Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Pas par nous !
M. François Calvet. Il a raison !
M. Hugues Portelli. … une fois que les arguments juridiques ont été balayés. Quel sera son impact sur la société dans trente ou cinquante ans ? Personne parmi les auteurs de ce texte ne s’en est vraiment soucié, comme le prouve d’ailleurs le caractère partiel et partial de l’étude dite d’impact du projet de loi.
M. Bruno Retailleau. Exact !
M. Hugues Portelli. Qu’elle bouleverse à long terme les règles de la filiation, qu’elle fragilise définitivement l’image et le rôle du père et de la mère, qu’elle permette à certains de revendiquer un droit à l’enfant – droit qui d’ailleurs n’existe pas – sans se poser la question du respect du droit des enfants à se construire de façon équilibrée, voilà autant de questions graves qui n’ont pas effleuré l’esprit des idéologues qui ont conçu ce texte.
Enfin, quoi qu’en dise le Président de la République, ce projet de loi est le cheval de Troie de la procréation médicalement assistée et de la gestation pour autrui. D’ailleurs, les partisans les plus convaincus de ce texte l’ont dit ouvertement, que ce soit durant les auditions ou lors du débat en commission des lois.
Ne soyez donc pas étonnés que nous soyons totalement opposés à cette évolution dangereuse, qui aboutit à faire du corps humain une marchandise et porte atteinte à sa dignité, tout comme nous sommes hostiles à une conception de l’enfant qui en fait un jouet entre les mains de l’adulte.
M. François Calvet. Bravo !
M. Hugues Portelli. Mes chers collègues, le législateur n’a pas tous les droits. Jean-Louis de Lolme, juriste genevois, disait au XVIIIe siècle, à l’aube du parlementarisme, que le Parlement avait tous les droits excepté celui de changer un homme en femme. Il pourrait être rejoint par Michel Crozier, qui expliquait en 1979 – donc sous la Ve République – qu’on ne change pas une société par décret.
M. David Assouline. C’est une loi, pas un décret !
M. Hugues Portelli. C’est cette prétention prométhéenne à vouloir, au nom d’une majorité de passage, mettre en cause les bases mêmes du droit naturel que nous contestons fermement. La société politique, dont vous savez bien la faible légitimité par les temps qui courent, ne peut bafouer aussi spectaculairement la société civile, sauf à voir un jour celle-ci, et plus tôt que vous ne l’imaginez, s’organiser en dehors d’elle.
Le second problème que je voudrais aborder est celui des conséquences graves qu’entraînera votre projet de loi s’il entre en vigueur.
La première conséquence sera l’affaiblissement de ce que vous voulez précisément favoriser. Ce sera ainsi le cas de l’adoption, qui est déjà difficile à obtenir. Peut-on imaginer un instant que les États dont seront originaires les enfants adoptables accepteront de les confier à des ressortissants français ?
M. Hugues Portelli. Et que ferez-vous des traités conclus par la France avec de très nombreux États en matière de mariage et de droit de la famille ? Croyez-vous que ces États accepteront une modification unilatérale des conventions que nous avons signées avec eux ? Il y a fort à parier que votre initiative, si elle entre en vigueur, sera source de très nombreux litiges.
La seconde conséquence – la plus grave à mes yeux – sera la rupture du consensus éthique auquel nous étions parvenus ces dernières années. Les lois sur la bioéthique, sur la fin de vie, sur le PACS avaient défini un cadre commun au statut de la personne,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous étiez contre !
M. Hugues Portelli. … qui avait fini par convaincre même ceux qui y étaient hostiles à l’origine, trouvant un compromis intelligent entre principes intangibles et pragmatisme nécessaire, entre ce qui est écrit et ce qui n’a pas à l’être. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP.)
Les auteurs de ce texte ont voulu rompre avec cet équilibre patiemment construit. Mais, à l’arrière-plan de ce texte, c’est cette pensée faible, indifférente aux valeurs, de la société postmoderne qui est à l’œuvre.
En supprimant le père et la mère du code civil, en conduisant l’enfant à les ignorer plutôt qu’à les affronter pour s’en émanciper, vous ne créerez pas des personnes adultes et responsables, capables de construire leur propre itinéraire à partir de repères qui leur fassent sens.
