Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Jacques Gillot, Mme Odette Herviaux.
2. Communication relative à une demande de scrutin solennel
3. Motion référendaire sur le projet de loi relatif au mariage pour couples de personnes de même sexe
MM. Bruno Retailleau, premier auteur de la motion ; Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois.
Mme Annie David, MM. Hervé Marseille, Jean-Michel Baylet, Mme Corinne Bouchoux, MM. Gérard Longuet, Alain Anziani, Hugues Portelli, Philippe Bas.
Mmes Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
Suspension et reprise de la séance
MM. Jean-Claude Lenoir, Christophe Béchu, André Reichardt, Jean-Noël Cardoux, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. François Pillet, Gérard Bailly, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-François Husson, Jackie Pierre, Pierre Bordier, Michel Magras, Christian Cambon, Mmes Caroline Cayeux, Catherine Deroche, MM. Charles Revet, Roland du Luart, Yves Détraigne, Christian Cointat, Jean-Pierre Leleux, Jean-Michel Baylet, Bruno Retailleau, Philippe Bas, Vincent Delahaye, Dominique de Legge, Antoine Lefèvre, Mme Isabelle Debré, M. Michel Bécot, Mmes Catherine Troendle, Nicole Bonnefoy.
Rejet de la motion par scrutin public.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
4. Communications du Conseil constitutionnel
5. Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. – Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
Motion no 1 rectifiée bis de M. Jean-Jacques Hyest. – M. Jean-Jacques Hyest, Mme Éliane Assassi, M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Patrice Gélard, Mme Marie-Christine Blandin, M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet par scrutin public.
Motion no 2 rectifiée bis de M. Hugues Portelli. – MM. Hugues Portelli, François Rebsamen, le rapporteur, Mmes Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; Christiane Taubira, garde des sceaux ; MM. André Gattolin, Philippe Bas, Mme Françoise Laborde. – Rejet par scrutin public.
Suspension et reprise de la séance
M. le président.
Mme Catherine Troendle.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
MM. Jean-Claude Lenoir, Roger Karoutchi, François Rebsamen.
Mme la présidente.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 3 rectifiée bis de M. Philippe Bas. – MM. Philippe Bas, Jean Desessard, le rapporteur ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.
Demande de vérification du quorum
Mme Catherine Troendle, M. François Rebsamen.
Mme la présidente.
(Appel nominal)
Mme la présidente.
Suspension et reprise de la séance
Demande de renvoi à la commission (suite)
Rejet par scrutin public.
M. Bruno Retailleau, Mme la présidente.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Patrice Gélard. – M. Patrice Gélard.
MM. François Rebsamen, Gérard Larcher, Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
Mme Catherine Troendle.
Suspension et reprise de la séance
Articles additionnels avant l’article 1er (suite)
Amendement n° 4 rectifié bis de M. Patrice Gélard (suite). – M. Patrice Gélard.
Amendement n° 6 de M. Christian Cointat. – M. Christian Cointat.
Amendement n° 169 rectifié ter de M. François Zocchetto. – M. Michel Mercier.
Amendement n° 192 rectifié de M. Charles Revet. – M. Charles Revet.
Amendement n° 22 rectifié ter de M. Patrice Gélard. – M. Patrice Gélard.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Jacques Gillot,
Mme Odette Herviaux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une demande de scrutin solennel
M. le président. Monsieur le président Zocchetto, vous avez exprimé le souhait, en préambule à notre débat, que le vote sur l’ensemble du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe fasse l’objet d’un « scrutin solennel », organisé le mardi 16 avril prochain.
Je vous rappelle que le recours à cette modalité de vote ne peut être décidé qu’en conférence des présidents…
M. Charles Revet. Et la prochaine se réunit le 17 avril !
M. le président. … et qu’aucune demande en ce sens n’a été formulée lors de la conférence qui a fixé les conditions d’examen du projet de loi.
J’ai néanmoins pris en considération votre demande (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.) et, comme je m’y étais engagé publiquement ici même devant vous, j’ai consulté les présidents des autres groupes pour recueillir leur avis sur l’opportunité de réunir la conférence des présidents.
De ces consultations, il ressort que les autres groupes ne formulent pas la même demande car ils ne souhaitent pas modifier l’organisation des débats et des votes telle qu’elle a été arrêtée le 20 mars dernier.
Dans ces conditions, monsieur le président Zocchetto, je ne crois pas nécessaire de réunir la conférence des présidents.
M. Bruno Sido. C’est dommage !
M. François Rebsamen. C’était bien tenté… mais un peu tardif !
Mme Laurence Rossignol. Un peu tardif, en effet !
3
Motion référendaire sur le projet de loi relatif au mariage pour couples de personnes de même sexe
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la motion (n° 482, 2012-2013) de M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013).
La parole est à M. Bruno Retailleau, premier auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. François Zocchetto et Hervé Maurey applaudissent également.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Bruno Retailleau, premier auteur de la motion. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, avant de soutenir cette motion référendaire au nom de mon groupe, que je remercie, je veux commencer par rendre hommage à la clarté et à la franchise des propos de Mme la garde des sceaux.
Sur ce projet de loi, nous avons peu de points d’accord. Néanmoins, madame la garde des sceaux, nous en avons un, qui est essentiel : nous considérons comme vous que l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe est, comme vous l’avez si bien indiqué, une vraie « réforme de civilisation ». Et c’est aussi parce qu’il existe un consensus entre nous sur ce point que nous allons, au final, nous opposer, dans toute la force de nos convictions – et ni les vôtres ni les nôtres ne sont tièdes !
Nous partageons l’idée que ce texte opère un basculement. Cependant, quand vous soutenez que c’est un progrès, nous pensons que c’est un recul (Oui ! sur les travées de l’UMP.), et même un double recul : un recul pour la République, un recul pour la société.
Il s'agit d'abord d’un recul pour la République puisque votre réforme, madame la garde des sceaux, s’appuie sur une conception biaisée non seulement de la loi, mais aussi de l’égalité.
C’est d'ailleurs au nom de l’égalité républicaine que vous nous présentez ce texte. Mais quelle est la définition de cette égalité ? L’égalité républicaine, c’est celle qui consiste à traiter de la même façon des situations identiques. Or, un couple composé de deux personnes de même sexe, ce n’est pas la même chose qu’un couple composé de personnes de sexe différent ! Au demeurant, ce n’est pas moi qui l’affirme : c’est ce qui résulte d’une décision importante rendue par le Conseil constitutionnel en janvier 2011. Du reste, ce point fait l’objet d’une jurisprudence constante, de la part tant du Conseil constitutionnel que des juridictions des deux ordres français.
Madame la garde des sceaux, c’est aussi au nom de l’égalité que vous vous exprimez lorsque vous prétendez que, loin de retirer un droit à quiconque, le texte élargira à tous un droit d'ores et déjà existant. Cette affirmation est rigoureusement fausse parce que, avec cette réforme, vous allez tarir un peu plus la source de l’adoption pour tous les couples, y compris hétérosexuels. Surtout, vous allez priver des enfants de connaître leurs origines, leur père et leur mère. Vous allez donc, au nom de l’égalité pour les adultes, créer une discrimination entre enfants.
Au-delà de l’égalité, c’est aussi la conception de la loi qui est en jeu.
Je pense que la source du droit républicain n’est ni le sentiment ni, à l’inverse, et à plus forte raison d'ailleurs, le rapport de forces.
Pour ce qui concerne le sentiment, j’ai souvent entendu que l’amour justifiait le droit au mariage et constituait un passeport suffisant pour y accéder.
L’amour, c’est le plus grand et le plus beau de tous les sentiments ; nous nous accordons aussi sur ce point. Mais l’amour est de l’ordre de l’intime, de la sphère privée. En quoi la loi donnerait-elle un statut public à une relation affective, aussi noble, aussi digne soit-elle ? Au nom de quoi la République se mêlerait-elle de ce qui ne la regarde pas ?
Et quand la République, à travers l’officier de l’état civil qu’est le maire, s’intéresse au mariage, c’est pour jouer le rôle du tiers qui constate l’existence d’une coïncidence entre l’intérêt particulier d’un couple et l’intérêt général, à savoir le renouvellement des générations et la transmission des patrimoines matériel et immatériel de la Nation. Il est important de rappeler que la République ne fait alors que se mêler de ce qui la regarde.
À l’inverse, la loi n’est pas non plus l’expression d’un rapport de forces.
Monsieur le rapporteur, au cours des auditions, vous avez indiqué que « ce qui est juste, c’est ce que dit la loi » et que celle-ci « se réfère à un rapport de forces à un moment donné ». Mais, sur ce texte, quelle est la loi du plus fort ? Où est le rapport de forces ? Est-ce le droit des adultes contre le droit des enfants ?
Mes chers collègues, les grands perdants de cette réforme, ce seront les enfants ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Revet. C’est à eux qu’il faut penser !
M. Bruno Retailleau. Ce sont en effet des sans-voix, car ils ne disposent pas de relais dans les médias.
Et si, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégieons, nous acceptions que la loi ne soit que l’expression d’un rapport de forces, que ferions-nous ici ? Sommes-nous convoqués pour n’être que des greffiers qui doivent enregistrer de façon automatique des revendications catégorielles au profit des groupes les plus influents ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Si notre boussole n’est autre que celles des désirs et des volontés individuelles, où se trouve alors l’intérêt général ? Comment, et avec quels concepts, limitera-t-on les caprices, les désirs et les volontés individuels ?
Non, je ne crois pas à la République du désir, je crois à la République des droits, à la République des devoirs. Je pense que la République n’est pas un self-service normatif, auprès duquel chacun viendrait quémander la reconnaissance de son droit ou la satisfaction de sa demande personnelle.
Cette réforme n’est pas un progrès pour le droit républicain, pas plus qu’elle ne l’est pour la société, voire pour la civilisation. En effet, vous avez parlé, madame la ministre, de « réforme de civilisation », Erwann Binet, rapporteur sur le texte à l’Assemblée nationale, évoquant pour sa part une « révolution anthropologique ».
Certes, cela fait bien longtemps que nous vivons dans un monde qui est – et il le restera – marqué par la différence irréductible et la complémentarité qui caractérisent la figure masculine et la figure féminine. C’est à partir de cette réalité que les sociétés, quelle que soit leur culture – et leur religion, d’ailleurs –, se sont organisées. Elles se sont organisées non pas pour obéir et se soumettre à la nature, mais pour tenir compte de cette donnée objective, parce que c’était le cadre le plus harmonieux pour leur développement, et aussi le plus universel. En effet, tout homme, quelles que soient sa culture, sa couleur de peau, sa religion, est issu d'un homme et d'une femme.
C’est aussi cette dimension universelle que porte en son cœur l’institution – il ne s’agit en effet pas que d’un contrat – du mariage. Je voudrais rappeler à ce stade les mots très justes qu’avait eus, en 2004, l’ancien premier ministre Lionel Jospin : « Le mariage est, dans son principe et comme institution, “l'union d'un homme et d'une femme”. Cette définition n’est pas due au hasard. Elle renvoie, non pas d’abord à une inclinaison sexuelle, mais à la dualité des sexes qui caractérise notre existence et qui est la condition de la procréation et donc de la continuation de l'humanité ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Lionel Jospin ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
En remettant en cause cette définition du mariage, madame la ministre, vous préparez – je vous le dis très sincèrement – un bouleversement profond de la société, avec deux conséquences majeures.
La première concerne la filiation. De nombreux pédopsychiatres nous mettent en garde…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Pas tous !
M. Bruno Retailleau. … parce que « l’homme n’est pas une mère comme une autre », et inversement.
Mme Cécile Cukierman. Personne ne dit le contraire !
M. Bruno Retailleau. Je citerai ici – c’est le fait du hasard – Sylviane Agacinsky : « La paternité ne sera jamais l'équivalent masculin de la maternité ». (M. Gérard Larcher acquiesce.) C’est une évidence qu’il faut rappeler, mais au cœur de laquelle il y a la construction psychologique des enfants. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Je suis sûr que vous la gardez, de même, à l’esprit. Au moment où nous discutons de ce texte, c’est le fil rouge qui doit nous guider. En effet, au nom de quelle modernité projetterait-on ces enfants dans une origine impossible ? Impossible, parce qu’impensable, et impensable, parce que ces enfants-là, plus que d’autres, ont besoin de fantasmer la scène originelle de l’engendrement !
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. Il se peut qu’un jour, dans de nombreuses années, ces enfants-là nous le reprochent. Un jour, peut-être, en souffriront-ils.
La seconde conséquence, madame la ministre, c'est l’engrenage, le processus, que vous mettez en place. Ce texte est un cheval de Troie, et vous ne devez pas mentir aux Français sur ce point : aujourd'hui, le mariage et l’adoption ; demain, la procréation médicalement assistée, ou PMA, et la gestation pour autrui, ou GPA ! (Bien sûr ! sur les travées de l’UMP.) La PMA se pratique déjà aujourd'hui à l’étranger, et même en France, dans des conditions artisanales – consultez les médecins, les obstétriciens –…
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. … et aussi virtuellement, potentiellement, sur un plan juridique, avec la Cour européenne des droits de l’homme, ou CEDH, qui tolère parfaitement des régimes différents à condition que les statuts de couple soient différents.
Mais, dès lors que vous autoriserez le mariage pour les couples de même sexe, vous ne pourrez, d’après la CEDH, réserver de différences de traitement dans l'exercice du droit de procréer en ayant recours à la PMA.
En votant ce texte, le bras est pris dans l’engrenage qui nous conduira demain à la PMA et après-demain, bien entendu, à la gestation pour autrui. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. J’entends déjà les objections – elles sont d’ailleurs sincères et viennent sans doute aussi du cœur – de tous ceux qui nous diront qu’il n’y a ni PMA ni GPA dans ce texte. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) Mais en réalité, tout va se passer comme pour le PACS, voilà un peu plus de dix ans, dont on nous promettait qu’il serait une étape ultime !
Mme Cécile Cukierman. Certains, qui le décriaient à l’époque, s’en félicitent aujourd'hui !
M. Bruno Retailleau. Souvenez-vous de la déclaration d'Élisabeth Guigou ! Souvenez-vous, monsieur le rapporteur, de votre propre déclaration ! À l’époque, les mêmes qui, aujourd'hui, disent « jamais » trouveront à l’évidence les meilleurs arguments pour tout justifier au nom de l'égalité, de la générosité – parce que cela se fait dans d’autres pays… – et du progrès.
Voilà où peut vous conduire cette ambition prométhéenne, cette toute-puissance juridique que vous voulez faire adopter par ce texte. Et je pense que, au bout de ce texte, il peut y avoir un risque, un précipice, celui de la fabrique d'enfants.
C'est la raison pour laquelle vous avez le devoir de consulter les Français. Non seulement vous en avez le devoir, mais vous en avez aussi la possibilité juridique, et je voudrais m’attarder quelques instants sur ce point.
Le recours au référendum est ici parfaitement conforme à l'esprit de la Ve République ainsi qu’à la lettre de la Constitution.
L’esprit de la Ve République est bien entendu respecté puisque, d’après l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Et l’article 2 mentionne que le principe de la République est le « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
Le peuple a donc la plénitude – et j’insiste sur ce dernier mot – de la souveraineté démocratique. Il n'y a pas de domaine qui puisse échapper au droit souverain du peuple d’en décider par lui-même. On ne peut bâillonner le peuple ! On ne peut pas limiter le peuple !
Mme Cécile Cukierman. Et qu’avez-vous fait pendant dix ans ?
M. Bruno Retailleau. Du reste, depuis quand le mandataire aurait-il une compétence plus large que son mandant ? Cela ne tient pas.
Conforme à l’esprit de la Ve République, le référendum est tout aussi conforme à la lettre de la Constitution.
Je connais le prétexte, habile et fallacieux, que vous avez trouvé pour nous objecter un faux-semblant d’argument juridique : nous nous trouverions dans le champ du « sociétal » plutôt que dans celui du « social », et le sociétal n’est pas prévu par l'article 11 de la Constitution, celui qui traite du référendum.
C’est un argument facile ! Mais c’est aussi un argument admirablement artificiel, et je vous en donnerai quelques raisons.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pourtant, le Conseil constitutionnel l’a dit alors que M. Jacques Toubon était garde des sceaux !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président de la commission des lois, M. Toubon ne siège pas au Conseil constitutionnel !
Le premier argument est tiré de la Constitution qui proclame la langue française, langue de la République. Or quelle définition l'Académie Française donne-t-elle du mot : « social » ? Je cite : « qui concerne la société ». Et qu’indique le dictionnaire, par exemple le Petit Robert,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pourquoi ne prenez-vous pas le Grand Robert ?
M. Bruno Retailleau. … pour la définition du « sociétal « ? Deux mots : « de la société ».
Mes chers collègues, lorsque l’on remonte aux sources de la signification, les deux définitions se répondent en écho, car « sociétal » est un néologisme qui ne signifie rien d'autre que « social » ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce raisonnement est complètement spécieux ! Personne ne peut croire à cet argument ! Et l’on voit que vous n’y croyez pas…
M. Bruno Retailleau. D’ailleurs, comment se lisent les effets de la réforme, sinon en termes d’impacts sociaux ? L’étude d’impact – le doyen Gélard en a parlé hier et d’autres auront l’occasion d’y revenir –, très lacunaire, ne recense guère que des effets sociaux – et non pas sociétaux – qui ont une incidence sur le code de l’action sociale et des familles, le code de la sécurité sociale, les droits sociaux parmi lesquels la retraite, les prestations familiales, la santé, etc.
Dans ce texte figure bien l’adoption, qui est une compétence des conseils généraux. Et pourquoi est-ce l’une des compétences des conseils généraux ? Parce que le cœur de métier de ces derniers est assurément la compétence sociale ! Et vous voudriez nous faire croire qu’il n’est ici question que de « sociétal », et pas de « social », et ce alors même que ce texte prétend d’abord fonder ce qui pourrait être un autre ordre social ?
M. François Rebsamen. Celui de l’égalité !
M. Jean-Michel Baylet. Et de l’humanité !
M. Bruno Retailleau. Mais il y a mieux pour interpréter le mot « social », c’est la Constitution de 1958 elle-même, dont le préambule renvoie à celui de la constitution de 1946 qui énonce : « Le peuple français […] proclame […] comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : ».
Que sont ces fameux principes sociaux ? Au dixième alinéa de ce préambule, je lis : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Il découle donc du préambule de la constitution de 1946 que le social recouvre, englobe et concerne bien le droit de la famille. C'est une évidence. Et vous voudriez nous faire croire que ce texte ne concerne ni la famille, ni l’adoption, ni le social ? Eh bien, constitutionnellement, c’est faux !
J’en arrive aux articles 69 et 70 de la Constitution, qui concernent le Conseil économique, social et environnemental. Ce conseil est sorti de l’anonymat…
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà qui est très sympathique pour cette assemblée !
M. Bruno Retailleau. … pour refuser la première pétition constitutionnelle de l’histoire de la Ve République, qui a tout de même réuni 720 000 signatures…
Ce conseil qui est « social », comme l’indique sa dénomination, n’intègre pas moins de dix associations familiales dans sa représentation. Pour échapper à cette saisine, il s’est autosaisi sur un thème intéressant : « les évolutions contemporaines de la famille et leurs conséquences en matière de politiques publiques ».
Or, si le CESE s’estime compétent pour les questions familiales, alors que le terme « social » figure dans sa dénomination, c’est bien que la famille renvoie au social, et que vous ne pouvez vous cacher derrière le « sociétal » sauf à considérer qu’il s’agit d’un faux argument pour ne pas avoir à donner la parole au peuple.
Pourtant, le Président de la République devrait y réfléchir à deux fois.
M. Gérard Larcher. Oui !
M. Bruno Retailleau. En effet, seule une loi référendaire, si elle était votée, lui permettrait de surmonter deux obstacles majeurs.
Le premier obstacle, dont nous avons parlé hier, tient à l'article 55 de notre Constitution qui confère aux traités ou accords internationaux une autorité supérieure à celle de la loi ordinaire. Comment allez-vous vous y prendre avec les innombrables conventions et accords bilatéraux ou multilatéraux qui traitent justement de la filiation ou du mariage ? Vous connaissez comme moi, madame la garde des sceaux, la jurisprudence de la Cour internationale de justice. Vous savez aussi quelle interprétation on donne à l’article de la convention de Vienne qui concerne l'interprétation des traités, quelle est l’importance du sens des mots ! Les choses sont claires, et je pense qu’il s’agit ici de l’une des difficultés majeures présentées par le texte.
L'autre difficulté est l’inconstitutionnalité de ce texte. Jean-Jacques Hyest, notamment, y reviendra tout à l’heure. Selon moi, cette réforme fait violence à notre identité constitutionnelle, et plus particulièrement à ce que les juristes appellent « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Je pense, avec beaucoup d’autres juristes, que le mariage et la filiation en font partie. C’est tout particulièrement le cas pour la filiation, car il existe un lien indissociable entre sa définition et le régime de protection que le législateur, au-delà de notre République, a toujours tenu à lui apporter.
Vous le voyez, les arguments juridiques ne manquent pas ; mais, au bout du compte, l’affaire est politique puisque c’est au Président de la République d’en décider, et l’on sait depuis 1962 qu’il n’aura aucun contrôle, pas même celui du Conseil constitutionnel qui se refuse à examiner la constitutionnalité des lois adoptées par référendum.
Cette question est évidemment de nature politique, car elle concerne les Français d'aujourd'hui et de demain, les nouvelles générations... On ne saurait remettre en cause notre pacte social avec une simple loi ordinaire, au gré d’une majorité parlementaire nécessairement éphémère au regard des générations successives.
Si François Hollande, en s'exprimant au Congrès des maires, a parlé de « liberté de conscience », c'est bien que les circonstances sont d’une gravité exceptionnelle, bien plus qu’avec le cumul des mandats,…
Mme Cécile Cukierman. Il ne faut pas tout mélanger !
M. Bruno Retailleau. … sujet que le premier secrétaire du Parti socialiste, M. Harlem Désir – personnage considérable puisqu’il a succédé à François Hollande –, voudrait pourtant porter devant les Français pour qu’ils en décident par la voie du référendum.
Les Alsaciens sont d'ailleurs appelés à se prononcer dimanche prochain par référendum sur la création d’une collectivité unique qui, je l’espère, verra le jour. Pourquoi organiser un référendum sur ces questions et pas sur le pacte social ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. François Zocchetto et Hervé Maurey applaudissent également.)
Avec le référendum, mes chers collègues, vous avez une occasion unique de donner la preuve que le peuple compte pour vous : un peuple qui ne comprend pas que vous vouliez la parité partout sauf là où elle est indispensable (Exclamations sur les travées de l'UMP.) ; un peuple et des élus qui ne comprennent pas que l’on brandisse à tout bout de champ le principe de précaution…
Mme Cécile Cukierman. Il ne faut pas tout mélanger !
M. Bruno Retailleau. … pour des sous-espèces protégées de tritons, par exemple, mais que l’on abandonne toute prudence lorsque des pédopsychiatres nous mettent en garde ; un peuple que vous ne voulez pas entendre quand il défile par centaines de milliers dans la rue !
M. François Rebsamen. Là, c’est limite…
M. Bruno Retailleau. M. Hollande devrait se souvenir de l’anaphore : « Moi, Président de la République, je ne diviserai pas les Français ! »
Mme Cécile Cukierman. Justement, on les rassemble avec ce texte !
M. Bruno Retailleau. Il a une occasion de les réconcilier par le référendum. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Vous avez une occasion de montrer que le socialisme n’est pas devenu qu’un néolibéralisme libertaire, comme le dit Laurent Bouvet dans son excellent livre Le Sens du peuple : La gauche, la démocratie, le populisme.
M. François Rebsamen. Nous ne sommes pas d’accord avec lui !
M. Bruno Retailleau. Il n’est pas trop tard : revenez au peuple, revenez à la réalité, revenez aux sources de la République et de la démocratie !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Organisez ce référendum, monsieur le Président de la République ! Oui, Mme la garde des sceaux a raison, il s’agit bien d’une réforme de civilisation,…
M. Bruno Retailleau. … et on ne change pas subrepticement de civilisation par une loi ordinaire, au gré des majorités parlementaires passagères ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Les membres de l'UDI-UC applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je m’en tiendrai à des propos plus juridiques que lyriques. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Mauvais joueur !
M. Gérard Longuet. À l’impossible, nul n’est tenu !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission des lois s’est réunie ce matin à neuf heures trente et s’en est remis, sur cette motion, à la sagesse du Sénat. Toutefois, à titre personnel, je vous invite à la rejeter, pour des raisons de fond et de forme.
Sur le fond – et vous le savez tous aussi bien que moi –, les questions sur lesquelles portent le projet de loi n’entrent pas dans le champ de l’article 11 de la Constitution. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. M. Retailleau a démontré le contraire !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pas du tout !
Il ne s’agit pas de procéder par affirmation et par tautologie pour répondre aux questions constitutionnelles !
Le champ du référendum a été étendu en 1995, et il était bien clair dans l’esprit des constituants et du garde des sceaux de l’époque que celui-ci n’englobait pas ce que l’on appelle les problèmes de société. La Constitution a d'ailleurs été modifiée ultérieurement, notamment en 2008, sur proposition du précédent président de la République. Vous avez voté en faveur de cette modification, contrairement à nous. Vous avez alors voté l’extension du champ de l’article 11 aux réformes relatives à la politique environnementale.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. À une large majorité !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mais pourquoi n’avez-vous pas englobé les réformes de société ? (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela y était déjà !
M. Jean-Pierre Michel. Madame Des Esgaulx, ne soyez pas de mauvaise foi !
M. Bruno Sido. C’est vous qui êtes de mauvaise fois ! C’est incroyable !
M. Charles Revet. Vous ne voulez pas entendre raison !
M. François-Noël Buffet. C’est le texte !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … alors que le problème s’était déjà posé lors de la réforme de l’école et que, à ce moment-là, il avait clairement été dit que le recours au référendum n’était pas possible ?
Un sénateur du groupe UMP. Pinocchio !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La question n’a pas été soulevée pour des réformes importantes comme la filiation, l’avortement, etc., mais elle l’avait été dans le passé. En 2008, lorsque vous avez étendu le champ de l’article 11 aux réformes relatives à la politique environnementale, pourquoi ne pas avoir ajouté tout simplement : « et aux réformes de société » ?
M. François Rebsamen. Voilà !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Vous ne l’avez alors pas voulu, c’est tout !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’était pas le problème !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Dans ces conditions, pourquoi le demandez-vous aujourd’hui ?
Cette motion n’est pas non plus fondée en opportunité : franchement, sommes-nous en démocratie parlementaire, oui ou non ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le peuple a toujours raison !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le peuple a toujours raison ; il s’exprime par la voie de ses représentants…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et, à titre accessoire, supplémentaire, par référendum. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça, ça ne marche pas !
M. Gérard Larcher. Le référendum est « accessoire » ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, si les élus du peuple que vous êtes me disent que nous ne sommes pas dans une démocratie parlementaire et que le peuple ne s’exprime pas d’abord par nous,…
M. François-Noël Buffet. Le peuple est « accessoire » ?
Mme Cécile Cukierman. Personne ne dit cela ! C’est injurieux !
M. François Rebsamen. Il n’a pas dit cela !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne déformez pas mes propos !
… alors, nous sommes dans une autre république, une république censitaire. Dans ce cas, il faut réformer totalement nos institutions.
Le débat, qui aurait pu au demeurant être abordé plus longuement pendant la campagne présidentielle, a eu lieu à l’Assemblée nationale ; il a lieu au Sénat ; il a lieu ailleurs. (Où ? sur les travées de l’UMP)
M. Christophe Béchu. « Ailleurs » ?
Mme Catherine Troendle. Où, ailleurs ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Madame Troendle, je sais combien vous êtes attachée aux institutions de la Ve République : nous sommes ici par la volonté du peuple, et c’est nous qui légiférons (Exclamations sur les travées de l’UMP.) ! Ce n’est pas l’ « ailleurs » qui va légiférer !
Par conséquent, mes chers collègues, à titre personnel, je vous invite à repousser cette motion référendaire, même si la commission des lois s’en remet à la sagesse du Sénat, puisqu’il y a eu en son sein une égalité parfaite de vote.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voilà ! Il fallait le dire !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je voudrais ajouter un seul point de fond, même si cela dépasse un peu le cadre de cette discussion.
Monsieur Retailleau, j’ai apprécié votre intervention. (Ah !... Nous aussi ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas tous les jours !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je dois néanmoins ajouter, comme je l’ai dit hier dans mon intervention à la tribune, au nom de la commission des lois, que ce texte est aussi dans l’intérêt des enfants (Ah non ! sur les travées de l'UMP.),…
MM. Bruno Sido et Charles Revet. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … notamment de ceux que vous ignorez peut-être, monsieur Sido, même si vous présidez un conseil général, de ceux qui, si ce texte n’était pas adopté, n’auraient pas les mêmes droits que les autres enfants. Pour quelles raisons ferait-on porter à ces enfants le poids de l’union de leurs parents ?
M. Gérard Longuet. L’absence d’union de leurs parents !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ce texte est donc aussi dans l’intérêt de ces enfants, bien souvent traumatisés par le regard social qui est porté sur eux. Il suffit, mes chers collègues, de se rendre dans les lieux qui accueillent ces enfants – je l’ai fait à Montpellier, à Paris –, au bord du suicide, exclus par leurs parents…
M. François Rebsamen. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Convenez que ce projet de loi, même si vous êtes contre, est aussi dans l’intérêt de ces enfants.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, la commission des lois s’en remet à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous ne voterons pas cette motion référendaire.
M. Gérard Longuet. Nous sommes déçus !
Mme Annie David. En effet, depuis longtemps, la gauche, dont le parti communiste français,…
M. Bruno Sido. Il existe encore ?
Mme Éliane Assassi. Les remarques gratuites, ça suffit !
Mme Annie David. … s’est exprimée en faveur de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ainsi, pour ce qui nous concerne, c’est un sujet sur lequel nous travaillons depuis des décennies avec de nombreuses associations et organisations qui militent pour la dignité de la personne humaine et l’égalité des droits.
Nous sommes donc très satisfaites et très satisfaits qu’un projet de loi soit enfin présenté devant le Parlement. Les sénatrices et les sénateurs de mon groupe sont très fiers de contribuer à son adoption, car ce texte est attendu, contrairement à ce que certaines et certains se plaisent à propager, par un très grand nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens, qui, par ailleurs, n’oublient pas que la droite n’a même pas osé poser les termes du débat.
Nous nous félicitons donc que la gauche se saisisse de cette question avec courage et détermination, respectant ainsi la promesse faite devant le peuple – eh oui, mes chers collègues, le peuple compte pour la gauche ! –,…
M. Charles Revet. Vous allez donc voter la motion référendaire !
Mme Annie David. … la promesse faite devant les électrices et les électeurs lors des élections présidentielle et législatives, l’an dernier, qui ont donné une majorité de gauche pour gouverner notre pays.
M. Gérard Longuet. Ils ont également promis la PMA !
Mme Annie David. Donc, oui, le peuple est entendu !
Élue au printemps dernier, la gauche a toute légitimité pour tenir cette promesse sans avoir à passer par un référendum.
Sur cette question, comme sur beaucoup de questions sociétales, il ne devrait pas y avoir de clivages politiques. À gauche comme à droite, nous devons toutes et tous être à l’écoute de ces femmes, de ces hommes et de leurs enfants, mais aussi de tous nos jeunes adolescents en souffrance, qui ne demandent qu’à sortir de l’injustice qui leur est faite afin de se sentir enfin égaux en droits et en dignité.
Il s’agit simplement d’une question d’humanité marquée par le sceau du progrès.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne voterons pas les différentes motions qui ont été déposées sur ce texte. La motion référendaire, de surcroît, est dépourvue de toute consistance juridique et n’a d’autre but que de retarder l’adoption de ce projet de loi.
M. Roland du Luart. Vous avez mal lu, ou mal écouté !
Mme Annie David. Quoi qu’en dise M. Bruno Retailleau, dont l’argumentation est des plus fallacieuses,…
M. Jackie Pierre. « Des plus fallacieuses » ?
Mme Annie David. … juridiquement, cette motion n’a pas de sens dès lors que l’article 11, premier alinéa, de la Constitution limite expressément le champ d’utilisation du référendum à des sujets précis, à savoir « l’organisation des pouvoirs publics » – il ne s’agit pas là d’un texte relatif à l’organisation des pouvoirs publics ! –, les « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » – le texte n’entre pas non plus dans cette catégorie ! (Vives protestations sur les travées de l'UMP.) –…
Mme Catherine Troendle. Il s’agit bien d’une réforme sociale !
Mme Annie David. … et « la ratification d’un traité qui […] aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
Il s’agit bien d’un changement de société, et donc d’un thème sociétal et non pas social. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Christian Cambon. La belle explication !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien, madame David !
Mme Annie David. À l’évidence, comme le soulignent un grand nombre de constitutionnalistes, le projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels n’entre dans aucune de ces catégories, et je pense que le groupe UMP compte suffisamment de constitutionnalistes…
M. Jean-Claude Gaudin. Nous avons les meilleurs !
M. Charles Revet. Justement, cela a été démontré hier excellemment !
Mme Annie David. … pour ne pas mettre en doute cette affirmation.
En l’occurrence, je le répète, il s’agit non pas d’un sujet de politique sociale, mais plutôt d’une réforme sociétale du code civil.
Pour vous donner un élément de comparaison et sans doute pour vous rafraîchir quelque peu la mémoire, la réforme des retraites était véritablement un sujet de politique économique et sociale, tout comme l’était d'ailleurs la votation citoyenne pour exiger un grand service public de La Poste. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu un référendum sur ces sujets majeurs,…
Mme Éliane Assassi. Eh oui, souvenez-vous !
Mme Catherine Troendle. Pourquoi ne l’avez-vous pas demandé ?
Mme Annie David. … alors qu’ils avaient mobilisé plus d’un million de manifestants pour le premier et plus de deux millions de votants pour le second. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.) Vous ne les aviez pas entendus, vous aviez alors fait le choix de les ignorer, tout comme vous aviez repoussé les motions référendaires que nous avions déposées et qui pourtant, elles, étaient juridiquement justifiées, contrairement à celle-ci.
Enfin, argument supplémentaire s’il en était besoin, la possibilité d’un référendum d’initiative partagée, en principe autorisé par la réforme constitutionnelle de 2008, n’est pas envisageable – et vous le savez fort bien – tant que la loi organique qui doit permettre son entrée en vigueur n’est pas adoptée dans des conditions qui permettraient qu’un projet comme celui-ci lui soit soumis.
Mme Cécile Cukierman. Et vlan !
Mme Annie David. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mesdames et messieurs les sénateurs, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne voteront pas cette motion référendaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en rejoignant le Sénat ce matin pour poursuivre nos travaux, je réfléchissais à notre rôle, à la responsabilité qui est la nôtre au moment où notre pays traverse une tourmente économique, politique également, mais surtout sociale : déficit des comptes publics, qui explosent, accumulation des dettes, dégradation incessante de la situation de l’emploi.
Nombreux sont les Français durement affectés par les conséquences de la crise qui sévit. On leur demande, y compris aux plus humbles d’entre eux, de faire beaucoup d’efforts afin de relever ces défis. Lorsqu’ils s’informent à la télévision ou à la radio sur les moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour sortir la France de l’ornière, nos concitoyens observent des choses un peu irréelles.
L’ordre du jour dicté par le Gouvernement au Parlement nous conduit à discuter des dates mémorielles, à modifier les modes de scrutin, à revoir le découpage des cantons, à modifier les dates électorales, enfin à mobiliser – ou plutôt à diviser – le pays sur la question du mariage homosexuel, lequel est élevé au rang de priorité.
Comment ces Français – à Florange, chez Goodyear à Amiens, chez Peugeot, chez Renault, chez Alcatel – peuvent-ils nous juger ? Était-il si urgent de traiter ce sujet alors que les familles françaises font face à des problèmes si importants ?
On nous dit qu’il s’agit là de mettre en œuvre une promesse du candidat Hollande, aujourd'hui Président de la République. Or ce n’est pas la seule promesse qu’il a faite, et ce n’est certainement pas la plus urgente.
Nombre de nos concitoyens sont inquiets. Ils le sont d’autant plus que ce n’est pas tant l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe qui les préoccupe que ce que cela pourrait cacher. Quelle sera la place de l’enfant dans ce nouveau dispositif ? Mme Bertinotti nous a dit que M. le Président de la République s’était engagé sur le mariage et sur l’adoption, rien que sur le mariage et l’adoption ; mais un aspect reste très flou : la procréation médicalement assistée.
Au moment où la parole publique est sérieusement déconsidérée, je vous rappelle que le 31 mars 2012, aux Folies Bergère – cela ne s’invente pas ! –, Mme Vallaud-Belkacem, alors porte-parole officielle du candidat Hollande,…
M. François Rebsamen. C’est un argument limite, ça !
Mme Cécile Cukierman. C’est border line !
M. Hervé Marseille. … détaillait son programme devant les participants au meeting pour l’égalité organisé par les associations homosexuelles. Elle a clairement annoncé l’ouverture de la PMA avec donneur anonyme à tous les couples, sans discrimination, comme l’ont déjà fait les socialistes belges et espagnols. Elle précisait même le calendrier de cette réforme, laquelle devait intervenir au printemps 2013. Nous y sommes.
Ce texte est donc ambigu. Beaucoup le redoutent, beaucoup le combattent.
La question de la PMA a été renvoyée au projet de loi sur la famille annoncé pour le mois d’octobre. Le Comité consultatif national d’éthique a été saisi, son avis est attendu.
Peut-on vraiment séparer la PMA du mariage pour tous ? Nous ne le pensons pas. Le projet de loi étend aux couples de personnes de même sexe le bénéfice des dispositions relatives à l’adoption plénière – c’est l’article 345-1 du code civil –, qui prévoit que l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint.
Cette situation est celle dans laquelle va se trouver l’enfant conçu par un couple de femmes au moyen d’une PMA réalisée à l’étranger. Dans cette hypothèse, l’enfant voit sa filiation établie à l’égard de celle des deux femmes qui l’a mise au monde. La branche paternelle de sa filiation est donc vacante. Dès lors, en raison de l’anonymat du don de sperme, l’enfant peut être adopté, au sens de l’article 345-1 du code civil.
Alors, quand bien même le projet de loi sur la filiation ne remettrait pas en cause l’altérité sexuelle comme condition d’accès à la PMA, le mécanisme de l’adoption permettrait aux couples qui le voudront et qui le pourront de contourner la loi.
Enfin, on peut estimer que la Cour européenne des droits de l’homme n’acceptera pas que des personnes se trouvant dans des situations identiques soient traitées différemment. Si les couples hétérosexuels mariés peuvent accéder à la PMA, refuser cet accès aux couples homosexuels sera alors susceptible d’être considéré comme une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
Vous nous assurez que la liberté des adultes est un principe absolu et que les règles de procréation sont sources de discrimination. La suite logique – nous la connaissons, et cela a été dit à de nombreuses reprises par différents orateurs–, c’est l’accès à la PMA. Il faut donc dire les choses clairement aux Français. Dans ces conditions, le référendum peut leur permettre de s’exprimer sur un sujet qui touche au plus profond de notre société.
Des voies de convergence étaient possibles, mesdames les ministres.
M. Jean-Michel Baylet. Pas tellement, tout de même !
M. Hervé Marseille. Nous aurions pu converger vers un peu plus de reconnaissance des droits des couples homosexuels et instaurer un engagement d’union civile, mais vous l’avez refusé.
C’est l’honneur de la République que de chercher à dégager des positions aussi partagées que possible. Nous en avons été capables parfois, après des débats importants, forts. Cela a ainsi été le cas sur les questions de la fin de vie ou du port du voile à l’école. Le débat a été fort, il continue de l’être.
Aujourd'hui, il y a plus d’affrontements que de débat, car ce débat, vous l’avez abordé comme un rapport de forces.
Ainsi, monsieur le rapporteur, avez-vous répondu au philosophe Thibaud Collin, lors de son audition par la commission, après qu’il eut rappelé le texte liminaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui prévoit que le mariage civil s’inscrit dans un ordre humain, universel, fondé sur le partage d’une nature humaine commune : « Ce qui est juste, c’est ce que dit la loi. Et celle-ci ne se réfère pas à un ordre naturel, mais à un rapport de force à un moment donné ». Vous concédiez ensuite : « C’est le point de vue marxiste. Je provoque un peu. », mais je crois que vous le pensiez réellement.
Le référendum peut être une façon de sortir par le haut. L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe était un engagement présidentiel, nous dit-on. C’est vrai. Cela signifie-t-il qu’il faille adopter les engagements sans en discuter ? Mais alors, que faisons-nous ici ? Dans ce cas, ce n’est pas la peine de réunir le Parlement ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Un référendum, ce n’est pas la victoire d’une majorité sur une autre. C’est simplement le verdict populaire sur un sujet qui concerne tous les Français.
Mme David a avancé des arguments juridiques, indiqué qu’il s’agissait d’un débat sociétal, et pas vraiment d’un débat de société.
Mme Annie David. Je n’ai pas dit que ce n’était pas un débat de société, au contraire !
M. Hervé Marseille. Pensez-vous que le Conseil constitutionnel irait jusqu’à censurer la demande du Président de la République visant à consulter les Français sur un sujet aussi important ?
M. Christian Cambon. Bien sûr que non !
M. Hervé Marseille. Pour notre part, nous ne le pensons pas.
Au demeurant, certains dans votre majorité envisageaient un référendum sur le cumul des mandats ou le vote des étrangers afin de connaître l’avis des Français.
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. Hervé Marseille. Sur un sujet tel que celui-ci, comment ne pas demander l’avis des Français ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
Il ne faut pas craindre le verdict populaire. Sur un sujet tel que celui-ci, sur lequel autant de Français sont mobilisés, chacun doit être consulté. Tel est le souhait du groupe UDI-UC. Prendre le train de l’histoire, ce n’est pas continuer de débattre ici, c’est consulter les Français sans attendre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nos collègues de l’opposition ont choisi de déposer une motion tendant à soumettre au référendum ce projet de loi, en application de l’article 67 de notre règlement, qui renvoie aux dispositions de l’article 11 de la Constitution.
C’est leur droit le plus absolu.
M. Bruno Sido. Merci !
M. Jean-Michel Baylet. Nous ne voulons pas nous opposer au principe même de l’utilisation de cet outil juridique, qui permet de demander au Président de la République, sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre un projet de loi à référendum.
À ce stade, mes chers collègues, le dépôt de cette motion peut être interprété de deux façons. Les plus mal intentionnés – ce n’est pas mon cas, je vous rassure ! – n’y verront qu’un moyen de faire de l’obstruction parlementaire, une façon d’épuiser jusqu’à la lie toute la panoplie qu’offre le droit parlementaire sachant que, in fine, seul le vote du Sénat comptera et que la majorité…
M. Bruno Sido. Quelle majorité ?
M. Jean-Michel Baylet. … aura le dernier mot.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous avez raison !
M. Jean-Michel Baylet. S’agirait-il alors de faire traîner en longueur les débats en grignotant une demi-journée supplémentaire dans le temps – déjà très long, reconnaissez-le – qui nous est imparti pour examiner ce texte ?
Mme Cécile Cukierman. Nous verrons ce soir à vingt-deux heures, après le départ du dernier TGV, combien nous serons en séance !
M. Jean-Michel Baylet. Je rappelle au passage que la Chambre des communes britannique n’a mis qu’une journée, le 5 février dernier, pour adopter l’ouverture du mariage aux homosexuels (Exclamations sur les travées de l'UMP.),…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Michel Baylet. … à une large majorité, laquelle dépassait d’ailleurs les clivages politiques habituels. J’ai évoqué également hier l’Uruguay, où certains sénateurs de l’opposition ont joint leurs voix à celles de leurs collègues de la majorité pour créer le mariage pour tous.
Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui intenteront aux auteurs de cette motion – et je respecte leur initiative – un procès d’intention, car leur cause est de toute façon perdue d’avance.
L’autre façon d’interpréter le dépôt de cette motion est d’y voir une volonté démocratique, celle de permettre au peuple de se prononcer lui-même, par le biais d’une procédure de démocratie directe et d’expression de la souveraineté nationale, sur une question qui concerne chacun d’entre nous. Ce vœu est légitime, même s’il traduit une opinion qui n’est ni la mienne ni celle de la majorité de la Haute Assemblée. À cet égard, nous serons fixés dans quelques instants.
Faut-il toutefois souligner que les auteurs de cette motion sont les mêmes que ceux qui ont soutenu un gouvernement ayant mis près de quatre ans à inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le projet de loi organique relatif à l’organisation du référendum d’initiative partagée ? Je ne me souviens pas, chers collègues de l’opposition, vous avoir entendu faire preuve de la même ardeur qu’aujourd’hui pour défendre la consultation populaire. (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC.)
Je note avec le même étonnement que les auteurs de cette motion, qui se réfèrent au droit du peuple à se prononcer directement sur l’adoption d’une loi, sont les mêmes qui, hier, niaient au peuple ce même droit, s’arc-boutaient sur le fait majoritaire et refusaient d’écouter le grondement de la rue, car « ce n’est pas la rue qui gouverne », nous disaient-ils alors !
Mme Françoise Laborde. Eh oui !
M. Jean-Michel Baylet. Contrat première embauche, privatisation de La Poste, réforme des retraites, démantèlement des services publics : depuis dix ans, les exemples de surdité de l’ancienne majorité ne manquent pas, et sa mémoire sélective a de quoi surprendre… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) C’est peut-être ce que l’on nomme la résilience !
Mes chers collègues, toutes les opinions sur ce projet de loi sont éminemment respectables, à condition, bien sûr, qu’elles respectent les droits des citoyens, notamment des personnes homosexuelles.
Cependant, les raisons qui sous-tendent cette motion ne me paraissent pas recevables, loin s’en faut, et ce pour plusieurs raisons.
« L’adoption de cette motion référendaire aboutirait en effet à empêcher les sénateurs de s’exprimer et de débattre, alors que ce travail leur revient » : ainsi s’exprimait notre collègue Gérard Longuet le 4 novembre 2009 pour s’opposer à la motion référendaire déposée par les sénateurs de gauche sur le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On n’allait pas consulter le peuple sur La Poste, enfin !
Un sénateur du groupe UMP. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Michel Baylet. Si, cela a à voir ! Un référendum, c’est un référendum ! Et, en la circonstance, la Constitution offrait une telle possibilité !
Mes chers collègues, le Sénat, sa commission des lois et sa commission des affaires sociales, ont beaucoup œuvré, et je salue une nouvelle fois le remarquable travail de notre rapporteur : plus de cinquante heures d’auditions de personnalités de tous bords et près de dix heures de travail en commission ont contribué à une réflexion nourrie et approfondie pour aboutir à un texte juridiquement irréprochable.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous vous avancez peut-être un peu trop !
M. Jean-Michel Baylet. Surtout, le Sénat, tout comme l’Assemblée nationale, est dans son droit le plus strict lorsqu’il s’agit d’examiner un texte de cette importance, à l’instar de tous les projets de loi d’ailleurs. Nous, sénateurs, sommes constitutionnellement des législateurs de plein exercice, légitimés par le suffrage de nos électeurs.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Jean-Michel Baylet. Nous sommes d’ailleurs d’autant plus confortés sur ce point que, en tant que représentants des collectivités territoriales, nous portons la voix des maires, lesquels seront demain amenés à célébrer des mariages entre personnes de sexe différent ou de même sexe. Nous sommes donc, mes chers collègues, pleinement dans notre rôle en débattant de ce projet de loi.
Les Radicaux de gauche n’ont historiquement jamais été enclins à céder aux sirènes référendaires, dont l’histoire ravive le funeste souvenir de la consultation plébiscitaire et du tropisme autoritaire.
Nous n’avons pas peur de l’avis du peuple,…
Un sénateur du groupe UMP. Ah bon ?
M. Jean-Michel Baylet. … bien au contraire, puisque nous en procédons. Mais nous faisons confiance en premier lieu à la démocratie représentative, qui assoit les conditions d’une délibération collective légitime, sereine et approfondie, qui donne sa pleine force à la loi de la République !
Adopter cette motion référendaire signifierait par conséquent consentir à nous déposséder d’une compétence qui nous est reconnue par la Constitution et que nous aspirons à exercer pleinement, en toute responsabilité. Ce serait aussi légiférer sous la pression de groupes d’opinion, de groupes de pression, radicalisés pour certains, qui sont loin d’être aussi représentatifs que ce qu’ils proclament.
Mes chers collègues, nous devons donc demeurer libres de nos votes et ne pas ressusciter le mandat impératif. Les sondages, pas plus que les manifestants, ne doivent pas présider aux destinées de notre pays !
Enfin, ce serait omettre que, dans une décision de 2011, portant sur la question précise du mariage des homosexuels, le Conseil constitutionnel a clairement énoncé qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur, lequel avait donc pleine compétence pour modifier ou non la législation, la Constitution ne prohibant pas, vous le savez, le mariage pour tous.
Je souhaite, par ailleurs, rappeler que l’article 67 du règlement du Sénat dispose que les motions tendant à soumettre au référendum un projet de loi doivent porter sur les matières définies à l’article 11 de la Constitution : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, la ratification d’un traité qui aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
À l’évidence, le présent projet de loi, madame la garde des sceaux, n’entre dans aucune des catégories mentionnées par l’article 11 de la Constitution. (M. André Reichardt s’exclame.)
M. Jean-François Husson. Bien sûr que si !
M. Jean-Michel Baylet. Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe est une question de société, et non une question sociale comme vous tentez de le montrer.
M. Charles Revet. C’est jouer sur les mots !
M. Jean-Michel Baylet. Je le répète : c’est une question de société, et non une question sociale !
À ce propos, on peut rappeler que, lors des débats sur la réforme constitutionnelle de 1995, Jacques Toubon – vous le connaissez bien, chers collègues de l’opposition –, alors garde des sceaux, avait expliqué que le gouvernement de l’époque avait choisi sciemment de limiter l’extension du champ d’application du référendum aux questions économiques et sociales, les questions de droit civil, telles que celles qui nous réunissent aujourd’hui, s’en trouvant de jure exclues.
En effet, le référendum ne saurait être un instrument de démagogie. Cela risquerait de nous faire ouvrir la boîte de Pandore : nous n’en maîtriserions pas les conséquences, et nous le regretterions tous.
L’exemple de nos voisins suisses doit nous éclairer et nous inciter à une grande modération dans les actes politiques qui engagent la vie de la nation. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est un mauvais exemple !
M. Jean-Claude Lenoir. Les Suisses votent tous les dimanches…
M. Bruno Sido. Faites preuve de modération !
M. Jean-Michel Baylet. Mais nous sommes d’une grande modération, cher collègue, quand nous accompagnons l’évolution de la société !
Surtout, les radicaux de gauche et la plupart de leurs collègues du RDSE s’opposent à cette motion référendaire car ils considèrent qu’elle ne va pas dans le sens du progrès social que permet le présent projet de loi.
On nous dit que nous restons sourds aux clameurs des manifestants. C’est oublier – mes chers collègues, vous avez la mémoire courte ! – que près de 18 millions de voix se sont portées sur la candidature de François Hollande, qui avait clairement affiché… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Christian Cambon. Ce n’est pas vrai !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Son engagement ne portait pas sur la filiation !
M. Jean-Michel Baylet. Écoutez la phrase en entier, chers collègues de l’opposition. Vous poussez des hurlements sans même savoir ce que je vais dire ! (Sourires sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
François Hollande, donc, avait clairement indiqué, dans son programme, qu’il ouvrirait le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La filiation, non !
M. Jean-Michel Baylet. Nos concitoyens ont donc exprimé leur choix en toute connaissance de cause.
Mme Catherine Troendle. Et les 60 % de Français hostiles à l’adoption ?
M. Jean-Michel Baylet. Il en est ainsi de la démocratie et des élus de la République, qui s’honorent, même si cela peut vous sembler bizarre, de transformer leurs paroles en actes. Notre choix est donc responsable.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nos débats l’ont déjà clairement montré hier : l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe est un acte fort pour l’égalité des citoyens, mais aussi pour la justice et la liberté. (M. Jean Bizet s’exclame.)
Il n’appartient pas à la puissance publique d’imposer un modèle de famille, lequel relève d’ailleurs davantage, aujourd’hui, du mythe nostalgique que de la réalité des faits.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !
M. Jean-Michel Baylet. Il lui appartient, en revanche, de s’assurer que chacun peut s’épanouir librement dans la dignité et le respect des valeurs de la République.
M. Jean-Claude Gaudin. Cela suffit !
M. Jean-Michel Baylet. Le présent projet de loi marque donc un progrès social, attendu depuis longtemps par des milliers de nos compatriotes et sur lequel nous avons reçu du peuple le mandat de nous prononcer, en bâtissant un texte juridiquement irréprochable.
Sur ce point, d’ailleurs, comment un référendum portant sur des questions aussi techniques que la dévolution du nom de famille ou les modalités de l’adoption simple ou plénière pourrait-il être compréhensible pour nos compatriotes non initiés aux arcanes du droit ?
Je le disais hier à cette tribune, je le répète aujourd’hui avec force : le mariage, ainsi que la famille, sont, depuis deux siècles, en perpétuel mouvement, évoluant avec les transformations de la société et la maturation des mentalités, qui font reculer, et c’est heureux, le conservatisme moral. Contrat civil et institution sécularisée, le mariage n’a plus l’apanage de la légitimation sociale de la famille. Il suffit pour vous en convaincre, mes chers collègues, d’aller à la rencontre de nos concitoyens et de leur famille – cela doit vous arriver de temps en temps –, dont les situations sont aussi multiples que changeantes.
Ce projet de loi est aussi une victoire du combat politique pour la reconnaissance des droits et libertés des homosexuels. J’ai bien conscience qu’il reste beaucoup de travail pour que disparaissent les discriminations à leur égard.
Je sais, madame la garde des sceaux, que nous pouvons compter sur votre engagement, votre détermination et votre courage, que vous avez déjà eu l’occasion de démontrer. Cependant, je ne doute pas que l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples de personnes du même sexe contribuera à changer les mentalités, en banalisant une question relevant, d’abord, de la vie privée, et en faisant disparaître le curseur de l’orientation sexuelle de la représentation sociale des homosexuels.
Ceux qui, hier, s’opposaient au PACS en stigmatisant la destruction des fondements de la société et le début de la « décadence » en sont aujourd’hui les thuriféraires les plus accomplis, si j’en juge par les amendements qu’ils ont déposés sur le présent texte. Tant mieux ! Cela prouve que, même dans l’opposition, on peut évoluer. Il serait donc dommage, chers collègues, que nous ne puissions vous entendre développer vos arguments sur cette question, si d’aventure cette motion venait à être adoptée.
Dans tous les cas, je ne doute pas que vous, qui vous opposez aujourd’hui au mariage pour tous, y serez demain aussi indifférents que vous l’êtes actuellement au PACS. Ce sera alors, mes chers collègues, la plus belle des consécrations pour le droit des homosexuels, mais aussi pour l’universalisme et le progrès, qui font de la République notre bien commun le plus précieux.
C’est parce que nous défendons ces valeurs républicaines et humanistes que nous nous prononcerons contre cette motion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un jeune public est présent dans nos tribunes. J’espère que mes propos, qui pourront déplaire, ne choqueront personne. J’aimerais donc que l’on puisse s’entendre pour que ces futurs citoyens qui nous regardent n’aient pas une vision trop négative de nos travaux. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Au contraire !
M. Gérard Longuet. Vous n’êtes pas maîtresse d’école, madame !
Mme Corinne Bouchoux. En effet, je ne le suis plus, cher collègue.
En ce premier jour de l’opération Sidaction 2013, je voudrais, tout d’abord, rendre hommage aux personnes que j’ai croisées dans la salle des conférences du Sénat, venues assister à nos débats. Je voudrais saluer M. Jean-Luc Romero, qui, avec les membres d’autres associations, a beaucoup fait pour les malades du sida, quelle que soit leur orientation sexuelle, et qui travaille actuellement sur un sujet qui nous concernera tous, le droit de choisir notre fin de vie. (Brouhaha.)
Nous sommes réunis, ce matin, pour discuter de la motion tendant à soumettre au référendum le présent projet de loi. (L’orateur s’interrompt en attendant le silence. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Le temps passe, madame !
Mme Corinne Bouchoux. Je préfère parler peu mais parler bien, monsieur Sido !
M. Gérard Longuet. Vous pourriez faire les deux !
Mme Cécile Cukierman. Laissez-la parler !
M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Corinne Bouchoux. L’article 11 de la Constitution permet de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Or les homosexuels n’ont pas la prétention d’organiser les pouvoirs publics. Ils sont des citoyens comme les autres.
L’article 11 permet également de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique économique ». Ce n’est pas le sujet.
M. Charles Revet. Si !
Mme Corinne Bouchoux. Il permet aussi de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] sociale ».
Mme Catherine Troendle. C’est le sujet !
Mme Corinne Bouchoux. Les homosexuels ne demandent pas à bénéficier d’une politique sociale particulière. Ils veulent seulement que s’applique le principe d’égalité et qu’ils soient considérés comme des citoyens comme les autres.
L’article 11 permet, en outre, de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] environnementale ». Les homosexuels ne sont pas des pingouins qui demandent à être protégés. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce ne sont pas eux, les pingouins !
Mme Corinne Bouchoux. J’attendais cette plaisanterie de votre part, chère collègue ; c’est bien pour cela que j’en ai parlé.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vous qui avez commencé !
M. Jackie Pierre. Respectez les pingouins ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. David Assouline. Ne regardez pas de leur côté, madame Bouchoux ! Regardez plutôt du nôtre !
Mme Corinne Bouchoux. Oui, mais vous, je le sais, vous êtes dans le bon camp, monsieur Assouline.
Enfin, l’article 11 permet de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des réformes relatives aux services publics qui concourent à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation. Les homosexuels ne prétendent pas être un service public. Ils veulent simplement être des citoyens comme les autres.
Je voudrais remercier l’auteur de cette motion de l’avoir déposée. Sans elle, je l’avoue, je n’aurais pas pris la parole sur ce sujet.
Les citoyens homosexuels et les citoyennes lesbiennes veulent simplement être libres de pouvoir se marier ou de ne pas le faire. Les familles homoparentales sollicitent pour leurs enfants, qui sont déjà, je suis désolée de vous le dire, chers collègues de l’opposition, plusieurs dizaines de milliers, le droit à la sécurité et l’égalité avec les autres enfants. Ils réclament aussi de la considération. Ils demandent à ne pas être méprisés, à ne pas être des sous-citoyens. Ils veulent être, tout simplement, des citoyens comme les autres.
M. Bruno Sido. Il est évident qu’ils le sont !
M. Christian Cambon. Ce n’est pas le sujet !
Mme Corinne Bouchoux. Ce n’est que théorique, mes chers collègues, mais certains d’entre vous, quelle que soit leur tendance politique, ont peut-être, qu’ils le sachent ou non, un fils ou un neveu homosexuel, une fille ou une nièce lesbienne.
M. Gérard Longuet. Et les homosexuels ont des parents hétérosexuels !
Mme Corinne Bouchoux. Peut-être même que leur voisin de commission, au Sénat, est homosexuel ? Mes chers collègues, les homosexuels sont parmi nous, il y en a dans cet hémicycle. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne nous gêne pas !
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le débat !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous n’avons pas de problème sur ce point !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne vous laissez pas impressionner, madame Bouchoux !
Mme Corinne Bouchoux. Pour de nombreuses personnes qui suivent nos débats, vos propos tendent à insinuer qu’il y aurait des citoyens de première zone, qui auraient droit au mariage, et des citoyens de seconde zone, qui n’y auraient pas droit. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas vrai !
Mme Catherine Troendle. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Corinne Bouchoux. C’est ce que vos propos laissent entendre !
Mme Catherine Troendle. Cessez de me regarder, madame Bouchoux !
Mme Corinne Bouchoux. Je regarde qui je veux, madame la sénatrice !
Mme Catherine Troendle. En me regardant, vous me stigmatisez !
Mme Éliane Assassi. Respectez l’oratrice !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Restez calme, ma chère collègue, et poursuivez votre intervention.
M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Corinne Bouchoux. La motion référendaire déposée ne respecte ni l’esprit ni la lettre de l’article 11 de la Constitution. Nous tenons à redire en ces lieux que les citoyens homosexuels ne demandent que l’égalité des droits. Ils veulent, eux aussi, être libres de choisir de vivre seul, en concubinage, en couple marié. Ce choix, mes chers collègues, doit être ouvert à tous.
Selon nous, le présent texte, tel qu’il est discuté, est loin de méconnaître les intérêts des enfants. Bien au contraire, il va dans le sens de leur protection, de leur sécurité, de leur respect.
Vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera contre la motion référendaire.
Je tiens à terminer mon intervention en évoquant le sort de ceux dont on ne parle jamais, parce qu’ils sont extrêmement âgés. Je veux parler de ces « invisibles » dont l’histoire a fait l’objet d’un excellent film, que je vous invite à voir. Toute leur vie, ces personnes ont vécu une homosexualité tue, cachée. Elles se sont même parfois mariées. Dans les lettres que certaines d’entre elles nous ont envoyées, ces personnes nous disent que le choix, qu’elles n’ont pas fait, de vivre son homosexualité au grand jour devrait, au XXIe siècle, être un choix de liberté et de progrès.
Mes chers collègues, je vous invite à examiner les débats qui ont eu lieu ici-même, il y a plus de cinquante ans, sur l’accès des femmes à la citoyenneté. Vous constaterez que les mêmes arguments naturalistes étaient opposés à leurs défenseurs. Il n’était pas naturel que les femmes votent.
M. Gérard Longuet. C’est le général de Gaulle qui leur a accordé ces droits !
Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait, et ce fut une excellente chose.
M. Bruno Sido. Vous nous faites la leçon ?
Mme Corinne Bouchoux. C’est un rappel historique, monsieur Sido, et non une leçon !
Plongez-vous, mes chers collègues, dans les débats de l’époque. Les arguments défendus étaient alors les mêmes qu’aujourd’hui : il n’était pas naturel qu’une femme fasse de la politique, ni qu’elle délaisse sa famille. (Mme Françoise Laborde acquiesce.) Les temps ont changé. Nous souhaitons une autre approche de la société.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la motion que vous avez déposée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe UMP m’a demandé de défendre la motion référendaire qui a été excellemment présentée par notre collègue Bruno Retailleau.
M. Charles Revet. Tout à fait excellemment !
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. J’appartiens à une droite libérale,…
M. David Assouline. Dure !
Mme Éliane Assassi. Réactionnaire !
M. Gérard Longuet. … qui considère la pratique et les institutions référendaires avec une grande prudence.
M. Jean-Michel Baylet. Vous avez raison !
M. Gérard Longuet. Je suis aussi parlementaire depuis 1978.
Mme Éliane Assassi. Cela fait longtemps !
M. Gérard Longuet. Force est de constater que les représentants du peuple font preuve de professionnalisme et de sagesse, ce qui rend possible des débats contradictoires de qualité. Loin de moi, cher Jean-Michel Baylet, l’idée de condamner le travail parlementaire !
Aussi, je souhaite attirer votre attention sur les raisons profondes, qui sont des raisons d’avenir, car nous les rencontrerons de plus en plus souvent, justifiant cette demande de motion référendaire.
Trois raisons de nature différente, mais qui convergent sur ce sujet, madame la garde des sceaux, me font militer avec conviction pour la motion référendaire et pour le recours direct au suffrage universel.
J’ai bien entendu les arguments liés à la Constitution ; j’aurais pu en ajouter d’autres, qui sont d’ordre politique. Le référendum peut parfois flatter l’émotion, voire se nourrir d’elle, ce qui n’est pas une bonne façon de travailler. Il appelle quelquefois des réponses à des questions, qui ne sont pas posées : nous l’avons constaté, par exemple, en 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne.
En l’espèce, nous devrons faire face, à l’avenir, à trois types de considérations sur lesquelles, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons obligés, en qualité de parlementaires, de nous prononcer.
La première raison est que le quinquennat, on l’oublie trop souvent, a profondément modifié notre République.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Hélas !
M. Gérard Longuet. Je partage votre sentiment, cher collègue !
Désormais, le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle, le seul rendez-vous avec l’opinion qui compte véritablement, tout du moins pour les observateurs de la vie politique, c’est le premier tour de la prochaine élection présidentielle, qui aura lieu cinq ans plus tard !
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Gérard Longuet. Les élections locales deviennent des scrutins contracycliques, ce qui fait que les élus locaux sont sanctionnés ou reconduits pour des raisons parfaitement indifférentes à leurs efforts et à leur travail. Par ailleurs, l’Assemblée nationale, en raison du calendrier législatif, a le sentiment d’être liée par l’autorité – considérable, il faut le reconnaître – du suffrage universel exprimé dans le cadre de l’élection présidentielle.
Vous avez évoqué la force du vote du 6 mai. Cela signifierait que les députés n’ont plus droit ni à la parole ni à la libre appréciation.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Ils seraient tenus par un contrat de type référendaire, c'est-à-dire par le suffrage universel.
Les sénateurs ne sont pas dans cette situation, étant élus à une autre date, par d’autres électeurs.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Gérard Longuet. Les rapports de force sont également autres pour eux : ils sont élus soit à la proportionnelle, soit au scrutin majoritaire, ce qui induit des comportements différents.
Faut-il condamner toute respiration politique pendant cinq ans ? Telle est la question que soulève ce débat, mais qui se posera également sur d’autres sujets. Pourquoi ? Parce que le contrat référendaire du 6 mai, que vous évoquiez, est extraordinairement ambigu. Le véritable socle du Président de la République – on le voit d’ailleurs dans les sondages ; c’était vrai pour le président Sarkozy, ça l’est encore plus pour le président Hollande –, sa véritable légitimité populaire, c’est le premier tour.
Au deuxième tour, il fédère des voix différentes, madame Taubira, ce qui participe d’un contrat. Ce dernier est-il global ? Le serment des Folies Bergères vaut-il pour tous ceux qui ont voté au deuxième tour pour François Hollande, pour des raisons de natures profondément différentes ? Pour ma part, je ne le crois pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Cécile Cukierman. Tous les candidats de gauche du premier tour étaient favorables à ce texte !
M. Gérard Longuet. Je comprends parfaitement que les députés élus dans le sillage du contrat référendaire du 6 mai se sentent liés. J’en parle d’expérience : en 1978, j’ai été moi-même élu député en tant que candidat du Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, dans une circonscription où j’avais été parachuté ; j’ai d'ailleurs été battu trois ans plus tard pour les mêmes raisons ! Seul le temps m’a permis d’acquérir localement une petite autorité personnelle.
Donnons à ces députés un peu de liberté. Or la seule respiration qui existe, c’est le référendum. C’est important si nous voulons que l’opinion juge la République vivante et la trouve à l’écoute.
Est-ce une innovation complète ? La réponse est non. Les grands Présidents de la République ont utilisé la respiration référendaire, même lorsqu’ils n’y étaient pas contraints.
M. David Assouline. Sarkozy est-il un petit président ?
M. Gérard Longuet. Je ne parle pas du référendum sur l’indépendance de l’Algérie. Je pense, par exemple, au courage du général de Gaulle, décidant de réformer les institutions régionales, et accessoirement le Sénat, et acceptant, un an après sa victoire triomphale de 1968, de remettre tout en jeu lors d’un référendum.
Le président Pompidou a choisi la voie du référendum pour l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, car il n’ignorait pas qu’il s’agissait d’une question majeure pour la construction européenne. Le président Mitterrand aussi a eu recours au référendum – je l’ai soutenu – pour la ratification des accords de Maastricht.
M. David Assouline. Et après ?
M. Gérard Longuet. Certes, Nicolas Sarkozy n’a pas fait le choix du référendum.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est juste !
M. Gérard Longuet. Je le regrette parfois. Après la crise financière de 2008, en particulier, il aurait pu proposer de réformer l’économie de notre pays par des mesures courageuses.
Néanmoins, à cette époque, Jean-Michel Baylet l’a souligné, le parti socialiste se mobilisait sur un sujet majeur, qui a bouleversé l’avenir de la société française pour des siècles : il réclamait un référendum sur le statut de La Poste ! (M. Bruno Sido s’esclaffe.) Aujourd’hui, tout fonctionne bien et nous nous sommes épargné ce rendez-vous. Merci messieurs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Vous êtes cruel !
M. Gérard Longuet. Quoi qu’il en soit, le référendum, dans la République quinquennale totalement présidentielle, c’est la respiration qu’attendent nos compatriotes.
Je m’efforcerai d’être plus bref sur la deuxième raison qui justifie le recours au référendum.
M. Charles Revet. Continuez, nous aimons vous écouter !
M. Gérard Longuet. Madame la garde des sceaux, je rends hommage à votre initiative. Vous avez lancé un débat, et vous l’avez fait avec conviction. À tout prendre, si l’on croit à quelque chose, mieux vieux le faire complètement.
Ce débat a suscité un immense intérêt dans l’opinion française. Le statut familial des cas particuliers, mais qui méritent le respect, évoqués par les uns et par les autres aurait pu susciter de l’indifférence. Nous aurions pu traiter rapidement le débat et le bâcler au cours de l’été. Le calendrier parlementaire ne l’a pas voulu, et c’est tant mieux.
Dans notre pays, se sont exprimées des positions différentes, parfois conflictuelles, mais appuyées sur de profondes mobilisations. Nous commençons à mesurer que le débat concerne non pas telle ou telle catégorie, mais le pays tout entier.
J'appartiens à un groupe, celui de l’UMP, qui a pour fierté, je le dis avec gravité, d'avoir donné à la fois la liberté de parole et la liberté de vote à chacun de ses membres. Je suis plutôt conservateur, voire assez traditionaliste, et je crois que cela se sait.
Mme Éliane Assassi. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Gérard Longuet. J'essaye d’écouter tout le monde et de comprendre.
Le débat d’aujourd'hui change la nature des relations entre ceux qui réfléchissent à l'hétérosexualité et ceux qui réfléchissent à l'homosexualité. Il faut s'en réjouir, car, après tout, tous les homosexuels sont filles ou fils d'hétérosexuels.
Je suis père de famille : jamais je ne rejetterai le choix sexuel de mes enfants. Évidemment, en tant que père, j'ai envie d'être grand-père. Je me dis donc que plus c'est simple, moins c'est compliqué… (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Néanmoins, il me semble que ce débat est en train de faire bouger le pays. Vous l'avez souligné à l’instant, chère collègue, les homosexuels ont parfois le sentiment d'être réprouvés. Ce n'est pourtant pas une tradition française. De la Révolution française à nos jours, si l'on excepte le cas très particulier de la loi de 1942 – j'en parlerai lorsque l'on évoquera le ministère de la marine ; ceux qui connaissent le sujet comprendront –, l’homosexualité n’a jamais été réprouvée dans notre pays.
Pourquoi Oscar Wilde a-t-il choisi la France ? Parce que c'était une terre de liberté. J'ai succédé dans ma circonscription à un ministre du général de Gaulle qui était ouvertement homosexuel. Cela ne l'a jamais empêché d'être réélu pendant quarante ans. J'ajoute que j'entretenais avec lui des relations de confiance, qui n'ont jamais été marquées par une quelconque forme de réprobation.
La cause homosexuelle et la compréhension dans les familles continueront d’évoluer. Certes, il n’est jamais facile d’appartenir à une minorité. Il n’est pas aisé non plus d’afficher que l'on sera différent de ses parents. Néanmoins, les mentalités bougent. Même si j’ai écouté avec beaucoup de respect les points de vue de mes amis de l'UMP à l'Assemblée nationale et au Sénat, que je ne partage pas, pourquoi vouloir arrêter brutalement une évolution qui va dans le sens du progrès ?
Le doyen Gélard, avec son talent et son ironie discrète, a mis en avant un problème qui n’est pas traité. Je veux parler, madame la garde des sceaux, de la marchandisation du corps humain. Lorsqu'il y a adoption, il y a demande. Et lorsqu'il y a demande, il y a offre. Or quand une offre s'organise – c'est le libéral en matière d’économie qui vous le dit –, elle cherche d'une façon ou d'une autre la solvabilité. Cela se constate déjà dans d'autres pays du monde.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Aux États-Unis !
M. Gérard Longuet. Puisqu'on ouvre la porte de l'adoption, nous avons le devoir absolu de ne pas tromper ceux dont on prétend satisfaire les besoins.
Il est compréhensible de vouloir s’inscrire dans la continuité et de désirer une famille. Lorsque l’on vieillit, on aime avoir de la jeunesse autour de soi. Celle-ci sera peut-être d’ailleurs hétérosexuelle. Car si les enfants d’hétérosexuels choisissent parfois l’homosexualité, les enfants d’homosexuels pourront choisir l’hétérosexualité.
En tout état de cause, même si le besoin d'adoption sera sans doute marginal, comme le prouve très largement l'étude de l'INSEE, il pèsera sur la demande, au détriment de tous.
Cet état de fait posera une autre difficulté, mise en lumière par Patrice Gélard avec autorité : celle de la filiation. Qu'on le veuille ou non, et plus encore lorsque l'on avance en âge, on a envie de savoir d'où l'on vient. Qui pourrait refuser à un citoyen français de savoir où sont ses racines ? Car ce sont elles qui lui donnent le courage d'affronter la vie dans toutes ses perspectives !
Voilà pourquoi un tel débat ne peut s'arrêter à l’instant. Vous avez lancé avec succès cette discussion, madame la garde des sceaux. J'ai presque envie de dire que les différentes manifestations sont un hommage rendu au débat que vous avez ouvert ! Ne l’interrompez donc pas, puisqu’il n'aura de sérieux et de responsabilité que s'il se conclut par un vote populaire.
En effet, tant que l’on est dans le domaine du « il n’y a qu'à », « il faut qu'on », on peut exalter sa différence. Les plus traditionalistes de ma famille politique affirmeront qu’il ne faut rien changer parce que tout est parfait. Les plus exigeants de la vôtre clameront qu'il faut tout changer parce que rien n'est parfait. Laissons plutôt le débat s’organiser, par exemple, au cours des déjeuners familiaux du dimanche, car ils existent encore. Les familles, si elles doivent voter, examineront sérieusement le sujet.
Si l'on doit s'affronter, on s'affrontera. Mais s’il faut voter, chacun prendra sa part de responsabilité.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Gérard Longuet. Un dernier argument montre que ne pouvez pas échapper au débat populaire sur ce qui constitue un bien commun à tous les Français.
Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, 32 millions de Français vivent en couple ; 73 % d’entre eux sont mariés, quelque 20 % ont opté pour l’union libre et les autres ont choisi le PACS.
Dans un pays où le mariage n’est nullement obligatoire, il n’y a plus de pression morale ; ceux qui s’autocensurent n’y sont pas contraints par la loi. Il n’y a plus de pression sociale. Il n’y a plus de pression juridique : ce sont les mêmes enfants ! Je me souviens d’ailleurs avoir été collé à un examen de droit sur la question « Quels enfants peut-on légitimer ? » (Sourires.) Aujourd'hui, les règles ont changé et la situation est plus ouverte. Et il n’y a plus de pression patrimoniale, même s’il reste sans doute des imperfections juridiques ; c’est d’ailleurs pourquoi nous avons proposé le contrat d’union civile.
Aujourd'hui, il n’y a pas d’autre raison de se marier que le fait de le vouloir ! C’est un acte de foi, par lequel on décide de construire quelque chose en commun avec son conjoint et de transmettre la vie. Et c’est avec une personne à laquelle vous devrez rendre des comptes tout au long de votre vie, même en cas de divorce, car elle restera le père ou la mère de vos enfants !
Ce patrimoine, qui évolue et qui résulte d’une volonté, mérite le respect. Donnons la parole au peuple français ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Plusieurs sénateurs de l'UMP se lèvent pour saluer l’orateur.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est remarquable !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre rapporteur Jean-Pierre Michel a posé la bonne question : à quoi sert cette motion ?
M. Charles Revet. On vient de vous le dire !
M. Alain Anziani. Vous savez comme moi qu’elle a perdu son objet. En effet, l’Assemblée nationale a rejeté une motion similaire. Or, en l’absence d’accord des deux assemblées, il n’y aura pas de référendum.
M. François Rebsamen. Très bon argument !
M. Alain Anziani. Par conséquent, l’organisation d’un référendum n’est pas le véritable objet de cette motion.
Pour ma part, j’ai écouté avec beaucoup de respect ce que vous avez dit hier et ce matin, tout comme j’écoute les arguments que vous avancez depuis des années, chers collègues de l’opposition.
J’ai particulièrement apprécié les propos de notre collègue le doyen Patrice Gélard, pour lequel j’ai beaucoup d’estime. Il a rappelé avec humour une vérité qui nous convient : la gauche a toujours été contre le mariage, dans la filiation de Diderot et des grands encyclopédistes. Je vous remercie, mon cher collègue : nous sommes effectivement fiers d’un tel héritage !
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Alain Anziani. Ce camp, c’est celui du progrès ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Ce camp, c’est celui des Lumières ! Ce camp, c’est celui qui choisit de donner corps aux évolutions de la société !
Et vous, dans quel camp êtes-vous ?
M. Christian Cambon. Ce n’est pas un camp, c’est la France !
M. Alain Anziani. Si vous ne vous référez pas aux Lumières, à qui vous référez-vous ?
M. François Rebsamen. À l’Église !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Au concile de Latran !
M. Alain Anziani. Aux mouvements conservateurs ? À l’immobilisme ? À ceux qui toujours refusent les évolutions de la société ? Je ne vous ferai pas ce procès, mais votre interpellation d’hier m’incite évidemment à m’interroger.
Ce matin, j’ai écouté avec attention notre collègue Bruno Retailleau, qui a posé une très belle, une très forte, une très puissante question.
M. Bruno Retailleau. Merci !
M. Alain Anziani. Il a demandé : qu’est-ce que la République ? Pour lui, la République ne doit pas être la « République des désirs ». Nous sommes d'accord ! Car, contrairement à ce qu’il a semblé sous-entendre, nous n’avons jamais été pour la République des désirs. Nous sommes pour la République…
M. François Rebsamen. De l’égalité et de l’humanisme !
M. Alain Anziani. … qui reconnaît la réalité.
Nous n’avons pas inventé l’amour entre deux personnes du même sexe ; cet amour existe, et les personnes concernées souffrent de leur clandestinité. Nous n’avons pas inventé les enfants des familles homoparentales ; ces enfants existent, et ils souffrent de leur exclusion.
Pour nous, la République, c’est faire des lois qui reconnaissent des situations de fait. C’est refuser l’hypocrisie du : « Cachez cette réalité que je ne saurais voir ! » Les couples homosexuels, les familles monoparentales, cela existe !
Aimer la République, c’est d’abord respecter ses institutions, donc la Constitution.
Or, aux termes de l’article 11 de la Constitution, le Président de la République peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur « l’organisation des pouvoirs publics » et, depuis les réformes de 1995 et 2008, sur « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation ».
Le cœur du débat réside dans l’interprétation d’une telle formulation. Nous pourrions faire appel à des juristes, consulter d’innombrables manuels ou traités de droit constitutionnel et interroger le Conseil constitutionnel, qui sera d’ailleurs amené à se prononcer ; au demeurant, comme l’a rappelé Jean-Michel Baylet tout à l’heure, la jurisprudence des Sages va plutôt dans notre sens que dans le vôtre, chers collègues de l’opposition.
Je vais vous soumettre une interprétation qui devrait vous convaincre, puisque c’est la vôtre, celle que vous avez défendue lors de la réforme constitutionnelle de 1995.
Tout à l’heure, M. Longuet nous a rappelé qu’il avait toujours été…
M. Gérard Longuet. Réservé !
M. Alain Anziani. … réservé sur le référendum ; nous en sommes persuadés.
Reprenons les travaux parlementaires de 1995. À l’époque, l’un des meilleurs d’entre vous, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, donnait son interprétation de la réforme constitutionnelle. Je vous renvoie au compte rendu de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Selon M. Toubon, en limitant l’extension du champ référendaire aux matières économiques et sociales, le gouvernement d’alors – c’était votre gouvernement ! – a choisi d’exclure ce qu’il est convenu d’appeler les « questions de société ».
Afin d’éviter toute ambiguïté entre questions sociales et questions de société, il ajoutait qu’« il ne saurait être question, et il faut que cela soit bien clair pour nous tous, d’organiser des référendums sur des sujets tels que la peine de mort ou le droit à l’avortement », sur lesquels certains voulaient alors revenir.
Nous le voyons bien, la question dont nous débattons aujourd'hui est bien plus proche de tels sujets que du champ d’application de l’article 11 de la Constitution, c'est-à-dire les réformes relatives à la politique économique et sociale. La politique économique et sociale, ce ne sont pas les questions de société !
M. Toubon concluait, d’une manière peut-être un peu brutale, que le référendum n’était pas et ne devait pas être « un instrument de démagogie ».
Mme Cécile Cukierman. Eh oui ! C’est lui qui l’a dit.
M. Alain Anziani. Je vous invite à relire et à méditer cette formule, mes chers collègues !
M. Jean-Michel Baylet. Très belle formule.
M. Alain Anziani. Peut-être ces débats vous semblent-ils quelque peu éloignés de notre sujet.
Dans ce cas, je vous propose de vous reporter aux propos plus récents d’un autre « meilleur d’entre vous », M. Brice Hortefeux, grand constitutionnaliste comme chacun sait. (Sourires sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Au mois de janvier 2010, M. Hortefeux nous expliquait pourquoi le Sénat devait rejeter la motion référendaire qui avait été déposée sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales ; d’ailleurs, nombre d’entre vous applaudissaient à ce moment-là, chers collègues de l’opposition.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Alain Anziani. M. Brice Hortefeux déclarait : « Je crois profondément que le débat parlementaire constitue la garantie d’un examen exhaustif, par la sérénité qu’il apporte, autant que par l’expertise qu’il comporte. » Nous faisons ce matin la démonstration de cette sérénité.
Il ajoutait cette interrogation de bon sens : « Comment expliquer à nos concitoyens que les parlementaires qu’ils ont élus au suffrage universel renonceraient, en quelque sorte, à leur devoir de législateur ? »
Et il assénait un dernier coup avec sa brutalité, que je qualifierais de coutumière, en employant une formule cruelle, une formule terrible, mais qui est votre formule : « Cette motion, ou devrais-je dire cette forme de démission, qui peut l’entendre ? »
Il concluait en opposant le référendum, qui n’offre qu’une « réponse binaire », à savoir oui ou non, à une question fermée – il avait raison –, à la procédure parlementaire, qui a « l’immense avantage d’autoriser une discussion ouverte » ; nous le voyons depuis quelques heures, et nous le savons depuis que nous siégeons au Parlement. Il rappelait notamment que la procédure parlementaire permettait l’échange d’arguments et le dépôt d’amendements. Vous en avez d’ailleurs déposé beaucoup, et c’est positif pour la démocratie.
Voilà ! Ce sont vos propos ! Certes, nul n’est obligé d’être en accord avec Brice Hortefeux. Nous-mêmes ne le sommes que très rarement.
Mme Bariza Khiari. Heureusement !
M. Alain Anziani. Toutefois, nul n’est obligé non plus de se contredire. Nous, nous sommes fidèles à nous-mêmes, me semble-t-il.
Comme l’ont rappelé hier Nicole Bonnefoy et Michelle Meunier, et je ne comprends pas que l’on puisse balayer un tel argument d’un revers de main, un candidat qui s’appelait François Hollande avait pris un engagement n° 31 ; celui-ci a été soumis à une consultation populaire. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cet engagement n’allait pas jusqu’à l’adoption !
M. Alain Anziani. Selon vous, l’élection présidentielle n’est pas une consultation populaire ? Bravo !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Les propositions du candidat François Hollande n’allaient pas aussi loin que ce texte !
M. Alain Anziani. L’engagement n° 31 a été soumis à consultation populaire. (Nouvelles protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Qui a voté pour cela ?
M. Christian Cambon. Il avait aussi pris l’engagement de réduire le chômage…
M. Alain Anziani. Et 32 millions de personnes se sont exprimées lors de l’élection présidentielle ; ce n’est tout de même pas rien ! (Brouhaha.)
Chers collègues de l’opposition, si vous considérez que le débat n’a pas vraiment eu lieu pendant la campagne présidentielle, assumez-en la responsabilité ! Vous connaissiez une telle proposition ; vous auriez dû engager la discussion avec vos mandants sur cette question, au lieu d’essayer d’obtenir une session de rattrapage aujourd'hui ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Au fond, et M. le rapporteur Jean-Pierre Michel l’a souligné tout à l’heure, vous auriez eu plus de chances de succès aujourd'hui si vous aviez fait preuve de plus d’audace en 1995, lors de la révision constitutionnelle. Il ne tenait qu’à vous d’élargir le champ d’application du référendum à l’ensemble des questions dont nous débattons aujourd'hui. Or vous ne l’avez pas souhaité.
Par ailleurs, votre motion aurait sans doute juridiquement beaucoup plus de force aujourd'hui si elle se fondait sur le référendum d’initiative populaire.
Toutefois, là encore, nous sommes désespérés, à gauche, comme le sont aussi d'ailleurs certains dans vos rangs, de la lenteur avec laquelle vous avez mis en œuvre la réforme constitutionnelle sur la notion d’initiative populaire. Il a fallu attendre quatre ans et ce n’est qu’en février dernier que le projet de loi organique a pu être voté ici.
M. Bruno Sido. Tout vient à point…
M. Alain Anziani. Il ne l’est pas encore définitivement et ne peut donc s’appliquer. Pourtant, c’est sur ce terrain-là que vous auriez pu aller. Si vous ne l’avez pas fait, mes chers collègues, c’est parce que, comme l’ont d'ailleurs rappelé plusieurs des orateurs qui m’ont précédé, vous aviez peur ! (M. Patrice Gélard s’exclame.)
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Alain Anziani. Vous aviez peur du référendum d’initiative populaire parce qu’à l’époque se posait effectivement la question de l’avenir de La Poste.
Mme Cécile Cukierman. Une question économique et sociale à la fois !
M. Alain Anziani. Je ferai observer – je ne sais pas si 720 000 personnes sont derrière vous pour soutenir la demande que vous formulez aujourd'hui – que deux millions de personnes s’étaient prononcées lors d’une votation citoyenne en faveur d’un référendum d’initiative populaire sur La Poste.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Alain Anziani. Mais, là, vous nous avez dit : « Il n’y a rien à voir, circulez ! Le référendum n’est certainement pas d’actualité ».
Je sais qu’il est toujours difficile d’avoir du courage, d’être en conformité avec ses convictions, d’être cohérent avec soi-même, mais je pense que vous devriez expliquer à toutes celles et à tous ceux qui, de bonne foi, demandent un référendum que si, aujourd’hui, ils ne peuvent pas l’obtenir, c’est parce que votre majorité n’a pas pris, en son temps, les dispositions nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. C’est scandaleux !
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se situera sur le seul terrain juridique.
Je ne reviendrai pas sur le passé, comme l’a fait à l’instant mon ami Alain Anziani, qui nous a demandé quelles positions nous avions défendues il y a dix ans. Je n’étais pas sénateur il y a dix ans, et je me moque éperdument de ce que la droite pouvait alors défendre. Je ne vais pas vous demander, chers collègues de la majorité, pourquoi vous ne défendez plus le point de vue de Thorez ou de Jaurès sur le mariage !
Mme Cécile Cukierman. Parce que nous ne sommes pas réactionnaires, nous évoluons !
M. Jean-Claude Gaudin. Les autres aussi !
M. Hugues Portelli. Nous sommes ici et maintenant, en 2013, donc nous parlons des problèmes d’aujourd'hui.
Cette motion a un seul but : demander au Président de la République de prendre ses responsabilités en organisant un référendum sur ce projet de loi. (Très bien sur plusieurs travées de l'UMP.) Techniquement, politiquement, il ne s’agit que de cela !
Que prévoit en effet le règlement du Sénat, comme celui de l’Assemblée nationale ? Que les deux assemblées peuvent demander qu’un projet de loi soit soumis à référendum et qu’il revient donc au Président de la République, en vertu de ses pouvoirs, d’organiser ce référendum. Il a le pouvoir de le faire.
M. Gérard César. Il en a le devoir !
M. Hugues Portelli. Il a même le pouvoir de nous dire qu’il refuse de le faire. Mais ce que nous lui demandons, c’est de se prononcer, sur un vote parlementaire.
J’ai bien entendu les arguments qui ont été avancés pour nier que ce sujet puisse relever de l’article 11 de la Constitution. Je répondrai deux arguments à cela.
Je sais bien que l’on est ici dans le temple du « notabilisme » parlementaire et local (Mme Esther Benbassa s’exclame.) et qu’il est un peu difficile d’y défendre la démocratie directe.
Toutefois, ayant été élève de René Capitan, je n’oublierai jamais que c’est lui qui m’a appris quel était l’intérêt du référendum. Il me disait à l’époque que, lors du référendum de 1962, le général de Gaulle, à qui avait été opposé l’article 89 de la Constitution, avait répondu que la possibilité de se prononcer sur des questions essentielles pour son destin était un pouvoir fondamental du peuple français. Et le destin du peuple, ce n’est pas uniquement sa constitution, c’est aussi la société qu’il constitue et dans laquelle il vit. C’est une première réponse.
La seconde réponse, c’est le fameux article 11. Honnêtement, j’avais des doutes puisque, à moi aussi, on a servi les discours de Jacques Toubon. Néanmoins, je n’en ai plus depuis quelques jours, après avoir écouté attentivement les débats au sein de la commission des lois à laquelle j’appartiens. Deux éléments, en particulier, ont retenu mon attention.
Tout d’abord, lors des auditions, l’avis de toute une série d’instances a été sollicité. Nous avons notamment consulté, comme l’a fait le Gouvernement, la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, dont l’avis était négatif en raison de la position de la CGT, qui a emporté la majorité. Or, que je sache, la CNAF est un organisme social, ce n’est pas un organisme sociétal ou politique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. David Assouline. La commission a auditionné des politiques !
Mme Cécile Cukierman. Les syndicats sont libres de leur vote, tout comme les politiques !
M. Hugues Portelli. Laissez-moi poursuivre, s’il vous plaît !
Par ailleurs, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les interventions de Mme Benbassa en commission des lois, même si je ne suis pas toujours d’accord avec elle. Un point m’a fait dresser l’oreille. Mme Benbassa nous a expliqué que, aujourd’hui, on passait de la notion de parent biologique à celle de parent social. On est donc dans le social, comme Mme Benbassa nous l’a expliqué ! Elle n’a pas dit qu’il y avait des parents sociétaux, elle a dit qu’il y avait des parents sociaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous jouez sur les mots, c’est n’importe quoi !
M. Hugues Portelli. Eh bien, s’il y a des parents sociaux, il y a des référendums sur les questions sociales ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je formulerai une dernière remarque.
En 1984, lors des tentatives pour nationaliser l’enseignement libre, François Mitterrand s’est retrouvé dans une impasse, face à des millions de personnes descendues dans la rue pour manifester. Qu’a-t-il fait ? Tout d’abord, il a retiré le texte. Je signale au passage que, constitutionnellement, il était assez drôle d’apprendre par la télévision un 14 juillet que le Président de la République – et non le Parlement – décidait de retirer un texte qui était débattu à l’Assemblée nationale.
M. David Assouline. Et qu’avez-vous fait avec le CPE, le contrat première embauche ! C’était encore plus drôle !
M. Hugues Portelli. Immédiatement après, et c’est intéressant, il a proposé d’organiser un référendum.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Un référendum sur le référendum !
M. Hugues Portelli. Malheureusement, il n’y en a pas eu.
Le Président de la République avait proposé une modification de la Constitution, afin d’élargir le domaine de l’article 11 aux projets de lois concernant les garanties fondamentales des libertés publiques, notamment la liberté de l’enseignement. Ce projet a été bloqué ici même, ce qui est dommage.
M. David Assouline. Par la droite !
M. Hugues Portelli. En tout cas, l’intention du Président de la République était d’organiser un référendum.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Sur le référendum !
M. Hugues Portelli. Or que faisons-nous aujourd'hui ? Nous ne faisons que marcher dans les pas de François Mitterrand. (Rires et exclamations sur diverses travées.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bravo !
M. Bruno Sido. Pas trop quand même !
M. Hugues Portelli. Nous ne faisons que reconnaître la légitimité du Président de la République. Nous lui demandons de se prononcer sur un vote parlementaire. Et si le Président de la République n’en veut pas, ce sera son droit souverain, car, en matière de référendum, le seul interprète de l’article 11, c’est lui ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Tout d’abord, je me permettrai de saluer avec une sympathie particulière Mme la ministre déléguée aux affaires sociales,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Chargée de la famille !
M. Philippe Bas. … qui est à vos côtés, madame la garde des sceaux, pour présenter un projet de loi dont certains de nos collègues nous disent qu’il n’a trait en rien aux politiques sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je vous remercie donc, madame la ministre !
M. Jean-Claude Gaudin. Surtout, ne partez pas, madame la ministre !
M. Christian Cambon. Bien ajusté !
M. Philippe Bas. Monsieur le président, mes chers collègues, après avoir écouté très attentivement chacun des orateurs qui se sont succédé à cette tribune, ma conviction n’en est que renforcée : oui, le peuple français doit se prononcer. C’est la sagesse.
Il doit se prononcer parce que cette réforme change le mariage de chacun autant et même plus qu’elle n’ouvre le mariage pour tous. Elle change la conception légale de la filiation et la notion juridique de la parenté. Elle nous engage tous, dans notre vie familiale. Elle propose un modèle juridique pour traiter de situations différentes. Ce faisant, elle dénature le principe d’égalité au lieu de le défendre. Elle laisse croire qu’un enfant peut avoir deux pères ou deux mères. Elle reconnaît ainsi une parenté d’intention, à l’égal de toute parenté, maternelle ou paternelle.
Cette construction du cœur et de l’esprit ne correspond à aucune réalité anthropologique. Elle méconnaît l’importance essentielle de la filiation biologique et nie le caractère fondateur de l’altérité sexuelle à l’origine de toute vie. Elle entre en matière de filiation dans une fiction juridique, pour reprendre l’expression employée par notre collègue Alain Milon. Elle substitue le volontarisme de la loi à la réalité des familles, sous toutes leurs formes.
Dans cette réforme, tout semble avoir été décidé avant d’avoir été étudié.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Philippe Bas. Vous n’avez envisagé aucune solution de substitution créant un cadre stable pour organiser la vie des couples de même sexe en ne permettant pas d’être parent sans être ni père ni mère. Et vous instruisez un procès en conservatisme contre vos opposants, comme si vous seuls étiez à l’écoute des besoins de notre époque, en harmonie avec l’évolution des mœurs.
Pourtant, comme l’a excellemment souligné hier M. Baylet, la part de chacun doit être reconnue dans toutes les lois qui ont fait grandir les droits des Français.
M. François Calvet. Très bien !
M. Philippe Bas. Nous revendiquons autant que vous progrès et humanisme, et c’est précisément au nom de ces valeurs que nous combattons votre réforme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Plusieurs orateurs de la majorité ont réduit l’opposition à votre réforme, madame la garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires sociales,…
M. Philippe Bas. … à celle de l’église catholique, comme si un tel argument valait disqualification. Les représentants des autres religions chrétiennes, comme de nombreux religieux juifs et musulmans, se sont pourtant prononcés dans le même sens.
Toutes ces grandes voix, qui s’expriment au nom de l’idée qu’elles se font du bien de l’homme (Mme Esther Benbassa s’exclame.), ont le droit légitime d’éclairer la réflexion des Français sur des questions dont nos débats montrent à quel point elles sont complexes et controversées.
Enfin, il est désolant de voir le débat si souvent rétréci par ceux qui n’entrevoient décidément aucun autre ressort possible que l’homophobie pour expliquer toute opposition à l’égard de ce projet. Ce n’est pas seulement stupide ; c’est aussi insultant. Quelle condescendance pour tous les Français qui ne veulent que débattre démocratiquement et rechercher des solutions d’intérêt général, en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant à naître !
Faites confiance à nos compatriotes ! Les Français dans leur ensemble, ainsi que M. Anziani l’a d'ailleurs rappelé tout à l'heure, ne sont pas homophobes, pas plus qu’ils ne sont racistes, antisémites ou islamophobes.
Mme Cécile Cukierman. Cela leur arrive tout de même !
M. Philippe Bas. Il est vain, il est affligeant de vouloir les diviser sur ce point en exerçant une sorte de police du vocabulaire et de la pensée qui prétend s’opposer à l’expression des désaccords en répandant le soupçon sur ceux qui les expriment.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est vous qui le dites.
M. Philippe Bas. Je suis au regret de le dire, c’est une méthode sectaire : elle vise à atteindre le contradicteur plutôt qu’à répondre à la contraction. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Philippe Bas. Il ne faut pas se tromper de débat : la question posée au travers de cette réforme n’est nullement celle de l’homosexualité et de sa reconnaissance par la société.
M. Christian Cambon. Bien sûr !
M. Philippe Bas. C’est celle des fondements d’une nouvelle forme de parenté, exercée ensemble par deux personnes de même sexe liées par leur amour.
La difficulté que nous rencontrons, c’est ce constat que les enfants auxquels la réforme prétend donner deux parents de même sexe resteront orphelins de père ou de mère.
La loi ne doit pas, elle ne peut pas reposer sur l’idée qu’il ne leur manquerait rien. Quelles que soient les qualités éducatives du foyer dans lequel ces enfants grandiront, quel que soit l’amour qu’ils recevront, nul ne peut ignorer cette incomplétude. Ce n’est pas dans le déni que nous pouvons construire un cadre harmonieux pour le développement de l’enfant élevé au foyer de deux personnes de même sexe.
Il faut un référendum : vous qui vous réclamez si souvent des sondages quand ils vous arrangent – ce qui devient assez rare, il est vrai ! – (Rires sur les travées de l’UMP.),…
M. François Rebsamen. Vous en avez aussi beaucoup usé en votre temps ! (Sourires.)
M. Philippe Bas. … vous qui vous prévalez du vote des Français à l’élection présidentielle, vous ne devriez pas craindre le verdict du suffrage universel ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – Mme Esther Benbassa proteste.)
Quand 700 000 Français signent une pétition contre votre réforme, quand tant de familles se mobilisent par centaines de milliers, pour dire non à cette réforme avec sincérité, avec conviction, avec détermination, avec calme, quand la société française se divise à ce point, tous les signaux sont allumés pour vous alerter sur la nécessité de ne pas passer en force et de respecter tous les Français qui s’expriment, au lieu de les caricaturer.
En réalité, vous le savez bien, depuis trente ans aucune réforme n’a suscité une telle opposition populaire, une telle division entre Français, au moment où il serait si nécessaire de nous rassembler pour surmonter nos difficultés économiques et sociales et la crise morale dans laquelle notre pays et notre démocratie sont, hélas, plongés.
Vous vous livrez à une interprétation de circonstance de l’article 11 de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le conseiller d’État ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Une discussion est sans doute possible, mais cette réforme est bien relative à la politique sociale, comme l’article 11 de la Constitution l’exige. Dans la longue histoire de la Ve République, des interprétations beaucoup plus contestées de l’article 11 se sont finalement imposées à tous. Celle-ci est juste !
En effet, comment douter qu’un projet de loi qui porte principalement sur la possibilité pour deux personnes de même sexe de recourir à l’adoption pour être parents ensemble ne concerne pas au premier chef les politiques sociales ? Les pupilles de l’État proposés à l’adoption sont confiés à l’aide sociale à l’enfance, que je sache ! La gestion des agréments pour les adoptants est confiée, dans le cadre de ces responsabilités sociales, au président du conseil général.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Bas. Cette loi est bien, en grande partie, une loi de protection sociale, de protection de l’enfance, et elle entre donc bien dans le cadre de l’article 11 de notre Constitution ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir. Et des affaires sociales !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Je suis consciente de votre appétence très forte ces derniers jours pour un remaniement ministériel, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, mais, jusqu’à présent, je suis toujours ministre déléguée à la famille ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Puisque vous parliez d’accepter la contradiction, monsieur Bas, je souhaite répondre à l’ensemble des orateurs en abordant trois points.
Je serai très brève sur le premier, puisque j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer hier soir. Dans la continuité des propos de Mme Jouanno, je le répète : l’homosexualité n’est pas un choix ; on ne décide pas d’être homosexuel ou hétérosexuel !
Mme Annie David. Absolument !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. On ne décide pas d’être majoritaire ou minoritaire. Si nous admettons ce constat, nous éviterons certaines dérives langagières. J’ai entendu évoquer hier la notion de « préférence sexuelle », mais la question n’est pas là.
Le deuxième point sur lequel je souhaite insister concerne l’adoption. Si nous voulons progresser dans le débat, il est nécessaire de rappeler un certain nombre de faits. Nous pouvons tomber d’accord sur un point : effectivement, de moins en moins d’adoptions internationales sont possibles. Les chiffres le démontrent : en 2006, près de 4 000 enfants étaient adoptés ; aujourd’hui, ce chiffre est divisé par deux.
Toutefois, que je sache, les homosexuels ne sont en rien responsables de cette baisse de l’adoption internationale !
M. Gérard Longuet. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il faut examiner avec beaucoup plus de lucidité les raisons pour lesquelles l’adoption internationale est en régression.
M. Christian Cambon. Ce n’est pas le sujet !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Mais si !
L’adoption internationale est en régression, parce que la convention de La Haye a introduit des règles beaucoup plus strictes en ce qui concerne l’adoptabilité des enfants étrangers. L’adoption internationale est en régression, parce que nombre de pays qui rendaient ces enfants adoptables sont en plein décollage économique et qu’ils demandent à leurs nationaux d’adopter des enfants de leur pays plutôt que de les laisser partir à l’étranger.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Peut-on ne pas s’en satisfaire ? Bien évidemment, non !
Enfin, il faut savoir que le profil des enfants adoptables à l’international a évolué : il s’agit d’enfants plus âgés, qui peuvent présenter des problèmes de santé ou de handicap ou faire partie d’une fratrie. Les conditions exigées des familles potentiellement adoptantes doivent donc évoluer, si l’on veut remédier à la baisse de l’adoption internationale. Quoi qu’il en soit, les homosexuels ne sont absolument pour rien dans cette affaire !
Certains ont exprimé des inquiétudes quant à l’avenir. Examinons la situation des pays qui ont ouvert l’adoption à des couples de même sexe : au contraire, l’Espagne a vu le nombre d’adoptions internationales augmenter ; parmi les enfants concernés, 160 ont été adoptés par des couples homosexuels. J’ai entendu dire qu’il n’y avait plus d’adoptions internationales en Belgique : c’est faux !
Les chiffres sont là pour montrer que les pays d’origine n’ont pas fermé leurs frontières, puisque s’applique toujours la même réglementation qui garantit la liberté de choisir les familles adoptantes. Ne jouez donc pas sur des peurs qui ne sont pas fondées !
Le dernier point sur lequel je tiens à insister est l’utilisation des psychologues ou des psychanalystes ; nous en avons encore eu un exemple dans l’intervention de M. Retailleau ce matin. Je l’invite à relire la pétition signée par plusieurs centaines de psychanalystes, qui s’expriment ainsi : « Nous, psychanalystes […], souhaitons par ce communiqué exprimer que “la psychanalyse” ne peut être invoquée pour s’opposer à un projet de loi visant l’égalité des droits. Au contraire, notre rapport à la psychanalyse nous empêche de nous en servir comme une morale ou une religion.
« En conséquence, nous tenons à inviter le législateur à la plus extrême prudence concernant toute référence à la psychanalyse afin de justifier l’idéalisation d’un seul modèle familial.
« Nous soutenons qu’il ne revient pas à la psychanalyse de se montrer moralisatrice et prédictive. Au contraire, rien dans le corpus théorique qui est le nôtre ne nous autorise à prédire le devenir des enfants quel que soit le couple qui les élève. La pratique psychanalytique nous enseigne depuis longtemps que l’on ne saurait tisser des relations de cause à effet entre un type d’organisation sociale ou familiale et une destinée psychique singulière. »
Une autre psychanalyste disait : « La spécificité de notre métier est de ne pas être dans une norme. » C’est une très bonne chose pour les patients qui fréquentent les psychanalystes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de ce débat sur la motion référendaire, je veux saluer la qualité des interventions et, d’une certaine façon, des contre-plaidoyers qui ont présenté, avec beaucoup de clarté et de précision, des arguments juridiques, politiques ou encore éthiques.
Ces interventions, comme celles d’hier, ont été d’une grande qualité, y compris celles de certains orateurs opposés au projet de loi. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Ce fut par ailleurs le cas de la très grande majorité, de la totalité même, des interventions des orateurs favorables à ce projet de loi. (Mêmes mouvements.) En effet, ces derniers sont allés au-delà de l’argumentaire développé par le Gouvernement. Ils ont exposé leurs convictions, mais surtout leur analyse. Il y a une rigueur qui rend hommage au droit, en particulier dans cette assemblée ; comme je le disais déjà hier : mesdames, messieurs les sénateurs, vous travaillez sur le fond et sur le droit.
Je veux donc véritablement vous remercier du travail effectué, qui a la même tonalité aujourd’hui qu’hier. Nous avons eu le privilège extraordinaire d’entendre deux fois M. Jean-Michel Baylet, hier soir et ce matin, dans des interventions très construites, roboratives. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Comme à son habitude !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai pas la chance d’être présente chaque fois qu’il prend la parole, hélas ! donc je ne sais pas si telle est son habitude ! De même, Mme Tasca, M. Anziani et les rapporteurs ont fait preuve de la même pertinence.
Si vous êtes aussi attentifs que moi, vous ne pouvez que convenir de la qualité de ces interventions et de ce qu’elles apportent à nos débats. En effet, je ne doute pas une seconde que vous ayez le souci, au-delà de vos convictions, au-delà de certaines croyances que j’ai entendu énoncer explicitement, d’adopter un texte qui soit le meilleur possible. Pour cela, nous devons faire bon usage des arguments et des analyses qui nous sont présentés.
En tout cas, j’écoute avec la même attention les interventions de tous les sénateurs ; je pense que vous vous en rendez compte lorsque vous êtes à la tribune.
M. Bruno Sido. Par souci d’égalité ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, monsieur le sénateur. Je le fais dans un souci de responsabilité à l’égard des citoyens pour lesquels nous élaborons les lois. Nous rédigeons les règles de la vie commune qui s’imposent à eux et j’ai l’obsession permanente de veiller à ce que ces règles améliorent leur vie, au lieu de la compliquer ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Retailleau, vous avez commencé votre présentation de cette motion référendaire en rappelant un argument qui a été beaucoup utilisé à l’Assemblée nationale, avant de tomber en désuétude, si j’ose dire. Vous avez évoqué une « réforme de civilisation ».
Comme je l’ai dit aux députés, je me réfère pour ma part à la civilisation au sens d’Aimé Césaire, selon lequel « une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».
M. Bruno Sido. Eh voilà ! Nous y sommes !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La France a construit sa nation et ses républiques successives sur la passion de l’égalité. Oui, nous nous réclamons de l’égalité, parce que c’est une valeur fondamentale de la République. C’est la marque particulière de l’histoire de la nation française et des républiques françaises.
Parce que nous nous référons à cette valeur, nous constatons que, à diverses périodes, on a rusé avec l’égalité. On a parfois inscrit des prétextes dans le droit pour refuser à des citoyens la plénitude de l’exercice de leur citoyenneté. C’est cela que nous corrigeons ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Oui, une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde, et nous pensons que la France n’est pas moribonde ! Lorsque nous repérons une ruse avec les principes, nous y mettons fin ; c’est ce que nous faisons avec ce texte.
Les personnes homosexuelles sont des citoyens comme les autres…
M. Gérard Longuet. Personne ne le conteste ! Ce n’est pas le sujet. C’est un problème de parenté : ces personnes ne sont pas des parents comme les autres !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Longuet, je vous ai écouté avec attention, au point de me rendre compte que, alors que vous aviez commencé votre propos en vous élevant, par des analyses qui semblaient fondées sur des principes, vous n’avez pas pu éviter le surgissement d’une petitesse en m’appelant par mon nom, « Mme Taubira », au sujet d’un candidat présent au deuxième tour de l’élection présidentielle…
M. Gérard Longuet. J’ai rappelé un fait politique. En 2002, vous avez été candidate au premier tour de la présidentielle contre Lionel Jospin !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà ! Vous avez beau essayer de vous élever vers des hauteurs vertigineuses, il y a des petitesses qui vous rattrapent ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Gérard Longuet. C’est la vérité qui vous gêne !
M. Gérard Longuet. Moi, je ne suis pas gêné ! J’ai voté pour Jacques Chirac ! Tant mieux si vous l’avez fait élire.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La seule chose qui peut me gêner en ce moment, c’est cette discourtoisie que je découvre ici, au Sénat, après avoir entendu une grossièreté hier après-midi ! C’est tout ce qui me gêne, parce que je n’étais pas habituée à cela dans cette maison ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Cette interruption permanente est discourtoise, monsieur Longuet ! Et je ne comprends pas pourquoi vous me reprochez d’être hors sujet, alors que je réponds précisément aux questions ou aux affirmations prononcées par celui qui, en votre nom à tous, a présenté la motion référendaire.
De ma part, il y a là, tout d’abord, une marque de respect, et, ensuite, la prise au sérieux du travail de fond et des arguments qui ont été présentés.
Monsieur Retailleau, vous vous interrogez sur ce qu’est la République. Évidemment, on peut donner des définitions de la République empruntées au droit ; on peut donner celles que l’on trouve dans les dictionnaires, puisque j’ai entendu ici des références à certains d’entre eux. La République s’est définie par l’histoire et par les choix des constituants et des législateurs.
On peut donner toutes sortes de définitions de la République, des définitions subjectives, des définitions philosophiques, et évoquer la res publica, c'est-à-dire la chose publique, ce bien commun qui appartient à tous les citoyens et que nous devons partager.
Ce bien commun n’autorise pas à faire main basse sur une institution républicaine et à considérer qu’une catégorie de citoyens, dont on apprécie l’orientation sexuelle, pourrait en être exclue.
La République est définie dans la Constitution. Elle est qualifiée, en tout cas. Elle est indivisible et elle appartient à tous les citoyens. Elle est laïque, c'est-à-dire que les institutions publiques doivent échapper à toute influence : il faut qu’elles soient neutres, pour être au service de l’ensemble des citoyens.
Je vous rappelle l’histoire de la République et de la laïcité. Cette dernière a été organisée par la loi de 1905 pour soustraire l’État et les institutions publiques aux influences confessionnelles, en premier lieu, mais aussi aux influences partisanes, aux influences financières et économiques, aux influences des lobbies. Une République laïque est donc fondée sur un principe de concorde. Et celui-ci permet le traitement égal dans la société de l’ensemble des citoyens, de chaque citoyen, dans son individualité.
Notre République est démocratique. La démocratie, ce n’est pas simplement le règne de la majorité, ce qui nous conviendrait. C’est le règne du droit, comme le disait le philosophe Alain. Ce sont donc nos lois qui ont force de règle dans l’ensemble de la société.
La République est aussi sociale, c'est-à-dire qu’elle vise principalement à lutter contre les inégalités et contre les injustices. Elle inscrit cette démarche dans les textes et elle assure qu’aucune différence ne peut servir de prétexte pour justifier des discriminations. C’est précisément ce que nous voulons corriger !
J’ai entendu dire que ce projet de loi allait tarir la source des enfants qui peuvent être adoptés. Pour nous, il n’y a pas « les enfants qui peuvent être adoptés ». Il y a chaque enfant. Pour nous, il n’y a pas « un marché d’enfants à adopter », cette expression que consolidait, d’une certaine façon, M. Longuet, lorsqu’il parlait de l’offre, de la demande et de la solvabilité qui sera appréciée.
M. Gérard Longuet. C’est ce que nous craignons !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, nous n’avons pas la même approche ! J’ai cité hier soir René Char, pour qui « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. »
Cette façon de définir l’adoption internationale, et même l’adoption nationale, sous forme de marché, d’offre, de demande, de solvabilité…
M. Gérard Longuet. C’est ce que vous allez créer !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … nous paraît assez effrayante.
Vous nous avez dit que l’amour ne doit pas être un élément qui permette d’organiser une institution. Sans aucun doute, mais c’est valable pour tous ! Si c’est valable pour les homosexuels, c’est valable pour les hétérosexuels ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L’amour est partout !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si je vais jusqu’au bout de ce raisonnement, nous abolissons le mariage !
J’en viens aux revendications catégorielles. Il arrive, effectivement, que des revendications soient portées par des groupes, que ceux-ci appartiennent à la société civile ou qu’ils soient organisés dans des structures démocratiques, comme les syndicats ou les partis politiques. Elles peuvent aussi être portées par des groupes informels.
La question n’est pas de savoir si les revendications sont portées par un groupe, petit, moyen ou grand, mais si elles sont légitimes et si une alerte adressée aux institutions publiques est fondée. Car si tel est le cas, les institutions publiques doivent s’emparer du problème, pour travailler à le résoudre.
Dans l’histoire de la France, et dans celle du mariage en particulier, de telles alertes ont parfois été lancées par des groupes, voire par de simples individus. Vous vous rappelez comment a été institué le mariage civil : à partir d’une interpellation au constituant formulée par le citoyen Talma, comme on disait à l’époque. Sur la base de cette interpellation, une mission a été confiée, un rapport a été établi et le constituant révolutionnaire a décidé d’instituer un mariage civil, qu’il a défini dans la Constitution de 1791.
Cette revendication, M. Talma l’a portée parce qu’il était comédien et parce que l’Église excluait alors les professions de « saltimbanques » du mariage religieux. La revendication de M. Talma n’était-elle pas fondée ? Fallait-il la rejeter au motif qu’il était concerné par la question et qu’il a interpellé le législateur – le constituant, en l’occurrence ? Sa revendication était tellement fondée qu’elle a abouti à l’institution du mariage civil !
L’argument qui consiste à rejeter la revendication parce qu’elle est formulée par des catégories n’est donc pas recevable. Ce qui doit être examiné, c’est la nature de nos actes. Or nous ne faisons que rétablir l’égalité proclamée dans la devise de la République. Nous considérons que les couples homosexuels ont le droit de se marier, de composer leur vie commune et leur famille au même titre que les couples hétérosexuels. Il faut leur ouvrir la seule façon de le faire qui ne l’était pas jusqu’à maintenant.
Je reviendrai plus tard sur un certain nombre de points, car je pense qu’ils seront de nouveau évoqués par M. Jean-Jacques Hyest, quand il défendra la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous ne savez pas ce que je vais dire !
M. Jean-Claude Gaudin. Vous avez déjà confessé notre collègue, madame la garde des sceaux ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne me savais pas aussi douée, monsieur le sénateur ! (Nouveaux sourires.)
Avant de revenir sur ces points, je m’arrêterai un instant sur la différence entre « social » et « sociétal ». Vous vous êtes référés à l’Académie française, au Petit Robert et à l’étude d’impact, qui examine scrupuleusement l’impact social d’un texte de loi, comme le font toutes les études d’impact.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est obligatoire !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et cela n’induit pas que la nature du sujet est sociale !
La différence entre « social » et « sociétal » est absolument claire, et cela depuis un moment, puisqu’elle l’était déjà en 1995.
Vous êtes le législateur. Dans notre quotidien, nous pouvons avoir besoin de l’Académie française, du Petit Robert, voire du Littré. Toutefois, pour comprendre le législateur, ce qui prévaut, c’est l’intention.
Lorsque nous nous interrogeons sur l’interprétation d’un terme ou d’un concept contenu dans un texte de loi, c’est auprès de son auteur que nous devons aller trouver l’expression, la source, l’intention. Sur le sujet de ce matin, je vous invite à consulter, plutôt que l’Académie française, les travaux préparatoires à la révision constitutionnelle de 1995.
Le garde des sceaux de l’époque, M. Jacques Toubon, a été abondamment cité. La première fois qu’il l’a été, cela a été par mes soins. Je m’en réclame parce que les citations et les références croisées sont toujours extrêmement surprenantes ! J’ai donc été la première à évoquer M. Jacques Toubon devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Je suis d’autant plus à l’aise pour parler de ces débats que, à l’époque, votre formation politique, dont le nom a changé mais qui a gardé la même sensibilité, détenait la majorité. Lors des travaux préparatoires à ces débats sur le projet de loi constitutionnelle de 1995, la question a été posée précisément par les parlementaires, sénateurs et députés.
Or le garde des sceaux a répondu précisément, dissipant toute confusion entre « social » et « sociétal ». Ce n’est pas par omission, oubli ou inadvertance que le législateur n’a pas inclus dans le champ du référendum les questions à caractère « sociétal ».
Lors de son audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale, le garde des sceaux a répondu que le Gouvernement avait choisi d’exclure du champ d’application du référendum « les sujets touchant à la souveraineté comme la défense et la justice ou ce qu’il est convenu d’appeler les questions de société avec les libertés publiques, le droit pénal ou encore les lois de finances dont l’examen relève des prérogatives traditionnelles du Parlement. » C’est clair !
Il poursuivait ainsi : « Il doit donc être clair qu’il ne saurait y avoir de référendum sur des sujets tels que la peine de mort, la repénalisation de l’avortement », etc. En effet, je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais certains réclamaient, à l’époque, un référendum pour rétablir la pénalisation de l’avortement.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. On l’oublie !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le garde des sceaux de l’époque a eu le courage de dire, s’exprimant à la fois en droit et en responsabilité, que la Constitution n’autoriserait pas l’organisation de référendum sur « la repénalisation de l’avortement ou sur l’expulsion des immigrants clandestins, le référendum n’étant pas – et ne devant pas être – un instrument de démagogie. »
M. Jacky Le Menn. Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La révision constitutionnelle visait à étendre le champ d’application du référendum. M. Jacques Toubon a clairement précisé qu’en seraient exclus, en revanche, le droit pénal, l’entrée et le séjour des étrangers en France, les libertés publiques dès lors qu’elles ne constituent pas une orientation de politique économique et sociale ou une règle fondamentale du service public, les prérogatives de police, la politique étrangère, la politique de défense, la justice et le droit civil.
Autrement dit, le garde des sceaux a pris la peine, au sujet de la justice, de préciser « et le droit civil », qui recouvre l’état des personnes et les libertés.
M. François Rebsamen. Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’état des personnes et les libertés ont donc été exclus explicitement du champ du référendum par le garde des sceaux de l’époque. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Vous avez fait une mauvaise manière – je la relève, parce que je pense que vous avez parlé ainsi davantage par goût pour l’ironie que par intention de nuire – au Conseil économique, social et environnemental. Je tiens à rectifier vos propos parce que je lis, depuis des années, les rapports de cette institution, et je les trouve d’excellente qualité.
Cette institution est d’une grande utilité. Certes, il est arrivé qu’on décide inconsidérément d’augmenter le nombre de ses membres,…
M. François Rebsamen. Pour caser des politiques !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … que les désignations des conseillers se fassent d’une façon qui mérite peut-être que le législateur, ici en tant que responsable politique, les examine, les commente et les apprécie. Cela arrive ! Néanmoins, l’institution, en tant que telle, est utile à notre démocratie et produit un travail de très grande qualité. Je ne relève donc ce point, soulevé, à mon avis, avec un soupçon d’ironie, que pour rendre hommage à cette institution.
M. François Rebsamen. Bravo !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le référendum introduit par la révision constitutionnelle de 2008 n’est pas un référendum d’initiative populaire. C’est un référendum d’initiative partagée ! Nous le savons et nous l’avons souligné à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi relatif à cette procédure, il y a quelques semaines. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, il faut le dire aux personnes auxquelles vous promettez de vous battre pour obtenir un référendum !
M. Bruno Retailleau. Je l’ai dit ici !
M. Bruno Retailleau. Grâce ? (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, je vous rends justice ! Il n’y a pas de nécessité que je vous rende grâce… (Nouveaux sourires. – M. Daniel Raoul applaudit.)
Je le répète, ceux qui font croire, notamment aux manifestants, qu’ils peuvent se battre pour réclamer, en vertu de cette disposition constitutionnelle, un référendum d’initiative populaire, ceux-là les trompent, peut-être par méconnaissance, mais ils les trompent.
D’abord, en effet, cela a été rappelé, quatre années se sont écoulées sans qu’aient été inscrites dans notre législation les modalités nécessaires à l’application du référendum d’initiative partagée.
Par ailleurs, tel qu’il est conçu, ce référendum est une prérogative parlementaire qui ne saurait servir qu’à titre supplétif, s’il advenait que le Parlement n’inscrive pas dans les délais la proposition de loi d’initiative parlementaire.
Autrement dit, non seulement les textes d’application n’ont pas été présentés, ni donc adoptés, mais, même s’ils l’avaient été, ils n’auraient pas permis d’organiser un référendum d’initiative populaire. Cela, il faut le dire très clairement aux manifestants de bonne foi.
Je vous prie de me pardonner d’avoir été un peu longue. J’entends des soupirs d’impatience... (Non, pas du tout ! sur les travées de l'UMP. – Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. Vous savez bien que nous vous écoutons, madame la ministre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense cependant que ce sujet mérite que nous lui accordions le temps et les précisions nécessaires.
J’ai observé, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, que vous étiez pris d’une passion soudaine pour des personnalités de gauche, que vous avez abondamment citées. Je pense donc que vous serez sensibles à une citation de Jean Jaurès ! (Ah ! sur les travées de l'UMP.) Il faut bien que nous alimentions cette admiration récente ! (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.) Elle vous permettra, surtout, de comprendre pourquoi nous livrons cette bataille et allons continuer à le faire avec détermination.
Nous sommes en effet persuadés qu’en termes aussi bien juridiques qu’éthiques et politiques, nous avons raison et œuvrons en faveur de l’égalité.
M. Charles Revet. Mais non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous sommes par ailleurs convaincus que toutes les propositions, qu’elles soient formulées en toute lucidité ou en quelque sorte par inadvertance, qui tendent à instituer un mariage « spécial » pour les personnes homosexuelles, parce que l’on considère qu’il faut améliorer leurs droits sociaux, leur situation au regard de la fiscalité, leur protection sur le plan matériel, toutes ces propositions ne sont en fait que des ruses, visant à ranimer certaines croyances. Je ne parle pas ici des croyances religieuses, mais de celles qui, s’appliquant à des attitudes ou à des caractéristiques que l’on prête à certaines personnes, vont à l’encontre de l’égalité des droits.
Les personnes homosexuelles sont des citoyens à part entière… (Nous sommes d’accord ! sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Revet. Personne ne le conteste !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et, en tant que tels, elles doivent avoir accès à cette institution du mariage, non pas retouchée, ripolinée ou restreinte, mais dans toute sa plénitude d’institution républicaine.
Nous allons donc continuer à nous battre,...
M. Charles Revet. Nous aussi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... en vous écoutant, en vous respectant, en tenant compte de vos observations et en étudiant scrupuleusement vos amendements.
M. François Rebsamen. Allumons le soleil !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et les étoiles ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Je vous ai promis une citation de Jean Jaurès, la voici : « il vaut la peine de penser et d’agir, [...] l’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu. »
Voilà pourquoi nous savons que nous ne perdrons jamais cette bataille ! (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, ayant d’ores et déjà reçu quatorze demandes d’explication de vote sur l’article unique de cette motion référendaire, il me paraît préférable, pour la cohérence de nos débats, que nous interrompions maintenant nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen de la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion de l’article unique de la motion référendaire.
Article unique
En application de l’article 11 de la Constitution et des articles 67 et suivants du règlement, le Sénat propose au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013).
Explications de vote
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique, je donne la parole à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, nous allons donc être appelés à nous prononcer sur la motion référendaire qui, après avoir été brillamment défendue par notre collègue Bruno Retailleau, a donné lieu à un certain nombre d’échanges au cours de la matinée.
Néanmoins, nous aurons sans doute l’occasion, dans les jours qui viennent, de débattre sur le fond, de faire des propositions alternatives, éventuellement de modifier le contenu de ce projet de loi. Cependant, la question qui est posée à présent est la suivante : le texte qui nous est soumis doit-il être soumis à référendum ? En d’autres termes, le peuple français doit-il se prononcer par référendum sur cette question ?
Je répondrai que le peuple français doit se prononcer, parce que c’est un devoir que de le consulter, et qu’il peut se prononcer, ce qui signifie qu’il en a la possibilité, contrairement à ce que laissaient entendre certaines constructions juridiques qu’on nous a présentées ce matin.
Oui, le peuple français doit se prononcer, et les propos mêmes de Mme le garde des sceaux, étayés par ceux d’autres intervenants, me renforcent dans cette conviction.
Vous l’avez dit, madame la ministre, le texte qui nous est proposé ouvre un vrai changement de société. Ce changement n’est pas de ceux qui, à travers des textes de loi, meublent habituellement l’ordre du jour du Parlement. C’est un changement profond, qui concerne l’une des bases de notre société, et même son socle : la famille.
Je le dis devant l’effigie de Portalis,...
M. Charles Revet. Il est bien placé !
M. Jean-Claude Lenoir. ... que l’évocation de ses écrits, au demeurant, laissera sans doute de marbre. (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. Portalis a écrit à propos du mariage : « C’est la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider, par des secours mutuels, à porter le poids de la vie, et pour partager leur commune destinée. »
Le fait que vous remettiez en cause la définition du mariage telle qu’elle fut rédigée par celui-là même qui l’a inscrite dans le code civil, définition selon laquelle la famille est constituée d’un homme et d’une femme, c’est bien un vrai changement, sur les implications duquel nous aurons l’occasion de nous exprimer au cours des jours et des nuits à venir. Rien que sur ce point, le peuple français doit être appelé à se prononcer.
Ensuite, le peuple français peut-il se prononcer ?
J’ai entendu un certain nombre d’arguments donnant à penser qu’il n’est pas possible d’organiser un référendum sur cette question.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est évident !
M. Jean-Claude Lenoir. Je note que le président de la commission des lois, en ce début d’après-midi, veut bien faire entendre sa voix pour appuyer cette analyse formulée au cours de la matinée. (Sourires.)
L’argument qui consiste à se fonder sur une citation de Jacques Toubon n’est pas très pertinent.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas gentil pour lui !
M. Jean-Claude Lenoir. En effet, les travaux préparatoires qui ont précédé la modification de la Constitution ne peuvent en rien se substituer au texte même de la Constitution.
Ces travaux, nous le savons, peuvent éclairer le lecteur de la Constitution, pour le cas où il y aurait une confusion. Or vous entretenez, avec une constance qui se vérifie à chacune de vos interventions, l’idée selon laquelle il y aurait une confusion autour du mot « social ».
Madame la ministre, je ne partage absolument pas votre avis : il n’y a pas de confusion !
Rappelez-vous : en 1995, nous siégions tous deux à l’Assemblée nationale au sein du même groupe parlementaire, qui s’appelait « Liberté et progrès ».
M. Charles Revet. Ah bon, vous étiez dans le même groupe ? C’est une révélation ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. À l’époque, nous n’avons pas utilisé le mot « sociétal ». Ce mot, entré récemment dans notre vocabulaire, d’où vient-il ? C’est une transposition en français du mot anglais societal, qui lui-même n’est apparu qu’à la fin du XIXe siècle.
J’ai cherché à en savoir plus sur l’histoire de ce mot. Les étymologistes anglais nous expliquent qu’il s’agit d’une forme aristocratique du mot social. En réalité, c’est un de ses synonymes ; c’est même, selon l’un de ces savants, une forme pédante du mot social.
M. Jean-Claude Lenoir. Pour moi, « social » et « sociétal » veulent dire la même chose.
Dès lors, madame la ministre, les textes que nous avons votés ensemble en 1995 nous autorisent parfaitement à saisir le peuple français de cette évolution de la société, de ce changement profond auquel vous aspirez et qui est le contenu même de votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. J’invite les prochains orateurs à respecter scrupuleusement leur temps de parole. Monsieur Lenoir, je vous ai laissé aller au bout de votre raisonnement, qui était très intéressant,…
M. Jean-Claude Lenoir. Merci, monsieur le président !
M. le président. … mais je serai dorénavant plus intransigeant.
La parole est à M. Christophe Béchu.
M. Christophe Béchu. Si je comprends bien, monsieur le président, j’inaugure le cycle de votre intransigeance ! Je vais donc essayer de m’y soumettre d’avance. (Sourires.)
Je ne tiens d’ailleurs pas rigueur à mon collègue Jean-Claude Lenoir d’avoir quelque peu dépassé son temps de parole, car il a, ce faisant, servi une partie de mes arguments. C’est une raison de plus de ne pas prolonger mon intervention.
Madame la garde des sceaux, je tiens d’abord à vous dire que je n’ai aucun doute sur la sincérité avec laquelle vous défendez ce texte, pas plus que sur l’intensité de vos convictions et de vos valeurs. Je ne doute pas non plus que vous ayez la certitude de faire œuvre utile en présentant ce texte, ainsi que vous l’avez dit avant que la séance soit suspendue.
Mais croyez bien que je m’exprime dans cet hémicycle avec la même intensité dans les convictions et les valeurs, et avec le même sentiment de faire œuvre utile en m’opposant à ce projet de loi.
Nous avons effleuré, ce matin, un certain nombre d’arguments. Je concentrerai mon intervention, non sur l’adoption internationale ou sur la question de l’inconstitutionnalité, mais sur le sujet qui nous occupe à présent : la motion référendaire.
Vous nous dites en substance qu’il ne serait pas possible de recourir au référendum pour trois raisons.
Selon la première, ce référendum serait impossible juridiquement. Cela a été démontré, le lien entre le social et le sociétal est extrêmement étroit. Or ce texte concerne d’abord les familles. Je ne crois donc absolument pas à cette objection.
La deuxième raison, c'est que nous devons faire notre travail de parlementaire. Pour ma part, et comme beaucoup de mes collègues, quelle que soit leur appartenance politique, j'appréhende ma fonction avec beaucoup d'humilité. Aussi, je considère que, sur certains sujets, il n'est pas illogique que ce soient les citoyens qui aient leur mot à dire : après tout, s'il s'agit bien du mariage pour tous, ce doit être l'affaire de tous et chacun doit pouvoir s’exprimer de manière directe.
La troisième raison, c'est que le référendum aurait en quelque sorte eu lieu le 6 mai dernier.
M. Bruno Retailleau. Alors, là !
M. Christophe Béchu. Voilà un argument que je ne peux entendre !
M. Bruno Retailleau. Nous non plus !
Mme Catherine Troendle. Bien sûr !
M. Christophe Béchu. Si l’on envisage les choses de cette manière, force est de constater que nombre de décisions qui ont été prises depuis le 6 mai ne faisaient pas partie de la plate-forme sur la base de laquelle les Français ont élu le Président de la République. Avait-il annoncé qu'il augmenterait la TVA ou qu'il envisageait un allongement de la durée des cotisations ? (Non ! sur les travées de l'UMP.)
Sur ce point, je me sens assez proche du Front de gauche, qui considère qu'il y a un manquement à une parole. C’est pourquoi j’ai du mal à comprendre que l'on invoque cet argument pour justifier que cet engagement, et celui-là seul, doit être en quelque sorte « sanctuarisé », alors que tant d'autres ont fait l'objet de reniements ou d'ajustements et que la réaction de la population ou des corps sociaux est si vive.
Madame la garde des sceaux, vous avez cité ce matin cette phrase d’Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
J'ai sincèrement le sentiment que vous rusez avec nos principes, sur la forme et sur le fond.
Sur la forme, vous refusez sur un sujet aussi important de laisser la parole au peuple.
Sur le fond, surtout, vous donnez à ce mot « égalité » un sens qu’il n’a ni en principe ni en droit : l'égalité n'a jamais consisté, à aucun moment de notre histoire juridique, à traiter tout le monde de la même façon ; elle consiste à traiter de façon identique ceux qui sont dans des situations identiques.
M. Christophe Béchu. De fait, cet argument ne tient pas.
Par-dessus tout, qu’y a-t-il de plus important que de se préoccuper des plus fragiles, au premier rang desquels se trouvent les enfants ? N’est-ce pas le premier des principes ? N’est-ce pas le premier rôle du législateur et des politiques ? C’est en ce sens que je considère qu'il y a là ruse avec nos principes.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Christophe Béchu. Madame la garde des sceaux, je ne parle pas des enfants qui sont déjà là, pas plus que de la circulaire que vous avez prise pour reconnaître qu’il y avait des situations de fait et des réalités humaines qui, loin des abstractions juridiques, nous obligeaient à faire un geste, dans un souci de protection.
Je parle des conséquences de ce texte. En effet, au nom de la même argumentation spécieuse sur l'égalité, on nous expliquera demain que la PMA et la GPA sont obligatoires. Je rends d’ailleurs hommage à votre absence totale d'hypocrisie sur ce point puisque vous reconnaissez que l'égalité doit conduire à aller jusque-là. Mais c’est nous entraîner vers des effets dominos et nous amener sur des terrains éthiques que nous n'avons pas balisés. Cela ne pourra qu’avoir des conséquences très problématiques pour les plus faibles, ceux-là même que nous devons protéger, ces enfants qui seront conçus avec d'autres méthodes.
Voilà pourquoi je considère que la motion référendaire doit être approuvée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Philippe Darniche applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en qualité d'Alsacien, je ne peux pas ne pas rebondir sur la référence de Bruno Retailleau au référendum auquel sont conviés les Alsaciens dimanche prochain. Comme vous le savez tous maintenant, les médias nationaux s'étant enfin emparés du sujet, le 7 avril, les Alsaciens sont amenés à se prononcer sur la fusion du conseil régional d'Alsace et des conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. André Reichardt. Certes, nous sommes là très loin du mariage homosexuel et, subséquemment, de la filiation. Pourtant, permettez-moi, en tant qu'acteur engagé dans la campagne référendaire actuelle – et une campagne référendaire n'est pas très fréquente –, de formuler trois observations.
Premièrement, j'entends témoigner ici de la soif qu'ont nos concitoyens de débattre des sujets qui les préoccupent. Je m’appuie sur l’exemple des Alsaciens, mais je suis sûr que c’est le cas de tous les Français.
Dans le sillage de Philippe Richert, qui porte ce dossier, je parcours, matin, midi et soir – quand je ne suis pas au Sénat ou dans d'autres instances –, l'Alsace du nord au sud. J’ai ainsi participé à un grand nombre de réunions publiques : près de 150 ont été organisées depuis plusieurs mois.
Je peux attester que le référendum est une opportunité extraordinaire de débattre sur le fond du dossier avec nos concitoyens.
Soir après soir, réunion après réunion, nous échangeons nos arguments, nous complétons nos informations respectives, nous nous accordons – j’insiste là-dessus – sur les éléments du dossier au fond. La fusion des trois collectivités alsaciennes est complexe. Quand on les interroge sur cette mesure, les Alsaciens commencent par nous demander ce que sont un conseil général et un conseil régional. Le dialogue est donc absolument nécessaire : plus le dossier est complexe, plus il est important de parler le même langage pour décider ensemble.
À propos du présent projet de loi, on ne cesse de brandir ces chiffres : 53 % des Français semblent favorables au mariage de personnes du même sexe, mais 56 % d’entre eux sont défavorables à l'adoption dans ces conditions. Il faut s’assurer que nous parlons bien des mêmes choses. Dans ce dossier autrement plus complexe du mariage homosexuel, complété aujourd'hui par l'adoption et, qu'on le veuille ou non, compte tenu de la récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, complété demain par la PMA et la GPA, nous aurions intérêt, mes chers collègues, à nous accorder sur le fond avant de nous prononcer. Il y va de la bonne compréhension de ce dont nous parlons par nos concitoyens.
Deuxièmement, politique sociale ou politique sociétale, peu importe l'interprétation que l'on a de l'article 11 de la Constitution. Bien que je sois docteur en droit, tout cela me paraît tout à fait secondaire, en tout cas bien loin de nos préoccupations d’aujourd'hui. Le référendum présente à mes yeux un intérêt évident, celui d’apaiser le débat et de rassembler les Français, comme indique vouloir le faire le Président de la République. Pour rassembler les Français, il faut parler de la même chose !
Troisièmement, le référendum nous offre une occasion magnifique de rapprocher les Français des hommes et des femmes politiques, au moment même où nos concitoyens, du fait d'événements récents, s'interrogent. Il ne faut pas la laisser passer !
Mardi et mercredi derniers, j'ai passé deux soirées extrêmement difficiles. Chaque fois que les élus prenaient la parole, jaillissaient de la salle des sarcasmes, alors que nous ne sommes en rien concernés par la récente affaire sur laquelle je ne veux pas revenir.
Dès lors, je crois qu'il est essentiel que nous proposions résolument au Président de la République de soumettre ce projet de loi au référendum. J'ai cosigné cette motion référendaire. Ce que j’observe autour de moi depuis quelque temps m'incite à la défendre bec et ongles.
Mes chers collègues, j'espère vous avoir convaincus de voter, tous ensemble, massivement, cette motion référendaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Yves Daudigny. Nous ne sommes pas convaincus !
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comme l’atteste la mobilisation grandissante de nos concitoyens, qu’ils soient jeunes ou âgés, religieux ou laïcs, français de souche ou d’origine immigrée, de droite ou de gauche, homosexuels ou hétérosexuels, ouvrir le mariage aux personnes de même sexe va bien au-delà de nos logiques partisanes.
Récemment, le Président de la République déclarait : « En ce moment, il y a une radicalité, une montée des excès, une violence dans la rue. » Nos concitoyens manifestent dans la rue, à Paris, dans nos départements. Ils nous écrivent abondamment pour protester contre ce projet de loi. Oui, cher Jean-Pierre Sueur, le nombre de courriers que nous avons reçus dans le Loiret est considérable, et même des maires que vous connaissez aussi bien que moi sont révoltés par ce qui se passe actuellement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je leur réponds !
M. Jean-Noël Cardoux. Devons-nous plus longtemps rester sourds à leurs demandes ? Pouvons-nous abandonner ce débat à une minorité et admettre qu’une association comme LGBT, Lesbiennes, gays, bi et trans en France, qui compte 2 000 adhérents, puisse imposer un choix de société qui concerne 65 millions de Français ? Non, sauf à considérer, comme le rapporteur Jean-Pierre Michel, que le fondement du « juste », c’est le « rapport de force », selon « le point de vue marxiste de la loi ». Cette citation m’en rappelle une autre, de sinistre mémoire : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires. » (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Ce n’est ni ma conception ni celle de la loi républicaine : la loi est l’expression de la volonté générale, non celle de l’envie de quelques-uns. Il ne peut en être autrement si le Président de la République considère que son mandat doit « permettre le rassemblement du pays, l’apaisement de la France », comme il le rappelait lors de ses vœux à la jeunesse.
Mes chers collègues, saisissez cet outil proposé par Bruno Retailleau : cette motion référendaire vient servir la volonté de dialogue social tout à fait légitime et si chère à la majorité. En effet, « le dialogue [...] n’est pas un obstacle sur le chemin des décisions, il permet de les prendre librement, de les assumer pleinement et surtout de les appliquer efficacement. [Le dialogue] doit être un processus constant et cohérent. » C’est le Président de la République lui-même qui a tenu ces propos au mois de juin dernier devant les membres du Conseil économique, social et environnemental en annonçant la conférence sociale.
Pourquoi le dialogue ne concernerait-il que les salariés et les entreprises, et pas les familles ? En quoi ces dernières ne sont-elles pas légitimes pour être entendues ? Parce qu’elles seraient « sociétales » et non « sociales » ? Je ne reviendrai pas sur le débat qui a été lancé. Dans ce cas, il faudrait renommer la commission des affaires sociales « commission des affaires sociales et des affaires sociétales », pour que son rapporteur, Michelle Meunier, ait toute sa légitimité à intervenir dans la discussion de ce projet de loi.
Refusez-vous ce référendum parce que vous craignez un rejet majeur de la politique du Gouvernement et de ses façons de faire ? Pensez-vous véritablement que la pression de la rue retombera une fois le texte adopté sans consultation référendaire ?
Je vous rappelle les propos que tenait François Hollande en 2006 sur le CPE, le contrat première embauche : « Quand il y a des milliers et des milliers de citoyens, jeunes ou moins jeunes, [...] aussi mobilisés, à quoi sert d’attendre la prochaine manifestation ? [...] Il suffirait d’un mot, un seul, que le pouvoir hésite à prononcer : l’abrogation. C’est un gros mot pour la droite. Mais quand on a fait une erreur, il faut savoir l’effacer. » Si cette motion référendaire est rejetée, j’espère que l’abrogation ne deviendra pas un gros mot pour la gauche...
Ce débat dépasse largement les frontières des partis politiques. Or il est à craindre que plusieurs parlementaires de la majorité, tel Janus, ne puissent exercer leur liberté de conscience et exprimer par leur vote leur opposition au texte, du fait du règlement intérieur du parti socialiste. Vous avez constaté qu’à l'UMP la liberté de parole et de choix est de rigueur, comme l'a souligné Alain Milon hier. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
La colère de la rue et les pressions multiples sont une chose, la liberté de conscience en est une autre. Elle est l’honneur du Parlement. Aussi est-ce à cette liberté que j’en appelle. Je n’imagine pas que votre vote puisse être motivé par d’autres raisons que par le bien commun et l’intérêt national.
Peut-on imaginer qu'une personne sans racine puisse se développer sainement ?
Depuis la nuit des temps et dans toutes les sociétés, le mariage d’un homme et d’une femme a été le socle pour bâtir la cohésion des nations. Nul ne pouvait imaginer la conception d’un enfant en dehors de ce couple. Aujourd’hui, on nous propose de libérer l’homme de sa condition naturelle par la culture et par la technique.
« Chassez le naturel, il reviendra. » Ainsi, plus le droit de la famille s’est fragilisé, plus les recours en expertise génétique se sont développés pour établir les liens de filiation. Alors que se profile le passage d’une filiation intrinsèque à une filiation octroyée par la volonté d’adultes, tout le monde s’accorde à revendiquer la levée du secret des origines.
Mes chers collègues, au nom du bénéfice que la majorité d’entre nous a connu d’avoir ses géniteurs comme parents, je vous invite à faire le choix le meilleur pour l’enfant. Au-delà de tout calcul politicien, nous devons sans cesse nous poser la question : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? C’est pourquoi je soutiendrai la motion défendue par Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, pour moi, le peuple français doit se prononcer. Je voudrais en effet vous rendre attentifs au fait que personne, dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, ne peut affirmer qu’il a reçu un mandat de ses électeurs pour décider de ce sujet du mariage pour tous.
Nous sommes, les uns et les autres, élus sur les positions politiques, économiques et sociales que nous défendons à propos, notamment, de la gouvernance et des compétences des collectivités. Mais aucun de nos électeurs n’a eu, au moment de notre élection, connaissance de notre position sur le mariage pour tous. Prenez n’importe quel département et écrivez à tous les maires pour leur demander s’ils nous ont vraiment mandatés pour voter dans un sens ou dans l’autre sur ce sujet !
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y a, dans chaque camp politique, des positions différentes, voire opposées.
Aussi, donner la parole au peuple, qui la réclame très largement, serait tout simplement juste et prudent.
Vous n’ignorez pas qu’une vraie réforme de société ne peut qu’avoir été pensée, réfléchie, mais surtout conçue de manière consensuelle.
Disant cela, nous ne démissionnons nullement de notre fonction de législateur. Car, si le peuple dit oui, il nous faudra encore légiférer, et nous serons alors pleinement dans notre rôle.
Enfin, chers collègues de la majorité, vous ne pouvez pas vous fonder exclusivement sur l’engagement électoral de François Hollande pour défendre le mariage pour tous. En effet, le texte va bien au-delà du contenu de cet engagement. Si ce texte n’avait prévu que l’union des couples homosexuels, je vous le dis franchement, il y aurait eu une très large majorité pour le soutenir.
Le problème, c’est que vous êtes allés trop loin. Vous avez tout mélangé, le mariage, l’adoption et la filiation, de surcroît avec une très grande hypocrisie. En effet, vous ne le dites pas, mais vous êtes en train de mettre en place, dès ce texte, la PMA et la GPA. (Bien sûr que non ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)
N’ayez pas peur du peuple, mes chers collègues ! D’ailleurs, il ne vous pardonnera pas de l’avoir ainsi évincé et vous le rappellera longtemps !
Ce n’est pas une simple motion de procédure que nous défendons. L’affaire est bien plus grave. Croyez-moi, le peuple vous rappellera que vous n’avez pas voulu lui donner la parole sur cette affaire extrêmement importante !
Oui, aujourd’hui, le peuple français doit pouvoir se prononcer !
J’ai cosigné cette motion référendaire, je la soutiens et je la voterai ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne, Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. François Pillet.
M. François Pillet. Mes chers collègues, mon intervention se situe dans la droite ligne de la précédente.
Dans leur esprit comme dans leur lettre, les institutions républicaines qui organisent la représentation du peuple ne prévoient jamais la délégation définitive de toute sa souveraineté, comme en témoigne l’article 3 de la Constitution.
En tant que parlementaires, nous avons le droit et le devoir de voter la loi, qu’elle soit ordinaire ou fondamentale. Mais, dès lors que nous touchons à la Constitution, notre mandat, du fait de la majorité spécifique qui est exigée, est forcément limité.
Madame la garde des sceaux, dans tous les débats, vous avez expressément confirmé que vous engagiez, à travers ce texte et tout ce qu’il induit, un changement de civilisation. En introduisant cette notion dans les débats, voire dans l’exposé des motifs du texte lui-même, vous l’avez ainsi, de fait, placé sous l’empire de l’article 11 de la Constitution.
Au-delà, qui peut aujourd’hui affirmer dans cet hémicycle, en conscience, qu’il a reçu mandat de changer de civilisation, alors que notre action s’inscrit nécessairement dans un moment éphémère de l’Histoire ? Pour ma part, cela ne fait aucun doute, je n’ai pas reçu un tel mandat.
Si l’un d’entre vous me dit que je me trompe et que j’ai juridiquement reçu un tel mandat, je lui répondrai que, moralement, il est des hypothèses où un mandataire doit revenir vérifier auprès de son mandant l’étendue de son mandat. Tel est bien le cas aujourd’hui : nous devons réécouter la voix du peuple ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’objet de mon intervention est de soutenir la motion référendaire qui doit conduire à soumettre au référendum le projet en discussion, particulièrement parce qu’il prévoit d’ouvrir l’adoption aux couples de même sexe.
L’outil du référendum est un outil qu’il faut savoir utiliser avec parcimonie, et c’est justement parce que cet outil est utilisé avec mesure qu’il devient un juge de paix.
Oui, le référendum est un juge de paix. Le référendum n’est pas un outil de division ; il permet, lorsque la passion l’emporte sur les facultés de discernement de chacun d’entre nous, de poser avec calme et méthode les enjeux profonds d’une décision ou d’une politique publique.
Face à la gravité que revêt cette décision d’avoir recours directement à la sagesse populaire, les anathèmes, les insultes, les jugements de valeur s’effacent pour laisser la place à la solitude de chacun. En effet, une fois dans l’isoloir, face à sa propre vérité, ses opinions, ses croyances, ses doutes, avec les capacités réflexives qui lui sont propres, chacun de nos concitoyens, au regard de la gravité de la mission qui lui est confiée, engage un dialogue avec lui-même.
Parfois des certitudes se dégagent, parfois ce sont des incertitudes qui jaillissent. Mais, quoi qu’il advienne, l’utilisation du référendum permet à chacun d’envisager la question d’une manière profondément nouvelle.
Dans cet instant démocratique, où il est demandé à chacun d’utiliser son libre arbitre, chacun envisage la question sous un angle nouveau, débarrassé du jugement de valeur de ses contemporains, et parfois aussi de la pression sociale familiale, amicale ou professionnelle qu’il peut subir. Chacun est alors débarrassé des pressions politiques, dégagé des intérêts particuliers. Dans l’isoloir, il n’y a plus de postures qui tiennent et je ne suis pas sûr que, dans ces conditions, mes chers collègues, nous votions tous de la même manière que dans l’hémicycle. (MM. Jackie Pierre et François Pillet applaudissent.)
L’isoloir, ce n’est pas le Parlement, ce n’est pas un plateau de télévision, ce n’est pas un café du commerce ! Bien évidemment, en entrant dans l’isoloir, de nouvelles interrogations jaillissent, des interrogations plus personnelles. On se demande alors si les points de vue que l’on considérait comme rétrogrades n’étaient pas l’expression d’une inquiétude légitime. À l’inverse, on se demande avec la même force si le vote défavorable qu’on était sur le point d’exprimer à l’égard du mariage pour tous n’est pas une atteinte aux droits de ses voisins, un couple de même sexe.
Le référendum est donc un outil profondément singulier, un outil qu’il nous faut savoir utiliser, comme d’ailleurs le général de Gaulle a su l’utiliser à cinq reprises – et je ne crois pas que cela lui ait été reproché.
Alors, je le répète, le référendum sera le juge de paix de ce débat : la vérité qui sortira des urnes aura permis à chacun de pouvoir s’exprimer, de se sentir écouté, d’être un élément du débat démocratique.
On dirait, chers collègues de gauche, que vous en redoutez le résultat.
Chacun, quelle que soit son opinion, quel que soit son vote, sera amené à rencontrer ses contemporains ; chacun pourra alors discuter de sa position ; chacun pourra alors se confronter à l’autre.
Ce référendum permettra de réconcilier les Français avec la politique, de réconcilier les Français avec le débat public, de réconcilier les Français avec leurs contemporains qui ont un point de vue opposé.
Avec le référendum, nous mettrons fin aux agitations que connaît notre pays, nous mettrons fin aux prêches de ces sociologues officiels qui nous disent que le débat n’a pas lieu d’être. Nous mettrons fin aux batailles de chiffres et de pourcentages de ceux qui sont pour et de ceux qui sont contre, aux querelles sur le nombre de manifestants – 300 000 ? 1,4 million ? Nous mettrons fin aux tirades de ces leaders d’opinion sur la réalité politique de la France, qui estiment savoir mieux que quiconque ce que pensent les Français.
Mes chers collègues, sur un sujet si important, revenons aux fondements de la Ve République, revenons au référendum ! Voilà pourquoi je voterai cette motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout au long des débats, la majorité et le Gouvernement ont tenté de faire croire que le clivage pertinent dans ce débat consistait à dire qui était moderne et qui ne l’était pas, qui était progressiste et qui ne l’était pas, qui était homophobe et qui ne l’était pas ! Or il suffit à chacun de lire les comptes rendus des séances à l’Assemblée nationale et au Sénat pour comprendre que les oppositions sont beaucoup plus subtiles, qu’elles existent au sein même des différentes institutions, des différentes options philosophiques ou religieuses.
J’ai, moi aussi, bien sûr, mon opinion sur cette question, mais je regrette la manière dont est conçu le débat sur un sujet si important. Alors que le Gouvernement se fait un devoir de relayer l’opinion d’une minorité, il s’obstine à ne pas vouloir écouter nos nombreux concitoyens qui défilent au cœur de Paris !
C’est pour cette raison que je crois qu’il faut, sur ce point, rendre la parole aux Français ! C’est l’objet de cette motion référendaire.
Il est important de redonner la parole à nos concitoyens pour que, à la lumière des discussions que nous avons eues ici et au Palais-Bourbon, ils puissent enfin s’exprimer sur cette réforme.
Je comprends bien que vous craigniez cette confrontation, car vous n’avez eu de cesse, dès le départ, d’en dissimuler les conséquences, en termes de filiation, de fragilisation de la présomption de paternité, d’élargissement de la PMA ou de recours à la GPA, autant de conséquences directes du droit à l’enfant, au nom de l’égalité !
Vous avez également tenté de leur faire croire que ce texte ne concernait que les couples de personnes de même sexe ! Mais ils ne sont pas dupes et ils demandent déjà des comptes par milliers ! Quels arguments oserez-vous leur opposer ?
Il est normal que le débat se joue désormais sur la place publique, comme nous l’avions souhaité dès le départ sur les recommandations de l’Académie des sciences morales et politiques. C’est tout à fait normal, alors que le texte soulève des questions morales, des questions politiques, des questions philosophiques et des questions de bioéthique !
C’est pourquoi, aujourd’hui, plus d’un million de Français vous montrent leur exaspération ! Mais à ces Français vous répondez malheureusement par le mépris et l’indifférence ! Vous qui dénoncez les remarques parfois très maladroites sur les homosexuels, je me demande comment vous avez reçu celle qui visait « les serre-tête et les jupes plissées » ?
Si nous demandons un référendum, c’est avant tout pour rouvrir le débat sur des bouleversements importants que vous avez dissimulés aux Français, afin de donner de la hauteur et de la solennité à un débat que vous avez voulu petit et court !
Ce référendum obligera le Gouvernement à la clarté ; il permettra de sortir des affrontements stériles et de dégager un consensus. C’est d’ailleurs le rôle d’un gouvernement que de rassembler les Français.
Je ne comprends d’ailleurs pas très bien pourquoi vous vous refusez la facilité du référendum, alors que tous les sondages que vous avez commandés afficheraient, semble-t-il, une acceptation majoritaire de cette réforme. Ce serait pourtant une aubaine pour vous que de pouvoir balayer toutes les oppositions en une seule procédure !
Certes, il faut du courage politique… Mais enfin, où est passé votre sens du dialogue social ?
Peut-être craignez-vous que la majorité de nos concitoyens ne pensent que ce texte marque un changement historique dans l’institution de la famille et du mariage, en mettant en place une société dégorgeant de droits : droit à l’amour, droit à l’enfant, droit à la parenté…
Quoi qu’il en soit, je crois qu’il est important que les Français puissent exprimer la souveraineté qu’ils détiennent en vertu de l’article 3 de la Constitution, qui dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Or, puisque les débats, tels qu’ils se déroulent, empêchent le consensus, je crois fermement qu’il est important que nous ayons recours au référendum sur ces questions qui engagent le destin de la Nation
Aussi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion référendaire pour que les millions de Français qui ont montré leur opposition puissent s’exprimer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, comme d’autres, j’ai le sentiment que ce débat arrive à un mauvais moment, et qu’il s’inscrit même à contretemps si l’on considère la situation de notre pays et du continent européen.
Certes, vous n’y êtes pour rien, chers collègues de la majorité, mais le fait est que nous travaillons aujourd’hui avec ce paysage en toile de fond.
Je ferai une première remarque sur la manière assez différente dont vous avez appréhendé le débat sur le mariage « pour tous » et le débat sur la fin de vie. J’aurais préféré que vous adoptiez la méthode qui a prévalu s’agissant de ce dernier sujet, sur lequel vous avez souhaité qu’une réflexion menée par différents experts permette d’éclairer les assemblées avant qu’elles se prononcent.
Puisqu’il s’agit, pour ma part, de défendre avec détermination et fermeté la motion référendaire, je voudrais, madame le garde des sceaux, vous faire part de mon étonnement lorsque je vous ai, ce matin, entendu utiliser le mot « ruse » à propos de ce que vous appelez un « projet de civilisation ».
Croyez-moi, croyez beaucoup de Françaises et de Français, il ne se trouve, derrière les positions que nous défendons, ni ruse ni malice, mais une simple volonté – volonté légitime – de participer au débat démocratique et d’exprimer, en responsabilité et en conscience, nos convictions quand bien même elles seraient différentes des vôtres.
De grâce, n’opposez pas, n’opposez plus les « modernes » à ceux qui seraient « archaïques », les forces de « progrès » à différents « conservatismes », voire, comme vous l’avez plusieurs fois dit dans le passé, l’« ombre » à la « lumière ». Le débat, comme l’ont démontré les interventions des uns et des autres hier et ce matin, vaut bien mieux.
Puisque vous défendez le mariage dit « pour tous », autorisez aussi, autorisez d’abord l’expression de chacune et chacun d’entre nous.
Je vous pose la question : qu’avez-vous à craindre si vous acceptez cette motion référendaire ? Par définition, les uns et les autres l’ont rappelé, le peuple de France, lorsqu’il s’exprime démocratiquement, a toujours raison : c’est même la base de la démocratie.
Certains d’entre vous sont d’ailleurs allés beaucoup plus loin dans cette démarche. Je m’étonne de ne plus beaucoup entendre parler de démocratie dite « participative ». (M. Jackie Pierre applaudit.)
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. Parce que vous y croyiez, vous ? (Sourires.)
M. Jean-Michel Baylet. Un peu de sérieux ! Vous l’avez assez brocardée !
M. Jean-François Husson. Que dire du peu de considération du Gouvernement et du chef de l’État à l’égard de celles et ceux de nos concitoyens, militants du monde associatif, qui ont exprimé leur différence ? Ils ont trouvé bien peu de temps pour recevoir ces personnes qui représentent une part du peuple de France. Ne croyez-vous pas qu’ils méritaient davantage qu’une petite demi-heure alors qu’ils ont su organiser à Paris des manifestations pacifiques, sereines, dignes ?
En ce qui concerne la deuxième d’entre elles, permettez-moi de dire que je goûte peu la manière dont vous avez parqué, avenue de la Grande-Armée, des Français qui, simplement, voulaient exprimer une différence. (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Christian Cambon. Mais oui !
M. Jean-François Husson. Quand on ne peut défiler, on fait du surplace. C’est comme ça !
Je vous demande simplement et sereinement, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, de faire confiance aux Françaises et aux Français, à leur sagesse. Croyez-moi, l’expression du peuple vaut mieux que tous les sondages. Et, à mon tour, je me permets de vous dire : n’ayez pas peur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Philippe Darniche applaudit également.)
M. Jean-Pierre Caffet. Amen !
M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre.
M. Jackie Pierre. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous le savons tous, notre Constitution dispose, en son article 3, que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Le général de Gaulle, dont vous conviendrez avec moi qu’il n’est pas vraiment étranger à l’instauration de cette procédure, disait d’ailleurs ceci : « Le référendum, enfin, institué comme le premier et le dernier acte de l’œuvre constitutionnelle m’offrirait la possibilité de saisir le peuple français et procurerait à celui-ci la faculté de me donner raison, ou tort, sur un sujet dont son destin allait dépendre pendant des générations. »
Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, je crois justement que le destin des Français est engagé de génération en génération. Voilà pourquoi nous présentons cette motion, dont l’objet vise à redonner la parole à nos concitoyens alors qu’ils en ont été privés depuis le début de ces discussions.
Si vous avez choisi de faire taire les Français, de les empêcher d’exprimer leur opinion, c’est pour deux raisons, également illégitimes.
Vous avez tout d’abord tenté de nous faire croire que la majorité des Français n’était pas intéressée par la présente réforme. Je relève d’ailleurs une singulière contradiction de votre part puisque, d’un côté, vous considériez que ce texte était d’intérêt général, qu’il faisait progresser la France sur le chemin de l’égalité totale des droits et que, d’un autre côté, vous ne jugiez pas utile de dialoguer avec toutes les familles de France... C’est assez étrange, vous en conviendrez.
Ensuite, alors que les débats révélaient l’envergure des bouleversements induits par cette réforme dans l’institution de la famille et du mariage, dans notre droit de la filiation et dans les orientations prises jusque-là en matière de bioéthique, vous coupez court à vos tergiversations en vous radicalisant.
Le Président de la République a décidé de s’enfermer à l’Élysée sans écouter les Français ; le Gouvernement monopolise le débat à l’Assemblée ; certains parlementaires méprisent les opposants au projet. Mais que va devenir la France ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.
M. Pierre Bordier. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec l’adoption du mariage pour tous, nous entrerions dans une nouvelle phase de l’organisation humaine et sociale des Français. Par cette réforme, le Gouvernement et la majorité engagent donc l’avenir de chacun de nos concitoyens.
C’est parce que les générations futures sont ainsi concernées sur le long terme que nous estimons important que le peuple français soit consulté. Comment apaiser les craintes de chacun, faire taire les dissensions, consacrer ce changement avec force, si ce n’est par la voie du référendum ?
Sur toutes les travées de cet hémicycle, se trouvent des soutiens et des opposants à ce projet. Depuis plusieurs mois, on s’assomme à grands coups d’arguments, mais personne n’écoute vraiment personne. Nous assistons à une guerre de tranchées !
Dans ce contexte, il reviendrait normalement au Gouvernement et à la majorité de prendre une initiative forte. Ce sont eux, alors qu’ils détiennent tous les pouvoirs, qui devraient assumer les responsabilités d’une réforme qu’ils veulent ambitieuse ! Visiblement, les uns et les autres ne semblent pas décidés. Nous prenons donc l’initiative de vous proposer cette motion référendaire, afin que les Français puissent s’exprimer sur le sujet.
Cette solution est la seule qui, aujourd’hui, permettrait de sortir de cette crise politique par le haut. Plus que de l’humilité, c’est du courage qu’il faut au Gouvernement pour affronter le suffrage populaire !
Vous nous dites que cette réforme traduit un engagement électoral de François Hollande. Mais devant qui s’est-il engagé ? Devant les Français ! Il est donc temps, en vérité, qu’il ait le courage de se porter devant eux pour leur donner la parole ! Qu’a-t-il à craindre ? Un désaveu vaudrait mieux qu’une faute morale !
C’est beaucoup que de réorganiser nos structures sociales conçues autour de la famille, que de vouloir remettre en cause la présomption de paternité qui a jusque-là permis qu’une généalogie lisible puisse s’établir entre les membres d’une même famille.
C’est beaucoup que de consacrer aux parents un droit à l’enfant, ou un droit à la parenté, c’est-à-dire faire en sorte qu’un enfant trouve comme réponse à un questionnement existentiel une existence fictive et naturellement impossible.
C’est beaucoup, enfin, que de considérer que les êtres humains seront régulés selon les règles classiques qui organisent les marchés de matériels et de capitaux. Je n’invente rien, puisque certains comparent désormais le ventre des femmes au bras des ouvriers !
M. Christian Cambon. Pierre Bergé !
Mme Catherine Procaccia et M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Pierre Bordier. Il existe une alternative à ce projet auquel nous nous opposons.
Soucieux que les pouvoirs publics prennent en considération les évolutions humaines et sociales dont ils doivent organiser les rapports, nous proposions qu’une union civile vienne accorder aux uns et aux autres les mêmes droits patrimoniaux. Un tel dispositif venant s’ajouter à ceux qui existent déjà – je pense à l’adoption testamentaire et à la possession d’état –, nous pensons que cette évolution, nécessaire, serait suffisante.
Si nous voulons accorder une place importante au progrès, nous ne voulons pas pour autant céder à la pagaille ! Sur ces questions sociales majeures, qui concernent l’ensemble des Français, et sur lesquelles chacun peut avoir un avis très tranché, nous ne pouvons pas faire n’importe quoi !
Il faut que chacun puisse, en responsabilité, s’élever au-dessus de son intérêt particulier pour prendre clairement conscience de l’intérêt général de la France.
Le mariage n’est pas un contrat comme les autres. Il a occupé et occupe toujours une place particulière dans notre société. On peut le regretter, mais c’est une réalité. Croit-on vraiment pouvoir se passer des réalités ? Plus qu’une institution pluriséculaire, c’est la nature même qu’il faudrait remettre en cause !
Le mariage doit être préservé parce qu’il a tout son sens dans notre société. Il permet à un homme et une femme de s’engager auprès de leurs enfants. Il permet de créer, entre un père et son enfant, un lien de filiation qui est bien plus difficile à établir que celui, organique, existant entre une mère et son bébé. Il permet de faire reposer sur ce père les responsabilités qui doivent vraisemblablement lui incomber, car il est vraisemblablement le père de son enfant !
Quant aux filiations fictives ou à la procréation assistée, elles ont pour vocation de pallier un accident de la vie : il s’agit soit de donner une famille à un enfant qui s’en trouve privé, soit de permettre à une femme de donner la vie alors qu’elle en est médicalement empêchée. Il ne s’agit pas de permettre une procréation ou une adoption de confort !
Toutefois, malgré cette apparence fictive, toujours nous en revenons à la vraisemblance biologique et à la réunion des éléments naturels : l’homme, la femme, l’enfant.
Je comprends le désarroi des couples de personnes de même sexe que la nature empêche de procréer, mais je refuse d’assumer en mon âme et conscience la tragédie des centaines de milliers d’enfants que l’on privera de leurs origines. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Philippe Darniche applaudit également.)
M. Yves Daudigny. Tout cela n’est-il pas un peu exagéré ?
M. le président. La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je suis profondément convaincu qu’en demandant aux électeurs de décider de l’ouverture ou non du mariage aux couples de même sexe le Parlement accomplirait un devoir démocratique à l’égard des Français.
Jusqu’ici, en effet, ce sont les enquêtes d’opinion qui font office de consultation populaire. Selon les chiffres les plus optimistes 55 % à 60 % des Français sondés sont favorables au mariage de couples de même sexe. Dans le même temps, ils sont toutefois 56 % à être défavorables à l’adoption par ces mêmes couples.
Or le mariage, madame la garde des sceaux, vous l’avez affirmé hier, emporte ipso facto l’adoption.
M. Charles Revet. Et au-delà !
M. Michel Magras. Ces enquêtes montrent la contradiction qui existe dans l’opinion : bien que le mariage soit lié à l’adoption, les Français sondés veulent bien du premier, mais non de la seconde.
Ces deux chiffres soulèvent une question : le débat a-t-il été suffisant pour que le lien entre mariage et adoption soit parfaitement perçu ? II faut croire que non !
De même, la présence de ces 1 400 000 Français dans les rues de Paris, le 24 mars dernier, témoigne d’une demande d’expression.
Certes, l’article 11 de la Constitution ne prévoit pas expressément qu’un référendum puisse être organisé sur une question sociétale. Cependant, de par leur caractère systémique, les questions sociétales englobent plusieurs domaines, y compris la politique sociale visée par le même article 11.
Je vous ai tous écoutés, mes chers collègues. De manière unanime, vous reconnaissez qu’il s’agit d’un profond changement de société. J’irai personnellement plus loin : ce projet est une véritable révolution copernicienne, qui ne devrait pas être adoptée alors que subsiste, dans la société, le doute que révèlent les chiffres que je viens de citer.
Pour ces raisons, un référendum ne semble pas anticonstitutionnel et encore moins antidémocratique. Je ne doute pas que nous soyons tous, dans cet hémicycle, profondément respectueux de la Constitution et unanimement attachés à la démocratie, même si nos opinions divergent sur de nombreuses questions.
L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe était une des propositions du programme de celui qui a été élu Président de la République. Pour autant, la Constitution ne dit pas que l’élection présidentielle soit incompatible avec le référendum ni que cette dernière vaille référendum. Et surtout, on ne peut que se réjouir de la vivacité de la démocratie chaque fois que l’on donne la parole aux électeurs.
C’est d’ailleurs ce que réclament ceux qui, nombreux, ont manifesté le 24 mars dernier. Le débat a été diffus ces dernières années, depuis le PACS. Il serait exagéré de considérer que la campagne présidentielle a été l’occasion d’un véritable débat.
De plus, si les Français avaient approuvé le mariage des couples de même sexe à travers l’élection présidentielle, la tenue d’un référendum ne viendrait alors que confirmer l’adhésion d’une majorité d’entre eux à cette réforme.
L’organisation d’un référendum aurait également le mérite de permettre à ceux qui n’y sont pas favorables de s’exprimer autrement que dans la rue, autrement que par les centaines de courriels que nous recevons depuis plusieurs semaines, et d’ouvrir enfin un débat. La démocratie doit permettre à tous de s’exprimer. Pouvons-nous transiger sur ce principe ?
La suspicion d’homophobie a largement occulté le sujet de fond et a cristallisé les récents débats. Ainsi, ceux qui n’étaient pas favorables à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ou défavorables à l’adoption, ont été autant, voire davantage contraints de se défendre de toute forme d’homophobie que d’expliquer en quoi ils étaient attachés à la famille, à un repère culturel fort.
En réalité, c’est là que se situe l’enjeu du mariage. C’est bien pour cela que la Cour européenne des droits de l’homme, renvoyant à la souveraineté des États le sujet de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, rappelle que le mariage est profondément enraciné dans la culture de chaque pays.
L’ouverture du mariage aux couples de même sexe n’est pas qu’un changement de « périmètre » ; c’est un projet qui touche à un repère culturel profond et qui nous renvoie, nous, législateurs, à une dimension essentielle de notre fonction.
En effet, si l’on considère que l’ouverture du mariage est inéluctable parce qu’elle correspond à une évolution de la société, cela signifie-t-il que Parlement devient une chambre d’enregistrement des mœurs ? Pourtant, l’une des missions essentielles des législateurs que nous sommes est de définir des limites à la société.
En résumé, ce texte repousse les limites souhaitées par la société car, si les Français sont favorables à l’union des couples de même sexe, ils ne le sont majoritairement que si elle ne s’accompagne pas de l’adoption : seuls 44 % d’entre eux expriment une opinion totalement favorable. Or le projet de loi n’entend pas cette nuance.
Pour cette raison, à titre personnel, je voterai en faveur de la motion référendaire. Je pense, mes chers collègues, que nous ne devrions pas rater l’occasion qui nous est offerte de consulter le peuple français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, cette motion référendaire, nous l’adressons solennellement au Président de la République puisque, tout au long de sa campagne, il a proclamé qu’il garantirait l’unité nationale. C’est à lui qu’il appartient aujourd'hui de rétablir la concorde nationale, que le présent projet de loi met à mal.
Cette demande est légitime. En effet, un bouleversement aussi profond de notre société, de ses symboles et de ses valeurs vaut bien qu’on recueille l’avis du peuple.
À cet égard, ce matin, il était assez cocasse d’entendre notre collègue Jean-Michel Baylet, que je respecte tout à fait par ailleurs, rappeler la force avec laquelle la gauche avait exigé la mise en œuvre d’un référendum au sujet de la réorganisation des bureaux de poste et refuser en même temps un référendum sur une question, sans doute de moindre importance : la place du mariage dans le statut de la famille !
Comme l’a dit Gérard Longuet, vous avez voulu ce débat, madame la garde des sceaux, mais la société française s’en est emparée.
Pour quelque temps encore, nous sommes nombreux à être des élus territoriaux. Or il ne se passe pas de jour sans que nous soyons questionnés, voire mis en cause au sujet de ce texte. Sur le terrain, nos concitoyens nous demandent même l’organisation de débats locaux pour mesurer les conséquences incalculables d’un tel changement. Ne méritent-ils pas de faire entendre leur avis ? N’ont-ils pas le droit, eux aussi, d’exprimer leur approbation ou leur opposition au présent projet de loi, alors même que, élection après élection, nous les voyons bouder les bureaux de vote ? Que craignez-vous, chers collègues de gauche, vous qui, si souvent, en appelez au peuple ?
Puisque les sondages sur le mariage pour tous vous sont, paraît-il, si favorables, en ces temps de disette de popularité, un bon résultat lors d’une consultation de nos concitoyens vous aiderait sûrement… Avez-vous donc peur de la réponse du peuple français ?
Pour contrer cette motion, vous invoquez toutes sortes d’arguments, et au premier chef, bien sûr, les relents d’homophobie que charrierait l’hostilité à ce projet de loi. Mais, mesdames les ministres, aucun membre de cette assemblée, sur quelque travée qu’il siège, n’est homophobe ! Et pas plus que vous, nous n’avons à nous justifier sur ce point ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Vous vous livrez en outre à une sorte d’explication de texte : sociétal n’est pas social, dites-vous. Mais croyez-vous sincèrement que, eu égard aux enjeux de ce débat, la controverse se limite à une telle dialectique ? Et de triturer l’article 11 dans tous les sens pour démontrer que la Constitution va bien dans votre sens ! Or cet article vise les « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ». Cette rédaction n’a-t-elle pas été conçue pour couvrir le plus large spectre de l’action de l’État ?
Par ailleurs, mes chers collègues, méfiez-vous des commentateurs, exégètes de tous poils, et référez-vous plutôt à ceux qui, tel le général de Gaulle en 1962, ont eu recours au référendum afin que le peuple s’exprime, quand les juristes les plus chevronnés parlaient d’un « coup de force » que même l’approbation des urnes ne suffirait pas à absoudre ! Et pourtant, cette réforme n’a-t-elle pas refondé notre propre Constitution par le seul jeu de la légitimation populaire ?
Non, le recours à la sagesse populaire n’est pas toujours la résurgence du populisme, et sûrement pas lorsque des questions fondamentales pour notre société sont posées ! Or, vous le savez, le présent projet de loi divise les Français. Ce n’est pas en usant du moyen dérisoire des faux décomptes des manifestants que vous tarirez les cortèges d’opposants, d’hommes et de femmes de bonne foi qui, constatant qu’on ne les écoute pas, n’ont plus qu’à descendre dans la rue pour se faire entendre.
M. Roland du Luart. Bien au contraire !
M. Christian Cambon. Nous pouvons, nous aussi, vous opposer les analyses extrêmement argumentées de juristes, dont certains ont même manifesté en robe à plusieurs occasions. Des professeurs de droit, tels le professeur Mainguy, le professeur Mathieu, rapportent à l’envi que les sujets relatifs à la famille relèvent du social. Ils rappellent aussi que le préambule de la Constitution de 1946 dispose que la famille bénéficie de la protection sociale.
Le Président de la République et sa majorité peuvent jouer sur les mots, se prêter à des exercices de contorsion intellectuelle, par exemple en invoquant le fait que le mariage pour tous était une promesse électorale de François Hollande et qu’elle a été avalisée par le peuple français avec l’élection de ce dernier. Mettez donc plus d’entrain à concrétiser une autre de ses promesses, bien plus importante : la baisse du chômage ! Cela vous réconciliera sûrement avec les Français, qui doutent qu’elle soit tenue.
M. Roland Courteau. Il faut conclure !
M. Christian Cambon. Nous allons soutenir cette motion référendaire et, mes chers collègues, nous vous invitons à faire de même. Votez-la, que vous soyez favorables ou non au projet de loi, en prenant en compte cet argument qui l’emporte sur tous les autres : au-delà des responsabilités parlementaires qui sont les nôtres, lorsqu’un pilier essentiel de la société est en jeu, la parole du peuple est un fondement de la démocratie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux.
Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, à en croire certains, cette motion référendaire – brillamment défendue par Bruno Retailleau et que j’ai cosignée –, cette demande d’organiser une consultation nationale sur le présent projet de loi, ne serait qu’un artifice.
Permettez-moi de regretter que, dans cette assemblée et ailleurs, on puisse considérer que le recours à la sagesse populaire ne soit qu’un subterfuge. Ainsi, le référendum ne serait qu’un instrument au service de positionnements politiques. À ceux qui le prétendent je veux dire qu’il n’en est rien.
Non, madame la garde des sceaux, ni vous-même ni le Président de la République ne sortiriez affaiblis d’une consultation nationale sur un sujet aussi fondamental pour l’avenir de notre société. Bien au contraire, un vote favorable des Français au mariage pour tous – puisqu’on affirme qu’ils sont majoritairement d’accord – consoliderait le Gouvernement et la majorité. Et si le vote devait se révéler négatif, il servirait autant qu’il desservirait le Gouvernement dans la mesure où chacun lui saurait gré d’avoir eu le courage d’utiliser la voie la plus transparente et la plus démocratique qu’offre notre République.
Je ne crois pas que l’exécutif, la majorité ou l’opposition, certains partis ou certains leaders, puissent tirer leur épingle du jeu en refusant l’utilisation du référendum. De toute façon, quelle que soit la décision du peuple, elle lui appartient, et à lui seul. Dans le contexte de crise économique que nous traversons, toute tentative d’instrumentalisation est vaine.
Faut-il comprendre dans ce refus que le Gouvernement, qui croyait « capitaliser » une certaine bienveillance des Français en déposant ce projet de loi, constate actuellement que son initiative ne lui sera d’aucune aide pour redresser la bien faible estime que lui portent actuellement nos compatriotes ?
M. Roland Courteau. Hors sujet !
Mme Caroline Cayeux. Mais les choses peuvent changer. En tout cas, espérons-le pour la France !
Que personne ne soit dupe dans cet hémicycle : la consultation nationale sur le mariage pour tous ne sanctionnera ni ne récompensera personne. Je fais confiance aux Français qui, dans l’isoloir, voteront en leur âme et conscience, sans se soucier des pressions qui peuvent les entraîner vers un vote qu’ils récusent dans leur for intérieur.
Les Français n’ont qu’une seule revendication : que ce débat ne soit pas confisqué, notamment par des organisations qui se disent représentatives de communautés. Car non seulement ces organisations ne sont pas représentatives, mais surtout elles ne sont pas légitimes puisque les communautés en question n’ont aucunement besoin d’être reconnues par l’État.
Mes chers collègues, ne faisons pas de ces communautés qui n’existent pas les nouveaux corps intermédiaires de la République ! Le champ des possibles de l’homme ne peut être encadré que par la loi, et les législateurs que nous sommes, émanation du peuple, doivent prendre leurs responsabilités.
Posez-vous cette question : que restera-t-il à celui qui n’appartient à aucune de ces communautés ? Comment ferons-nous si, dans quelques années, les seules revendications qui trouvent grâce aux yeux du législateur sont celles qui émanent d’une organisation communautaire ?
Notre démocratie est-elle si malade que, pour nous donner bonne conscience, pour pouvoir ignorer la crise sociale, nous saupoudrons quelques communautés d’avantages non justifiés?
Alors, mes chers collègues, n’ayez pas peur du référendum ! Laissez le peuple s’exprimer ! Donnez-lui la parole et votez avec courage en faveur de la motion référendaire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les fondements de la motion référendaire, que mon collègue Bruno Retailleau a défendue ce matin de façon remarquable, mais je me permettrai de reprendre à mon compte un argument qui a déjà été avancé cet après-midi.
Nous, sénateurs, avons une légitimité que nous tenons des élections. Avouons-le, ceux d’entre nous qui ont été élus ou réélus en 2011 n’ont à aucun moment abordé le sujet du mariage pour tous avec les grands électeurs lors de leur campagne pour les élections sénatoriales. Ils n’ont reçu aucun mandat pour voter pour ou contre le texte que nous examinons.
Depuis, qu’avons-nous fait ? Dans le département de Maine-et-Loire, Christophe Béchu, nos collègues députés et moi-même avons organisé des débats auxquels ont participé des maires de toutes tendances. Ils nous ont dit leur désarroi face à ce texte et à la position qu’ils devraient adopter en leur qualité d’officier d’état civil. Nous avons entendu les représentants d’associations, reçu des familles, des parents d’homosexuels, des homosexuels. Tous nous ont fait part de leur sentiment.
Au fil de la réflexion, il est vrai, nos propres convictions ont pu évoluer. En réalité, nous avons surtout compris que le mariage pour tous était un sujet complexe, sur lequel nous devions nous attarder. Or, mesdames les ministres, le texte que vous nous soumettez est tout ficelé. Certes, ce n’est qu’une première étape. Mais quid de la PMA, de la GPA, dont nous devrons discuter ?
Je pense qu’il faut se tourner vers le peuple. Le Président de la République ne peut ignorer les centaines de milliers de personnes qui ont manifesté. Pour ma part, j’ai participé aux deux grandes manifestations et je crois que vous en minimisez l’importance. Vous n’avez pas perçu la différence entre la première et la seconde. Lors de la seconde, nous avons ressenti l’exaspération de nos concitoyens : non pas une exaspération vis-à-vis de la politique économique du Gouvernement, mais une exaspération devant son incapacité à comprendre qu’il s’agit d’un sujet qui les concerne.
Comment pouvez-vous nous caricaturer, nous ramener, comme l’a fait Manuel Valls lors de la dernière séance de questions d’actualité, à des groupuscules extrémistes ?
M. Michel Vergoz. On les a vus à la télé, quand même !
Mme Catherine Deroche. Ces Français qui manifestaient souhaitent être entendus, pouvoir s’exprimer, voter.
Quel que soit le résultat de la consultation, ils le respecteront, tout comme nous. Nous ne vous demandons qu’une seule chose : laissez la parole à ces Français, qui méritent notre respect. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, par cette intervention, je m’inscris dans une logique d’apaisement entre les Français, celle-là même que j’évoquais hier soir.
Le Gouvernement défend un texte auquel s’oppose la majorité de nos concitoyens.
Je souhaite que, par le biais du vote de la motion référendaire, nous puissions enfin mettre cartes sur table : à la lumière des débats qui ont eu lieu jusqu’à présent, je pense que chacun doit assumer ses responsabilités et regarder en face la vérité démocratique, s’agissant d’un texte dont l’adoption aboutirait à un véritable changement de civilisation, ainsi que vous nous l’avez d’ailleurs dit vous-même, madame le garde des sceaux.
Le débat ne peut être confiné à l’ombre des voûtes du Palais-Bourbon et du Palais du Luxembourg, le peuple, après avoir traversé la France entière pour se faire entendre, trouvant, à son arrivée, les portes de la démocratie fermées !
Sur un sujet aussi important, déterminant pour l’avenir de notre société, nous voyons bien que les clivages historiques se redéfinissent. C’est pourquoi de nouvelles majorités se dessinent, qui ne correspondent plus à celles qui se sont établies lors de l’élection présidentielle et des élections législatives. Moins d’un an plus tard, le Président de la République et son gouvernement voient les choses leur échapper.
J’aime à penser que, lorsque les citoyens que nous représentons se défient de notre action, il ne faut pas les craindre, mais aller vers eux, leur donner toutes les explications souhaitables, faire preuve de pédagogie. Il ne faut pas redouter la colère des autres, même s’ils nous adressent parfois des insultes et si leur exaspération s’exprime souvent en période de crise.
Le Président de la République et sa majorité sont sourds à la réaction inquiète et forte de nos concitoyens. En démocratie, lorsque les représentants fuient le suffrage populaire, ce n’est jamais bon signe... Au lieu de fuir la contradiction, vous devriez la rechercher ! C’est en tout cas, à mes yeux, toute la force de la consultation populaire.
Je crois qu’il devient urgent de soumettre le présent projet de loi à un référendum, en posant une question précise, éliminant toute ambiguïté sur les conséquences de la réforme en tant qu’elle prive les couples hétérosexuels de règles qui se sont imposées comme des évidences depuis plus de 1 000 ans : celles qui portent sur la présomption de paternité, dont la consécration pratique se traduit par la transmission du nom paternel afin d’établir une filiation claire et lisible, mais aussi celles qui ont trait à l’adoption plénière, dont l’objectif est de construire une filiation symbolique assimilable à la nature humaine. Dans cinquante ans, les enfants arrêteront de croire à leur origine comme ils arrêtent aujourd’hui de croire au père Noël ! En vertu des nouvelles règles, le désir d’enfant impliquera inévitablement l’élargissement de la PMA en fonction des convenances personnelles et l’ouverture de la GPA aux couples d’hommes sur le fondement du principe d’égalité.
Chers collègues, sur ces questions essentielles, il faut en appeler à l’arbitrage du peuple par la voie du référendum. Beaucoup essaient de nous faire croire que voter ce texte, c’est prendre le train de l’Histoire, mais je ne crois pas que nous puissions nous élever au rang de juges de l’histoire humaine. Tout ce qui est moderne n’est pas forcément bon ! Et c’est justement notre rôle que d’arbitrer en fonction de l’intérêt général, non de l’intérêt de quelques communautés.
Ainsi, et puisque je suis persuadé que, comme nous, la majorité de nos concitoyens pensent que ce texte marque un changement historique – vous l’avez d'ailleurs souligné, vous aussi – dans l’institution de la famille, en promouvant une société de droits – droit à l’amour, droit à l’enfant, droit à la parenté, etc. – mais dépourvue de devoirs, je crois qu’il est important de redonner la parole aux Français. Tel est le sens de la motion référendaire qu’a présentée Bruno Retailleau et que je vous invite fortement à voter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, quelle est la raison fondamentale de ce projet de loi ? Sommes-nous confrontés à une telle urgence qu’il faille légiférer pour régler des questions patrimoniales qui se posent pour les couples de personnes de même sexe, ou pour qu’un enfant puisse être adopté par le concubin ou la concubine de son père ou de sa mère ? Bien sûr que non !
Certes, des situations juridiques singulières existent, qui ne sont pas sans poser de problèmes à certaines familles, mais le juge peut, à l’aide de l’arsenal législatif existant, répondre de manière positive à la plupart des situations. Ce n’est pas une raison pour ne pas aider les enfants, bien sûr. Cependant, si le seul critère qui vaille est le lien affectif entre les enfants et les parents, faudrait-il également reconnaître la pluriparentalité au motif qu’elle existe déjà et que des enfants sont déjà concernés ? Fût-ce au nom des droits de l’enfant, on ne peut pas tout tolérer !
Quant à la sécurité juridique de l’enfant, rappelons qu’il y a en France des milliers de familles monoparentales et que, malgré les difficultés, les enfants de ces familles ne sont pas placés en situation de carence juridique. Alors soyons précis quand nous parlons de carence ou de silence de la loi à l’égard des enfants : en vérité, ce silence n’existe pas. Le juge peut en effet procéder à un partage de l’autorité parentale qui permet de répondre à la question du statut du concubin dans un couple de personnes de même sexe.
Notre droit est encore plus précis puisque l’article 371-4, alinéa 2, du code civil prévoit que, en cas de séparation des adultes, et lorsqu’il est dans l’intérêt de l’enfant de garder des liens avec un adulte avec lequel il a vécu et noué une relation étroite, le juge peut organiser le maintien de ces liens. Ce maintien n’est pas automatique, mais décidé au cas par cas, dans l’intérêt de l’enfant, car il n’est pas systématiquement dans son intérêt de maintenir des liens avec le ou les adultes ayant partagé la vie de son père ou de sa mère. Pour cette raison, le maintien des liens au cas par cas est sans nul doute le compromis le plus intelligent, et surtout le plus favorable à l’enfant.
Nous venons de le voir, il n’y a aucune raison de légiférer pour répondre à une urgence, puisqu’il n’y a pas d’urgence. Dans la France de 2013, la principale priorité pour la sécurité matérielle de l’enfant, ce n’est pas que le concubin de son père puisse être officiellement reconnu comme étant son père, c’est de pouvoir donner du travail à son père afin que son pouvoir d’achat n’enregistre pas une baisse historique ! C’est bien là la seule urgence, mes chers collègues !
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Roland du Luart. Alors pourquoi légiférer ? À mes yeux, comme à ceux de nombre de mes collègues, vous voulez imposer à la société française dans son ensemble – une société pourtant très diverse, comme vous aimez à le répéter – une vision de l’homme dans la nature, une anthropologie, alors même qu’aucune manifestation de Français ne vous permet de dire que cette vision anthropologique que vous défendez est communément admise. De fait, la seule certitude que vous ayez, c’est que des millions de Français sont en total désaccord avec cette vision.
Oui, c’est vrai, votre démarche part sans doute d’une bonne intention, madame le garde des sceaux : il s’agit d’envoyer un message de bienveillance et de solidarité à l’égard de personnes qui ont trop longtemps été blâmées du fait de leur orientation sexuelle. Il est vrai qu’aucun droit n’est enlevé à qui que ce soit, mais il est tout aussi vrai que, pour apporter un bénéfice à quelques-uns, on impose à l’ensemble de la société une nouvelle vision de l’homme. Or, à moins que cette vision nouvelle soit explicitement validée par l’ensemble de la population, car c’est bien au peuple et non à des techno-gestionnaires de décider de ses mœurs, on ne traduit pas dans la loi une telle rupture anthropologique.
Pour ces raisons, le référendum est la dernière possibilité donnée au Gouvernement et à sa majorité de ne pas trahir l’idée selon laquelle il revient au peuple de choisir. C'est pourquoi, vous l’avez compris, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mesdames les ministres, mes chers collègues, je dois vous dire que je ne suis pas un « fana » de la procédure référendaire. Cependant, il est des moments où il faut se poser la question, et je crois que c’est le cas aujourd'hui.
En effet, le texte qui nous est présenté n’est pas un texte de loi ordinaire, banal. Il ne s’agit pas de prendre une mesure fiscale ou technique, mais de transformer, ni plus ni moins, l’un des piliers immémoriaux de notre société : le mariage. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Au nom de quoi nous propose-t-on de modifier ce pilier immémorial de notre société ? Au nom d’un mot, d’un concept : l’égalité. Nous serions certainement nombreux à bien vouloir admettre ce simple motif pour étendre le mariage aux couples homosexuels s’il existait effectivement une égalité dans l’ensemble des conséquences du mariage. Mais force est de constater que, quel que soit le contenu du texte que nous adopterons et des décrets d’application et circulaires qui le mettront en œuvre, il restera une condition sine qua non du mariage qui ne sera jamais remplie : la capacité des deux membres du couple à engendrer un enfant ; ce sera véritablement « mission impossible » ! Or, depuis des temps très reculés, le mariage vise à créer un cadre pour la naissance et l’éducation des enfants. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
Si l’on peut évidemment imaginer qu’un couple de deux hommes ou de deux femmes puisse éduquer un enfant aussi bien que ne le ferait un couple traditionnel – cela arrive d’ailleurs déjà, et je n’y trouve rien à redire, même si vous ne m’empêcherez pas de penser que deux papas ne remplacent pas un papa et une maman (Eh oui ! sur certaines travées de l’UMP.) –, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une situation qui ne correspond pas à la réalité anthropologique que la plupart des pays ont transcrite dans leur cadre législatif. On s’apprête à modifier – je n’irai pas jusqu’à dire qu’on s’y attaque, car ce serait excessif - une institution essentielle de notre société. On ne peut pas le faire d’un claquement de doigts !
Je crois que le moment est venu d’en appeler au peuple sur cette question. En effet, ce ne sont pas les grandes fortunes ou une profession particulière ou les collectivités locales qui sont concernées : c’est l’ensemble de la population de notre pays. L’enjeu est extrêmement important.
J’ai entendu ce matin que, en élisant François Hollande, les Français s’étaient déjà prononcés sur le sujet.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Sûrement pas !
M. Yves Détraigne. J’ai franchement un doute ! Du reste, si tel était le cas, cela voudrait dire qu’ils ont accepté cette mesure et il n’y aurait alors aucune raison de craindre le recours au référendum ! (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
N’ayant pu, pour des raisons indépendantes de ma volonté, intervenir dans la discussion générale, j’avais prévu de développer d’autres arguments extrêmement forts, mais je ne le ferai pas, car il ne s’agit pas pour moi de « jouer la montre ». Cependant, ne serait-ce que pour la raison que je vous ai indiquée, je crois que l’on ne peut pas se contenter d’un débat parlementaire, comme pour n’importe quelle loi, quand il est question d’étendre le mariage, avec tout ce que cela signifie et que cela suppose, à l’ensemble de la population, indifféremment.
Il faut que ce soit la population elle-même qui se prononce, et c'est pourquoi je vous appelle toutes et tous, mes chers collègues, à voter cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nul ne peut nier que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe touche à des questions de société. Du reste, si ce n’était pas le cas, s’il ne s’agissait que d’égalité des droits, il n’y aurait pas eu autant de personnes pour manifester dans les rues. Ce n’est pas contre l’égalité des droits entre couples hétérosexuels et homosexuels que l’on descendrait dans la rue ! Il faut en être conscient, ceux qui ont manifesté ont peur pour l’avenir de la famille. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
M. Michel Vergoz. Eh bien, ils peuvent être rassurés !
M. Christian Cointat. Ils ont peur de voir notre société évoluer dans des directions qu’ils ne maîtrisent pas. Qu’elle soit fondée ou non, cette crainte existe et nous devons la prendre en compte.
D’un autre côté, on sait bien que les conséquences de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe sont essentiellement d’ordre social.
M. Roland Courteau. On disait la même chose à propos du PACS !
M. Christian Cointat. Monsieur le rapporteur, vous avez dit à juste titre – je vous suis sur ce point – qu’il fallait se préoccuper des enfants qui sont actuellement élevés par des couples homosexuels. Ils ont besoin de reconnaissance, de protection et de droits. Mais ce sont là des questions sociales !
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Christian Cointat. Il en va de même des difficultés que rencontrent les conjoints de même sexe : ce sont des questions sociales ! J’en veux pour preuve que, lorsque vous parlez d’un deuxième parent, vous l’appelez vous-même le « parent social ».
En vérité il y a autant d’éléments qui militent pour un référendum qu’il y en a qui militent contre.
Je ne suis pas forcément favorable à ce qu’on soumette toutes sortes de questions à référendum. Lorsqu’il s’agit de sujets de société qui touchent au cœur même des valeurs de chaque individu, on peut toujours, bien sûr, se passer de demander son avis au peuple, mais à la condition qu’un consensus se dessine au Parlement et, donc, que le clivage entre majorité et opposition soit dépassé. Or, chers collègues, vous le voyez bien, il n’y a pas de consensus. On en est même loin ! La crispation est au contraire de plus en plus forte, et on la ressent tant chez les citoyens que chez les élus. Parce que ce débat touche à des questions qui effraient !
Je parle d’autant plus librement que, vous le savez, j’estime qu’il faut légiférer dans ce domaine. Nous n’avons pas le droit de rester sans rien faire. À tout prendre, je préfère une solution qui ne me plaît pas trop – celle du mariage – à une absence de solution.
Dans ma vie, dans mon engagement, j’ai toujours milité pour le droit au bonheur de chacun, à condition que ce soit dans le respect de tous. C’est cette recherche qui doit nous guider.
Il faut donc faire quelque chose. Mais, lorsqu’on n’est pas compris, il n’y a pas 36 000 solutions : il faut retourner vers le peuple, et le référendum le permet. Ce n’est déshonorant ni pour une majorité ni pour une opposition, bien au contraire !
Moi qui voterai pour la motion et qui voterai oui au référendum, s’il a lieu, je vous le dis tout net : si un accord n’est pas trouvé, ça ne tiendra pas !
Il faut justement arriver à faire participer les citoyens, ne serait-ce que pour leur expliquer les termes du débat. Quand j’explique ma position, j’ai plus de chances d’être entendu que si je ne l’explique pas ! Quand je ne l’explique pas, c’est là que j’ai droit aux insultes, aux menaces, etc. Quand je l’explique, on me dit « Ah bon ? Mais il y a tout de même des risques… » Je réponds alors que, dans la vie, il y a des moments où il faut savoir pendre des risques si l’on veut faire progresser la société.
Voilà pourquoi il faut demander au peuple de trancher.
Je terminerai en m’adressant plus particulièrement à vous, chers collègues de la majorité. Je constate que le désir de démocratie directe est toujours très fort lorsqu’on se siège sur les travées de l’opposition, mais qu’il s’émousse considérablement lorsqu’on se retrouve sur ceux de la majorité, quelle qu’elle soit, d’ailleurs. (Rires et exclamations.)
Lorsque vous étiez dans l’opposition, chers collègues, vous aviez un grand désir de démocratie. Alors ne l’oubliez pas, ce désir, que nous avons nous-mêmes retrouvé ! (Eh voilà ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Tout est donc réuni pour que nous puissions nous retrouver sur cet appel au peuple.
De plus, mes amis, nous vous faisons une sacrée fleur avec cette motion ! (Sourires.)
M. François Rebsamen. Sans blague !
M. Jean-Vincent Placé. Merci !
M. Christian Cointat. Nous vous donnons l’occasion de redorer – il en a bien besoin ! – le blason du Président de la République… (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Roland Courteau. C’est hors sujet ! Élevez le débat !
M. Nicolas Alfonsi. Il n’a rien compris !
M. Christian Cointat. Si le Président de la République s’adresse au peuple sur un sujet aussi important, croyez-moi, même ceux qui ne l’aiment pas apprécieront le geste et lui tireront leur chapeau !
Je vous le dis : il y va de votre intérêt. Nous n’aurions jamais dû déposer cette motion, car, si vous la votez, c’est vous qui en retirerez le bénéfice politique ! Alors, chers amis, votez-la donc, comme je la voterai moi-même. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Vincent Delahaye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Nous sommes nombreux, pour un vendredi, à nous retrouver dans l’hémicycle, mais il est vrai que ce débat est important.
Nous intervenons, les uns et les autres, avec la force de nos convictions, certains avec calme, les autres avec fougue. Tous, nous le faisons avec notre fibre propre, qu’elle soit historique, juridique, humaniste, sociétale, culturelle… Nous démontrons ainsi l’importance du sujet soumis à notre examen en même temps que la diversité des manières de l’aborder.
Il s’agit d’un sujet à multiples facettes, qui va beaucoup plus loin que cette simple locution – à la tonalité très marketing – de « mariage pour tous ».
M. Michel Vergoz. Elle n’est pas dans l’intitulé du projet de loi !
M. Jean-Pierre Leleux. Je suis d’ailleurs surpris de n’avoir entendu aucune voix s’élever pour réclamer que l’on parle de « mariage pour tous et pour toutes ». Curieusement, sur certaines travées de cet hémicycle, on n’a pas éprouvé, cette fois-ci, le besoin de mettre en avant la pluralité des situations ! (Exclamations amusées et marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Ce débat, je le trouve beau, mais aussi un peu frustrant, voire désespérant.
Il est beau en ce sens qu’il permet à chacun de faire valoir ses convictions. Pour ma part, je les respecte toutes, mais je ne suis pas sûr que celles qui sont exprimées sur les travées de l’opposition aient droit au même respect. J’ai surpris des mimiques ou des remarques qui laissaient transparaître, à notre égard, un certain dédain, comme si nous étions les derniers des « ringards » et que seuls les « modernes » savaient ce qui était bon pour notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Roland Courteau. L’inverse a été vrai !
M. Jean-Pierre Leleux. Du coup, pour essayer de me consoler, j’ai pris la peine d’ouvrir mon dictionnaire afin de rechercher l’étymologie et la définition du mot « ringard ».
J’ai eu la surprise de découvrir qu’il s’agit du terme ancien pour désigner un tisonnier, c’est-à-dire l’instrument qui ravive la flamme du foyer ; (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Ce foyer que vous êtes en train d’étouffer avec ce projet de loi !
Comme la loi sur le cumul des mandats n’est pas encore adoptée, je me réjouis d’être en même temps maire d’une commune de 52 000 habitants et parlementaire,…
M. Jean-Pierre Caffet. Ça ne va pas durer !
M. Jean-Pierre Leleux. … ce qui me permet de rapporter ici ce que j’entends, le matin, à sept heures, lorsque je bois le café avec mes concitoyens. Du reste, tous, que nous soyons de gauche ou de droite, nous entendons forcément la voix du peuple dans nos départements.
Je peux donc en témoigner, le clivage parlementaire n’a rien à voir avec ce qui se passe dans le peuple. Notre débat, un peu étriqué malgré tout, nous a cantonnés dans notre rôle d’opposant ou de majoritaire, alors que le débat qui se déroule dans la société n’est pas aussi figé.
Ne soyons pas hypocrites : nous avons tous de nombreux amis dans l’autre camp !
M. Jean-Pierre Caffet. Là, on avance vraiment ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Leleux. Or je connais beaucoup de gens de gauche, dont certains sont parlementaires, qui me disent qu’ils ne sont pas forcément d’accord avec ce texte et qu’ils n’ont pas envie qu’il soit voté. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je connais aussi des gens de droite qui souhaiteraient le voir adopté.
Alors, pour régler ce problème, la meilleure solution consiste à suivre la proposition de notre collègue Bruno Retailleau, et je la soutiens avec conviction.
C’est dans un tel cas, très particulier – car il est rare que les conditions soient réunies –, qu’il est utile de faire appel au peuple pour trancher le débat entre deux camps très cristallisés et débloquer la situation. Vive le référendum ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Madame la garde des sceaux, je voudrais vous dire combien les radicaux vous sont reconnaissants…
M. Jean-François Husson. Les radicaux de gauche !
M. Jean-Michel Baylet. Les radicaux, ils sont de gauche ou ils ne sont pas ! Regardez l’histoire de France ! (Sourires et exclamations.)
Nous vous sommes donc reconnaissants d’avoir présenté devant le Parlement un beau texte républicain, qui fait avancer la liberté dans notre pays, qui apporte davantage d’égalité et qui est porteur de fraternité.
Je remercie aussi, bien sûr, le Président de la République, le Premier ministre ainsi que l’ensemble du Gouvernement.
Je constate que nos collègues de l’opposition sont subitement – je comprends bien pourquoi – pris d’une frénésie « référendesque », mais je voudrais quand même leur rappeler que, en dix ans de pouvoir, ils n’ont organisé qu’un seul référendum, et c’était il y a huit ans ! Il n’y en a eu aucun pendant le dernier quinquennat !
Aussi, ce que vous réclamez aujourd’hui à cor et à cris me semble davantage procéder d’une ruse, comme vous l’a dit Mme la ministre. Parce que vous avez déjà été minoritaires à l’Assemblée nationale et que vous sentez bien que vous allez l’être de nouveau dans quelques jours au Sénat,…
M. Jean-Claude Gaudin et Mme Catherine Troendle. Ce n’est pas sûr !
M. Jean-Michel Baylet. … vous tentez de retarder le verdict parlementaire.
Si je vous reconnais, bien entendu, le droit d’utiliser cette procédure tendant à l’organisation d’un référendum, il faudrait quand même vous mettre d’accord sur le fondement de celui-ci. Certains avancent des considérations d’ordre social, quand d’autres évoquent une dimension sociétale.
M. Charles Revet. C’est la même chose !
M. Jean-Michel Baylet. Alors, s’agit-il d’une question sociale ou d’un problème de société ?
Pour nous, il s’agit tout simplement d’une question d’humanité et de générosité !
M. François Rebsamen. Et d’égalité !
M. Jean-Michel Baylet. Bien sûr ! Je l’ai dit en commençant.
En tout cas, nous ne pouvons accepter que vous cherchiez à donner l’impression que nous sortons ce texte comme un lapin d’un chapeau. (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Francis Delattre. C’est pourtant bien le cas ! Où est l’urgence de légiférer sur cette question ?
M. Jean-Michel Baylet. Ne vitupérez pas par principe avant que je me sois exprimé !
Pendant toutes les primaires citoyennes, suivies par des millions de téléspectateurs, nous avons porté cette proposition, que ce soit François Hollande, moi-même ou un certain nombre d’autres candidats. (Mme Frédérique Espagnac et M. Michel Vergoz applaudissent.)
M. Jean-Pierre Caffet. C’est exact !
M. Jean-Michel Baylet. Durant toute la campagne électorale, à chaque meeting, nous l’avons reprise, et nous continuons en ce moment même, dans nos territoires, à animer des réunions d’explication et de concertation.
Vous pouvez évidemment nous dire qu’il est possible de faire mieux. D’ailleurs, vous en savez quelque chose ! Mais vouloir faire croire que nous n’aurions pas suffisamment informé nos concitoyens, que ceux-ci n’avaient pas compris qu’en nous donnant la majorité ils verraient arriver cette réforme – tout comme le droit à mourir dans la dignité, je vous l’annonce d’ores et déjà, au cas où vous auriez les mêmes idées –, cela relève tout bonnement du mensonge !
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Cela montre, au surplus, la piètre opinion que vous avez de ce qu’ont voté les Français puisque, ayant lu notre programme, ils savaient très bien à quoi s’attendre.
Peut-être trouvez-vous bizarre qu’une majorité tienne ses engagements, mais, pour nous, ce n’est rien d’autre que logique ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Madame la garde des sceaux, je vous remercie de ce magnifique texte. Il va de soi que les radicaux de gauche et, dans sa majorité, le groupe du RDSE voteront contre cette motion référendaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au moment où le débat sur cette motion référendaire va s’achever, permettez-moi de revenir quelques minutes… (Marques d’impatience sur les mêmes travées.)
Vous ne pouvez pas refuser de donner la parole à la fois au peuple et aux parlementaires ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Cécile Cukierman. Ça, on vous la donne !
M. Bruno Retailleau. N’en doutez pas un instant, nous sommes résolus à nous battre, respectueusement, mais vigoureusement !
Que reste-t-il des arguments des uns et des autres ?
Tout d’abord, ce qui est à mes yeux une certitude : ce texte n’est comparable à aucun autre, car il engage nos consciences sur la conception que nous nous faisons de l’homme, de la civilisation, de la société, du mariage, autant de sujets fondamentaux.
J’ai également la conviction que ce texte ne clôt pas un débat à un instant donné, mais qu’il nous fait entrer dans une logique, un processus débouchant sur un horizon évident qui est le droit à l’enfant. Mme la ministre déléguée nous l’a d’ailleurs expliqué tout à l’heure, peut-être sans le vouloir, en évoquant les problèmes que pose le tarissement de l’adoption, notamment internationale, laquelle a connu une baisse de 52 % depuis 2004.
Dès lors, vous savez très bien que ce droit à l’enfant, que ce texte, s’il est voté, va inscrire dans le code civil, ne pourra être satisfait, en pratique, sans recours aux techniques de procréation artificielle : c’est une évidence !
C’est en raison de cette inévitable dérive que votre texte choque bon nombre d’entre nous.
J’ai entendu citer Jaurès et bien d’autres. Bien que la citation ait été attribuée à Michel Foucault, en raison, peut-être, du titre de son essai les Mots et les choses, c’est Jaurès qui a dit un jour : « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots. »
Pour ce qui vous concerne, vous avez été beaucoup plus habiles : vous avez gardé le mot mais, par une formidable audace sémantique, vous en avez changé radicalement le sens, la nature profonde. C’est ainsi que vous avez sans doute gagné la première manche, la bataille médiatique, mais, heureusement, le bon sens populaire a fait tomber le masque et révélé la réalité des choses…
Par ailleurs, le référendum est juridiquement possible, chers collègues.
M. François Rebsamen. Le référendum, on n’en veut pas !
M. Bruno Retailleau. Vous en appelez à Jacques Toubon. Que je sache, sa statue n’est pas encore exposée dans notre hémicycle : je vois celle de saint Louis, celle de Portalis… mais je ne vois pas celle de Jacques Toubon ! (Sourires.) Du reste, cela vaut mieux pour lui, car le fait d’avoir ici sa statue signifierait sans doute qu’il lui est arrivé quelque chose de funeste... (Nouveaux sourires.)
Comme le disent les juristes, comme le diraient Jean-Jacques Hyest et le doyen Gélard, le seul et ultime interprète authentique de l’opportunité du recours au référendum, c’est le Président de la République. Et, sur ce sujet profondément social, rien ne s’oppose à ce que celui-ci choisisse de donner la parole au peuple.
Enfin, contrairement à ce que j’ai entendu tout à l'heure, le référendum, ce n’est pas la rue. Au contraire, chers collègues, le référendum, c’est précisément l’antidote aux frustrations, l’antidote à la rue et au désordre.
Depuis une trentaine d’années, jamais un texte n’aura autant mobilisé nos compatriotes. D'ailleurs, si ces derniers, quels qu’ils soient, se mobilisent, ce n’est pas pour eux ! C’est parce qu’ils ont le sentiment qu’on va leur enlever quelque chose.
M. François Rebsamen. On n’enlève rien : on ajoute !
M. Bruno Retailleau. Ils ont le sentiment qu’ils vont être amputés de la possibilité de donner le meilleur à leurs enfants, ce qu’ils ont eux-mêmes reçu : le fait d’avoir été engendrés par un père et une mère, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. (Et alors ? sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. François Rebsamen. So what ?
M. Bruno Retailleau. Cette amputation est mal vécue et nos concitoyens souhaitent aujourd'hui pouvoir s’exprimer sur ce point. Il faut les écouter !
Au moment du débat sur le PACS, Irène Théry avait défini le mariage comme l’institution qui articule la différence des sexes – l’altérité sexuelle – et la différence des générations – la parenté.
Eh bien, aujourd'hui, les Français ne veulent pas qu’on leur arrache leurs origines. Tous ceux qui ont un proche dont l’état civil présente un « trou » savent la souffrance qui en résulte, quel que soit l’âge de la personne concernée.
Mme Cécile Cukierman. Et quelle que soit l’orientation sexuelle de ses parents !
M. Bruno Retailleau. Il faut écouter les Français ! Revenez au peuple, écoutez-le ! Le Président de la République peut le faire, et il le doit ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Exclamations et manifestations de lassitude sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la question que nous soulevons ne s’adresse pas au Gouvernement, elle s’adresse au Président de la République.
M. Jean-Pierre Caffet. Alors, écrivez-lui !
M. Philippe Bas. C’est l’article 11 de la Constitution qui le prévoit.
Nous n’entendons pas forcer la main au Président de la République : nous demandons seulement que, par un vote du Parlement, cette question lui soit solennellement posée.
Nous pensons que le Président de la République, à la différence de ce que peut être le chef du gouvernement en Allemagne, en Espagne ou en Royaume-Uni, n’est pas le chef d’une coalition responsable devant une majorité. Ses responsabilités vont bien au-delà de cela. Elles lui commandent de rassembler, et non de diviser, d’unir, et non de cliver. Le Président de la République est responsable de l’unité des Français.
M. David Assouline. Sarkozy l’a prouvé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. C’est à ce titre que nous voulons lui poser la question, car, sur ce projet de réforme, les divisions dans notre pays sont réelles et profondes.
Les Français qui expriment aujourd'hui leur opposition le font avec sincérité : ils ne vous veulent aucun mal ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Ils sont descendus dans la rue en vertu de l’idée qu’ils se font de la famille et de l’intérêt de l’enfant, idée qu’ils veulent défendre avec force et avec générosité. Car vous n’avez pas le monopole de la générosité !
Vous prétendez agir au nom du principe d’égalité. Mais vous dénaturez ce principe dans la mesure où les règles que vous estimez devoir étendre à tous s’appliqueraient à des personnes qui sont dans des situations différentes. Le principe d’égalité, ce n’est pas cela ! Respectez ce qu’en disent le Conseil constitutionnel comme le Conseil d’État, et ce depuis fort longtemps !
On ne peut avoir une vision personnelle de l’égalité. C’est un principe objectif, qui nous est imposé par le préambule de la Constitution, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’interprétation qui en a été fréquemment donnée.
Si nous présentons cette motion référendaire, ce n’est pas pour vous tendre un piège. (Mais non ! sur les travées du groupe socialiste.) Au contraire, c’est une main tendue pour vous aider à sortir de la difficulté majeure dans laquelle vous vous êtes mis vis-à-vis des Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
Nous souhaitons que, s’agissant de l’institution la plus fondamentale pour chacune et chacun d’entre nous, c’est-à-dire la famille, structure de base de la société française, nos compatriotes puissent être interrogés directement.
Depuis quarante ans, notre société n’a pas connu d’aussi profond mouvement d’opposition à une réforme. (M. David Assouline s’esclaffe.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce n’est pas vrai !
M. Claude Haut. C’est faux !
M. Philippe Bas. Cette opposition, vous ne pouvez pas feindre de ne pas l’avoir entendue. Vous ne pouvez pas refuser de l’écouter. Vous devez dialoguer, vous devez parler avec les Français. Pour cela, vous devez faire sortir le débat de notre hémicycle et de celui de l’Assemblée nationale, permettre qu’il ait lieu dans tous les départements et toutes les circonscriptions de France,…
Mme Cécile Cukierman. Il a déjà lieu !
M. Philippe Bas. … et y convier tous les Français, tous personnellement concernés par cette réforme.
En effet, cette dernière n’a pas pour seul objet de répondre à la demande d’une partie des couples, que nous respectons tout comme vous : elle change nos conceptions fondamentales de la famille,…
M. David Assouline. Votre conception de la famille !
M. Philippe Bas. … la place de l’altérité sexuelle, qui est au fondement de la famille, et celle de la parenté biologique dans notre droit. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comme notre collègue Yves Détraigne, je ne suis pas un « fan » de la procédure référendaire, notamment parce que les Français, souvent, ne répondent pas à la question posée.
M. David Assouline. C’est justement ce que veulent ceux qui ont déposé la motion !
M. Vincent Delahaye. Néanmoins, en l’espèce, je voterai en faveur de la motion référendaire.
M. Jean-Pierre Caffet. On s’en doutait !
M. Vincent Delahaye. À cela, quatre raisons.
Premièrement, je considère que, contrairement à ce que j’ai entendu ici ou là, l’élection présidentielle n’a pas tranché cette question. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
Pourquoi ? D’abord, parce que, dans les motivations de l’élection, il y avait d'abord le rejet d’un homme. Ensuite, parce que, dans les engagements du candidat François Hollande, la proposition qui nous est faite aujourd'hui figurait plutôt à la fin de la liste.
Deuxièmement, le lobby homosexuel et le collectif LGBT, qui ont inspiré ce projet, ne me semblent pas vraiment représentatifs des homosexuels de France.
M. Charles Revet. Ça, c’est vrai !
M. Vincent Delahaye. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de rencontrer les deux associations qui représentent les homosexuels dans mon département. Pour avoir discuté assez longuement avec elles, et pour avoir également rencontré de nombreux homosexuels, j’estime que l’on peut faire évoluer le projet de loi qui nous est soumis dans un sens qui serait beaucoup plus consensuel et qui leur donnerait satisfaction.
Par conséquent, si la revendication de départ est légitime, il ne faut pas laisser croire qu’il existe une position unique susceptible de la satisfaire. Je reviendrai sur le problème de l’adoption lorsque nous serons amenés à évoquer le fond du texte.
Troisièmement, si la discussion parlementaire – à l’Assemblée nationale comme dans cet hémicycle – est riche, et c’est tant mieux, je considère, mes chers collègues, que le débat n’a pas eu lieu dans le pays.
À une certaine époque, on a beaucoup parlé de démocratie participative.
Mme Cécile Cukierman. On en parle encore !
M. David Assouline. Le référendum, ce n’est pas la démocratie participative !
M. Vincent Delahaye. Or, sur ce sujet précis, cela a déjà été dit, il n’y a pas vraiment eu de débat public dans notre pays.
Mme Cécile Cukierman. Rien à voir avec la motion !
M. Vincent Delahaye. Quatrièmement, je considère que le Gouvernement n’a pas du tout pris la mesure de l’ampleur de la contestation sur ce projet de loi. Il n’écoute pas, contrairement à ce qu’avait fait François Mitterrand en 1984, en retirant le projet sur l’enseignement.
Je ne dis pas que le Gouvernement doit retirer le présent projet ; je prétends qu’il se grandirait en écoutant un peu plus ce que dit la rue et en le modifiant. En tout cas, on peut le modifier, de manière à trouver autour de lui un rassemblement beaucoup plus large – et les amendements que nous défendrons vont dans ce sens –, au lieu de la division qu’il suscite aujourd'hui et qui me semble préjudiciable à notre pays.
Tout gouvernement doit essayer de rassembler au maximum les Français, qui sont naturellement assez divisés. Or, sur cette question, il n’est pas très compliqué d’aboutir à un rassemblement plus large. Cela grandirait à la fois le Gouvernement et le Président de la République.
Dans ces conditions, vous le comprendrez, les membres du groupe UDI, dont moi-même, voteront très majoritairement en faveur de cette motion référendaire. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et sur de nombreuses travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
Mme Cécile Cukierman. Pour paraphraser Thorez, il faut savoir terminer une discussion ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. Dominique de Legge. Mesdames les ministres, chers collègues de la majorité, pour justifier votre rejet de cette motion référendaire, vous évoquez l’article 11 de la Constitution et usez d’arguties autour des mots « social » et « sociétal ». Or, lorsque vous proposiez l’organisation d’un référendum sur La Poste, je n’ai pas souvenance que vous ayez eu recours à ce type d’arguments. Pourtant, nous n’étions ni dans le social, ni dans le sociétal !
Mme Cécile Cukierman. Le service public, ce n’est ni du social ni du sociétal ?
M. Dominique de Legge. Du reste, vos raisonnements seraient davantage audibles si vous aviez bien voulu prendre un tout petit peu plus en considération les arguments constitutionnels qui ont été excellemment avancés hier par notre collègue le doyen Gélard.
Votre deuxième argument consiste à nous dire que tout a été tranché le 6 mai de l’année dernière. En somme, vous nous dites : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Mais, chers collègues, depuis quand un programme électoral dispenserait-il d’un débat public ? À ce compte-là, il faut supprimer le Parlement et légiférer par ordonnances pendant cinq ans ! (Exclamations sur diverses travées.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça les arrangerait !
M. Dominique de Legge. J’ai ici le projet présidentiel du candidat François Hollande ; je peux reprendre un certain nombre de ses engagements : l’emploi, troisième engagement ; le niveau du budget européen, sixième et douzième engagements ; la réduction du déficit, neuvième engagement ;…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliés !
M. Dominique de Legge. Le pacte de croissance européen, onzième engagement ;…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oublié !
M. Dominique de Legge. … la retraite à dix-huit ans… (Vives exclamations et huées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) … je veux dire : la retraite à soixante ans, dix-huitième engagement ;…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliée !
M. Dominique de Legge. … la décentralisation, cinquante-quatrième engagement.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliée !
M. Dominique de Legge. Et je peux également vous parler de la TVA ou de la République irréprochable !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliées !
M. Dominique de Legge. Alors, ce programme valait-il mandat impératif ?
Mes chers collègues, Jean-Michel Baylet l’a dit tout à l'heure, la question du mariage pour les couples de personnes de même sexe a été évoquée à l’occasion de la primaire organisée entre le parti socialiste et le parti radical de gauche. D'ailleurs, le logo de ces deux partis figure sur le projet présidentiel. Mais, que je sache, aujourd'hui, M. Hollande n’est plus le candidat ! C’est le président, non seulement du PS et du PRG, mais de toute la France !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
M. Dominique de Legge. Dès lors, on peut légitimement attendre qu’il écoute l’ensemble des Français ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Véhémentes protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. David Assouline. Est-ce ce qu’a fait Nicolas Sarkozy ?
M. Dominique de Legge. Voulez-vous essayer de réunir votre majorité en sacrifiant la famille et l’union des Français ?
M. Michel Vergoz. Un peu de respect !
M. Dominique de Legge. Je veux également remercier Mme le ministre,…
M. David Assouline. Mme « la » ministre !
M. Dominique de Legge. … qui, hier, nous a invités à méditer sur une très belle citation de René Char. À cet égard, je dois dire que les propos de notre rapporteur sont tout à fait révélateurs !
Je vous renvoie également au message récemment publié par M. Pierre Bergé sur son compte Twitter : « Vous me direz, si une bombe explose le 24 mars sur les Champs à cause de la Manif pour tous, c'est pas moi qui vais pleurer ! »
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça craint !
M. Dominique de Legge. Voilà des mots qui dévoilent le fond d’une pensée et qui, en tout état de cause, ne sont pas des mots de rassemblement.
Il est temps que vous suiviez la proposition de la commission des lois, qui appelle à la sagesse. La sagesse, pour le Président de la République, c’est effectivement de donner la parole au peuple de France.
Que craignez-vous donc ? Que les 18 millions de personnes qui ont voté pour François Hollande aient changé d’avis ? Que les images qui ont été prises le 24 mars par hélicoptère et que vous avez gardées pour vous…
M. David Assouline. Tout le monde y a accès !
M. Dominique de Legge. … révèlent le nombre réel des manifestants ?
M. David Assouline. Au grand maximum 300 000 !
M. Dominique de Legge. C’est sans doute ce dont vous avez peur… Eh bien, donnez la parole aux Français et nous saurons à quoi nous en tenir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 10 janvier dernier, soit quelques jours avant la première manifestation d'ampleur à Paris contre le projet de mariage pour les couples de même sexe et, par là même, contre les bouleversements induits pour l'adoption et la filiation, j'ai signé l'appel à un référendum pour que chaque Français puisse peser toutes les conséquences de cette réforme et se prononcer en conscience.
Cet appel n’a pas été entendu par notre exécutif puisqu'il a maintenu l'inscription du projet de loi, en première lecture, à l’Assemblée nationale.
Je rappelle que parallèlement, le 13 novembre dernier, nos collègues députés avaient demandé, en vain, la création d'une commission spéciale et l'organisation d'un débat national.
La majorité avait pourtant là l’occasion de donner un signe d'apaisement aux Français, qui y auraient été sensibles, et les débats n’en auraient été que plus sains.
Mais non, votre majorité, madame la garde des sceaux, s'est enferrée dans la voie du refus d’un nécessaire débat national au motif qu'il s'agissait d'une promesse de campagne électorale.
Or, il est évident que M. Hollande n'a pas été élu avec l'accord des Français sur la totalité de son programme. Il commet donc l'erreur de considérer que tous les Français sont d'accord avec l'ouverture du mariage, et donc de l'adoption, aux couples homosexuels.
D'ailleurs, dans la litanie des renoncements successifs du Président de la République, cette promesse apparaît curieusement comme une des rares qui doivent être respectées coûte que coûte.
Pourquoi, si le Gouvernement est convaincu de l'adhésion d'une majorité de Français à ce projet de loi, n'organise-t-il pas un référendum ? Poser la question revient à y répondre…
Bien que la mobilisation de nos concitoyens ne fasse que s’amplifier et que deux manifestations d’ampleur croissante aient été organisées pour demander un référendum, le texte a été discuté et adopté par les députés.
Ceux qui, parmi les députés de l'opposition, ont demandé la tenue d'un référendum n’ont pas été davantage écoutés que lors de leur demande de constitution d’une commission spéciale.
Un tel débat de société mérite une autre approche. Comme vous l'avez vous-même dit, madame la garde des sceaux, cette « réforme de civilisation » effacera la filiation biologique par une filiation irréelle issue de deux hommes ou de deux femmes. Elle changera le mode de renouvellement des générations.
Un changement de société qui relève à ce point de l'intime ne saurait ni faire l’objet de consignes de vote, comme cela a malheureusement été le cas à l'Assemblée nationale, ni résulter du seul rapport de force entre majorité et opposition.
En effet, il règne actuellement une confusion entre le désir d'enfant et le droit à l'enfant. Si un tel droit était accordé, il faudrait poser la question de savoir si les lois sont des self-services destinés à satisfaire les désirs de tous et, si tel n’est pas le cas, se demander où est la limite.
Ce projet de loi divise profondément la nation alors qu’elle a au contraire besoin d'être soudée, à l’heure où nous devrions plutôt nous retrousser les manches et nous battre ensemble contre le chômage et les déficits publics.
Cette réforme est-elle donc si urgente qu'elle ne puisse être reportée ?
Alors, madame la garde des sceaux, donnons ensemble à nos concitoyens, avec le référendum, le droit au débat et au vote. En tant que législateur, sachons, mes chers collègues, nous effacer et rendre la décision au peuple souverain. N'oublions pas que c’est ce peuple que nous avons promis de servir, ce peuple dont nous avons promis de porter la voix.
Plus largement, engageons une réflexion anthropologique et éthique, approfondie et commune, sur le statut des enfants et sur leurs droits à une société humaine, respectueuse de la nature, des hommes et des générations futures.
Nous sommes en démocratie, madame la garde des sceaux. Or les Français voient bien que l’on attente à leur droit au dialogue et à l'écoute. Je ne peux m'empêcher, comme mon collègue Jean-Noël Cardoux, de citer notre Président de la République déclarant en 2006, lors des manifestations contre le contrat premier embauche : « Quand il y a des milliers et des milliers de citoyens, jeunes ou moins jeunes, quand toutes les organisations syndicales représentées sans exception, quand de nombreuses associations d'étudiants et de parents d'élèves, sont aussi mobilisés, à quoi sert d'attendre la prochaine manifestation ? »
« Il suffirait, poursuivait-il, d'un mot, un seul, que le pouvoir hésite à prononcer : l'abrogation. […] Quand on a fait une erreur, il faut savoir l'effacer. »
Je vous en prie, madame la garde des sceaux, prenez le temps de la consultation et demandez au peuple ce qu'il attend véritablement.
Voilà pourquoi je soutiens la motion référendaire, que je vous invite, mes chers collègues, à voter à une large majorité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il n’est pas dans mon tempérament d’aller manifester. Pourtant, j’étais au Champs-de-Mars et avenue de la Grande-Armée.
Je me suis trouvée au milieu de familles,…
M. David Assouline. En mettant les enfants devant !
Mme Isabelle Debré. … de jeunes et de moins jeunes qui étaient un peu désemparés, un peu perdus, se demandant s’ils allaient être entendus.
Vous le savez tous ici, le sujet dépasse les clivages gauche-droite. Il y avait, dans la manifestation, des gens tant de gauche que de droite. J’ai entendu des manifestants dire qu’ils n’avaient pas élu François Hollande pour ça.
Vous prétendez qu’un référendum a eu lieu en mai. Il est vrai que le mariage pour tous constituait la proposition n° 31 de François Hollande, mais tous ceux qui l’ont élu ont-ils voté pour toutes ses propositions ? Si c’était le cas, la TVA sociale ne devrait pas pouvoir être instaurée. Or, a priori, elle va l’être !
M. David Assouline. Ils ont voté contre celle de Sarkozy !
Mme Isabelle Debré. Aujourd'hui la France va mal, le peuple français souffre de la crise.
Mme Éliane Assassi. À cause de qui ?
Mme Isabelle Debré. Les Français doutent, et ils doutent notamment de la représentation politique. Un référendum serait peut-être, justement, le meilleur moyen de les réconcilier avec la classe politique. Il faut leur donner la parole !
Vous dites, madame la garde des sceaux, qu’il s’agit d’égalité ; je vous réponds que l’égalité est réelle dans notre pays, mais c’est une égalité en droit, pas devant la nature !
M. David Assouline. Et les handicapés ?
Mme Isabelle Debré. Aujourd'hui, un couple homosexuel ne pourra pas donner la vie.
Mmes Éliane Assassi et Cécile Cukierman. Eh oui ! C’est le cas aujourd'hui !
Mme Isabelle Debré. Prenons l’exemple de deux couples hétérosexuels. L’un pourra procréer tandis que l’autre, pour des raisons tenant à la nature ou que la médecine peut expliquer, ne pourra malheureusement pas donner la vie. Peut-on parler d’égalité ?
Je le répète, nous ne pouvons pas être égaux face à la nature. Nous sommes égaux en droit. Lorsque vous parlez d’égalité, vous devriez donc vous en tenir à l’égalité en droit. En aucun cas, le mariage homosexuel ne donnera une égalité totale ! C’est impossible : jamais deux hommes ou deux femmes ne pourront donner naissance à un enfant ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Nous discutons de la motion référendaire ; nous dirons après pourquoi nous ne sommes pas favorables à ce texte et, à titre personnel, je m’expliquerai sur les droits de l’enfant, puisque, comme vous les savez dans cet hémicycle, je travaille au sein d’une association qui lutte contre la maltraitance des enfants depuis longtemps. Je réaffirmerai que l’éducation dans un couple homosexuel est possible et peut même être une très belle éducation. Là n’est pas le problème.
M. David Assouline. Tout le monde ne l’a pas dit aussi clairement dans votre camp !
Mme Isabelle Debré. À titre personnel, je crois que le modèle majoritaire doit, dans un système démocratique, trouver un gouvernement qui fasse écho à la volonté qui s’exprime par la voie du scrutin.
Je voudrais, à cet égard, citer Claude Lévi-Strauss : « On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages, et qu’en broyant ceci sous les meules de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l’état d’atomes interchangeables et anonymes. La liberté véritable ne peut avoir qu’un contenu concret. »
Mes chers collègues, la République se grandit toujours dans les moments où elle cherche à dégager une position commune. C’est pourquoi nous devons rendre la parole aux Français. Je voterai donc la motion qu’a présentée notre collègue Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Bécot.
M. Michel Bécot. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, M. Gélard nous a apporté, hier après-midi, un précieux et nouvel éclairage…
M. David Assouline. Je n’ai rien compris !
M. Michel Bécot. … sur le texte que Mme la garde des sceaux nous a présenté.
Ce matin, M. Retailleau nous a donné une remarquable explication sur sa proposition de motion référendaire.
Vous savez, madame la garde des sceaux, que ce projet de loi ouvrant le droit au mariage et à l’adoption pour des couples de même sexe est de nature à déstabiliser profondément la société française. Le mariage se trouve, en effet, au fondement de notre pacte social. C’est un acte juridique visant à établir un cadre institutionnel pour un couple constitué d’un homme et d’une femme qui décident de fonder une famille, première cellule de notre société.
Ce n’est pas une ruse, madame la garde des sceaux. Ce contrat, qui accorde des droits, impose des devoirs. Il assure une protection juridique aux plus fragiles des membres d’une famille, au premier rang desquels les enfants. Mariage et filiation sont intimement liés.
C’est pourquoi nous ne pouvons vous laisser agir comme si ce projet de loi ne visait qu’à répondre à une demande d’égalité entre les citoyens adultes. Ce double basculement ne peut se faire sans l’accord des Français : ils ne comprendraient pas qu’on puisse les exclure d’un processus de décision qui concerne aussi leur vie personnelle, leur vie intime, l’avenir de leurs enfants et leur vision de la famille.
C’est le sens des manifestations successives organisées ces derniers mois, manifestations d’une ampleur historiques qui ont rassemblé des millions de participants exprimant ainsi leurs inquiétudes face à cette révolution de notre droit de la famille.
C’est pourquoi nous demandons au Président de la République, qui se veut soucieux de rétablir le dialogue social et de recueillir l’adhésion d’une majorité de Français à ses réformes, de faire le choix de l’apaisement et du dialogue en organisant un référendum législatif dans les conditions que prévoit notre Constitution.
Toute autre décision serait un déni de démocratie, une manière de diviser les Français dans une période qui exige, au contraire, le rassemblement le plus large autour de nos valeurs républicaines.
Madame la garde des sceaux, les Français sont inquiets. Ils ont peur pour leurs enfants. Je crois très sincèrement que nous devons faire confiance au peuple français et, mes chers collègues, que nous devons, ce soir, voter ensemble la motion référendaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, par le dépôt de cette motion référendaire, nous faisons appel en dernier ressort à l'arbitrage du peuple par la voie du référendum.
Nous en appelons à cet arbitrage pour une raison simple : lorsqu'on s'attaque à l'essence même de l'institution du mariage et aux structures de la famille, on demande son avis au peuple. Voilà pourquoi il faut le consulter.
De plus, il convient de souligner que cet appel à la souveraineté populaire est parfaitement légitime.
Certains assurent, avec ce qu’ils croient être de l’habileté, que les Français se sont déjà prononcés sur le mariage pour tous en votant pour François Hollande. De fait, avec cette théorie, nulle pédagogie, nul travail de persuasion, nulle confrontation des idées n’est nécessaire puisque le peuple a déjà tranché !
Il est étrange cependant que ceux qui étaient dans l’opposition il y a moins d'un an n'aient pas mis en pratique cette conception de la vie démocratique. Ils auraient pu le faire lorsque la précédente majorité appliquait son programme sur les heures supplémentaires et les retraites : sachant que tout cela figurait dans notre programme, comment ont-ils pu oser défier la souveraineté populaire qui s'était exprimée en 2007 ?
Non, mes chers collègues, vous voyez bien que cette conception du débat publique n'est pas viable.
Heureusement que nous ne l'avons pas mise en pratique pour les différentes mesures qu’il nous a été donné de prendre au cours de la précédente législature ! À cet égard, je tiens à rappeler les efforts de pédagogie réalisés à l’occasion des lois « Grenelle de l'environnement », de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA », s’agissant notamment des heures supplémentaires, de la réforme des retraites de 2010 et de bien d'autres lois encore.
Certes, la pédagogie n'implique pas de déboucher sur un large consensus, mais elle implique de laisser s'exprimer des opinions divergentes et de ne pas user d'arguments d'autorité et d'anathèmes pour étouffer toute contestation.
Or, dans le débat que nous avons depuis plusieurs mois, nous avons passé et nous passons encore notre temps à défendre notre droit à l’expression d’opinions contradictoires.
Pendant de long mois, contester le bien-fondé du mariage pour tous relevait d’une nouvelle forme de fascisme,…
M. Roland Courteau. C’est nouveau !
Mme Catherine Troendle. … d’une homophobie latente ou de tous ces qualificatifs qu’on emploie lorsqu’on veut être certain de ne pas avoir à débattre. De fait, le débat a été pollué par cette question simple : a-t-on le droit de débattre de l’opportunité du mariage pour tous ?
Pendant des mois, nous avons donc perdu de très longues heures dans des conférences, des débats, des émissions médiatiques, dans les salons, sur les marchés, dans les bistros à débattre du débat !
En conséquence, le choix de société qui nous est proposé ici n’a pas suivi le parcours habituel de ces politiques publiques qui, ordinairement, font l’objet d’un processus de maturation qui doit conduire à un débat relativement apaisé.
Alors, mes chers collègues, ne vous demandez pas pourquoi, y compris devant le Parlement, le débat demeure toujours aussi pesant ! Cette pesanteur n’a de fait qu’une seule cause : l’incapacité des Français et des corps intermédiaires qui ne sont pas favorables au projet de loi à s’exprimer.
En effet, le débat a été confisqué par la coalition de quelques lobbies radicaux se revendiquant de communautés qui ne les ont jamais mandatés. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Peu importe de savoir quelles communautés devaient représenter ces lobbies puisque, de fait, il n’y a rien qui puisse nous prouver que ces organisations ou associations de quelques centaines de membres soient bel et bien les représentantes de communautés de plusieurs millions de membres. Par conséquent, il n’y a rien qui puisse justifier l’écoute dont ces lobbies ont pu bénéficier auprès du Gouvernement.
À l’inverse, à la faveur d’un rééquilibrage de la censure médiatique, d’un rééquilibrage dans l’accès aux médias, immédiatement, des voix discordantes ont pu s’élever contre ce « hold-up intellectuel ». En quelques semaines, l’opinion a commencé à s’emparer du sujet, faisant abstraction de la vindicte de quelques leaders d’opinions, appliquant implacablement la devise selon laquelle il ne faut pas laisser de « liberté aux ennemis de la liberté ».
Pour tout cela, puisque le débat a été confisqué depuis trop longtemps, puisque les opinions contradictoires ont été cachées, avant d’être stigmatisées,…
M. Roland Courteau. Allons !
Mme Catherine Troendle. … il faut donner la possibilité au peuple de s’exprimer à travers une consultation nationale.
Ce référendum sera ainsi l’occasion pour tous les Français de donner leur plus profond sentiment sur cette question de l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe.
Laissez donc les Français construire leur propre opinion, laissez-les choisir ce qui est bon pour eux ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Enfin ! sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bonnefoy. Mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je tiens à rappeler une nouvelle fois les raisons qui nous poussent à rejeter cette motion référendaire.
La raison principale est, bien évidemment, d’ordre constitutionnel.
Cela a été rappelé à maintes reprises, ici-même ce matin, mais aussi à l’Assemblée nationale au mois de janvier dernier : l’article 11 de la Constitution ne permet pas de demander un référendum sur une question de société. (Si ! sur plusieurs sénateurs du groupe UMP.)
Vous le savez d’ailleurs très bien, car vous en êtes en partie responsables ! Si vous l’aviez voulu, il fallait l’intégrer dans la révision constitutionnelle de 2008, cela vous a déjà été dit.
M. Jean-Claude Lenoir. « Social » est synonyme de « sociétal » !
Mme Nicole Bonnefoy. Souvenez-vous des propositions qui avaient été faites en ce sens à l’Assemblée nationale et que la garde des sceaux de l’époque, pourtant de votre bord politique, avait rejetées.
M. Jean-Pierre Caffet. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. Vous ne pouvez donc pas feindre la surprise aujourd’hui quand nous vous expliquons que votre demande n’est pas recevable.
Vous êtes bien ici dans une posture purement politique et démagogique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Troendle. Pas du tout !
Mme Nicole Bonnefoy. Car, comme je le disais lors de mon intervention en discussion générale, comme le rappelait Alain Anziani ce matin, le référendum que vous appelez de vos vœux a déjà eu lieu, ne vous en déplaise. Le 6 mai dernier, ce sont 18 millions de Français qui se sont déplacés vers les urnes (Mêmes mouvements.) pour donner à François Hollande toute la légitimité d’appliquer son programme, programme dans lequel le mariage pour les couples de même sexe a toujours été inscrit.
En demandant aujourd’hui l’organisation d’un référendum, vous respectez bien peu la voix de ces Français.
Par ailleurs, vous ne cessez de répéter que le Gouvernement prive ici la société d’un débat fondamental. Mais que vous faut-il de plus ?
Je vous rappelle encore que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe était inscrite dans le programme de François Hollande dès le mois de janvier 2011 ; le projet de loi a été présenté au conseil des ministres le 7 novembre dernier, puis les rapporteurs sur ce texte, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont organisé respectivement des dizaines d’auditions pendant plusieurs semaines, en recevant l’ensemble des représentants de la société civile dans leur diversité.
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
Mme Nicole Bonnefoy. De surcroît, il ne vous aura pas échappé que, depuis plusieurs mois, les médias se sont emparés de ce sujet et qu’il ne se passe pas un jour sans que nous en débattions.
Le débat a donc bien eu lieu, et il a lieu encore aujourd’hui dans cet hémicycle. Certes, nous ne sommes pas d’accord, mais ce n’est pas pour autant que nous sommes devant un quelconque déni de démocratie.
Le Parlement doit jouer son rôle, mes chers collègues ! Ne l’opposez pas au peuple !
Pour conclure, je dirai que nos débats nous confirment une chose évidente : il y a bien un fossé idéologique entre nous, entre les progressistes, qui souhaitent donner toujours plus d’égalité et de droits aux citoyens (Protestations sur les travées de l'UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.), et les conservateurs, qui considèrent, comme nous l’avons entendu ce matin, que le mariage fait partie de notre patrimoine et, à ce titre, serait une institution intangible.
Ce n’est pas notre vision de la société. La famille n’est pas une institution figée. Il ne peut y avoir de loi « immuable » qui la régisse. Le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui vise justement à accompagner des évolutions sociales et sociétales.
Il s’agit de reconnaître des droits essentiels à des milliers de Français, mes chers collègues, qui existent, qui nous écoutent, ne l’oubliez jamais, et qui se voient privés de ces droits du fait de leur orientation sexuelle.
Ce texte d’égalité et de progrès social a toute sa légitimité depuis le 6 mai dernier. C’est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste votera contre cette motion ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion de renvoi au référendum.
Je rappelle que, en application de l’article 68 du règlement, l’adoption par le Sénat d’une motion de référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n°126 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 164 |
Contre | 176 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
En conséquence, la motion de renvoi au référendum est rejetée et le Sénat va poursuivre la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je remercie très chaleureusement les sénatrices et sénateurs qui ont permis que le débat sur ce texte extrêmement important se poursuive, ainsi que tous ceux qui ont exprimé avec franchise et conviction leur position.
Il serait facile pour nous tous de considérer que s’en remettre au peuple est l’alpha et l’oméga de la politique. Mme Cayeux a eu l’amabilité de nous dire que ni le Président de la République ni moi-même ne sortirions affaiblis de cette consultation, sauf que nous ne jouons pas ici notre réputation.
Nous sommes respectueux de la loi fondamentale. Elle pose les conditions dans lesquelles une consultation peut se faire ; elle dit la nécessité de la prise de responsabilité de l’exécutif. Nous prenons cette responsabilité, avec tous les désagréments que cela peut supposer. Nous remercions donc ceux qui ont permis au débat de se poursuivre sur ce texte important. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
(M. Didier Guillaume remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
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Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date de ce jour, deux décisions du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant, d’une part, sur l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale (réduction sur les cotisations à la charge de l’employeur) (n° 2013-300 QPC) et, d’autre part, sur les dispositions de l’article L. 756 5 du code de la sécurité sociale issues de la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000 (cotisations et contributions des employeurs et travailleurs indépendants) (n° 2013-301 QPC).
Par ailleurs, M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, également ce vendredi 5 avril, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont respectivement adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité, la première portant sur l’article 1er de la loi n° 2005 5 du 5 janvier 2005 (statut des maîtres contractuels des établissements d’enseignement privé sous contrat) (2013-322 QPC) et la seconde portant sur les troisième à cinquième alinéas du IV du 1.1 du 1 et du IV du 2.1 du 2 de l’article 78 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 dans leur rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 (dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle) (2013-323 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de ces communications.
5
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe
Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (projet n° 349, texte de la commission n° 438, rapport n° 437, avis n° 435).
Nous en sommes parvenus à l’examen de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, d'une motion n°1 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour la motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le rapporteur, dans votre rapport écrit, vous réfutez, parfois d’ailleurs en une phrase lapidaire, les objections très nombreuses exprimées, sur les plans tant juridique qu’anthropologique, contre ce projet de loi.
Votre thèse est que « rien n’est ôté au mariage que connaissent aujourd’hui les couples hétérosexuels » – pour ma part, je ferai observer que l’altérité est constitutive du couple… – et que, compte tenu du périmètre limité de la réforme, le bouleversement symbolique n’est pas avéré !
C’est bien ce que vous avez écrit dans votre rapport, mais un peu moins dit dans les médias, n’est-ce pas ?
Si vous voulez dire qu’une infime minorité réclame au nom de l’égalité l’extension du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe, vous avez sans doute raison. Mais alors, qui devons-nous croire ? Vous, monsieur le rapporteur, ou vous, madame la garde des sceaux, qui, à plusieurs reprises, avez parlé de « réforme de civilisation » ?
Vous avez d’ailleurs expliqué, madame la garde des sceaux, ce qu’était selon vous une civilisation ; j’avoue que je ne suis pas sûr d’avoir tout compris… Une civilisation, me semble-t-il, c’est principalement la recherche permanente du bien commun de l’humanité ou d’une société.
M. David Assouline. Par exemple !
M. Jean-Jacques Hyest. Autrement, cela n’a pas de sens. On ne peut pas uniquement prendre un petit morceau et laisser croire que tout le reste n’a aucune valeur.
Si votre projet de loi ne prévoyait, comme c’est le cas dans un certain nombre de pays, que de permettre à des personnes de même sexe d’officialiser leur union civile en mairie et de bénéficier de l’ouverture de droits sociaux et patrimoniaux, une majorité de nos concitoyens l’accepteraient. Or, parce que vous bouleversez le droit de la filiation, ils ont l’impression que, au nom du principe d’égalité, on veut transformer la société, ce projet de loi n’étant qu’une étape dans la déconstruction de la famille. En conséquence, ils disent non majoritairement. Le consensus explose et les problèmes juridiques et constitutionnels s’accumulent.
Tout d’abord, madame la garde des sceaux, l’étude d’impact est particulièrement insuffisante, car elle ne répond absolument pas aux exigences de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 concernant l’impact juridique et l’évaluation des conséquences économiques, financières et sociales d’un projet de loi.
À cet égard, permettez-moi de citer ce que nous connaissons de l’avis du Conseil d’État qui pointe les failles de cette étude d’impact : « Elle ne traite pas […] des questions multiples et complexes que soulève l’ouverture de l’adoption aux conjoints de même sexe, tant dans le cadre de l’adoption internationale que, plus généralement, au regard de l’appréciation que les autorités compétentes seront amenées à faire de l’intérêt de l’enfant et qui est opéré, en droit positif, de manière concrète, au cas par cas ».
Le Conseil d’État note ensuite les conséquences sur l’état civil, lequel mettra en évidence, « par la référence à des parents de même sexe, la fiction juridique sur laquelle repose cette filiation ».
Il en est de même concernant l’accès aux origines, point sur lequel l’étude d’impact est.
Le Conseil d’État s’est également interrogé sur les effets pour les conjoints étrangers, sans que ni l’étude d’impact ni le projet de loi ne règlent vraiment le problème.
Enfin, et c’est le plus important, le Conseil d’État met en garde le Gouvernement contre l’impact d’un tel projet de loi sur le mariage tel qu’il existe aujourd’hui, et ce depuis deux siècles, entre un homme et une femme : « Eu égard à la portée du texte qui remet en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, à savoir l’altérité sexuelle des époux, et compte tenu des conséquences insuffisamment appréhendées par l’étude d’impact qu’un tel changement apportera à un grand nombre de législations, dans l’ordre pratique comme dans l’ordre symbolique, il y a lieu pour le Conseil d’État de ne rien changer aux conditions applicables à ce dernier ».
On ne peut pas mieux dire !
On nous a affirmé que le Conseil d’État était favorable au projet de loi. C’est donc entièrement faux ! Il a au contraire émis de fortes objections sur ce texte.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On ne connaît pas l’avis du Conseil d’État !
M. Jean-Jacques Hyest. Allez-vous me dire, madame la garde des sceaux, que ce qui a été publié est faux ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est assez étonnant que l’avis du Conseil soit lu à la tribune…
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, mais dès lors que cet avis est public, j’ai bien le droit de l’utiliser, d’autant plus qu’il reflète exactement ce que je pense de l’étude d’impact de ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
De surcroît, on cite de manière biaisée la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011, qui permettrait au législateur d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. C’est sans doute ignorer son interprétation du principe d’égalité,…
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. … qui ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général.
Cette décision permet sans doute de créer l’union civile que nous proposons. En revanche, qu’on le veuille ou non, et c’est le centre du débat, l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe a pour conséquence de leur ouvrir le droit à l’adoption plénière, qu’il s’agisse de l’adoption plénière par les deux conjoints ou de l’adoption de l’enfant du conjoint survivant.
À moins que ne soit substantiellement modifiée la loi du 11 juillet 1966, je mets en garde ceux qui répètent, sans doute de bonne foi, qu’il faut absolument réformer le droit de la filiation. Sont-ils prêts à faire reposer le droit de la filiation sur la pure intention, en s’affranchissant encore plus de la vérité biologique par l’abandon de la référence à l’altérité sexuelle nécessaire à la conception d’un enfant ? La question est posée !
Mme Catherine Troendle. C’est en effet la question !
M. Jean-Jacques Hyest. Les parents dits « sociaux » auraient seuls droit de cité, aboutissement logique de cette réforme ?
L’adoption plénière par des couples homosexuels crée une inégalité criante en ce qui concerne les droits des enfants, contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant, comme ne cesse d’ailleurs de le répéter la Cour de cassation.
Et ce n’est pas le tour de passe-passe qui consisterait à créer un état civil spécifique pour les enfants faisant de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité qui réglerait le problème. L’égalité supposée des adultes conduirait nécessairement à une inégalité pour les enfants dont les conséquences n’ont pas été appréciées.
M. Gérard Longuet. Et voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. À cet égard, je rappellerai son propos à notre rapporteur : « Faut-il que les enfants fassent les frais de l’orientation sexuelle de leurs parents ? »
M. Gérard Longuet. CQFD !
M. Jean-Jacques Hyest. Dans l’état actuel de notre droit, les enfants vivant dans des familles de parents homosexuels ont bien un père et une mère biologique,…
Mme Françoise Laborde. Ils vont très bien, merci !
M. Jean-Jacques Hyest. … puisque la PMA et la GPA sont, en principe, interdites, et, à moins de modifier le régime de l’adoption plénière et de la filiation en acceptant, justement, la gestation pour autrui et la procréation médicalement assistée, le risque de ne pas aller au bout de la problématique entraîne obligatoirement le grief d’« incompétence négative ».
Le projet de loi, contrairement à ce qui était affirmé, prévoit bien, dans son article 4, dit « de coordination », de remplacer les termes de « père et mère » par le terme de « parents » dans un grand nombre de dispositions du code civil, dont l’article 34, avec pour effet de supprimer les termes de « père » et de « mère » dans les actes de l’état civil.
Devant l’énormité de ce procédé (M. François Rebsamen rit.), qui avait toutefois sa logique, l’Assemblée nationale a souscrit à ce que le tome 1 du code civil – sauf, tout de même, le titre de la filiation, qui a sans doute été conservé pour faire plaisir, parce que cela fait beau… – s’applique aux parents de même sexe lorsqu’ils font référence aux père et mère.
Quant à la commission des lois du Sénat, encore plus subtile, elle prévoit, pour l’article 6-1 du code civil, que : « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion du titre VII du livre 1er du présent code civil, que les époux ou les parents soient du même sexe ou de sexe différent. » J’ai essayé de traduire cette disposition dans divers articles du code civil, mais je n’y arrive pas du tout.
Pour compléter le tout, on renvoie à des ordonnances le soin d’adapter les autres législations à cette indifférenciation des sexes.
M. Charles Revet. Comme ça, on pourra faire ce que l’on veut !
M. Jean-Jacques Hyest. Cela s’apparente à du bricolage législatif, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’article 34 du code civil, ce qui est totalement contraire aux principes d’intelligibilité et de clarté de la loi, sur lesquels le Conseil constitutionnel veille jalousement, et il a raison.
De surcroît, au lieu de créer une égalité, vous prenez le risque de « consacrer une adoption dans l’intérêt des adoptants et de rompre l’égalité de statut entre les enfants selon leur filiation ».
Les enfants adoptés par des couples de personnes de sexe différent bénéficient, en effet, d’une filiation symbolique en substitution de leur filiation biologique, alors que, arbitrairement, les enfants adoptés par des personnes de même sexe n’auront même plus de filiation symbolique à laquelle se rattacher.
Que vous le vouliez ou non, il faudra créer deux états civils différents, deux livrets de famille différents, à moins de nier tout ce qui fait le mariage, lequel est, dans son principe et comme institution, « l’union d’un homme et d’une femme ».
À cet égard, permettez-moi, même si cela a déjà été fait, de citer Lionel Jospin, dont l’opinion sur ce sujet me paraît pleine de bon sens : « Quant à l’enfant, il n’est pas un bien que peut se procurer un couple hétérosexuel ou homosexuel, il est une personne née de l’union […] d’un homme et d’une femme […]. Et c’est à cela que renvoient le mariage et aussi l’adoption ». Ce point de vue me paraît aussi respectable que d’autres !
Rupture du principe d’égalité pour les enfants, incompétence négative, défaut de clarté et d’intelligibilité de la loi, graves lacunes de l’étude d’impact : je dois avouer que rarement un texte n’a concentré de tels griefs d’inconstitutionnalité.
J’ajoute que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe va à l’encontre du Préambule de la Constitution de 1946, notamment de ses articles 10 et 11, et plus généralement du principe de l’altérité sexuelle du mariage, qui est l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République depuis 1804. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.
En outre, le projet de loi est contraire aux conventions internationales, dont les principes sont universels, en l’occurrence à la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen et à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoient que l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille, ainsi, bien entendu, qu’à la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. Nous aurons l’occasion de développer tous ces points dans le cours de la discussion du projet de loi.
L’ambiguïté majeure de votre texte réside dans le fait qu’il vous permet d’avancer masqués. (M. Roland Courteau s’exclame.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Ronan Kerdraon. Arrêtons les caricatures et les faux procès !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas une caricature : il suffit d’entendre ce que dit M. le rapporteur.
Au nom du principe d’égalité et pour donner un droit à l’enfant, comme dans certains pays, mais alors que seuls les droits de l’enfant valent dans une société humaniste, nous en viendrons à l’aide médicale à la procréation assistée de convenance,…
M. Jean-Jacques Hyest. … et, même si le Président de la République s’en défend, à la procréation médicalement assistée. Puisque des enfants sont déjà issus de telles pratiques en France, c’est donc que la loi n’a pas été respectée, mais, au nom de l’intérêt de l’enfant, on va les reconnaître, et la boucle sera bouclée !
M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous aurez mis en route une machine infernale, à la grande joie de ceux qui affirment la négation de l’altérité sexuelle au profit de la seule orientation sexuelle.
M. Roland Courteau. Vous disiez déjà cela lors du vote du PACS !
M. Jean-Jacques Hyest. Êtes-vous bien sûrs que c’est cela que les Français ont entendu dans les promesses de campagne du Président de la République ?
Mes chers collègues, compte tenu des enjeux constitutionnels de ce projet de loi, parce qu’il y a d’autres voies permettant de respecter les choix de vie de chacun, parce que nous ne voulons pas d’une dénaturation de l’institution du mariage, véritable enjeu de civilisation, nous vous invitons à voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, contre la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, si aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme non plus qu’aucune norme supérieure ne contraint la France à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, aucune ne s’oppose à ce que le législateur décide de le faire.
En effet, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a indiqué, dans sa décision du 28 janvier 2011, que les articles 75 et 144 du code civil, qui expriment une conception exclusivement hétérosexuelle du mariage, ne sont pas inconstitutionnels.
Toutefois, le Conseil a aussi rappelé que si « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, il n’appartient pas au Conseil de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ».
Ainsi, ni les articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ni aucun des quatre-vingt-neuf articles de la Constitution proprement dite ne peuvent être invoqués pour justifier l’inconstitutionnalité du projet de loi.
Au contraire, « il serait même possible de soutenir que la liberté individuelle, reconnue à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, implique que chacun puisse vivre sa vie comme il l’entend, sans que l’État vienne imposer aux individus une conception particulière de la vie bonne, en l’espèce, une seule modalité de mariage ».
J’ajouterai que le législateur a le devoir d’affirmer que ces citoyens, qui peuvent être nos enfants, des membres de notre famille, nos amis, nos collègues, sont nos égaux en droit et en dignité, ce qui justifie de leur ouvrir le régime juridique du mariage.
De la même manière, leur accorder le droit à la parentalité, c’est leur reconnaître le droit d’établir des liens de filiation avec un enfant le plus rapidement et le plus simplement possible, dans l’intérêt de cet enfant. Dans ce même intérêt, on ne peut plus accepter qu’une personne ne puisse pas exercer des droits parentaux sur un enfant qu’elle aurait choisi d’accueillir, d’éduquer et d’aimer, pour des raisons liées à ses orientations sexuelles.
Certaines craintes se sont exprimées concernant l’ouverture de l’adoption plénière à un couple de même sexe, qui remettrait en question un modèle bâti sur l’imitation de la nature et la retranscription de celle-ci sur les actes de naissance de ces enfants, l’adoption plénière entraînant, en effet, une nouvelle filiation, qui efface la filiation d’origine.
Il y aurait là, pour certains, un risque d’inconstitutionnalité, fondé sur l’incompétence négative du législateur.
Je leur rappellerai simplement que, depuis 1966, l’adoption plénière est ouverte aux personnes seules…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Oui !
Mme Éliane Assassi. … et que, dans ce cas aussi, l’acte d’état civil ne fait pas mention d’une altérité sexuelle.
De plus, comme l’a préconisé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, nous devons faire la part entre le principe de l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe et la nécessité de résoudre les questions concernant la filiation en général posées par le modèle français de l’adoption plénière. En effet, celle-ci est parfois qualifiée de « mensonge institutionnalisé ».
Un tel « mensonge » n’est pourtant pas propre aux couples de personnes de même sexe. Je dirai même que la critique vaut essentiellement pour l’adoption par des couples de sexes opposés et met en débat la question de l’adoption plénière elle-même, qui coupe les liens avec la filiation d’origine et permet une substitution totale dans les actes d’état civil. Le vrai débat est donc celui de l’accès aux origines.
Sur cette question, comme sur toutes les problématiques soulevées par l’adoption, sur lesquelles Michelle Meunier, notre rapporteur pour avis, est intervenue, une volonté politique forte sera nécessaire pour mener à bien une réforme. Nous faisons confiance aux ministères concernés pour le faire prochainement.
Ainsi, mes chers collègues, la mise en cause de la constitutionnalité du projet de loi nous apparaît infondée. La vérité, en effet, est ailleurs.
Chers collègues de l’opposition, vous subvertissez le sujet du mariage pour tous pour imposer une vision de la société, comme si celle-ci était la réponse à la crise dans laquelle notre pays est plongé depuis des années, crise dont vous êtes grandement responsables. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Nous ne sommes pas dupes. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Excellent !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission demande au Sénat de voter contre cette motion.
En effet, la conformité à la Constitution du texte que nous nous apprêtons à examiner et à voter est hors de doute. D’une part, la décision d’ouvrir ou non le mariage aux couples de même sexe entre bien dans le champ de compétence du législateur, et de lui seul. D’autre part, aucun principe constitutionnel ne s’oppose à l’accès des couples homosexuels au mariage et à l’adoption.
La décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011 a clairement établi la compétence du législateur sur cette question. En effet, la haute instance a indiqué qu’il ne lui appartenait pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation », à savoir « la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme ». On ne peut pas mieux dire !
Cette dernière mention fait référence, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à la limite que la haute instance donne à son propre contrôle et à la marge d’appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence souveraine du législateur, en particulier sur les grandes questions de société : l’IVG, la bioéthique, le partage du temps de travail, le droit à vivre dans un environnement protégé, l’appréciation de la nécessité des peines, les grands choix de politiques fiscales, etc.
Le choix d’ouvrir ou non le mariage et l’adoption conjointe aux couples de même sexe ne fait pas exception et relève, comme les autres, de notre compétence souveraine et exclusive de législateur.
Conscients de la détermination de la majorité à conduire cette réforme nécessaire, légitime et attendue, ses opposants ont tenté, par d’audacieux échafaudages juridiques, de contester sa conformité à la Constitution. Je ne parle pas de vous, monsieur Hyest, mais d’opposants extérieurs à notre assemblée. Pas un seul de ces échafaudages ne tient.
L’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ? Il ne suffit pas qu’une loi n’ait pas été contestée dans le temps pour fonder un tel principe. En outre, si tel avait été le cas, le Conseil constitutionnel n’aurait pu reconnaître au législateur le pouvoir d’appréciation qu’il lui a reconnu.
Une rupture d’égalité entre les enfants adoptés conjointement par deux personnes de même sexe par rapport aux autres ? Écartons dès à présent une grave confusion, parfois entretenue à dessein : l’adoption, même plénière, ne prétend pas donner de géniteurs à l’enfant. Elle se contente de lui donner des parents, ce qui est bien différent.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Même si l’adoption plénière entretient un secret, pour l’instant encore, sur les origines de l’enfant, ce secret n’est pas différent, que les adoptants soient de même sexe ou de sexe différent.
M. François Rebsamen. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. L’enfant n’est pas plus privé d’une branche parentale qu’un autre adopté par un célibataire ou non reconnu par un de ses parents. Cessons de croire que tous les enfants pourraient ou même devraient avoir un père et une mère : certains ont deux pères ou deux mères, qui les élèvent et qui les aiment, pas plus, pas moins ! Nous nous devons d’assurer leur situation juridique, sans plaquer sur eux un modèle auquel ils ne correspondent pas et qui les exclut.
N’est-ce pas là, d’ailleurs, ce que commandent l’égalité de droits et la protection de tous les enfants ? Ce serait ne pas reconnaître les mêmes droits à l’adoption pour tous les couples mariés qui serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, comment raisonnablement soutenir que le législateur ne serait pas compétent en matière de mariage ? Parce que le mot ne se retrouve pas à l’article 34 de notre Constitution ? Mais l’on n’y trouve pas plus celui de « famille » ! Faut-il pour autant s’abstenir de légiférer en la matière ? Il n’y a pas davantage celui de « filiation », non plus que celui d’« autorité parentale ». Or nous avons légiféré dans ces domaines. La constitutionnalité de la réforme de 2002 a-t-elle jamais été contestée ? Le raisonnement déployé interdirait au législateur de modifier le livre Ier du code civil !
J’ajoute que le Conseil constitutionnel a consacré la liberté de mariage en la rattachant au principe constitutionnel de la liberté personnelle. Or, selon l’article 34 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordés aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Quant au grief d’incompétence négative, il ne tient pas, puisque les interdictions actuelles concernant la PMA et la GPA ont été maintenues. Si elles ne l’avaient pas été, on aurait pu, en effet, nous reprocher d’ouvrir le périmètre du projet de loi.
Je veux cependant saluer les efforts de Jean-Jacques Hyest, qui a tenté de nous démontrer l’inconstitutionnalité du projet de loi, mais je dois aussi souligner ce qui était finalement un aveu de faiblesse de sa part. Il a en effet lui-même dit que nous reparlerions de ces questions dans le cours du débat…
Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, et parce qu’aucun des griefs présentés ne paraît fondé, la commission des lois vous invite à rejeter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. C’est toujours avec grand plaisir que j’écoute Jean-Jacques Hyest, faiblesse que j’avoue sans difficulté.
M. Gérard Longuet. Vous aurez d’autres occasions de vous réjouir, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai ainsi écouté avec la plus grande attention la présentation de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, motion dont, je le rappelle, l’objet est de démontrer l’inconstitutionnalité d’un texte et, par conséquent, la nécessité de mettre un terme à son examen.
En l’espèce, l’argumentaire qui nous a été présenté se composait essentiellement de la lecture de l’avis du Conseil d’État.
Je rappelle que l’avis du Conseil d’État n’est pas rendu public, sauf si le Premier ministre en décide autrement, non qu’il s’agisse de le dissimuler aux parlementaires ou à l’opinion publique, mais parce que le Conseil d’État exerce une mission de conseil, précisément, auprès du Gouvernement et que la condition pour que cette mission soit efficacement remplie est la confidentialité.
Ce n’est pas là un archaïsme qui nous aurait échappé : le sujet a été débattu devant le Parlement il y a deux ans encore et il a été décidé de maintenir ce principe de confidentialité.
Je dois donc dire mon étonnement qu’un avis d’une institution de cette nature soit lu au Parlement au motif que la presse l’aurait publié. Mon étonnement est d’autant plus grand s’agissant du Sénat que cette maison est extrêmement attachée au droit et aux règles.
M. Gérard Longuet. Tout fout le camp !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en viens à la pertinence de cet avis.
Je rappelle d’abord que ce dernier a été donné sur le projet de loi du Gouvernement. Or nous discutons aujourd’hui d’un texte qui a été modifié par la commission des lois de l’Assemblée nationale, par l’Assemblée nationale en séance plénière et par la commission des lois du Sénat. Il y a donc un décalage temporel.
Par ailleurs, M. Hyest nous a expliqué, à juste titre, que dans son projet de loi initial le Gouvernement avait choisi de respecter une des principales règles de la légistique en insérant dans le projet de loi toutes les modifications et coordinations qu’entraînerait l’adoption éventuelle de l’article 1er, qui ouvre le mariage aux couples de même sexe. Ce mode d’écriture du droit imposait de recenser de la façon la plus exhaustive possible les conséquences de la modification législative introduite à cet article sur le reste du code civil, d’une part, et sur les autres codes, lois et ordonnances, d’autre part.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a choisi un autre mode d’écriture, optant pour ce que l’on appelle, de manière triviale, un « article balai », disposition interprétative, également conforme aux règles de la légistique, inscrite au début du livre Ier du code civil.
M. Hyest nous dit que c’est l’énormité du procédé du Gouvernement qui a conduit l’Assemblée nationale à choisir un autre mode d’écriture.
M. Michel Vergoz. M. Hyest n’est plus en séance… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a eu la courtoisie de me prévenir qu’une contrainte l’obligeait à s’en aller, mais qu’il prendrait connaissance de ma réponse.
M. Jean-Claude Lenoir. Voilà !
Un sénateur du groupe UMP. Ce n’est pas correct, monsieur Vergoz !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est de ma faute, mesdames, messieurs les sénateurs : j’aurais dû vous le dire au début de mon propos !
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. C’est de la faute de M. Vergoz !
M. Christian Cambon. Il nous cherche !
M. le président. Veuillez poursuivre, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans son intervention, donc, M. Hyest insistait sur l’énormité du procédé utilisé par le Gouvernement.
Le Gouvernement n’avait pas touché au titre VII, qui concerne la filiation, et avait procédé aux coordinations nécessaires à partir du titre VIII, lié à la filiation adoptive.
L’Assemblée nationale a préféré, je l’ai dit, un autre mode d’écriture.
La commission des lois du Sénat en a choisi encore un autre, qui consiste à poser pour principe général que les conséquences et obligations en droit sont les mêmes, que les époux et parents soient de sexe différent ou de même sexe.
En ce qui concerne l’inconstitutionnalité du texte, je n’ai pas entendu un seul argument remettant en cause un article ou une disposition du texte en particulier.
Je n’ai pas entendu évoquer l’argument, prévisible, relatif à l’accessibilité et à l’intelligibilité du texte, dont nous aurions pu effectivement discuter, mais, cet argument n’ayant pas été avancé, je n’ai aucune raison, pour l’instant, d’y répondre.
Il est normal que toutes les motions de procédure soient utilisées ; il est possible qu’elles le soient pour enrichir le débat, et c’est tant mieux, car, s’il est un lieu propice aux délibérations collectives éclairées, c’est bien le Parlement.
Il y a des débats au sein de la société, vous le savez : tout le monde en organise. J’ai entendu quelqu’un réclamer davantage de débats, mais cela fait plus de six mois que des débats sont organisés ! Je ne connais pas de sujet qui ait été autant débattu dans la société française : que ce soit sur le terrain ou dans les médias, il a été abordé sous tous les angles !
Le Gouvernement a procédé à des auditions. Avec ma collègue Dominique Bertinotti, ministre de la famille, nous avons entendu des personnalités de sensibilités différentes, des représentants de diverses institutions, des responsables de culte, des spécialistes des sciences humaines et des sciences sociales…
M. Charles Revet. Mais il n’y a pas eu de débat !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Leurs contributions ont été mises en ligne sur le site du ministère de la justice pour nourrir la réflexion de tous ceux qui voulaient organiser des débats, mais il faut regarder la réalité en face : certains débats ont été très perturbés.
Ainsi, pas plus tard que la semaine dernière, Erwann Binet, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, qui organisait un débat, a dû être évacué par la police, car il était pris à partie et menacé. Je veux bien que l’opposition demande davantage de débats,…
M. Charles Revet. Madame la ministre, le sujet est grave !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais pas quand les personnes dont elle se réclame, puisqu’elle défend avec détermination, dans les deux chambres du Parlement, les manifestations qui ont eu lieu, empêchent qu’ils aient lieu !
Je ne parle pas des citoyens inquiets qui s’interrogent ou qui protestent en participant à ces manifestations. Ce n’est pas un propos de circonstance, puisque je l’ai dit avant même la présentation du projet de loi en conseil des ministres, voilà donc des mois : je sais que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe va heurter des personnes et ébranler des représentations.
M. Gérard Larcher. Pas seulement des représentations !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne sous-estime pas cet aspect de la question. Je l’ai dit ce matin, ce sont des choses que je peux entendre ! Il y a encore des traces de sacré dans l’institution du mariage : même si elle a changé de nature en devenant laïque et civile, cette institution a marqué d’une empreinte forte notre société. Elle est devenue une institution civile, mais il reste des traces de la représentation sacramentelle qu’elle a portée pendant pratiquement un demi-millénaire.
C’est un aspect que j’aborde avec le plus grand respect et j’ai eu des échanges posés avec des personnes qui considèrent encore que l’institution du mariage est sacrée, y compris avec des participants aux manifestations, pour leur expliquer le point de vue du Gouvernement. Mais, s’il est normal que des Français, dont personne ne connaît d’ailleurs le nombre, s’interrogent sur ce texte et sur les bouleversements dont il est porteur, il est inadmissible de ne pas pouvoir débattre publiquement. C’est notre démocratie qui est en jeu !
Notre responsabilité politique est d’abord d’éclairer. J’ai entendu des sénateurs de l’opposition dire, de bonne foi, qu’il fallait parler aux Français, leur expliquer le texte pour qu’ils le comprennent mieux, mais il faut reconnaître que certains luttent à coup de contre-vérités.
Nous avons entendu pendant plusieurs mois que les mots de « père » et de « mère » allaient disparaître complètement du code civil alors qu’il n’en a jamais été question, ne serait-ce que parce que le titre VII concerne la filiation biologique. Le code civil emploie le terme de « filiation ». Il ne la qualifie pas, mais il s’agit bien de la filiation par engendrement. Il n’y a donc aucune raison que le titre VII soit modifié. Or, nous avons tous entendu des manifestants interrogés à la télévision dire que les mots « père » et « mère » allaient disparaître du code civil.
Éclairons donc les Français en leur disant la vérité, présentons-leur les arguments qui ont été employés, y compris – je pense, notamment, aux propos de M. Milon – par l’opposition.
Oui, dans certaines situations, il y a des risques, mais, objectivement, quels sont ici les risques ?
M. Retailleau parlait tout à l’heure d’amputation, mais de quelle amputation ? Qui ampute-t-on en ouvrant l’institution du mariage aux couples de même sexe ?
M. Bruno Retailleau. L’enfant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et que veut dire ce « la famille » au singulier ?
Débattons, mais débattons des faits, de la vérité, de la réalité, et, si après avoir débattu, nous constatons que les divergences demeurent et sont peut-être même indissolubles, eh bien, assumons-le !
Quant aux arguments relatifs au risque d’inconstitutionnalité, je ne les ai pas, je l’ai dit, entendus. Sans doute n’ont-ils pas été développés faute de temps. Je ne devrais pas le dire à haute voix, mais j’avoue que, un quart d’heure pour défendre une exception d’irrecevabilité, c’est assez peu. Cela étant, si M. Hyest avait sacrifié la lecture d’une partie d’un avis du Conseil d’État supposé demeurer confidentiel et d’une certaine façon déjà caduc, il aurait pu se consacrer davantage aux arguments d’ordre constitutionnel.
Je crois donc être fondée, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous inviter à rejeter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite revenir un instant sur ce qu'ont dit notre rapporteur et Mme la garde des sceaux. Bien que respectant parfaitement leurs points de vue, je dois faire état de mon total désaccord.
Personnellement, je suis convaincu de l'inconstitutionnalité du texte qui nous est soumis et je vais – très brièvement, puisque je ne dispose que de cinq minutes – dire pourquoi.
Le premier motif d’inconstitutionnalité est une forme d’irrespect des dispositions de la Constitution en ce qui concerne l'application des traités internationaux.
Ce texte ne respecte pas les traités internationaux qui gèrent le droit de la famille puisque nous avons signé avec d'autres États des conventions bilatérales. Il existe au moins une trentaine de conventions de ce type. Ces conventions auraient d'abord dû être révisées ou revues avant que l'on se lance dans l’adoption d’une telle réforme.
Le deuxième motif d’inconstitutionnalité, Jean-Jacques Hyest l’a très bien expliqué, a trait à l'étude d'impact, laquelle ne répond pas du tout aux exigences posées par la loi organique en la matière. Nous nous trouvons ainsi face au problème de l'intelligibilité de la loi, qui a déjà été soulevé par le Conseil constitutionnel. À partir du moment où l'étude d'impact n'est pas correcte, la loi n’est pas totalement intelligible.
M. Patrice Gélard. Troisième motif, relatif aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Personnellement, je suis convaincu que l'altérité dans le mariage fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Il y a trois conditions pour qu’un principe soit reconnu comme fondamental.
Première condition, il faut que le principe s'applique en fonction de la loi et non pas d'une tradition. Or, nous l’avons vu, une multitude de lois ont respecté le principe de l’altérité dans le mariage depuis les débuts de la République : qu’il s’agisse des lois sur la sécurité sociale, des lois concernant les allocations familiales, des lois relatives au logement, toutes se réfèrent à cette altérité de façon continue, pérenne et sans aucune exception, altération ou interruption.
Deuxième condition, il doit s’agir de lois républicaines. Si le code civil a été adopté en 1804, il a été maintenu et développé au fil de nos Républiques, de la IIe à la Ve.
Enfin, troisième condition, le principe doit être antérieur au Préambule de la Constitution. Or le mariage, dans sa forme actuelle, est bien antérieur à 1946.
À l'heure actuelle, neuf principes fondamentaux sont reconnus par les lois de la République. On les connaît peu, car ils sont rarement évoqués, notre système de droits et de libertés étant extrêmement étendu, mais je vous renvoie aux conclusions du rapport du comité Veil sur le Préambule de la Constitution.
Quatrième motif, l'article 34 de la Constitution ne nous donne pas compétence en matière de mariage, mais seulement de régimes matrimoniaux. Il y a là une différence fondamentale.
Enfin, cinquième motif que j’ai souligné hier, le texte qui nous est présenté met en place un système de statuts différents pour les enfants : les uns pourront être adoptés pleinement, les autres simplement. Il s’agit d'une grave atteinte au principe d'égalité entre les enfants.
Pour tous ces motifs, l'inconstitutionnalité subsiste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Le texte qui nous est proposé par Mme la garde des sceaux ouvre de nouveaux droits et de nouvelles libertés.
Aussi, je suis étonnée que M. Hyest, qui a présidé la commission des lois, trouve ce projet de loi contraire aux principes édictés par la Constitution, alors qu'il est seulement question d’égalité entre les citoyens et de la liberté de chacun de se marier ou non, avec un homme ou avec une femme.
D'un point de vue plus juridique, qu’il s’agisse de la Constitution de 1958, de son Préambule ou de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aucun de ces textes fondamentaux ne consacre un principe protégeant le mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme.
J'ajoute que jamais la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'a consacré le mariage entre un homme et une femme comme un principe fondamental des lois de la République.
Ériger le caractère hétérosexué du mariage en principe constitutionnel n’aurait aucun sens. En effet, cela reviendrait à inscrire dans le registre de l’interdit, voire de la discrimination, un principe qui n’aurait pas sa place au sein de nos principes constitutionnels, qui tendent tous à la promotion de nouveaux droits, tels que la liberté d’association, les droits de la défense, la liberté d’enseignement.
En outre, comme l’indique l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Le mariage des couples homosexuels n’empêchera pas les couples hétérosexuels de se marier. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Encore heureux ! Il ne manquerait plus que ça !
Mme Marie-Christine Blandin. Enfin, l’adoption, qui est également au cœur de ce projet de loi, permettra, d’une part, de mettre fin à une discrimination qui n’avait plus lieu d’être et, d’autre part, d’apporter une plus grande sécurité juridique et, disons-le, un foyer à de nombreux enfants.
Quand M. Gérard Longuet déclare que les homosexuels sont « des personnes comme les autres, mais pas des parents comme les autres », il énonce, certes, une évidence – individuellement, aucun parent, père ou mère, n’est identique à un autre –, mais il procède également à un amalgame entre un groupe et une idée d’inadéquation à la parentalité.
M. Gérard Longuet. La « parentalité », cela n’existe pas. C’est la « parenté » !
Mme Marie-Christine Blandin. Cet amalgame, nous ne l’acceptons pas !
Dès lors que notre code civil autorise l’adoption pour une personne seule, l’enfant n’ayant alors qu’un seul parent, il ne peut pas être reconnu comme contraire à notre Constitution qu’un enfant ait deux pères ou deux mères.
En conséquence, le groupe écologiste votera bien évidemment contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. L’argument de M. Gélard sur les conventions internationales a des qualités d’artefact que je voulais souligner.
Si nous nous privions de légiférer sur tous les sujets visés par les innombrables conventions internationales qui ont été signées par la France, nous ne pourrions plus légiférer.
Je connais bien l’article 55 de la Constitution. Mais le fait que la loi change en France peut contraindre le Gouvernement ou l’inciter à renégocier des conventions existantes.
M. Jean-Claude Lenoir. Comme pour le traité européen ?
M. Jean-Pierre Sueur. Notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui a dû nous quitter,…
Mme Isabelle Debré. Momentanément !
M. Jean-Pierre Sueur. … a déclaré tout à l’heure que notre rapporteur Jean-Pierre Michel avançait « masqué ».
Or, si nous pouvons faire des critiques à M. Jean-Pierre Michel, nous ne pouvons pas, surtout compte tenu des épisodes précédents, dont nous avons été les témoins, lui faire le reproche d’avancer masqué. C’est quelqu’un qui dit ce qu’il pense !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. En outre, M. Hyest a évoqué l’anthropologie. Depuis le début de ce débat, nous avons entendu plus d’une vingtaine de fois des orateurs affirmer : « l’anthropologie dit », argument que nous avons d’ailleurs entendu plusieurs fois, au cours des derniers mois, de la part de nombre d’autorités spirituelles.
Je pense que cela n’a aucun sens. (Approbations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) En effet, on ne peut pas parler de « l’anthropologie ».
Mme Esther Benbassa. Il y a plusieurs écoles !
M. Jean-Pierre Sueur. Lisez les œuvres de Margaret Mead, de Marcel Mauss, de Malinowski, de Claude Lévi-Strauss ou encore de Françoise Héritier : vous verrez que les positions sur le sujet sont extrêmement diverses au sein de « l’anthropologie ».
Je ne comprends donc pas que ce mot soit mis au singulier. C’est une facilité de raisonnement qui ne correspond strictement à rien. Il y a beaucoup de demeures dans la maison « anthropologie » !
Je souhaite ajouter deux codicilles.
D’abord, il me paraît léger d’embarquer, comme cela a pu être fait, des auteurs célèbres dans la défense de positions diverses et variées. Je ne sais pas ce que Louis Aragon ou Albert Camus auraient dit s’ils avaient siégé dans cette enceinte, mais il me paraît tout de même un peu excessif d’en faire des partisans de l’opposition absolue à ce texte !
Ensuite, beaucoup de nos collègues ont fait référence au dictionnaire et aux définitions qui y figurent.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais, mes chers collègues, les sciences sociales et les sciences humaines nous enseignent que les mots sont comme les êtres vivants : ils évoluent, ils changent de sens. Il est des lois – celle-ci peut en être une – qui contribuent à changer le sens des mots. Et si certains, en vertu d’une conception immobiliste, fixiste et positiviste, pensent que les mots ont un sens immuable, je me propose de leur offrir, même si c’est un peu volumineux, les quinze tomes de la magistrale Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot. Ils y découvriront que les mots, comme les êtres humains et les sociétés, changent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Voilà un homme lettré !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié bis, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 127 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 160 |
Contre | 177 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, d'une motion n° 2 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Hugues Portelli, pour la motion.
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, vous le savez, parmi toutes les motions de procédure, la question préalable est la plus radicale, puisqu’elle exprime le refus d’examiner un texte dont on estime qu’il n’y a aucune raison valable de l’adopter. C’est le cas aujourd’hui.
D’abord, la situation dramatique que connaît notre pays, sur les plans tant économique que social ou moral, imposerait que Gouvernement et Parlement réunis se consacrent à la seule priorité qui vaille : le sauvetage et le redressement de notre pays, menacé par un déclin irréversible.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Hugues Portelli. Au lieu d’œuvrer à nous rassembler sur ce sujet vital, la majorité présidentielle ne trouve rien de mieux à faire que de diviser profondément notre nation sur une question que personne, à droite comme à gauche, ne juge essentielle ou urgente, une question qui ne se posait pas jusqu’à ce jour.
En effet, pour les rédacteurs du code civil – je vous renvoie au discours préliminaire de Portalis sur le projet de code civil –, le fait que le mariage soit l’union d’un homme et d’une femme relevait de l’ordre physique de la nature, commun à tous les êtres animés. Cela ne relevait ni du droit naturel, qui est propre aux hommes et à la base de nos lois civiles, ni des lois positives, qui sont plus conjoncturelles. C’était la conception du droit romain ; c’est celle du code civil.
Le projet de loi soumis au Parlement, un texte écrit à la va-vite qu’il faudra, de l’aveu même du Gouvernement, au minimum compléter par des ordonnances, est ainsi devenu une priorité. Il s’agit de faire diversion, faute de pouvoir résoudre les vrais problèmes de notre pays et d’offrir à la majorité un marqueur idéologique de rechange, faute de pouvoir mettre en œuvre ses anciennes croyances, devenues obsolètes.
Au-delà des circonstances, ce texte soulève selon nous plusieurs problèmes graves qui justifient son rejet et que je voudrais énumérer rapidement.
Le premier est la confusion intellectuelle et juridique sur laquelle il repose.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est le fondement de l’État de droit dans notre pays, proclame que les hommes naissent…
M. Hugues Portelli. … libres et égaux en droits. De cette affirmation découlent plusieurs conséquences.
La première est que les droits de l’homme s’enracinent dans le droit naturel et qu’on ne peut bâtir le droit sur des constructions virtuelles : le droit civil notamment, celui de la famille avec ses éléments constitutifs – le mariage, la filiation –, ne peut prendre en considération une entité artificielle où l’enfant ne connaîtrait pas ses parents réels, père et mère, et où la naissance, la filiation, la structure familiale deviendraient des fictions, comme celles auxquelles se risquent parfois les auteurs de film fantastique.
Cet enracinement naturel du droit civil n’est nullement contradictoire avec le fait que tous les êtres humains soient égaux,…
M. Gérard Longuet. Absolument !
M. François Calvet. Eh oui !
M. Hugues Portelli. … qu’ils aient des droits identiques, mais cette égalité ne peut nier les différences, notamment sexuelles, qui font la richesse de l’humanité. Nous sommes tous différents et nous sommes tous égaux en même temps. Et la différence naturelle entre les êtres humains explique que des constructions sociales et juridiques différentes – le mariage, le PACS, l’union civile – doivent permettre d’arriver au même but : l’égalité de droits.
La différence entre les sexes est fondatrice de la société et cette réalité naturelle ne peut être niée au profit d’aberrations qui lui substitueraient une sexualité virtuelle, fruit du ressenti des individus.
Une deuxième source de confusion est la conception du mariage.
Le mariage est en France, on l’a répété, une institution sociale, qu’elle soit juridique ou non, d’ailleurs. L’union d’un homme et d’une femme permet non seulement de construire une famille, mais également de donner aux enfants de cette famille une sécurité affective et sociale, puisque, en se construisant à partir de la double image de la mère et du père, ils peuvent connaître leurs origines, leur histoire, leur identité.
Si le mariage n’était que la mise en forme d’un sentiment affectif, ou d’un désir entre deux êtres, quels qu’ils soient, il ne serait pas nécessaire de lui donner la solennité qu’il a toujours eue, pour la famille, pour la société, pour l’État,…
M. Gérard Longuet. Exact !
M. Hugues Portelli. … c’est-à-dire la force symbolique d’une institution qui structure toute l’histoire de l’humanité et que les civilisations successives ont enrichie sans jamais l’abattre.
Une troisième source de confusion est l’absence de toute réflexion sur les conséquences qu’entraînerait l’adoption de ce projet de loi.
Une telle loi serait bonne, ai-je entendu dire, car elle ne coûte pas cher, répond à une demande sociale et, de toute façon, ne concerne pas grand-monde : voilà l’argument qui nous est asséné,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Pas par nous !
M. François Calvet. Il a raison !
M. Hugues Portelli. … une fois que les arguments juridiques ont été balayés. Quel sera son impact sur la société dans trente ou cinquante ans ? Personne parmi les auteurs de ce texte ne s’en est vraiment soucié, comme le prouve d’ailleurs le caractère partiel et partial de l’étude dite d’impact du projet de loi.
M. Bruno Retailleau. Exact !
M. Hugues Portelli. Qu’elle bouleverse à long terme les règles de la filiation, qu’elle fragilise définitivement l’image et le rôle du père et de la mère, qu’elle permette à certains de revendiquer un droit à l’enfant – droit qui d’ailleurs n’existe pas – sans se poser la question du respect du droit des enfants à se construire de façon équilibrée, voilà autant de questions graves qui n’ont pas effleuré l’esprit des idéologues qui ont conçu ce texte.
Enfin, quoi qu’en dise le Président de la République, ce projet de loi est le cheval de Troie de la procréation médicalement assistée et de la gestation pour autrui. D’ailleurs, les partisans les plus convaincus de ce texte l’ont dit ouvertement, que ce soit durant les auditions ou lors du débat en commission des lois.
Ne soyez donc pas étonnés que nous soyons totalement opposés à cette évolution dangereuse, qui aboutit à faire du corps humain une marchandise et porte atteinte à sa dignité, tout comme nous sommes hostiles à une conception de l’enfant qui en fait un jouet entre les mains de l’adulte.
M. François Calvet. Bravo !
M. Hugues Portelli. Mes chers collègues, le législateur n’a pas tous les droits. Jean-Louis de Lolme, juriste genevois, disait au XVIIIe siècle, à l’aube du parlementarisme, que le Parlement avait tous les droits excepté celui de changer un homme en femme. Il pourrait être rejoint par Michel Crozier, qui expliquait en 1979 – donc sous la Ve République – qu’on ne change pas une société par décret.
M. David Assouline. C’est une loi, pas un décret !
M. Hugues Portelli. C’est cette prétention prométhéenne à vouloir, au nom d’une majorité de passage, mettre en cause les bases mêmes du droit naturel que nous contestons fermement. La société politique, dont vous savez bien la faible légitimité par les temps qui courent, ne peut bafouer aussi spectaculairement la société civile, sauf à voir un jour celle-ci, et plus tôt que vous ne l’imaginez, s’organiser en dehors d’elle.
Le second problème que je voudrais aborder est celui des conséquences graves qu’entraînera votre projet de loi s’il entre en vigueur.
La première conséquence sera l’affaiblissement de ce que vous voulez précisément favoriser. Ce sera ainsi le cas de l’adoption, qui est déjà difficile à obtenir. Peut-on imaginer un instant que les États dont seront originaires les enfants adoptables accepteront de les confier à des ressortissants français ?
M. Hugues Portelli. Et que ferez-vous des traités conclus par la France avec de très nombreux États en matière de mariage et de droit de la famille ? Croyez-vous que ces États accepteront une modification unilatérale des conventions que nous avons signées avec eux ? Il y a fort à parier que votre initiative, si elle entre en vigueur, sera source de très nombreux litiges.
La seconde conséquence – la plus grave à mes yeux – sera la rupture du consensus éthique auquel nous étions parvenus ces dernières années. Les lois sur la bioéthique, sur la fin de vie, sur le PACS avaient défini un cadre commun au statut de la personne,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous étiez contre !
M. Hugues Portelli. … qui avait fini par convaincre même ceux qui y étaient hostiles à l’origine, trouvant un compromis intelligent entre principes intangibles et pragmatisme nécessaire, entre ce qui est écrit et ce qui n’a pas à l’être. (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP.)
Les auteurs de ce texte ont voulu rompre avec cet équilibre patiemment construit. Mais, à l’arrière-plan de ce texte, c’est cette pensée faible, indifférente aux valeurs, de la société postmoderne qui est à l’œuvre.
En supprimant le père et la mère du code civil, en conduisant l’enfant à les ignorer plutôt qu’à les affronter pour s’en émanciper, vous ne créerez pas des personnes adultes et responsables, capables de construire leur propre itinéraire à partir de repères qui leur fassent sens.
M. François Rebsamen. Qu’en savez-vous ?
M. Hugues Portelli. Vous créerez des êtres indifférents, narcissiques et tournés vers l’éphémère. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Merci pour ceux qui existent !
M. Roland Courteau. Vous appelez à un dérapage non contrôlé !
M. Hugues Portelli. La troisième conséquence qu’entraînera l’adoption de ce texte sera le renforcement du communautarisme religieux.
Jusqu’à ce jour, le mariage civil est la base commune à toutes celles et ceux qui créent une famille, croyants ou incroyants, quelle que soit leur religion. Avec son remplacement par un mariage qui n’en sera plus un, beaucoup de croyants convaincus ne jugeront plus utile de passer par la mairie et préfèreront s’en tenir à la reconnaissance de leur communauté ou se marier ailleurs, à l’étranger ou en Alsace-Moselle !
M. David Assouline. Bien sûr ! Après les évadés fiscaux, les évadés du mariage !
M. Hugues Portelli. Le mariage civil d’aujourd’hui cédera la place à l’éclatement des mariages communautaires de demain et à un nouvel affaiblissement du tissu national.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Il y a des chrétiens homosexuels !
M. Hugues Portelli. Enfin, la quatrième conséquence sera la destruction définitive du mariage civil.
À vrai dire, je pensais avec beaucoup d’autres que vous auriez plutôt à cœur de profiter du déclin du mariage civil, miné de l’intérieur par la multiplication des séparations et de l’extérieur par le développement du PACS ou de la cohabitation, pour le supprimer purement et simplement, conformément à ce qu’était l’idéologie révolutionnaire de vos prédécesseurs du XIXe siècle.
Mme Cécile Cukierman. Nous ne sommes pas démagogues ! Nous ne voyons pas notre intérêt personnel mais l’intérêt général !
M. Hugues Portelli. Non, vous avez préféré subvertir le mariage en remettant en cause sa fonction même, en diversifiant ses formes ! Ce faisant, vous l’avez vidé de sens, ce qui est une façon plus subtile de vous en débarrasser, et vous avez transformé le mariage en instrument de remise en cause de tout le droit de la famille, de l’état des personnes à la filiation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Hugues Portelli. Mes chers collègues, est-ce vraiment cela que vous voulez en votant ce texte ? La vigueur des réactions qu’il entraîne, les conséquences graves qui seront les siennes à long terme, tant sur le plan social que sur le plan juridique, la fragilisation de tout notre droit civil qui en découlera devraient vous faire réfléchir et vous conduire à rejeter avec nous un dispositif qui vous met à la remorque de lobbies minoritaires jusque dans leurs propres communautés.
Vous savez qu’il existe d’autres solutions, qui, tout en répondant aux situations de celles et ceux qui s’estiment victimes de discrimination, respectent les fondements de notre droit civil.
Cette loi, quel que soit le sort qui lui sera réservé, ne sera jamais la nôtre. Elle n’est ni sérieuse, ni nécessaire, ni légitime. (M. François Rebsamen et M. Roland Courteau s’exclament.) Elle divise encore plus notre nation. Elle rompt avec deux mille ans d’histoire et deux cents ans de code civil. Comment pourrait-elle avoir une place dans notre droit ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, contre la motion.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le temps se déroule, le débat se poursuit. Quand on en arrive à la question préalable, après avoir amplement débattu d’une motion référendaire puis d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, on se trouve un peu, j’en conviens, cher Hugues Portelli, à court d’arguments et, comme cela se produit de temps en temps, on peut déraper.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. François Rebsamen. Je mets le dérapage auquel je viens d’assister sur le compte d’un peu de fatigue.
Je viens en effet d’entendre une phrase qui m’a interpellé comme elle a sûrement interpellé tous les républicains. Monsieur Portelli, vous venez ici même à la tribune de déclarer que cette loi, si elle est votée – nous sommes bien sûr respectueux de la représentation nationale –, ne sera jamais la vôtre. Le caractère presque factieux, en tout cas antirépublicain de cette déclaration ne me paraît pas digne de la qualité des débats que nous avons eus jusqu’à présent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Il est difficile de justifier le dépôt d’une motion de renvoi ou d’une question préalable alors même que cela suppose que nous n’aurions pas à légiférer. C’est totalement contradictoire avec la volonté d’un large débat que vous avez exprimée tout au long de la journée, et même avec votre proposition de référendum : si l’on n’a pas à légiférer, pourquoi un référendum ?
Nous ne sommes plus au temps de Michel Crozier – pour qui on peut d'ailleurs avoir beaucoup de respect –, et ce n’est pas par décret que nous voulons changer la société pour plus d’égalité, mais par la loi !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. François Rebsamen. À vous écouter, ce projet de loi qui ouvre le mariage aux couples de même sexe serait inutile et il n’y aurait donc pas lieu de légiférer. Vous ne serez pas surpris que nous ne partagions pas votre point de vue.
Quelle est la portée du texte qu’après l’Assemblée nationale notre Haute Assemblée examine aujourd’hui ? Il s’agit tout simplement, en ouvrant le mariage aux couples de même sexe, de se conformer aux valeurs qui fondent notre République : la liberté, l’égalité, la fraternité pour tous les couples et toutes les familles.
Liberté de vivre ensemble, égalité des droits, fraternité face aux différences et laïcité pour consolider l’ensemble !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Rebsamen. C’est par ces quelques mots que nous pourrions résumer ce projet de loi, qui s’inscrit parfaitement dans nos institutions républicaines. Celles-ci ne peuvent s’accommoder de l’affirmation, que j’ai entendue, selon laquelle le mariage « structurerait » toute l’histoire de l’humanité. Nous accordons une grande importance, toute républicaine, au mariage, mais nous n’en faisons pas le pivot de l’histoire de l’humanité ! La lecture de quelques anthropologues, notamment de Claude Lévi-Strauss, cité par nombre d’intervenants, permettrait à certains de progresser dans la connaissance !
Les conditions du mariage restent inchangées – de nombreux orateurs, à commencer par Mme la garde des sceaux, l’ont fort bien dit –, qu’il s’agisse de l’âge, du consentement, des prohibitions. Les modalités demeurent les mêmes : état civil, célébrations en mairie ; les obligations également – en tant que maires nous les connaissons tous – : les époux se doivent mutuellement respect, secours, fidélité et assistance. Enfin, le droit à l’adoption est ouvert aux couples homosexuels, dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels.
L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe ne dénaturera pas l’institution républicaine et ne bouleversera pas l’ordre social, car rien, absolument rien, ne sera retiré aux couples hétérosexuels !
De nombreux pays, des Pays-Bas au Danemark et jusqu’à l’Uruguay, ont ouvert le mariage, avec quelques différences, aux personnes de même sexe et ils ne se sont pas effondrés, l’institution n’a pas disparu et l’ordre social n’a pas été bouleversé ! Simplement, comme l’avait dit M. David Cameron, un droit supplémentaire a été accordé : un droit à l’égalité.
En réalité, ce projet de loi met un terme à la discrimination qui résultait des choix sexuels des citoyens, or ces choix n’ont strictement rien à voir avec leurs droits et leurs devoirs ni, a fortiori, avec la loi.
Les couples homosexuels, que cela plaise ou non, existent, ils sont pérennes et peuvent légitimement vouloir bénéficier de l’ensemble des règles dont bénéficient les couples hétérosexuels avec le mariage. Comment régler la contribution au logement et aux dépenses courantes, ou encore la question de l’autorité parentale ? Les mêmes règles doivent s’appliquer aux mêmes situations.
Certains, dans les rangs de l’opposition sénatoriale, proposent la création d’une union, calquée pour l’essentiel sur le mariage, exception faite de la filiation. C’est tout simplement parce qu’il refuse de donner le nom de « mariage » à l’union de couples homosexuels.
M. Charles Revet. Mais non ! C’est bien plus grave !
M. François Rebsamen. Il serait bon que le Sénat retrouve l’ambition progressiste qui l’animait lorsqu’Henri Caillavet lui a fait adopter, en juin 1978, bien avant que l’Assemblée nationale ne le fasse, des dispositions supprimant la pénalisation de l’homosexualité.
Depuis, bien sûr, vous avez mené le combat du conservatisme contre le PACS, en employant des mots que l’on n’oserait plus prononcer.
Aujourd’hui – pas dans cet hémicycle, car le débat reste digne, mais à l’extérieur –, s’appuyant sur votre résistance, certains tiennent des propos homophobes et des attaques insupportables visent des parlementaires qui ont eu le courage de prendre des positions personnelles.
M. Jean-François Husson. Nous aussi, nous sommes visés !
M. François Rebsamen. Je veux les saluer et, en disant cela, je pense également au sénateur de Mayotte qui a tenu, hier soir, dans cet hémicycle, des propos fort courageux.
Souvenez-vous donc de ces combats passés et retrouvez le sens de l’égalité, mes chers collègues !
L’institution du mariage n’appartient pas à une catégorie de citoyens. Cette institution est républicaine, elle doit être ouverte à tous les couples, selon les mêmes conditions. Cette institution est laïque et n’est attachée à aucune religion. Ceux qui ne voudront pas se marier dans les mairies, comme je viens de l’entendre, peuvent ne pas le faire et aller à l’église, puisque je pense que c’est à cela qu’il était fait allusion. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Chacun a le droit de faire ce qu’il veut, mais, quand on ne se marie pas à la mairie, on n’est pas marié au regard de la loi ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
C’est pourquoi notre rôle de législateurs consiste bien à examiner ce projet de loi.
D’une part, il faut mettre un terme à une inégalité et à une injustice juridique.
D’autre part, il faut adapter notre droit aux évolutions de la société et à la réalité de la diversité, non pas de la famille, mais des familles françaises d’aujourd’hui.
J’ai cru comprendre que vous aimiez beaucoup les sondages lorsque vous étiez au pouvoir, mes chers collègues, et je vais donc me référer à celui qui est paru dans la presse : il nous apprend que les Français sont majoritairement favorables à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
M. Bruno Retailleau. Pas à l’adoption !
M. François Rebsamen. Nous nous appuyons sur ce sondage comme vous vous appuyiez à l’époque sur tous ceux que vous commandiez, ce qui nous permet d’affirmer que nous sommes en phase avec la société ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Après les vingt-quatre séances, les dix jours, les 110 heures de débats à l’Assemblée, et les 5 000 amendements examinés, tout ou presque a été dit sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Au Sénat, notre rapporteur a mené plus de cinquante auditions et tenu des dizaines de réunions. Le débat a donc été mené dans le plus grand respect des opinions des uns et des autres. Je parle évidemment des arguments de bonne foi, et non des débordements verbaux et caricaturaux que l’on peut entendre à l’extérieur de cette enceinte.
M. Roland Courteau. Ici aussi !
M. François Rebsamen. Il est maintenant temps pour nous d’accomplir notre travail de législateur et d’examiner ce texte. Je fais confiance à la sagesse et à la sérénité du Sénat pour poursuivre les débats dans un climat apaisé, tel qu’il l’a été jusqu’à présent. J’appelle donc l’ensemble de notre assemblée à examiner ce texte et à rejeter la motion tendant à opposer la question préalable, comme le feront les membres du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission des lois souhaite que le Sénat repousse cette motion tendant à opposer la question préalable, car elle veut que le débat entamé en commission se poursuive.
Nous avons en effet considéré que le moment était venu de légiférer. Pourquoi ? Pas seulement en raison d’une promesse d’un candidat à l’élection présidentielle – si cette promesse a été faite, c’est d’ailleurs parce qu’elle était opportune ! Le moment est venu de légiférer parce que nous avons assisté à une évolution du regard porté sur l’homosexualité, qui est entrée dans le code civil au moment de l’adoption du PACS. En outre, la famille, elle aussi, a évolué.
D’ailleurs, c’est un gouvernement de droite, avec la loi de 1972 sur la filiation, qui l’a fait le plus évoluer, encore plus que ne le fera ce projet de loi ! Songez, mes chers collègues, qu’un homme marié peut depuis reconnaître comme enfant légitime, avec tous les droits et les devoirs afférents, un enfant qu’il aurait conçu avant son mariage – que l’on appelait autrefois un enfant « naturel » – ou un enfant qu’il aurait conçu hors mariage, soit adultérin, soit incestueux, sans l’accord de son épouse ! L’évolution de la conception de la famille avait donc déjà commencé en 1972.
Enfin, nous avons évidemment un environnement international, mais ce n’est pas une raison pour faire comme tout le monde, surtout si c’est mal. En la matière, j’estime cependant que ce que font le Royaume-Uni conservateur de M. Cameron et l’Espagne socialiste de M. Zapatero n’est pas forcément mauvais : ces pays ont su réaliser des avancées.
Par ailleurs, M. Portelli nous a mis en garde contre le risque de briser le consensus.
J’observe, tout d’abord, qu’il n’y a pas de consensus sur ce projet de loi, pour l’instant, pas plus qu’il n’y en avait sur le PACS quand il a été voté. À l’époque, au Sénat et à l’Assemblée nationale, Patrice Gélard et moi-même avions défendu des positions opposées ; aujourd’hui, sur cette question, nous nous rejoignons ! Il faut donc un certain temps pour que le consensus s’installe dans une société lorsque des lois importantes modifient notre code civil.
M. Portelli nous a également reproché d’avoir rompu le consensus sur la loi de bioéthique. Mais il n’existe pas encore de consensus sur cette loi. On l’a vu dernièrement, lorsque l’Assemblée nationale a repoussé, après des manœuvres de l’opposition, la proposition de loi adoptée par le Sénat sur l’emploi des cellules souches.
Il n’y a pas non plus de consensus sur l’accompagnement de la fin de vie. Le Sénat a voté un texte, mais l’Assemblée nationale a toujours refusé de le suivre. Dans la société, le débat se poursuit. Peut-être un consensus s’établira-t-il lorsque le législateur – c’est son rôle – sera intervenu.
En effet, je crois de toutes mes forces que nous devons, à un certain moment, faire notre devoir, prendre nos responsabilités et intervenir, y compris contre une majorité quelconque. Tel était le cas pour l’abolition de la peine de mort, et même pour la légalisation de l’avortement. Au bout d’un certain temps, les tensions s’apaisent, les nouveautés rentrent dans les mœurs et tout le monde se rassemble pour accepter les réformes que nous avons eu le courage de faire.
Mes chers collègues, je fais appel à votre courage. Je suis sûr que, au cours des débats, un certain nombre d’entre vous évolueront. Quoi qu’il en soit, la commission des lois vous demande de ne pas adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Comme M. le rapporteur, je constate que le débat est apaisé et permet à chacun d’exposer des convictions et des positions très différentes, ce qui contribue aussi à éclairer l’ensemble de nos concitoyens.
J’ai écouté avec beaucoup d’attention toutes les interventions cet après-midi et je tiens à mettre en garde certains contre les dérapages verbaux, car ils risquent de nous empêcher de poursuivre un débat de qualité dans un climat apaisé et serein.
Par exemple, quand j’entends que l’enfant serait « un jouet entre les mains des hommes », je m’étonne qu’un tel argument puisse être avancé. Je ne comprends pas ce que signifie un tel propos, à moins qu’il ne s’agisse de nier que les homosexuels puissent éduquer des enfants, les élever de la même façon que des couples hétérosexuels.
D’autres propos réveillent des échos inquiétants. J’ai ainsi entendu dire que l’on pourrait avoir des enfants « pour convenances personnelles ». A-t-on idée d’adresser ce reproche à des couples hétérosexuels ?
M. Gérard Longuet. Pourtant, cela arrive parfois !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Dans ce cas, le problème n’est plus lié à l’orientation sexuelle !
J’ai entendu aussi dire à plusieurs reprises, et l’argument a été repris sur les travées de la majorité, que les parents homosexuels ne seraient pas des parents « comme les autres ». Au nom de quoi ?
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Si, je l’ai noté !
Nous avons déjà insisté sur la valeur des mots ; nous devons y faire attention. Nous pouvons avoir des conceptions de la famille fondamentalement différentes, mais nous ne pouvons pas nous aventurer dans ce domaine en faisant preuve d’une méconnaissance totale des familles homoparentales.
Les familles homoparentales ont souvent un projet parental des plus élaborés, un projet sur lequel elles se sont posé beaucoup de questions, plus de questions que ne s’en posent quantité de familles hétérosexuelles. Donc, je pense qu’il faut utiliser avec sagesse un certain nombre de mots.
Dans une assemblée que je sais attachée à la notion de respect, j’ai été profondément choquée d’entendre que le Gouvernement aurait pu faire une loi parce qu’elle ne coûte pas cher et que, au bout du compte, ce n’est pas très grave car cela concerne une minorité. Je l’avoue en toute franchise, ce discours, je l’ai pris comme une sorte de manque de respect à l’égard du Gouvernement, de ses convictions à l’égard de ses engagements républicains. (M. Philippe Bas s’exclame.) Nous ne faisons pas une loi pour des groupes !
M. Gérard Longuet. Si !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Mais non ! Savez-vous pourquoi ? Parce que chaque fois qu’on fait progresser l’égalité, on fait progresser l’ensemble de la société !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Chaque fois qu’on a voté des lois contre les discriminations, on a aidé le combat des femmes, on a aidé le combat de tous ceux qui sont discriminés, quelle que soit la couleur de leur peau ou quelle que soit leur orientation sexuelle. Et cette loi n’est pas, comme je l’ai entendu, une loi communautariste ! Elle rend service à l’ensemble de la société. Et il ne faudrait pas oublier la leçon du PACS. En effet, lorsque le PACS a été voté, personne n’aurait imaginé que plus de 90 % des PACS sont aujourd’hui conclus par des couples hétérosexuels. Donc, vous le voyez bien, c’est l’ensemble de la société qui s’est emparée d’une mesure qui, au départ, pouvait être interprétée comme faite uniquement pour des couples homosexuels !
Enfin, j’ai aussi entendu parler de majorité « de passage ». Moi, je ne sais pas ce qu’est une majorité « de passage » ! (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. Nous, si !
M. David Assouline. Vous pensez toujours que nous sommes illégitimes, que le pouvoir, c’est vous !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je connais une majorité qui est le produit du suffrage universel, direct ou indirect (M. Charles Revet s’exclame.), et que le suffrage universel, direct ou indirect, fait ou défait. Je le dis en toute clarté, je suis très respectueuse du verdict des urnes !
Ma conclusion sera pour dire que j’ai entendu qu’il fallait avoir à l’égard des homosexuels de la « bienveillance » ou de la « générosité ». Or, ce qu’ils veulent, ce n’est pas de la bienveillance ou de la générosité, ce qu’ils veulent, c’est tout simplement de l’égalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En défendant cette motion tendant à opposer la question préalable, vous avez commencé, monsieur le sénateur Portelli, par nous dire qu’il y a la crise et que nous ferions mieux de nous en préoccuper et de nous en occuper.
M. Francis Delattre. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais le Gouvernement s’en préoccupe et s’en occupe, il y travaille depuis le premier jour !
M. Francis Delattre. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de résultats !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis étonnée de cet argument de la part d’un parlementaire qui a une connaissance achevée des institutions et de la répartition des responsabilités de chacun. Le fait d’accomplir notre travail en matière de justice sur l’état des personnes, sur les libertés, sur l’état civil ne gêne en rien la tâche de ceux qui ont en charge les questions économiques. L’argument n’a aucun poids, il n’a aucune pertinence ! Et je comprends d’autant moins qu’il soit constamment abordé que l’histoire, y compris l’histoire récente, montre qu’il n’est absolument pas exclu, même pendant des périodes économiquement difficiles, de faire courageusement les réformes de société ou les réformes sociales qui sont nécessaires.
Je tenais à évacuer rapidement cet argument.
Selon vous, la preuve que nous faisons tout cela « à la va-vite », c’est que le Gouvernement sera habilité à prendre des ordonnances dans un délai de six mois. Je rappelle à cette occasion que c’est justement la contestation des députés UMP qui a attiré encore un peu plus l’attention du Sénat sur le mode d’écriture retenu par l’Assemblée nationale, conduisant votre commission des lois à choisir un autre mode d’écriture.
Et dans cet autre mode d’écriture, vous avez choisi de prendre une sécurité supplémentaire en habilitant le Gouvernement à prendre, bien évidemment en conformité avec les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, des ordonnances dans les six mois. Si le texte est voté en l’état, il en sera ainsi. C’est une sécurité juridique supplémentaire qui a été prise. Ce n’est absolument pas la marque d’une précipitation ou d’une accélération. Je rappelle que ce texte, qui est passé en conseil des ministres au début du mois de novembre, est sur la table depuis cette époque. Il n’y a donc aucune précipitation, aucun élément de nature à invalider le projet de loi.
J’ai également entendu que ce texte est un cheval de Troie de la PMA et de la GPA. Voilà tout de même quelques mois que nous avons droit au débat sur le débat ! Maintenant, nous avons droit à un débat avant le débat ! Autrement dit, à l’occasion de l’examen d’un texte qui ne traite ni de la PMA ni de la GPA, vous allez constamment, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, développer des argumentaires sur ces sujets – en tout cas, je le crains, pour l’avoir vécu récemment à l’Assemblée nationale pendant deux semaines. Quel est l’intérêt de faire un débat avant le débat ? (Mme Sophie Primas s’exclame.) Essayons d’être dans l’instant, d’être sur le texte qui vous est soumis ! Et il concerne le mariage, l’adoption et quelques dispositions qui sont profitables aux familles hétéroparentales, aux couples hétérosexuels, justement à la faveur du travail qui a été effectué pour que le mariage et l’adoption soient ouverts aux couples de même sexe.
Vous avez dit, par ailleurs, que cette loi ne sera jamais « vôtre ». Je ne sais pas qui est visé dans ce « vôtre », mais comme l’a souligné le président Rebsamen à l’instant, il y aurait là incontestablement une rupture du contrat républicain.
Vous dites encore qu’un certain nombre de maires s’interrogent. Je le sais mais je connais les habitudes, les pratiques et les convictions républicaines des maires. Autant certains protestent avant l’adoption de la loi, autant ils seront en grand nombre, très probablement la totalité, à exercer leur devoir d’officier d’état civil et, donc, à appliquer la loi.
Ce que les maires attendent plus volontiers des parlementaires, des législateurs, c’est qu’ils se battent aussi longtemps que c’est nécessaire, jusqu’à la dernière seconde, pour améliorer un texte de loi, éventuellement pour empêcher son adoption. Mais une fois le texte de loi adopté, les maires attendent, à mon sens, des parlementaires une parole qui, au contraire, leur rappelle que toute loi adoptée est une loi de la République et doit être exécutée en tant que telle.
Vous dites qu’il y a une confusion intellectuelle et juridique sur ce qu’est le mariage et un non-respect du droit naturel. Je ne sais pas comment vous définissez le droit naturel. En tout cas, on peut voir dans l’affirmation des droits et des libertés contenue dans le préambule de la Constitution une référence en termes de droit naturel. Si par « droit naturel », vous entendez « lois naturelles », c’est un autre débat que je n’ouvrirai pas, car vous avez dit « droit ».
En évoquant la confusion sur ce qu’est le mariage, vous vous référez à Portalis, éminente personnalité qui a incontestablement apporté son intelligence à l’élaboration du code civil de 1804.
Cela étant, j’invite à la prudence ceux qui se réfèrent à Portalis et à sa conception de la relation à l’intérieur du mariage. Nous avons vu à quel point le mariage a évolué, et je l’ai dit, je le répète parce que j’en suis profondément convaincue, cette institution porte vraiment l’empreinte de tous les combats pour l’émancipation, pour l’égalité, pour la justice. Il y a ces traces-là dans le divorce, son instauration, sa suppression, son rétablissement, dans le statut de la femme, dans le statut des enfants, dans la suppression des discriminations entre les enfants. L’institution du mariage porte donc, peut-être plus que toute autre institution de la République, la trace des grands combats pour l’émancipation, pour la justice et pour l’égalité.
Je me permets de vous rappeler simplement ce que proclamait Portalis en 1804 à l’époque de l’écriture du code civil : « l’obéissance de la femme est alors considérée comme une suite nécessaire de la société conjugale, qui ne pourrait subsister si l’un des époux n’était subordonné à l’autre ». Heureusement, il y a eu vraiment beaucoup de progrès depuis et, en effet, s’il y a chez nous une confusion sur l’institution du mariage, que nous refusons de comprendre comme elle était définie ici par Portalis, oui, nous assumons cette confusion !
Je vous invite à rejeter cette motion. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. En préalable, je voudrais remercier très sincèrement l’opposition sénatoriale, et le groupe UMP en particulier.
Sénateur encore assez novice, j’avoue que je ne connaissais pas l’ensemble des procédures préalables visant à rejeter un texte sans l’avoir étudié au fond. Aujourd'hui, cette lacune est comblée et je ne pense pas que ce soit simplement une volonté pédagogique à mon endroit ou à l’endroit des sénateurs récemment élus ! Je pense qu’il y a vraiment une procédure visant à bloquer, à retarder ce texte.
Je m’interroge simplement sur la cohérence. Comment peut-on demander de voter une motion référendaire, laquelle appelle à recourir au suffrage universel direct et, en même temps, expliquer que cette loi ne peut pas être discutée parce qu’elle est inconstitutionnelle ? Je suis vraiment très novice, donc, j’aimerais qu’on m’explique !
Mais je comprends qu’il y a des jeux, des procédures parlementaires qui consistent à s’exprimer le plus longtemps possible sur tout un tas de choses.
Je voudrais simplement revenir sur le fond du débat. Depuis l’adoption de la loi sur le PACS en 1999, les parlementaires écologistes ont toujours plaidé en faveur d’interventions du législateur pour remettre une réelle égalité des droits devant le mariage. Les partenaires du PACS, il faut bien le dire, n’ont pas accès aux mêmes droits que les couples mariés. Bénéfice de la pension de réversion, adoption des enfants du conjoint, protection juridique des enfants au sein d’une famille homoparentale, autant de sujets qui révèlent des inégalités de droit et qui justifient pleinement une évolution de notre législation.
Il est donc, à notre sens, temps de légiférer pour réparer ces inégalités et permettre de trouver des solutions à des situations humaines déjà existantes. Nul ne peut fermer les yeux face aux difficultés du quotidien qui sont celles des couples homosexuels et face au besoin de légiférer en faveur de l’amélioration des droits.
L’union civile sans filiation que vous proposez est une sorte de mariage au rabais. Outre qu’elle est discriminatoire, on va superposer un nombre de types d’unions absolument incroyable ! On aura le PACS, l’union civile, le mariage civil et il y aura encore, et merci, heureusement le mariage religieux !
Je pense donc qu’il vient un moment où la logique législative doit être rationnelle et rationalisée. Et surtout, on a le droit de débattre de cela au Parlement parce que l’objet même de ce texte, celui de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, relève strictement et précisément de la compétence du Parlement ! Et il est de notre responsabilité de parlementaires d’honorer la confiance que les citoyens nous ont accordée et de respecter les engagements pris devant les électeurs. C’est notre devoir d’élus de la nation de faire voter des lois qui assurent l’égalité entre tous les citoyens et qui protègent les plus faibles contre toutes les discriminations.
C'est pourquoi le groupe écologiste ne votera pas cette motion tendant à opposer la question préalable, qui cache difficilement, sous des arguties juridiques très variées, la volonté de faire obstruction au travail parlementaire et à un débat de fond, urgent et nécessaire.
Pour revenir sur la fort sympathique question référendaire qui a été posée, j’aimerais qu’on se penche sur l’utilisation du référendum, notamment du référendum d’initiative populaire dans d’autres pays, en Europe, par exemple.
En Italie, on peut demander un référendum d’initiative populaire. Il est, d’abord, abrogatif d’une loi existante, ce qui n’est pas le cas ici. Et il existe un dispositif qui permet de hiérarchiser, au moins dans le temps, les différentes légitimités issues du suffrage universel, c’est la limitation ratione temporis. Avec cette disposition, il est permis de procéder à des référendums ou, au contraire, interdit d’y procéder pendant de nombreux mois précédant une élection générale et lui succédant. En Italie, on considère, en effet, que les élus au suffrage universel direct – pour nous, le Président de la République ou les parlementaires –, mais aussi les élus au suffrage universel indirect, disposent, pendant une période donnée, qui représente la moitié de la législature, la pleine légitimité pour légiférer sur des sujets très variés. On ne peut alors recourir au référendum.
Je vous invite donc à vous intéresser aux différents droits constitutionnels et aux règles relatives au référendum en vigueur dans les autres pays. Ce serait fort utile avant de proposer une procédure aussi originale que la question référendaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il y a là en vérité deux problèmes, l’un et l’autre assez délicats : un problème constitutionnel et un problème conventionnel.
Le problème constitutionnel tient au préambule de notre Constitution, qui, comme chacun le sait, renvoie au préambule de la Constitution de 1946, lequel prévoit que la Nation assure à la mère et à l’enfant la protection de la loi.
Cette question se pose à nous au moment d’inventer une nouvelle forme de parenté, qui ne serait plus celle qui est exercée conjointement par le père et la mère,...
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Elle existera toujours !
M. Philippe Bas. ... mais une coparenté d’intention dont l’exercice serait confié à deux personnes de même sexe dont seule l’une peut être la mère ou le père. Le deuxième membre de ce couple ne se trouve pas, vis-à-vis de l’enfant, dans la même situation que l’époux ou l’épouse dans le cadre actuel du mariage.
Cette situation s’en distingue par deux points : premièrement, le lien biologique ne peut exister entre le deuxième membre de ce couple et l’enfant ; deuxièmement, le fondement de cette famille ne peut se trouver dans l’altérité sexuelle qui est à l’origine de toute vie.
Bien sûr, il est certain que ces couples pourront élever leurs enfants dans l’amour, celui que se portent les conjoints et que les parents portent à leurs enfants. Ils pourront même, aussi, faire preuve de qualités éducatives, qui ne sont nullement en cause.
Restera simplement un manque. Chacun de ces enfants dotés de deux parents femmes ou de deux parents hommes vivra, en effet, dans le manque du parent de l’autre sexe qu’il n’a pas. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Il sera, on peut le dire tout à fait concrètement, orphelin de père ou de mère.
M. Jean-Vincent Placé. Qu’en savez-vous ?
M. Philippe Bas. Les parents ne doivent jamais être dans le déni de cette réalité !
Les parents homosexuels que nous écoutons, tout comme vous, affirment qu’ils ne disent jamais à leur enfant qu’il a deux pères, ou deux mères (Mme Esther Benbassa s’exclame de nouveau.), et qu’ils ne le feront jamais. Si eux ne le font pas, pourquoi la loi dirait-elle qu’ils sont parents à égalité de devoirs à l’égard de l’enfant, comme s’ils étaient père et mère ? Cette difficulté constitutionnelle (Mme Dominique Gillot s’exclame.), il faudra bien qu’elle soit tranchée, et elle le sera.
Le Conseil constitutionnel n’a pas tranché cette question. Il s’est en effet contenté de dire, dans sa décision rendue voilà deux ans, que le fait de réserver le mariage à deux personnes de sexe opposé n’était pas contraire au principe d’égalité et que l’on ne pouvait pas, par conséquent, déclarer inconstitutionnelles les règles du mariage qui figurent actuellement dans le code civil.
Au-delà de ce problème constitutionnel, il y a un problème conventionnel.
Que vous le vouliez ou non, compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si vous entrez dans un régime au nom de l’égalité, alors il faut appliquer cette égalité complètement.
Que faites-vous, dans ce cas, de l’équivalent que pourrait trouver le législateur du principe de présomption de paternité pour les enfants qui naîtront dans des couples de même sexe ?
Une femme n’a pas besoin d’avoir accès à l’assistance médicale à la procréation en France pour pouvoir y accéder en Belgique. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Si, en vertu de votre texte, elle se marie, ou est mariée, à une autre femme, l’enfant qui naîtra dans leur foyer pourra être adopté par l’épouse de la mère. Vous ne pouvez nier que telle est la logique de votre texte !
Mme Esther Benbassa. Et alors ?
M. Philippe Bas. Or l’épouse de la mère ne bénéficiera pas des mêmes droits que le père de l’enfant dans un couple hétérosexuel. Cette femme se trouvera donc dans la situation de devoir demander un jugement d’adoption. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bruno Retailleau. Rupture d’égalité !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Où est-on ? Nous discutons de la motion tendant à opposer la question préalable !
M. Philippe Bas. Il y a là une rupture d’égalité caractérisée. Je ne suis pas certain que la Cour européenne des droits de l’homme laissera sans réponse cette question, qui ne manquera pas d’être soulevée par de nombreux couples de même sexe dont vous aurez permis le mariage ! (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis hier, nos collègues de l’opposition ont déjà largement pu exprimer devant la Haute Assemblée leurs arguments, conformément d’ailleurs à la liberté de parole qui sied à chacun d’entre nous dans les limites du respect des droits des personnes. La discussion de la motion référendaire a été l’occasion de synthétiser l’ensemble de ces arguments, du point de vue de l’opportunité de ce texte, de sa constitutionnalité et des conséquences qu’il engendre.
Le Sénat s’est déjà prononcé sur l’opportunité de renvoyer au référendum l’adoption de ce projet de loi, en estimant qu’il lui revenait de poursuivre son examen.
À ce stade de la discussion, nous considérons, pour notre part, que la discussion doit désormais se poursuivre dans le détail des articles du projet de loi, pour permettre de débattre au fond des questions techniques. Nos collègues qui s’opposent au texte ne seront d’ailleurs pas en reste, puisqu’ils ont déposé de nombreux amendements soulevant des problématiques qui méritent d’être débattues dans toutes leurs dimensions. Or le vote de la présente motion annihilerait ex ante cette volonté de discussion et de délibération communes que notre groupe souhaite.
Mes chers collègues, je ne pense pas utile de revenir une nouvelle fois sur l’ensemble des éléments présentés par les uns et les autres. L’essentiel a sans doute déjà été dit, et les positions de chacun sont connues de la Haute Assemblée et de nos concitoyens.
Les radicaux de gauche et la majorité du groupe RDSE demeurent convaincus que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe ne provoquera pas le changement de civilisation que certains d’entre nous redoutent ici. Bien au contraire !
L’histoire de la République que nous avons en partage est celle d’une inclusion toujours plus grande des citoyens dans une égale dignité. « L’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté », écrivait d’ailleurs Hegel. Je crois que cette citation résume parfaitement l’esprit dans lequel nous souhaitons, pour notre part, que soit appréhendé ce projet de loi.
Non, lorsque demain des couples homosexuels se marieront ou adopteront, le paradigme anthropologique de notre société ne sera pas bouleversé. Non, les enfants qui vivront dans une famille composée d’un couple homosexuel ne seront pas plus exposés à des risques névrotiques que n’importe quel autre enfant.
M. Jean-Vincent Placé. Absolument !
Mme Françoise Laborde. Ce que réclament les homosexuels n’est ni plus ni moins que l’indifférence de la puissance publique à leur égard, le droit de vivre comme bon leur semble dans le respect des règles communes de la cité.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Françoise Laborde. « L’État fondé sur le principe civique, respectant l’homme et son monde naturel dans toutes ses dimensions ou composantes est un État pacifique et humain », écrivait avec une grande justesse Václav Havel.
Mes chers collègues de l’opposition, je souhaite une nouvelle fois vous convaincre de la pertinence de ce projet de loi, qui n’est finalement fondé que sur l’idée de donner toutes leurs chances à ces familles de s’épanouir sereinement. Notre constitution sociale, à laquelle se référait hier le doyen Gélard en citant Léon Duguit, sera non pas bouleversée ou anéantie, mais, au contraire, enrichie et élargie, car elle ne saurait rester figée dans des concepts qui ne correspondent plus aux réalités de la société.
Faut-il rappeler comment Maurice Hauriou, qui fut durant vingt ans le doyen de la faculté de droit de Toulouse, démontre que l’État et la liberté sont par essence des réalités sociales vivantes que le droit ne fait qu’encadrer, sans les créer ?
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, la grande majorité du groupe RDSE s’opposera à cette motion, comme elle s’est déjà opposée aux précédentes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2 rectifiée bis, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 128 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 168 |
Pour l’adoption | 158 |
Contre | 177 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux dix minutes pour une réunion de la conférence des présidents.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, la conférence des présidents vient d’établir la suite de nos travaux.
Il a été décidé, après avis de l’ensemble des groupes, au regard du nombre de sénateurs qui avaient prévu d’être présents ce soir, que nous examinerons dans un instant la motion tendant au renvoi à la commission puis que nous interromprons nos travaux pour les reprendre après le dîner jusqu’à minuit, comme c’était initialement prévu.
M. Charles Revet. C’est incohérent !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, je demande une suspension de séance afin de réunir mon groupe. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. Charles Revet. Elle est de droit !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. On a compris ! Prenez vos trains !
M. le président. Ma chère collègue, si je vous accorde une suspension de séance de dix minutes, il sera dix-neuf heures trente, heure du dîner.
Par conséquent, nous allons dès à présent interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-deux, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Rappels au règlement
M. Jean-Claude Lenoir. Je souhaite faire, au nom du groupe UMP, un rappel au règlement…
Mme Nathalie Goulet. Sur quel article est-il fondé ?
M. Jean-Claude Lenoir. … sur l’organisation de nos travaux.
Des personnes dignes de foi nous disent que, en conférence des présidents, il avait été convenu que cette semaine serait entièrement consacrée à la discussion générale et à l’examen des motions.
À cette occasion, il avait semble-t-il été décidé – un certain nombre de personnes pourront corroborer mes propos – que, une fois l’examen des motions achevé, la discussion des articles serait renvoyée à la semaine prochaine, c’est-à-dire à lundi après-midi.
Tout le monde aura constaté que le débat s’est pour l’instant déroulé dans des conditions qui ont permis à chacun de s’exprimer, dans le respect des opinions de chacun et sans excès, d’un côté comme de l’autre. (M. Ronan Kerdraon s’exclame.)
Or nous avons appris tout à l’heure qu’il existait une volonté de marche forcée pour que, une fois la dernière motion discutée, nous commencions à examiner dès ce soir les premiers amendements déposés sur le texte.
Nous voulons protester contre cette façon de faire, qui ne correspond absolument pas à ce qui avait été convenu en conférence des présidents.
Je ne vous demande pas de vous prononcer, madame la présidente. En revanche, nous vous informons dès à présent que nous allons tirer toutes les conséquences de cette volonté manifeste,…
M. Gérard Longuet. Passage en force !
M. Jean-Claude Lenoir. … qui altère quelque peu la sérénité de nos travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est ça, faites traîner, faites les flibustiers !
Mme la présidente. Monsieur Lenoir, lorsque la conférence des présidents s’est réunie avant le dîner, il y régnait visiblement une atmosphère assez sereine.
Mme Troendle a expliqué ce qu’elle avait compris à l’occasion de la précédente conférence des présidents. Il s’avère que tout le monde n’a pas compris la même chose.
M. Gérard Longuet. C’est le problème de la communication !
Mme la présidente. Nous étions convenus ensemble de continuer nos travaux, et je ne vois pas ce qui nous empêcherait de les poursuivre,…
M. Charles Revet. Jusqu’à minuit ! Pas après !
Mme la présidente. … animés du même esprit de sérénité qui a présidé à nos débats depuis le début de l’examen de ce texte.
Je constate que tous les groupes avaient prévu de siéger ce soir, et que des sénateurs sont venus relayer certains de leurs collègues.
Je vous propose donc d’examiner la dernière motion, puis d’aviser au fur et à mesure du déroulement de la soirée. (M. Gérard Longuet proteste.)
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour un rappel au règlement.
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, comme certains ici, j’ai une petite expérience des conférences des présidents et des engagements qui y sont pris.
Nous savons que nombre d’entre nous sont tout à fait prêts à discuter sereinement du projet de loi, en prenant tout le temps qu’il faudra.
Toutefois, lorsque des engagements sont pris, il faut qu’ils soient respectés si l’on veut que la sérénité perdure.
En l’occurrence, après la motion de renvoi à la commission, le groupe UMP a déposé, avant l’article 1er, des amendements relatifs à l’union civile.
Nous allons les défendre, et la majorité va très probablement s’y opposer, ce qui est normal dans un débat démocratique.
Il n’est en revanche pas convenable – pardonnez-moi de le dire – de demander à l’opposition de ne pas déraper et de lui proposer dans le même temps d’examiner ces amendements sur l’union civile, essentiels à ses yeux, entre vingt-deux heures trente – vingt-trois heures et minuit le vendredi soir,…
M. Gérard Longuet. Vite fait !
M. Roger Karoutchi. … alors que l’examen de l’article 1er sera nécessairement renvoyé à lundi.
Chacun doit y mettre un peu du sien. Il est certes normal que la majorité sénatoriale appelle l’opposition à faire preuve de sérénité. Mais reconnaissons que, sur ce plan, au regard des quelque 5 000 amendements déposés à l’Assemblée nationale, le Sénat et ses 250 amendements environ apparaît bien plus raisonnable.
M. Jean Desessard. Fainéants ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Chacune des interventions est ici restée dans le strict cadre du respect des opinions des uns et des autres.
Je considère que les engagements pris devant la Haute Assemblée doivent valoir pour tout le monde, sur la durée. Ils ne peuvent donc pas être remis en cause conférence des présidents après conférence des présidents pour arranger les affaires de la majorité.
Il est logique et normal que les amendements importants que nous avons déposés avant l’article 1er soient défendus concomitamment à l’examen de l’article 1er. À notre place, vous n’accepteriez pas de disjoindre ainsi du débat général certains de ses éléments essentiels.
M. Christian Cambon. Si on vous avait fait ça…
M. Roger Karoutchi. Nous demandons que ce soit le cas pour ces amendements.
Je souhaite donc sincèrement que nous arrêtions ce soir le débat après l’examen de la motion et que nous le reprenions en début de semaine prochaine, avec l’union civile, l’article 1er et la suite du texte.
Nous avons pris l’engagement que tout se ferait sereinement, sans blocages.
Mme Isabelle Debré. C’est vrai !
M. Roger Karoutchi. À ce titre, nous méritons donc bien que la majorité sénatoriale respecte les décisions de la première conférence des présidents. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Rebsamen. J’hésitais à intervenir…
M. Jean-Claude Lenoir. On comprend pourquoi !
M. François Rebsamen. Monsieur Karoutchi, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas vous laisser dire des choses qui ne sont pas vraies.
Lors de la conférence des présidents, la décision a été prise d’ouvrir le vendredi soir.
M. Gérard Longuet. Si l’examen des motions n’était pas achevé !
M. François Rebsamen. La séance est donc ouverte ce soir,…
Mme Catherine Troendle. Pour l’examen des motions !
M. François Rebsamen. … et je constate d’ailleurs que nombre de nos collègues sont venus participer au débat, sur toutes les travées. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.) Jamais un engagement n’a été pris en conférence des présidents – j’invite M. Karoutchi à réécouter l’enregistrement si nécessaire – d’arrêter le débat à tel ou tel instant.
Mme Catherine Troendle. Si, après les motions !
M. François Rebsamen. Ce n’est pas vrai, madame Troendle !
Mme Catherine Troendle. Si !
M. François Rebsamen. Le débat est ouvert et rien ne nous empêche de le poursuivre sereinement. Vous aurez tout le loisir, ce soir ou lundi, puisque c’est le déroulement normal de nos travaux, de défendre votre position sur l’union civile. Personne ne s’y opposera.
Je demande simplement que l’on respecte la conférence des présidents…
Mme Catherine Troendle. Chiche !
M. François Rebsamen. … et les décisions qui y ont été prises.
Je vous rappelle que deux conférences des présidents ont eu lieu pour organiser nos débats : l’une le 20 février, l’autre le 20 mars. À cette occasion, le président de la commission des lois avait même demandé qu’une séance soit ouverte le samedi,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. François Rebsamen. … si nécessaire, et peut-être même, avait-il ajouté – mais c’est parce qu’il travaille beaucoup –, le dimanche.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Le débat sur le fond me passionne ! (Sourires.)
M. François Rebsamen. Nous lui avions répondu ensemble que le dimanche était sans doute excessif, mais que le samedi pouvait s’envisager si nécessaire. Finalement, nous étions tous tombés d’accord pour ouvrir seulement le vendredi soir.
Je propose donc que les débats se poursuivent, et, comme vous l’avez dit, dans la sérénité. Quoi qu’il en soit, un groupe ne peut pas dicter sa loi aux autres groupes de l’assemblée.
Mme la présidente. Acte vous est donné de vos rappels au règlement, mes chers collègues.
En tant que gardienne des décisions de la conférence des présidents, vous comprendrez que je poursuive le débat comme si c’était ouvert normalement.
M. Gérard Longuet. Par conséquent, vous reconnaissez qu’il n’est pas normal !
Mme la présidente. Nous passons donc à la discussion de la motion.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Bas et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire et MM. Darniche et Husson, d'une motion n° 3 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012–2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Philippe Bas, pour la motion. (L'orateur se dirige vers la tribune, encouragé à la lenteur par ses collègues de l’UMP. – Sourires. – Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Rebsamen. C’est comme dans le football pour un changement de joueur lorsqu’on mène au score !
M. Philippe Bas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, en adoptant cette motion, le Sénat adresserait au Président de la République un message fort.
Dans le climat de tension que nous connaissons,…
M. Jean-Pierre Caffet. C’est calme ici !
M. Philippe Bas. … alors que les Français s’inquiètent pour la croissance, pour l’emploi et pour les valeurs de notre démocratie,…
M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !
M. Philippe Bas. … le moment est venu de rassembler et non de diviser, d’unir et non de cliver, d’écouter, de dialoguer et de rechercher, madame la ministre, des solutions équitables, des solutions justes apportant des réponses aux uns et aux autres sans heurter les convictions profondes de millions de Français.
La question posée à travers cette réforme n’est pas celle de l’homosexualité et de sa reconnaissance par la société, mais celle des fondements d’une nouvelle forme de parenté, qui serait exercée conjointement par deux personnes de même sexe.
Ce n’est pas non plus, contrairement à ce que nous avons souvent entendu depuis l’ouverture de ce débat, la question de l’égalité qui est posée. Si nous voulons préserver la valeur et la force de ce grand principe républicain, il ne faut pas le dénaturer.
Le principe d’égalité est pleinement respecté quand des personnes qui se trouvent dans des situations différentes se voient appliquer des règles différentes. C’est cela, madame la ministre, – et je fais référence à ce que nous disait hier Mme la garde des sceaux – ne pas « ruser avec nos principes » pour ne pas les compromettre. Je ne pense pas que le grand républicain que fut Aimé Césaire aurait pu me contredire sur ce point. (M. David Assouline s’exclame.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Encore un écrivain à qui l’on fait dire ce qu’il ne dit pas. Décidément, c’est une manie !
M. Philippe Bas. Or vis-à-vis de l’enfant qui survient au foyer, les situations sont éminemment différentes selon que ce foyer a été constitué par une femme et un homme…
M. François Rebsamen. M. Bas parlait plus vite cet après-midi !
M. Philippe Bas. … ou par deux personnes de même sexe, qui n’ont pu concevoir cet enfant ensemble et ont donc avec lui un lien qui peut être fort mais qui, pour l’un d’eux au moins, n’est pas le lien de paternité ou de maternité.
Si le Parlement veut néanmoins appliquer les mêmes règles aux deux catégories de familles, il peut tenter de le faire, c’est son droit, mais certainement pas au nom d’une conception toute personnelle, toute particulière, de l’égalité qui la détournerait de son sens profond. Et ce ne peut d’ailleurs être que sous réserve de respecter nos principes constitutionnels. Ce que vous aurez à démontrer avec ce texte !
Ce qui fonde notre opposition, ce n’est pas le refus de reconnaître la réalité vécue par les personnes de même sexe liées par un engagement mutuel. Leur vie commune doit pouvoir s’organiser dans un cadre stable. Ce qui nous sépare, en vérité, c’est le sentiment que le mariage n’est pas un instrument adapté pour poser ce cadre.
Il ne s’agit pas seulement de permettre à deux adultes de voir leur amour reconnu par un acte solennel, puis protégé ou dénoué par un juge. Si elle se réduisait à cela, votre réforme relèverait d’un acte essentiellement symbolique et politique, destiné à affirmer l’égale dignité de toute personne et la valeur de tout amour. (M. David Assouline s’exclame.) Ce sont des finalités nobles mais étrangères à l’objet du mariage. Celui-ci n’a pas été institué pour le seul bonheur des individus qui s’y engagent, mais dans l’intérêt de la société et des plus vulnérables, c’est-à-dire conjoints sans revenus et enfants.
Se marier, dès lors, c’est s’inscrire dans un cadre juridique conçu principalement pour permettre à la famille de se constituer et d’être protégée.
Il n’y a pas aujourd’hui de mariage sans possibilité d’adoption ni sans droit d’adopter l’enfant de son conjoint, sous réserve de réunir certaines conditions. À travers l’adoption, la « coparenté » – j’utilise cette expression approximative, faute de mieux – serait donc rendue possible du seul fait que le mariage de personnes de même sexe serait autorisé.
Il est difficile d’admettre l’argument presque incivique qui consiste à soutenir que nul ne devrait s’opposer à ce projet dès lors qu’il ajouterait des droits aux uns sans en retirer aux autres. Il ne peut y avoir de « mariage pour tous », selon un slogan que son inexactitude condamne, sans une évolution profonde du sens donné au mariage de chacun. Vous n’êtes pas seulement en train d’élargir l’accès au mariage, vous changez le mariage.
Votre réforme esquisse une conception de la filiation qui reposerait principalement sur la parenté d’intention, parenté intellectuelle et affective, qui s’imposerait comme supérieure ou, à tout le moins, égale à toute autre.
Les auditions auxquelles notre commission a procédé permettent d’entrevoir les quelques fondements doctrinaux et même anthropologiques que vous tentez d’invoquer à l’appui de cette théorie de rupture avec le droit matrimonial actuel.
Nul ne peut d’ailleurs nier la part qui revient à la dimension affective dans la création du lien réciproque de parent à enfant.
M. François Rebsamen. Accélère ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Il est également exact que la loi reconnaît déjà l’importance de cette dimension intentionnelle, en matière d’adoption comme en matière d’assistance médicale à la procréation, avec toutes les difficultés que cela implique d’ailleurs s’agissant de la quête, de plus en plus revendiquée, des origines. De même, la loi attache des conséquences essentielles à la présomption de paternité pour les pères, qui sont aussi des époux.
Mais dans ces trois exemples, adoption, assistance médicale à la procréation, présomption de paternité, le législateur, respectueux de l’anthropologie, a toujours recherché l’analogie la plus grande avec l’expérience multiséculaire que nous avons de la famille, dans laquelle les dimensions génétique et affective se fortifient mutuellement.
Par ailleurs, on oublie de rappeler que la présomption de paternité n’est pas irréfragable. On oublie aussi que les actions en recherche de paternité par test génétique sont couramment pratiquées, on oublie encore que la preuve génétique l’emporte toujours dans les conflits de filiation.
C’est dire tout le poids que conserve le paramètre biologique, le paramètre génétique, dans l’établissement de la filiation, même là où ce paramètre ne semblait pas devoir jouer le rôle principal.
En séparant le critère génétique du critère affectif dans la construction de la parenté légale au-delà de ce que permet déjà notre droit, et en négligeant la dimension fondatrice de l’altérité sexuelle, vous voulez créer un moule juridique commun à toutes les familles. Mais vous le faites au prix d’une déconstruction de ce qui faisait jusqu’alors le réalisme de notre droit matrimonial, auquel vous préférez l’intention d’être parents. C’est un peu comme si vous vouliez ériger en norme commune un modèle familial expérimental entravé par les restrictions qu’impose la nature.
Votre approche est exagérément volontariste. Elle se révélera bien souvent fausse. Et dangereuse.
M. Roger Karoutchi. Expliquez pourquoi ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Que dira la mère biologique le jour où, après séparation, un juge confiera l’enfant à sa compagne ?
M. Gérard Longuet. C’est assez bien vu !
M. Philippe Bas. Votre proposition dispense de penser comme spécifique cette forme, pourtant spécifique, de lien qui attache l’enfant à la compagne ou au compagnon du parent de même sexe.
Vous partez du postulat que ce lien est non pas différent des parentés traditionnelles mais au contraire fondamentalement analogue, au point de vouloir lui appliquer le même régime.
Cela ne nous paraît pas rendre compte de la réalité de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler l’« homoparentalité », sans doute précisément pour affirmer et même revendiquer une différence par rapport à la parenté.
On ne cesse de nous dire, à juste titre, qu’il n’y a plus désormais une famille mais des familles,…
M. Jean Desessard. Ah !
M. Philippe Bas. … toutes respectables dans leurs différences, mais toutes différentes.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. François Rebsamen. On avance ! C’est déjà un progrès !
M. Philippe Bas. Pourquoi faudrait-il les englober dans un régime unique qui n’a pas été prévu pour les unes et jetterait un trouble profond parmi les autres ? (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Il serait erroné d’affirmer qu’un enfant élevé par deux femmes ou par deux hommes est forcément pénalisé dans son éducation…
Mme Catherine Génisson. Heureusement !
M. Philippe Bas. … et la formation de sa personnalité par rapport à d’autres enfants.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Philippe Bas. Dans de multiples situations, l’expérience de la vie se charge depuis toujours de démontrer le contraire.
En revanche, qu’on le veuille ou non, il est certain que l’absence d’un père, ou celle d’une mère, est un manque profond pour l’enfant, et ce manque doit être pris en compte.
Mme Catherine Génisson. Et les familles monoparentales ?
M. Philippe Bas. Vouloir accréditer auprès de l’enfant l’idée fausse qu’il a deux pères ou deux mères se heurte à une impossibilité. Deux personnes de même sexe ne peuvent remplacer le père ou la mère qui manque à l’enfant. Quelles que soient leurs qualités éducatives, qui ne sont pas en cause, quel que soit l’amour qu’ils portent à l’enfant, l’amour qu’ils se portent l’un à l’autre, rien ne peut empêcher que cet enfant reste orphelin du père ou de la mère qu’il n’a pas.
Il est donc périlleux de proclamer une équivalence entre parenté et « homoparentalité », comme si le fait d’avoir deux parents femmes ou deux parents hommes, c’était la même chose qu’avoir un père et une mère.
Il y a dans votre projet un parti pris de négation de l’altérité sexuelle (M. Ronan Kerdraon s’exclame.) pourtant fondatrice de toute vie et de toute organisation sociale.
M. Ronan Kerdraon. Ba-ba-ba-ba !
M. Philippe Bas. Ce parti pris ne correspond à aucune forme d’organisation familiale connue, dans toute l’histoire de l’humanité. Comme le constatait sobrement Claude Lévi-Strauss : « Il existe une infinie variété des formes de la parenté et de la répartition des rôles sexuels, mais ce qui n’existe jamais, c’est l’indifférenciation des sexes. » Monsieur le président de notre commission, les anthropologues ne sont pas prescripteurs de droit mais ils analysent en profondeur les réalités humaines. Nous devons en tenir compte.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais Claude Lévi-Strauss a beaucoup varié sur ce sujet !
M. Philippe Bas. La construction sur laquelle repose votre projet ne comporte qu’un seul inconvénient : celui d’être fausse. Comme il n’est pas vrai que les deux membres d’un couple homosexuel puissent être parents de l’enfant autant l’un que l’autre, ni que l’enfant puisse être issu du couple comme il l’est de son père et de sa mère, il vaudrait mieux que la loi n’affirme pas le contraire en imposant un modèle d’équivalence entre parents de même sexe et parents de sexes opposés.
Ce modèle s’appliquerait à une réalité que les intéressés eux-mêmes décrivent comme différente. Et nous les écoutons, comme vous ! En général, les couples de même sexe disent qu’ils sont conscients de cette exigence et qu’ils n’essaient jamais de faire croire à l’enfant ce qui n’est pas vrai. Respectueuse de l’enfant, cette pratique de vérité est juste. Comment la loi pourrait-elle, au contraire, mentir à l’enfant en lui imposant comme « vérité » légale une conception de la « coparenté » qui ne correspondrait ni à la réalité anthropologique ni à son vécu familial ?
La spécificité de la famille constituée par deux adultes de même sexe doit être affirmée sur des fondements exacts. Ce ne serait pas lui rendre service que de la construire juridiquement par une assimilation abusive à d’autres situations. On créerait alors un fossé entre la réalité et le droit. (Mme Michèle André s’exclame.)
En dehors de l’adoption conjointe d’orphelins, à nos frontières, des enfants naissent déjà de la volonté commune de Français de même sexe, par recours à l’assistance médicale à la procréation ou à des mères porteuses. Vous avez eu la sagesse de refuser de transposer les règles de la présomption de paternité pour établir une filiation de ces enfants à l’égard du conjoint de même sexe que leur mère ou leur père. Le mariage…
M. Roland Courteau. Il faut conclure !
Mme Cécile Cukierman. C’est l’heure !
M. Philippe Bas. Il y a vraiment des choses que vous ne voulez pas entendre !
Le mariage, disais-je, ne produira donc pas ses effets juridiques de droit commun : ni l’épouse de la mère ni l’époux du père n’auront, du seul fait du mariage, la qualité de parents de l’enfant.
M. François Rebsamen. C’est fini !
M. Philippe Bas. Ils devront obtenir un jugement d’adoption.
L’ouverture, par votre réforme, du droit d’adopter l’enfant de son conjoint de même sexe (Marques d’impatience sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)…
M. Charles Revet. Écoutez, c’est très important !
M. Philippe Bas. … constituera cependant une incitation supplémentaire à faire naître des enfants sans père, par assistance médicale à la procréation, dans des pays voisins du nôtre.
M. Christian Favier. Il faut conclure !
M. Philippe Bas. Nous refusons que cette pratique, illégale en France, soit couverte d’un manteau de légitimité par votre réforme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Accommodée à votre façon, l’égalité prend une curieuse physionomie. Il y aura désormais au moins trois catégories de mariages vis-à-vis des enfants survenus au foyer (Mme Isabelle Pasquet ainsi que MM. Christian Favier et Roger Madec martèlent leur pupitre en signe d’impatience.) : celui où le mari devient père par la mise en jeu de la présomption de paternité ;…
Mme la présidente. Mon cher collègue, vous devez conclure.
M. Gérard Longuet. Il faut compter les arrêts de jeu !
M. Philippe Bas. … celui où la compagne de la mère devient parent par un jugement d’adoption, l’enfant étant le fruit, par exemple, d’une assistance médicale à la procréation à l’étranger ; enfin,…
M. Christian Favier. C’est scandaleux !
M. Philippe Bas. … celui où le compagnon du père se voit refuser toute parenté car l’enfant que les deux membres du couple ont voulu ensemble ne pouvait être le fruit que d’une gestation pour autrui, condamnée par la France.
Mme la présidente. Concluez, monsieur Bas !
M. Philippe Bas. Madame la présidente, je m’achemine tout doucement, comme vous m’y invitez, vers la conclusion de ces brefs propos. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. Mon cher collègue, vous avez d’ores et déjà dépassé votre temps de parole !
M. Philippe Bas. Mais j’aurais encore beaucoup à dire sur ce sujet pour vous démontrer à quel point il est nécessaire, mes chers collègues, que vous adoptiez cette motion tendant au renvoi à la commission (M. David Assouline s’exclame.), motion de sagesse et d’apaisement destinée à nous permettre à tous d’approfondir notre réflexion…
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Amen !
M. Philippe Bas. … car celle-ci a été partielle et incomplète. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. David Assouline proteste.)
M. Christian Favier. On reviendra la semaine prochaine !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Gérard Longuet. Mon cher collègue, vous n’êtes pas obligé d’être bon, mais vous pouvez être long ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. Madame la présidente,…
M. Gérard Longuet. Ça commence bien !
M. Jean Desessard. … madame la ministre,…
Mme Isabelle Debré. Mesdames les ministres !
M. Jean Desessard. … mesdames les ministres, en effet – je n’avais pas vu Mme Taubira entrer dans l’hémicycle ! –, mes chers collègues, M. Bas nous présente une motion tendant au renvoi à la commission.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean Desessard. Sincèrement, je me demande combien d’heures de débat à l’Assemblée nationale, dans les commissions parlementaires,…
M. Charles Revet. Chez nous, il n’y a pas eu de débat !
M. Jean Desessard. … dans les médias, combien d’auditions et de rapports il faudra à la droite pour qu’elle se fasse enfin une opinion sur le mariage pour tous.
M. Gérard Longuet. Pas à droite seulement ! Vous ne répondez pas à nos questions !
M. Jean Desessard. Que nous ne soyons pas tous d’accord, c’est compréhensible ; il faut respecter la diversité des idées. Mais invoquer l’argument selon lequel les conditions d’examen du présent texte n’ont pas permis de l’étudier de manière approfondie ni d’auditionner l’ensemble des autorités compétentes en la matière me semble, je suis désolé de vous le dire, mes chers collègues, tout à fait démagogique.
M. Charles Revet. Absolument pas !
M. Francis Delattre. C’est un expert qui vous le dit !
M. Jean Desessard. Pour ceux qui ont la mémoire courte, je rappelle que la commission des lois – je salue d’ailleurs en cet instant le travail de son président – a effectué de nombreuses auditions, plus de quarante ! (M. Charles Revet s’exclame.)
M. Gérard Larcher. Ah ça oui !
M. Jean Desessard. Les sénateurs et sénatrices, dont ma collègue Esther Benbassa, qui s’est beaucoup investie sur ce texte, ont consulté, en commission, des experts de l’adoption, des psychanalystes, des ministres, des associations, des juristes, mais aussi des élus locaux, des représentants des différents cultes, des philosophes, des professeurs d’université, des pédopsychiatres, et j’en passe... Que faut-il de plus ?
M. Christian Cambon. L’avis des Français !
M. Jean Desessard. Je crois que cette motion est avant tout un artifice,…
M. Charles Revet. Absolument pas !
M. Jean Desessard. … une procédure de mauvaise foi – n’y voyez aucun jeu de mots, mes chers collègues –, destinée à retarder nos travaux, mais en vain !
M. Charles Revet. Ça n’a jamais été fait par la majorité actuelle quand elle était dans l’opposition ?
M. Jean Desessard. Vous me retardez, mon cher collègue ! (Sourires.)
Certains semblent découvrir avec effarement que la famille est, en fait, une institution multiple et changeante.
M. Gérard Longuet. Non !
M. Jean Desessard. Nous ne sommes plus à l’époque où l’homme était le chef de famille tout-puissant,…
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Jean Desessard. … ayant tous pouvoirs sur sa femme restant au foyer et sur ses enfants.
Un sénateur du groupe UMP. Heureusement !
M. Jean Desessard. La famille dite « nucléaire » n’est pas l’unique modèle du bonheur. Et, vous le savez, pour les écologistes, le nucléaire n’est pas un dogme ! (M. André Gattolin applaudit. – Sourires.) Au-delà de la boutade, rappelons qu’il existe des familles élargies, reconstituées, recomposées, monoparentales, des familles sans enfant, et même des familles homoparentales.
M. Gérard Longuet. C’est marginal !
M. Jean Desessard. Cette réalité est de plus en plus répandue,…
M. Gérard Longuet. C’est marginal !
M. Jean Desessard. … car notre société est ouverte et, en son sein, les hommes et les femmes sont libres et autonomes.
Il existe toute une biodiversité des couples : mixité des religions, des ethnies, des nationalités, des sexes. C’est cela qui fait aujourd'hui la richesse de notre civilisation.
Certains voudraient aussi faire un amalgame entre le mariage civil et le mariage religieux.
M. Michel Mercier. Non !
M. Jean Desessard. Moi qui suis très attaché aux valeurs républicaines, je ne comprends pas que l’on puisse ainsi confondre ces institutions !
Comme l’a très bien rappelé Mme la ministre, nous parlons ici du mariage civil créé en 1791, sur lequel le législateur a toute légitimité pour se prononcer.
Des arguments contradictoires, nous en entendons beaucoup ! Mais quelques-uns sont particulièrement cocasses !
On nous dit, par exemple, que, en tant qu’écologistes, nous devrions être contre le mariage pour tous, parce que deux personnes de même sexe, ce n’est pas naturel ;…
M. Gérard Longuet. Évidemment !
M. Jean Desessard. … parce qu’il faut appliquer le « principe de précaution » pour les enfants ; parce qu’il faut veiller à la reproduction de l’espèce humaine.
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Jean Desessard. Rassurez-vous, l’espèce humaine se pérennise très bien et le principe de précaution est respecté (M. Alain Fauconnier s’esclaffe.) : déjà au moins sept pays ont légalisé le mariage homosexuel, à savoir les Pays-Bas en 2001, la Belgique en 2003, l’Espagne et le Québec en 2005, la Suède en 2009, le Portugal en 2010 et le Danemark en 2012,…
M. François Rebsamen. Et l’Uruguay !
M. Jean Desessard. … dont six autorisent l’adoption. Cela se passe très bien ; personne n’est revenu sur ces avancées.
Enfin, l’amour homosexuel est un sentiment qui s’exprime naturellement, tout comme chez les hétérosexuels, et cela doit être respecté.
Je vous l’affirme, les écologistes sont très attachés au mariage pour tous. Nous le revendiquons depuis longtemps, au nom de nos valeurs progressistes et respectueuses des droits de chacune et de chacun. (Mme Isabelle Debré s’exclame.)
Mes chers collègues, en cet instant, permettez-moi une petite incidente personnelle.
M. Gérard Longuet. Faites votre coming out, mon cher collègue !
M. Jean Desessard. Dans les années soixante-dix, c’est vrai, j’étais un grand défenseur des droits des homosexuels, de la liberté de vivre une autre sexualité. Je vous rappelle que ce n’est que depuis le décret du 27 juillet 1982 que l’homosexualité n’est plus considérée comme un délit !
M. Gérard Longuet. Ce n’est pas un décret mais une loi !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est depuis une loi, mon cher collègue !
M. Jean Desessard. Certes, ce décret a été précédé par une loi.
Ce rappel historique montre que ce combat date d’à peine trente ans.
M. Gérard Longuet. Cela n’a jamais été interdit en France !
M. Jean Desessard. Aujourd’hui, personne ne voudrait revenir sur ces dispositions, même si ce combat reste à mener dans d’autres pays.
Je pourrais établir une longue liste des arguments…
M. Philippe Bas. Oui !
M. Jean Desessard. … contradictoires, de mauvaise foi, mais je ne voudrais pas retarder nos débats, mon cher collègue.
Oui, il est temps de se décider. Le débat doit avoir lieu, avec l’examen des articles de ce projet de loi audacieux et d’actualité présenté par Mme Taubira, que je félicite pour sa détermination, son sérieux et son talent.
M. Jean Desessard. Je n’entrerai pas davantage dans ce jeu de rôle qui consiste à prolonger le débat de façon stérile.
M. Jean-Pierre Caffet. Très bien !
M. Jean Desessard. Ce texte constitue une grande avancée pour l’égalité des droits et je suis fier que le Gouvernement le défende devant la Chambre haute. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter contre cette motion, ce que va faire le groupe RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, bien entendu, la commission ne vous invite pas à voter la présente motion.
M. Charles Revet. C’est dommage, monsieur le rapporteur ! Ce serait bien utile !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mon cher collègue, vous avez assisté aux deux tiers des auditions.
M. Charles Revet. Merci de le souligner !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Nous avons entendu environ cent cinquante personnes, de tous horizons, de toutes opinions.
M. Charles Revet. Il n’y a pas eu pour autant de débat !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Vous avez dit vous-même que les débats étaient intéressants, bien menés, que tout le monde pouvait intervenir. Les questions qui ont été abordées laborieusement par M. Bas ont été examinées. Deux séances de commission, qui ont duré chacune quatre heures et demie, se sont déroulées. Aujourd’hui, nous nous retrouvons. Il faut passer à la suite !
Par conséquent, mes chers collègues, la commission vous demande de ne pas adopter la motion tendant au renvoi à la commission et de passer à la discussion des articles. Quand ? Nous verrons ce que décideront les présidents de groupe. (Mme Dominique Gillot et M. André Gattolin applaudissent.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est une ouverture !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
M. Gérard Longuet. Vous avez raison !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je considère que, lors de l’examen des motions précédentes, particulièrement de la motion référendaire, les parlementaires se sont autodéjugés, ce qui me surprend considérablement. J’ai été auditionnée aussi bien par la commission des lois que par les groupes qui l’ont souhaité. J’ai lu les rapports, les comptes rendus d’auditions. Je trouve extrêmement surprenant d’entendre dire aujourd’hui qu’il faut renvoyer le texte à la commission.
M. Charles Revet. Mais il n’y a pas eu de débat !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà pourquoi je dis, avec une grande sobriété, que le Gouvernement trouve cette proposition inadaptée. Il vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas l’adopter. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’aucune explication de vote n’est admise.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, conformément à l’article 51 de notre règlement, les sénateurs signataires du présent document (L’orateur brandit le document.) demandent la vérification du quorum.
Mme la présidente. Sur la motion que nous examinons, j'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste et, l'autre, du groupe UMP. Nous procéderons au vote après la vérification du quorum.
Mes chers collègues, en application de l’article 51 du règlement, je suis saisie d’une demande écrite de vérification du quorum, présentée par Mme Catherine Troendle et plusieurs de ses collègues.
En application de l’article 51, alinéa 2 bis, du règlement du Sénat, la constatation du nombre des présents est effectuée sur la demande écrite de trente sénateurs dont la présence doit être constatée par appel nominal.
Avant qu’il soit procédé à cet appel, la parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Madame la présidente, la vérification du quorum est de droit, mais je conteste les conditions dans lesquelles la demande a été faite. Vous aviez annoncé qu’il n’y avait pas d’explications de vote sur la motion et la procédure de vote était donc commencée.
M. Jean-Claude Lenoir. Non !
M. Christian Cambon. La vérification du quorum avait été demandée avant !
M. François Rebsamen. Je ne m’oppose évidemment pas à la vérification du quorum – je n’en aurais d'ailleurs pas la possibilité –, mais je propose que cette vérification n’ait lieu qu’après le vote sur la motion. (Mais non ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Et le règlement ? Il faut connaître le règlement !
Mme la présidente. Monsieur Rebsamen, la procédure est totalement respectée. Le vote sur la motion aura lieu après.
Il va être procédé à l’appel nominal des signataires de la demande de vérification du quorum.
Huissiers, veuillez effectuer cet appel.
(L’appel nominal a lieu. – Ont signé cette demande et répondu à l’appel de leur nom : MM. Philippe Bas, Christian Cointat, Patrice Gélard, Gérard Larcher, Bruno Retailleau, Charles Revet, Mme Sophie Primas, MM. Antoine Lefèvre, Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, MM. Francis Delattre, François Trucy, Yann Gaillard, Michel Magras, Abdourahamane Soilihi, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Gérard Longuet, Hugues Portelli, Michel Bécot, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Dominique de Legge, Roger Karoutchi, Mme Catherine Troendle, MM. Christian Cambon, Philippe Dominati, Albéric de Montgolfier, Jean-Claude Lenoir, Marcel-Pierre Cléach, Jean-Pierre Cantegrit et Mme Isabelle Debré.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, la présence d’au moins trente signataires ayant été constatée, il peut être procédé à la vérification du quorum.
Vérification du quorum
Mme la présidente. Mes chers collègues, la vérification du quorum relève normalement de la compétence du bureau. Mais l’Instruction générale du bureau, telle qu’elle a été modifiée par le bureau le 7 octobre 2009, me donne la possibilité de procéder moi-même à cette vérification pour peu que je sois assistée de deux secrétaires du Sénat.
Je vais procéder à la vérification du quorum et j’invite donc Mme Odette Herviaux et M. Jean Desessard, secrétaires de séance, à venir m’assister.
(La vérification du quorum a lieu.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate, avec les deux secrétaires de séance, que la majorité absolue des sénateurs n’est pas présente.
En application du XIII bis de l’Instruction générale du bureau, cette constatation étant faite, le Sénat n’est pas en nombre pour procéder au vote.
Aussi, conformément au règlement, je vais suspendre la séance pour une heure. Elle sera reprise à vingt-trois heures vingt.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt, est reprise à vingt-trois heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 3 rectifiée bis, tendant au renvoi à la commission.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste, l'autre, du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 129 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 161 |
Contre | 179 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme Cécile Cukierman. Tout ça pour ça !
Mme la présidente. Les différentes motions ayant été repoussées, nous passons à la discussion du texte de la commission. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Rappel au règlement
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, mon intervention se fonde sur l’article 29 bis de notre règlement. Elle porte sur un sujet qui me paraît grave, dans la mesure où il y va de nos délibérations, dont je crains qu’elles ne soient affectées, voire altérées.
M. François Rebsamen. Ouh là !
M. Bruno Retailleau. J’ai rendu tout à l’heure hommage à la franchise et à la sincérité de Mme la ministre. Plusieurs d’entre nous avaient indiqué que cette loi pouvait être un cheval de Troie : le Gouvernement nous a répondu que les choses étaient claires et que la PMA et la GPA étaient écartées.
Or nous avons pris connaissance, cet après-midi, d’un entretien de Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui n’est pas n’importe qui au Gouvernement, puisque, ministre des droits des femmes, elle est également porte-parole du Gouvernement.
À la journaliste qui lui demande si le Gouvernement compte en revanche ouvrir la PMA aux couples de femmes, Mme Vallaud-Belkacem, porte-parole du Gouvernement, répond : « Oui, c’est notre intention pour une raison, et c’est la deuxième différence avec la GPA, qui est que la PMA est déjà accessible aux couples hétérosexuels. Vous vous réjouissez certainement autant que moi que l’on puisse arracher à l’ordre naturel des couples stériles qui ont un projet d’enfant. Par souci d’égalité, nous offrirons cette possibilité – la PMA – aux couples de femmes dans la loi "famille". En revanche, dès lors que la GPA est interdite aux couples hétérosexuels, il n’y a aucune raison de l’autoriser pour quiconque. Ne voyez-vous pas toutes ces nouvelles familles dans votre entourage, ces femmes qui vivent en couple et sont allées en Belgique pour procéder à une insémination artificielle ? Par exemple, à votre avis, quelle est la situation juridique de ces "bébés Thalys", nés de donneurs anonymes ? Elle est particulièrement insécurisante, car ils n’ont de lien qu’avec une seule de leur mère, quand ils vivent dans l’affection des deux. »
M. David Assouline. Rien de nouveau là-dedans ! Arrêtez de jouer la montre !
M. Bruno Retailleau. Ces propos sont troublants, car ils tendent à prouver que le Gouvernement ne met pas tout sur la table, mesdames les ministres.
Il est parfaitement clair que vous avez adopté une véritable stratégie du découpage. C’est une sorte de valise à double fond que vous nous présentez : un fond, que l’on nous présente, et un autre, qui est caché.
M. David Assouline. C’est un rappel au règlement ?
M. Bruno Retailleau. Absolument, cher collègue ! C’est qu’il est indispensable que nous puissions avoir une délibération éclairée.
Si votre projet de loi est ainsi découpé, comme en tranches de salami,…
Mme Cécile Cukierman. C’est bon, le salami !
M. Bruno Retailleau. … je pense que cela porte préjudice à l’intelligibilité de la loi.
Dans le même ordre d’idées, puisqu’il s’agit finalement de régulariser des situations de « bébés Thalys », il est permis de s’interroger sur ce qui pourrait constituer un détournement de l’ordre public français.
À cet égard, je voudrais vous citer un extrait du rapport de la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, de 2009 : « La fonction protectrice assurée par la loi ne serait-elle pas réduite à néant s’il suffisait de se rendre à l’étranger pour la contourner, en étant assuré, à son retour en France, de voir sa situation régularisée ? Ce faisant, n’encouragerait-on pas le tourisme procréatif ? »
Deux problèmes se posent donc, et d’ordre constitutionnel : le premier concerne l’intelligibilité de la loi ; le second tient à une sorte de détournement de l’ordre public dont ce texte serait l’un des moyens.
J’attends donc la réponse du Gouvernement.
Vous nous avez répété que la PMA ne se ferait pas et qu’il n’était pas question de discuter de ce sujet. Or la porte-parole du Gouvernement elle-même déclare franchement, dans un entretien accordé à un journaliste que, oui, la PMA se fera ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement, qui ne me semble cependant pas en être un… (Sourires.)
M. Philippe Bas. Madame la présidente, je demande la parole pour un rappel au règlement.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente…
Mme la présidente. Mes chers collègues, je ne peux pas vous accorder la parole pour un nouveau rappel au règlement.
Mme Catherine Troendle. Mais si !
M. Philippe Bas. Pourquoi ne le pourriez-vous pas ?
Mme la présidente. Je viens de vous en accorder un.
M. Patrice Gélard. Je demande une suspension de séance !
Mme la présidente. La séance vient de reprendre après une heure de suspension, mon cher collègue.
M. Patrice Gélard. Je vous en prie, madame la présidente : le rapporteur n’est pas là !
Mme Catherine Troendle. Où est le rapporteur ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je le supplée !
Mme la présidente. Nous allons donc maintenant passer à la discussion des articles. (Protestations sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Chapitre Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AU MARIAGE
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Gélard, Hyest et Buffet, Mme Troendle, MM. Bas, Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et M. Husson, est ainsi libellé :
A – Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° L’intitulé du titre XIII du livre Ier est ainsi rédigé :
« TITRE XIII
« DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ, DU CONCUBINAGE ET DE L’UNION CIVILE » ;
2° Le même titre XIII est complété par un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre …
« De l’union civile
« Section 1
« Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter une union civile
« Art. 515-8-1. – L’union civile est contractée par deux personnes majeures de même sexe.
« Art. 515-8-2. – Néanmoins, il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration de l’union civile d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves.
« Art. 515-8-3. – Il n’y a pas d’union civile lorsqu’il n’y a point de consentement.
« Art. 515-8-4. – L’union civile d’un Français, même contracté à l’étranger, requiert sa présence.
« Art. 515-8-5. – On ne peut contracter une seconde union civile avant la dissolution de la première.
« Art. 515-8-6. – Les mineurs ne peuvent contracter une union civile sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement.
« Art. 515-8-7. – Si l’un des deux est mort ou s’il est dans l’impossibilité de manifester sa volonté, le consentement de l’autre suffit.
« Il n’est pas nécessaire de produire l’acte de décès du père ou de la mère de l’un des futurs conjoints lorsque le conjoint ou les père et mère du défunt attestent ce décès sous serment.
« Si la résidence actuelle du père ou de la mère est inconnue, et s’il n’a pas donné de ses nouvelles depuis un an, il pourra être procédé à la célébration de l’union civile si l’enfant et celui de ses père et mère qui donnera son consentement en fait la déclaration sous serment.
« Du tout, il sera fait mention sur l’acte de l’union civile.
« Le faux serment prêté dans les cas prévus au présent article et aux articles suivants du présent chapitre sera puni des peines édictées par l’article 434-13 du code pénal.
« Art. 515-8-8. – Si le père et la mère sont morts, ou s’ils sont dans l’impossibilité de manifester leur volonté, les aïeuls et aïeules les remplacent ; s’il y a dissentiment entre l’aïeul et l’aïeule de la même ligne, ou s’il y a dissentiment entre les deux lignes, ce partage emporte consentement.
« Si la résidence actuelle des père et mère est inconnue et s’ils n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an, il pourra être procédé à la célébration de l’union civile si les aïeuls et aïeules ainsi que l’enfant lui-même en font la déclaration sous serment. Il en est de même si, un ou plusieurs aïeuls ou aïeules donnant leur consentement à l’union civile, la résidence actuelle des autres aïeuls ou aïeules est inconnue et s’ils n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an.
« Art. 515-8-9. – La production de l’expédition, réduite au dispositif, du jugement qui aurait déclaré l’absence ou aurait ordonné l’enquête sur l’absence des père et mère, aïeuls ou aïeules de l’un des futurs conjoints équivaudra à la production de leurs actes de décès dans les cas prévus aux articles 515-8-7, 515-8-8 et 515-8-14.
« Art. 515-8-10. – Le dissentiment entre le père et la mère, entre l’aïeul et l’aïeule de la même ligne, ou entre aïeuls des deux lignes peut être constaté par un notaire, requis par le futur conjoint et instrumentant sans le concours d’un deuxième notaire ni de témoins, qui notifiera l’union projetée à celui ou à ceux des père, mère ou aïeuls dont le consentement n’est pas encore obtenu.
« L’acte de notification énonce les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs conjoints, de leurs pères et mères, ou, le cas échéant, de leurs aïeuls, ainsi que le lieu où sera célébrée l’union civile.
« Il contient aussi déclaration que cette notification est faite en vue d’obtenir le consentement non encore accordé et que, à défaut, il sera passé outre à la célébration de l’union civile.
« Art. 515-8-11. – Le dissentiment des ascendants peut également être constaté soit par une lettre dont la signature est légalisée et qui est adressée à l’officier de l’état civil qui doit célébrer l’union civile, soit par un acte dressé dans la forme prévue par le deuxième alinéa de l’article 73.
« Les actes énumérés au présent article et à l’article 515-8-10 sont visés pour timbre et enregistrés gratis.
« Art. 515-8-12. – Les officiers de l’état civil qui auraient procédé à la célébration des unions civiles contractées par des fils ou filles n’ayant pas atteint l’âge de dix-huit ans accomplis sans que le consentement des pères et mères, celui des aïeuls ou aïeules et celui du conseil de famille, dans le cas où il est requis, soit énoncé dans l’acte de l’union civile, seront, à la diligence des parties intéressées ou du procureur de la République près le tribunal de grande instance de l’arrondissement où l’union civile aura été célébrée, condamnés à l’amende portée en l’article 515-8-51 du code civil.
« Art. 515-8-13. – L’officier de l’état civil qui n’aura pas exigé la justification de la notification prescrite par l’article 515-8-10 sera condamné à l’amende prévue par l’article 515-8-12.
« Art. 515-8-14. – S’il n’y a ni père, ni mère, ni aïeuls, ni aïeules, ou s’ils se trouvent tous dans l’impossibilité de manifester leur volonté, les mineurs de dix-huit ans ne peuvent contracter une union civile sans le consentement du conseil de famille.
« Art. 515-8-15. – Si la résidence actuelle de ceux des ascendants du mineur de dix-huit ans dont le décès n’est pas établi est inconnue et si ces ascendants n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an, le mineur en fera la déclaration sous serment devant le juge des tutelles de sa résidence, assisté de son greffier, dans son cabinet, et le juge des tutelles en donnera acte.
« Le juge des tutelles notifiera ce serment au conseil de famille, qui statuera sur la demande d’autorisation à contracter une union civile. Toutefois, le mineur pourra prêter directement serment en présence des membres du conseil de famille.
« Art. 515-8-16. – En ligne directe, l’union civile est prohibée entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne.
« Art. 515-8-17. – En ligne collatérale, l’union civile est prohibée, entre deux frères ou deux sœurs.
« Art. 515-8-18. – L’union civile est encore prohibée entre l’oncle et le neveu, la tante et la nièce.
« Art. 515-8-19. – Néanmoins, il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées :
« 1° par l’article 515-8-16 aux unions civiles entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée ;
« 2° par l’article 515-8-18 aux unions civiles entre l’oncle et le neveu, la tante et la nièce.
« Section 2
« Des formalités relatives à la célébration de l’union civile
« Art. 515-8-20. – L’union civile sera célébrée publiquement devant l’officier de l’état civil de la commune où l’un des époux aura son domicile ou sa résidence à la date de la publication prévue par l’article 63-1, et, en cas de dispense de publication, à la date de la dispense prévue à l’article 515-8-22.
« Art. 515-8-21. – La publication ordonnée à l’article 63-1 sera faite à la mairie du lieu de célébration de l’union civile et à celle du lieu où chacun des futurs conjoints a son domicile ou, à défaut de domicile, sa résidence.
« Art. 515-8-22. – Le procureur de la République dans l’arrondissement duquel sera célébrée l’union civile peut dispenser, pour des causes graves, de la publication et de tout délai ou de l’affichage de la publication seulement.
« Art. 515-8-23. – Le Président de la République peut, pour des motifs graves, autoriser la célébration de l’union civile en cas de décès de l’un des futurs conjoints, dès lors qu’une réunion suffisante de faits établit sans équivoque son consentement.
« Dans ce cas, les effets de l’union civile remontent à la date du jour précédant celui du décès du conjoint.
« Toutefois, cette union civile n’entraîne aucun droit de succession ab intestat au profit du conjoint survivant et aucun régime matrimonial n’est réputé avoir existé entre les conjoints.
« Section 3
« De l’union civile des français à l’étranger
« Art. 515-8-24. – L’union civile contractée en pays étranger entre Français, ou entre un Français et un étranger, est valable si elle a été célébrée dans les formes usitées dans le pays de célébration et pourvu que le ou les Français n’aient point contrevenu aux dispositions contenues à la section 1 du présent chapitre.
« Il en est de même de l’union civile célébrée par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises, conformément aux lois françaises.
« Toutefois, ces autorités ne peuvent procéder à la célébration d’une union civile entre un Français et un étranger que dans les pays qui sont désignés par décret.
« Art. 515-8-25. – Lorsqu’elle est célébrée par une autorité étrangère, l’union civile d’un Français doit être précédée de la délivrance d’un certificat de capacité à contracter une union civile établi après l’accomplissement, auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration du mariage, des prescriptions prévues à l’article 63-1.
« Sous réserve des dispenses prévues à l’article 515-8-22, la publication prévue à l’article 63-1 est également faite auprès de l’officier de l’état civil ou de l’autorité diplomatique ou consulaire du lieu où le futur conjoint français a son domicile ou sa résidence.
« Art. 515-8-26. – À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition des futurs conjoints prévue à l’article 63-1 est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France du ou des futurs conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente en cas de domicile ou de résidence à l’étranger.
« Art. 515-8-27. – Lorsque des indices sérieux laissent présumer que l’union civile envisagée encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51, l’autorité diplomatique ou consulaire saisit sans délai le procureur de la République compétent et en informe les intéressés.
« Le procureur de la République peut, dans le délai de deux mois à compter de la saisine, faire connaître par une décision motivée, à l’autorité diplomatique ou consulaire du lieu où la célébration de l’union civile est envisagée et aux intéressés, qu’il s’oppose à cette célébration.
« La mainlevée de l’opposition peut être demandée, à tout moment, devant le tribunal de grande instance conformément aux dispositions des articles 515-8-39 et 515-8-40 par les futurs conjoints, même mineurs.
« Art. 515-8-28. – Pour être opposable aux tiers en France, l’acte d’union civile d’un Français célébrée par une autorité étrangère doit être transcrit sur les registres de l’état civil français. En l’absence de transcription, l’union civile d’un Français, valablement célébrée par une autorité étrangère, produit ses effets civils en France à l’égard des conjoints.
« Les futurs conjoints sont informés des règles prévues au premier alinéa à l’occasion de la délivrance du certificat de capacité à contracter une union civile.
« La demande de transcription est faite auprès de l’autorité consulaire ou diplomatique compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile.
« Art. 515-8-29. – Lorsque l’union civile a été célébrée malgré l’opposition du procureur de la République, l’officier de l’état civil consulaire ne peut transcrire l’acte d’union civile étranger sur les registres.
« Art. 515-8-30. – Lorsque l’union civile a été célébrée en contravention aux dispositions de l’article 515-8-25, la transcription est précédée de l’audition des conjoints, ensemble ou séparément, par l’autorité diplomatique ou consulaire. Toutefois, si cette dernière dispose d’informations établissant que la validité de l’union civile n’est pas en cause au regard des articles 515-8-3 et 515-8-42, elle peut, par décision motivée, faire procéder à la transcription sans audition préalable des conjoints.
« À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France des conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente si les conjoints ont leur domicile ou résidence à l’étranger. La réalisation de l’audition peut être déléguée à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents.
« Lorsque des indices sérieux laissent présumer que l’union civile célébrée devant une autorité étrangère encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51, l’autorité diplomatique ou consulaire chargée de transcrire l’acte en informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription.
« Le procureur de la République se prononce sur la transcription dans les six mois à compter de sa saisine.
« S’il ne s’est pas prononcé à l’échéance de ce délai ou s’il s’oppose à la transcription, les conjoints peuvent saisir le tribunal de grande instance pour qu’il soit statué sur la transcription de l’union civile. Le tribunal de grande instance statue dans le mois. En cas d’appel, la cour statue dans le même délai.
« Dans le cas où le procureur de la République demande, dans le délai de six mois, la nullité de l’union civile, il ordonne que la transcription soit limitée à la seule fin de saisine du juge. Jusqu’à la décision de celui-ci, une expédition de l’acte transcrit ne peut être délivrée qu’aux autorités judiciaires ou avec l’autorisation du procureur de la République.
« Art. 515-8-31. – Lorsque les formalités prévues à l’article 515-8-25 ont été respectées et que l’union civile a été célébrée dans les formes usitées dans le pays, il est procédé à sa transcription sur les registres de l’état civil à moins que des éléments nouveaux fondés sur des indices sérieux laissent présumer que l’union civile encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51. Dans ce dernier cas, l’autorité diplomatique ou consulaire, après avoir procédé à l’audition des conjoints, ensemble ou séparément, informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription.
« À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France des conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente si les conjoints ont leur domicile ou résidence à l’étranger. La réalisation de l’audition peut être déléguée à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents.
« Le procureur de la République dispose d’un délai de six mois à compter de sa saisine pour demander la nullité de l’union civile. Dans ce cas, les dispositions du dernier alinéa de l’article 515-8-30 sont applicables.
« Si le procureur de la République ne s’est pas prononcé dans le délai de six mois, l’autorité diplomatique ou consulaire transcrit l’acte. La transcription ne fait pas obstacle à la possibilité de poursuivre ultérieurement l’annulation de l’union civile en application des articles 515-8-42 et 515-8-46.
« Section 4
« Des oppositions à l’union civile
« Art. 515-8-32. – Le droit de former opposition à la célébration de l’union civile appartient à la personne engagée par mariage ou par une union civile avec l’une des deux parties contractantes.
« Art. 515-8-33. – Le père, la mère, et, à défaut de père et de mère, les aïeuls et aïeules peuvent former opposition à l’union civile de leurs enfants et descendants, même majeurs.
« Après mainlevée judiciaire d’une opposition à une union civile formée par un ascendant, aucune nouvelle opposition, formée par un ascendant, n’est recevable ni ne peut retarder la célébration.
« Art. 515-8-34. – À défaut d’aucun ascendant, le frère ou la sœur, l’oncle ou la tante, le cousin ou la cousine germains, majeurs, ne peuvent former aucune opposition que dans les deux cas suivants :
« 1° Lorsque le consentement du conseil de famille, requis par l’article 515-8-14, n’a pas été obtenu ;
« 2° Lorsque l’opposition est fondée sur l’état de démence du futur conjoint ; cette opposition, dont le tribunal pourra prononcer mainlevée pure et simple, ne sera jamais reçue qu’à la charge, par l’opposant, de provoquer la tutelle des majeurs, et d’y faire statuer dans le délai qui sera fixé par le jugement.
« Art. 515-8-35. – Dans les deux cas prévus par l’article 515-8-34, le tuteur ou curateur ne pourra, pendant la durée de la tutelle ou curatelle, former opposition qu’autant qu’il y aura été autorisé par un conseil de famille, qu’il pourra convoquer.
« Art. 515-8-36. – Le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité de l’union civile.
« Art. 515-8-37. – Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l’audition prévue par l’article 63-1, que l’union civile envisagée est susceptible d’être annulée au titre de l’article 515-8-4 ou 515-8-42, l’officier de l’état civil peut saisir sans délai le procureur de la République. Il en informe les intéressés.
« Le procureur de la République est tenu, dans les quinze jours de sa saisine, soit de laisser procéder à l’union civile, soit de faire opposition à celle-ci, soit de décider qu’il sera sursis à sa célébration, dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier de l’état civil, aux intéressés.
« La durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excéder un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée.
« À l’expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître par une décision motivée à l’officier de l’état civil s’il laisse procéder à l’union civile ou s’il s’oppose à sa célébration.
« L’un ou l’autre des futurs conjoints, même mineur, peut contester la décision de sursis ou son renouvellement devant le président du tribunal de grande instance, qui statue dans les dix jours. La décision du président du tribunal de grande instance peut être déférée à la cour d’appel qui statue dans le même délai.
« Art. 515-8-38. – Tout acte d’opposition énonce la qualité qui donne à l’opposant le droit de la former. Il contient également les motifs de l’opposition, reproduit le texte de loi sur lequel est fondée l’opposition et contient élection de domicile dans le lieu où l’union civile doit être célébrée. Toutefois, lorsque l’opposition est faite en application de l’article 515-8-27 le ministère public fait élection de domicile au siège de son tribunal.
« Les prescriptions mentionnées au premier alinéa sont prévues à peine de nullité et de l’interdiction de l’officier ministériel qui a signé l’acte contenant l’opposition.
« Après une année révolue, l’acte d’opposition cesse de produire effet. Il peut être renouvelé, sauf dans le cas visé par le deuxième alinéa de l’article 515-8-33.
« Toutefois, lorsque l’opposition est faite par le ministère public, elle ne cesse de produire effet que sur décision judiciaire.
« Art. 515-8-39. – Le tribunal de grande instance prononcera dans les dix jours sur la demande en mainlevée formée par les futurs conjoints, même mineurs.
« Art. 515-8-40. – S’il y a appel, il sera statué dans les dix jours et, si le jugement dont est appel a donné mainlevée de l’opposition, la cour devra statuer même d’office.
« Art. 515-8-41. – Si l’opposition est rejetée, les opposants, autres néanmoins que les ascendants, pourront être condamnés à des dommages-intérêts.
« Les jugements et arrêts par défaut rejetant les oppositions à mariage ne sont pas susceptibles d’opposition.
« Section 5
« Des demandes en nullité d’union civile
« Art. 515-8-42. – L’union civile qui a été contractée sans le consentement libre des deux conjoints, ou de l’un d’eux, ne peut être attaquée que par les conjoints, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public. L’exercice d’une contrainte sur les conjoints ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité d’union civile.
« S’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité de l’union civile.
« Art. 515-8-43. – Dans le cas de l’article 515-8-42, la demande en nullité n’est plus recevable à l’issue d’un délai de cinq ans à compter de la célébration de l’union civile.
« Art. 515-8-44. – L’union civile contractée sans le consentement des père et mère, des ascendants, ou du conseil de famille, dans les cas où ce consentement était nécessaire, ne peut être attaquée que par ceux dont le consentement était requis, ou par celui des deux conjoints qui avait besoin de ce consentement.
« Art. 515-8-45. – L’action en nullité ne peut plus être intentée ni par les conjoints, ni par les parents dont le consentement était requis, toutes les fois que l’union civile a été approuvée expressément ou tacitement par ceux dont le consentement était nécessaire, ou lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de leur part, depuis qu’ils ont eu connaissance de l’union civile. Elle ne peut être intentée non plus par le conjoint, lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de sa part, depuis qu’il a atteint l’âge compétent pour consentir par lui-même à une union civile.
« Art. 515-8-46. – Toute union civile contractée en contravention aux dispositions contenues aux articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, peut être attaquée, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les conjoints eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public.
« Art. 515-8-47. – Dans tous les cas où, conformément à l’article 515-8-46, l’action en nullité peut être intentée par tous ceux qui y ont un intérêt, elle peut l’être par les parents collatéraux, ou par les enfants nés d’un mariage précédent, du vivant des deux conjoints, mais seulement lorsqu’ils y ont un intérêt né et actuel.
« Art. 515-8-48. – Le conjoint au préjudice duquel a été contractée une seconde union civile peut en demander la nullité, du vivant même de l’époux qui était engagé avec lui.
« Art. 515-8-49. – Si les nouveaux conjoints opposent la nullité de la première union civile, la validité ou la nullité de cette union civile doit être jugée préalablement.
« Art. 515-8-50. – Le procureur de la République, dans tous les cas auxquels s’applique l’article 515-8-46, peut et doit demander la nullité de l’union civile, du vivant des deux conjoints, et les faire condamner à se séparer.
« Art. 515-8-51. – Toute union civile qui n’a point été contractée publiquement, et qui n’a point été célébrée devant l’officier public compétent, peut être attaquée, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par les conjoints eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public.
« Art. 515-8-52. – Si l’union civile n’a point été précédée de la publication requise ou s’il n’a pas été obtenu des dispenses permises par la loi, ou si les intervalles prescrits entre les publications et la célébration n’ont point été observés, le procureur de la République fera prononcer contre l’officier public une amende qui ne pourra excéder 4,5 euros et contre les parties contractantes, ou ceux sous la puissance desquels elles ont agi, une amende proportionnée à leur fortune.
« Art. 515-8-53. – Les peines prononcées par l’article 515-8-52 seront encourues par les personnes qui y sont désignées, pour toute contravention aux règles prescrites par l’article 515-8-20, alors même que ces contraventions ne seraient pas jugées suffisantes pour faire prononcer la nullité de l’union civile.
« Art. 515-8-54. – Nul ne peut réclamer le titre de conjoint et les effets civils de l’union civile, s’il ne représente un acte de célébration inscrit sur le registre de l’état civil ; sauf les cas prévus par l’article 46, au titre Des actes de l’état civil.
« Art. 515-8-55. – La possession d’état ne pourra dispenser les prétendus conjoints qui l’invoqueront respectivement, de représenter l’acte de célébration de l’union civile devant l’officier de l’état civil.
« Art. 515-8-56. – Lorsqu’il y a possession d’état, et que l’acte de célébration de l’union civile devant l’officier de l’état civil est représenté, les conjoints sont respectivement non recevables à demander la nullité de cet acte.
« Art. 515-8-57. – Si néanmoins, dans le cas des articles 515-8-54 et 515-8-55, il existe des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier de deux individus qui ont vécu publiquement comme conjoints, et qui soient tous deux décédés, la légitimité de ces enfants adoptés ne peut être contestée sous le seul prétexte du défaut de représentation de l’acte de célébration, toutes les fois que cette légitimité est prouvée par une possession d’état qui n’est point contredite par l’acte de naissance.
« Art. 515-8-58. – Lorsque la preuve d’une célébration légale de l’union civile se trouve acquise par le résultat d’une procédure criminelle, l’inscription du jugement sur les registres de l’état civil assure à l’union civile, à compter du jour de sa célébration, tous les effets civils, tant à l’égard des époux qu’à l’égard des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier.
« Art. 515-8-59. – Si les conjoints ou l’un d’eux sont décédés sans avoir découvert la fraude, l’action criminelle peut être intentée par tous ceux qui ont intérêt de faire déclarer l’union civile valable, et par le procureur de la République.
« Art. 515-8-60. – Si l’officier public est décédé lors de la découverte de la fraude, l’action sera dirigée au civil contre ses héritiers, par le procureur de la République, en présence des parties intéressées, et sur leur dénonciation.
« Art. 515-8-61. – L’union civile qui a été déclarée nulle produit, néanmoins, ses effets à l’égard des conjoints, lorsqu’elle a été contractée de bonne foi.
« Si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit ses effets qu’en faveur de cet époux.
« Art. 515-8-62. – Elle produit aussi ses effets à l’égard des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier, quand bien même aucun des conjoints n’aurait été de bonne foi.
« Le juge statue sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale comme en matière de divorce.
« Section 6
« Des devoirs et des droits respectifs des conjoints
« Art. 515-8-63. – Les conjoints se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.
« Art. 515-8-64. – Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des conjoints aux charges de l’union civile, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
« Si l’un des conjoints ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile.
« Art. 515-8-65. – Les conjoints s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
« La résidence des conjoints est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord.
« Les conjoints ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous.
« Art. 515-8-66. – Chaque conjoint a la pleine capacité de droit ; mais ses droits et pouvoirs peuvent être limités par l’effet du régime matrimonial et des dispositions du présent chapitre.
« Art. 515-8-67. – Un conjoint peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire, si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté ou si son refus n’est pas justifié par l’intérêt des conjoints.
« L’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable au conjoint dont le concours ou le consentement a fait défaut, sans qu’il en résulte à sa charge aucune obligation personnelle.
« Art. 515-8-68. – Un conjoint peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue.
« Il peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat.
« Art. 515-8-69. – Si l’un des conjoints se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge.
« À défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un conjoint en représentation de l’autre ont effet, à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires.
« Art. 515-8-70. – Chacun des conjoints a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.
« La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
« Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux conjoints, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
« Art. 515-8-71. – Si l’un des conjoints manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts.
« Il peut notamment interdire à ce conjoint de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles. Il peut aussi interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.
« La durée des mesures prises en application du présent article doit être déterminée par le juge et ne saurait, prolongation éventuellement comprise, dépasser trois ans.
« Art. 515-8-72. – Si l’ordonnance porte interdiction de faire des actes de disposition sur des biens dont l’aliénation est sujette à publicité, elle doit être publiée à la diligence du conjoint requérant. « Cette publication cesse de produire effet à l’expiration de la période déterminée par l’ordonnance, sauf à la partie intéressée à obtenir dans l’intervalle une ordonnance modificative, qui sera publiée de la même manière.
« Si l’ordonnance porte interdiction de disposer des meubles corporels, ou de les déplacer, elle est signifiée par le requérant à son conjoint, et a pour effet de rendre celui-ci gardien responsable des meubles dans les mêmes conditions qu’un saisi. Signifiée à un tiers, elle le constitue de mauvaise foi.
« Art. 515-8-73. – Sont annulables, à la demande du conjoint requérant, tous les actes accomplis en violation de l’ordonnance, s’ils ont été passés avec un tiers de mauvaise foi, ou même s’agissant d’un bien dont l’aliénation est sujette à publicité, s’ils sont simplement postérieurs à la publication prévue par l’article 515-8-72.
« L’action en nullité est ouverte à l’époux requérant pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée, si cet acte est sujet à publicité, plus de deux ans après sa publication.
« Art. 515-8-74. – Chacun des conjoints peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel.
« À l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la rupture de l’union civile, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt.
« Art. 515-8-75. – Si l’un des conjoints se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte.
« Cette disposition n’est pas applicable aux meubles meublants visés au troisième alinéa de l’article 515-8-65, non plus qu’aux meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404.
« Art. 515-8-76. – Chaque conjoint peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges de l’union civile.
« Art. 515-8-77. – Chacun des conjoints administre, oblige et aliène seul ses biens personnels.
« Art. 515-8-78. – Les dispositions de la présente section, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet de l’union civile, quel que soit le régime matrimonial des époux.
« Section 7
« De la dissolution de l’union civile
« Art. 515-8-79. – L’union civile se dissout :
« 1° Par la mort de l’un des conjoints ;
« 2° Par la rupture légalement prononcée ;
« 3° Par le mariage de l’un des conjoints. » ;
3° L’intitulé du titre V du livre III est ainsi rédigé :
« Du contrat de mariage et d’union civile et des régimes matrimoniaux » ;
4° Après le c de l’article 34, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« c bis) des conjoints dans les actes d’union civile ; »
5° À l’article 46, après le mot : « mariages, », sont insérés les mots : « unions civiles, » ;
6° Après l’article 63, il est inséré un article 63-1 ainsi rédigé :
« Art. 63-1. – Avant la célébration de l’union civile, l’officier de l’état civil fera une publication par voie d’affiche apposée à la porte de la maison commune. Cette publication énoncera les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs conjoints, ainsi que le lieu où l’union civile devra être célébrée.
« La publication prévue au premier alinéa ou, en cas de dispense de publication accordée conformément aux dispositions de l’article 515-8-22, la célébration de l’union civile est subordonnée :
« 1° À la remise, pour chacun des futurs conjoints, des indications ou pièces suivantes :
« - La copie intégrale de l’acte de naissance remise par chacun des futurs conjoints à l’officier de l’état civil qui doit célébrer leur union civile ne doit pas dater de plus de trois mois si elle a été délivrée en France et de plus de six mois si elle a été délivrée dans un consulat.
« - Celui des futurs conjoints qui serait dans l’impossibilité de se procurer cet acte pourra le suppléer en rapportant un acte de notoriété délivré par un notaire ou, à l’étranger, par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises compétentes. L’acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document produit qui attestent des prénoms, nom, profession et domicile du futur époux et de ceux de ses père et mère s’ils sont connus, du lieu et, autant que possible, de l’époque de la naissance et des causes qui empêchent de produire l’acte de naissance. L’acte de notoriété est signé par le notaire ou l’autorité diplomatique ou consulaire et par les témoins.
« - la justification de l’identité au moyen d’une pièce délivrée par une autorité publique ;
« - l’indication des prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile des témoins, sauf lorsque l’union civile doit être célébrée par une autorité étrangère ;
« 2° À l’audition commune des futurs conjoints, sauf en cas d’impossibilité ou s’il apparaît, au vu des pièces fournies, que cette audition n’est pas nécessaire au regard des articles 515-8-3 et 515-8-42.
« L’officier de l’état civil, s’il l’estime nécessaire, demande à s’entretenir séparément avec l’un ou l’autre des futurs conjoints.
« L’audition du futur conjoint mineur se fait hors la présence de ses père et mère ou de son représentant légal et de son futur conjoint.
« L’officier de l’état civil peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires du service de l’état civil de la commune la réalisation de l’audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l’un des futurs conjoints réside à l’étranger, l’officier de l’état civil peut demander à l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente de procéder à son audition.
« L’autorité diplomatique ou consulaire peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents la réalisation de l’audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l’un des futurs conjoints réside dans un pays autre que celui de la célébration, l’autorité diplomatique ou consulaire peut demander à l’officier de l’état civil territorialement compétent de procéder à son audition.
« L’officier d’état civil qui ne se conformera pas aux prescriptions des alinéas précédents sera poursuivi devant le tribunal de grande instance et puni d’une amende de 3 à 30 euros. »
II. – Les dispositions du titre V du livre III du code civil s’appliquent aux personnes ayant contracté une union civile telle que le 1° du I du présent article la prévoit.
B – En conséquence, chapitre Ier, intitulé
Remplacer les mots :
au mariage
par les mots :
à l'union civile
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Madame la présidente, nous ne pouvons pas examiner les amendements sans rapporteur ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Retailleau. Où donc est le rapporteur ?
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas sérieux ! Il n’y a ni quorum ni rapporteur !
Mme la présidente. Mes chers collègues, M. le président de la commission des lois, conformément à l’usage, va suppléer M. le rapporteur. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Patrice Gélard. Nous travaillons dans des conditions insupportables, inadmissibles pour cette assemblée ! (On approuve sur les travées de l'UMP.)
Et il nous reste un quart d’heure pour examiner sept amendements !
M. David Assouline. Non, une heure !
Mme la présidente. Monsieur Gélard, je vous demande de présenter votre amendement.
M. Patrice Gélard. Madame la présidente, il est impossible de travailler dans ces conditions. L’amendement n° 4 rectifié bis est essentiel en ce qu’il constitue la totalité du dispositif alternatif que nous proposons.
Mais vous avez décidé de bâcler son examen ! Vous nous mentez depuis le départ dans cette affaire pour nous contraindre à travailler coûte que coûte, alors que les conditions objectives ne sont pas réunies pour que nous puissions présenter ce qui constitue l’essentiel de notre projet.
Je demande que la séance soit levée immédiatement et que nous reprenions nos travaux lundi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Organisation des travaux
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Chers collègues, on se calme ! (Exclamations sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. Charles Revet. Vous avez les moyens de ramener le calme !
M. Patrice Gélard. Trouvez le rapporteur !
M. François Rebsamen. Il nous faut retrouver la sérénité qui sied à nos débats et reprendre le cours de nos travaux, conformément à l’ordre du jour fixé par la conférence des présidents.
M. Philippe Bas. Et où est le rapporteur ?
M. François Rebsamen. Tout le monde était d’accord, lors des deux dernières conférences des présidents, pour que nous continuions nos travaux ce vendredi en soirée. Nous y sommes, et il nous reste encore du temps.
M. Charles Revet. Un quart d’heure ? La séance doit être levée à minuit, vous vous y êtes engagé !
M. François Rebsamen. Il n’y a donc aucune raison de s’agacer comme vient de le faire notre collègue Patrice Gélard.
M. Gérard Longuet. Notre collègue parle avec son cœur !
M. François Rebsamen. Nous n’irons pas beaucoup plus loin ; vous pourrez reprendre vos explications lundi, comme prévu.
M. Patrice Gélard. J’ai demandé la levée de la séance !
M. François Rebsamen. Vous souhaitez peut-être que la séance soit levée, mais le règlement ne prévoit pas que vous puissiez le décider vous-même !
J’en appelle donc au respect des règles que nous nous sommes fixées, en l’occurrence les décisions prises par la conférence des présidents. Cette dernière a décidé de la poursuite des débats ce soir, nous les poursuivons donc, malgré les procédures d’obstruction, pour certaines bien connues, que vous êtes en train de mettre en œuvre.
M. Patrice Gélard. Pas du tout !
M. David Assouline. Si, c’est de l’obstruction !
M. Charles Revet. Mais non !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Bien sûr que si !
M. François Rebsamen. Mais si, nous les connaissons aussi, ces procédures !
M. Christian Cambon. C’est que nous avons pris de bonnes leçons auprès de vous !
M. François Rebsamen. La demande de vérification du quorum, de droit, a été présentée : vous avez donc perdu une heure de débat volontairement. Aussi, nous allons poursuivre nos travaux un moment. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Il n’y a pas de quoi s’énerver !
Mais quel est votre objectif, ici ? (Exclamations sur les mêmes travées.)
Vous ne souhaitez pas que nous commencions l’examen des amendements que vous avez déposés. Pouvez-vous me dire pourquoi, alors que le règlement et la conférence des présidents le prévoient ?
J’en appelle au respect de notre institution, de son règlement et des décisions de la conférence des présidents.
M. Gérard Longuet. Le respect, c’est de venir en séance !
M. François Rebsamen. En l’occurrence, le règlement comme la conférence des présidents font que nous devons maintenant passer à l’examen des articles et donc des amendements.
Un sénateur du groupe UMP. Quand le rapporteur sera là ! (On renchérit sur les travées de l’UMP.)
M. François Rebsamen. Les fonctions de rapporteur seront assurées par M. le président de la commission des lois. Ce n’est pas n’importe qui, tout de même ! Et M. Sueur a, à ses côtés, Mme Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur Gélard, exécutez-vous et présentez votre amendement : nous avons le temps nécessaire. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Larcher. (Manifestations de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, hier après-midi, nous avons entamé ce débat avec hauteur de vues, sérénité, chacun opposant ses arguments, parfois citant des grands auteurs, de Lacan à Miller,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je ne sais pas si l’on peut les qualifier de « grands auteurs » !
M. Gérard Larcher. … puis, remontant plus loin dans le temps, de Camus à Diderot. J’ai même entendu des références au livre de la Genèse.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est mieux !
M. Gérard Larcher. À cet instant, je tiens à m’adresser à M. le président de la commission des lois.
Cher collègue, il n’est pas possible, sans le rapporteur, de procéder à un examen serein et approfondi d’une disposition essentielle – la création d’un contrat d’union civile – issue d’une proposition faite au nom du groupe UMP.
M. Roger Karoutchi. Ce ne serait pas sérieux !
M. Gérard Larcher. Monsieur le président de la commission des lois, j’ai, moi aussi, exercé la fonction de président de commission. J’ai, moi aussi, eu à connaître de situations difficiles. Mais nous sommes là sur un point déterminant du débat.
Je vous en prie, faites en sorte que nous ne bâclions pas cet examen. Ce n’est pas une marque de défiance à votre égard, mais M. le rapporteur a lui-même exprimé un certain nombre d’avis sur ce sujet, à l’occasion de la discussion générale.
Je crois qu’il serait plus raisonnable de nous en tenir là pour ce soir, compte tenu de l’engagement qui a été pris de mener, la semaine prochaine, un examen apaisé, approfondi, argument contre argument, plutôt que de tenter ce soir de gagner une demi-heure d’un mauvais débat sur un enjeu aussi important. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
J’invite les uns et les autres à me rejoindre dans cette réflexion et à adopter cette position de sagesse. Si chacun sait raison garder, nous serons en phase, me semble-t-il, avec l’image du Sénat ou, du moins, avec la conception que j’en ai ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de M. le président de la commission des lois ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, M. Jean-Pierre Michel m’a demandé de le suppléer pour cette fin de soirée. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Pourquoi ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je vous assure que je suis en mesure de donner le point de vue de la commission sur l’amendement de M. Gélard, et même de vous donner les arguments de M. Michel.
Je dois en cet instant me référer, monsieur le président Larcher, au droit qui gouverne le fonctionnement de notre institution : lors de la conférence des présidents, une décision a été prise.
M. Charles Revet. Celle d’arrêter à minuit !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non, mon cher collègue.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. C’est ce qui a été dit !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il a été décidé d’appliquer une décision prise à l’occasion de la précédente conférence des présidents, qui prévoyait pour ce vendredi une séance le soir. L’ensemble des groupes, à l’exception de l’UMP, représentée par Mme Catherine Troendle, en étaient d’accord. Le représentant du groupe UDI-UC a même précisé qu’il souhaitait que la séance du soir soit prévue et inscrite à l’ordre du jour, pour donner la possibilité à certains des membres de son groupe, par exemple M. Michel Mercier, de nous rejoindre et de participer à nos travaux.
M. Roger Karoutchi. Ils pourront revenir !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quoi qu’il en soit, il a été décidé que l’on siégerait ce soir, ce qui fut fait. C’est alors que Mme Troendle a dégainé une demande de vérification du quorum !
Mme Catherine Troendle. Je souhaitais que nos collègues soient présents en grand nombre !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Entre nous, chère collègue, cela ne contribue pas beaucoup à faire avancer les débats, ni ne favorise l’expression des convictions ! (Mme Catherine Troendle proteste.) Mais nous sommes ici quelques-uns à avoir l’expérience de ces procédures, pour siéger au Parlement depuis quelques années déjà...
Il fut donc procédé à la vérification du quorum, mes chers collègues, mais chacun ici sait combien tout cela est artificiel.
M. Gérard Larcher. Nous n’avons pas changé le règlement !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Certes, monsieur Larcher, et je respecte le règlement, mais il n’empêche que nous pourrions plutôt continuer à débattre du fond !
Ensuite, ce fut le scrutin public sur la dernière motion. Et on vous a vus arriver les uns après les autres, à la queue leu leu, chacun muni de son petit morceau de carton pour le déposer dans l’urne, de manière à prolonger le vote… (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Puis il y eut un rappel au règlement – nous les connaissons tous, ces rappels au règlement -,…
M. Christian Cambon. Surtout vous !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … et je voyais des sourires s’esquisser sur les visages lorsque M. Retailleau s’exprimait, alors que son propos n’avait strictement aucun rapport avec notre règlement !
Derechef, nous vîmes un autre de ses collègues enchaîner pour demander un autre rappel au règlement…
Enfin, M. Larcher prit la parole pour nous alerter sur la gravité du problème.
M. Gérard Larcher. Mais oui !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Chacun ici le sait, deux heures ou deux heures et demie de débats parlementaires permettent d’avancer. Vous étiez fâchés, et vous seuls, chers collègues du groupe UMP, de la décision prise par la conférence des présidents. Elle n’en est pas moins démocratique.
Il me semble donc, madame la présidente, que rien ne s’oppose à ce que, par exemple, M. Gélard nous présente son amendement.
M. Roger Karoutchi. Non !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il le fait tellement bien ! Et puis, je nous trouve en forme, ce soir ! (Sourires.) Pour ma part, je ne ressens pas de lassitude particulière…
Mme Catherine Troendle. Et le rapporteur ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je ne sais, madame la présidente, à quelle heure vous souhaitez lever la séance, mais je me sens tout ragaillardi par l’ambiance qui règne ici. (Mme Cécile Cukierman s’esclaffe.)
J’avais le sentiment que M. Bas s’était un peu assoupi, mais je vois que chacun a retrouvé vigueur et vitalité ! (Sourires.) Raison de plus pour achever cette soirée par quelques travaux productifs.
Mme Christiane Taubira et Mme Dominique Bertinotti sont présentes, elles sont venues pour parler du sujet qui nous occupe et seraient sans doute très déçues si nous levions la séance maintenant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui ! (Mme la ministre déléguée chargée de la famille opine.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je dis cela avec le sourire, mais j’insiste pour que nous poursuivions nos travaux ce soir, comme il était prévu. Pour ma part, je souhaitais même que l’on siège demain – j’étais très minoritaire, il est vrai...
Je suis très heureux que Mme la présidente m’ait donné la parole – je ne l’avais pas demandée -, ce qui me donne l’occasion, chers collègues, de vous inviter à cet ultime effort !
Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois.
Mes chers collègues, j’ai une proposition à vous faire (Ah ! sur les travées de l'UMP.) : que leurs auteurs présentent les cinq premiers amendements faisant l’objet de la discussion commune (Protestations sur les travées de l'UMP.),…
M. Christian Cointat. Sans rapporteur ?...
Mme la présidente. … et je lèverai la séance ensuite. (Protestations renouvelées sur les mêmes travées.) Je pense qu’il s’agit là d’un bon compromis.
M. Charles Revet. Ce n’est pas sérieux !
M. David Assouline. Non, en effet, mieux vaut continuer ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bruno Retailleau. Cela n’a pas de sens !
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, je demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.
Mme la présidente. Madame Troendle, je vous accorde cinq minutes.
Mme Catherine Troendle. Plutôt dix, madame la présidente !
Mme la présidente. Madame Troendle, dans notre assemblée, les suspensions de séance ne sont pas de droit ; elles sont soumises à l’appréciation du président de séance.
Vous avez cinq minutes !
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante, est reprise à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente. Je vous rappelle que je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
La parole est à M. Patrice Gélard, pour défendre l’amendement n° 4 rectifié bis.
M. Patrice Gélard. Madame la présidente, je suis de très mauvaise humeur (Sourires.).
En effet, j’estime que tout cela n’est pas sérieux de la part de la majorité. Nous examinons ici le principal amendement de notre groupe, celui qui présente une alternative par rapport au dispositif que nous soumettent le Gouvernement et la commission. Et vous voulez qu’on bâcle le travail ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Si, c’est bien ce que vous voulez ! Je m’en vais donc bâcler mon intervention et je défendrai mieux l’amendement en explication de vote !
Je tiens à le souligner d’emblée, cet amendement se justifie par une erreur figurant dès l’étude d’impact et dans les études annexes. Cette erreur tient au fait que le « mariage » entre couples homosexuels à l’étranger ne correspond pas au mariage en France. C’est fondamentalement différent de ce que nous connaissons : ce que l’on appelle « mariage » ici ou là n’est en réalité qu’une union civile parfois sans conséquences sur l’adoption – on applique alors d’autres règles –, pas plus que sur la religion ou sur quoi que ce soit d’autre.
L’exemple scandinave le prouve : c’est le pasteur qui marie tout le monde, que l’on soit protestant, catholique, juif, musulman ou athée. Cette situation n’a donc rien à voir avec ce que l’on veut nous imposer ici. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
En outre, le système que l’on veut instaurer est « bricolé » et n’a pas sa raison d’être pour l’adoption parce qu’il crée de nouvelles inégalités et aboutit à un traitement différent des enfants selon leur ascendance.
Face à cette situation, nous avons tenté de trouver une solution de compromis qui satisfasse tout le monde et permette aux couples homosexuels d’avoir les mêmes droits que les couples hétérosexuels au regard du mariage : c’est l’union civile que nous voulons mettre en place.
Mais, pour ce qui concerne l’adoption, c’est de l’hypocrisie que de soutenir qu’elle sera possible avec le présent projet de loi : elle sera impossible ! Ou alors la majorité sera obligée de mettre en place des quotas qui seront inconstitutionnels. Par conséquent, nous avons proposé un autre système qui consiste à repenser l’adoption simple et la délégation de l’autorité parentale.
C’est là-dessus que nous allons nous battre, c’est cette position que nous défendrons ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Très bien !
Mme la présidente. L'amendement n° 6, présenté par MM. Cointat et Frassa, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le titre XIII du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
A. – L’intitulé de ce titre est ainsi rédigé :
« TITRE XIII – DE L’UNION CIVILE, DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITE
ET DU CONCUBINAGE »
B – Avant le chapitre Ier, il est inséré un chapitre Ier A ainsi rédigé :
« Chapitre Ier A
« De l’union civile
« Art. 515-1 A – Deux personnes physiques majeures célibataires peuvent s’allier en concluant un contrat d’union civile.
« Art. 515-1 B – Les alliés se doivent mutuellement fidélité, respect, secours et assistance.
« Ils s’obligent également à une communauté de vie.
« Art. 515-1 C – Le contrat d’union civile est conclu devant l’officier de l’état civil compétent pour la célébration d’un mariage.
« L’officier de l’état civil demande aux intéressés s’ils entendent conclure un contrat d’union civile. Il leur lit un résumé des droits et obligations des alliés, établi par le décret prévu à l’article 515-1 J et leur fait signer le contrat.
« Art. 515-1 D – Le contrat, ses modifications et la déclaration de dissolution du contrat doivent être déposés au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel les alliés fixent leur résidence commune.
« Art. 515-1 E – I. – Sont applicables au contrat d’union civile les dispositions relatives :
« – aux conflits de loi ;
« – aux qualités et conditions pour contracter mariage ;
« – à la résidence commune et aux droits par lesquels est assuré le logement commun des alliés et des meubles meublants dont il est garni au nom de famille des conjoints ;
« – à la contribution aux charges du mariage ;
« – à la représentation des époux dans les actes de la vie civile notamment en matière de mandat, en cas d’empêchement de manifestation de la volonté et dans les cas où l’un des conjoints met en péril les intérêts du couple ;
« – à la capacité des époux en matière d’exercice d’une profession, de perception et dispositions des gains et salaires, d’administration, de disposition et d’aliénation des biens personnels des époux ;
« – aux régimes matrimoniaux ;
« – aux successions et aux libéralités entre époux.
« II. – Pour l’application du I, sont substitués :
« – les alliés aux conjoints, époux et épouse ou mari et femme ;
« – la signature du contrat à la célébration du mariage ;
« – le régime patrimonial de l’union aux régimes matrimoniaux.
« Art. 515-1 F – L’union civile prend fin par :
« 1° le décès de l’un des alliés ;
« 2° la dissolution de l’union résultant d’une déclaration conjointe des alliés ou d’une déclaration unilatérale de l’un d’entre eux faite à la mairie du lieu d’enregistrement du contrat. L’allié qui décide de mettre fin au contrat le fait signifier préalablement à l’autre.
« La dissolution du contrat d’union civile prend effet, dans les rapports entre les alliés, à la date de la déclaration.
« Elle est opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de publicité ont été accomplies.
« Aucun allié ne peut contracter mariage, ni un nouveau contrat d’union civile ni un pacte civil de solidarité sans qu’il soit préalablement mis fin au contrat d’union civile.
« Art. 515-1 G – En cas de cessation du contrat, un notaire choisi d’un commun accord par les alliés ou, à défaut, par le juge aux affaires familiales, établit l’acte de liquidation et procède aux publicités de dissolution.
« À défaut d’accord, le juge aux affaires familiales statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi.
« Art. 515-1 H – Mention de la signature du contrat, des modifications qui lui sont apportées en matière patrimoniale et de sa dissolution est portée en marge des actes de naissance des alliés.
« Art. 515-1 I – À l’étranger, les fonctions confiées par le présent article à l’officier d’état civil ou au notaire sont assurées par les agents diplomatiques et consulaires français.
« Art. 515-1 J – Un décret en Conseil d’État détermine, en tant que de besoin, les modalités d’application du présent chapitre. »
C – La première phrase du premier alinéa de l’article 515-7 du même code est ainsi rédigée :
« Le pacte civil de solidarité se dissout par la mort de l’un des partenaires, la conclusion d’un contrat d’union civile ou par le mariage des partenaires ou de l’un d’eux. »
II. – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au mariage sont étendus à l’union civile.
Pour l’ouverture, la liquidation et le calcul des droits à pensions de retraite, les alliés d’un contrat d’union civile sont assimilés à des conjoints. Il en est de même en matière de pension civile et militaire de retraite.
III. – Le chapitre unique du titre Ier du livre Ier du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un article L. 111-12 ainsi rédigé :
« Art. L. 111-12 – Pour l’application du présent code, les étrangers alliés à un Français par un contrat d’union civile sont assimilés à des conjoints. »
IV. – La perte de recettes résultant pour l’État des I, II et III ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, on s’en est rendu compte tout au long de la journée : la question de l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe est un sujet extrêmement sensible. Il suscite beaucoup d'émotion d'un côté, mais aussi beaucoup d'espérance de l'autre.
Or on assiste à une augmentation du nombre de couples homosexuels, qui se montrent de plus en plus fréquemment au grand jour. Si la plupart d'entre eux revendiquent l’égalité des droits avec les autres couples, tous ne souhaitent pas pour autant se marier, loin de là. Ils trouvent seulement anormal de ne pas bénéficier du même traitement que les autres, notamment en matière sociale, fiscale ou successorale. Ils attendent une législation équitable mais pas forcément identique.
Il est vrai que d’autres – en particulier ceux qui militent dans les associations – réclament en revanche le droit au mariage dans sa plénitude. Mais ils ne représentent pas la totalité des couples homosexuels.
Au-delà d’une égalité des droits qui reste à obtenir, leur approche se fonde sur la valeur attachée à cette institution républicaine et sur la force du mot « mariage ». Pour eux, le mariage apparaît comme un symbole incontournable pour accéder à la qualité de véritable couple, de couple à part entière, et non pas de foyer de deuxième catégorie. C'est une approche idéologique forte.
Mais le problème est que, pour les opposants à cette ouverture du mariage aux couples homosexuels, le ressort idéologique est tout aussi fort, si ce n'est davantage, car il entraîne des réactions négatives parfois viscérales. En effet, le mariage, même pour beaucoup de laïcs, est un symbole qui touche au sacré et ne peut donc être modifié dans son essence. La réponse peut donc être : oui aux droits, mais non au mariage. Même si elle n'est pas complète, cette réponse représente déjà un pas important vers l'autre, il faut en être conscient.
Dans cet esprit de rapprochement, cet amendement vise à créer un contrat d’union civile afin d’offrir aux couples homosexuels mais aussi hétérosexuels tous les avantages du mariage sous une forme simplifiée sans pour autant lui donner la même appellation. Il a pour but de répondre aux attentes essentielles et légitimes des couples homosexuels tout en ménageant la sensibilité des autres.
Je comprends l’émotion qui s’attache au mot « mariage », à tout ce que cette notion représente et signifie. Cet amendement devrait donc offrir un équilibre acceptable par chacun, d’autant plus que sa rédaction lui permet de s’ajouter au texte de la commission des lois sans obligatoirement s’y substituer. Il ne tranche pas la question du mariage proprement dit, mais règle celle, autrement plus importante en réalité, mais moins sensible, des droits qui s’y attachent.
J’ajoute qu’entre un contrat d’union civile et le mariage, si d’aventure les deux formules étaient retenues, je suis intimement convaincu que le contrat d’union civile l’emporterait auprès des intéressés, car il est bien plus simple et pratique. Lui, au moins, résout les problèmes au lieu de les créer…
Aussi, je compte sur le bon sens et la sagesse de la Haute Assemblée pour se rassembler sur une solution de progrès qui permette d’avancer dans la bonne direction, mais sans heurter ni blesser. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. L'amendement n° 169 rectifié ter, présenté par MM. Zocchetto et Détraigne, Mme Gourault, MM. Mercier, Amoudry et Arthuis, Mme Morin-Desailly, MM. Pozzo di Borgo, Vanlerenberghe, Delahaye, Marseille, Bockel, J. Boyer et Dubois, Mme Férat, MM. Roche, J.L. Dupont, Capo-Canellas, Namy, Jarlier, Maurey, Guerriau, Merceron et Tandonnet, Mme Létard et M. de Montesquiou, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le titre XIII du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
1° L’intitulé est ainsi rédigé :
« Du pacte civil de solidarité, du concubinage et de l’union civile » ;
2° Il est ajouté un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre …
« De l’union civile
« Art. 515-8-... – L’union civile est l’engagement par lequel deux personnes physiques majeures expriment leur consentement libre et éclairé à faire vie commune et à se soumettre aux droits et obligations liées à cet état.
« Art. 515-8-... – Les prohibitions édictées aux articles 161 à 163 sont applicables à l’union civile.
« Les majeurs sous tutelle ne peuvent contracter une union civile qu’avec l’accord du juge des tutelles.
« En cas de curatelle, l’union civile ne peut être célébrée qu’avec l’accord du curateur.
« Art. 515-8-... – L’union civile est célébrée publiquement devant l’officier de l’état civil du lieu de résidence commune des partenaires ou de la résidence de l’un d’eux.
« Avant la célébration de l’union civile, l’officier de l’état civil fait une publication par voie d’affiche à la mairie du lieu de la célébration. Cette publication énonce les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des partenaires.
« Les officiers de l’état civil tiennent des registres d’état civil. Ils font figurer la mention de l’union civile en marge de l’acte de naissance des partenaires de l’union civile.
« Le régime de l’union civile s’applique entre les partenaires dès le consentement de ceux-ci devant l’officier de l’état civil. Les conséquences patrimoniales de l’union civile peuvent être précisées par acte notarié établi avant la célébration.
« Un certificat d’union civile est délivré aux partenaires par le maire à l’issue de la cérémonie.
« L’officier de l’état civil porte mention de l’acte en marge de l’acte de naissance des partenaires.
« L’officier de l’état civil peut déléguer à un adjoint ou à un conseiller municipal de la commune la célébration de l’union et à un fonctionnaire l’accomplissement des formalités et publicité.
« Les dispositions d’ordre patrimonial de l’union civile peuvent être modifiées, en cours d’exécution, par le consentement mutuel des partenaires par acte notarié.
« Art. 515-8-... – Les partenaires ont, en union civile, les mêmes droits et les mêmes obligations.
« Ils se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.
« Ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
« Art. 515-8-... – L’union civile a, en ce qui concerne la contribution aux charges, les mêmes effets que le mariage.
« Art. 515-8-... – L’un des deux partenaires peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que l’union civile lui confère. Il peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat.
« Art. 515-8-... – Toute dette contractée par l’un des partenaires oblige l’autre solidairement.
« La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du contractant.
« Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
« Art. 515-8-... – Le régime des biens de l’union civile est celui de la communauté réduite aux acquêts à moins d’en avoir disposé autrement par acte authentique. Les meubles acquis par les partenaires sont des biens communs à compter du jour de la célébration.
« Tous les autres biens demeurent la propriété personnelle de chaque partenaire, sauf convention contraire. Demeurent toutefois nécessairement la propriété exclusive de chacun les biens ou portions de biens reçus par succession ou acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession.
« Art. 515-8-... – Les partenaires sont assimilés à des conjoints pour la détermination de leurs droits successoraux et des libéralités qu’ils peuvent se consentir.
« Art. 515-8-... – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au pacte civil de solidarité sont étendus à l’union civile.
« Art. 515-8-... – L’union civile se dissout par le décès de l’un des partenaires.
« Elle se dissout également par un jugement du tribunal ou par une déclaration commune notariée lorsque la volonté de vie commune des partenaires est irrémédiablement atteinte.
« Les partenaires peuvent consentir, dans une déclaration commune, à la dissolution de leur union.
« À défaut d’une déclaration commune de dissolution reçue devant notaire, la dissolution doit être prononcée par le tribunal.
« La rupture de l’union civile est inscrite sur un registre d’union civile, mention en est faite sur le registre de conclusion de l’union civile et en marge de l’acte de naissance des parties. »
La parole est à M. Michel Mercier.
M. François Rebsamen. Qui ne sera donc pas venu pour rien ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. Je remercie beaucoup M. le président du groupe socialiste de cette réflexion plutôt moyenne, mais je reconnais que vous avez beaucoup travaillé ce soir, cher collègue, et que vous ne pouvez pas être bon tout le temps ! (Sourires.)
M. François Rebsamen. Vous n’avez pas encore travaillé !
M. Michel Mercier. Raison de plus pour essayer d’être moins mauvais ! (Nouveaux sourires.)
Cet amendement, comme l’a dit M. Gélard en présentant le sien, représente la philosophie de notre groupe : un temps de parole de deux minutes vingt-sept secondes pour l’exposer est un peu bref, vous en conviendrez, madame la présidente.
M. David Assouline. C’est le règlement !
Mme la présidente. Prenez le temps qui vous est imparti pour la présentation de cet amendement, monsieur Mercier.
M. Michel Mercier. Je vous remercie, madame la présidente ; il me reste donc deux minutes et seize secondes, ce qui n’arrange pas la situation, mais j’ai bien compris que ce n’était pas le but que vous recherchiez par ailleurs. (Exclamations amusées sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du CRC.)
J’indiquerai donc simplement – nous aurons l’occasion d’y revenir lors des explications de vote… – que nous sommes très favorables à la reconnaissance d’un régime juridique protecteur des couples homosexuels, mais que nous n’acceptons pas l’idée de filiation qui est contenue dans le texte de la commission.
L’union civile que nous présentons est célébrée en mairie ; elle organise la vie du couple homosexuel et comporte toutes les garanties patrimoniales, mais exclut la filiation.
Pour nous, en effet, l’intérêt supérieur de l’enfant suppose d’abord de respecter ses origines, que précisément l’adoption plénière prévue par le texte de la commission aurait pour effet de faire disparaître, de « gommer », en quelque sorte, ce qui nuirait à sa construction d’homme ou de femme susceptible de transmettre à son tour la vie qu’il ou elle a reçue.
C’est la position que nous défendrons lors de la discussion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. L'amendement n° 192 rectifié, présenté par M. Revet, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le titre XIII du livre Ier du code civil est complété par un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre ...
« Du concubinat
« Art. 515-8-1. – Le concubinat est l’accord de volonté par lequel deux personnes physiques majeures de même sexe ou de sexe différent soumettent leur union à un corps de règles légales ci-dessous développées.
« Art. 515-8-2. – Les prohibitions édictées en droit du mariage aux articles 161 à 163 sont applicables au concubinat.
« Les majeurs sous tutelle ne peuvent contracter un concubinat qu’avec l’accord du juge des tutelles et pendant un intervalle lucide.
« En cas de curatelle, le concubinat ne peut être célébré qu’avec l’accord du curateur.
« Art. 515-8-3. – Les concubins se doivent mutuellement fidélité, respect, secours et assistance.
« Les concubins s’engagent mutuellement à une vie commune.
« Art. 515-8-4. – Le concubinage règle la contribution aux charges de la vie commune. À défaut, les concubins y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
« Art. 515-8-5. – L’un des concubins peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le concubinage lui confère. Ce mandat peut être librement révoqué à tout moment.
« Art. 515-8-6. – Les concubins sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante.
« Toutefois, cette solidarité n’a pas lieu pour les dépenses manifestement excessives.
« La solidarité n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des concubins, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
« Art. 515-8-7. – L’officier d’état civil compétent pour célébrer le concubinage est celui du lieu de la résidence commune des concubins ou de la résidence de l’un d’eux.
« L’officier d’état civil, après avoir vérifié que les conditions requises à l’article 515-8-2 sont bien réunies, fixe une date de célébration du concubinat.
« Vingt jours avant la célébration, les concubins doivent remettre, à la mairie du lieu de la résidence commune ou de la résidence de l’un des concubins, la copie intégrale de leur acte de naissance datant de moins de trois mois.
« La célébration fait l’objet d’une publicité en mairie pendant les dix jours qui précèdent la cérémonie.
« Au cours de la célébration de l’union, l’officier d’état civil rappelle aux concubins quelles sont leurs obligations réciproques, puis les déclare unis devant la loi en présence d’un ou de deux témoins par concubin.
« Le régime du concubinat s’applique entre concubins dès le consentement de ceux-ci devant l’officier d’état civil. Les conséquences patrimoniales du concubinat peuvent être précisées par acte notarié établi avant la célébration.
« Un certificat de concubinat est délivré aux concubins par le maire à l’issue de la cérémonie.
« L’officier d’état civil porte mention de l’acte en marge de l’acte de naissance des concubins.
« À compter de la mention du concubinat en marge de l’acte de naissance des concubins, celle-ci a date certaine et est opposable aux tiers.
« L’officier de l’état civil peut déléguer à un adjoint ou conseiller municipal de la commune la célébration du concubinat et à un fonctionnaire l’accomplissement des formalités et publicité. Lorsque les concubins, dont l’un au moins est de nationalité française, résident à l’étranger, l’officier de l’état civil peut déléguer cette mission à l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente. L’autorité diplomatique ou consulaire peut déléguer la mission à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil. Le délégataire accomplit les formalités prévues au présent article.
« Les dispositions d’ordre patrimonial du concubinat peuvent être modifiées, en cours d’exécution, par le consentement mutuel des concubins par acte notarié.
« À l’étranger, les concubins dont l’un au moins est de nationalité française peuvent compléter ou modifier les conséquences patrimoniales du concubinat par un acte enregistré auprès des agents diplomatiques et consulaires français.
« Art. 515-8-8. – Les meubles acquis par les concubins sont des biens communs à compter du jour de la célébration.
« Tous les autres biens demeurent la propriété personnelle de chaque concubin, sauf convention contraire. Demeurent toutefois nécessairement la propriété exclusive de chacun les biens ou portion de biens reçus par succession ou acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession.
« Art. 515-8-9. – Les concubins sont assimilés à des concubins unis par le mariage pour la détermination de leurs droits successoraux et des libéralités qu’ils peuvent consentir.
« Art. 515-8-10. – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au pacte civil de solidarité sont étendus au concubinat.
« Art. 515-8-11. – Le concubinat prend fin par :
« 1° Le décès de l’un des concubins. Le survivant ou tout intéressé adresse copie de l’acte de décès à la mairie qui a reçu l’acte initial ;
« 2° Sa dissolution est prononcée par le juge à la demande de l’un des concubins ou des deux. Le juge prononce la dissolution du concubinat et statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi. Le juge rétablit, le cas échéant, l’équilibre des conditions de vie qui existe entre concubins au moment de la dissolution de l’union par l’attribution d’une compensation pécuniaire.
« La date de fin du concubinat est mentionnée en marge de l’acte de naissance des parties à l’acte. ».
« Art.515-8-12. – À compter de la parution au journal officiel des dispositions inscrites dans les précédents articles, le terme de concubinat se substitue au terme du pacte civil de solidarité.
« Art. 515-8-13. - Les engagements prévus dans le cadre du pacte civil de solidarité avant l’application des présentes dispositions restent en vigueur dès lors que les intéressés n’ont pas apporté de modifications juridiques à leur situation de couple.
La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Le projet de loi qui nous est soumis vise à autoriser le « mariage » aux personnes de même sexe dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. Cette proposition crée une division profonde à l’intérieur de notre pays, bien au-delà des philosophies politiques des uns et des autres. La très large mobilisation qu’elle a suscitée et qui se poursuit en est l’illustration.
Lors des auditions, il nous a été dit que le mot « mariage » était un terme identifiant. La notion de mariage remonte très loin dans le temps, bien au-delà de la civilisation judéo-chrétienne. La définition que l’on retrouve chaque fois dans le dictionnaire, sur internet, dans les conventions, notamment la Convention européenne, est la suivante : un homme, une femme dont l’union permet la procréation. L’évidence, nul ne peut le contester, c’est que deux personnes de même sexe ne peuvent à elles seules avoir un enfant.
Un autre aspect, peut-être plus préoccupant encore, c’est que le mariage de personnes de même sexe ouvrirait sur la filiation et tout ce qui en découle ; c’est probablement ce qui soulève le plus d’interrogations et d’inquiétudes. Lors des auditions notamment de magistrats, d’avocats et de notaires auxquelles nous avons procédé, nous avons pu appréhender les répercussions qu’il faudrait en attendre et dont, nous ont dit ces professionnels, nous n’avions pas pris la pleine mesure.
Les demandes répétées lors des manifestations par les partenaires de couples de même sexe souhaitant vivre ensemble étaient la reconnaissance de leur différence et, au titre de l’égalité, le bénéfice des dispositions existantes dans le cadre du mariage, en termes de fiscalité, de succession, de responsabilité, entre autres choses. Il apparaît donc qu’il faut être vigilant et d’une grande prudence avant de décider du « mariage pour tous ».
En revanche, il semble nécessaire de donner une réponse aux demandes exprimées par les personnes de même sexe décidant d’une vie commune. Des réponses peuvent être apportées sans pour autant remettre en cause les valeurs et les dispositions qui sont les fondements de notre société.
Le PACS a été une avancée, mais les dispositions afférentes sont aujourd’hui considérées comme insuffisantes pour répondre aux attentes. Il est probablement nécessaire de définir une terminologie plus symbolique : tel est le sens de cet amendement.
M. le Président de la République a déclaré, il y a quelques jours, qu’il excluait que l’on traite des questions de PMA et de GPA pendant la durée de son mandat. Or, et vous le savez très bien, madame le garde des sceaux, il suffit d’une saisine notamment de la Cour européenne des droits de l’homme pour que celles-ci soient imposées à la France !
Mme Michèle André. Mais non !
M. Roger Karoutchi. On verra cela lundi…
M. Gérard Larcher. Oui, lundi !
M. Charles Revet. Vous ne pouvez affirmer le contraire. C’est ce qui se passera, tous les juristes le disent ! Par conséquent, si le mariage pour tous devait être inscrit dans notre droit, c’est bien ce que nous rejetons et, avec nous, une majorité de Français…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Si on veut !...
M. David Assouline. C’est la méthode Coué !
M. Charles Revet. … qui finalement deviendrait la loi française !
Mme la présidente. L'amendement n° 22 rectifié ter, présenté par M. Gélard et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, MM. Darniche et Husson, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du premier alinéa de l’article 515-7 du code civil, après les mots : « le mariage », sont insérés les mots : « ou l’union civile ».
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Il s’agit d’un amendement de coordination. La conclusion d’une union civile, comme celle d’un mariage, emporte la dissolution du PACS.
M. David Assouline. Vous voyez qu’on peut aller vite !
Mme la présidente. Mes chers collègues, les cinq premiers amendements faisant l’objet de la discussion commune ont été présentés ; nous avons donc respecté les décisions de la conférence des présidents. Vous pourrez dès lundi entendre l’avis du rapporteur de la commission des lois, même si nous ne doutions pas un seul instant de la qualité des réponses qu’aurait pu vous apporter le président de la commission des lois. (Sourires.)
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 8 avril 2013, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 437, tomes I et II, 2012 2013) ;
Texte de la commission (n° 438, 2012-2013) ;
Avis de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le samedi 6 avril 2013, à zéro heure dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART