Article 4
I. – Après le premier alinéa de l’article L. 2323-3 du code du travail, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« Il dispose d’un délai d’examen suffisant.
« Sauf dispositions législatives spéciales, un accord entre l’employeur et le comité d’entreprise ou, le cas échéant, le comité central d’entreprise, adopté à la majorité des membres titulaires élus du comité, ou, à défaut d’accord, un décret en Conseil d’État fixe les délais dans lesquels les avis du comité d’entreprise sont rendus dans le cadre des consultations prévues aux articles L. 2323-6 à L. 2323-60, ainsi qu’aux articles L. 2281-12, L. 2323-72 et L. 3121-11. Ces délais, qui ne peuvent être inférieurs à quinze jours, doivent permettre au comité d’entreprise d’exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l’importance des questions qui lui sont soumises et, le cas échéant, de l’information et de la consultation du ou des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
« À l’expiration de ces délais ou du délai mentionné au dernier alinéa de l’article L. 2323-4, le comité d’entreprise est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif. »
II. – L’article L. 2323-4 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « , d’un délai d’examen suffisant » sont supprimés ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les membres élus du comité peuvent, s’ils estiment ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. Le juge statue dans un délai de huit jours.
« Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l’article L. 2323-3. »
III. – Le paragraphe 1 de la sous-section 2 de la section 1 du chapitre III du titre II du livre III de la deuxième partie du même code est complété par des articles L. 2323-7-1 à L. 2323-7-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 2323-7-1. – Chaque année, le comité d’entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation et les conditions de travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages.
« Le comité émet un avis sur ces orientations et peut proposer des orientations alternatives. Cet avis est transmis à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, qui formule une réponse argumentée. Le comité en reçoit communication et peut y répondre.
« La base de données mentionnée à l’article L. 2323-7-2 est le support de préparation de cette consultation.
« Le comité d’entreprise peut se faire assister de l’expert-comptable de son choix en vue de l’examen des orientations stratégiques de l’entreprise. Cette possibilité de recours à l’expert-comptable ne se substitue pas aux autres expertises. Par dérogation à l’article L. 2325-40 et sauf accord entre l’employeur et le comité d’entreprise, le comité contribue, sur son budget de fonctionnement, au financement de cette expertise à hauteur de 20 %, dans la limite du tiers de son budget annuel.
« Art. L. 2323-7-2. – Une base de données économiques et sociales, mise régulièrement à jour, rassemble un ensemble d’informations que l’employeur met à disposition du comité d’entreprise et, à défaut, des délégués du personnel.
« La base de données est accessible en permanence aux membres du comité d’entreprise, du comité central d’entreprise et, à défaut, aux délégués du personnel ainsi qu’aux délégués syndicaux.
« Les informations contenues dans la base de données portent sur les thèmes suivants :
« 1° Investissements : investissement social (emploi, évolution et répartition des contrats précaires, des stages et des emplois à temps partiel, formation professionnelle et conditions de travail), investissement matériel et immatériel, et, pour les entreprises mentionnées au sixième alinéa de l’article L. 225-102-1 du code de commerce, les informations en matière environnementale présentées en application du cinquième alinéa du même article ;
« 2° Fonds propres et endettement ;
« 3° Ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants ;
« 4° Activités sociales et culturelles ;
« 5° Rémunération des financeurs ;
« 6° Flux financiers à destination de l’entreprise, notamment aides publiques et crédits d’impôts ;
« 7° Sous-traitance ;
« 8° Le cas échéant, transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe.
« Ces informations portent sur les deux années précédentes et l’année en cours et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes.
« Le contenu de ces informations est déterminé par un décret en Conseil d’État et peut varier selon que l’entreprise compte plus ou moins de trois cents salariés. Il peut être enrichi par un accord de branche ou d’entreprise ou, le cas échéant, un accord de groupe, en fonction de l’organisation et du domaine d’activité de l’entreprise.
« Les membres du comité d’entreprise, du comité central d’entreprise, les délégués syndicaux et, le cas échéant, les délégués du personnel sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations contenues dans la base de données revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur.
« Art. L. 2323-7-3. – Les éléments d’information contenus dans les rapports et informations transmis de manière récurrente au comité d’entreprise sont mis à la disposition de ses membres dans la base de données mentionnée à l’article L. 2323-7-2 et cette mise à disposition actualisée vaut communication des rapports et informations au comité d’entreprise, dans les conditions et limites fixées par un décret en Conseil d’État.
« Les consultations du comité d’entreprise pour des événements ponctuels continuent de faire l’objet de l’envoi de ces rapports et informations. »
IV. – La base de données prévue à l’article L. 2323-7-2 du code du travail est mise en place dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi dans les entreprises de trois cents salariés et plus, et de deux ans dans les entreprises de moins de trois cents salariés.
L’article L. 2323-7-3 du même code entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, au 31 décembre 2016.
V. – La section 7 du chapitre V du titre II du livre III de la deuxième partie du même code est ainsi modifiée :
1° Après le 1° de l’article L. 2325-35, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis En vue de l’examen des orientations stratégiques de l’entreprise prévu à l’article L. 2323-7-1 ; »
2° Est ajoutée une sous-section 4 ainsi rédigée :
« Sous-section 4
« Délai de l’expertise
« Art. L. 2325-42-1. – L’expert-comptable ou l’expert technique mentionnés à la présente section remettent leur rapport dans un délai raisonnable fixé par un accord entre l’employeur et le comité d’entreprise ou, à défaut d’accord, par décret en Conseil d’État. Ce délai ne peut être prorogé que par commun accord.
« Un décret en Conseil d’État détermine, au sein du délai prévu au premier alinéa, le délai dans lequel l’expert désigné par le comité d’entreprise peut demander à l’employeur toutes les informations qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission et le délai de réponse de l’employeur à cette demande. »
VI. – Le second alinéa de l’article L. 2332-1 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les avis rendus dans le cadre de la procédure fixée à l’article L. 2323-7-1 lui sont communiqués. »
VII. – La sous-section 2 de la section 1 du chapitre III du même titre II est complétée par un paragraphe 9 ainsi rédigé :
« Paragraphe 9
« Crédit d’impôt compétitivité emploi
« Art. L. 2323-26-1. – Les sommes reçues par l’entreprise au titre du crédit d’impôt prévu à l’article 244 quater C du code général des impôts et leur utilisation sont retracées dans la base de données économiques et sociales prévue à l’article L. 2323-7-2. Le comité d’entreprise est informé et consulté, avant le 1er juillet de chaque année, sur l’utilisation par l’entreprise de ce crédit d’impôt.
« Art. L. 2323-26-2. – Lorsque le comité d’entreprise constate que tout ou partie du crédit d’impôt n’a pas été utilisé conformément à l’article 244 quater C du code général des impôts, il peut demander à l’employeur de lui fournir des explications.
« Cette demande est inscrite de droit à l’ordre du jour de la prochaine séance du comité d’entreprise.
« Si le comité d’entreprise n’a pu obtenir d’explications suffisantes de l’employeur ou si celles-ci confirment l’utilisation non conforme de ce crédit d’impôt, il établit un rapport.
« Ce rapport est transmis à l’employeur et au comité de suivi régional, créé par le IV de l’article 66 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, qui adresse une synthèse annuelle au comité national de suivi.
« Art. L. 2323-26-3. – Au vu de ce rapport, le comité d’entreprise peut décider, à la majorité des membres présents, de saisir de ses conclusions l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance dans les sociétés ou personnes morales qui en sont dotées, ou d’en informer les associés dans les autres formes de sociétés ou les membres dans les groupements d’intérêt économique.
« Dans les sociétés dotées d’un conseil d’administration ou d’un conseil de surveillance, la demande d’explication sur l’utilisation du crédit d’impôt est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, à condition que celui-ci ait pu être saisi au moins quinze jours à l’avance. La réponse de l’employeur est motivée et adressée au comité d’entreprise.
« Dans les autres formes de sociétés ou dans les groupements d’intérêt économique, lorsque le comité d’entreprise a décidé d’informer les associés ou les membres de l’utilisation du crédit d’impôt, le gérant ou les administrateurs leur communiquent le rapport du comité d’entreprise.
« Dans les autres personnes morales, le présent article s’applique à l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance. »
VIII. – Après l’article L. 2313-7 du même code, il est inséré un article L. 2313-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2313-7-1. – Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, les délégués du personnel sont informés et consultés sur l’utilisation du crédit d’impôt prévu à l’article 244 quater C du code général des impôts, selon les modalités prévues aux articles L. 2323-26-1 à L. 2323-26-3 du présent code. »
IX. – Avant le 30 juin 2015, le Gouvernement présente au Parlement un premier rapport sur la mise en œuvre de l’exercice du droit de saisine des comités d’entreprise ou des délégués du personnel sur l’utilisation du crédit d’impôt compétitivité emploi, prévu aux articles L. 2323-26-2 à L. 2323-26-3 et L. 2313-7-1 du code du travail. Ce rapport est ensuite actualisé au 30 juin de chaque année.
X. – Le titre Ier du livre VI de la quatrième partie du code du travail est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :
« Chapitre VI
« Instance de coordination des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail
« Art. L. 4616-1. – Lorsque les consultations prévues aux articles L. 4612-8, L. 4612-9, L. 4612-10 et L. 4612-13 portent sur un projet commun à plusieurs établissements, l’employeur peut mettre en place une instance temporaire de coordination de leurs comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui a pour mission d’organiser le recours à une expertise unique par un expert agréé dans les conditions prévues au 2° de l’article L. 4614-12 et à l’article L. 4614-13, et qui peut rendre un avis au titre des articles L. 4612-8, L. 4612-9, L. 4612-10 et L. 4612-13.
« Art. L. 4616-2. – L’instance de coordination est composée :
« 1° De l’employeur ou de son représentant ;
« 2° De trois représentants de chaque comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail concerné par le projet en présence de moins de sept comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ou de deux représentants de chaque comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en présence de sept à quinze comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, et d’un au-delà de quinze comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Les représentants sont désignés au sein des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail par la délégation du personnel, pour la durée de leur mandat ;
« 3° Des personnes suivantes : médecin du travail, inspecteur du travail, agent des services de prévention de l’organisme de sécurité sociale et, le cas échéant, agent de l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics et responsable du service de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, agent chargé de la sécurité et des conditions de travail. Ces personnes sont celles territorialement compétentes pour l’établissement dans lequel se réunit l’instance de coordination s’il est concerné par le projet et, sinon, celles territorialement compétentes pour l’établissement concerné le plus proche du lieu de réunion.
« Seules les personnes mentionnées aux 1° et 2° ont voix délibérative.
« Art. L. 4616-3. – L’expert mentionné à l’article L. 4616-1 est désigné lors de la première réunion de l’instance de coordination.
« Il remet son rapport et l’instance de coordination se prononce, le cas échéant, dans les délais prévus par un décret en Conseil d’État. À l’expiration de ces délais, l’instance de coordination est réputée avoir été consultée.
« Le rapport de l’expert et, le cas échéant, l’avis de l’instance de coordination sont transmis par l’employeur aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail concernés par le projet ayant justifié la mise en place de l’instance de coordination, qui rendent leurs avis.
« Art. L. 4616-4. – Les articles L. 4614-1, L. 4614-2, L. 4614-8 et L. 4614-9 s’appliquent à l’instance de coordination.
« Art. L. 4616-5. – Un accord d’entreprise peut prévoir des modalités particulières de composition et de fonctionnement de l’instance de coordination, notamment si un nombre important de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sont concernés. »
XI. – Le dernier alinéa de l’article L. 4614-3 du même code est complété par les mots : « ou de participation à une instance de coordination prévue à l’article L. 4616-1 ».
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, sur l'article.
Mme Michelle Demessine. Mon intervention sur l’article 4 portera principalement sur les dispositions qu’il contient concernant le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, sur lequel nous faisons preuve, vous le savez, d’importantes réserves.
En effet, l’instauration de ce crédit d’impôt de plus de 20 milliards d’euros à destination des entreprises s’inscrit malheureusement dans la continuité des politiques menées depuis des années de cadeaux fiscaux et sociaux de toute nature. Avant même l’adoption de ce crédit d’impôt, des sommes déjà considérables venaient alimenter les comptes de nos entreprises, sans que cela ait une traduction tangible en termes d’investissements, d’emploi, de formation et, bien sûr, de compétitivité.
Vous le savez, ces subventions prennent des formes très variées : report en arrière des déficits, crédit d’impôt recherche, défiscalisation progressive, etc. Au total, nous privons chaque année les comptes sociaux et publics de plus de 170 milliards d’euros, et tout cela pour une efficacité plus que réduite. Pis, la Cour des comptes ne cesse de rappeler que les exonérations de cotisations sociales, parce qu’elles sont concentrées sur les emplois les plus précaires et les moins bien rémunérés, incitent les employeurs à faire pression sur les salaires et à recourir aux contrats atypiques, puisque plus la rémunération progresse, plus les exonérations diminuent.
Le CICE, en étant attribué sans aucune contrepartie en matière d’emploi, ne se distingue pas de ces politiques. Il y a par ailleurs un paradoxe entre les analyses conduisant à son élaboration et la manière dont il est distribué. Ce dispositif repose sur l’a priori – que nous contestons vigoureusement, et nous ne sommes pas les seuls – selon lequel l’industrie souffrirait avant tout d’un coût du travail trop élevé.
Vous nous dites que l’objectif du CICE est de rétablir la compétitivité de l’industrie française, supposée désavantagée face à la concurrence internationale, et de réduire le déficit de la balance commerciale. Pour autant, il semblerait que les principaux bénéficiaires de ce crédit d’impôt seraient des entreprises dont l’activité ou le secteur est relativement peu concurrentiel et n’est pas soumis aux risques de délocalisation.
Dans ce contexte, l’information du comité d’entreprise sur l’utilisation du CICE fait figure de pâle mesure. Certes, elle est la bienvenue, mais, au-delà de cette information, nous aurions surtout souhaité que son attribution soit conditionnée à la mise en œuvre de mesures concrètes en faveur de l’emploi et de l’investissement. Plutôt que de permettre aux représentants des salariés de constater les dérives d’un système qui ne manqueront pas de se produire, nous aurions préféré qu’à côté de l’intervention des salariés il y ait une intervention forte de l’administration pour contrôler réellement les contreparties des employeurs.
Le contrôle des salariés sur l’utilisation de ces sommes va naturellement dans le bon sens, même si nous venons d’en pointer les limites. Nous ne sommes par conséquent absolument pas convaincus, vous l’aurez compris, mes chers collègues, par l’efficacité de cette mesure.
Mise au point au sujet d’un vote
M. Robert Hue. Je souhaiterais faire une mise au point au sujet du scrutin n° 219 sur l’amendement n° 105 : M. Gilbert Barbier a été déclaré votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Article 4 (suite)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l'article.
M. Michel Le Scouarnec. En créant une base de données unique, cet article modifie les règles de consultation et de recours à l’expertise des institutions représentatives du personnel, avec des objectifs louables : simplification pour les représentants du personnel et extension de la consultation du comité d’entreprise sur les documents relatifs à la stratégie de l’entreprise.
Il est vrai que nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation paradoxale. Les comités d’entreprise se sont vus reconnaître des compétences économiques contraignant l’employeur à les consulter sur toute question intéressant la marche de l’entreprise, notamment s’il s’agit de mesures affectant le volume des emplois. Pour autant, bien que le comité soit régulièrement amené à évaluer les conséquences sur les personnels des décisions stratégiques arrêtées par les employeurs, ces choix ne requièrent pas, aujourd’hui, son avis.
Cet article y apporte une réponse, et nous en prenons acte. Cependant, en décidant de transposer très fidèlement l’ANI, il se limite à instaurer une obligation nouvelle d’information, dont l’absence de réalisation n’entraîne aucune sanction.
À l’image du député Jérôme Guedj, certains veulent y voir un élément permettant aux salariés « d’établir un rapport de forces ». Cela est sans doute plus conforme à la réalité, pour autant que l’employeur joue le jeu puisque, au risque de me répéter, je rappelle que l’employeur qui communiquerait des éléments incomplets, faux, flous ou qui tout simplement ne mettrait pas en œuvre cette mesure n’encourt aucune sanction. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement prévoyant que, dans une telle situation, l’employeur s’expose aux sanctions prévues en cas de délit d’entrave.
Bien que positive, la mesure demeure tout de même extrêmement limitée. Certains députés du groupe socialiste à l’Assemblée nationale ont affirmé, au cours des débats, que l’information était le cœur de la bataille. Elle est effectivement un élément important. Néanmoins, le cœur de la bataille, ce sont plutôt les capacités de contrôle et, surtout, d’intervention des salariés, que ce soit pour faire obstacle aux projets dictés par les actionnaires ou pour élaborer des propositions alternatives.
Certes, dans ce cadre, l’information revêt une certaine importance, mais, ce qui est plus important encore, c’est de renforcer les prérogatives des représentants des salariés, c'est-à-dire de prendre le contre-pied total de ce projet de loi, qui, nous le verrons plus tard, réduit les délais d’intervention des comités d’entreprise et les délais de prescription, oblige les comités d’entreprise à négocier les plans de sauvegarde de l’emploi sous le chantage du recours à un acte unilatéral de l’employeur.
Cet article 4 est donc à analyser au regard de l’ensemble de ce projet de loi et non de manière partielle et isolée, comme vous tendez à nous y inviter. Ce faisant, on s’aperçoit que la mesure relève plus de l’artifice que de l’outil – pour reprendre une expression à la mode – utile aux salariés dans leurs entreprises pour faire face aux fermetures massives, aux suppressions d’emplois et aux délocalisations. Cela donne l’apparence d’un renforcement des droits, mais ce n’est, au final, qu’une apparence.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le président, je n’ai pas utilisé la totalité de mon temps de parole.
M. le président. Les temps de parole ne sont pas cumulatifs, mon cher collègue.
La parole est à M. Dominique Watrin, sur l'article.
M. Dominique Watrin. La possibilité nouvelle, confiée au comité d’entreprise, de pouvoir être informé des choix stratégiques de l’entreprise constitue une avancée, mais une avancée bien timide. Notons d’ailleurs que cette faculté a fait l’objet d’une approbation par le MEDEF. On peut dès lors douter, compte tenu des positions générales défendues par l’organisation patronale, de son efficacité pour empêcher en particulier les plans sociaux. Elle sera d’autant plus limitée que le reste du projet de loi porte considérablement atteinte, et nous le démontrerons, aux facultés dont disposent les salariés de faire obstacle aux plans de sauvegarde de l’emploi.
Pour ne prendre qu’un exemple et afin d’être le plus concret possible, je ne vois pas en quoi cet article aurait été un atout supplémentaire dans la mobilisation des salariés de Viveo, qui, via leur comité d’entreprise, ont contesté le plan de sauvegarde de l’emploi devant la juridiction civile siégeant sous la forme de référé.
À l’inverse, et nous le démontrerons aussi, je vois parfaitement comment les articles 12 et 13, s’ils avaient été appliqués, auraient constitué une entrave à cette action puisque l’autorité administrative en charge de l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi ne pourra jamais, même sur demande du comité d’entreprise, vérifier si le plan de sauvegarde de l’emploi est justifié au regard des prétendues difficultés économiques de l’entreprise. Or c’est ce qu’avait fait la cour d’appel de Paris dans l’arrêt Viveo : constatant que l’entreprise ne rencontrait pas de difficulté économique, elle avait cassé le plan de sauvegarde de l’emploi, considérant que celui-ci n’avait pas de fondement légal.
Nous formulerons, au travers des différents amendements que nous soutiendrons, des propositions concrètes que nous mettrons bien évidemment en débat.
Il est toutefois évident qu’en plus d’une révision des droits collectifs, dans le sens d’un renforcement, il faut également apporter des protections complémentaires aux salariés afin que ces derniers ne soient pas plongés dans une situation de dépendance économique telle qu’elle leur interdirait de revendiquer le respect de leurs droits élémentaires. Cela exige donc d’inventer un nouveau statut du salariat au cœur duquel seront placés la formation et le contrat à durée indéterminée.
Mais il faut également, par cohérence, développer des droits collectifs supplémentaires. Cela passe, par exemple, par la création d’instances représentatives interentreprises du personnel permettant aux donneurs d’ordre de gagner une plus grande responsabilité vis-à-vis de leurs sous-traitants – il s’agit d’une question très forte qui se pose dans notre économie aujourd’hui – ou encore par l’instauration, comme nous le proposerons, d’un droit de veto suspensif des représentants du personnel sur les plans de licenciement et les plans de restructuration, ce qui permettra la recherche et la construction de propositions alternatives aux licenciements. Propositions alternatives, dont nous souhaitons qu’elles fassent obligatoirement l’objet d’un échange avec l’employeur – ce qui n’est pas prévu dans le texte –, que celui-ci y réponde et surtout qu’il motive sa réponse, et que les pouvoirs publics puissent également y apporter, le cas échéant, leur soutien. Cela pourrait notamment entrer dans le cadre des missions du comité interentreprises, lequel jouerait enfin un rôle concret dans la politique de notre pays en matière de soutien à l’activité et à l’emploi.
Cet article, tel qu’il nous est proposé ici, nous semble très en deçà du projet dont je viens de parler. Ses effets concrets dans les entreprises nous paraissent plus qu’incertains, raison pour laquelle le groupe CRC ne votera pas en faveur de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l'article.
Mme Isabelle Pasquet. À l’instar de mes collègues qui sont déjà intervenus sur l’article 4, je voudrais vous faire part de mes réserves et de mes interrogations, notamment sur les modalités de mise en œuvre de cet article et plus particulièrement pour ce qui est du recours à l’expertise, ainsi que sur la mise en place d’une coordination des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT.
En effet, la rédaction de l’article L. 2323-7-1 du code du travail, telle qu’elle résulte de cet article, et conformément à l’ANI, offre la faculté au comité d’entreprise de recourir à l’assistance d’un expert-comptable en vue de l’examen des orientations stratégiques de l’entreprise. Le verbe « offrir » n’est pas sans doute pas des plus heureux pour parler de cette disposition, dans la mesure où l’article 4 prévoit, en son alinéa 14, que ce recours à un expert-comptable repose en partie sur les capacités financières du comité d’entreprise, qui devra financier, sauf accord plus favorable, 20 % des frais liés à cette expertise.
Il s’agit d’une dérogation majeure au droit actuel, dans lequel le recours à un expert par le CE pour l’aider dans son examen du PSE est intégralement pris en charge par l’employeur. Qui plus est, il convient de préciser que cette participation est due à chacune des expertises. Aussi, les CE qui éprouveraient le besoin de solliciter deux soutiens dans la même année devraient y consacrer près de la moitié de leur budget. Cette contrainte financière constitue une entrave notable à ce que vous nous présentez, monsieur le ministre, comme constituant un nouveau droit.
J’y vois, pour ma part, l’œuvre du MEDEF, qui perçoit dans cette obligation de financement partiel par le CE, l’expression des craintes infondées qu’il nourrit à leur encontre. Sans doute a-t-il peur que les CE ne fassent se succéder les demandes d’expertises, ce qui pourrait coûter cher aux employeurs. Il choisit donc d’imposer cette solution.
Cette approche n’est pas la nôtre, et nous faisons grande confiance aux salariés qui représentent leurs collègues dans les instances représentatives. Nous savons qu’ils font preuve de responsabilité, raison pour laquelle nous proposons que ce recours à l’expertise soit intégralement financé par l’employeur.
En outre, les dispositions relatives à la coordination des CHSCT nous inquiètent. Nous ne sommes naturellement pas opposés à ce qu’il puisse y avoir, pour les projets qui concernent plusieurs sites, une instance de coordination des CHSCT. Tout au contraire, cela fait partie des idées que nous aurions pu soutenir, à la condition toutefois que cette instance de coordination ne se substitue pas aux autres concertations mais qu’elle s’y ajoute.
Depuis les lois Auroux, les CHSCT jouent un rôle fondamental : ils ne limitent plus leur expertise aux questions concernant directement la santé des travailleurs, mais s’intéressent aussi à leurs conditions de travail. Cela suppose que les consultations soient réalisées au plus proche des lieux et des conditions de travail.
Certes, et nous en prenons acte, un amendement présenté par le rapporteur et les députés du groupe socialiste vise à ce qu’un accord d’entreprise puisse prévoir que la consultation de l’instance de coordination des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail se substitue aux consultations des CHSCT des établissements concernés par le projet. Toutefois, il nous semble que cet amendement se limite à supprimer une précision, et nous redoutons que l’accord – lequel doit aborder les modalités particulières dans lesquelles cette instance de coordination travaillera – puisse prévoir que, même sans cette précision, sa consultation se substitue à celle des CHSCT des entreprises.
Nous proposerons donc un amendement plus clair visant à prévoir explicitement que cette substitution est interdite afin de faire de cette règle une mesure d’ordre public.
M. le président. L'amendement n° 108, présenté par M. Watrin, Mmes David, Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La nouvelle constitution du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques de l’entreprise ne constitue pas un nouveau droit, dans la mesure où le même comité ne peut nullement prétendre jouer un rôle dans la détermination de ces orientations.
L’instauration de la base de données unique n’offre aucune garantie en termes de loyauté de l’information mise à la disposition des comités d’entreprise. L’information des salariés par les institutions représentatives du personnel sera diluée : au lieu de documents précis communiqués à dates fixes, une base de données unique au fil de l’eau sera mise en place.
De surcroît, le financement du nouveau droit de recours à l’expertise par les comités d’entreprise à hauteur de 20 % est en contradiction avec la règle qui veut que ces expertises soient prises en charge par les employeurs. Une telle disposition est évidemment de nature à faire en sorte que les comités d’entreprises ne recourent pas à cette nouvelle expertise, ce qui n’est pas acceptable.
La réduction des délais de consultation et l’instauration de délais préfix portent non seulement atteinte aux prérogatives des comités d’entreprise, mais aussi au droit à l’expertise en introduisant une stricte limitation et un plafond financier.
L’instauration d’une instance de coordination des CHSCT entraîne une régression en matière de prévention des risques professionnels. Ainsi, au sein d’entreprises possédant plusieurs sites, l’hétérogénéité des conditions de travail ne sera plus prise en compte.
L’article 4 prétend améliorer l’information et les procédures de consultation des institutions représentatives du personnel et ajouter une dérogation à la loi qui existe déjà pour les entreprises de plus de 300 salariés, principalement concernées par ces reculs. Il s’agit bien de reculs puisque toutes ces dispositions ont en commun de limiter dans le temps et dans leur étendue les possibilités d’intervention des salariés par le biais de leurs représentants, notamment en matière de prévention des licenciements pour motifs économiques.
L’article 4 prévoit de faire payer le comité d’entreprise faisant appel à un expert-comptable. Or cette participation à hauteur de 20 % des frais, contrairement aux dispositions actuelles de l’article L. 2325-40 du code du travail, qui prévoit un paiement intégral par les entreprises, constitue une régression et non une avancée.
Selon cet article, le comité d’entreprise sera consulté sur les orientations stratégiques pour les trois ans à venir. Étant donné son champ, limité aux sociétés à conseil d’administration et de surveillance et le fait que le moment comme le contenu de cette consultation soient dépendants du degré de formalisation de l’orientation stratégique, la mise en œuvre d’une telle consultation, vous l’avouerez, paraît tout de même un peu difficile.
L’article 4 prive les juges de leur pouvoir d’appréciation du caractère suffisant des informations transmises au comité d’entreprise, ainsi que du délai dont ce dernier a disposé pour en prendre connaissance.
Enfin, il instaure une consultation sans conséquence du comité d’entreprise sur l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Or en donnant un caractère consultatif à l’intervention et en limitant la saisine à la conformité aux règles fiscales, on prive le comité d’entreprise d’un droit de veto en contrepartie de l’importance de l’argent public ainsi distribué.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 108.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous ne voulez pas entendre l’avis de la commission ni celui du Gouvernement ?
M. le président. Vous avez raison, je vous prie de bien vouloir m’excuser.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Claude Jeannerot, rapporteur. Merci, monsieur le président, de respecter les droits de la commission. (Sourires.)
La commission – je n’ai pas besoin d’en expliciter les raisons – a évidemment émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean Desessard. Vous aviez raison, ce n’était pas la peine d’attendre les avis !