M. François Rebsamen. Qu’en savez-vous ?
M. Hugues Portelli. Vous créerez des êtres indifférents, narcissiques et tournés vers l’éphémère. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Merci pour ceux qui existent !
M. Roland Courteau. Vous appelez à un dérapage non contrôlé !
M. Hugues Portelli. La troisième conséquence qu’entraînera l’adoption de ce texte sera le renforcement du communautarisme religieux.
Jusqu’à ce jour, le mariage civil est la base commune à toutes celles et ceux qui créent une famille, croyants ou incroyants, quelle que soit leur religion. Avec son remplacement par un mariage qui n’en sera plus un, beaucoup de croyants convaincus ne jugeront plus utile de passer par la mairie et préfèreront s’en tenir à la reconnaissance de leur communauté ou se marier ailleurs, à l’étranger ou en Alsace-Moselle !
M. David Assouline. Bien sûr ! Après les évadés fiscaux, les évadés du mariage !
M. Hugues Portelli. Le mariage civil d’aujourd’hui cédera la place à l’éclatement des mariages communautaires de demain et à un nouvel affaiblissement du tissu national.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Il y a des chrétiens homosexuels !
M. Hugues Portelli. Enfin, la quatrième conséquence sera la destruction définitive du mariage civil.
À vrai dire, je pensais avec beaucoup d’autres que vous auriez plutôt à cœur de profiter du déclin du mariage civil, miné de l’intérieur par la multiplication des séparations et de l’extérieur par le développement du PACS ou de la cohabitation, pour le supprimer purement et simplement, conformément à ce qu’était l’idéologie révolutionnaire de vos prédécesseurs du XIXe siècle.
Mme Cécile Cukierman. Nous ne sommes pas démagogues ! Nous ne voyons pas notre intérêt personnel mais l’intérêt général !
M. Hugues Portelli. Non, vous avez préféré subvertir le mariage en remettant en cause sa fonction même, en diversifiant ses formes ! Ce faisant, vous l’avez vidé de sens, ce qui est une façon plus subtile de vous en débarrasser, et vous avez transformé le mariage en instrument de remise en cause de tout le droit de la famille, de l’état des personnes à la filiation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Hugues Portelli. Mes chers collègues, est-ce vraiment cela que vous voulez en votant ce texte ? La vigueur des réactions qu’il entraîne, les conséquences graves qui seront les siennes à long terme, tant sur le plan social que sur le plan juridique, la fragilisation de tout notre droit civil qui en découlera devraient vous faire réfléchir et vous conduire à rejeter avec nous un dispositif qui vous met à la remorque de lobbies minoritaires jusque dans leurs propres communautés.
Vous savez qu’il existe d’autres solutions, qui, tout en répondant aux situations de celles et ceux qui s’estiment victimes de discrimination, respectent les fondements de notre droit civil.
Cette loi, quel que soit le sort qui lui sera réservé, ne sera jamais la nôtre. Elle n’est ni sérieuse, ni nécessaire, ni légitime. (M. François Rebsamen et M. Roland Courteau s’exclament.) Elle divise encore plus notre nation. Elle rompt avec deux mille ans d’histoire et deux cents ans de code civil. Comment pourrait-elle avoir une place dans notre droit ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, contre la motion.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le temps se déroule, le débat se poursuit. Quand on en arrive à la question préalable, après avoir amplement débattu d’une motion référendaire puis d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, on se trouve un peu, j’en conviens, cher Hugues Portelli, à court d’arguments et, comme cela se produit de temps en temps, on peut déraper.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. François Rebsamen. Je mets le dérapage auquel je viens d’assister sur le compte d’un peu de fatigue.
Je viens en effet d’entendre une phrase qui m’a interpellé comme elle a sûrement interpellé tous les républicains. Monsieur Portelli, vous venez ici même à la tribune de déclarer que cette loi, si elle est votée – nous sommes bien sûr respectueux de la représentation nationale –, ne sera jamais la vôtre. Le caractère presque factieux, en tout cas antirépublicain de cette déclaration ne me paraît pas digne de la qualité des débats que nous avons eus jusqu’à présent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Il est difficile de justifier le dépôt d’une motion de renvoi ou d’une question préalable alors même que cela suppose que nous n’aurions pas à légiférer. C’est totalement contradictoire avec la volonté d’un large débat que vous avez exprimée tout au long de la journée, et même avec votre proposition de référendum : si l’on n’a pas à légiférer, pourquoi un référendum ?
