M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, c’est une évidence, le chemin que nous devons suivre est une ligne de crête. Le Parlement comme l’opinion veulent être informés mais, nous le savons bien, ceux qui prennent les décisions et donnent les instructions ont souvent besoin de secret et de discrétion pour agir en toute efficacité.
Naturellement, un équilibre doit être trouvé. Nous serons extrêmement vigilants à cet égard, afin de ne pas remettre en cause la confidentialité, et partant l’efficacité de nos services pas plus que la sécurité de leurs agents.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le ministre, avec votre administration, vous venez d’apporter une contribution évidemment substantielle à la réalisation du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Cela a été naturellement l’occasion de préciser et, au fond, d’actualiser les grands traits de la menace actuelle en matière de terrorisme.
En peu de mots, compte tenu de la particularité de l’exercice, comment décririez-vous les points marquants de l’évolution récente de la menace terroriste sur le sol français, contre la population française ? Quelles sont les priorités sur lesquelles vous insisterez, dans le cadre des moyens disponibles et de la loi, pour renforcer la protection de nos concitoyens et de nos intérêts nationaux ? Enfin, pouvez-vous nous donner quelques indications quant à la progression de notre coopération en la matière avec nos partenaires européens et atlantiques ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le ministre, la menace terroriste est présente, et elle est élevée. C’est ainsi que nous devons l’appréhender. Y faire face nécessite beaucoup de vigilance, de la mobilisation et des moyens supplémentaires, cela vient d’être dit.
Nous affrontons une menace que nous connaissons déjà, qui peut venir de l’ETA ou d’un certain nombre d’autres groupes. Nous voyons bien, par exemple, les conséquences des activités du PKK sur notre sol, même si nous suivons avec intérêt les évolutions d’un dialogue avec le Turquie. Certaines menaces nous concernent directement et sont présentes sur notre sol, provenant de l’ultra-droite ou de l’ultra-gauche.
Et il y a la menace djihadiste, incontestable. Dans ce domaine, nous faisons d’abord face à un ennemi extérieur, que nous devons combattre dans une coopération accrue et de très grande qualité avec nos principaux partenaires, notamment au niveau européen, même si des progrès peuvent sans doute être faits. Cette menace extérieure existe, elle est alimentée par les conflits qui font rage dans le monde, et que vous suivez régulièrement, et elle a évidemment été sensiblement accrue par l’intervention nécessaire et indispensable de la France au Mali. De ce point de vue, je veux saluer, là aussi, la coopération avec les pays du Maghreb ou de l’Afrique de l’Ouest.
Mais cette menace nous place également face à un ennemi intérieur en lien avec ces conflits. Nous évoquions tout à l'heure avec Mme Esther Benbassa la nécessité de mettre en place tous les outils pour lutter contre cette radicalisation. Cela nécessite un travail très fin entre le Renseignement intérieur, l’Information générale, nos services de police et de gendarmerie et, tout simplement, la société. Il existe, en effet, des « loups solitaires » issus de processus d’auto-radicalisation, sans oublier le web et ce qui se passe dans certaines mosquées ou en milieu carcéral. Ce sont ces individus « hybrides », au niveau national comme à l’international, qui rendent aujourd’hui la menace très particulière et, sans doute, encore plus difficile à appréhender. Tout cela nous oblige à être très vigilants.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour la réplique.
M. Alain Richard. Je souhaite ajouter quelques mots pour rendre hommage à la finesse du ministre et à sa capacité à cerner l’essentiel. Je crois que cette présentation est très fidèle à la réalité. Cela crée une obligation pour tout le monde, et je pense en particulier à nos collègues élus locaux, celle de faciliter le renseignement au quotidien.
Dans cette situation de dispersion et d’individualisation de certaines formes de la menace, il est en effet important de pouvoir effectuer une sorte de détection précoce afin d’aider les services de terrain de la police nationale. Je les sais motivés, et ils ont reçu des instructions pour travailler de cette façon, mais nous sommes nombreux ici à être convaincus qu’il est nécessaire que le tissu du service public y contribue également.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, un peu plus d’un an s’est écoulé depuis le dramatique attentat de Toulouse et l’affaire Merah n’en finit pas d’alimenter les controverses et le débat sur les imperfections, réelles ou supposées, de notre système intérieur de protection.
Mais, en l’espace d’un an, le contexte s’est hélas ! considérablement dégradé. La situation au Sahel, et plus particulièrement au Mali, a contraint le France à intervenir militairement dans les conditions que l’on sait. Ce faisant, notre pays s’est également exposé à des risques de représailles singulièrement élevés.
De fait, les appels de chefs djihadistes à frapper les intérêts français partout dans le monde commencent à être suivis d’effets. J’en veux pour preuve l’attentat contre notre ambassade à Tripoli et la tentative d’attentat contre notre ambassade au Caire.
Ce sont là des signaux de danger qui nous alertent sur les risques que court la France de voir son propre territoire touché par ces attentats. Autour de nous, les exemples font frémir, avec l’Algérie, à In Amenas, les États-Unis, à Boston, et la Turquie dernièrement. Ainsi, même des États particulièrement bien armés pour lutter contre le terrorisme aveugle peuvent être touchés en leur cœur !
Un djihadiste français a été interpellé, qui appelait à importer sur notre territoire la guerre sainte. Cela doit nous sensibiliser à une réalité nouvelle : de jeunes Français vont s’entraîner dans des camps en Afghanistan ou au Pakistan et reçoivent une formation au djihad dans ces pays où les groupes terroristes sont implantés. Ils peuvent en outre, comme Merah, comme cela s’est passé à Boston, à Londres, à Madrid, dans des attentats précédents, trouver sur le territoire national des complicités, mais aussi des approvisionnements en armes et explosifs.
Face à ces dangers, nos concitoyens sont réellement inquiets.
Monsieur le ministre, je voudrais simplement savoir si le niveau de coopération européenne est suffisant pour nous aider à traquer l’ensemble de ces individus. En effet, la réponse ne peut pas être nationale. La France est particulièrement exposée et l’Europe doit nous aider ! Quelle action menez-vous en ce sens ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Cambon, en écho à vos propos très justes, je voudrais vous livrer quelques chiffres.
Depuis 2001, au total, plus de 200 volontaires ont quitté la France pour s’engager dans une filière djihadiste ; 17 d’entre eux sont morts dans les zones de combat, 69 séjournent actuellement sur notre territoire.
À partir de 2012, l’augmentation des départs de volontaires vers la Syrie constitue, en revanche, une véritable rupture. En seulement un an et demi, plus d’une centaine de personnes se sont rendues sur ce théâtre de guerre, soit un contingent de 60 % du total des volontaires. On relève même le départ d’individus mineurs dénués d’expérience religieuse, qui s’engagent sur un coup de tête.
Ce phénomène touche d’autres pays, au Maghreb mais aussi en Europe, ce qui nous conduit ― et je pense en particulier à nos amis belges ― à renforcer la coopération, l’échange d’informations et bien entendu le travail en commun.
Mais nous faisons face à ce qui constitue un véritable danger, pour nous et pour nos intérêts, par l’engagement de nos services de renseignement. Ainsi, toujours en 2012, 78 personnes ont été interpellées par la DCRI dans le cadre de la lutte antiterroriste, contre 47 en 2011. Depuis le début de l’année, on compte déjà 38 interpellations, qui ont donné lieu à 12 mises sous écrou.
Cela signifie bien, en écho également aux propos d’Alain Richard, qu’une menace concrète existe et qu’elle ne relève pas seulement du fantasme ou d’une volonté de stigmatisation. Elle repose sur des faits réels, la situation très dégradée au Sahel, en Libye, en Tunisie et bien sûr en Syrie, ainsi que sur des filières que nous devons combattre par la coopération internationale et le travail de nos services de renseignement.
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour la réplique.
M. Christian Cambon. Je voudrais remercier M. le ministre de nous avoir fourni ces données chiffrées et de prendre en compte ce risque bien réel.
Je souhaite juste revenir sur un point : la nécessité de mobiliser l’ensemble des pays européens. Une conférence des ministres européens devrait peut-être être organisée sur ce thème, car le danger peut se concrétiser et faire irruption par les très nombreuses frontières encore trop lâches de l’Europe.
M. René Garrec. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, suite à la tuerie de Toulouse en mars 2012, de nombreuses propositions avaient été faites par chacun des candidats à l’élection présidentielle afin que nous ne revivions pas de tels événements.
Beaucoup de ces propositions portaient sur l’influence grandissante de l’Internet dans le développement des groupes terroristes. Le profil de Mohamed Merah, qui filmait ses crimes pour les publier sur internet, et celui des terroristes de Boston, confirment cette analyse. Ainsi, l’utilisation des moyens d’internet permet aujourd’hui à ces groupuscules de recruter des djihadistes improvisés, mais aussi de diffuser leur propagande parmi les réseaux sociaux les plus utilisés et les plus accessibles, dont Twitter, Facebook, Youtube et bien d’autres.
Chacun sait, par ailleurs, que certains magazines en ligne vont jusqu’à illustrer la fabrication d’explosifs.
À ce sujet, l’article 1er de la loi du 21 décembre 2012 a prévu de prolonger jusqu’au 31 décembre 2015 l’accès préventif des services chargés de la lutte contre le terrorisme aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de l’accès à Internet. Le dispositif que la précédente majorité avait autorisé en 2006, et qui devait s’achever à la fin de 2012, a donc été reconduit, et c’est une excellente chose.
Pourtant, il faut bien admettre que, dans ce domaine, la lutte contre le terrorisme est loin d’avoir abouti, tant il reste d’obstacles à franchir, du fait notamment de la difficulté technique de maîtriser les flux d’internet.
Aussi, monsieur le ministre, j’aimerais savoir quelles sont aujourd’hui les orientations du Gouvernement quant à la politique à mener en ce qui concerne le contrôle de certains réseaux internet par les groupuscules terroristes. Quels moyens pourraient être mis en œuvre pour limiter leurs actions ? Comment, aujourd’hui, approfondir cette question ? Faut-il des moyens humains ou des moyens techniques complémentaires ?
Ces interrogations sont d’autant plus importantes qu’internet accroît le risque de radicalisation des individus, d’abord en accentuant le relâchement de leurs propres liens sociaux ― c’est à mon avis gravissime ―, ensuite en leur fournissant les moyens d’agir et, enfin, en glorifiant leurs crimes.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Reichardt, internet est en effet devenu un vecteur de propagande, de radicalisation et de recrutement pour la mouvance terroriste, les uns et les autres l’ont souligné dans ce débat. À ce titre, internet fait l’objet d’une surveillance vigilante de la DCRI afin de détecter les activités de la mouvance terroriste. La loi offre en effet plusieurs moyens de lutte contre l’usage d’internet et les réseaux de communications électroniques à des fins terroristes, en complément des moyens d’enquête.
La loi de 2012 renforce l’arsenal juridique dans la lutte contre la propagande terroriste sur internet. Nous devons cependant sans cesse nous adapter, parce que le terrorisme a souvent un train d’avance par rapport à la loi et aux moyens légaux de l’État. D’autres évolutions du cadre juridique de la lutte contre le cyberterrorisme seront sans aucun doute nécessaires à l’avenir, pour compléter notre arsenal juridique.
Comme je m’y étais engagé, un travail interministériel est en cours avec les ministères de la justice, des finances et de l’économie numérique, afin d’adapter notre droit, nos moyens d’investigation, mais aussi nos organisations et nos méthodes de travail aux enjeux de la cybercriminalité. Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement le terrorisme.
La lutte contre la cybercriminalité devra bien sûr concilier l’efficacité de la prévention et le respect des libertés individuelles. Elle nous contraint, ensuite, à une très forte coopération européenne au sujet de laquelle je crois que les bases d’un accord entre les pays de l’Union existent. Elle nous impose enfin un dialogue sur le contrôle de l’Internet avec nos amis américains, qui ne nous suivent pas toujours sur ces questions en raison du Premier amendement de leur Constitution.
Cette question est donc l’un des enjeux principaux des prochains mois dans les discussions avec nos partenaires.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour la réplique.
M. André Reichardt. Je voudrais remercier M. le ministre de cette réponse et ajouter que, face à la menace terroriste actuelle, la lutte doit être érigée en véritable priorité nationale. À cet égard, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour améliorer notre efficacité en ce qui concerne le contrôle des flux internet. Dans le cadre de cette priorité nationale, je pense que des moyens particuliers doivent être affectés à ce domaine, et je vous remercie de bien vouloir le prendre en compte !
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la politique de lutte contre le terrorisme dans notre pays.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Mali
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de députés du Mali, conduite par M. Mody N’Diaye, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale du Mali. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche se lèvent.)
Cette délégation a consacré sa journée au Sénat en vue d’étudier la procédure budgétaire, les missions de notre commission des finances ainsi que les modalités d’organisation de ses travaux. À cette fin, elle a rencontré M. le rapporteur général, François Marc, ainsi que Mme Michèle André.
Par ailleurs, la délégation a déjeuné avec nos collègues du groupe interparlementaire d’amitié France-Afrique de l’Ouest, sous la présidence de M. Joël Labbé, président délégué pour le Mali.
Alors que la France est engagée, avec l’ensemble de la communauté internationale, dans un effort sans précédent pour permettre au Mali de recouvrer son intégrité et d’engager sa reconstruction, nous formons tous le vœu que cette visite aura été profitable à cette délégation, et nous souhaitons à tous ses membres la plus cordiale bienvenue au Sénat. (Applaudissements.)
8
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, mon intervention concerne l’organisation de nos travaux.
L’examen du premier volet du projet de décentralisation a commencé hier, mais dans de très mauvaises conditions. Alors qu’un grand débat devait avoir lieu pour préparer cette importante discussion au sein de la Haute Assemblée, mais aussi avec tous les acteurs des états généraux des collectivités territoriales réunis au Sénat en septembre dernier, nous avons assisté hier en commission des lois à l’adoption à marche forcée d’un texte très fortement modifié, réécrit par la commission, qui a siégé, fait exceptionnel, jusqu’à trois heures du matin !
Le travail du rapporteur, intéressant, cela dit, par de nombreux aspects, n’a pas été soumis à une discussion préalable à la séance de vote, ce qui aurait été la moindre des choses, vu l’importance de la réécriture. Les groupes parlementaires n’ont pu être réunis pour examiner ce que l’on peut appeler aujourd'hui un nouveau projet de loi.
Comment s’articulent ces modifications avec les deux autres projets de loi qui doivent suivre ? Nul ne le sait à cette heure.
Madame la présidente, deux séries de questions se posent à la Haute Assemblée.
Est-il acceptable de travailler sur un texte de cette ampleur dans de telles conditions ? Seuls quelques jours sont prévus pour que les groupes parlementaires réexaminent des dispositions modifiées de fond en comble, tant sur la forme que sur le fond. Est-il acceptable que la commission des lois ait travaillé dans une telle forme de précipitation ? Pourquoi les groupes de la majorité et de l’opposition n’ont-ils pas été informés au préalable et dans un laps de temps significatif ?
Si l’on veut respecter l’esprit des états généraux, comment accepter que la Haute Assemblée statue ainsi sans ménager un aller et retour entre les élus locaux, les associations d’élus et le Sénat ?
Imposer une telle méthode de travail est en flagrante contradiction avec les intentions affichées !
Dans ces conditions, le groupe CRC souhaite que le Sénat retrouve un climat de sérénité, afin qu’une conception démocratique du débat prévale.
Je demande donc solennellement le report de la discussion du projet de loi dans le texte de la commission au-delà du 30 mai prochain, date prévue pour le début de l’examen de ce texte. Je formulerai officiellement cette demande lors de la prochaine conférence des présidents.
Le Sénat ne peut être une nouvelle fois méprisé. Car débattre dans de telles conditions d’un texte qui relève des prérogatives de la Haute Assemblée, telles que définies par l’article 24 de la Constitution, témoigne, je pèse mes mots, d’un réel mépris à l’égard de l’institution parlementaire et de l’ensemble des membres de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.
La conférence des présidents, qui se réunira le mercredi 22 mai prochain, en présence donc du Gouvernement, se prononcera sur votre demande.
9
Instauration effective d'un pass navigo unique
Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi permettant l’instauration effective d’un pass navigo unique au tarif des zones 1-2, présentée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 560 [2011-2012], résultat des travaux de la commission n° 371, rapport n° 370).
Je vous rappelle que nous avons commencé l’examen de ce texte le mercredi 27 février dernier et que nous avons à cette occasion entendu Mme Laurence Cohen, auteur de la proposition de loi.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Billout, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi établit un versement transport unique en Île-de-France pour donner à la région les moyens de financer le pass navigo unique, valable pour toute l’Île-de-France au tarif en vigueur à Paris, soit 65 euros, contre 113 euros pour la grande couronne.
Cette mesure de justice sociale est demandée par l’ensemble de la majorité régionale, en particulier par son président, Jean-Paul Huchon. Elle répond aux problèmes quotidiens qu’endurent les Franciliens de petite et grande couronnes qui subissent le double choc de la crise du logement, obligeant de plus en plus de ménages à habiter loin de leur travail, et la crise des transports collectifs, qui sont saturés et où les conditions de circulation sont très dégradées, faute d’investissements suffisants depuis plusieurs décennies.
Certains de nos collègues se sont interrogés sur le fait qu’il revienne au Parlement de débattre d’un sujet proprement francilien : si la région d’Île-de-France décide d’instaurer un pass navigo unique, pourquoi le législateur devrait-il interférer ?
M. Philippe Dallier. Bonne question !
M. Michel Billout, rapporteur. Je m’en suis moi-même étonné, mais le fait est là : en vertu de la Constitution, le législateur détermine le plafond des taxes et impôts ; il nous revient donc de relever celui du versement transport, puisque la majorité régionale veut mobiliser ce levier de financement pour ne pas toucher aux crédits réservés aux investissements.
Je résumerai notre action en ces termes : la majorité régionale a prévu une mesure tarifaire pour compenser les difficultés des Franciliens qui vivent loin de leur lieu de travail et pour encourager les transports collectifs dans la région capitale, mais elle a également donné la priorité aux investissements indispensables à réaliser dans les réseaux.
Dans ces conditions, il convient d’envisager une ressource supplémentaire, que les entreprises peuvent apporter. C’est pourquoi il nous revient de relever le plafond du versement transport ou, plutôt, de l’harmoniser sur l’ensemble de la région. Tel est l’objet de cette proposition de loi.
Vous connaissez la situation difficile des transports en commun en Île-de-France. Nos collègues députés y ont consacré l’an passé une commission d’enquête ; leur diagnostic, tout à fait édifiant, confirme ce qu’affirment les associations d’usagers depuis bien des années : les retards et la congestion sont si importants que les transports pèsent, non seulement sur la vie quotidienne de ses habitants, mais aussi sur l’attractivité même de la région capitale.
Dans ces conditions, les usagers fréquents, ceux qui habitent loin de leur lieu de travail et qui n’ont souvent pas d’autre choix que les transports en commun, subissent de plein fouet les effets de la saturation. Ils contestent, et on les comprend bien, que le prix de leur pass navigo soit plus élevé qu’au centre de l’agglomération, pour un service de bien moindre qualité.
Cette protestation bien légitime rencontre une autre préoccupation : la tarification par zones concentriques autour de Paris est de moins en moins adaptée aux réalités des déplacements. Elle est devenue d’autant plus obsolète qu’elle a déjà été aménagée, avec le dézonage en grande couronne et, plus récemment, sur l’ensemble du réseau le week-end.
Actuellement, la région est découpée en cinq zones concentriques autour de la Capitale. Le zonage pourrait paraître de bon sens : l’usager paie plus cher parce qu’il circule sur des itinéraires plus longs. Cependant, les choses sont plus complexes dans la réalité : des itinéraires en zone 1-2 sont plus longs que d’autres entre les zones 1 et 3, par exemple.
Par ailleurs, ce système concentrique s’accommode mal des déplacements de banlieue à banlieue, qui sont les plus fréquents, car ils se développent aujourd'hui avec les tramways et se développeront demain avec les lignes « transversales » du Grand Paris.
Dans ces conditions, sauf à mettre en place une tarification au réel, qui soit fonction des kilomètres effectivement parcourus, mais aussi des segments empruntés, le plus simple est de s’aligner sur la tarification en vigueur dans le métro depuis des décennies : une tarification unique sur tout le réseau, pour un trajet d’une station ou de cent.
Qui plus est, la tarification unique de l’abonnement prend acte d’un fait majeur : la région capitale fonctionne déjà comme une métropole. L’INSEE le constate à chaque recensement (M. Roger Karoutchi s’exclame.) : l’aire urbaine de Paris déborde la région, les habitants de Seine-et-Marne ne se vivent évidemment pas tous comme des banlieusards, mais, dans la réalité du logement et de l’emploi, ils le sont devenus dans leur majorité !
C’est donc pour des raisons d’équité sociale et d’identité régionale que la majorité régionale a inscrit, dans son programme de mandature, le pass navigo unique au tarif des zones 1-2.
Cette mesure coûterait environ 500 millions d’euros. L’objet de cette proposition de loi est d’en prévoir le financement, en harmonisant les plafonds du versement transport en Île-de-France.
Ainsi, l’article 1er étend à l’ensemble de l’Île-de-France le plafond de 2,6 % du versement transport, soit le taux en vigueur lorsque cette proposition de loi a été déposée sur le bureau du Sénat, avant le relèvement de 0,1 point prévu dans la loi de finances pour 2013.
Pourquoi en passer par une harmonisation du versement transport ?
Les usagers et, surtout, les collectivités locales ont déjà très largement contribué à la relance des investissements engagée depuis quelques années. Ils ont même augmenté leur participation, alors que celle des entreprises, pour le réseau existant, est restée au fil de l’eau, bien en deçà de l’effort nécessaire pour rattraper le niveau.
De plus, le bon fonctionnement du réseau de transports collectifs est assurément un facteur clé de compétitivité des entreprises ; il est même décisif pour l’attractivité de la région capitale. En d’autres termes, les entreprises ont tout intérêt à ce que les transports en commun fonctionnent bien !
Mes chers collègues, songez que le taux de versement transport payé par les entreprises franciliennes, hors Paris et les Hauts-de-Seine, est soit inférieur soit égal à celui que les entreprises paient dans les métropoles régionales, comme si le problème des transports collectifs n’était pas plus criant en Île-de-France qu’en région !
Le « zonage » du versement transport, instauré en 1971, n’avait pratiquement pas été modifié jusqu’à la loi de finances rectificative pour 2010 : il était départemental, avec un plafond de 2,6 % pour Paris et les Hauts-de-Seine, un plafond de 1,7 % pour les deux autres départements de la petite couronne, puis un plafond de 1,4 % pour les trois départements de la grande couronne.
À la suite du rapport sur le financement du Grand Paris remis par Gilles Carrez, rapport adopté à l’unanimité par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le collectif budgétaire de 2010 a, enfin, prévu de modifier ce zonage pour mieux tenir compte de l’agglomération francilienne.
La zone 1, formée par Paris et les Hauts-de-Seine, est restée inchangée, avec un plafond à 2,6 %, passé à 2,7 % cette année, mais la zone 2 a été élargie « pour tenir compte de l’unité urbaine au sens de l’INSEE ».
Qu’est-ce que « l’unité urbaine », à ne pas confondre avec l’aire urbaine ? C’est la continuité bâtie de la ville : elle regroupe 412 communes sur les 1 301 communes franciliennes, soit moins d’un tiers des communes, mais 85 % de la population francilienne.
C’est cette unité urbaine qui sert de périmètre au projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, lequel prévoit la création de la métropole de Paris ; je reviendrai plus loin sur ce projet de loi, dont l’adoption en conseil des ministres est intervenue après l’examen en commission de la présente proposition de loi.
Sur cette unité urbaine, le plafond du versement transport est fixé à 2,6 % pour Paris et les communes des Hauts-de-Seine ; pour les autres communes, il est fixé à 1,8 %, soit au même niveau que pour les métropoles régionales. Quant aux quelque 900 communes franciliennes non comprises dans cette unité urbaine, celles qui forment la zone 3, le plafond du versement transport y est de 1,5 %, soit un niveau inférieur à celui des métropoles régionales.
Mes chers collègues, cette réforme du versement transport n’est pas allée assez loin ; le compte n’y est pas. Les usagers et les entreprises elles-mêmes ont besoin d’une mobilisation forte pour les transports collectifs en Île-de-France.
Pourtant, lors des auditions auxquelles j’ai procédé, j’ai pu mesurer combien l’idée de relever le versement transport provoquait une levée de boucliers, au-delà même des représentants des entreprises.
Je crois que nous devons ramener la question à ses justes proportions.
Ces dix dernières années, en même temps que la fréquentation des transports collectifs progressait de 20 %, leur coût d’exploitation a augmenté de 25 %, passant de 6 à 8 milliards d’euros. Qui a financé ce surcoût ? Au premier chef, les collectivités publiques. C’est pourquoi la part du financement assurée par les entreprises a diminué ; les chiffres figurent dans mon rapport. Aussi bien, les entreprises ont beau jeu de dire qu’elles paient plus qu’avant : elles omettent de considérer l’effort consenti par la collectivité pour rénover le réseau et doter la région de transports collectifs modernes !
Mes chers collègues, tout le monde reconnaît que les réseaux de transports collectifs en Île-de-France sont à bout de souffle et qu’il faudra poursuivre pendant dix ans au moins le travail remarquable entrepris par la région d’Île-de-France, le STIF, la RATP, la SNCF et RFF, pour que les effets du rattrapage se fassent enfin sentir. Dans ces conditions, pourquoi devrait-on s’interdire de mobiliser davantage les entreprises, qui bénéficient évidemment d’une amélioration des réseaux ?
Les entreprises agitent bien facilement le chiffon rouge des charges et de la compétitivité. Seulement, le rapport Gallois montre qu’améliorer la compétitivité n’équivaut pas à réduire les charges ; la compétitivité résulte plutôt d’un ensemble de facteurs, parmi lesquels la qualité des investissements se place au tout premier plan. De fait, la qualité des réseaux de transports collectifs contribue indiscutablement à la compétitivité, surtout dans une région comme l’Île-de-France où les emplois sont concentrés, souvent éloignés des logements et où les routes sont saturées.
De plus, le taux du versement transport n’est pas un critère déterminant de localisation des entreprises. La preuve en est qu’elles se concentrent aujourd’hui là où il est le plus élevé ! (Exclamations sur certaines travées de l'UMP.)
Ainsi, je crois que les entreprises nous font un mauvais procès en agitant la menace de la délocalisation pour 0,3 point de versement transport en plus ; elles ne prennent pas toute la mesure de la mobilisation nécessaire pour les transports collectifs en Île-de-France.
Cette proposition de loi apporte une solution claire : l’harmonisation du plafond du versement transport dans toute l’Île-de-France. À titre personnel, je considère qu’il est nécessaire de l’amender pour mieux tenir compte du fonctionnement effectif de l’agglomération francilienne.
En effet, lors de mes auditions, j’ai retrouvé un problème que je connaissais comme élu de grande couronne : lorsqu’on dépasse la continuité bâtie et que les réseaux de transports perdent en densité, le lien se relâche entre le versement transport et sa contrepartie, c’est-à-dire les transports collectifs ; ainsi, les entreprises non situées dans l’unité urbaine ne comprennent pas pourquoi elles devraient payer pour des transports peu denses et que leurs salariés n’utilisent pas, ou très peu.
C’est pourquoi il me semblerait nécessaire, dans un premier temps, de limiter l’harmonisation du versement transport aux zones 1 et 2, en leur appliquant le même taux de 2,7 %. D’ailleurs, cette harmonisation prendra tout son sens avec le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, qui prévoit la création, sur le territoire de l’unité urbaine, d’une métropole de Paris appelée à jouer un rôle majeur dans l’aménagement du territoire. Comment, avec ce cadre nouveau, ne pas défendre l’harmonisation du versement transport sur ce territoire ?
Pour la zone 3, il me semble plus juste de porter le plafond au niveau qui s’applique aujourd’hui dans la zone 2, c’est-à-dire à 1,8 %. De la sorte, un taux urbain de 2,7 % s’appliquerait dans l’unité urbaine de Paris, c’est-à-dire dans les 412 communes qui représentent 85 % des Franciliens et qui forment le cœur de l’agglomération, où les réseaux de transports collectifs sont assez denses, tandis que le plafond du versement transport serait porté à 1,8 % dans les 900 communes franciliennes de la zone 3, où il rejoindrait donc le niveau en vigueur dans les métropoles régionales.
J’ai obtenu une évaluation des recettes supplémentaires de versement transport avec ces deux scénarios. Si le versement transport était porté à 2,7 % dans toute l’Île-de-France, le supplément, calculé sur la base des chiffres de 2012, atteindrait 668 millions d’euros. Avec la modulation que je propose, la recette supplémentaire approcherait les 500 millions d’euros, soit la somme que la proposition de loi vise à lever.
Cette mesure serait un signe de solidarité important avec ceux qui subissent la « galère » des transports et qui vont continuer à la subir. Certes, la somme en jeu est importante – 500 millions d’euros –, mais il faut la comparer aux 27 milliards d’euros que l’État et la région disent vouloir investir dans le réseau.