers-retours réguliers pour prendre un traitement mensuel, afin de soigner une maladie chronique.
Cette charge sanitaire induite par l’immigration clandestine est lourde pour les infrastructures médicales déjà fragiles de Mayotte.
Malgré le dévouement des personnels médicaux, cette situation conduit à réduire la disponibilité des équipements pour le reste de la population, augmentant de ce fait le ressentiment des Mahorais envers les étrangers.
Pas plus tard qu’hier, dans une commune du Sud, des mères de famille excédées sont allées dans une école retirer des enfants étrangers, en réaction à un problème de délinquance.
Vous voyez combien le problème de l’immigration se déploie immédiatement dans les champs où une action est nécessaire.
Nous devons donc considérer la résolution de ce problème dans sa globalité, et comme une condition sine qua non à l’efficacité de tout projet de développement.
C’est à ce titre qu’il a été confié, en août dernier, à Alain Christnacht, conseiller d’État, la mission d’évaluer la situation globale des flux migratoires sur ce territoire et de préconiser des solutions à long terme afin d’endiguer cette pression excessive.
Les orientations retenues, à savoir la modernisation des moyens maritimes et aériens de la police ainsi que la coopération avec l’Union des Comores, notamment, vont dans le bon sens.
Je rappelle cependant que, en dépit du contentieux entretenu par l’Union des Comores, il n’est pas question de revenir sur le choix exprimé par les Mahorais, qui ont affirmé à trois reprises, à une très large majorité, leur volonté de rester Français, tandis que les trois autres îles de l’archipel des Comores accédaient à l’indépendance.
Cette coopération ne se fera qu’à cette condition.
La démarche engagée est bonne, car il est primordial que nous puissions disposer d’une meilleure visibilité sur la gestion des flux migratoires, pour envisager plus sereinement la question des infrastructures propres au département.
Mais, au risque de me montrer impatient, je souhaiterais savoir si un échéancier a été arrêté pour la mise en œuvre des préconisations de M. Christnacht en matière d’immigration.
Enfin, je me permets d’alerter le Gouvernement sur un autre des problèmes majeurs de Mayotte : le logement.
L’INSEE a relevé lors de son dernier recensement que les logements augmentaient moins vite que la population, et pour cause, nous venons de le voir !
Madame la ministre des affaires sociales et de la santé a récemment présenté en conseil des ministres une ordonnance créant, en plus de l’allocation de logement familiale qui existait déjà, l’allocation de logement sociale, et prévoyant de l’aligner progressivement sur le droit commun des DOM afin de ne pas bouleverser l’économie mahoraise.
De telles dispositions vont dans la bonne direction mais restent insuffisantes. Le taux arrêté est trop bas, les ménages mahorais ne peuvent assumer les loyers.
Au bout du compte, les logements sociaux existants restent vides et les logements en programmation ne trouveront jamais preneur.
Ce tableau sombre de la situation qui vient d’être dépeinte par mes collègues et moi-même ne doit pas empêcher d’entrevoir un avenir lumineux.
Car Mayotte, c’est avant tout une île au potentiel considérable, une île aux richesses naturelles exceptionnelles.
Son lagon, entouré d’une double barrière de corail, est l’un des plus beaux et des plus grands lagons fermés du monde.
Sa faune diversifiée et sa flore luxuriante lui confèrent des allures de carte postale et devraient en faire une destination touristique prisée ; la jeunesse de sa population devrait lui permettre de devenir une région dynamique.
C’est la raison pour laquelle il est unanimement admis que le tourisme constitue l’un des secteurs d’activités au grand potentiel de création de valeur ajoutée et d’emploi.
Pourtant, le tourisme à Mayotte demeure modeste : la concurrence des îles voisines est rude, les hôtels manquent, le prix du billet d’avion est dissuasif et le projet de construction d’une piste longue autorisant des liaisons attractives est sans cesse retardé.
Une aide de l’État dans la mise en place d’une véritable identité touristique mahoraise, respectueuse de l’environnement, permettrait de lancer cette économie porteuse.
Il me paraît également indispensable de sensibiliser et de mobiliser la population, notamment les jeunes générations, sur la problématique de la préservation de cet environnement exceptionnel mais fragile.
Il faudrait d’ores et déjà mettre en place de nouvelles sources de production qui répondraient à la croissance démographique et économique actuelle et à venir.
Les énergies renouvelables sont peu coûteuses et non polluantes.
Le photovoltaïque, par exemple, est une technique intéressante, car la capacité solaire de l’île est immense. Sa proximité avec l’équateur lui confère 200 heures d’ensoleillement de plus que la Réunion.
Mayotte pourrait ainsi servir de laboratoire et d’exemple à suivre.
Le développement de l’aquaculture, qui connaît des débuts prometteurs, doit également être encouragé.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, l’aspiration des mahorais à l’amélioration de leurs conditions de vie apparaît plus que légitime.
J’ai conscience de l’investissement important que représente l’ensemble de ces missions de rattrapage, mais il est incontournable pour réussir à relever le défi de la départementalisation.
Les nombreuses mesures prises depuis son arrivée au pouvoir démontrent la volonté de ce gouvernement de consolider ce processus de départementalisation et de faire bénéficier les Mahorais de l’ensemble des droits garantis par la Constitution. Je tenais à le préciser en votre présence, monsieur le ministre.
Prises en concertation avec les élus et les acteurs sociaux locaux, les réponses aux difficultés seront sans aucun doute plus efficaces. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jean-Marie Bockel et Abdourahamane Soilihi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai un mot, tout d’abord, pour me réjouir de l’organisation du présent débat et féliciter le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et ses deux corapporteurs, nos collègues Christian Cointat et Félix Desplan, de l’excellent et très complet rapport d’information établi sur la situation de Mayotte à la suite de leur déplacement au mois de mars 2012, voilà déjà presque un an. Ce rapport constitue un précieux outil pour mesurer le chemin parcouru et évaluer les défis à relever… qui se font de plus en plus pressants !
Le chemin parcouru est considérable et témoigne d’une belle constance de nos compatriotes mahorais dans l’affirmation de leur appartenance à la France et leur aspiration à un ancrage solide au sein de la République par l’accession au statut départemental.
Après avoir exprimé à une très large majorité son hostilité à l’indépendance lors du référendum du 22 décembre 1974, la population mahoraise a en effet massivement confirmé sa volonté de rester Française lors d’un vote-plébiscite le 8 février 1976 et, deux mois plus tard seulement, elle s’est prononcée lors d’une nouvelle consultation en faveur de la départementalisation. Mais le contexte régional et les tensions avec les Comores ont conduit les autorités politiques françaises à temporiser sur ce dernier point ; et cette situation provisoire a duré en définitive plus d’un quart de siècle : du statut sui generis de « collectivité territoriale de la République » de 1976, qui était un hybride entre DOM et TOM, on a abouti au statut de département à part entière le 7 décembre 2010, après un passage par une curiosité institutionnelle, la collectivité départementale avec le statut de 2001 ! Ce « Canada dry » des institutions avait l’apparence du département, mais sans les attributions.
L’avènement du Département de Mayotte, avec un grand « D », le 31 mars 2011, marque ainsi l’aboutissement d’un processus qui peut paraître long mais qui a connu en réalité une nette accélération à compter de l’accord sur l’avenir de Mayotte de janvier 2000 et du pacte pour la départementalisation de Mayotte de janvier 2009. Ainsi peut-on affirmer que le processus de départementalisation n’est véritablement en marche que depuis une dizaine d’années, avec une période de maturation qui paraît dès lors relativement brève à l’aune des spécificités extrêmement fortes caractérisant la société mahoraise.