Nous ne sommes plus au temps de Michel Crozier – pour qui on peut d'ailleurs avoir beaucoup de respect –, et ce n’est pas par décret que nous voulons changer la société pour plus d’égalité, mais par la loi !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. François Rebsamen. À vous écouter, ce projet de loi qui ouvre le mariage aux couples de même sexe serait inutile et il n’y aurait donc pas lieu de légiférer. Vous ne serez pas surpris que nous ne partagions pas votre point de vue.
Quelle est la portée du texte qu’après l’Assemblée nationale notre Haute Assemblée examine aujourd’hui ? Il s’agit tout simplement, en ouvrant le mariage aux couples de même sexe, de se conformer aux valeurs qui fondent notre République : la liberté, l’égalité, la fraternité pour tous les couples et toutes les familles.
Liberté de vivre ensemble, égalité des droits, fraternité face aux différences et laïcité pour consolider l’ensemble !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Rebsamen. C’est par ces quelques mots que nous pourrions résumer ce projet de loi, qui s’inscrit parfaitement dans nos institutions républicaines. Celles-ci ne peuvent s’accommoder de l’affirmation, que j’ai entendue, selon laquelle le mariage « structurerait » toute l’histoire de l’humanité. Nous accordons une grande importance, toute républicaine, au mariage, mais nous n’en faisons pas le pivot de l’histoire de l’humanité ! La lecture de quelques anthropologues, notamment de Claude Lévi-Strauss, cité par nombre d’intervenants, permettrait à certains de progresser dans la connaissance !
Les conditions du mariage restent inchangées – de nombreux orateurs, à commencer par Mme la garde des sceaux, l’ont fort bien dit –, qu’il s’agisse de l’âge, du consentement, des prohibitions. Les modalités demeurent les mêmes : état civil, célébrations en mairie ; les obligations également – en tant que maires nous les connaissons tous – : les époux se doivent mutuellement respect, secours, fidélité et assistance. Enfin, le droit à l’adoption est ouvert aux couples homosexuels, dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels.
L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe ne dénaturera pas l’institution républicaine et ne bouleversera pas l’ordre social, car rien, absolument rien, ne sera retiré aux couples hétérosexuels !
De nombreux pays, des Pays-Bas au Danemark et jusqu’à l’Uruguay, ont ouvert le mariage, avec quelques différences, aux personnes de même sexe et ils ne se sont pas effondrés, l’institution n’a pas disparu et l’ordre social n’a pas été bouleversé ! Simplement, comme l’avait dit M. David Cameron, un droit supplémentaire a été accordé : un droit à l’égalité.
En réalité, ce projet de loi met un terme à la discrimination qui résultait des choix sexuels des citoyens, or ces choix n’ont strictement rien à voir avec leurs droits et leurs devoirs ni, a fortiori, avec la loi.
Les couples homosexuels, que cela plaise ou non, existent, ils sont pérennes et peuvent légitimement vouloir bénéficier de l’ensemble des règles dont bénéficient les couples hétérosexuels avec le mariage. Comment régler la contribution au logement et aux dépenses courantes, ou encore la question de l’autorité parentale ? Les mêmes règles doivent s’appliquer aux mêmes situations.
Certains, dans les rangs de l’opposition sénatoriale, proposent la création d’une union, calquée pour l’essentiel sur le mariage, exception faite de la filiation. C’est tout simplement parce qu’il refuse de donner le nom de « mariage » à l’union de couples homosexuels.
M. Charles Revet. Mais non ! C’est bien plus grave !
M. François Rebsamen. Il serait bon que le Sénat retrouve l’ambition progressiste qui l’animait lorsqu’Henri Caillavet lui a fait adopter, en juin 1978, bien avant que l’Assemblée nationale ne le fasse, des dispositions supprimant la pénalisation de l’homosexualité.
Depuis, bien sûr, vous avez mené le combat du conservatisme contre le PACS, en employant des mots que l’on n’oserait plus prononcer.
Aujourd’hui – pas dans cet hémicycle, car le débat reste digne, mais à l’extérieur –, s’appuyant sur votre résistance, certains tiennent des propos homophobes et des attaques insupportables visent des parlementaires qui ont eu le courage de prendre des positions personnelles.
M. Jean-François Husson. Nous aussi, nous sommes visés !
M. François Rebsamen. Je veux les saluer et, en disant cela, je pense également au sénateur de Mayotte qui a tenu, hier soir, dans cet hémicycle, des propos fort courageux.
Souvenez-vous donc de ces combats passés et retrouvez le sens de l’égalité, mes chers collègues !
L’institution du mariage n’appartient pas à une catégorie de citoyens. Cette institution est républicaine, elle doit être ouverte à tous les couples, selon les mêmes conditions. Cette institution est laïque et n’est attachée à aucune religion. Ceux qui ne voudront pas se marier dans les mairies, comme je viens de l’entendre, peuvent ne pas le faire et aller à l’église, puisque je pense que c’est à cela qu’il était fait allusion. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Chacun a le droit de faire ce qu’il veut, mais, quand on ne se marie pas à la mairie, on n’est pas marié au regard de la loi ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
C’est pourquoi notre rôle de législateurs consiste bien à examiner ce projet de loi.
D’une part, il faut mettre un terme à une inégalité et à une injustice juridique.
D’autre part, il faut adapter notre droit aux évolutions de la société et à la réalité de la diversité, non pas de la famille, mais des familles françaises d’aujourd’hui.
J’ai cru comprendre que vous aimiez beaucoup les sondages lorsque vous étiez au pouvoir, mes chers collègues, et je vais donc me référer à celui qui est paru dans la presse : il nous apprend que les Français sont majoritairement favorables à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
M. Bruno Retailleau. Pas à l’adoption !
M. François Rebsamen. Nous nous appuyons sur ce sondage comme vous vous appuyiez à l’époque sur tous ceux que vous commandiez, ce qui nous permet d’affirmer que nous sommes en phase avec la société ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Après les vingt-quatre séances, les dix jours, les 110 heures de débats à l’Assemblée, et les 5 000 amendements examinés, tout ou presque a été dit sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Au Sénat, notre rapporteur a mené plus de cinquante auditions et tenu des dizaines de réunions. Le débat a donc été mené dans le plus grand respect des opinions des uns et des autres. Je parle évidemment des arguments de bonne foi, et non des débordements verbaux et caricaturaux que l’on peut entendre à l’extérieur de cette enceinte.
M. Roland Courteau. Ici aussi !
M. François Rebsamen. Il est maintenant temps pour nous d’accomplir notre travail de législateur et d’examiner ce texte. Je fais confiance à la sagesse et à la sérénité du Sénat pour poursuivre les débats dans un climat apaisé, tel qu’il l’a été jusqu’à présent. J’appelle donc l’ensemble de notre assemblée à examiner ce texte et à rejeter la motion tendant à opposer la question préalable, comme le feront les membres du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission des lois souhaite que le Sénat repousse cette motion tendant à opposer la question préalable, car elle veut que le débat entamé en commission se poursuive.
Nous avons en effet considéré que le moment était venu de légiférer. Pourquoi ? Pas seulement en raison d’une promesse d’un candidat à l’élection présidentielle – si cette promesse a été faite, c’est d’ailleurs parce qu’elle était opportune ! Le moment est venu de légiférer parce que nous avons assisté à une évolution du regard porté sur l’homosexualité, qui est entrée dans le code civil au moment de l’adoption du PACS. En outre, la famille, elle aussi, a évolué.
D’ailleurs, c’est un gouvernement de droite, avec la loi de 1972 sur la filiation, qui l’a fait le plus évoluer, encore plus que ne le fera ce projet de loi ! Songez, mes chers collègues, qu’un homme marié peut depuis reconnaître comme enfant légitime, avec tous les droits et les devoirs afférents, un enfant qu’il aurait conçu avant son mariage – que l’on appelait autrefois un enfant « naturel » – ou un enfant qu’il aurait conçu hors mariage, soit adultérin, soit incestueux, sans l’accord de son épouse ! L’évolution de la conception de la famille avait donc déjà commencé en 1972.
Enfin, nous avons évidemment un environnement international, mais ce n’est pas une raison pour faire comme tout le monde, surtout si c’est mal. En la matière, j’estime cependant que ce que font le Royaume-Uni conservateur de M. Cameron et l’Espagne socialiste de M. Zapatero n’est pas forcément mauvais : ces pays ont su réaliser des avancées.
Par ailleurs, M. Portelli nous a mis en garde contre le risque de briser le consensus.
J’observe, tout d’abord, qu’il n’y a pas de consensus sur ce projet de loi, pour l’instant, pas plus qu’il n’y en avait sur le PACS quand il a été voté. À l’époque, au Sénat et à l’Assemblée nationale, Patrice Gélard et moi-même avions défendu des positions opposées ; aujourd’hui, sur cette question, nous nous rejoignons ! Il faut donc un certain temps pour que le consensus s’installe dans une société lorsque des lois importantes modifient notre code civil.
M. Portelli nous a également reproché d’avoir rompu le consensus sur la loi de bioéthique. Mais il n’existe pas encore de consensus sur cette loi. On l’a vu dernièrement, lorsque l’Assemblée nationale a repoussé, après des manœuvres de l’opposition, la proposition de loi adoptée par le Sénat sur l’emploi des cellules souches.
Il n’y a pas non plus de consensus sur l’accompagnement de la fin de vie. Le Sénat a voté un texte, mais l’Assemblée nationale a toujours refusé de le suivre. Dans la société, le débat se poursuit. Peut-être un consensus s’établira-t-il lorsque le législateur – c’est son rôle – sera intervenu.
En effet, je crois de toutes mes forces que nous devons, à un certain moment, faire notre devoir, prendre nos responsabilités et intervenir, y compris contre une majorité quelconque. Tel était le cas pour l’abolition de la peine de mort, et même pour la légalisation de l’avortement. Au bout d’un certain temps, les tensions s’apaisent, les nouveautés rentrent dans les mœurs et tout le monde se rassemble pour accepter les réformes que nous avons eu le courage de faire.
Mes chers collègues, je fais appel à votre courage. Je suis sûr que, au cours des débats, un certain nombre d’entre vous évolueront. Quoi qu’il en soit, la commission des lois vous demande de ne pas adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Comme M. le rapporteur, je constate que le débat est apaisé et permet à chacun d’exposer des convictions et des positions très différentes, ce qui contribue aussi à éclairer l’ensemble de nos concitoyens.
J’ai écouté avec beaucoup d’attention toutes les interventions cet après-midi et je tiens à mettre en garde certains contre les dérapages verbaux, car ils risquent de nous empêcher de poursuivre un débat de qualité dans un climat apaisé et serein.
Par exemple, quand j’entends que l’enfant serait « un jouet entre les mains des hommes », je m’étonne qu’un tel argument puisse être avancé. Je ne comprends pas ce que signifie un tel propos, à moins qu’il ne s’agisse de nier que les homosexuels puissent éduquer des enfants, les élever de la même façon que des couples hétérosexuels.
D’autres propos réveillent des échos inquiétants. J’ai ainsi entendu dire que l’on pourrait avoir des enfants « pour convenances personnelles ». A-t-on idée d’adresser ce reproche à des couples hétérosexuels ?
M. Gérard Longuet. Pourtant, cela arrive parfois !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Dans ce cas, le problème n’est plus lié à l’orientation sexuelle !
J’ai entendu aussi dire à plusieurs reprises, et l’argument a été repris sur les travées de la majorité, que les parents homosexuels ne seraient pas des parents « comme les autres ». Au nom de quoi ?
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Si, je l’ai noté !
Nous avons déjà insisté sur la valeur des mots ; nous devons y faire attention. Nous pouvons avoir des conceptions de la famille fondamentalement différentes, mais nous ne pouvons pas nous aventurer dans ce domaine en faisant preuve d’une méconnaissance totale des familles homoparentales.
Les familles homoparentales ont souvent un projet parental des plus élaborés, un projet sur lequel elles se sont posé beaucoup de questions, plus de questions que ne s’en posent quantité de familles hétérosexuelles. Donc, je pense qu’il faut utiliser avec sagesse un certain nombre de mots.
Dans une assemblée que je sais attachée à la notion de respect, j’ai été profondément choquée d’entendre que le Gouvernement aurait pu faire une loi parce qu’elle ne coûte pas cher et que, au bout du compte, ce n’est pas très grave car cela concerne une minorité. Je l’avoue en toute franchise, ce discours, je l’ai pris comme une sorte de manque de respect à l’égard du Gouvernement, de ses convictions à l’égard de ses engagements républicains. (M. Philippe Bas s’exclame.) Nous ne faisons pas une loi pour des groupes !
M. Gérard Longuet. Si !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Mais non ! Savez-vous pourquoi ? Parce que chaque fois qu’on fait progresser l’égalité, on fait progresser l’ensemble de la société !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Chaque fois qu’on a voté des lois contre les discriminations, on a aidé le combat des femmes, on a aidé le combat de tous ceux qui sont discriminés, quelle que soit la couleur de leur peau ou quelle que soit leur orientation sexuelle. Et cette loi n’est pas, comme je l’ai entendu, une loi communautariste ! Elle rend service à l’ensemble de la société. Et il ne faudrait pas oublier la leçon du PACS. En effet, lorsque le PACS a été voté, personne n’aurait imaginé que plus de 90 % des PACS sont aujourd’hui conclus par des couples hétérosexuels. Donc, vous le voyez bien, c’est l’ensemble de la société qui s’est emparée d’une mesure qui, au départ, pouvait être interprétée comme faite uniquement pour des couples homosexuels !
Enfin, j’ai aussi entendu parler de majorité « de passage ». Moi, je ne sais pas ce qu’est une majorité « de passage » ! (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. Nous, si !
M. David Assouline. Vous pensez toujours que nous sommes illégitimes, que le pouvoir, c’est vous !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je connais une majorité qui est le produit du suffrage universel, direct ou indirect (M. Charles Revet s’exclame.), et que le suffrage universel, direct ou indirect, fait ou défait. Je le dis en toute clarté, je suis très respectueuse du verdict des urnes !
Ma conclusion sera pour dire que j’ai entendu qu’il fallait avoir à l’égard des homosexuels de la « bienveillance » ou de la « générosité ». Or, ce qu’ils veulent, ce n’est pas de la bienveillance ou de la générosité, ce qu’ils veulent, c’est tout simplement de l’égalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En défendant cette motion tendant à opposer la question préalable, vous avez commencé, monsieur le sénateur Portelli, par nous dire qu’il y a la crise et que nous ferions mieux de nous en préoccuper et de nous en occuper.
M. Francis Delattre. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais le Gouvernement s’en préoccupe et s’en occupe, il y travaille depuis le premier jour !
M. Francis Delattre. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de résultats !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis étonnée de cet argument de la part d’un parlementaire qui a une connaissance achevée des institutions et de la répartition des responsabilités de chacun. Le fait d’accomplir notre travail en matière de justice sur l’état des personnes, sur les libertés, sur l’état civil ne gêne en rien la tâche de ceux qui ont en charge les questions économiques. L’argument n’a aucun poids, il n’a aucune pertinence ! Et je comprends d’autant moins qu’il soit constamment abordé que l’histoire, y compris l’histoire récente, montre qu’il n’est absolument pas exclu, même pendant des périodes économiquement difficiles, de faire courageusement les réformes de société ou les réformes sociales qui sont nécessaires.
Je tenais à évacuer rapidement cet argument.
Selon vous, la preuve que nous faisons tout cela « à la va-vite », c’est que le Gouvernement sera habilité à prendre des ordonnances dans un délai de six mois. Je rappelle à cette occasion que c’est justement la contestation des députés UMP qui a attiré encore un peu plus l’attention du Sénat sur le mode d’écriture retenu par l’Assemblée nationale, conduisant votre commission des lois à choisir un autre mode d’écriture.
Et dans cet autre mode d’écriture, vous avez choisi de prendre une sécurité supplémentaire en habilitant le Gouvernement à prendre, bien évidemment en conformité avec les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, des ordonnances dans les six mois. Si le texte est voté en l’état, il en sera ainsi. C’est une sécurité juridique supplémentaire qui a été prise. Ce n’est absolument pas la marque d’une précipitation ou d’une accélération. Je rappelle que ce texte, qui est passé en conseil des ministres au début du mois de novembre, est sur la table depuis cette époque. Il n’y a donc aucune précipitation, aucun élément de nature à invalider le projet de loi.
J’ai également entendu que ce texte est un cheval de Troie de la PMA et de la GPA. Voilà tout de même quelques mois que nous avons droit au débat sur le débat ! Maintenant, nous avons droit à un débat avant le débat ! Autrement dit, à l’occasion de l’examen d’un texte qui ne traite ni de la PMA ni de la GPA, vous allez constamment, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, développer des argumentaires sur ces sujets – en tout cas, je le crains, pour l’avoir vécu récemment à l’Assemblée nationale pendant deux semaines. Quel est l’intérêt de faire un débat avant le débat ? (Mme Sophie Primas s’exclame.) Essayons d’être dans l’instant, d’être sur le texte qui vous est soumis ! Et il concerne le mariage, l’adoption et quelques dispositions qui sont profitables aux familles hétéroparentales, aux couples hétérosexuels, justement à la faveur du travail qui a été effectué pour que le mariage et l’adoption soient ouverts aux couples de même sexe.
Vous avez dit, par ailleurs, que cette loi ne sera jamais « vôtre ». Je ne sais pas qui est visé dans ce « vôtre », mais comme l’a souligné le président Rebsamen à l’instant, il y aurait là incontestablement une rupture du contrat républicain.
Vous dites encore qu’un certain nombre de maires s’interrogent. Je le sais mais je connais les habitudes, les pratiques et les convictions républicaines des maires. Autant certains protestent avant l’adoption de la loi, autant ils seront en grand nombre, très probablement la totalité, à exercer leur devoir d’officier d’état civil et, donc, à appliquer la loi.
Ce que les maires attendent plus volontiers des parlementaires, des législateurs, c’est qu’ils se battent aussi longtemps que c’est nécessaire, jusqu’à la dernière seconde, pour améliorer un texte de loi, éventuellement pour empêcher son adoption. Mais une fois le texte de loi adopté, les maires attendent, à mon sens, des parlementaires une parole qui, au contraire, leur rappelle que toute loi adoptée est une loi de la République et doit être exécutée en tant que telle.
Vous dites qu’il y a une confusion intellectuelle et juridique sur ce qu’est le mariage et un non-respect du droit naturel. Je ne sais pas comment vous définissez le droit naturel. En tout cas, on peut voir dans l’affirmation des droits et des libertés contenue dans le préambule de la Constitution une référence en termes de droit naturel. Si par « droit naturel », vous entendez « lois naturelles », c’est un autre débat que je n’ouvrirai pas, car vous avez dit « droit ».
En évoquant la confusion sur ce qu’est le mariage, vous vous référez à Portalis, éminente personnalité qui a incontestablement apporté son intelligence à l’élaboration du code civil de 1804.
Cela étant, j’invite à la prudence ceux qui se réfèrent à Portalis et à sa conception de la relation à l’intérieur du mariage. Nous avons vu à quel point le mariage a évolué, et je l’ai dit, je le répète parce que j’en suis profondément convaincue, cette institution porte vraiment l’empreinte de tous les combats pour l’émancipation, pour l’égalité, pour la justice. Il y a ces traces-là dans le divorce, son instauration, sa suppression, son rétablissement, dans le statut de la femme, dans le statut des enfants, dans la suppression des discriminations entre les enfants. L’institution du mariage porte donc, peut-être plus que toute autre institution de la République, la trace des grands combats pour l’émancipation, pour la justice et pour l’égalité.
Je me permets de vous rappeler simplement ce que proclamait Portalis en 1804 à l’époque de l’écriture du code civil : « l’obéissance de la femme est alors considérée comme une suite nécessaire de la société conjugale, qui ne pourrait subsister si l’un des époux n’était subordonné à l’autre ». Heureusement, il y a eu vraiment beaucoup de progrès depuis et, en effet, s’il y a chez nous une confusion sur l’institution du mariage, que nous refusons de comprendre comme elle était définie ici par Portalis, oui, nous assumons cette confusion !
Je vous invite à rejeter cette motion. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)