M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. C’est toujours avec grand plaisir que j’écoute Jean-Jacques Hyest, faiblesse que j’avoue sans difficulté.
M. Gérard Longuet. Vous aurez d’autres occasions de vous réjouir, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai ainsi écouté avec la plus grande attention la présentation de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, motion dont, je le rappelle, l’objet est de démontrer l’inconstitutionnalité d’un texte et, par conséquent, la nécessité de mettre un terme à son examen.
En l’espèce, l’argumentaire qui nous a été présenté se composait essentiellement de la lecture de l’avis du Conseil d’État.
Je rappelle que l’avis du Conseil d’État n’est pas rendu public, sauf si le Premier ministre en décide autrement, non qu’il s’agisse de le dissimuler aux parlementaires ou à l’opinion publique, mais parce que le Conseil d’État exerce une mission de conseil, précisément, auprès du Gouvernement et que la condition pour que cette mission soit efficacement remplie est la confidentialité.
Ce n’est pas là un archaïsme qui nous aurait échappé : le sujet a été débattu devant le Parlement il y a deux ans encore et il a été décidé de maintenir ce principe de confidentialité.
Je dois donc dire mon étonnement qu’un avis d’une institution de cette nature soit lu au Parlement au motif que la presse l’aurait publié. Mon étonnement est d’autant plus grand s’agissant du Sénat que cette maison est extrêmement attachée au droit et aux règles.
M. Gérard Longuet. Tout fout le camp !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en viens à la pertinence de cet avis.
Je rappelle d’abord que ce dernier a été donné sur le projet de loi du Gouvernement. Or nous discutons aujourd’hui d’un texte qui a été modifié par la commission des lois de l’Assemblée nationale, par l’Assemblée nationale en séance plénière et par la commission des lois du Sénat. Il y a donc un décalage temporel.
Par ailleurs, M. Hyest nous a expliqué, à juste titre, que dans son projet de loi initial le Gouvernement avait choisi de respecter une des principales règles de la légistique en insérant dans le projet de loi toutes les modifications et coordinations qu’entraînerait l’adoption éventuelle de l’article 1er, qui ouvre le mariage aux couples de même sexe. Ce mode d’écriture du droit imposait de recenser de la façon la plus exhaustive possible les conséquences de la modification législative introduite à cet article sur le reste du code civil, d’une part, et sur les autres codes, lois et ordonnances, d’autre part.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a choisi un autre mode d’écriture, optant pour ce que l’on appelle, de manière triviale, un « article balai », disposition interprétative, également conforme aux règles de la légistique, inscrite au début du livre Ier du code civil.
M. Hyest nous dit que c’est l’énormité du procédé du Gouvernement qui a conduit l’Assemblée nationale à choisir un autre mode d’écriture.
M. Michel Vergoz. M. Hyest n’est plus en séance… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a eu la courtoisie de me prévenir qu’une contrainte l’obligeait à s’en aller, mais qu’il prendrait connaissance de ma réponse.
M. Jean-Claude Lenoir. Voilà !
Un sénateur du groupe UMP. Ce n’est pas correct, monsieur Vergoz !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est de ma faute, mesdames, messieurs les sénateurs : j’aurais dû vous le dire au début de mon propos !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. C’est de la faute de M. Vergoz !
M. Christian Cambon. Il nous cherche !
M. le président. Veuillez poursuivre, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans son intervention, donc, M. Hyest insistait sur l’énormité du procédé utilisé par le Gouvernement.
Le Gouvernement n’avait pas touché au titre VII, qui concerne la filiation, et avait procédé aux coordinations nécessaires à partir du titre VIII, lié à la filiation adoptive.
L’Assemblée nationale a préféré, je l’ai dit, un autre mode d’écriture.
La commission des lois du Sénat en a choisi encore un autre, qui consiste à poser pour principe général que les conséquences et obligations en droit sont les mêmes, que les époux et parents soient de sexe différent ou de même sexe.
En ce qui concerne l’inconstitutionnalité du texte, je n’ai pas entendu un seul argument remettant en cause un article ou une disposition du texte en particulier.
Je n’ai pas entendu évoquer l’argument, prévisible, relatif à l’accessibilité et à l’intelligibilité du texte, dont nous aurions pu effectivement discuter, mais, cet argument n’ayant pas été avancé, je n’ai aucune raison, pour l’instant, d’y répondre.
Il est normal que toutes les motions de procédure soient utilisées ; il est possible qu’elles le soient pour enrichir le débat, et c’est tant mieux, car, s’il est un lieu propice aux délibérations collectives éclairées, c’est bien le Parlement.
Il y a des débats au sein de la société, vous le savez : tout le monde en organise. J’ai entendu quelqu’un réclamer davantage de débats, mais cela fait plus de six mois que des débats sont organisés ! Je ne connais pas de sujet qui ait été autant débattu dans la société française : que ce soit sur le terrain ou dans les médias, il a été abordé sous tous les angles !
Le Gouvernement a procédé à des auditions. Avec ma collègue Dominique Bertinotti, ministre de la famille, nous avons entendu des personnalités de sensibilités différentes, des représentants de diverses institutions, des responsables de culte, des spécialistes des sciences humaines et des sciences sociales…
M. Charles Revet. Mais il n’y a pas eu de débat !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Leurs contributions ont été mises en ligne sur le site du ministère de la justice pour nourrir la réflexion de tous ceux qui voulaient organiser des débats, mais il faut regarder la réalité en face : certains débats ont été très perturbés.
Ainsi, pas plus tard que la semaine dernière, Erwann Binet, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, qui organisait un débat, a dû être évacué par la police, car il était pris à partie et menacé. Je veux bien que l’opposition demande davantage de débats,…
M. Charles Revet. Madame la ministre, le sujet est grave !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais pas quand les personnes dont elle se réclame, puisqu’elle défend avec détermination, dans les deux chambres du Parlement, les manifestations qui ont eu lieu, empêchent qu’ils aient lieu !
Je ne parle pas des citoyens inquiets qui s’interrogent ou qui protestent en participant à ces manifestations. Ce n’est pas un propos de circonstance, puisque je l’ai dit avant même la présentation du projet de loi en conseil des ministres, voilà donc des mois : je sais que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe va heurter des personnes et ébranler des représentations.
M. Gérard Larcher. Pas seulement des représentations !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne sous-estime pas cet aspect de la question. Je l’ai dit ce matin, ce sont des choses que je peux entendre ! Il y a encore des traces de sacré dans l’institution du mariage : même si elle a changé de nature en devenant laïque et civile, cette institution a marqué d’une empreinte forte notre société. Elle est devenue une institution civile, mais il reste des traces de la représentation sacramentelle qu’elle a portée pendant pratiquement un demi-millénaire.
C’est un aspect que j’aborde avec le plus grand respect et j’ai eu des échanges posés avec des personnes qui considèrent encore que l’institution du mariage est sacrée, y compris avec des participants aux manifestations, pour leur expliquer le point de vue du Gouvernement. Mais, s’il est normal que des Français, dont personne ne connaît d’ailleurs le nombre, s’interrogent sur ce texte et sur les bouleversements dont il est porteur, il est inadmissible de ne pas pouvoir débattre publiquement. C’est notre démocratie qui est en jeu !
Notre responsabilité politique est d’abord d’éclairer. J’ai entendu des sénateurs de l’opposition dire, de bonne foi, qu’il fallait parler aux Français, leur expliquer le texte pour qu’ils le comprennent mieux, mais il faut reconnaître que certains luttent à coup de contre-vérités.
Nous avons entendu pendant plusieurs mois que les mots de « père » et de « mère » allaient disparaître complètement du code civil alors qu’il n’en a jamais été question, ne serait-ce que parce que le titre VII concerne la filiation biologique. Le code civil emploie le terme de « filiation ». Il ne la qualifie pas, mais il s’agit bien de la filiation par engendrement. Il n’y a donc aucune raison que le titre VII soit modifié. Or, nous avons tous entendu des manifestants interrogés à la télévision dire que les mots « père » et « mère » allaient disparaître du code civil.
Éclairons donc les Français en leur disant la vérité, présentons-leur les arguments qui ont été employés, y compris – je pense, notamment, aux propos de M. Milon – par l’opposition.
Oui, dans certaines situations, il y a des risques, mais, objectivement, quels sont ici les risques ?
M. Retailleau parlait tout à l’heure d’amputation, mais de quelle amputation ? Qui ampute-t-on en ouvrant l’institution du mariage aux couples de même sexe ?
M. Bruno Retailleau. L’enfant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et que veut dire ce « la famille » au singulier ?
Débattons, mais débattons des faits, de la vérité, de la réalité, et, si après avoir débattu, nous constatons que les divergences demeurent et sont peut-être même indissolubles, eh bien, assumons-le !
Quant aux arguments relatifs au risque d’inconstitutionnalité, je ne les ai pas, je l’ai dit, entendus. Sans doute n’ont-ils pas été développés faute de temps. Je ne devrais pas le dire à haute voix, mais j’avoue que, un quart d’heure pour défendre une exception d’irrecevabilité, c’est assez peu. Cela étant, si M. Hyest avait sacrifié la lecture d’une partie d’un avis du Conseil d’État supposé demeurer confidentiel et d’une certaine façon déjà caduc, il aurait pu se consacrer davantage aux arguments d’ordre constitutionnel.
Je crois donc être fondée, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous inviter à rejeter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite revenir un instant sur ce qu'ont dit notre rapporteur et Mme la garde des sceaux. Bien que respectant parfaitement leurs points de vue, je dois faire état de mon total désaccord.
Personnellement, je suis convaincu de l'inconstitutionnalité du texte qui nous est soumis et je vais – très brièvement, puisque je ne dispose que de cinq minutes – dire pourquoi.
Le premier motif d’inconstitutionnalité est une forme d’irrespect des dispositions de la Constitution en ce qui concerne l'application des traités internationaux.
Ce texte ne respecte pas les traités internationaux qui gèrent le droit de la famille puisque nous avons signé avec d'autres États des conventions bilatérales. Il existe au moins une trentaine de conventions de ce type. Ces conventions auraient d'abord dû être révisées ou revues avant que l'on se lance dans l’adoption d’une telle réforme.
Le deuxième motif d’inconstitutionnalité, Jean-Jacques Hyest l’a très bien expliqué, a trait à l'étude d'impact, laquelle ne répond pas du tout aux exigences posées par la loi organique en la matière. Nous nous trouvons ainsi face au problème de l'intelligibilité de la loi, qui a déjà été soulevé par le Conseil constitutionnel. À partir du moment où l'étude d'impact n'est pas correcte, la loi n’est pas totalement intelligible.
M. Patrice Gélard. Troisième motif, relatif aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Personnellement, je suis convaincu que l'altérité dans le mariage fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Il y a trois conditions pour qu’un principe soit reconnu comme fondamental.
Première condition, il faut que le principe s'applique en fonction de la loi et non pas d'une tradition. Or, nous l’avons vu, une multitude de lois ont respecté le principe de l’altérité dans le mariage depuis les débuts de la République : qu’il s’agisse des lois sur la sécurité sociale, des lois concernant les allocations familiales, des lois relatives au logement, toutes se réfèrent à cette altérité de façon continue, pérenne et sans aucune exception, altération ou interruption.
Deuxième condition, il doit s’agir de lois républicaines. Si le code civil a été adopté en 1804, il a été maintenu et développé au fil de nos Républiques, de la IIe à la Ve.
Enfin, troisième condition, le principe doit être antérieur au Préambule de la Constitution. Or le mariage, dans sa forme actuelle, est bien antérieur à 1946.
À l'heure actuelle, neuf principes fondamentaux sont reconnus par les lois de la République. On les connaît peu, car ils sont rarement évoqués, notre système de droits et de libertés étant extrêmement étendu, mais je vous renvoie aux conclusions du rapport du comité Veil sur le Préambule de la Constitution.
Quatrième motif, l'article 34 de la Constitution ne nous donne pas compétence en matière de mariage, mais seulement de régimes matrimoniaux. Il y a là une différence fondamentale.
Enfin, cinquième motif que j’ai souligné hier, le texte qui nous est présenté met en place un système de statuts différents pour les enfants : les uns pourront être adoptés pleinement, les autres simplement. Il s’agit d'une grave atteinte au principe d'égalité entre les enfants.
Pour tous ces motifs, l'inconstitutionnalité subsiste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Le texte qui nous est proposé par Mme la garde des sceaux ouvre de nouveaux droits et de nouvelles libertés.
Aussi, je suis étonnée que M. Hyest, qui a présidé la commission des lois, trouve ce projet de loi contraire aux principes édictés par la Constitution, alors qu'il est seulement question d’égalité entre les citoyens et de la liberté de chacun de se marier ou non, avec un homme ou avec une femme.
D'un point de vue plus juridique, qu’il s’agisse de la Constitution de 1958, de son Préambule ou de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aucun de ces textes fondamentaux ne consacre un principe protégeant le mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme.
J'ajoute que jamais la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'a consacré le mariage entre un homme et une femme comme un principe fondamental des lois de la République.
Ériger le caractère hétérosexué du mariage en principe constitutionnel n’aurait aucun sens. En effet, cela reviendrait à inscrire dans le registre de l’interdit, voire de la discrimination, un principe qui n’aurait pas sa place au sein de nos principes constitutionnels, qui tendent tous à la promotion de nouveaux droits, tels que la liberté d’association, les droits de la défense, la liberté d’enseignement.
En outre, comme l’indique l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Le mariage des couples homosexuels n’empêchera pas les couples hétérosexuels de se marier. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Encore heureux ! Il ne manquerait plus que ça !
Mme Marie-Christine Blandin. Enfin, l’adoption, qui est également au cœur de ce projet de loi, permettra, d’une part, de mettre fin à une discrimination qui n’avait plus lieu d’être et, d’autre part, d’apporter une plus grande sécurité juridique et, disons-le, un foyer à de nombreux enfants.
Quand M. Gérard Longuet déclare que les homosexuels sont « des personnes comme les autres, mais pas des parents comme les autres », il énonce, certes, une évidence – individuellement, aucun parent, père ou mère, n’est identique à un autre –, mais il procède également à un amalgame entre un groupe et une idée d’inadéquation à la parentalité.
M. Gérard Longuet. La « parentalité », cela n’existe pas. C’est la « parenté » !
Mme Marie-Christine Blandin. Cet amalgame, nous ne l’acceptons pas !
Dès lors que notre code civil autorise l’adoption pour une personne seule, l’enfant n’ayant alors qu’un seul parent, il ne peut pas être reconnu comme contraire à notre Constitution qu’un enfant ait deux pères ou deux mères.
En conséquence, le groupe écologiste votera bien évidemment contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. L’argument de M. Gélard sur les conventions internationales a des qualités d’artefact que je voulais souligner.
Si nous nous privions de légiférer sur tous les sujets visés par les innombrables conventions internationales qui ont été signées par la France, nous ne pourrions plus légiférer.
Je connais bien l’article 55 de la Constitution. Mais le fait que la loi change en France peut contraindre le Gouvernement ou l’inciter à renégocier des conventions existantes.
M. Jean-Claude Lenoir. Comme pour le traité européen ?
M. Jean-Pierre Sueur. Notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui a dû nous quitter,…
Mme Isabelle Debré. Momentanément !
M. Jean-Pierre Sueur. … a déclaré tout à l’heure que notre rapporteur Jean-Pierre Michel avançait « masqué ».
Or, si nous pouvons faire des critiques à M. Jean-Pierre Michel, nous ne pouvons pas, surtout compte tenu des épisodes précédents, dont nous avons été les témoins, lui faire le reproche d’avancer masqué. C’est quelqu’un qui dit ce qu’il pense !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. En outre, M. Hyest a évoqué l’anthropologie. Depuis le début de ce débat, nous avons entendu plus d’une vingtaine de fois des orateurs affirmer : « l’anthropologie dit », argument que nous avons d’ailleurs entendu plusieurs fois, au cours des derniers mois, de la part de nombre d’autorités spirituelles.
Je pense que cela n’a aucun sens. (Approbations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) En effet, on ne peut pas parler de « l’anthropologie ».
Mme Esther Benbassa. Il y a plusieurs écoles !
M. Jean-Pierre Sueur. Lisez les œuvres de Margaret Mead, de Marcel Mauss, de Malinowski, de Claude Lévi-Strauss ou encore de Françoise Héritier : vous verrez que les positions sur le sujet sont extrêmement diverses au sein de « l’anthropologie ».
Je ne comprends donc pas que ce mot soit mis au singulier. C’est une facilité de raisonnement qui ne correspond strictement à rien. Il y a beaucoup de demeures dans la maison « anthropologie » !
Je souhaite ajouter deux codicilles.
D’abord, il me paraît léger d’embarquer, comme cela a pu être fait, des auteurs célèbres dans la défense de positions diverses et variées. Je ne sais pas ce que Louis Aragon ou Albert Camus auraient dit s’ils avaient siégé dans cette enceinte, mais il me paraît tout de même un peu excessif d’en faire des partisans de l’opposition absolue à ce texte !
Ensuite, beaucoup de nos collègues ont fait référence au dictionnaire et aux définitions qui y figurent.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais, mes chers collègues, les sciences sociales et les sciences humaines nous enseignent que les mots sont comme les êtres vivants : ils évoluent, ils changent de sens. Il est des lois – celle-ci peut en être une – qui contribuent à changer le sens des mots. Et si certains, en vertu d’une conception immobiliste, fixiste et positiviste, pensent que les mots ont un sens immuable, je me propose de leur offrir, même si c’est un peu volumineux, les quinze tomes de la magistrale Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot. Ils y découvriront que les mots, comme les êtres humains et les sociétés, changent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Voilà un homme lettré !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié bis, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 127 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 160 |
Contre | 177 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, d'une motion n° 2 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Hugues Portelli, pour la motion.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, vous le savez, parmi toutes les motions de procédure, la question préalable est la plus radicale, puisqu’elle exprime le refus d’examiner un texte dont on estime qu’il n’y a aucune raison valable de l’adopter. C’est le cas aujourd’hui.
D’abord, la situation dramatique que connaît notre pays, sur les plans tant économique que social ou moral, imposerait que Gouvernement et Parlement réunis se consacrent à la seule priorité qui vaille : le sauvetage et le redressement de notre pays, menacé par un déclin irréversible.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Hugues Portelli. Au lieu d’œuvrer à nous rassembler sur ce sujet vital, la majorité présidentielle ne trouve rien de mieux à faire que de diviser profondément notre nation sur une question que personne, à droite comme à gauche, ne juge essentielle ou urgente, une question qui ne se posait pas jusqu’à ce jour.
En effet, pour les rédacteurs du code civil – je vous renvoie au discours préliminaire de Portalis sur le projet de code civil –, le fait que le mariage soit l’union d’un homme et d’une femme relevait de l’ordre physique de la nature, commun à tous les êtres animés. Cela ne relevait ni du droit naturel, qui est propre aux hommes et à la base de nos lois civiles, ni des lois positives, qui sont plus conjoncturelles. C’était la conception du droit romain ; c’est celle du code civil.
Le projet de loi soumis au Parlement, un texte écrit à la va-vite qu’il faudra, de l’aveu même du Gouvernement, au minimum compléter par des ordonnances, est ainsi devenu une priorité. Il s’agit de faire diversion, faute de pouvoir résoudre les vrais problèmes de notre pays et d’offrir à la majorité un marqueur idéologique de rechange, faute de pouvoir mettre en œuvre ses anciennes croyances, devenues obsolètes.
Au-delà des circonstances, ce texte soulève selon nous plusieurs problèmes graves qui justifient son rejet et que je voudrais énumérer rapidement.
Le premier est la confusion intellectuelle et juridique sur laquelle il repose.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est le fondement de l’État de droit dans notre pays, proclame que les hommes naissent…
M. Hugues Portelli. … libres et égaux en droits. De cette affirmation découlent plusieurs conséquences.
La première est que les droits de l’homme s’enracinent dans le droit naturel et qu’on ne peut bâtir le droit sur des constructions virtuelles : le droit civil notamment, celui de la famille avec ses éléments constitutifs – le mariage, la filiation –, ne peut prendre en considération une entité artificielle où l’enfant ne connaîtrait pas ses parents réels, père et mère, et où la naissance, la filiation, la structure familiale deviendraient des fictions, comme celles auxquelles se risquent parfois les auteurs de film fantastique.
Cet enracinement naturel du droit civil n’est nullement contradictoire avec le fait que tous les êtres humains soient égaux,…
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. François Calvet. Eh oui !
M. Hugues Portelli. … qu’ils aient des droits identiques, mais cette égalité ne peut nier les différences, notamment sexuelles, qui font la richesse de l’humanité. Nous sommes tous différents et nous sommes tous égaux en même temps. Et la différence naturelle entre les êtres humains explique que des constructions sociales et juridiques différentes – le mariage, le PACS, l’union civile – doivent permettre d’arriver au même but : l’égalité de droits.
La différence entre les sexes est fondatrice de la société et cette réalité naturelle ne peut être niée au profit d’aberrations qui lui substitueraient une sexualité virtuelle, fruit du ressenti des individus.
Une deuxième source de confusion est la conception du mariage.
Le mariage est en France, on l’a répété, une institution sociale, qu’elle soit juridique ou non, d’ailleurs. L’union d’un homme et d’une femme permet non seulement de construire une famille, mais également de donner aux enfants de cette famille une sécurité affective et sociale, puisque, en se construisant à partir de la double image de la mère et du père, ils peuvent connaître leurs origines, leur histoire, leur identité.
Si le mariage n’était que la mise en forme d’un sentiment affectif, ou d’un désir entre deux êtres, quels qu’ils soient, il ne serait pas nécessaire de lui donner la solennité qu’il a toujours eue, pour la famille, pour la société, pour l’État,…
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Hugues Portelli. … c’est-à-dire la force symbolique d’une institution qui structure toute l’histoire de l’humanité et que les civilisations successives ont enrichie sans jamais l’abattre.
Une troisième source de confusion est l’absence de toute réflexion sur les conséquences qu’entraînerait l’adoption de ce projet de loi.
Une telle loi serait bonne, ai-je entendu dire, car elle ne coûte pas cher, répond à une demande sociale et, de toute façon, ne concerne pas grand-monde : voilà l’argument qui nous est asséné,…