Les modifications nécessaires pour rendre compatibles ces spécificités avec les principes fondateurs de la République, en particulier les évolutions concernant le droit de la famille, le rôle des cadis et le poids de la tradition ou encore la réorganisation de l’état civil, ont un impact direct sur l’évolution de la société qui, en parallèle et dans le même laps de temps, tente d’absorber le choc du passage d’une économie traditionnelle vivrière au modèle consumériste dit « moderne ».
À l’instar des autres collectivités ayant longtemps vécu sous le joug colonial et qui ont connu de profonds bouleversements dont elles éprouvent encore le traumatisme, source de séismes sociaux périodiques, Mayotte, tout en présentant une puissante singularité, est à son tour confrontée, avec le renforcement du modèle occidental, aux réalités de la « vie chère » et des mouvements sociaux qui en découlent. Le long conflit de la fin de l’année 2011 et l’explosion sociale qui l’a accompagné ont marqué un tournant : aucun conflit social n’avait jusque-là conduit à un tel déferlement de violence.
Sans doute ces événements trouvent-ils en partie leur origine dans une incompréhension de la population et le sentiment que les évolutions positives concrètes liées à la départementalisation se font attendre ! Il faut dire que l’attente avait déjà été longue pour accéder au statut de département et que, à défaut de démarche pédagogique adaptée, cet aboutissement portait en lui la croyance dans l’avènement d’une égalité sociale immédiate !
Cette égalité sociale, notamment en termes d’éligibilité aux mêmes prestations que dans l’Hexagone, a suivi un long et laborieux cheminement pour les « quatre vieilles » : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion. Il n’est que d’entendre Aimé Césaire dans son intervention de soutien à la question préalable, à l’Assemblée nationale en 1986, sur le projet de loi de programme relative au développement des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte, dont l’article 1er dispose que « l’effort de la nation en faveur des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte tend […] à la réalisation en cinq ans […] de la parité sociale globale avec la métropole » !
Récusant l’interchangeabilité des mots « égalité » et « parité », Césaire déclare : « Il y a des mots ombrageux et qui ne supportent pas d’être amoindris par le voisinage d’une quelconque épithète. Le mot « égalité » est de ceux-là. Il n’y a pas d’égalité « adaptée », il n’y a pas d’égalité « globale », l’égalité est ou n’est pas… »
Force est de constater que l’objectif reste loin d’être atteint en dépit d’un mouvement de rattrapage auquel la crise actuelle a d’ailleurs mis un frein. Je vous invite à vous référer aux actes du colloque organisé par la délégation sénatoriale à l’outre-mer sur le développement humain et la cohésion sociale dans les outre-mer, actes publiés aujourd’hui même et que voici ! (L’orateur brandit un exemplaire du rapport d’information.) Vous verrez que le retard sur l’Hexagone en termes d’indice de développement humain, indice qui prend en compte non seulement le PIB par habitant mais également des paramètres en matière de santé et d’éducation, est encore considérable pour les DOM historiques : il est ainsi estimé à une douzaine d’années pour la Martinique et la Guadeloupe, et à 25-30 ans pour la Guyane ; il avoisinerait 40 ans pour Mayotte.
Une politique volontariste, malgré le contexte budgétaire et je dirais même a fortiori, doit être menée. L’action du Gouvernement épousant le cap tracé par le Président de la République répond à cette exigence. Une nette accélération de mise à niveau des prestations sociales pour Mayotte est d’ores et déjà effective.
Il faut également faire face au défi démographique en faisant fructifier l’atout que constitue une population jeune : plus de la moitié de la population mahoraise a moins de vingt ans ! C’est à la fois une chance pour l’avenir et un défi présent qui appelle en urgence une adaptation du système éducatif.
Celui-ci accuse un retard à la fois quantitatif – les chiffres officiels font état de 327 salles de classe manquantes – et qualitatif, car « les écoles mahoraises sont vétustes pour ne pas dire dangereuses » selon la sous-préfète chargée de la cohésion sociale. À Mamoudzou même, 22 des 38 écoles primaires ne répondent pas aux normes de sécurité et d’hygiène.
Ce constat préoccupant doit appeler l’État et les collectivités à se mobiliser, notamment face à la montée de la violence juvénile qui constitue une évolution inquiétante et symptomatique d’un risque de dislocation de la société traditionnelle où les valeurs spirituelles priment sur les valeurs matérielles.
Le développement vers une société moderne ne doit pas se faire au détriment de la cohésion sociale et culturelle, ce qui reviendrait à en saper les fondements. C’est également pour cette raison que doivent être préservés les secteurs d’activité traditionnels, pourvoyeurs d’emploi et de solidarités, et qui contribuent à définir l’identité de « l’île aux parfums » : ainsi, la culture de la vanille et de l’ylang-ylang.
Il ne faut pas manquer le virage dans lequel nous sommes engagés : à cet égard, 2013 est une année décisive, en particulier avec l’accession de Mayotte au rang de région ultrapériphérique. Outre le défi éducatif et l’accueil de la jeunesse, deux autres phénomènes appellent des réponses rapides.
Le premier est l’afflux migratoire qu’il faut endiguer. Cela ne sera possible que par une politique régionale active de codéveloppement, de nature à atténuer l’image d’eldorado qu’a Mayotte et à apaiser les tensions avec les Comores qui connaissent un certain regain.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Serge Larcher. Je conclus, monsieur le président, mais on ne parle pas souvent de Mayotte ; c’est très important pour la République. Permettez au président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer que je suis de s’appesantir quelques instants sur un dossier qui nous interpelle quotidiennement.
Les échanges économiques dans la zone restent insuffisants : moins de 5 % des importations réalisées à Mayotte en 2011 étaient en provenance de l’océan Indien et de l’Afrique de l’Est !
L’autre défi majeur de 2013 pour Mayotte est sa préparation à l’échéance du 1er janvier 2014 à compter de laquelle elle accédera au statut de RUP.
Comme le disait mon collègue Thani Mohamed Soilihi lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, ici même, le 20 octobre 2011 : « La France doit être au rendez-vous de l’espoir qu’elle a fait naître ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Abdourahamane Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz.
M. Michel Vergoz. « Mayotte, un nouveau département confronté à de lourds défis » : tel est le titre de l’excellent rapport sénatorial d’information rédigé par nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan en juillet 2012. Ces lourds défis sont identifiés, et certains présentent une gravité exceptionnelle.
L’attractivité de Mayotte dans son environnement régional est déjà une réalité : ce constat est clairement établi. Cette attractivité ne peut que se développer et partant accentuer la gravité des situations à affronter, avec l’accession récente de Mayotte au statut de département français, bientôt doublé de celui de RUP.
Je suis doublement concerné par l’avenir de Mayotte, île située à moins de trois heures d’avion de la Réunion, où je vis.
Premièrement, baignées par le même océan, Mayotte et la Réunion se parlent, échangent depuis longtemps. Nous sommes pour ainsi dire liés par une communauté de destin. Nos interrogations respectives sur des questions aussi cruciales que le développement économique et social s’entrecoupent à bien des égards, se rejoignent et font même corps.
Deuxièmement, de même qu’une importante communauté originaire de Mayotte vit à la Réunion, Mayotte accueille de plus en plus de Réunionnais, qui s’y installent. Dès lors, comment imaginer que nous ne partagions pas l’exigence forte de travailler ensemble ?
Je me félicite de l’issue des débats menés durant des décennies par la population mahoraise et ses élus, pour l’intégration de ce territoire à la France. Pour Mayotte, la départementalisation est aujourd’hui acquise dans la loi. Reste à la traduire au quotidien. C’est le long travail qui occupera nos amis Mahorais pendant de nombreuses années, tout comme il a occupé et occupe encore la Réunion, depuis 1946.
Dès lors, dans le principal but de garantir une efficacité optimale à l’action des pouvoirs publics, il apparaît nécessaire de prioriser celle-ci.
Oui, il convient de déterminer l’objectif prioritaire ou les tout premiers parmi tous les lourds défis déjà recensés dans des domaines aussi divers et fondamentaux que la justice, l’éducation, la santé, l’égalité sociale, la vie chère, la fiscalité ou l’immigration illégale. C’est une méthode essentielle.
Chacun l’a compris et tous les orateurs qui se sont succédé à cette tribune l’ont souligné : la tâche est immense. Raison de plus pour l’organiser rigoureusement.
L’immigration massive illégale à Mayotte est la première urgence à traiter. Ce constat vient d’être dressé à plusieurs reprises. En effet, cet enjeu détermine directement tous les autres. La puissance de cette immigration est telle qu’elle est capable de balayer toutes les avancées longtemps attendues et souvent durement acquises. Aucune institution locale ne peut y faire face seule.
Monsieur le ministre, je le souligne, la responsabilité nationale est en première ligne.
Parlons clairement, tenons un langage de vérité : les mesures adoptées jusqu’à présent se sont révélées insuffisantes et inefficaces, même si Mayotte atteint à elle seule près de 50 % de l’objectif national des reconduites à la frontière.
De même, ces mesures n’ont empêché ni les drames en mer qu’ont évoqués ceux qui m’ont précédé à cette tribune, ni les véritables tragédies qui ont causé des milliers de victimes au cours des dernières années. Il est à craindre que nous ne soyons bientôt de simples témoins, passifs, face à la banalisation de ces catastrophes à répétition.
Une autre politique de contrôle des flux migratoires est nécessaire et même indispensable. Parallèlement, des moyens à la hauteur des enjeux doivent être mobilisés.
Ces enjeux concernent certes Mayotte et la Réunion dans leur environnement régional, mais, là aussi, parlons clairement, ils touchent également l’Hexagone : on connaît la sensibilité de l’opinion publique métropolitaine aux questions ayant trait à l’immigration !
Cette nouvelle politique de contrôle des flux migratoires à Mayotte doit faire l’objet d’une large concertation, au plus haut niveau de l’État, avec la représentation nationale mahoraise, afin que les réponses apportées tiennent compte des liens familiaux forts qui unissent les communautés mahoraises et comoriennes. Les Mahorais eux-mêmes ont à éclairer un chemin dans cet important dossier.
Nous devons agir en responsabilité et refuser l’hypocrisie, avant que les incompréhensions ne prospèrent et que la facilité de la stigmatisation ne prenne le dessus.
Toutefois, si une autre politique d’immigration à Mayotte est incontournable, elle ne peut, à elle seule, réunir les conditions du succès si la France ne se mobilise pas pour nouer un dialogue respectueux et pragmatique avec les Comores, sur la base d’initiatives nouvelles. Nombreux sont ceux qui l’ont également souligné. Je rappelle simplement ce fait pour mémoire : la France mobilise 20 millions d’euros pour la coopération bilatérale avec les Comores, quand elle dépense entre 50 millions et 70 millions d’euros par an pour les reconduites à la frontière depuis Mayotte.
De même, en février et mars 2011 – c’était hier ! –, 10 000 personnes interpellées par les autorités françaises à Mayotte ont été libérées, car les autorités comoriennes refusaient de les accueillir sur leur sol.
Enfin, dans le principal souci de recherche d’un développement mutuel dans la zone de l’océan Indien, la Commission de l’océan Indien, la COI, qui réunit Maurice, les Seychelles, Madagascar – île qui compte plus de 20 millions d’habitants ! – les Comores et la Réunion, doit jouer un rôle primordial également dans le cadre d’actions de codéveloppement dans lesquelles chacun doit trouver son compte. La COI est un outil précieux au sein de cette zone, mais insuffisamment mobilisé.
Monsieur le ministre, je tiens à conclure mon intervention par une demande pressante au Gouvernement. La réponse à y apporter ne coûte rien financièrement mais demande une exigence sans faille quant à la défense des valeurs qui fondent notre République.
En février 2011, un fonctionnaire de l’État, vice-recteur en poste à Mayotte, déclarait : « Le rythme des constructions scolaires ne pourra jamais suivre le rythme des utérus des Mahoraises. »
En mai 2011, le même fonctionnaire de l’État récidivait en affirmant : « Les jeunes Mahorais ont une problématique d’accent. Un accent que les jeunes Mahorais devraient gommer devant la société, ce qui leur donnerait un travail. »
Il a fallu attendre août 2012 et le nouveau gouvernement pour que ce fonctionnaire soit muté et remplacé.
À l’heure où Mayotte s’apprête à fournir tous les efforts possibles pour ouvrir une nouvelle page de son histoire – et ces efforts seront bien nécessaires –, puisse le Gouvernement lui faciliter la tâche en nommant des serviteurs de l’État exemplaires, nourris d’une haute idée des valeurs fondamentales de la République, et qui respectent les outre-mer à défaut de les aimer ! Je sais que de tels fonctionnaires sont nombreux. Il suffit et il importe de bien les choisir. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Abdourahamane Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier de son intervention M. le président de la commission des lois, qui, appelé par d’autres obligations, a dû quitter l’hémicycle, et à saluer la présence dans les tribunes de M. Dominique Baudis, Défenseur des droits.
Le Gouvernement se réjouit du vif intérêt que la Haute Assemblée porte à la situation de l’île de Mayotte, et qui s’est manifesté au travers de la mission sénatoriale conduite, au nom de sa commission des lois, par les sénateurs Félix Desplan et Didier Cointat, sous la houlette de Jean-Pierre Sueur. Au nom du Gouvernement, je souligne l’importance du travail que ces derniers ont mené, la pertinence des diagnostics qu’ils ont établis et la qualité des propositions qu’ils ont formulées.
Cet intérêt que le Sénat porte à Mayotte rejoint celui qu’expriment le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement, qui, dès le mois de mai 2012, ont accordé une attention particulière à ce territoire, devenu le cent unième département français.
Je le rappelle, le chef de l’État connaît bien Mayotte pour s’y être rendu par deux fois avant d’être élu à la présidence de la République, en 2007 et en avril 2012. Il y a par ailleurs dépêché des délégations. Il connaît donc la situation particulière de l’île et a pu, parallèlement, en mesurer l’évolution depuis la mise en œuvre du processus de départementalisation. Sur place, il a pris des engagements très clairs, qui figurent parmi ses trente engagements de campagne en faveur des outre-mer. Ils constituent aujourd’hui la feuille de route du Gouvernement en la matière, celle que je suis, pour ma part, chargé de mettre en œuvre.
Moi-même, avant d’entrer au Gouvernement, je me suis rendu à deux reprises à Mayotte, et j’y ai effectué mon premier déplacement officiel en tant que ministre, en juillet 2012. Je crois pouvoir le dire, je connais les élus mahorais, et je salue, à cet égard, le sénateur maire de Mamoudzou, Abdourahamane Soilihi, ainsi que le sénateur Thani Mohamed Soilihi. Je connais leurs attentes et celles des forces vives de Mayotte, qui souhaitent par-dessus tout que la départementalisation, transformation en marche, devienne un processus concret et atteignable à un horizon raisonnable.
Les engagements du Président de la République vont précisément dans ce sens. De fait, sans vouloir heurter quiconque, je me dois de rappeler que, jusqu’à la dernière alternance, les perspectives offertes aux Mahoraises et aux Mahorais pour atteindre le statut plein et entier de département étaient bien trop lointaines pour ne pas engendrer des inquiétudes et des frustrations.
Le président de la commission des lois a rappelé avec justesse et lucidité les réalités « insupportables » de Mayotte en matière d’éducation, de justice et de gestion des flux migratoires. Des réalités qui, il l’a souligné, sont largement méconnues du reste de nos compatriotes.
Mayotte exprime une légitime soif de liberté et même une exigence d’égalité, que la République doit entendre, surtout au regard de cette « révolution culturelle », évoquée par M. Cointat – qui, lui aussi a dû quitter l’hémicycle –, qu’ont accomplie les Mahorais en acceptant la départementalisation. C’est un défi pour la République de répondre à cet appel dans des délais raisonnables.
La difficulté majeure à laquelle nous sommes collectivement confrontés est de parvenir à conduire ce processus de départementalisation tout en apportant, dans le même temps, des réponses urgentes et concrètes aux tensions migratoires considérables qui s’exercent sur l’île, mais aussi à la situation économique et sociale d’un territoire en quête d’un modèle de développement viable, sans oublier la question prégnante de l’éducation dans un contexte de choc démographique.
Ce n’est pas céder à des manœuvres dilatoires que d’affirmer qu’il ne faut pas bouleverser les équilibres fondamentaux de la société mahoraise.
La tâche est ardue, surtout quand l’argent public est devenu, vous le savez, si rare. Et elle est d’autant moins aisée quand les partenaires naturels de l’État que sont les collectivités locales sont, c’est le cas à Mayotte, dans une situation financière très difficile qui leur impose de faire des efforts importants en matière de gestion et de rationalité budgétaire.
Pour difficile qu’il soit, le Gouvernement a toutefois choisi de relever courageusement ce défi depuis neuf mois, car la République est une promesse qui engage tous ceux qui croient en ses valeurs, et j’ai bien entendu le cri du sénateur Michel Vergoz !
Pour Mayotte, nous avons d’abord consenti un effort budgétaire important, qui reflète la volonté du Président de la République et du Premier ministre de faire des outre-mer l’une des missions gouvernementales qui progresse le plus dans la loi de finances 2013.
Ainsi, dans la loi de finances initiale pour 2013, l’effort budgétaire global de l’État pour Mayotte est passé de 715 millions d’euros en 2012 à 738 millions d’euros, soit une augmentation de 23 millions d’euros. Dans le contexte actuel, ce n’est pas négligeable.
Au-delà, plusieurs décisions importantes et attendues ont été prises. Il y a l’accès de Mayotte au statut de région ultrapériphérique d’Europe, qui sera effectif le 1er janvier 2014 et qui permettra au territoire d’être éligible notamment aux fonds structurels en matière de coopération transfrontalière, afin de réaliser aux Comores, à Anjouan, les équipements et infrastructures de nature à rééquilibrer la pression migratoire. Cela représente 15 millions d’euros sur la période 2014–2020.
Dans le débat difficile sur le cadre financier pluriannuel, la « rupéisation » de Mayotte a été prise en compte. Même si ce codicille ne figure pas en lettres de feu dans l’accord, elle pourra être réévaluée en fonction du rythme de la consommation que nous ferons des enveloppes budgétaires.
Le salaire minimum, le SMIC, a été augmenté à deux reprises, en juillet 2012, de 2,09 %, soit plus que le SMIC national, puis au 1er janvier 2013, de 1,9 %, pour tenir compte de deux paramètres, l’application du taux d’évolution du SMIC national et la deuxième tranche du processus de convergence afin de poursuivre le rattrapage par rapport au SMIC national. Aujourd’hui, le SMIC mensuel net est de 1 073 euros par mois à Mayotte, contre 1 120 euros net dans l’Hexagone.
L’allocation de rentrée scolaire a été revalorisée à la rentrée 2012, avec une augmentation du même montant que celle servie aux familles des autres départements français, auquel nous avons ajouté le montant défini par le plan de rattrapage prévu par l’ordonnance du 7 février 2002, avec un objectif de parité complète prévu pour 2015.
La prestation spécifique de restauration scolaire, la PARS, a également été augmentée de façon substantielle afin d’être alignée au 1er janvier 2013 sur les montants unitaires concernant les DOM, soit 1,25 euro par collation et 1,92 euro par repas. J’ai personnellement pu constater cela au sein de la société qui prépare les repas et qui fournit les collectivités et les écoles.
Pour ce qui concerne le RSA, qui a été mis en œuvre à Mayotte le 1er janvier 2012, je rappelle que son montant représentait un quart, 25 %, de celui en vigueur ailleurs dans la République, soit 119 euros contre 476 euros au niveau national. Je vous rappelle également, il est bon de le faire, que le précédent gouvernement avait décidé d’aligner le RSA sur une durée, tenez-vous bien, de 25 ans ! Nous avons décidé, nous, de le faire sur la durée de la législature.
À l’occasion de la restitution nationale des conférences économiques et sociales outre-mer, le 10 décembre 2012, le Premier ministre a annoncé la revalorisation du RSA à Mayotte à hauteur de 50 % du niveau national à la fin de 2013, avec une première étape de revalorisation, à hauteur de 37,5 % du niveau national, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2013. Le RSA mahorais est donc aujourd’hui de 181,22 euros par mois. Nous savons qu’il y a du rattrapage à faire, mais le processus a bien commencé.
Pour Mayotte, toujours dans l’objectif de concrétiser la départementalisation, nous avons conduit et nous continuons de conduire un travail considérable d’adaptation des lois et des règlements en vue d’une convergence avec le droit commun.
Je citerai pêle-mêle, sans chercher à être exhaustif, l’article 9 de la loi de régulation économique outre-mer – sur laquelle je reviendrai pour parler de la lutte contre la vie chère –, qui habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance à Mayotte diverses dispositions en matière d’action sociale, de code du travail, de régime de retraite des fonctionnaires, d’indemnisation des chômeurs.
Je citerai également l’ordonnance sur les allocations de logement, publiée le 26 janvier 2013, qui aligne, pour les familles, l’allocation de logement sur le droit commun des départements d’outre-mer et crée, pour les personnes sans enfant à charge, l’allocation de logement sociale.
Ainsi avons-nous amélioré des droits existants et créé des droits nouveaux.
Un autre volet important de notre action a concerné la lutte contre la vie chère qui, dans un passé récent, vous l’avez tous dit, avait mobilisé très fortement les Mahorais comme les habitants des autres départements. La loi de régulation économique s’applique à Mayotte, où les écarts de prix avec l’Hexagone, notamment pour les produits de consommation courante, sont très élevés.
Le bouclier qualité prix, qui est un chariot type, est le premier dispositif actuellement mis en œuvre en application de la loi. Ce dispositif institue la négociation annuelle sur le prix global d’un panier de produits de grande consommation avec les organisations du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs, qu’ils soient producteurs, grossistes ou importateurs.
Cette négociation est en cours. Cinq réunions ont déjà eu lieu entre le 23 janvier et le 15 février. À l’heure actuelle, une liste de 65 produits a été établie et devrait être appliquée aux commerces dont la surface excède 120 mètres carrés, soit 31 établissements.
Les négociations sont entrées dans leur seconde phase depuis le 15 février, durant laquelle sera établi le prix global de la liste sur lequel sera ensuite appliquée la modération. Pour ce premier exercice, un effort global d’au moins 10 % est attendu.
L’arrêté préfectoral publiant la liste, son prix global, ainsi que les établissements concernés par le dispositif, entrera en vigueur le 1er mars 2013, conformément aux dispositions du décret.
Mais, dès avant la mise en œuvre de ce décret, je tiens à le rappeler, nous avions obtenu en 2012 une baisse très importante du prix de la bouteille de gaz que nous avons fait passer, après négociation avec les fournisseurs, de 35 euros à 26 euros, aujourd’hui 27 euros, pour tenir compte de l’augmentation des intrants.
C’est, à mon sens, une illustration du volontarisme dont le Gouvernement a voulu faire preuve à Mayotte.
Bien sûr, je ne veux pas me livrer ici à un exercice d’autosatisfaction. Il y a encore beaucoup à faire sur ce qui est l’une des problématiques majeures, la maîtrise des flux migratoires. Je veux dire très clairement que le Gouvernement a pris toute la mesure de ce dossier très complexe.
La maîtrise de l’immigration est un enjeu pour le développement économique mais aussi pour la préservation de l’ordre public, des équilibres sociaux et de la cohésion sociale à Mayotte. Les chiffres sont connus mais il faut les rappeler : 40 % de la population résidant à Mayotte légalement est étrangère, avec une majorité de Comoriens installés depuis plusieurs générations. La population étrangère en situation irrégulière est estimée entre 50 000 personnes et 60 000 personnes. Pour l’année 2011, 21 762 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits dans leur pays d’origine, contre, je le rappelle, une moyenne de 16 000 reconduites par an entre 2006 et 2008.
Comme le souligne le rapport, l’État consacre à la maîtrise des flux migratoires des moyens très importants : quatre radars fixes, qui couvrent 100 % du territoire mais dont l’efficacité est tributaire des conditions météo ; deux vedettes de la gendarmerie nationale, une de la gendarmerie maritime, une de la marine nationale et une des douanes ; une embarcation de la PAF, opérationnelle depuis la fin 2012 ; un hélicoptère de la gendarmerie nationale, qui complète efficacement le dispositif ; enfin, un groupe d’intervention régional, ou GIR, rattaché à la gendarmerie, dont la mission est de lutter contre les filières d’immigration clandestine.
Malgré des améliorations notables, les conditions de rétention sont toujours difficiles. Je veux tout de même vous dire que le centre de rétention a été reconfiguré depuis le passage de la mission sénatoriale. De nouveaux travaux sont programmés d’ici à la fin de cette année pour créer un espace pour les familles, soit trois salles conformes aux normes et confortables, une cour de promenade ainsi que des sanitaires autonomes pour chaque pièce de vie.
Le Gouvernement, conscient de la difficulté de cette situation, a relancé la construction du nouveau centre de rétention administrative qui avait été annoncé en 2010. Les travaux commenceront dans quelques semaines, l’ancien préfet de Mayotte, qui vient de quitter son poste pour occuper un poste au ministère des outre-mer, pourrait en témoigner. Cette construction représente pour l’État un investissement de 25 millions d’euros.
Le Gouvernement a missionné le 31 juillet dernier le conseiller d’État Alain Christnacht qui, au terme d’un travail remarquable, a dressé un état de la situation de l’immigration irrégulière à Mayotte et formulé des propositions.
Ses recommandations couvrent plusieurs champs : le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière ; la relance d’une coopération active avec l’Union des Comores ; le maintien de l’effort en matière sanitaire et sociale pour que les Mahorais puissent disposer de services publics à la hauteur de leurs attentes.
Je sais que beaucoup de ces propositions rejoignent des préoccupations qui ont été exprimées dans le rapport de la mission sénatoriale.
Le Gouvernement, et en particulier les ministères de l’intérieur et de la justice, est en tout cas très fortement mobilisé pour traiter cette problématique avec fermeté mais aussi avec humanité.
Pour ce qui est de nos relations avec les Comores, il me paraît important de tirer profit du contexte actuel, a priori favorable, en tout cas jusqu’à la fin de la présente année.
Le groupe de travail de haut niveau a été réactivé et le dialogue est renoué. Une prochaine séance de négociation va s’ouvrir à la mi-mars, avant une visite d’État du président des Comores annoncée pour le mois de mai. Il conviendrait qu’un texte commun puisse être élaboré d’ici là.
J’ai moi-même pu, en compagnie du Président de la République et de Laurent Fabius, à Kinshasa, avoir une discussion approfondie avec le président Ikililou Dhoinine. Et mercredi dernier, toujours avec le ministre des affaires étrangères, nous avons discuté d’une reprise approfondie des discussions, en particulier au sujet d’une coopération plus active avec l’Union des Comores, et en particulier avec l’île d’Anjouan.
Je crois beaucoup à cette voie du dialogue avec les Comores pour trouver des solutions durables et soutenables afin de traiter cette question des flux migratoires.
Le codéveloppement ne doit plus être un simple mot, il doit trouver des prolongements concrets, sans lesquels notre lutte contre l’immigration clandestine ressemblera à celle de Sisyphe, poussant son rocher.
Même si la question n’est pas tranchée – les arbitrages ministériels n’ont pas encore été rendus –, j’envisage, si c’est possible, de procéder à un redéploiement des 50 millions à 70 millions d’euros consacrés aux mesures de reconduite à la frontière de manière à renforcer la coopération avec l’Union des Comores et en particulier avec Anjouan. Le ministère des affaires étrangères étudie cette possibilité, et j’espère que la décision sera prise avant la visite du président Ikililou Dhoinine.
Le codéveloppement est donc une nécessité non seulement en matière sanitaire, mais également en matière économique, ainsi qu’en matière policière et judiciaire ; bref, sur tous les plans.
Je veux dire à M. le président de la commission des lois que le Gouvernement a été très heureux de recevoir le rapport d’information, ce dont je le remercie, ainsi que les deux corapporteurs. Les solutions pertinentes qu’il contient, et dont nous nous inspirons véritablement, vont nous faire avancer considérablement.
Je partage avec vous l’impérieuse nécessité de prendre en charge la jeunesse, tant en matière scolaire – vous le savez, l’effort de l’État est important – que pour la prise en charge des mineurs.
Concernant l’immigration, le Gouvernement a conscience de l’urgence de conduire une politique ferme et équilibrée. Vous avez rappelé des chiffres qui frappent les consciences. Oui, la pression migratoire est très forte, le taux de récidive est de 40 %. C’est, on le sait, insoutenable.
Je le répète, je suis, comme vous, très favorable à une relance de la coopération avec les Comores. J’en suis convaincu, nous ne pourrons pas avancer sans elles. Je suis persuadé qu’il existe des marges concrètes pour développer des coopérations avec ce pays.
Ce travail est en cours sous l’égide du ministère des affaires étrangères, et nous avons bon espoir, je l’ai dit, d’aboutir d’ici au mois de mai prochain.
D’ailleurs, cette proposition émane de votre rapport d’information. Je le répète, il faudra peut-être redéployer, si c’est possible, les crédits importants consacrés aux mesures de reconduite à la frontière.
Je le dis à M. Cointat, qui, lui aussi, a dû quitter l’hémicycle, oui, l’ancrage de Mayotte dans la République a impliqué de profonds changements. La solidarité s’exprime pleinement à Mayotte, même s’il reste encore beaucoup à faire.
L’immigration clandestine constitue évidemment un frein au développement de ce territoire. Ainsi, le renforcement des moyens de lutte est une nécessité. Le débat sur le visa Balladur a été, je le sais, vif. Pour ma part, je crois qu’il faut maintenir un visa, tout en avançant sur les possibilités d’assouplir les conditions de délivrance, en faisant preuve d’une plus grande rigueur en termes de conditions de ressources ou de visas de long ou de très long séjour pour certaines catégories de population.
Monsieur Desplan, je partage le constat que vous avez dressé. Ce constat, sévère, mais avéré, nous oblige tous. Vous avez évoqué trois sujets essentiels.
Pour ce qui concerne les constructions scolaires, on l’a dit et répété, cette question est un enjeu majeur pour l’avenir de ce territoire. Je le répète, l’effort de l’État est considérable. La dotation spéciale de construction et d’équipements pour les établissements scolaires a été doublée et s’établit désormais à 10 millions d’euros par an pour les établissements du premier degré.
Des dotations du Fonds exceptionnel d’investissement de 5 millions d’euros en 2009 et de 3,5 millions d’euros en 2012 dans le cadre du plan de relance de l’économie ont été mises en place pour la réhabilitation et la mise aux normes des constructions scolaires du premier degré. Sur les dernières années, 45 classes ont été livrées en 2010, 34 en 2011 et 28 en 2012.
Ce rythme n’est pas satisfaisant et ne permet pas de réduire les rotations des classes, qui concernent 30 % des élèves. J’ai donc demandé qu’une mission d’inspection puisse se rendre prochainement sur place pour évaluer les besoins et proposer les recommandations qui s’imposent pour relever le défi des constructions scolaires, selon une programmation. À partir de ce diagnostic, nous réévaluerons les besoins budgétaires nécessaires pour l’après–2013.
C’est vrai, Mayotte est particulièrement en retard pour ce qui concerne les conditions de scolarisation des enfants en école maternelle et primaire : alors que 100 % des enfants sont scolarisés dès l’âge de trois ans au niveau national, 67 % d’entre eux le sont à Mayotte. Ce taux augmente régulièrement ; il était de 35 % en 2002. Le vice-rectorat a inscrit dans son projet académique l’objectif d’atteindre un taux de scolarisation de plus de 95 % des enfants de trois ans à l’horizon 2015, c'est-à-dire très prochainement.
En outre, à compter de la rentrée 2014, l’accueil des enfants de deux ans sera rendu possible.
L’accueil des mineurs isolés constitue également une préoccupation majeure, et je m’en suis entretenu récemment avec le Défenseur des droits, M. Dominique Baudis. J’attends les conclusions du rapport sur la situation des mineurs qu’il est en train de rédiger. Aussi, je ne puis répondre dans le détail à la question qui m’a été posée par M. Mohamed Soilihi. Quoi qu’il en soit, je suis déterminé à prendre les mesures appropriées pour faire en sorte que la protection effective de ces mineurs soit assurée.
Là aussi, cette question n’est pas encore tranchée, et vous le comprendrez. Elle a déjà été évoquée avec d’autres ministres et je m’en suis personnellement entretenu avec le Défenseur des droits. Face au déficit et à l’inertie – je choisis mes mots –, peut-être faut-il que l’État s’implique davantage dans l’aide sociale à l’enfance, pour s’occuper non pas simplement des mineurs étrangers isolés, mais de l’enfance et de la petite enfance à Mayotte en vue de trouver des solutions. Cela aurait un coût. Aussi, aucune décision n’a été prise pour l’instant, et j’attends avec quelque impatience le rapport de Mme le préfet chargée de cette mission.
Monsieur Desplan, vous avez également abordé la question de la transition fiscale.
Là encore, le sujet est d’importance. Le travail interministériel a commencé. Les bases du cadastre sont en cours de constitution, et vous avez tous évoqué les inquiétudes qui se sont exprimées à ce propos. Sur 60 000 parcelles connues, 40 000 font déjà l’objet d’un enregistrement au cadastre ; il reste à en traiter 20 000.
Les hypothèses mises sur la table permettent d’anticiper, à ce stade, une hausse des recettes des communes, mais une baisse de celles du conseil général, qu’il faudra compenser. Un travail d’évaluation a été mené, et j’ai bien entendu les inquiétudes quant à l’incapacité des collectivités à faire face aux nouvelles compétences qui leur seront dévolues. Tout au contraire, avec la fiscalité de droit commun, celles-ci seront, selon moi, mieux à même d’y faire face.
M. Mohamed Soilihi s’est demandé comment les habitants de Mayotte pourront faire face à leurs obligations fiscales, eu égard au fait que le revenu mensuel moyen est de 1 000 euros par habitant.
Sans vouloir charger la barque de l’État, lorsque les rôles sont émis et que les conseils municipaux ont délibéré, l’État est chargé du recouvrement et en cas d’exonération ou de non-assujettissement, l’État compense. Pardonnez-moi de le dire ainsi, vous ne devriez donc pas souffrir de manque.
En juin 2012, lors de la campagne fiscale de l’impôt sur le revenu, les habitants de Mayotte ont eu l’occasion de déclarer et de décrire leurs biens, les logements et les terrains qu’ils occupent.
Ainsi, la date du 1er janvier 2014, que le juge constitutionnel n’a pas censurée, soulignant qu’elle ne devait pas être reportée lors de l’adoption de la loi de décembre 2010, sera respectée.
Par ailleurs, j’ai demandé au nouveau préfet de Mayotte – cela avait déjà été demandé à Thomas Degos – de créer un comité local de préparation à la réforme fiscale et douanière rassemblant les élus – les parlementaires, le président du conseil général, le président de l’Association des maires – ainsi que les services de l’État. Cette instance, qui a été installée en janvier dernier, se réunit tous les mois afin de rendre effectives l’information et la transparence, en vue de respecter la date du 1er janvier 2014 pour ce qui concerne l’application du code général des impôts.
Monsieur Bockel, vous avez fait une très belle analyse des enjeux de la société mahoraise. J’ai dit moi-même qu’il s’agissait d’un défi pour la République. Pour sa part, M. Cointat a parlé de révolution culturelle, évoquant les efforts consentis par la population de Mayotte pour s’insérer, s’intégrer et vivre les valeurs de la République.
Oui, l’alignement sur le droit commun est en cours. Vous avez rappelé le travail réglementaire et législatif considérable qui est en train de se faire ; c’est un travail de titan.
Je l’admets, les obstacles sont nombreux. Vous les avez d’ailleurs énumérés. Pour ma part, j’ai rappelé en introduction un certain nombre de décisions que le Gouvernement a prises. Nous ne sous-évaluons pas ces freins. Notre feuille de route les prend en compte.
Oui, Mayotte deviendra une région ultrapériphérique le 1er janvier prochain. Ce statut de RUP sera un levier pour cofinancer les infrastructures de base qui manquent cruellement à ce territoire. Notre politique doit permettre d’utiliser les fonds européens comme levier du développement.
Concernant la vie chère, les négociations sur le bouclier qualité prix sont en cours, et j’ai bon espoir de parvenir à une baisse de l’ordre de 10 % au moins des prix des produits de grande consommation.
Vous avez tous évoqué la question migratoire, qui préoccupe chacun d’entre nous.
Le dispositif actuel est assurément perfectible. Nous sommes à l’écoute des avis et des recommandations qui ont été formulées. D’ailleurs, nous avons fait nôtres les propositions du rapport de M. Christnacht.
Monsieur Collin, l’attractivité de Mayotte est, il est vrai, évidente par rapport à son environnement régional. C’est tout l’objet de la politique de coopération, qui vise en quelque sorte, allais-je dire, à accroître l’attractivité des Comores, notamment d’Anjouan, afin d’éviter le différentiel d’attractivité, qui est à l’origine de la pression migratoire et qui se traduit par de très importants flux d’immigrés.
Je vous assure de notre détermination à mettre en œuvre une politique qui soit à la hauteur des enjeux de ces territoires. L’effort de l’État reste considérable, par exemple en matière de construction scolaire, un domaine où l’effort sera peut-être encore renforcé.
La départementalisation de Mayotte ouvre un champ des possibles. Mayotte reste un département jeune. Il faut lui laisser le temps nécessaire pour s’aligner sur le droit commun. Nous en sommes bien conscients, Mayotte n’est pas prête à attendre soixante-cinq ans pour l’égalité sociale, comme ce fut le cas pour les autres départements, qui ont dû subir cette longue phase pour parvenir à une égalité presque totale.
M. Thani Mohamed Soilihi. Ce n’était pas les mêmes enjeux !
M. Victorin Lurel, ministre. Madame Benbassa, j’ai entendu votre préoccupation sur la dignité humaine. J’y suis évidemment très attentif même si, je ne vous le cache pas, la situation est difficile. Elle n’est nullement satisfaisante en matière de conditions de rétention ou d’exercice effectif des droits. Nous n’ignorons pas la décision de la Cour européenne des droits de l’homme et, avant la fin de l’année, un certain nombre de textes devront avoir été révisés.
Le Gouvernement a d’ores et déjà beaucoup investi. Mais, plus fondamentalement, nous réfléchissons à une voie pour appliquer le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en lieu et place de l’ordonnance actuelle. Sans vouloir entrer dans des détails techniques et juridiques, il existe deux voies : l’une est formulée dans le rapport Christnacht, l’autre voie consisterait à s’insérer dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’effort du Gouvernement pour améliorer les conditions sanitaires à Mayotte sera maintenu et renforcé ; à cet égard, l’enjeu démographique nous oblige.
Madame Benbassa, vous avez soulevé la question des recours contre les décisions d’éloignement. Ces recours ne sont pas suspensifs à Mayotte, du fait de la singularité et du caractère massif des flux migratoires. Au demeurant, ce fait n’est pas exceptionnel, puisqu’il existe aussi en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique. Reste que, dans ce domaine également, nous aurons à agir pour rendre le droit conforme aux acquis communautaires.
La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt rendu le 13 décembre 2012 relativement à l’affaire Souza Ribeiro, n’estime pas que le recours doive être systématiquement suspensif ; en revanche, elle considère qu’en cas de référé-liberté, il ne doit pas être procédé à l’éloignement des étrangers avant que le juge ait statué. Des instructions ont été données pour que cette décision soit appliquée à Mayotte, comme du reste en Guyane.
Madame Assassi, je ne crois pas que les tragédies qui se produisent – hélas ! – au large de Mayotte soient liées au visa Balladur. Le Gouvernement est favorable au maintien d’un visa et il n’est pas envisageable, dans le contexte actuel, de supprimer celui qui existe. Je comprends la détresse comorienne, mais il appartient au Gouvernement et à moi-même d’assurer l’équilibre social et économique de Mayotte, ainsi que sa cohésion. Vous avez eu raison de souligner que la coopération est une voie ; j’ai déjà eu l’occasion de dire combien j’y suis favorable.
Pour ce qui concerne le nourrisson malheureusement décédé en août dernier, une enquête judiciaire est en cours et il n’est pas établi à ce jour qu’il soit décédé dans l’enceinte du centre de rétention administrative.
Monsieur Abdourahamane Soilihi, je tiens à vous remercier de votre intervention très complète et marquée par le sens de l’humour qui vous caractérise. Il n’est nullement question de dévier du cap fixé par le pacte de départementalisation. Vous avez rappelé que les Mahorais sont attachés à cet objectif et je n’en doute aucunement. Il me semble que ce gouvernement a déjà démontré sa mobilisation pour ce territoire.
La solidarité nationale joue et continuera de jouer. Il est vrai, monsieur le sénateur, que la situation reste difficile. Vous avez cité certains cas d’écoles en mauvais état. Vous savez que les écoles du premier degré relèvent de la compétence du syndicat mixte d’investissement et d’aménagement de Mayotte, le SMIAM, qui rassemble les différentes collectivités territoriales de l’île, dont ses dix-sept communes. L’État est évidemment favorable à un meilleur fonctionnement de cet établissement public.
À propos de la transition fiscale, je répète que le calendrier est fixé et je pense que les dates butoirs seront respectées. Le cadre méthodologique est également arrêté, de même que l’objectif : le maintien de ressources suffisantes pour permettre aux collectivités territoriales d’exercer leurs compétences.
Monsieur le sénateur, je partage votre avis sur la nécessité de former davantage les agents publics ; c’est le cas pour les agents d’état civil et les agents pénitentiaires, mais aussi, de manière générale, pour tous les agents des trois fonctions publiques. Ce travail est en cours.
Vous avez signalé que le conseil général était en difficulté. Nous travaillons étroitement avec lui pour définir une trajectoire de redressement. Quelques lueurs d’espoir sont apparues récemment.
Vous avez également rappelé certains des propos que j’ai tenus en juillet dernier. J’ai le plaisir de vous faire observer que, s’agissant de la participation des élus, il me semble avoir tenu parole. Le ministère des outre-mer est votre ministère (M. Abdourahamane Soilihi sourit.) et ses portes restent ouvertes. Vous continuerez d’être associé en amont à la préparation des lois et des décrets.
J’ai reçu les élus mahorais à plusieurs reprises et sur différentes questions, comme l’immigration ou l’octroi de mer. S’agissant de ce dernier problème, les réunions de travail ont commencé et un travail approfondi est mené sur les trois listes de produits A, B et C. Un différentiel maximal de 30 % devrait pouvoir être tenu, même si je conçois que ce différentiel puisse faire l’objet de discussions et d’appréciations différentes. Monsieur Abdourahamane Soilihi, j’ai bien noté que vous vous êtes plusieurs fois fait excuser, ne pouvant vous déplacer. Ma maison reste ouverte et je reçois chaque semaine.
Comme vous l’avez signalé, mon ministère est aujourd’hui un ministère de plein exercice. J’ai obtenu de mes différents collègues qu’ils nomment des référents outre-mer dans leur cabinet. C’est aujourd’hui chose faite. C’est ce qui explique le coût d’accélérateur donné en faveur de Mayotte ces derniers mois.
Monsieur Thani Mohamed Soilihi, l’aspiration des Mahorais à voir leurs conditions de vie s’améliorer est légitime. Le Gouvernement a déjà démontré qu’il partageait cet objectif. J’ai rappelé au début de mon intervention quelques-unes des décisions qui ont été prises au cours des derniers mois en faveur de Mayotte. J’aurais pu en citer beaucoup d’autres.
J’entends la demande d’accélération de la convergence de Mayotte vers les autres départements et je la comprends. Vous n’attendrez pas aussi longtemps, parce que si, vous avez raison, la problématique est peut-être différente, le processus est le même. La convergence aura lieu de façon accélérée. Je rappelle que l’alignement du RSA se fera non pas en vingt-cinq ans, mais en moins de cinq ans.
Reste que cette accélération est porteuse de risques pour les équilibres d’un territoire fragile – peut-être certains d’entre vous ne partageront-ils pas cette opinion. D’ailleurs, monsieur Thani Mohamed Soilihi, vous avez rappelé plusieurs des fragilités de Mayotte. Il nous appartient donc de ne pas brusquer les étapes afin que l’alignement puisse avoir lieu dans les meilleures conditions. Ce travail est difficile : il requiert l’implication et la responsabilisation de tous, notamment des collectivités territoriales. Je m’emploie d’ores et déjà à susciter cette implication en veillant à entretenir un dialogue constructif avec les collectivités territoriales et avec les élus, en particulier avec le conseil général ; mais des efforts supplémentaires sont indispensables.
Monsieur Thani Mohamed Soilihi, permettez-moi de répondre plus précisément aux questions que vous avez soulevées.
S’agissant de la transition fiscale, je partage votre souci d’anticipation. Les éléments dont nous disposons pour le moment permettent de prévoir que le passage au droit commun de la fiscalité donnera aux communes des marges de manœuvre – je l’ai déjà indiqué, mais il est bon de le marteler – et donc davantage d’autonomie.
Ces marges de manœuvre sont précieuses : elles ne doivent pas être dilapidées, mais permettre aux communes d’assumer dans de bonnes conditions les nouvelles compétences qui s’imposeront à elles, notamment la gestion des déchets et les services d’incendie et de secours.
Pour le conseil général, le principe est la compensation intégrale fondée sur une année de référence, l’année 2012, et indexée dynamiquement. Toutefois, il est encore trop tôt pour avancer des chiffres précis.
En ce qui concerne la mise en œuvre des recommandations du rapport Christnacht, le Gouvernement s’est mobilisé comme il l’avait annoncé et, d’ores et déjà, des réunions interministérielles ont permis de fixer à chaque ministère concerné sa feuille de route. Certaines préconisations sont déjà appliquées, comme la diminution du nombre de personnes retenues au centre de rétention administrative, qui a été abaissé à cent ; d’autres sont en cours de mise en œuvre ; d’autres encore nécessitent des expertises plus poussées.
Concernant la prise en charge des mineurs isolés, les chiffres actuels sont tirés des études commandées par l’État et le conseil général au sein de l’Observatoire des mineurs isolés : on dénombrait 3 500 mineurs en situation de fragilité et un peu moins de 450 jeunes sans référent adulte en 2012.
Monsieur Mohamed Soilihi, je ne dispose pas, à ce jour, des conclusions du rapport de la préfète Yvette Mathieu, qui s’est rendue sur place à la fin du mois de janvier au nom du Défenseur des droits. Néanmoins, j’ai déjà discuté avec le Défenseur des droits et, à titre personnel, je souhaite que l’État reprenne quelque autonomie pour assurer la protection effective des enfants en général. Certes, l’aide sociale à l’enfance a un coût important ; mais il est évidemment inacceptable que le conseil général consacre moins de 5 % de ses dépenses à cette politique.
Enfin, je partage vos espoirs au sujet des leviers d’un développement prochain pour Mayotte : le tourisme, les énergies renouvelables, l’aquaculture. Mayotte compte l’une des meilleures exploitations aquacoles. Vous savez que l’État a mobilisé des fonds importants pour soutenir l’activité de ce territoire ; il poursuivra son effort. Nous attendons avec quelque impatience la « rupéisation » pour l’utilisation des fonds structurels européens.
Monsieur Serge Larcher, président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, vous avez résumé en quelques mots les défis auxquels nous sommes tous collectivement confrontés pour ancrer solidement Mayotte au sein de la République. C’est un vrai défi pour la République.
On peut comprendre, et même d’une certaine façon approuver, les impatiences qui s’expriment. Reste qu’on peut agir vite et bien, en prenant le temps de la réflexion ; une action bien pensée et bien construite a de meilleures chances de succès. Comme je l’ai dit aux élus mahorais, nous devons éviter de reproduire à Mayotte l’erreur qui a été commise pour d’autres territoires : en voulant aller vite, on a ignoré à certains égards la culture locale.
Monsieur le sénateur, j’ai pris connaissance, comme vous, des chiffres sur les retards de développement que connaissent tous nos territoires d’outre-mer en termes d’indice de développement humain. Il est urgent d’agir sur les leviers évidents que sont la jeunesse et le renforcement de l’assise de Mayotte dans son environnement régional.
Je suis d’accord avec vous sur la nécessité de renforcer une politique active de codéveloppement. Je vous rappelle que le président de l’Union des Comores accomplira une visite d’État en France au mois de mai prochain. J’espère que nous pourrons aboutir pour cette échéance à des avancées concrètes en matière de coopération.
J’attends aussi avec quelque impatience le rapport du député Serge Letchimy, parlementaire en mission, pour identifier les bonnes déclinaisons de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les meilleures modalités de coopération avec nos environnements immédiats.
Enfin, à partir de 2014, les fonds européens constitueront également un levier important pour soutenir le développement économique de Mayotte.
Monsieur Vergoz, j’ai bien entendu ce que vous avez dit sur les valeurs de la République. Des propos inacceptables ont été tenus par un fonctionnaire d’autorité. Il a été muté. Des propos de ce type ne doivent pas être tolérés. Le Gouvernement a pris des mesures.
Je suis heureux que les parlementaires de La Réunion s’intéressent sincèrement et activement à la situation de Mayotte et à son développement. Je me réjouis que nous soyons tous favorables au renforcement de la coopération ; je sais que, dans l’opinion de Mayotte, ce n’est pas si évident que cela. M. Thani Mohamed Soilihi a évoqué un cas pénible : lorsqu’on va chercher des enfants pour les bouter hors de l’école, c’est difficile à accepter, même si l’on peut comprendre ce que vivent des compatriotes.
En tout cas, monsieur Vergoz, je vous remercie pour le soutien que vous apportez à la politique du Gouvernement. Je trouve important que tous les parlementaires de la Nation, singulièrement les sénateurs, s’intéressent comme vous à la bonne intégration de Mayotte au sein de la République.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour la qualité de ce débat, qui fait honneur à la République. Oui, nous devons être attentifs à Mayotte, notre cent unième département. La République est une promesse que nous devons tenir vis-à-vis de ceux qui ont fait le choix de la rejoindre – à Mayotte, ce choix a été exprimé lors de trois votes – et qui veulent se sentir des citoyens à part entière. La feuille de route de ce gouvernement pour les outre-mer, c’est le retour de l’État dans les outre-mer et le retour des outre-mer au cœur de la République. Nous y travaillons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – M. Abdourahamane Soilihi applaudit également.)
M. Yvon Collin. Très bien !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la situation à Mayotte.
9
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 20 février 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur :
- les dispositions de l’article 22 de la loi n° 71–1130 du 31 décembre 1971 modifié par la loi n° 2004–130 du 11 février 2004 (conseil de discipline pour les infractions et fautes commises par les avocats) (2013–310 QPC) ;
- l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 (indication du texte de loi applicable à la poursuite) (2013–311 QPC).
Les textes de ces décisions de renvoi sont disponibles à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 21 février 2013 :
À dix heures :
1. Débat d’étape sur les travaux du Conseil national du débat sur la transition énergétique.
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze :
3. Débat sur le développement dans les relations Nord-Sud.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quinze.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART