Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Carle

Secrétaires :

M. Jean Desessard, Mme Marie-Noëlle Lienemann.

1. Procès-verbal

2. Décision du Conseil constitutionnel

3. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

4. Démission de membres de commissions et candidatures

5. Questions orales

départementalisation de la caisse d'allocations familiales du nord

Question n° 258 de Mme Valérie Létard. – Mmes Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; Valérie Létard.

fonctionnement des caisses d'allocations familiales

Question n° 358 de M. Philippe Madrelle. – Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; M. Philippe Madrelle.

intégration des lauréats de l'examen de rédacteur territorial

Question n° 365 de M. Jean-Marc Todeschini. – Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; M. Jean-Marc Todeschini.

avenir des librairies indépendantes

Question n° 150 de M. Michel Teston. – Mmes Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille ; Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement ; M. Michel Teston.

soumission des gestionnaires de logements-foyers à la tva

Question n° 383 de Mme Mireille Schurch. – Mmes Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement ; Mireille Schurch.

permis de recherche d'hydrocarbures dit « permis de brive »

Question n° 407 de M. Jean-Claude Requier. – Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Jean-Claude Requier.

don d'organes

Question n° 309 de M. Yannick Vaugrenard. – Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; M. Yannick Vaugrenard.

phagothérapie

Question n° 350 de Mme Maryvonne Blondin. – Mmes Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie ; Maryvonne Blondin.

lutte et programme olympique pour 2020

Question n° 387 de M. Alain Néri. – Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative ; M. Alain Néri.

réforme de l'intercommunalité

Question n° 248 de Mme Nathalie Goulet. – Mmes Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative ; Nathalie Goulet.

entretien des autoroutes franciliennes

Question n° 377 de M. Philippe Dallier. – Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative ; M. Philippe Dallier.

coopération européenne en matière de litiges familiaux transfrontaliers

Question n° 243 de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Mmes Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; Joëlle Garriaud-Maylam.

hauteur du gué du mont-saint-michel

Question n° 173 de M. Philippe Bas. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Philippe Bas.

conséquences des erreurs de calcul du prélèvement pour les fonds nationaux de garantie individuelle des ressources

Question n° 385 de M. Hervé Maurey. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Hervé Maurey.

fermeture d'une section professionnelle au lycée de masevaux

Question n° 404 de Mme Catherine Troendle. – M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Mme Catherine Troendle.

hausse du chômage en alsace

Question n° 425 de M. André Reichardt. – MM. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; André Reichardt.

redevance pour prélèvement d'eau

Question n° 204 de M. Bernard Piras. – Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique ; M. Bernard Piras.

cohérence du tri et de la collecte des ordures ménagères

Question n° 337 de M. Jean Boyer. – Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique ; M. Jean Boyer.

lutte contre l’éco-mafia

Question n° 342 de M. Gilbert Roger. – Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique ; M. Gilbert Roger.

6. Nomination de membres de commissions

Suspension et reprise de la séance

7. Qualité de l'offre alimentaire en outre-mer. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : MM. Victorin Lurel, ministre des outre-mer ; Michel Vergoz, rapporteur de la commission des affaires sociales.

Mme Annie David, MM. Joël Guerriau, Jean-Claude Requier, Mme Aline Archimbaud, MM. Alain Milon, Thani Mohamed Soilihi, Félix Desplan, Maurice Antiste, Serge Larcher, Jacques Cornano.

MM. le rapporteur, Victorin Lurel, ministre.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

MM. Jacques Cornano, Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau.

Adoption de l'article.

Article 2. – Adoption

Article 3

MM. Jacques Cornano, Serge Larcher.

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

M. Victorin Lurel, ministre.

Adoption de l'article.

Article 4

M. Jacques Cornano.

Adoption de l'article.

Adoption définitive de l’ensemble de la proposition de loi.

M. Victorin Lurel, ministre.

8. Zone dite des cinquante pas géométriques. – Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : M. Serge Larcher, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques.

9. Souhaits de bienvenue à M. Nikom Wairatpanij, président du Sénat thaïlandais

10. Zone dite des cinquante pas géométriques. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite) : M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer.

MM. Gérard Le Cam, Joël Guerriau, Jean-Claude Requier, Joël Labbé, Michel Magras, Maurice Antiste, Jacques Cornano.

M. Victorin Lurel, ministre.

Clôture de la discussion générale.

Articles 1er et 2. – Adoption

Article 3 (nouveau)

Amendement n° 2 du Gouvernement. – M. Victorin Lurel, ministre.

Amendement n° 1 rectifié de M. Jean-Claude Lenoir. – M. Jean-Claude Lenoir.

MM. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques ; Jean-Claude Lenoir, Thani Mohamed Soilihi. – Retrait de l’amendement no 1 rectifié ; adoption de l’amendement no 2.

Adoption de l'article modifié.

M. le président.

Adoption de l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

M. Victorin Lurel, ministre.

Suspension et reprise de la séance

11. Communication du Conseil constitutionnel

12. Refondation de l’école de la République. – Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale : M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale ; Mme Françoise Cartron, rapporteur de la commission de la culture.

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

Mme Claire-Lise Campion, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ; M. Claude Haut, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture.

Demande de réserve

Demande de réserve de l’article 1er et du rapport annexé. – Mme la présidente de la commission, M. Vincent Peillon, ministre. – La réserve est ordonnée.

Discussion générale (suite)

Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Jean-Michel Baylet, Jacques Legendre, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Corinne Bouchoux, M. Jacques-Bernard Magner, Mmes Françoise Férat, Françoise Laborde, MM. André Gattolin, Jean-Claude Carle, Mme Maryvonne Blondin, M. Michel Le Scouarnec, Mmes Colette Mélot, Danielle Michel.

Renvoi de la suite de la discussion.

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du vendredi 17 mai 2013, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

Acte est donné de cette communication.

3

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 17 mai 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 (Formalités de l’acte introductif d’instance en matière de presse) (n° 2013-311 QPC).

Acte est donné de cette communication.

4

Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Paul Vergès, comme membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de M. Michel Billout, comme membre de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.

J’informe le Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger :

- à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Paul Vergès, démissionnaire,

- à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique, en remplacement de M. Michel Billout, démissionnaire.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

5

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

départementalisation de la caisse d'allocations familiales du nord

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, auteur de la question n° 258, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je reprends aujourd’hui une question orale que des conditions climatiques exceptionnelles m’avaient obligée à annuler le 12 mars dernier, le Nord étant alors coupé de sa capitale.

Du mois de mars au mois de mai, la situation de la caisse d’allocations familiales du Nord a malheureusement continué à se dégrader. Fermée au public plus de quatre semaines au cours du dernier trimestre de 2012, la CAF du Nord suspend désormais son accueil au public tous les jeudis depuis le 1er janvier 2013, sans parvenir, malgré ses efforts, à rattraper son retard.

Ses indicateurs de résultats, hormis le traitement du RSA, sont tous au rouge. En avril 2013, le taux d’appels traités par un agent a encore baissé de 15 % par rapport au mois précédent et atteint son taux le plus bas, soit 37,9 %, à comparer au critère fixé par la convention d’objectifs et de gestion, la COG, de 90 %, et à un taux de 94 % en avril 2012.

Lors de la départementalisation de la CAF du Nord, qui comptait huit conseils d’administration pour 2,5 millions d’habitants, j’ai été la première parmi les élus à alerter sur le risque d’accoucher d’un « monstre administratif », où les gains de gestion attendus de la mutualisation se paieraient cher en termes de manque de proximité et de moindre réactivité dans un contexte social tendu.

Madame la ministre, j’avais fait valoir ce risque auprès de vos prédécesseurs. Il les avait amenés à considérer un aménagement spécifique pour ce département en raison de sa taille – plus de 530 000 familles allocataires –, de sa topographie et de sa situation sociale : un tiers des allocataires perçoivent une prestation versée au titre des minima sociaux ; on compte 130 000 bénéficiaires du RSA, 2 500 nouvelles demandes étant enregistrées par mois. D’où le principe d’une gouvernance aménagée avec la création de huit commissions territoriales, et la promesse d’un maintien d’une politique spécifique d’action sociale.

Dix-huit mois plus tard, le constat est sévère. La nouvelle organisation centralisée du travail allonge les circuits de décision et amoindrit la réactivité de la caisse. Le service aux usagers en a pâti. L’autonomie des commissions territoriales est grignotée constamment. Ces dernières n’ont désormais plus que deux directeurs responsables, chacun, de quatre antennes territoriales. L’engagement de tenir compte des spécificités territoriales, en particulier pour les crédits d’action sociale, s’efface, et la CAF affiche son souhait d’harmoniser tous les dispositifs d’action sociale. Cette gestion compromet le travail partenarial entrepris de longue date par les CAF avec leurs partenaires sur les territoires. C’est ainsi que, après sept ans de coopération fructueuse dans le repérage de l’habitat privé dégradé et la lutte contre l’habitat insalubre, la CAF a dénoncé la convention la liant à la communauté d’agglomération de Valenciennes métropole sur ce sujet. Un nouveau pan d’une action utile va disparaître, et ce sont les allocataires qui seront pénalisés.

Certes, la gravité de la crise accroît encore la charge de travail et la pression. Toutefois, la caisse n’a à l’évidence pas retrouvé un fonctionnement satisfaisant depuis la mise en œuvre de la départementalisation. Une grande opération de solidarité interservices conduite au mois d’avril a permis de réduire quelque peu le stock et d’améliorer la production. Mais cet effort ponctuel ne pourra pas être demandé en continu. Les agents se découragent et souhaitent qu’on leur accorde d’urgence des moyens supplémentaires pour faire face à une augmentation assez importante du nombre des dossiers.

Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, comment ne pas reconnaître que la départementalisation de la CAF du Nord mérite d’être ajustée ? La caisse est de toute évidence surdimensionnée par rapport à la moyenne des autres CAF. La négociation de la prochaine COG arrive à point nommé et pourrait permettre cet ajustement.

Madame la ministre, ma question est simple : l’État envisage-t-il, à l’occasion de cette négociation avec la Caisse nationale des allocations familiales, de repréciser le rôle des commissions territoriales et la prise en compte des spécificités locales dans la politique d’action sociale de la CAF du Nord ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Madame la sénatrice, la départementalisation du réseau des CAF était un objectif de la convention d’objectifs et de gestion pour la période 2009-2012 : elle a donc été décidée par le précédent gouvernement.

Cette opération a conduit à la création de treize CAF départementalisées à partir de trente-quatre CAF infradépartementales pour l’ensemble du territoire.

Dans le département du Nord, cette procédure a pris une ampleur particulière en raison de l’existence préalable de huit CAF. Elle a donné naissance à la plus grande caisse d’allocations familiales de France.

Pour tenir compte de la spécificité de ce département, le gouvernement précédent a accepté le maintien d’une gouvernance spécifique, dont j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec la présidente du conseil d’administration de la CAF du Nord, Mme Librizzi, et avec son directeur, M. Forafo.

L’adoption d’un seul règlement d’action sociale permet aux allocataires de disposer des mêmes droits sur l’ensemble du département, ce dont nous devons nous féliciter.

Par ailleurs, je rappelle que les équipes de la CAF du Nord ont été en mesure d’assurer, dès le lendemain de la fusion, le 21 novembre 2011, leurs missions d’accueil physique et téléphonique. Le 5 décembre de la même année, dès la première échéance de paiement, l’ensemble des allocations et des minima sociaux était versé.

Les salariés de la CAF du Nord sont pour beaucoup dans ces réussites. Je tiens à saluer ici leur travail exemplaire, leur engagement et leur sens du service public, comme celui de l’ensemble du réseau de la branche famille.

Cela étant dit, nous ne pouvons pas ignorer les difficultés rencontrées par la CAF du Nord, mais elles sont la conséquence de l’augmentation de la charge de travail constatée dans l’ensemble du réseau. Depuis le début de la crise économique, cette charge de travail s’alourdit, et le Gouvernement en a pleinement conscience.

Je souligne néanmoins que la CAF du Nord a fait le choix, dans un premier temps, de maintenir l’ensemble des points d’accueil et des permanences existant sur son territoire.

L’analyse de la situation nous montre qu’il ne suffit plus d’assurer une présence physique : la qualité de l’offre d’accueil doit aussi être garantie. C’est pourquoi j’ai encouragé la Caisse nationale des allocations familiales à redéfinir sa politique en matière d’accueil du public. Cette nouvelle politique sera mise en œuvre dans le cadre de la prochaine convention d’objectifs et de gestion et elle en constituera l’un des éléments forts. Les CAF organiseront des rendez-vous des droits pour lutter contre le non-recours. Elles s’impliqueront davantage dans la prévention des expulsions locatives et elles proposeront des prises en charge adaptées en fonction des situations de vie : séparation, décès du conjoint ou d’un enfant.

Ces dispositions ne sont pas exclusives d’une réflexion sur les moyens affectés aux CAF.

La prochaine question, posée par M. Madrelle et portant également sur la question des CAF, me permettra de prolonger ma réponse. Elle me donnera l’occasion de vous faire connaître les pistes sur lesquelles nous devons travailler pour alléger, ou à tout le moins rendre plus supportable, la charge de travail des salariés des caisses d’allocations familiales, en particulier dans le Nord.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Madame la ministre, j’ai bien entendu votre souhait de nous rassurer sur votre volonté d’améliorer les prestations de l’ensemble des CAF de France, avec un regard particulier sur la CAF du Nord.

Permettez-moi de vous encourager à bien prendre en considération la situation de ce département. Dans mon arrondissement, par exemple, le taux de chômage est passé de 10 % à 16 % pour 400 000 habitants. Cette réalité vaut pour toute la région Nord-Pas-Calais depuis la fin de 2008. On enregistre par ailleurs une accélération importante au cours de la dernière année, avec un fort impact sur les demandes de prestations sociales et de RSA.

En outre, la population est très peu mobile. Dans ce département frontalier qui s’étire en longueur, les allocataires sont souvent très éloignés de la CAF centrale. Il leur sera difficile de trouver des services de proximité si l’on ne maintient pas une réelle présence de la CAF.

J’ajoute que les territoires concernés sont au demeurant très différents. Les partenariats d’action sociale et les politiques de traitement de l’habitat indigne revêtent une importance majeure dans ce département où, comme dans l’ensemble de la région Nord-Pas-de-Calais, une part importante de la population vit dans un habitat ancien, dégradé.

Les huit commissions départementales nous permettent – et c’est une nécessité – de conduire des politiques spécifiques d’action sociale sur chacun de ces territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux. Dans certaines zones très impliquées dans la politique de la ville, il existe un besoin d’accompagnement d’action sociale très fort. À cette fin, il faut conserver de la souplesse et adapter, avec les élus de terrain, nos politiques de solidarité aux besoins de grande proximité des populations.

fonctionnement des caisses d'allocations familiales

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 358, adressée à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.

M. Philippe Madrelle. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les inquiétudes des présidents des caisses d'allocations familiales, notamment des six caisses d’Aquitaine, en ce qui concerne les moyens budgétaires qui leur sont dévolus et les charges de travail croissantes que les caisses doivent assurer. Ce n’est pas le fait de ce gouvernement, cela vient de plus loin.

Les caisses d’allocations familiales sont, nous le savons, des acteurs majeurs des politiques de solidarité familiale et sociale aux côtés des conseils généraux. Elles mettent en œuvre une offre globale de services aux allocataires autour de quatre missions essentielles : la conciliation de la vie familiale, de la vie professionnelle et de la vie sociale, le soutien à la fonction parentale, l’accompagnement des familles, enfin, la création des conditions favorables à l’autonomie et à l’insertion sociale et professionnelle.

Sur la période 2009-2012, les CAF ont porté deux nouveaux projets d’ampleur : la mise en œuvre du revenu de solidarité active et le renforcement du développement de l’accueil des jeunes enfants.

Président de conseil général, je constate au quotidien l’augmentation des dépenses de solidarité et je m’interroge, avec mes collègues, sur les réponses qu’il convient d’y apporter, réponses difficiles à trouver dans le contexte de contrainte budgétaire auquel nous sommes tous confrontés. Mais c’est un autre problème.

Dans le département de la Gironde, entre 2009 et 2012, le nombre d’allocataires de la CAF a progressé de 6,6 % et, sur cinq ans, il a augmenté de 12 %. La traduction de cette situation, c’est que la CAF de la Gironde doit faire face à une fréquentation physique extrêmement forte – 372 500 visites en 2012, en hausse de 7 % par rapport à 2011 –, et elle n’a pas la capacité de prendre en charge la totalité des appels téléphoniques. L’objectif de taux d’appels traités par les agents n’est pas atteint et accuse un retard préjudiciable par rapport à l’engagement de service.

Sur l’ensemble de notre pays, soixante-deux caisses se trouvent en difficulté et ne parviennent pas à remplir leurs engagements relatifs, notamment, au traitement des appels téléphoniques et des dossiers des minima sociaux.

Vous connaissez, madame la ministre, le rôle essentiel des CAF, leur expérience et leur compétence en matière d’offre au service à la petite enfance, à l’accompagnement de la parentalité, à l’animation de la vie sociale. Leurs personnels sont exigeants et souhaiteraient pouvoir assurer leurs missions dans de meilleures conditions, tout en faisant face à la progression des flux ainsi qu’à une augmentation considérable des charges de travail liée à de nouvelles missions, conséquence de la précarisation de certaines situations familiales. Et cette surcharge de travail contraint les CAF à fermer partiellement certains accueils, à recourir aux heures supplémentaires. Tout cela entraîne une dégradation de la qualité du service public, alors que la nature des missions effectuées par les CAF exigerait le maintien et le renforcement du réseau, avec des structures de taille humaine, autonomes et responsables, capables de rester proches et à l’écoute des citoyens en participant au renforcement du lien social par leur rôle d’amortisseur social.

C'est la raison pour laquelle je vous demande, madame la ministre, de veiller à ce que les effectifs des CAF continuent de croître, notamment avec des emplois pérennes et non pas des contrats à durée déterminée. Il serait me semble-t-il opportun d’envisager des procédures de simplification des dossiers en matière d’accès aux droits, afin de réduire les indus de prestations, sources d’inquiétude pour les usagers.

Le contexte d’accroissement des inégalités sociales et de la précarité exige des services publics performants, capables de répondre à notre devoir de solidarité. Nous savons pouvoir compter sur l’engagement du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le sénateur, votre question s’inscrit dans le prolongement de la question précédente, posée par Mme Létard.

Ma réponse comportera plusieurs éléments.

Le Gouvernement ne méconnaît pas la hausse de la charge de travail à laquelle les CAF, d’une façon générale, doivent faire face depuis le début de la crise économique. Nous ne pouvons qu’être d’accord sur ce constat.

Alors que nous finalisons la nouvelle convention d’objectifs et de gestion, je me suis entretenue avec les partenaires sociaux et les directeurs de CAF ; je tiens à souligner que j’ai reçu les syndicats de personnels, ce qu’aucun ministre n’avait fait auparavant, pour entendre directement, au-delà de leurs revendications, leur témoignage concernant leurs conditions de travail et les évolutions à leur avis nécessaires en vue d’améliorer ces dernières.

Vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, le rôle des caisses d’allocations familiales est souvent méconnu du grand public, alors que c’est une aide fondamentale pour les familles les plus modestes et les plus fragiles. Nous devons en démontrer l’importance à nos concitoyens.

Je précise à cet égard que l’augmentation de la charge de travail des CAF résulte en grande partie de la gestion du revenu de solidarité active. Or les demandes des départements aux allocations familiales sont toutes différentes, et je suis prête à discuter de ce problème avec les présidents de conseil général.

Certains départements demandent aux caisses d’allocations familiales de gérer quasiment l’intégralité du dossier d’instruction du RSA, tandis que d’autres veulent partager cette tâche. La charge de travail attendue des CAF n’est donc pas la même selon les départements. Dans ces conditions, l’affectation des moyens et des effectifs afférents à ces missions devient extrêmement complexe.

Pour ma part, je préconise une véritable harmonisation entre les départements, afin qu’ils s’entendent sur la nature des tâches demandées aux caisses d’allocations familiales.

Je suis tout à fait ouverte à l’engagement d’une véritable discussion sur les rôles respectifs du conseil général et de la caisse d’allocations familiales dans la gestion du dossier de RSA, dans la mesure où cet élément « embolise » énormément les caisses d’allocations familiales.

Il est vrai que le nombre de dossiers à traiter par les CAF s’est accru durant les dernières années et que les résultats des caisses les plus « performantes » – je n’aime pas trop cet adjectif – se détériorent. D’ailleurs, ce phénomène est général et l’on enregistre une dégradation à la fois des conditions de travail des agents et des conditions d’accueil des allocataires, les premiers devant d’ailleurs faire face à un nombre grandissant d’incivilités.

En outre, plusieurs CAF sont contraintes de fermer leurs guichets, soit temporairement, soit de façon régulière. Cette dernière solution n’est pas acceptable, car elle est contraire à la vocation d’accueil du public.

C’est la raison pour laquelle la maîtrise de la charge de travail des CAF est un objectif prioritaire de la future convention d’objectifs et de moyens.

Nous nous battons sur deux fronts : le maintien des effectifs pour les années à venir, dans le cadre des contraintes budgétaires dont il faut être bien conscient ; le recours aux emplois d’avenir en faveur de jeunes issus de quartiers difficiles, au sein desquels les CAF souffrent également d’un surcroît de travail.

Cette interconnexion entre l’embauche de jeunes et le renforcement des équipes existantes au sein des caisses d’allocations familiales nous semble tout à fait positive.

Au demeurant, la réponse en termes d’effectifs n’est pas en elle-même suffisante. Elle doit être accompagnée d’un véritable travail de simplification que nous devons mener à deux : l’État doit, par décrets ou circulaires, faciliter la procédure, mais la caisse nationale des allocations familiales doit s’engager beaucoup plus résolument dans cette œuvre de simplification.

Pour ce faire, nous allons demander à la CNAF, au travers de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion, de formuler de véritables propositions concernant la dématérialisation des dossiers, avec une réflexion sur les pièces justificatives considérées comme indispensables, les demandes étant parfois redondantes du fait des exigences multiples à cet égard, ainsi que sur la gestion des prestations.

La conjonction de ces deux facteurs nous permettra peut-être d’envisager un avenir meilleur pour les CAF. Mais le travail de simplification ne doit pas être seulement un vœu pieu ; des propositions très concrètes doivent être présentées. L’État prendra sa responsabilité en la matière, mais la CNAF doit faire de même. Ces objectifs seront inscrits dans la future convention d’objectifs et de gestion.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Tout en étant bien conscients du contexte actuel de crise économique, nous sommes nous aussi convaincus du rôle vital des caisses d’allocations familiales pour leurs usagers.

Vos propos concernant la simplification et votre souci d’harmoniser la gestion du RSA vont dans le bon sens. C’est pourquoi je ne doute pas de votre volonté de procéder aux changements nécessaires.

intégration des lauréats de l'examen de rédacteur territorial

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, auteur de la question n° 365, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille.

M. Jean-Marc Todeschini. Madame la ministre, ma question concerne la situation difficile que vivent actuellement les quelque 6 000 lauréats de l’examen professionnel de rédacteur en France, toujours en attente de pouvoir bénéficier du mécanisme exceptionnel de promotion interne prévu par le décret du 30 décembre 2004.

À la suite de la forte mobilisation de ces « reçus-collés », un décret paru le 30 juillet 2012 a offert à ces lauréats de nouvelles garanties, comme la prorogation de la validité de leur examen, à titre exceptionnel et sans limite dans le temps, ou encore la possibilité d’effectuer des promotions internes dans la limite de 5 % de l’effectif du cadre d’emplois considéré et selon différentes conditions.

Les avancées dans ce dossier assez ancien maintenant existent, mais elles ne peuvent constituer une solution pérenne et pleinement satisfaisante pour les 6 000 fonctionnaires concernés et condamnés, en quelque sorte, à rester tout en bas de l’échelle de la fonction publique, en dépit de la réussite de leur examen professionnel.

Au-delà du sentiment d’injustice, voire de discrimination, que peuvent nourrir ces « reçus-collés », cette situation présente des effets pervers qui commencent à se faire sentir, en particulier pour les plus petites collectivités ayant confié la gestion de leurs personnels territoriaux à un centre de gestion.

En effet, ces petites collectivités risquent progressivement de voir partir le savoir-faire de leurs meilleurs agents, qu’elles ont en outre le plus souvent contribué à former et qui, face à la règle de l’interdiction des promotions hors quotas, peuvent juger préférable de rejoindre une collectivité ne dépendant pas d’un centre de gestion, ce qui leur permettrait de valider leur examen plus facilement.

Pour éviter cette fuite des compétences, certaines communes n’hésitent plus désormais à contourner la règle de l’interdiction des promotions internes hors quotas et à procéder à des nominations illégales au grade supérieur, pour les agents concernés qu’elles souhaitent conserver.

Certains centres de gestion ont d’ailleurs commencé à transmettre systématiquement toute demande de promotion aux services de contrôle de légalité afin de limiter ces pratiques de contournement de la loi. Cela entraîne un alourdissement des procédures et la diffusion d’un sentiment de suspicion généralisé défavorable à la bonne gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique territoriale.

Dans ces conditions, madame la ministre, je vous demande de bien vouloir nous donner la position du Gouvernement quant à l’opportunité de supprimer la règle de l’interdiction des promotions internes hors quotas, afin de permettre aux collectivités ayant des besoins en cadres B de nommer leurs propres agents, déjà formés par elles et titulaires de l’examen professionnel.

Cette mesure aurait, je crois, le mérite de mettre fin au certain désordre que ces différentes dispositions ont contribué à faire naître, tout en offrant aux 6 000 « reçus-collés » une forme de reconnaissance tout à fait méritée.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Marylise Lebranchu, qui m’a chargée de répondre à votre question.

Depuis un an, le Gouvernement a souhaité apporter des garanties nouvelles aux lauréats de l’examen professionnel de rédacteur dans le respect des principes applicables en matière de promotion interne dans la fonction publique.

Quelle que soit la fonction publique concernée, l’accès par la voie de la promotion interne au cadre d’emplois ou corps supérieur est offert à un nombre limité d’agents. Différents mécanismes de sélection existent : le ratio entre les promus et ceux qui pourraient l’être, les règles de quotas, les examens professionnels contingentés ou non…

Dans la fonction publique territoriale, le mécanisme retenu par la réglementation est l’application de quotas s’imposant à tous les employeurs locaux. L’enjeu est de permettre des évolutions de carrière homogènes dans toute la France. Ce mécanisme permet également de maintenir un équilibre dans la structure des cadres d’emplois entre les agents issus des concours et les agents issus de la promotion interne.

En d’autres termes, la promotion interne au cadre d’emplois supérieur n’est jamais un droit pour les agents qui remplissent les conditions d’éligibilité, et ce quelle que soit la fonction publique d’origine.

Les lauréats de l’examen professionnel exceptionnel non contingenté d’accès au cadre d’emplois de rédacteur territorial remplissent les conditions d’éligibilité, mais leur grand nombre ne permet pas qu’ils soient tous promus rédacteurs sur une courte période de temps.

De plus, d’autres agents remplissent aussi les conditions d’éligibilité, énoncées à l’article 8 du décret n° 2012-924 du 30 juillet 2012 portant statut particulier du cadre d’emplois des rédacteurs territoriaux : les adjoints administratifs principaux de première classe répondant aux conditions de durée de services publics effectifs et les adjoints titulaires d’un grade d’avancement de leur cadre d’emplois remplissant une condition de durée de services publics effectifs et exerçant les fonctions de secrétaire de mairie d’une commune de moins de 2 000 habitants.

Il n’est pas envisagé de supprimer les quotas, mais la situation des nombreux lauréats de l’examen professionnel exceptionnel a été prise en considération à plusieurs reprises et, dernièrement, par le décret du 30 juillet 2012 précité, qui prévoit plusieurs dispositions favorables aux agents, telles que la validité illimitée de l’examen et l’assouplissement important des quotas pendant une période de trois ans.

Cet assouplissement est intéressant, car il est lié aux effectifs du cadre d’emplois plutôt qu’au recrutement : il est susceptible d’entraîner, en trois ans, la promotion interne de quelque 9 000 agents de catégorie C en fonction des effectifs actuels de rédacteurs. Il est donc bien de nature à permettre à la majeure partie des agents ayant réussi l’examen professionnel d’en bénéficier sans léser les autres agents éligibles.

Par ailleurs, les petites collectivités rattachées à un centre de gestion ne sont pas dans une situation moins favorable que celle des grandes collectivités au regard des quotas de promotion interne. Les mêmes quotas sont applicables à toutes les collectivités.

En effet, les petites collectivités ayant beaucoup moins la possibilité de recruter que les grandes collectivités, ou n’ayant pas suffisamment de rédacteurs, la gestion mutualisée des promotions internes par les centres de gestion permet de prononcer des promotions internes dans certaines de ces petites collectivités alors que, seules, elles auraient très rarement rempli la condition des quotas de promotion interne, que ceux-ci soient liés aux recrutements ou aux effectifs.

Monsieur le sénateur, le Gouvernement continuera à améliorer la situation des agents en condition de précarité, tout en veillant à ne pas mettre à mal les principes fondamentaux de notre fonction publique, grand acquis de la Libération.

Une évaluation est en cours concernant les politiques de mobilité et d’attractivité dans la gestion des agents publics sur le territoire. Cette réflexion se déroule actuellement dans le cadre de la modernisation de l’action publique et aura vocation à compléter les réponses apportées jusqu’ici aux lauréats des concours de rédacteur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir remplacé votre collègue pour nous transmettre cette réponse.

avenir des librairies indépendantes

M. le président. La parole est à M. Michel Teston, auteur de la question n° 150, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.

M. Michel Teston. Madame la ministre, lors du Salon du livre, le 25 mars dernier, Mme la ministre de la culture et de la communication a annoncé un plan de soutien en faveur de la librairie. Les actions et les pistes de réflexion détaillées expriment clairement la volonté du Gouvernement d’aider au maintien d’une filière de qualité.

Le territoire français compte l’un des réseaux de librairies les plus denses au monde, atout majeur de la pluralité et de la richesse éditoriale, et garantie d’accès au livre pour tous. Cette situation résulte d’une politique ambitieuse en faveur du livre, notamment avec la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre.

Néanmoins, des inquiétudes subsistent quant à l’avenir des librairies indépendantes de premier niveau, maillon essentiel de ce réseau, alors que le groupe Chapitre envisage de fermer douze librairies et que le groupe Virgin est en très grande difficulté.

Ces craintes sont au reste renforcées par les conséquences de la fermeture des salles de vente du groupement d’intérêt économique Livre diffusion à Lyon et à Nantes. En effet, ces salles assuraient pour l’essentiel un service de proximité constituant une possibilité d’approvisionnement et un relais de diffusion important pour la Sodis, Le Seuil, Volumen et Flammarion, ainsi que pour de petites maisons d’édition et des éditeurs régionaux.

La fermeture de ces salles de vente et les difficultés d’approvisionnement des libraires qui en résultent peuvent laisser craindre un déclin de la pluralité éditoriale dans les librairies indépendantes ainsi qu’une augmentation des délais de livraison.

Or les librairies indépendantes subissent déjà une très forte concurrence des ventes par les multinationales d’Internet – Amazon principalement –, qui pratiquent la gratuité des frais de port, et par la grande distribution, qui bénéficie de taux de remise très supérieurs.

Aussi, je souhaite que vous m’indiquiez les réponses que vous pouvez apporter aux inquiétudes concernant l’avenir des librairies indépendantes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord d’excuser Mme Filippetti, qui est actuellement au festival de Cannes.

Le ministère de la culture et de la communication a suivi avec la plus grande attention l’évolution des projets de fermeture de certaines salles de vente régionales, annoncés par plusieurs groupes de distribution de livres en France.

Ces salles de vente permettent aux librairies de deuxième ou de troisième niveau, qui ne bénéficient pas de la visite régulière ou systématique d’un représentant des groupes de distribution, d’accéder à une présentation permanente des nouveautés publiées et à une large partie des ouvrages disponibles tout en bénéficiant de certaines facilités d’approvisionnement.

Ainsi, les salles de vente participent du maintien de la densité du maillage des points de vente de livres sur l’ensemble du territoire, qui concourt à préserver un large accès de nos concitoyens à ce bien culturel. Des fermetures sont annoncées alors que, comme vous le soulignez, le secteur du livre s’interroge non seulement face au développement du livre numérique mais aussi face aux difficultés croissantes que rencontrent les librairies quant à l’avenir de ce modèle économique.

Le réseau des librairies joue un rôle déterminant pour l’écosystème du livre, puisqu’il participe du soutien à la création, concourt à la découverte de nouveaux auteurs et à la diffusion d’une offre diversifiée. Compte tenu de ce rôle, l’avenir de la librairie doit constituer un enjeu et une responsabilité partagée par l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, en premier lieu par les éditeurs et les groupes de distribution du livre en France.

L’État, quant à lui, entend assumer pleinement ses responsabilités pour soutenir et accompagner les librairies indépendantes dans cette période de transition, afin de conforter à long terme leur modèle et de garantir un accès à la création dans l’ensemble du territoire.

À ce titre, le ministère de la culture apporte déjà un soutien important au secteur de la librairie via différents dispositifs, comme les aides économiques du Centre national du livre et des directions régionales des affaires culturelles, ou comme la participation financière de l’association pour le développement des librairies de création, l’ADELC.

Les difficultés financières importantes qu’éprouvent actuellement les librairies justifient pleinement un renforcement de l’action de l’État en faveur de leur maintien et de leur développement. C’est la raison pour laquelle la ministre de la culture a engagé, dès le mois de mai 2012, une réflexion avec l’ensemble des représentants du secteur, des administrations concernées et des collectivités territoriales, afin de mettre en œuvre différentes mesures destinées à rendre à ces commerces culturels de proximité les deux points de rentabilité qu’ils ont perdus au cours de la dernière décennie.

Ces consultations interprofessionnelles, organisées par le ministère de la culture et de la communication au cours du dernier trimestre 2012, ont permis d’identifier une série de mesures destinées à figurer au cœur du plan de soutien en faveur des librairies proposé par le Gouvernement. Les dispositions les plus urgentes ont été annoncées par la ministre de la culture à l’occasion du dernier Salon du livre de Paris, en mars dernier, et seront mises en œuvre dans le courant de l’année 2013. Je tiens à les rappeler.

Tout d’abord, le fonds de soutien… (Mme la ministre déléguée s’interrompt, prise d’une quinte de toux. – Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, lui propose de poursuivre à sa place.)

Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. … le fonds de soutien à la transmission des librairies, dont la gestion est assurée par l’ADELC, sera significativement renforcé, à hauteur de 4 millions d’euros supplémentaires, afin de donner à cette association les moyens nécessaires pour accompagner, dans les années qui viennent, la transmission des commerces de librairie.

En outre, étant donné les difficultés particulières rencontrées par les librairies en matière de trésorerie, la ministre de la culture a annoncé la création d’un fonds d’intervention en trésorerie, dont la gestion sera assurée par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles, l’IFCIC, et qui sera doté de 5 millions d’euros.

Enfin, une instance de médiation pour le secteur du livre sera créée. Elle aura pour mission de veiller au respect et à l’application des lois relatives au prix du livre imprimé et numérique, avec l’appui d’agents assermentés chargés d’effectuer les contrôles nécessaires.

Deux mesures complémentaires nécessitant un examen plus approfondi sont par ailleurs actuellement à l’étude. Ces dernières pourraient aboutir dans le courant de l’année 2013.

Ainsi, premièrement, afin de renforcer l’accès des librairies de proximité à la commande publique de livres et d’améliorer la rentabilité de ces marchés pour les librairies indépendantes, certains aménagements au code des marchés publics pourraient être proposés.

Deuxièmement, les moyens alloués au soutien au commerce de livres pourraient être significativement renforcés par la mobilisation d’une ressource complémentaire nouvelle, assise sur une contribution interprofessionnelle.

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Mesdames les ministres, je vous remercie de votre réponse, par laquelle vous avez rappelé les principales mesures du plan de soutien à la librairie présenté par Mme la ministre de la culture et de la communication le 25 mars dernier. Ces initiatives vont incontestablement dans le bon sens.

Vous avez ajouté toutes les deux qu’un certain nombre d’autres mesures accompagneraient le plan de soutien déjà présenté. À cet égard, je me permets de formuler deux remarques sur des enjeux qui me semblent essentiels pour maintenir une filière de qualité.

Premièrement, l’écart des taux de remise entre les librairies indépendantes et la grande distribution est aujourd’hui considérable. À mon sens, il faut garantir un taux de remise minimum, qui pourrait être fixé à 35 %.

Deuxièmement, le strict respect du prix unique du livre, tel qu’il a été fixé par la loi d’août 1981, constitue une dimension essentielle de la qualité de la filière. Je rappelle à ce propos qu’un certain nombre de grands sites de vente en ligne pratiquent la gratuité des frais de port. Au fond, une telle offre est-elle bien respectueuse des dispositions de la loi que je viens de mentionner ?

Je souhaite évidemment que nous puissions continuer à réfléchir aux actions susceptibles d’être mises en œuvre pour maintenir un réseau important de librairies indépendantes. C’est une question de pluralité dans l’information et dans la connaissance.

soumission des gestionnaires de logements-foyers à la tva

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la question n° 383, adressée à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.

Mme Mireille Schurch. Madame la ministre, aujourd’hui en France le logement de droit commun à usage d’habitation, qu’il soit meublé ou non, ainsi que l’intégralité du logement social sont en principe exonérés de la TVA. Cette exonération est indépendante des conditions de location comme le caractère occasionnel, permanent ou saisonnier de l’activité, sa périodicité ou le montant des loyers.

Or, à notre grande surprise, le plus grand gestionnaire de logements-foyers, dont le capital est détenu à plus de 50 % par l’État, a pratiqué en 2012 des augmentations de redevances très au-delà de l’indice légal de référence des loyers, ou ILR, dans certaines de ses résidences, en les justifiant par l’augmentation de la TVA de 5,5 % à 7 %.

Toutefois, les gestionnaires de logements-foyers ont pour objet non pas de « mettre à disposition un local assimilable à un local commercial », mais bien de loger des résidents de manière permanente dans un logement-foyer. Ils sont investis d’une mission de service public : l’aide au logement des jeunes travailleurs, des travailleurs migrants et des personnes défavorisées.

Les redevances sont déjà exorbitantes : à titre d’exemple, un résident m’a montré sa quittance, d’un montant de 425 euros par mois pour une petite chambre de 9 mètres carrés, et cela hors de la capitale !

Dès lors, un tel assujettissement à la TVA pénalise et frappe durement les résidents de ces logements-foyers. Il les place dans une situation plus difficile que celle du logement social de type HLM, voire dans une situation discriminatoire.

Pourtant, le code général des impôts, par son article 261 D, exonère de la TVA les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d’habitation ainsi que les établissements soumis aux dispositions de l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation, c’est-à-dire les logements-foyers.

Telle est d’ailleurs la position parfaitement claire de la direction générale des impôts qui, dans sa circulaire du 13 avril 2007, rappelle que les logements-foyers sont exonérés de plein droit de la TVA.

Enfin, les quittances de loyer délivrées aux résidents ne mentionnent nullement la TVA, ni sur les prestations ni sur l’équivalent loyer et charges. Si les prestations annexes fournies avec la location – petit-déjeuner, blanchissage ou ménage – sont soumises à la TVA, elles devraient être facturées séparément du loyer. L’absence de mention de la TVA dans les avis d’échéance, sur les reçus d’encaissement et sur les quittances constitue donc une infraction sanctionnée par l’article 1737 du code général des impôts.

À nos yeux, ce procédé est totalement injuste et discriminatoire. Il est anormal que l’État prélève une TVA sur le logement des plus pauvres d’entre nous. De plus, cette pratique risque de se généraliser, et ce en toute opacité.

Madame la ministre, je pense que vous partagez notre inquiétude. Nous vous demandons de tout mettre en œuvre pour que les gestionnaires appliquent la réglementation du code général des impôts dans le strict respect du texte et de son esprit. Vous le savez bien, ces logements-foyers ne sont plus assimilables à des « foyers-hôtels ». Je souhaite donc connaître votre position sur ce problème.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Madame la sénatrice, je dois dire que votre question lance une alerte absolument justifiée. La législation actuelle permet effectivement à des gestionnaires de logements-foyers de taxer leurs redevances au titre de la TVA à partir du moment où leur activité est assortie de prestations rendues dans des conditions similaires à celles de l’hôtellerie.

C’est le cas lorsque trois au moins des quatre prestations suivantes sont fournies par le gestionnaire : nettoyage régulier des locaux, fourniture du petit-déjeuner, fourniture de linge de maison, réception des usagers.

Dans ce cadre-là, les redevances de certaines gestionnaires – ils sont deux aujourd’hui à pratiquer de la sorte – peuvent être soumises à TVA et, dès lors, en effet, l’augmentation des redevances n’est pas plafonnée au pourcentage d’augmentation du taux de l’indice légal de référence des loyers, comme c’est le cas pour l’intégralité des autres redevances et des loyers du parc social.

J’ai découvert l’existence de la situation à laquelle vous faites référence alors que je croyais, sur la base des articles que vous évoquez, que tous les gestionnaires relevant du cadre légal de la résidence sociale devaient respecter ce type de plafonnement des augmentations de redevance.

Ce n’est effectivement pas le cas pour deux d’entre eux, dans un cadre parfaitement légal mais qui, néanmoins, pose question à la ministre que je suis.

Nous allons donc nous pencher de manière plus approfondie sur ce dossier et je ne manquerai pas, madame la sénatrice, de vous faire une réponse écrite très précise sur les mesures que j’entends prendre afin de faire face à cette situation au sujet de laquelle les parlementaires peuvent légitimement s’interroger.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je constate que vous partagez notre préoccupation. Avec les résidents et les associations qui les accompagnent, nous nous sommes en effet interrogés sur ces pratiques.

Vous l’avez dit vous-même, pour être dans les conditions similaires à l’hôtellerie, il faut fournir au moins trois prestations. Ce n’est aujourd’hui pas le cas pour le gestionnaire en question, dont les prestations se résument au lavage des draps deux fois par mois. On est donc vraiment très loin de prestations assimilables à celles de l’hôtellerie.

En revanche, les prestations proposées dans ces logements-foyers sont très voisines de celles qui sont fournies dans les logements sociaux, c'est-à-dire le nettoyage des parties communes et la présence stricte d’un gardien.

C’est pourquoi, madame la ministre, je souhaite, avec les résidents et les associations, que des articles de votre futur projet de loi ― et j’espère que la préparation de ce texte se fera en partenariat ― accordent aux résidents de ces logements-foyers les droits et garanties des locataires. Il s’agit, en particulier, du droit à la vie privée, dont ils ne bénéficient pas actuellement, du droit à la vie collective, qui fait la spécificité de ces logements, de l’obligation, pour les gestionnaires, de justifier le montant des charges et des prestations ainsi que de la reconnaissance de comités de résidents, dont les compétences devront être élargies.

J’espère que l’écriture du prochain projet de loi nous permettra d’échanger de manière plus approfondie sur ces questions de logements-foyers.

permis de recherche d'hydrocarbures dit « permis de brive »

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la question n° 407, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Jean-Claude Requier. Madame la ministre, j’attire à nouveau votre attention sur le permis exclusif de recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux dit « permis de Brive », qui concerne une vingtaine de communes du nord du département du Lot.

Alors que, dans le Lot, deux permis avaient été déposés, l’un dit « de Cahors », l’autre dit « de Brive », le premier a été rejeté par arrêté du 26 septembre 2012, étant considéré que son objectif ne pouvait être atteint « que par le recours à la fracturation hydraulique » et que les objectifs de recherche n’étaient « pas crédibles compte tenu de l’absence de réservoirs appropriés ».

Pourquoi le permis de Cahors a-t-il été abandonné et celui de Brive maintenu ? Comment définit-on l’absence ou la présence de réserves appropriées ?

La demande de permis de recherche de Brive déposée par la société Hexagon Gaz, basée à Singapour, portait initialement sur tous les hydrocarbures liquides ou gazeux. À la suite du vote de la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique, cette demande de permis a été orientée vers la recherche de gaz de houille. L’instruction de la demande de permis suit son cours et la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement d’Aquitaine, ou DREAL, l’a déclarée recevable sur la forme, ce qui a ouvert une procédure de mise en concurrence pour une durée de 90 jours.

Si la société Hexagon Gaz affirmait dans un courrier du 7 novembre 2011 qu’elle s’engageait à ne pas utiliser la technique de la fracturation hydraulique au profit d’autres techniques comme celle des puits horizontaux et multilatéraux, il n’en reste pas moins que la population locale est très préoccupée, à juste titre, par les modes de recherche puis d’extraction qui seraient utilisés : plateforme de forage tous les kilomètres, utilisation massive d’eau avec circulation très dense de camions, pollution par les produits chimiques et les métaux lourds de l’aquifère et des surfaces. Tout cela inquiète beaucoup et suscite de très fortes oppositions.

Madame la ministre, quel est l’état d’avancement de ce dossier et la position du Gouvernement sur ce permis de Brive, dont la mise en œuvre s’avérerait, dans tous les cas, explosive ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser Delphine Batho, qui, ne pouvant être présente au Sénat ce matin, m’a priée de répondre à sa place à votre question.

La demande de permis exclusif de recherche de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux, dit « permis de Brive », déposée par la société Hexagon Gaz, recouvre le territoire des départements de la Corrèze, du Lot et de la Dordogne.

Ce périmètre jouxte celui de deux autres demandes de permis exclusifs de recherche, dits « permis de Cahors » et « permis de Beaumont-de-Lomagne», dont Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a prononcé le rejet par arrêté signé en septembre 2012 au terme de leur instruction.

En effet, il a été établi que ces deux demandes concernaient des strates géologiques susceptibles de contenir des gaz de schiste qui ne pouvaient être exploités, en l’état des techniques, que par le recours à la fracturation hydraulique, interdite en France depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 2011.

La demande soumise par la société Hexagon Gaz se présente, quant à elle, comme concernant la recherche de gaz de houille.

La procédure d’instruction des demandes de permis exclusif de recherche est actuellement définie par les dispositions du décret du 2 juin 2006. Comme vous le soulignez, à ce jour, l’instruction de cette demande n’est pas achevée.

La direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement d’Aquitaine a en effet constaté que le dossier était recevable, c’est-à-dire complet, sans préjuger de son examen ultérieur sur le fond.

Les avis de mise en concurrence ont été publiés au Journal officiel en février 2013, et le préfet de la Dordogne dispose de quatre mois, à compter de cette publication, pour transmettre aux services centraux l’ensemble des avis nécessaires. C’est alors seulement que la demande sera examinée au niveau central pour aboutir à une décision ministérielle.

Comme vous le rappelez, conformément à la loi de juillet 2011, la société pétitionnaire a remis un rapport par lequel elle s’est engagée à ne pas recourir à la fracturation hydraulique. Mais il apparaît que les objectifs géologiques visés dans la demande suscitent des interrogations.

Si cette demande portait en réalité sur des hydrocarbures non conventionnels de schiste, cela conduirait à s’interroger sur cette demande, compte tenu de l’interdiction déjà évoquée.

Aussi, je tiens à vous rassurer pleinement, monsieur le sénateur : les services du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie veilleront scrupuleusement, à chacune des étapes de l’instruction de cette demande, au respect des dispositions de la loi du 13 juillet 2011 et des engagements pris par le Président de la République lors de la conférence environnementale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Vous ne m’avez qu’en partie rassuré en me disant que cette demande était recevable sur la forme. En effet, ce qui nous intéresse, c’est le fond, étant entendu qu’aucune solution alternative à la fracturation hydraulique n’existe actuellement. On parle de fracturation par le propane, avec les risques que cela comporte, ainsi que d’un futur arc électrique, qui, paraît-il, fonctionne en laboratoire mais ne pourra être appliqué sur le terrain avant dix ans.

Nous allons donc rester très vigilants. En tout cas, je vous remercie d’avoir apporté ces précisions.

don d'organes

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 309, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, je souhaite aujourd’hui vous alerter sur la nécessité de relancer une vaste campagne d’information à destination des citoyens sur le don d’organes.

En effet, nous comptons à ce jour, par exemple, plus d’une dizaine de milliers de personnes en attente d’une greffe rénale en France. Et en 2010, moins d’un quart des 11 659 patients en attente de ce type de greffe ont effectivement subi une transplantation.

La législation a pourtant évolué de manière à permettre d’augmenter le nombre de greffes. L’article L. 1232-1 du code de la santé publique, issu de la loi du 7 juillet 2011 sur la bioéthique, indique : « Le prélèvement d’organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement. »

Malheureusement, outre le fait que cette disposition est grandement méconnue, et donc inappliquée, la loi oblige les médecins à interroger les proches sur la volonté du défunt. Cela dénature totalement le caractère de consentement présumé que la procédure a mis en place en 2011, et constitue un frein énorme aux transplantations.

Le don d’organes est un enjeu de société, qui place l’altruisme et la solidarité au-dessus de tout. La volonté du législateur en 2011 de rendre présumé le consentement au don d’organes est un formidable pas en avant et un espoir pour toutes les personnes en attente de greffe. Il faut pourtant rendre efficiente cette disposition en modifiant la législation obligeant les médecins à consulter les proches.

En effet, la loi offre à tous la possibilité de refuser le don d’organes. Un fichier de refus existe et fonctionne. Les personnes opposées au don peuvent donc se faire connaître.

Par ailleurs, il est particulièrement nécessaire d’augmenter le don du vivant. En effet, en France, le taux de don du vivant par rapport au total des greffes n’atteint que 10 %, alors qu’il est de 54 % aux Pays-Bas, de 45 % en Suède ou encore de 37 % en Grande-Bretagne.

Une grande campagne de sensibilisation est donc indispensable, afin de permettre à tous de connaître les enjeux du don, la possibilité de donner un organe à un proche, mais aussi la possibilité de le refuser, ce qui enlèverait aux médecins la charge de demander le consentement des familles.

De nombreux malades pourraient voir leur vie sauvée grâce aux dons d’organes.

Je vous remercie de m’indiquer, madame la ministre, les intentions du Gouvernement sur cette proposition.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le sénateur Yannick Vaugrenard, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui est actuellement retenue à Genève pour l’assemblée générale de l’OMS.

Comme vous l’avez noté, chaque année, le don d’organes et la greffe permettent de sauver des vies. En 2011, ce sont près de 5 000 personnes qui ont bénéficié d’une greffe d’organe en France.

Pour autant, le nombre de greffes est à ce jour insuffisant, et des personnes meurent faute d’avoir pu bénéficier d’une greffe à temps.

Aujourd’hui, 30 % des possibilités de dons lors d’un décès sont refusées, dans le respect de la volonté de la personne décédée, mais aussi, bien souvent, par manque d’information des proches.

À l’occasion de la dernière journée mondiale du don d’organes, le 17 octobre dernier, Mme Marisol Touraine a réaffirmé sa volonté de poursuivre les efforts pour augmenter le nombre de dons d’organes.

Moins d’une personne sur deux a fait connaître son choix sur le don d’organes, ce qui est encore trop faible. Mme Touraine souhaite donc que soit renforcée l’information auprès des familles à qui est proposé le don. La sensibilisation des professionnels de santé dans leur approche des familles est essentielle pour expliquer à ces dernières les conditions du don et mieux les accompagner dans leur choix.

Elle souhaite qu’il en soit de même en ce qui concerne l’information auprès du grand public et des associations. Il s’agit d’innover pour inciter chaque personne majeure à exprimer son choix : être donneur et le faire savoir à son entourage, ou refuser de l’être et s’inscrire au fichier national des refus.

Marisol Touraine souhaite soutenir toutes les actions innovantes qui permettent de sensibiliser le grand public à ce geste de solidarité, en s’assurant que les informations fournies sont de nature à permettre d’exercer un choix libre et éclairé.

Ces actions s’inscrivent dans le cadre du plan gouvernemental « greffe 2012-2016 » pour une politique volontariste de soutien à la greffe. Parallèlement à la communication dispensée par l’Agence de la biomédecine auprès du grand public, la formation des professionnels impliqués va être développée. L’objectif du plan consiste également, d’une part, à mieux connaître, en amont de la greffe, les causes et la progression de la maladie et, d’autre part, à continuer à promouvoir la recherche.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Comme vous l’avez à nouveau souligné, par rapport à certains de ses voisins, la France est en retard en matière de dons d’organes. Malheureusement, les conséquences de ce retard sont parfois dramatiques.

Si je me réjouis des perspectives de renforcement de la communication que vous avez tracées, j’insiste sur le fait qu’un problème législatif me semble se poser, auquel il faudra s’attaquer : aujourd'hui, le don d’organes fonctionne en quelque sorte selon le principe « qui ne dit mot consent », mais ce principe est contredit par le fait que les médecins ont l’obligation légale de demander l’avis de la famille, laquelle, dans des circonstances extrêmement douloureuses, est peu encline à accepter le don d’organes.

Dans ces conditions, la communication et l’information doivent être beaucoup plus importantes et il serait peut-être utile de mettre en place un groupe de travail qui réfléchirait moyens de convaincre les familles d’accepter le don d’organes, bien entendu sans sacrifier le souci d’humanité qui doit conduire à respecter leur douleur face à l’épreuve, mais en recherchant aussi l’efficacité.

Enfin, madame la ministre, il me semble qu’il ne serait pas inintéressant, au regard du retard qui caractérise la France en la matière, d’intégrer dans les programmes scolaires une information beaucoup plus large que celle qui existe aujourd'hui sur la nécessité du don d’organes.

phagothérapie

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteur de la question n° 350, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Je remercie par avance notre collègue d’enrichir notre culture médicale ! (Sourires.)

Mme Maryvonne Blondin. Madame la ministre, à l’instar de l’Organisation mondiale de la santé, la Commission européenne tire la sonnette d’alarme : avec 25 000 morts par an en Europe, dont plus de 4 000 en France, les bactéries résistantes aux antibiotiques deviennent une grave menace sanitaire. Aujourd’hui, la situation est très préoccupante, surtout dans le milieu hospitalier.

Dans la mesure où les laboratoires n’engagent que très peu de recherches sur les nouveaux antibiotiques, d’autres options et voies de recherche sont envisagées, comme l’utilisation de phages.

Monsieur le président, mes chers collègues, il s’agit de virus naturels, mangeurs de bactéries, qui sont aujourd'hui essentiellement utilisés dans les pays de l’Est. L’usage de cet instrument thérapeutique est ancien, mais il a été abandonné à l’apparition des antibiotiques.

La phagothérapie peut se révéler un complément à l’utilisation de ces derniers et, par là même, légitimement susciter de l’espoir. Ainsi, elle a permis la guérison de personnes qui devaient être amputées à cause d’infections sérieuses, causées par exemple par le staphylocoque doré.

Cependant, de nombreux obstacles, juridiques, réglementaires ou encore psychologiques – la phagothérapie ayant l’image d’une « vieille » médecine – en freinent le développement.

Est-il déraisonnable d’envisager des solutions nouvelles lorsque les médecins sont confrontés à des impasses thérapeutiques mettant en jeu la vie ou l’intégrité corporelle des patients ? Je ne le pense pas.

Pour cela, il convient de mener de véritables programmes de recherche et de conduire des études cliniques sur les phages afin que ces derniers puissent bénéficier d’autorisations de mise sur le marché, dans le respect de la réglementation nationale et européenne.

Notons également que le rôle des patients semble ici essentiel car les cas de guérison sont de plus en plus médiatisés. De plus en plus souvent, lorsqu’aucun antibiotique ne fonctionne, le patient demande la prescription de phages.

Aujourd’hui, le ratio bénéfice-risque montre que le bénéfice est supérieur au risque en cas d’impasse thérapeutique, plaidant ainsi en faveur d’une utilisation encadrée des phages.

Cet enjeu mondial de santé publique, qui, comme l’a récemment rappelé l’OMS, est aussi un enjeu financier, et la recherche de nouvelles pistes thérapeutiques est devenue une priorité politique. C’est d’autant plus vrai que les laboratoires n’investissent plus dans la recherche de nouveaux antibiotiques.

Madame la ministre, la direction centrale du service de santé des armées, laquelle soutient aujourd'hui des projets de recherche et de développement, n’est pas la seule à avoir un intérêt en la matière ! Je souhaite donc connaître les actions que le ministère de la santé envisage d’entreprendre, de façon coordonnée et interministérielle, pour étudier les possibilités de nouveaux traitements offertes par la phagothérapie.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour nous donner son diagnostic ! (Sourires.)

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Je le donnerai par personne interposée, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)

Madame la sénatrice, je vous demande à vous aussi de bien vouloir excuser l’absence de Mme Marisol Touraine, qui, comme je l’ai précisé tout à l'heure, est retenue à l’assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé, qui se tient actuellement à Genève.

Dans le contexte épidémiologique mondial fort préoccupant de situations de multirésistance des bactéries aux antibiotiques et de pénurie de nouveaux antibiotiques, il est indispensable que la recherche d’alternatives et d’innovations soit renforcée et qu’une position sur les bactériophages soit établie.

Ce travail, en cours d’élaboration par l’Agence nationale de sécurité du médicament, l’ANSM, requiert, outre une expertise dans l’analyse de la littérature, des échanges avec les acteurs concernés, afin d’approcher au mieux le sujet.

La dimension de cette problématique impose d’interpeller les partenaires européens que sont l’Agence européenne des médicaments et la Commission européenne, car la position de l’ANSM ne peut se limiter à une approche uniquement nationale. En effet, s’il peut être considéré que l’application de la réglementation relative aux médicaments n’est pas totalement adaptée au développement industriel de phages – par cocktails de phages ou en vertu d’une approche « sur mesure » –, seules des réflexions impliquant l’échelon communautaire peuvent permettre d’avancer.

À ce jour, aucune autorisation n’a été accordée à la phagothérapie en France : il n’existe pas d’autorisation de mise sur le marché pour les bactériophages. D'ailleurs, aucun dossier de demande d’AMM n’a été déposé à l’échelon européen.

En 2012, une demande d’autorisation temporaire d’utilisation a été refusée par l’ANSM parce qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions fixées par l’article L. 5121-12 du code de la santé publique, en termes de garantie de la sécurité d’emploi et de présomption de l’efficacité du médicament.

Un certain nombre d’essais sont en cours à l’échelle internationale. La Commission européenne pourrait être amenée à soutenir certains d’entre eux.

En France, aucune demande d’autorisation d’essai clinique thérapeutique de bactériophages n’a, à ce jour, été évaluée par l’ANSM. Dans le cadre de ses missions, cette agence est engagée dans l’accompagnement de l’innovation thérapeutique. À ce titre, elle a d’ailleurs reçu, de la part des industriels, des demandes d’avis scientifiques sur les bactériophages, visant notamment à discuter le statut du produit et le programme préclinique toxicologique à réaliser pour pouvoir conduire un essai clinique en France et aller vers une éventuelle AMM. Des échanges avec l’Agence ont été engagés. L’ANSM a également reçu des demandes de professionnels de santé intéressés pour mener une expérimentation.

Sur le plan européen, l’Agence européenne a déjà été approchée sur des problématiques de développement des bactériophages, dans le cadre d’avis scientifiques.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Vous avez rappelé que la ministre de la santé assistait, à Genève, à l’assemblée générale de l’OMS. Peut-être la question de la phagothérapie sera-t-elle évoquée au cours des échanges qu’elle aura à cette occasion… En tout cas, je l’espère !

Vous avez fait état de la situation en Europe, notamment de l’appel européen intitulé « médicaments et vaccins pour les infections qui ont développé ou risquent de développer une résistance antimicrobienne significative ». Ce dernier a intéressé beaucoup d’entreprises françaises, en particulier des start-up, qui y ont répondu sous forme de partenariats – je pense en particulier au Phagoburn. Vous le voyez, des initiatives se mettent en place !

En outre, l’Agence européenne des médicaments et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies ont indiqué, dans un récent rapport, qu’il fallait, soixante-dix ans après la découverte des antibiotiques, se préparer à un futur sans antibiotiques efficaces. Il faut donc véritablement développer de nouveau les cocktails de phages existants.

Je veux également mentionner le tourisme médical que pratiquent certains de nos compatriotes ayant entendu parler de la possibilité de se faire soigner en Pologne ou en Géorgie par des cocktails de phages, lesquels ont d'ores et déjà fait leurs preuves en matière d’infections pulmonaires, comme la mucoviscidose, ou intestinales.

Il faut donc à tout prix lever les blocages et les freins à la réutilisation des phages par la France, de manière à apporter un complément à l’antibiothérapie.

lutte et programme olympique pour 2020

M. le président. La parole est à M. Alain Néri, auteur de la question n° 387, adressée à Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.

M. Alain Néri. Madame la ministre, je veux d’abord vous dire combien j’ai été non pas seulement surpris, mais choqué par la décision envisagée d’évincer – on pourrait même parler de « radiation » – la lutte du programme olympique pour les jeux d’Istanbul de 2020.

Une telle initiative m’apparaît en totale contradiction avec l’esprit et l’histoire même des jeux Olympiques. En effet, la lutte est une discipline olympique depuis l’Antiquité.

Certes, cette discipline ne bénéficie malheureusement pas de la couverture médiatique qu’elle mérite. Toutefois, elle demeure un sport de base de l’éducation physique et même, par les qualités de respect qu’elle développe, sociale et citoyenne. Ce sport éminemment populaire correspond au plus pur esprit de l’olympisme et de ses valeurs : il n’est pas gangrené par l’argent, qui dénature aujourd’hui plus que jamais de trop nombreuses disciplines sportives – et qui seront, elles, bien présentes aux jeux.

Je n’ose imaginer que c’est au motif que la lutte est un sport pauvre financièrement – alors qu’il est si riche moralement ! – que certains ont imaginé pouvoir l’exclure des jeux Olympiques.

En tout état de cause, son éviction serait un véritable séisme pour le sport mondial.

Plusieurs nations, comme les États-Unis, la Russie, la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie et bien d’autres, ont déjà réagi pour protester contre cette injustice et demander la réintégration de la lutte au programme olympique.

Les lutteurs français, qui ont brillé et brillent encore aujourd'hui dans de nombreuses compétitions internationales, ainsi que les nombreux dirigeants et éducateurs bénévoles ne comprennent ni n’acceptent cette stigmatisation de leur sport. La France ne peut être absente de ce combat. Il faut sauver la lutte, madame la ministre !

Je suis intervenu auprès du Comité national olympique et sportif français et de son président, dont j’attends la réponse, pour qu’il se mobilise afin que cette décision soit annulée.

Madame la ministre, envisagez-vous, vous-même, d’intervenir auprès du président du Comité national olympique et sportif français et du Comité international olympique ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. Monsieur le sénateur, comme vous venez de le rappeler, la commission exécutive du Comité international olympique, le CIO, a arrêté le 12 février dernier la liste des vingt-cinq sports qui figureront au programme officiel des jeux Olympiques de 2020. Cette liste sera ensuite soumise à l’approbation de la 125e session du CIO, qui se réunira en septembre prochain à Buenos Aires.

À la surprise générale, la lutte a été retirée de ce programme.

Comme vous venez de l’indiquer, cette décision a abasourdi les lutteurs du monde entier, notamment les 20 000 licenciés de la Fédération française de lutte, qui a vu le nombre de licenciés augmenter de 8 % au cours de l’année 2012.

Monsieur le sénateur, vous êtes depuis des années, je le sais, un défenseur sincère de cette discipline qui occupait une place éminente dans les jeux Olympiques de l’époque antique, comme elle fut une épreuve phare des premiers jeux de l’ère moderne, voulus par Pierre de Coubertin.

Nous gardons, vous et moi, comme nombre de nos compatriotes, le souvenir de la médaille de bronze de Steeve Guénot aux jeux Olympiques de Londres, de sa médaille d’or à Pékin – la première médaille d’or obtenue par la France à ces jeux Olympiques ! –, ainsi que de la médaille de bronze de son frère. Nous nous souvenons également des médailles obtenues par Daniel Robin aux jeux Olympiques de Mexico et de Ghani Yalouz aux jeux d’Atlanta, sans oublier nos deux médaillées Anna Gomis et Lise Legrand lorsque, pour la première fois, la lutte féminine a fait son apparition, en 2004, à Athènes.

Il ne s’agit cependant pas d’une décision définitive de retrait, puisque la lutte peut encore être réintégrée au programme des jeux Olympiques de 2020.

En effet, l’accession d’un vingt-sixième sport au programme olympique sera décidée lors du prochain congrès du Comité international olympique, qui se déroulera du 7 au 10 septembre 2013 et qui attribuera également les jeux Olympiques de 2020 : les villes en lice sont Madrid, Istanbul et Tokyo. Je serai d’ailleurs à Buenos Aires pour assister à la réunion du comité exécutif de l’Agence mondiale antidopage, qui se déroulera en même temps. Le sport retenu sera choisi parmi une liste de huit sports, dont fait partie la lutte.

La surprise initiale a laissé la place à la détermination des défenseurs de la lutte, qui ont décidé de se battre pour que leur discipline, qui a su traverser les siècles et conquérir tous les continents, demeure dans le programme olympique en 2020.

Samedi dernier, à Moscou, la Fédération internationale de lutte a réuni son congrès extraordinaire : le Serbe Nenad Lalovic en est devenu le nouveau président. Permettez-moi de vous lire ses premiers propos : « Le CIO nous a envoyé un message fort. Nous devons désormais convaincre que nous avons entendu ce message. »

Dès dimanche, dans le monde entier, de nouvelles règles ont été édictées, pour rendre celles-ci plus facilement compréhensibles par le grand public, pour mieux récompenser les prises les plus risquées et aussi pour laisser plus de place à la lutte féminine, ce qu’il convient de saluer.

Monsieur le sénateur, vous savez que j’ai fait du respect de l’autonomie du mouvement sportif ma marque de fabrique. Tel a été le sens de la décision que j’ai prise le 5 décembre dernier de transférer la responsabilité des relations internationales sportives au Comité national olympique, en confiant cette mission à Bernard Lapasset.

Le mouvement sportif, au niveau international comme au niveau national, est autonome. Il appartient à la Fédération internationale de lutte et aux fédérations nationales, avec le soutien des clubs et des licenciés, des dirigeants, des pôles appuyés par le ministère des sports, de convaincre le CIO de conserver cette discipline au sein du programme olympique. Je connais leur détermination et leur combativité, et je leur adresse mes vœux de pleine réussite dans ce challenge, comme je souhaite bonne chance aux sept autres disciplines qui aspirent à intégrer le programme officiel des jeux Olympiques.

M. le président. La parole est à M. Alain Néri.

M. Alain Néri. Madame la ministre, je n’ai pas douté un seul instant de votre détermination à défendre la lutte. Je suis convaincu que vous pensez comme moi que la lutte est un sport d’éducation. De fait, elle permet à de nombreux jeunes de s’initier à une discipline sportive qui exige un entraînement soutenu, de l’abnégation, du courage, de la discipline et un grand respect des règles, bien sûr, mais aussi d’autrui.

Pour toutes ces raisons, la lutte mérite de conserver son statut olympique.

Je suis très satisfait, comme vous, de constater que la lutte n’est plus réservée aux hommes. Désormais, des femmes s’engagent de plus en plus nombreuses dans ce sport de base, et cela dès le plus jeune âge.

Madame la ministre, je connais votre souhait de laisser son indépendance au monde sportif et je considère que vous avez entièrement raison. Toutefois, il est de notre devoir de responsables politiques d’apporter notre soutien indéfectible à cette discipline sportive, car nous sommes les héritiers du baron de Coubertin : nous avons du sport une conception qui n’est pas marchande.

Il est bien loin le temps où Jules Ladoumègue, le grand coureur à pied français, fut radié à vie de toute compétition sportive pour avoir reçu comme récompense à une victoire une paire de chaussures à pointes ! Il n’en demeure pas moins que ceux qui pratiquent aujourd'hui le sport avec de faibles moyens méritent la reconnaissance de l’ensemble du mouvement sportif.

Dans le cadre d’une mission sur le dopage, nous avons récemment rencontré, aux États-Unis, les responsables de la fédération américaine de lutte, qui s’engagent fortement à soutenir cette discipline sportive. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, le mouvement devient international. Dans nos petites communes, de nombreuses pétitions circulent. M. Lapasset, à qui nous transmettrons ces éléments d’information, devra s’appuyer sur ces interventions pour défendre la lutte.

Sans vouloir être grandiloquent, je dirai, madame la ministre, que nous sommes aujourd'hui tous des lutteurs !

réforme de l'intercommunalité

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 248, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

Mme Nathalie Goulet. Après des propos aussi éloquents sur un sujet d’importance, je reviendrai à un de ces dossiers plus terre-à-terre qui font le plus souvent l’objet de ces questions orales du mardi matin.

La mienne est un peu une illustration de cette victoire de l’optimisme sur l’expérience dont parlait Henri VIII à propos de son sixième mariage ! (Sourires.) Cela fait en effet bien longtemps que j’essaie de trouver une solution à la situation que connaissent deux minuscules communes de l’Orne : Origny-le-Roux – 268 habitants – et Suré – 116 habitants – ont adhéré, par l’effet d’un choix malheureux opéré il y a quelques années, à une intercommunalité située essentiellement dans la Sarthe.

Or, en vertu de la loi du 16 décembre 2010, elles souhaitent réintégrer leur département d’origine, l’Orne, mais la communauté de communes de la Sarthe demande 104 000 euros à la première et 77 000 euros à la seconde, ce qui relève purement et simplement d’un racket ! (M. Philippe Dallier s’exclame.)

Mais oui, mon cher collègue !

C’est d’autant plus injuste que, quand ces deux petites communes demandent à la communauté de communes de la Sarthe la réalisation de travaux, on leur répond qu’elles sont des communes ornaises et, inversement, quand elles s’adressent aux institutions gérant les collectivités de l’Orne, on leur objecte qu’elles appartiennent à une communauté de communes de la Sarthe… Il s’agit donc d’un problème insoluble !

Ces communes se trouvent ainsi, aujourd'hui, en totale contradiction avec la volonté de leurs habitants de rejoindre leur département d’origine et avec l’esprit de la loi que nous avons votée bon an mal an en décembre 2010 pour rationaliser les périmètres des intercommunalités.

De plus, il n’existe pas de base de calcul pertinente pour exiger de telles sommes de ces communes, des sommes qu’elles n’ont, vous le pensez bien, absolument pas les moyens de payer.

Je me demande si la direction générale des collectivités locales dispose, elle, d’une base de calcul. Dans l’affirmative, quelle évaluation peut-on faire de cette sorte de pénalité de retour à un département d’origine ?

Par ailleurs, ne pourrait-on imaginer la création d’un fonds de péréquation ? En effet, j’imagine que d’autres communes françaises connaissent la même situation.

D’une manière générale, je le rappelle, les intercommunalités ne sont pas des collectivités territoriales. Aussi, lorsque se présente un défaut d’affectio societatis ou lorsque se pose un problème de périmètre, de représentativité, de compétences ou encore de fiscalité – la réforme des collectivités va certainement en mettre en exergue –, il n’est pas aujourd'hui possible de saisir en référé un magistrat compétent pour faire nommer, par exemple, un administrateur provisoire, ce qui soulève de véritables difficultés. J’ai déposé une proposition de loi sur ce sujet, qui se traduira sans doute par un amendement dans un projet de loi ultérieur. Il importe de trouver une solution ou, en tout cas, de rendre un arbitrage pour les communes que j’ai citées.

Je souhaite donc savoir, madame la ministre, quelles dispositions le Gouvernement compte prendre afin de régler ces problèmes d’intercommunalité pour lesquels le préfet ne peut être à la fois juge et partie ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. Madame la sénatrice, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser M. le ministre de l’intérieur, qui ne pouvait être présent ce matin au Sénat.

J’ai d’autant plus de plaisir à vous apporter des éléments de réponse que j’étais, il y a quelques semaines à la limite de l’Orne et de la Sarthe, précisément à Alençon, pour inaugurer un stade d’athlétisme.

Il convient, tout d’abord, de souligner que le retrait d’une commune d’un établissement public de coopération intercommunale – EPCI – n’entraîne jamais le versement d’un « droit de sortie » pour la commune.

Les conditions financières et patrimoniales du retrait d’une commune d’un EPCI sont précisées par l’article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales.

Cet article prévoit que les communes et l’EPCI concernés doivent rechercher un accord sur la répartition de l’actif et du passif. Cet accord doit prendre la forme de délibérations concordantes des conseils municipaux des communes membres qui souhaitent se retirer et de l’assemblée délibérante de l’EPCI.

À défaut d’accord, en dernier recours, le préfet doit prendre un arrêté de répartition des biens. Pour ce faire, il dispose d’un délai de six mois et veille au caractère équitable de la répartition.

La décision du préfet doit se fonder sur plusieurs critères : l’implantation territoriale des équipements, même dans de petites communes ; la situation financière des communes concernées et celle de l’EPCI ; la contribution de ces communes au financement de l’EPCI ; leur poids démographique au sein de l’EPCI.

Dans le cas évoqué, les deux communes situées dans l’Orne ont, en raison de leur situation géographique, des liens très étroits avec la communauté de communes du Saosnois, principalement située dans la Sarthe.

Pour cette raison, ni le schéma départemental de coopération intercommunale de la Sarthe ni celui de l’Orne ne prévoient le retrait de ces collectivités de la communauté de communes du Saosnois et leur rattachement à la communauté de communes du pays bellêmois. Les conditions financières d’un tel retrait n’ont donc pu être expertisées par les services de l’État.

En tout état de cause, elles doivent être conformes aux principes que je viens de rappeler et ne sauraient se limiter à la répartition de l’encours de dette, les éléments d’actif devant nécessairement être pris en considération.

Enfin, compte tenu du cadre législatif existant, le Gouvernement n’envisage pas la création d’un fonds de soutien pour les communes changeant d’établissement de coopération intercommunale. Il n’est pas davantage prévu de créer une structure d’arbitrage chargée de trancher les différends pouvant survenir au sein des EPCI. En cas de difficulté, il revient au représentant de l’État dans le département de prendre, selon les modalités prévues par le code général des collectivités territoriales, et sous le contrôle du juge administratif, les mesures appropriées.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, j’aurais dû, au préalable, vous présenter mes excuses pour ne pas avoir assisté à l’inauguration du stade d’Alençon, mais le Sénat examinait alors le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi. Sachez que j’aurais eu grand plaisir à vous accueillir avec mon ami Joaquim Pueyo, au côté duquel j’ai beaucoup lutté l’an dernier pour qu’il soit élu à l'Assemblée nationale ; il l’a été et j’en suis très heureuse.

Cette parenthèse étant refermée, ce que vous m’avez indiqué est plutôt une bonne nouvelle, et je vous en remercie.

Je présume que les mesures à prendre en l’occurrence doivent émaner et du préfet de la Sarthe et de celui de l’Orne, puisque ces deux départements sont concernés. Je leur transmettrai donc la réponse très encourageante que vous m’avez apportée ce matin.

entretien des autoroutes franciliennes

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, auteur de la question n° 377, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Philippe Dallier. Ma question s’adressait à M. Frédéric Cuvillier, ministre chargé des transports, mais je serai très heureux d’entendre la réponse de Mme la ministre des sports.

Madame la ministre, les Franciliens constatent et, surtout, déplorent une dégradation très nette de l’état général du réseau autoroutier régional, en particulier dans le département de la Seine-Saint-Denis, dont je suis l’élu.

Sur un nombre toujours plus important de portions reliant les départements limitrophes à Paris, le délabrement des infrastructures semble même s’accélérer en raison d’un entretien manifestement insuffisant.

La propreté du réseau est certainement le révélateur le plus marquant de cette détérioration assez généralisée. À la saleté des accotements, entre herbes folles et dépôts de détritus, qui transforment certaines sections en quasi-décharges à ciel ouvert, s’ajoutent les nombreux et imposants tags sur les murs anti-bruit ou même sur les panneaux de signalisation, rendant parfois ceux-ci illisibles.

Cette dégradation croissante du réseau autoroutier francilien soulève de nombreuses interrogations quant à la manière dont la sécurité des usagers est garantie, interrogations que justifient également d’autres constats.

L’éclairage public, souvent assuré au moyen de lampadaires surannés, est manifestement déficient sur certaines portions, tandis que, sur d’autres, il n’est même plus allumé la nuit venue ! Du reste, lorsqu’il a été décidé de ne plus éclairer certaines parties du réseau routier, on a expliqué qu’il s’agissait d’améliorer la sécurité, ce qui ne laisse pas d’étonner…

Les glissières de séparation, rouillées, parfois accidentées et souvent dépourvues de réflecteurs, ne semblent pas toujours en mesure de remplir efficacement leur rôle de protection.

Pour ce qui concerne l’évacuation des eaux – un problème particulièrement sensible en ce moment ! –, elle est fréquemment déficiente en raison de l’obstruction des bouches par des détritus ou par des feuilles ; il en résulte, les jours de pluie, la formation de véritables mares, en particulier sur les bretelles d’entrée et de sortie.

La signalisation horizontale est, elle aussi, en mauvais état par endroits. Faute d’avoir été repeintes depuis des années, certaines bandes blanches ne réfléchissent plus rien et n’aident aucunement les conducteurs à régler leur trajectoire et à anticiper leur distance de freinage pour une conduite sécurisée.

Quant aux panneaux lumineux d’information, ils sont parfois défectueux, n’affichant plus les messages de sécurité ou même les indications utiles à la fluidité du trafic.

Enfin, le revêtement des chaussées, malgré des réparations sporadiques au fil des années, se révèle aujourd’hui très endommagé dans plusieurs secteurs, ce qui y multiplie les risques d’accident de la circulation.

En tant qu’utilisateur régulier de ces axes, je puis vous assurer, madame le ministre, que je ne force pas le trait : la situation que je dépeins est malheureusement bien conforme à la réalité !

Dans ces conditions, prendre la route de nuit, sans éclairage public et sous la pluie, relève du pari risqué, d’autant qu’on trouve sur les voies des nids-de-poule parfois très profonds. Pour rouler depuis de nombreuses années en Île-de-France, je peux vous assurer que c’est la première fois que je constate de tels problèmes ! Sans compter que la dangerosité devenue quasiment intrinsèque à ces axes est malheureusement amplifiée par un trafic croissant, tant vers Paris que vers la banlieue.

Madame la ministre, quels moyens le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre, dans des délais que j’espère brefs, pour rétablir un entretien satisfaisant de ces voies ?

Par ailleurs, des mesures en matière d’organisation pourraient-elles être envisagées ? Ce n’est pas que je souhaite une délégation de compétence nouvelle aux collectivités territoriales, mais il y a manifestement une réflexion à mener dans ce domaine !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. Monsieur le sénateur Philippe Dallier, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Frédéric Cuvillier, ministre des transports, de la mer et de la pêche, qui installe ce matin l’Autorité de la qualité de service dans les transports.

Dans un contexte budgétaire contraint – faut-il rappeler que l’endettement public de notre pays a augmenté de 600 milliards d’euros au cours des cinq dernières années ? –, l’État maintient en 2013 un budget de 95 millions d’euros pour la gestion, l’exploitation, l’entretien et la réparation du réseau routier national en Île-de-France.

Les interventions se concentrent sur deux priorités : la sécurité des usagers, qui constitue bien sûr un impératif absolu, et la préservation du patrimoine.

Monsieur le sénateur, je tiens, pour vous répondre précisément, à aborder chacun des problèmes que vous avez soulevés.

S’agissant d’abord de la sécurité des usagers, un très haut niveau de maintenance est particulièrement nécessaire dans les longs tunnels, qui sont nombreux au sein du réseau autoroutier national d’Île-de-France. Dans ces tunnels, la sécurité passe aussi par l’information des usagers en temps réel. En 2013, 20 millions d’euros sont consacrés à ces deux priorités.

Pour ce qui est de la propreté du réseau, il est exact qu’elle se dégrade rapidement – trop rapidement ! – après les opérations de nettoyage. Il faut savoir que les interventions des agents de l’État sont soumises à de strictes contraintes de temps : en raison de l’intensité des trafics, elles ne peuvent avoir lieu que la nuit, en semaine. Au-delà du nettoyage régulier des voies et de leurs abords, le rappel à nos concitoyens des règles de civisme élémentaires est aussi nécessaire. C’est pourquoi l’État va entreprendre une campagne nationale de sensibilisation pour diminuer les incivilités sur la route.

Afin de lutter contre l’obstruction des dispositifs d’évacuation des eaux par des détritus, une campagne de nettoyage a été menée à l’automne 2012, notamment en Seine-Saint-Denis. Ainsi, les problèmes de stagnation d’eau ne devraient plus se présenter, sauf précipitations exceptionnelles ; mais je reconnais que les conditions météorologiques actuelles n’incitent guère à l’optimisme pour ces jours-ci…

S’agissant de l’éclairage public du réseau routier national francilien, le linéaire éclairé est optimisé depuis 2010 – je dis bien : 2010 – pour maîtriser la consommation énergétique et les pollutions lumineuses tout en garantissant la sécurité des usagers. En Seine-Saint-Denis, les autoroutes A1, A3 et A86, ainsi que le barreau de liaison entre l’A1 et l’A86, doivent être éclairés. Toutefois, la continuité de l’éclairage a parfois été altérée par le vol de câbles électriques. En 2013, 2,4 millions d’euros seront consacrés à l’entretien et à la maintenance du réseau d’éclairage.

Quant aux glissières de retenue, elles font l’objet d’un effort constant. C’est ainsi que 14,6 millions d’euros y ont été consacrés en 2012 ; pour 2013, ce sont 37 millions d’euros qui sont alloués à l’entretien et à la réparation des chaussées du réseau routier francilien. Il importe en effet, monsieur le sénateur, de combler les nids-de-poule, tout en sachant que ceux-ci sont aussi liés à des conditions météorologiques particulièrement défavorables cette année.

Concernant l’occupation des dépendances du réseau routier national par des campements sauvages, dans le cadre des décisions de justice et dans le respect des dispositions d’accompagnement des occupants arrêtées par le Gouvernement, des démarches d’évacuation sont mises en œuvre. Le nettoyage et la sécurisation des terrains mobilisent des moyens importants de l’État et des collectivités territoriales : 2 millions d’euros, par exemple, pour la Seine-Saint-Denis.

Pour conclure, je tiens à rappeler que le réseau routier national francilien non concédé est constitué de 800 kilomètres d’autoroutes et de voies rapides urbaines, de 500 kilomètres de bretelles et de 22 tunnels de plus de 300 mètres de long. Chaque année, il est procédé à 30 000 interventions sur incidents et accidents.

Monsieur le sénateur, l’entretien de ce réseau est à nos yeux un enjeu majeur de la politique des transports. Vous pouvez compter sur le maintien de l’effort de l’État et sur l’engagement de ses agents pour assurer de bonnes conditions de circulation sur ce réseau qui est absolument stratégique !

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse, mais je ne suis pas complètement rassuré.

Bien entendu, je ne méconnais pas les difficultés budgétaires de notre pays. Je sais aussi que cette situation ne date pas du mois de mai de l’année dernière.

Cela étant, lorsque vous me dites que les moyens consacrés à l’entretien des autoroutes franciliennes sont maintenus au même niveau que par le passé, je crains que ce ne soit pas suffisant, car la situation se dégrade d’année en année. En interrogeant tout récemment le préfet de la Seine-Saint-Denis, j’ai même cru comprendre que, sur certains postes de dépense, les crédits de l’année avaient déjà été entièrement consommés, alors que nous ne sommes qu’au mois de mai ! Madame le ministre, cela suffit à démontrer que les 93 millions d’euros prévus ne sont pas suffisants.

Mon département est celui qui relie la capitale à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, qui est la porte d’entrée en France pour des millions de touristes. Songez à l’image que ceux-ci doivent se forger de notre pays lorsqu’ils empruntent l’autoroute A1 ou l’autoroute A3 ; à mon avis, elle n’est pas très bonne ! Il est vrai que la situation n’est pas plus flatteuse dans les transports en commun, mais, franchement, pour les touristes qui prennent un taxi, la première vision qu’ils ont de la France et de sa capitale doit être assez déplorable !

C’est pourquoi, madame le ministre, j’attire de nouveau l’attention du Gouvernement sur ce problème, en insistant plus particulièrement sur la sécurité des usagers. Je n’ai vraiment jamais vu des nids-de-poule aussi profonds sur des autoroutes aussi fréquentées ! Quand on pense que, de surcroît, ces axes ne sont pas éclairés en pleine nuit, on s’étonne que les accidents graves ne soient pas plus nombreux, ce dont je me félicite évidemment. J’ajoute que ces nids-de-poule sont particulièrement dangereux pour ceux qui circulent en deux-roues car, même en voiture, on est passablement secoué !

J’espère que les efforts budgétaires de l’État pourront être plus importants et je répète qu’il conviendrait peut-être de trouver un accord avec les collectivités territoriales ; par exemple, celles-ci pourraient s’occuper de l’entretien des accès, tandis que l’État centrerait son action sur les voies de circulation elles-mêmes.

coopération européenne en matière de litiges familiaux transfrontaliers

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la question n° 243, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la garde des sceaux, je suis heureuse d’avoir enfin l’occasion de vous interroger sur les litiges familiaux transfrontaliers, un sujet sur lequel j’ai déposé une question écrite il y a près d’un an. J’avais également déposé une question écrite sur l’exécution par la France d’un mandat d’arrêt allemand émis pour recouvrer une créance alimentaire d’environ 5 000 euros ; cette question est restée également sans réponse. Je perçois dans ces retards la marque d’une certaine gêne, qui me semble injustifiée.

En pointant les drames humains engendrés par les divorces transfrontaliers, je ne cherche en aucune façon à stigmatiser tel ou tel État. Je me réjouis d’ailleurs qu’une grande partie des divorces binationaux se résolvent sans drame. Restent des cas, minoritaires mais terriblement douloureux, dans lesquels des enfants sont coupés de tout lien avec l’un de leurs parents. Éluder les problèmes est une attitude qui ne me semble pas responsable ; elle mène inévitablement à un pourrissement auquel, profondément pro-européenne, je ne peux me résoudre.

Madame la garde des sceaux, vous m’avez écrit que « la coopération entre les autorités centrales françaises et allemandes est excellente ». Cette excellence ne viendrait-elle pas d’une tendance de l’autorité centrale française à se déclarer non compétente sur certains dossiers difficiles et à considérer comme forcément légitime toute requête allemande ?

Je ne peux que m’interroger devant les multiples cas qui me sont rapportés. Le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’énumérer les problèmes récurrents, mais je voudrais souligner que ces problèmes ont été soulevés par des parents de toutes nationalités au sein d’instances internationales comme le Parlement européen et le Comité des droits de l’homme de l’ONU. La France serait-elle donc seule à juger qu’il n’y a pas de problème ? Combien faudra-t-il encore de vies brisées et de procédures kafkaïennes avant que notre pays ne réagisse ?

L’Allemagne n’est pas le seul État concerné. Du reste, il ne s’agit nullement de dénigrer les pratiques de nos partenaires, mais d’œuvrer en faveur d’une harmonisation minimale des législations familiales.

Certes, le droit de la famille constitue une prérogative souveraine des États, mais le principe juridique de l’intérêt supérieur de l’enfant est inscrit dans le droit international. Maintenir des contacts personnels avec les deux parents, la fratrie et les grands-parents constitue un droit fondamental des enfants, de même que le droit d’être élevé dans le respect des deux langues.

Les accords européens Bruxelles II bis et Rome III ont constitué une avancée appréciable en limitant les possibilités de recours au tribunal le plus avantageux. Toutefois, ils ont aussi des effets pervers dans la mesure où ils permettent l’application automatique des décisions d’un autre État de l’Union européenne. N’aurait-il pas fallu construire un socle minimal commun en matière de justice familiale avant de supprimer les exequatur ? Quelle est la volonté de la France de pousser à des efforts d’harmonisation des justices familiales en Europe ? Concrètement, dans quelles instances ces négociations pourront-elles se dérouler ?

Compte tenu des tensions observées au Parlement européen lorsque ce thème a été abordé, ne serait-il pas opportun de créer une plateforme favorisant un travail serein mais franc, en bilatéral ou en multilatéral ? Je pense, par exemple, à une commission rassemblant des responsables des administrations concernées, des professionnels de la justice familiale et des parlementaires, ainsi que les Défenseurs des droits et des enfants des États concernés ; elle pourrait travailler à la convergence des législations et des pratiques, mais aussi favoriser un déblocage des dossiers les plus sensibles, par exemple quand des autorités étrangères refusent de reconnaître des décisions de justice françaises.

Organiser des coopérations entre professionnels de la justice familiale des différents États membres pourrait également favoriser une harmonisation par le bas.

Par ailleurs, des efforts pourraient être menés à l’échelle franco-française. En particulier, un contrôle de proportionnalité pourrait être instauré avant l’exécution d’un mandat d’arrêt européen. Certes, un tel contrôle n’est pas explicitement prévu par la réglementation européenne, mais plusieurs pays l’appliquent, répondant en cela aux inquiétudes de la Commission européenne devant la multiplication des mandats d’arrêt européens pour des infractions mineures.

De même, un interlocuteur pourrait être désigné pour accompagner les parents dans les méandres de la coopération judiciaire internationale et les orienter vers des organismes adaptés lorsque l’autorité centrale s’estime non compétente. Dans de nombreux cas, en effet, les parents ne trouvent pas auprès de cette autorité le soutien et l’orientation dont ils ont besoin.

Aujourd’hui, 13 % des couples européens sont binationaux et cette proportion ne cesse d’augmenter ; l’enjeu est donc considérable. Nous ne pouvons plus fermer les yeux : les enfants d’aujourd’hui feront les adultes de demain, en Europe !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je suis profondément désolée que nous ne puissions nous rencontrer qu’aujourd’hui pour traiter de la question que vous soulevez. Cependant, vous le savez, je n’ai aucune influence sur le calendrier des travaux du Sénat.

C’est avec plaisir que je m’apprête à vous répondre, encore que j’aie noté que votre question avait substantiellement changé de contenu. En effet, dans le texte de la question orale tel qu’il a été enregistré, vous évoquiez essentiellement les pétitions présentées devant le Parlement européen et mettant en cause l’Office allemand pour la protection de la jeunesse, dont les décisions se révèlent insatisfaisantes.

Vous êtes aujourd’hui dans une autre « dynamique » puisque vous proposez la mise en place d’une commission et d’un certain nombre de dispositifs permettant de traiter plus efficacement, de façon bilatérale ou multilatérale, les situations en cause. Vous l’avez dit vous-même, et je le confirme, la question concerne non pas uniquement l’Allemagne, mais, d’une manière générale, tous les pays.

Nous avons évidemment le souci de l’harmonisation du droit, sachant que l’absence d’une telle harmonisation peut peser sur les familles concernées.

Nous avons des principes juridiques communs, en l’occurrence ceux de la convention internationale des droits de l’enfant, que la France a signée et ratifiée. Aux termes de l’article 9 de cette convention, il est explicitement précisé que, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, des liens directs et réguliers sont maintenus avec le parent absent.

En revanche, nous n’avons pas un droit de la famille commun avec nos partenaires de l’Union européenne, tout simplement parce que ce droit ne relève pas de la compétence de celle-ci. Cela signifie que l’Union européenne ne peut pas concevoir un instrument juridique qui s’imposerait à tous les États.

Nous avons avec l’Allemagne quelques accords bilatéraux ; je pense notamment à celui qui concerne le régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts. Toutefois, en matière d’autorité parentale, rien de tel n’existe, compte tenu de la réelle difficulté à prendre en compte dans ce cadre les éléments liés à l’histoire, à la culture et à la sociologie des différents pays. Vous connaissez suffisamment le sujet, madame la sénatrice, pour avoir sur ce point la même appréciation que moi !

Pour autant, nous ne sommes pas démunis, même si j’ai bien entendu le jugement en demi-teinte que vous portez sur nos instruments européens et internationaux. Nous pouvons évidemment nous appuyer sur la convention de La Haye relative à l’enlèvement d’enfants, qui permet à la juridiction du pays où l’enfant a été déplacé de décider de son retour immédiat ou de prendre des mesures destinées à assurer la protection du droit de visite.

Cette convention internationale de 1980 a été complétée par un règlement européen adopté en 2003, dit Bruxelles II bis, que vous avez évoqué. Ce texte prévoit la compétence de la juridiction en question, ainsi que la reconnaissance et l’exécution de ses décisions, aussi bien en matière matrimoniale qu’en matière d’autorité parentale. Il s’agit malgré tout, d’une certaine manière, d’une norme juridique commune, dans la mesure où ce règlement s’impose à tous les pays européens. Il permet notamment de prévenir certains risques de décision contradictoire et de garantir la « circulation » des décisions entre les États.

Enfin, nous disposons de la convention de La Haye de 1993, selon laquelle l’autorité parentale définie dans un pays est maintenue en cas de déménagement dans un autre pays.

Mais j’ai bien conscience, madame la sénatrice, que vous connaissez tous ces dispositifs aussi bien que moi.

Sur le plan pratique, je peux simplement vous confirmer nos efforts d’harmonisation. Ils ne peuvent toutefois se déployer, à l’heure actuelle, que dans le cadre de Bruxelles II bis.

Il existe tout de même une certaine contradiction entre le nombre de pétitions présentées au Parlement européen, les alertes que vous recevez manifestement en votre qualité de sénatrice – je sais à quel point vous êtes mobilisée, depuis plusieurs années, sur ces sujets – et les chiffres présentés par le bureau d’entraide civile et commerciale internationale, qui relève de la Chancellerie.

Dans vos propos, vous avez pointé la tendance de ce bureau à se déclarer incompétent. Ce n’est pas ce que révèlent les chiffres, notamment pour l’Allemagne, pays pour lequel je suis en mesure de vous indiquer le nombre d’affaires traitées. Je ne manquerai pas, au demeurant, de vous communiquer le document retraçant ces éléments chiffrés.

Le nombre de dossiers et celui des décisions de retour sont à peu près équilibrés entre les deux pays.

Pour ce qui concerne les dossiers où l’Allemagne est le requérant, huit dossiers ont été clôturés en 2011 et deux en 2012. À ce jour, six dossiers sont en cours, datant de 2012 et 2013, ce qui donne une indication quant aux délais de traitement. Cela signifie en tout cas que notre bureau s’empare bien des dossiers qui lui sont confiés et procède à leur règlement.

Concernant les dossiers où la France est le requérant, cinq dossiers ont été clôturés en 2011 et douze en 2012, dont deux par décision de retour. Les autres clôtures ont été motivées par le désistement ou la carence du requérant, le caractère manifestement mal fondé de la demande ou, heureusement, un accord trouvé entre les parents. Je dis « heureusement » parce que, on le sait, ces contentieux familiaux sont extrêmement douloureux, que ce soit à l’intérieur de l’espace judiciaire européen ou qu’ils impliquent d’autres pays, dans le cadre de conventions bilatérales.

Je peux vous dire qu’il s’agit du contentieux le plus difficile à traiter, à telle enseigne que j’ai mis en place des commissions bilatérales, qui se réunissent parfois à Paris. Avec certains pays, les relations étaient rompues depuis cinq, six, voire dix ans. Face à la douleur des parents et des enfants, qui sont parfois très affligés, j’ai réenclenché tout cela. Ces contentieux doivent être appréhendés avec non seulement la rigueur du droit, mais aussi la délicatesse que suppose la nature du sujet.

Je propose que nous nous revoyions, madame la sénatrice, pour étudier comment nous pourrions mettre en place les propositions que vous formulez aujourd’hui et qui vont au-delà de celles que vous m’aviez initialement adressées.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la ministre, je vous remercie beaucoup de votre réponse et des avancées qu’elle permet d’envisager.

Il s’agit effectivement, vous l’avez souligné vous-même, de cas douloureux. Certaines situations sont absolument tragiques puisque des enfants se voient privés de l’un de leur parent. Nous avons parfois tendance à nous réfugier derrière les chiffres, mais ceux-ci, pour modestes qu’ils soient, cachent autant de situations extrêmement pénibles. Une vie est une vie !

Selon moi, nous devons essayer d’avancer avec le plus de pragmatisme possible. Vous avez évoqué les commissions bilatérales que vous avez mises en place, ce dont je vous félicite très sincèrement.

Une commission bilatérale parlementaire existait avec l’Allemagne. Elle a été supprimée en 2005 au prétexte que l’accord de Bruxelles II bis supprimait les problèmes. Or tel n’est pas le cas.

Je tiens également à rappeler que de nombreux parents, connaissant les difficultés de l’entreprise, n’osent pas alerter les autorités françaises. Ils savent qu’ils n’auront peut-être pas les moyens d’assurer leur défense, en payant un avocat. Ainsi, ils renoncent très souvent à faire valoir leurs droits et en arrivent parfois à adopter des comportements désespérés, comme nous pouvons le voir avec les enlèvements d’enfants.

Je vous remercie de votre proposition, madame la garde des sceaux, et serai très heureuse de travailler avec vous. Nous avons déjà œuvré ensemble sur d’autres sujets totalement différents, et je connais votre détermination.

hauteur du gué du mont-saint-michel

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, auteur de la question n° 173, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.

M. Philippe Bas. Ma question concerne le Mont-Saint-Michel, où un projet très important est envisagé depuis maintenant de nombreuses années, qui consiste à rétablir le caractère maritime du site.

Pour ce faire, la digue-route qui a été construite au xixsiècle sera supprimée et remplacée par une passerelle qui ne fera pas obstacle au passage des flots. Ainsi, le Mont-Saint-Michel retrouvera effectivement son caractère insulaire.

Ce beau projet, qui concerne un élément du patrimoine universel que notre pays a en dépôt, est malheureusement quelque peu terni par la construction d’un gué à la sortie du Mont-Saint-Michel, qui atteindra une hauteur de 7,30 mètres. Naturellement, quand on arrivera sur le site, on ne verra que le Mont-Saint-Michel. Mais quand on en ressortira, on aura face à soi une sorte de barrière de béton constituée par ce gué, qui défigurera donc les abords de l’abbaye.

Pourquoi le construire ? On invoque des impératifs majeurs de sécurité et d’évacuation des visiteurs si, à marée haute, l’un d’entre eux a besoin de secours urgents. Cette raison justifierait, du point de vue de l’administration, dont je reconnais qu’il a été constant jusqu’à présent, de pouvoir évacuer des visiteurs à sec, par ce gué, sur lequel pourront se poser des hélicoptères.

Les associations de défense du site, de nombreux architectes et la population familière du Mont, héritière de celle qui a accompagné la vie de l’abbaye au long des siècles, considèrent que ces arguments de sécurité méritent aujourd’hui d’être réexaminés.

Ma question n’a pas pour objet de demander que l’on renonce immédiatement à la construction de ce gué, quand bien même il défigurerait pendant des décennies les abords du site. Il s’agit de faire part au Gouvernement de notre souhait qu’une étude soit conduite pour essayer de mettre en place des solutions de remplacement qui répondraient autant que ce gué aux exigences de sécurité des visiteurs, mais qui n’auraient pas l’inconvénient de défigurer le site.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de ma collègue Aurélie Filippetti, qui regrette profondément de ne pas pouvoir répondre personnellement à cette question essentielle, sur laquelle elle a tenu à se pencher dans les plus brefs délais. En effet, elle a répondu le 25 octobre dernier à votre courrier du 18 octobre 2012. Elle a donc fait diligence et pris des dispositions pour que l’objet de votre question soit étudié avec la plus grande rigueur. Elle m’a chargée de vous transmettre les éléments suivants.

Depuis plus de dix ans, l’État met avec constance en avant un objectif de sécurité des visiteurs et des personnes qui travaillent ou habitent sur le Mont.

Comme vous l’avez indiqué, témoignant ainsi de la connaissance précise que vous avez du site, le projet de rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel prévoit la suppression des parkings situés au pied du rocher et de la digue-route reliant celui-ci au continent de manière permanente, ouvrage qui serait remplacé par un pont-passerelle prolongé par une jetée. Il est prévu un terre-plein d’accès qui accueillera les visiteurs arrivant du continent par des navettes ou à pied.

Le ministère de la culture et de la communication vous indiquait dans son courrier qu’il envisageait de solliciter un nouvel arbitrage quant à la hauteur du gué, afin de déterminer s’il était possible de limiter l’impact visuel du terre-plein.

Le 5 décembre 2012, s’est tenue une réunion interministérielle à l’issue de laquelle la cote de 7,30 mètres a été confirmée par le Premier ministre. Cette hauteur constitue en effet un compromis entre les considérations de sécurité et la dimension esthétique.

Selon les expertises effectuées en matière de sécurité, tout nouvel abaissement de la cote aurait pour effet d’augmenter la durée d’insularité du Mont, insularité qui serait également plus fréquente et, de surcroît, se produirait lors de périodes de grande fréquentation touristique.

Les moyens de secours que vous évoquez sont performants en période normale, mais il faut tenir compte des situations dégradées. Ainsi, ni les véhicules amphibies ni un hélicoptère ne pourraient, toujours selon ces expertises, procéder à une évacuation de masse en période d’insularité. La prise en compte de ce risque a donc justifié le maintien de la cote de 7,30 mètres.

Mme la ministre de la culture me prie de vous faire savoir qu’elle n’est nullement insensible à l’aspect esthétique des abords du Mont. Personnellement, j’y suis aussi particulièrement attachée, tout comme l’est, je n’en doute pas, M. le ministre de l’éducation nationale. (M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale, acquiesce.)

Nous aurions aimé pouvoir vous satisfaire en abaissant la hauteur de la digue. Vous la souhaiteriez, me semble-t-il, à 6,70 mètres.

M. Philippe Bas. Plus bas encore ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quoi qu’il en soit, je suis sûre que vous partagez nos préoccupations en matière de sécurité.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Votre réponse, madame la ministre, ne me surprend pas. En vérité, nous aurions souhaité, comme nous l’avons demandé à de nombreuses reprises, que les expertises ne soient pas toujours conduites par les mêmes, c'est-à-dire par l’administration, qui n’a aucune raison de se déjuger depuis maintenant plus de dix ans qu’un arbitrage dans le sens que vous avez indiqué a été rendu.

En posant de nouveau cette question, j’étais animé par le souci de convaincre le Gouvernement de donner un caractère plus objectif à sa réponse, que nous percevons un peu comme une réponse d’autorité, en voulant bien confier à une commission indépendante le soin de réexaminer la question en cause.

Bien entendu, aucun d’entre nous ne souhaite prendre le moindre risque en matière de sécurité. Pour autant, les conséquences d’ordre esthétique de l’édification du terre-plein prévu sont tellement graves que la construction de ce gué nous paraît mériter, à tout le moins, un examen complémentaire avant le lancement des travaux, qui est maintenant imminent.

Madame la garde des sceaux, je suis sûr que vous relaierez ma préoccupation auprès de Mme la ministre de la culture, dont c’est la mission de préserver ce joyau du patrimoine universel.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’y veillerai, monsieur le sénateur.

conséquences des erreurs de calcul du prélèvement pour les fonds nationaux de garantie individuelle des ressources

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 385, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaitais attirer l’attention du ministre chargé du budget sur les lourdes conséquences des erreurs commises dans le calcul relatif aux prélèvements effectués au profit du Fonds national de garantie individuelle des ressources, le FNGIR, pour l’année 2011, tout particulièrement dans le département de l’Eure.

Une erreur des services de l’État a entraîné un décalage important entre le montant du FNGIR annoncé et celui qui a été finalement attribué après notification de cette erreur, au mois de juillet 2012.

Dans certains cas, le montant des prélèvements a été fortement augmenté, tandis que dans d’autres, des versements provisionnés au budget ont été remplacés par des prélèvements, ce qui a eu un impact direct et lourd sur l’équilibre des budgets de ces collectivités, et cela dans un contexte budgétaire contraint sur lequel je n’ai pas besoin d’insister.

Pour d’autres communes, le nouveau calcul s’est traduit par une augmentation du versement prévu en 2012. Si cette nouvelle a été accueillie avec satisfaction, elle n’en a pas moins suscité des demandes quant aux sommes qui n’avaient pas été correctement calculées pour l’exercice 2011. En effet, il semble pour le moins anormal que les communes lésées du fait d’une erreur de l’administration ne puissent pas bénéficier des sommes auxquelles elles ont droit au titre de cet exercice. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de communes modestes, pour lesquelles les sommes en jeu représentent une part importante de leur budget.

À ce jour, les services de l’État répondent aux élus que l’évolution du FNGIR ne saurait être rétroactive.

Chacun comprendra aisément que les collectivités concernées ne puissent pas se satisfaire d’une telle réponse, d’autant que, dans certains cas, cette erreur a eu d’autres conséquences.

Ainsi, en raison du montant du versement au titre du FNGIR au 1er janvier 2012, transformé cependant par la suite en prélèvement, la commune de Saint-Thurien a été exclue de la catégorie des communes défavorisées au titre du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, se voyant ainsi infliger une double peine.

L’exaspération des élus est d’autant plus forte que, dès le mois de mars 2011, certains d’entre eux, notamment ceux de la commune d’Igoville, avaient alerté les services de l’État sur cette erreur de calcul, sans toutefois obtenir de réponse.

Dans ce contexte, je ne suis pas étonné que certaines collectivités aient d’ores et déjà décidé d’attaquer l’État en justice, comme l’atteste un récent reportage diffusé à la télévision. Je crains que d’autres communes ou communautés de communes ne s’engagent dans cette voie si aucune réponse satisfaisante ne leur est apportée.

Aussi, je souhaite savoir quelles solutions le Gouvernement envisage de mettre en œuvre pour corriger les conséquences des erreurs commises par ses services et dans quels délais.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, M. le ministre chargé du budget vous prie de l’excuser de ne pouvoir être présent ce matin pour répondre directement à votre question. Il a veillé à me procurer des éléments de réponse, que je suis chargée de vous communiquer.

Vous avez appelé l’attention du Gouvernement sur les conséquences des erreurs de calcul portant sur les prélèvements effectués par les services de l’État sur les collectivités locales au profit du Fonds national de garantie individuelle des ressources.

Le FNGIR a été créé dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle et visait à faire financer par les collectivités bénéficiaires de la réforme une partie du coût de celle-ci pour les collectivités perdantes, le reste étant financé par la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle. C’est pour cette raison que le FNGIR est, par nature, équilibré.

Les montants versés ou prélevés ont été calculés pour la première fois en 2011, après comparaison effectuée pour chacune de ces sommes avant et après la réforme sur la base des données alors disponibles.

La loi de finances rectificative pour 2011 a ouvert aux collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre la possibilité de signaler à l’administration fiscale, jusqu’au 30 juin 2012, toute erreur intervenue dans le calcul de la dotation de compensation et de la garantie individuelle de ressources réalisé en 2011 par les services de la direction générale des finances publiques.

Selon le ministère du budget, des erreurs en nombre limité ont été relevées tant par les collectivités locales que par les services de l’État. Elles ont été prises en compte lorsqu’ont été recalculées, à l’été 2012, les attributions au titre de la dotation précitée et les sommes liées au fonctionnement du FNGIR. Les montants ainsi rectifiés ont été notifiés aux collectivités locales au mois d’octobre suivant.

L’absence d’effet rétroactif sur l’année 2011 est conforme à la loi et s’explique par la volonté du législateur de n’autoriser les corrections que pour l’avenir, cela afin de préserver l’équilibre du FNGIR au titre des exercices passés.

Monsieur le sénateur, le non-reversement des sommes non perçues par les collectivités apparaît comme le pendant de l’absence d’obligation pour les collectivités ayant bénéficié d’un trop-perçu de reverser celui-ci, une absence d’obligation que vous avez jugé bienvenue lorsque vous avez posé votre question.

J’ai noté que vous vous préoccupiez également de la situation des collectivités qui se voyaient exclues de la catégorie des collectivités défavorisées alors qu’elles étaient en fait pénalisées par cette réforme. Toutefois, cet élément ne figurait pas dans la présentation écrite de votre question. C’est pourquoi le ministre chargé du budget n’a pas fourni de réponse sur ce point. Pour ma part, je m’engage à faire part à mon collègue de cette préoccupation, de façon qu’il vous réponde directement sur ce point particulier.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Madame le garde des sceaux, au début de votre réponse, vous avez rappelé en quoi consistait le dispositif du FNGIR. Au risque de me montrer discourtois, ce dont je vous prie de m’excuser, je vous avouerai que ce rappel ne m’a pas apporté grand-chose.

Par ailleurs, selon le ministère du budget, le nombre d’erreurs commises par les services départementaux de l’État serait limité. À l’échelle globale du territoire, je n’en doute pas. À l’échelon départemental, en revanche, ce nombre n’est pas anodin. À titre d’exemple, dans le département de l’Eure, dont je suis élu, plus de 440 communes sur 675 ont été touchées par de telles erreurs. Et l’Eure n’est pas seule concernée puisque le reportage auquel j’ai fait allusion évoquait le cas d’une tout autre région.

Dès lors que les services de l’État ont commis une erreur – ceux de mon département n’en disconviennent pas –, l’État doit la réparer, indépendamment du coût induit.

Madame le garde des sceaux, dans votre réponse, vous avez indiqué que les communes avaient été appelées à signaler les erreurs de calcul avant le mois de juin. Or, je le répète, les élus de la commune d’Igoville ont adressé dès le mois de mars des courriers à l’administration et aux services de l’État du département signalant l’erreur de calcul sans obtenir aucune réponse.

Certes, je me suis permis d’ajouter une précision en séance par rapport à la version écrite de ma question, car un maire m’a saisi et m’a expliqué qu’une erreur de calcul avait conduit à l’exclusion de sa commune des communes défavorisées en raison de la prise en compte de la notification au 1er janvier 2012, même si celle-ci a ensuite été corrigée. De ce fait, alors que sa municipalité devait recevoir un complément, elle a supporté un prélèvement. Par conséquent, elle a subi, tout comme d’autres collectivités, une double peine.

Je suis bien conscient, madame la garde des sceaux, que ce sujet ne relève pas de votre compétence directe. J’aimerais que vous en parliez au ministre chargé du budget. Dès lors que les services de l’État ont commis une erreur, l’État doit l’assumer, particulièrement lorsqu’elle a été signalée suffisamment tôt et lorsqu’elle conduit à l’application d’une double peine.

À défaut de pouvoir m’adresser personnellement à votre collègue, je compte sur votre force de persuasion et de conviction pour être mon relais auprès de lui.

fermeture d'une section professionnelle au lycée de masevaux

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, auteur de la question n° 404, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le projet de fermeture de la section « commerce » du baccalauréat professionnel au sein du lycée Joseph-Vogt de Masevaux.

Dans l’unique lycée de la vallée de Masevaux, cette fermeture obligerait les élèves à se déplacer bien plus loin, vers Mulhouse. Il est tenu pour certain que les résultats scolaires de nombreux élèves subissant une telle contrainte s’en ressentiraient.

Dispensée depuis trois ans, cette formation enregistre un taux de réussite de 100 %. L’établissement secondaire peut également se targuer d’avoir obtenu la moitié des mentions « très bien » décrochées dans le Haut-Rhin lors de la session de 2012. Dès lors, pourquoi vouloir fermer une section qui donne pleine et entière satisfaction ?

Alors que, chaque année, quelque 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune qualification, il demeure essentiel de promouvoir cette formation de proximité, porteuse d’avenir pour nos jeunes.

La directrice académique des services de l’éducation nationale du Haut-Rhin tout comme l’inspecteur d’académie de la circonscription se sont rendus sur place, afin d’échanger sur le devenir de cette formation : je salue évidemment cette volonté de dialogue avec le corps enseignant. Mais cette fermeture relève des plus hautes instances. C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de ne pas vous arrêter au seul aspect quantitatif des effectifs. Il faut considérer l’aspect humain et non comptable du problème.

L’argument relatif aux faibles effectifs n’est nullement recevable, car on ne peut que se poser la question suivante : comment faire en sorte d’augmenter les effectifs ? Certainement pas en prévoyant une disparition de la filière ! En réalité, le maintien de cette section correspond à une forte demande sur le territoire. Dès lors, monsieur le ministre, comment entendez-vous pérenniser cette formation dispensée au lycée de Masevaux ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Madame la sénatrice, nous n’ignorons pas la réalité du constat que vous avez rappelé : chaque année, environ 140 000 jeunes sortent du système éducatif sans qualification, et cette situation est effectivement insupportable.

Je vous rejoins donc pleinement sur la nécessité de lutter contre le décrochage scolaire. Aussi ai-je fixé comme objectif de faire « raccrocher », dès cette année, 20 000 jeunes par an. À travers le renforcement des 360 plates-formes de suivi installées par mon prédécesseur, nous avons rendu le dispositif plus réactif et plus cohérent ; nous avons mieux coordonné les acteurs. D’ores et déjà, nous avons obtenu des résultats significatifs. L’objectif que j’ai indiqué sera donc atteint, ce dont nous pouvons nous réjouir.

Sa réalisation suppose aussi la rationalisation des moyens supplémentaires que le Président de la République a accordés à l’éducation nationale, ce qui ne s’était pas vu depuis bien longtemps.

S’agissant plus particulièrement de la situation du lycée professionnel Joseph-Vogt, je souhaite vous apporter les informations suivantes.

Cet établissement rencontre depuis plusieurs années des difficultés de recrutement et dispose actuellement d’une capacité de soixante-neuf places pour quatre secondes professionnelles. La section « accompagnement, soins et services à la personne », qui dispose de trente places, enregistre un taux de remplissage de 100 % ; la section « commerce » affiche sept inscrits pour douze places ; la filière « gestion des administrations » compte huit inscrits pour douze places ; la filière « électrotechnique » enregistre douze inscrits pour quinze places.

Dans ce contexte, il a paru nécessaire de rééquilibrer la carte des formations en fermant la section « commerce » du baccalauréat professionnel dès la prochaine rentrée. Je précise que, lors de la dernière rentrée, seuls quatre élèves avaient opté pour la section « commerce » en premier vœu.

La fermeture de cette section permettra, sans toutefois remettre en cause les moyens octroyés au lycée, de mieux privilégier la cohérence de la carte de formation au sein de l’académie, clé de réussite des élèves, mais l’organisation de vie des lycéens ne s’en trouvera pas pour autant lourdement perturbée. En effet, les élèves du secteur de Masevaux, qui sont peu nombreux, devraient être accueillis en seconde professionnelle « commerce » au lycée de Thann, situé à trente minutes en transport scolaire.

Au-delà de cette question, je tiens à vous rassurer, madame la sénatrice, quant à l’inquiétude légitime que vous avez exprimée au sujet de l’avenir du lycée Joseph-Vogt. La capacité d’accueil post-troisième restera intégralement préservée par l’ouverture du CAP « assistant technique en milieu familial et collectif », doté également d’une capacité de douze élèves. L’établissement pourra ainsi présenter une offre de formation cohérente puisque, dans le secteur des services à la personne, il disposera d’une filière complète, allant du CAP au baccalauréat professionnel.

Nous sommes d’accord sur les objectifs à atteindre. Nous le savons, la décision de fermeture de la section « commerce » soulève des difficultés, même si elle ne concerne que quatre élèves. Nous améliorons cependant l’offre de formation. Vous avez pu le constater, madame la sénatrice, nous avons engagé un dialogue, en liaison avec les autorités académiques et les élus, pour que toutes les parties concernées – les parents, les élèves, les élus – comprennent que nous agissons dans l’intérêt même des élèves et dans celui du département.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse très précise. Vous vous êtes bien renseigné sur la situation de ce lycée !

Évidemment, nous partageons tous ici une même ambition : celle d’amener nos jeunes vers un emploi.

Contrairement à ce que vous avez dit, la décision de fermeture aura bel et bien un impact sur les jeunes concernés : alors que la vallée de Masevaux est assez difficile d’accès, ils devront trouver une solution pour se rendre au lycée de Thann. Il est vrai que l’effectif n’est que de quatre élèves, mais l’annonce de la fermeture de la section n’a certainement pas incité les jeunes à s’y inscrire.

Je le répète, notre ambition commune est d’accompagner nos jeunes le plus loin possible dans l’acquisition d’une qualification qui puisse déboucher sur un emploi.

hausse du chômage en alsace

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, auteur de la question n° 425, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

M. André Reichardt. Monsieur le ministre, les chiffres du chômage au niveau national pour le mois de mars dernier sont de nouveau mauvais, avec 36 900 chômeurs supplémentaires, ce qui représente une hausse de 1,2 %. Avec une augmentation de 11,5 % en une année, le taux de chômage s’établit aujourd'hui dans notre pays à 10,6 %.

En Alsace, la situation n’est pas meilleure, il s’en faut. Notre région, qui affichait encore récemment, vous le savez sans doute, le taux de chômage le plus faible de France, compte aujourd'hui 90 900 chômeurs, soit près du double du chiffre de la fin des années quatre-vingt-dix. En un an, la hausse du chômage a été de 12,6 %, ce qui représente une hausse supérieure de plus d’un point au pourcentage d’augmentation national. Comme cela est fréquemment le cas, les seniors et les jeunes sont les catégories les plus touchées : celle des plus de cinquante ans a vu son taux de chômage grimper de 2,5 % le mois dernier et de 18,6 % en un an. De ce fait, le nombre de bénéficiaires du RSA s’accroît. Aujourd’hui, en Alsace, près d’un chômeur sur cinq touche le revenu de solidarité active !

La situation ne semble pas près de s’améliorer puisque les offres collectées par Pôle emploi dans la région Alsace ont encore une fois chuté ces trois derniers mois.

Le Haut-Rhin, notamment, est particulièrement touché, frappé qu’il est de plein fouet par la désindustrialisation, avec une nouvelle vague de suppressions de postes et de restructurations, notamment dans la région colmarienne. L’emploi industriel y est à la peine, surtout dans les grosses structures.

Mais les TPE, les très petites entreprises, en Alsace comme dans l’ensemble du pays, ne sont pas très bien loties non plus : leur croissance a été quasi-nulle en 2012 et près de la moitié d’entre elles ont enregistré une baisse de leurs ventes. Seules 7 % de nos TPE prévoient de recruter cette année.

La principale difficulté recensée concerne la compétitivité insuffisante de nos entreprises : ce n’est pas un scoop 

Votre gouvernement a mis en place divers dispositifs qui avaient pour but de permettre à ces entreprises de retrouver la compétitivité souhaitée. Force est, hélas, de constater qu’ils échouent à renverser la tendance !

À titre d’exemple, dans le secteur du bâtiment, les mesures annoncées par le Président de la République en faveur du logement social et de la rénovation énergétique sont insuffisantes et n’induisent pas l’élan nécessaire.

Dans ce domaine, je souhaite évoquer deux leviers essentiels à la reprise d’activité. Il s’agit, d’une part, de la TVA à 5,5 % pour la rénovation des logements et, d’autre part, de ce que la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment appelle la « lutte pour la moralisation de la vie économique », au travers de l’assainissement du régime des auto-entrepreneurs.

Monsieur le ministre, votre gouvernement a encore toute possibilité d’appliquer au 1er janvier 2014 la TVA à 5,5 % sur la rénovation des logements, et pas uniquement sur les travaux d’économie d’énergie : faites-le !

Je souhaite également attirer votre attention sur la diminution importante du nombre de prêts bancaires. À titre d’exemple, d’après les données fournies par une grande banque alsacienne, les crédits à la consommation ont chuté de 11,9% par rapport à mars 2012 et les crédits immobiliers, de 22,8%. Cette baisse, très significative, est inquiétante.

Face à cette situation, quelles sont les nouvelles mesures que le Gouvernement compte mettre en œuvre, et le plus rapidement possible, pour endiguer le fléau que constitue le chômage ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le sénateur, le tableau très sombre que vous avez dressé correspond malheureusement à l’exacte réalité vécue par notre nation, votre région et votre département. Cet état de fait est le résultat d’une dégradation, ancienne et continue, de la compétitivité française, qui a conduit à un creusement du déficit de notre commerce extérieur, à une augmentation d’un million du nombre de chômeurs depuis cinq ans et au grave déséquilibre de nos comptes publics. Bref, les indicateurs sont en tout point inquiétants, et ce depuis des années.

Le Gouvernement a décidé, même si cela doit lui coûter en popularité, de prendre très sérieusement en compte la situation difficile dont témoignent ces différents indicateurs structurels, en intervenant pour maîtriser les déficits publics, pour offrir un meilleur accès au crédit, avec la création de la Banque publique d’investissement, pour mettre en œuvre des mesures qui n’ont, il est vrai, pas encore produit leurs pleins effets – je pense notamment aux contrats de génération et aux emplois d’avenir.

Le Gouvernement s’est attaqué à un certain nombre de réformes structurelles, en particulier au fameux « coût du travail », qui est un facteur clé de la compétitivité, suivant en cela les recommandations du rapport Gallois.

On peut toujours penser, à l’instar du Président de la République – et c'est aussi ce que vous pensez –, que les choses ne vont pas assez vite, mais ces dispositifs sont maintenant en place.

Je veux également mentionner la réforme du marché du travail, qui offre sans doute plus de sécurité aux salariés, mais donne aussi davantage de flexibilité aux entreprises, afin que l’emploi ne soit pas en permanence la variable d’ajustement et que, dans la période très difficile que nous traversons, les entreprises puissent s’adapter.

Vous le savez, monsieur le sénateur, toutes ces mesures ont été prises en peu de temps. Et, pour répondre précisément à votre question, je puis vous dire que d’autres sont annoncées : je pense à la réforme de la formation professionnelle, qui est actuellement si insatisfaisante, aux 2 000 emplois que le Premier ministre vient d’accorder à Pôle emploi pour accompagner les demandeurs d’emploi dans la recherche d’un travail, la formation et la qualification.

Toutes ces mesures doivent concourir à la reprise, faciliter le travail des entreprises, améliorer leur compétitivité, permettre de mieux former nos salariés, sans dégrader en rien les mécanismes d’assistance – c'est même tout le contraire s’agissant du RSA – destinés à ceux qui sont malheureusement dans une situation très difficile.

Cette action doit être poursuivie dans la durée. Le Président de la République l’a dit, elle devra si nécessaire être accentuée, car le défi est pour nous tous considérable. Voilà environ vingt ans, naissait l’expression de « préférence française pour le chômage ». Ces dernières années, malgré l’alternance politique, la croissance faible, voire nulle, n’a hélas pas permis de l’invalider. Le temps est venu de ce que nous appelons le redressement de la France. Pour cela, nous avons besoin de toutes les énergies.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Je ne vous surprendrai pas, monsieur le ministre, en vous disant que votre réponse ne me satisfait pas. Vous me citez les éléments de la « boîte à outils », pour reprendre l’expression du Président de la République.

Malheureusement, comme vous l’avez d’ailleurs reconnu vous-même, le moins que l’on puisse dire est que les outils que renferme cette boîte ne produisent pas vraiment d’effets, et cela, selon moi, pour une raison majeure : elle est davantage conçue pour accompagner la croissance que pour la susciter.

Nous avons besoin de mesures favorisant la croissance, particulièrement en Alsace.

Nous sommes en compétition avec des régions économiquement très importantes ; je pense en particulier au Bade-Wurtemberg, en Allemagne, et aux cantons du nord-est de la Suisse, qui sont de véritables locomotives pour ces deux pays. Dans ces conditions, je peux vous le garantir, chaque jour qui passe est un jour perdu pour la compétitivité de nos entreprises.

J’ajoute que le crédit d’impôt compétitivité ne profite pas à tout notre tissu alsacien de petites entreprises individuelles puisque, pour en bénéficier, il faut verser des salaires. Ce dispositif ne permet donc pas de répondre à la situation tout à fait catastrophique dans laquelle se trouvent les TPE d’Alsace.

Monsieur le ministre, je voudrais, en dehors de toute polémique, vous prier de bien vouloir relayer au plus haut niveau ces inquiétudes alsaciennes. Je le répète, nous ne sommes pas une région comme une autre puisque nous sommes en compétition avec des entreprises qui, à l’heure actuelle, nous laminent. Nous vivons un véritable drame, dont je tenais à vous faire prendre conscience.

redevance pour prélèvement d'eau

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras, auteur de la question n° 204, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Bernard Piras. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur la mise en œuvre de l’arrêté du 19 décembre 2011 relatif à la mesure des prélèvements d’eau et aux modalités de calcul de l’assiette de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau.

Cette disposition, qui instaure une redevance pour prélèvement d’eau, assise sur les volumes d’eau prélevés, est entrée en vigueur le 1er janvier 2012. Ainsi, chaque ouvrage de prélèvement doit être doté d’un équipement de mesure directe des volumes d’eau prélevés, lequel devra être remplacé ou remis à neuf tous les neuf ans ou bien faire l’objet d’un diagnostic de fonctionnement tous les sept ans.

Or la mise en œuvre de cet arrêté s’avère irréalisable pour certaines communes, notamment celles qui sont de petite taille. Je peux citer l’exemple d’une commune de mon département qui dispose de neuf réseaux d’eau pour 104 abonnés en tout, certains de ces réseaux ne desservant que quatre abonnés.

L’investissement engendré par cette mesure sera très lourd. Pour ces communes, l’estimation des consommations serait très aisée avec un simple relevé des compteurs d’abonnés.

Je souhaite donc savoir s’il est envisagé de prendre en considération ces situations bien particulières et de prévoir des adaptations à la mise en œuvre de cet arrêté.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser Delphine Batho, qui m’a demandé de la remplacer pour répondre à votre question.

Le Gouvernement a bien conscience des difficultés rencontrées par les communes de petite taille pour installer des instruments de mesure de l’eau prélevée à des fins de production d’eau potable et pour respecter les obligations relatives à leur bon état de fonctionnement.

Les évolutions des besoins en eau des divers usagers, conjuguées aux incertitudes liées au changement climatique, imposent d’adapter les prélèvements et de mettre en place des actions favorisant une gestion équilibrée de la ressource en eau.

La redevance pour prélèvement sur la ressource en eau, instaurée par la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, et reprise par la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, permet de répondre, par son caractère incitatif, à cet objectif ambitieux.

Ainsi, en application de l’article L. 213-10-9 du code de l’environnement et de ses décrets d’application, l’arrêté du 19 décembre 2011 relatif à la mesure des prélèvements d’eau et aux modalités de calcul de l’assiette de cette redevance rappelle le principe de l’obligation de comptage de l’eau au moyen d’une installation de mesure directe des volumes d’eau prélevés.

Toutefois, l’arrêté prévoit que les obligations incombant à certains usagers peuvent être assouplies en cas de situation avérée d’impossibilité technique ou financière d’installer des instruments de mesure directe des volumes d’eau prélevés. Des solutions de remplacement telles que le recours à des méthodes de mesure indirecte sont alors proposées.

En particulier, pour les prélèvements d’eau concernant les services d’eau potable des communes de petite taille, l’article 8 de cet arrêté prévoit que, en cas d’absence d’installation de mesure au point de prélèvement, le volume d’eau prélevé peut être déterminé au moyen d’installations de mesure situées directement en aval du dispositif de traitement de l’eau.

C’est donc avec pragmatisme et dans une recherche de compromis que les agences de l’eau étudieront les situations particulières de chaque service d’eau potable au regard de ses capacités techniques et financières.

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.

M. Bernard Piras. Par votre intermédiaire, madame la ministre, je voudrais dire à Mme Batho que, bien entendu, nous adhérons pleinement aux objectifs qui sont poursuivis et que la réponse qu’elle m’a apportée par votre intermédiaire est satisfaisante. Il faudra cependant veiller à ce que les agences de l’eau se montrent pragmatiques, de manière à ne pas mettre dans l’embarras certaines petites communes.

cohérence du tri et de la collecte des ordures ménagères

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 337, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Jean Boyer. Dans le prolongement de nos préoccupations liées aux territoires et à la mise en place d’une véritable cohérence en matière d’aménagement, je me permets d’attirer l’attention du Gouvernement sur la situation très paradoxale du tri et de la collecte des ordures ménagères.

En effet, les nombreuses consignes existant en la matière sont loin d'être uniformisées sur l'ensemble du territoire. La France est, certes, un pays décentralisé, mais elle n'a pas su, pour l'instant, adopter un régime cohérent quant à la collecte et au tri des ordures ménagères.

Comme vous le savez, madame la ministre, les déchets n’ont pas de frontières. Leur tri sélectif ne devrait donc pas en avoir non plus ! Pourquoi édicter presque autant de normes qu'il y a de syndicats intercommunaux ou de collecte et de traitement des ordures ménagères ? Nos concitoyens ne s’y retrouvent plus, surtout lorsqu’ils déménagent dans une autre zone ou, simplement, partent en vacances...

Aménageons avec cohérence notre territoire, sans recourir à des normes toujours plus draconiennes et parfois sans fondements précis.

Il est nécessaire de clarifier cette démarche de tri sélectif et de lui donner plus de transparence par une initiative de simplification ; après tout, ce n’est qu’affaire de logique !

Ne faudrait-il pas mettre en place des filières de tri innovantes, qui encourageraient ces opérations de tri et, par là même, engendreraient une diminution des coûts d’exploitation ?

De la même manière, comment communiquer et apporter une juste information si, d'un syndicat à l'autre, d'une communauté de communes à l'autre, d'un département à l’autre, d'une région à l'autre, les règles sont différentes, voire contradictoires ?

Nous parlons souvent de simplification des normes. Dans cette affaire de tri, la simplification ne serait-elle pas précisément source d'économies et de bonne gestion des deniers publics ? Certes, il n’est pas aisé de faire prendre conscience à nos concitoyens de l’importance du tri, alors même que l’assiette de la contribution pour ce service croît chaque année.

Madame la ministre, je sais qu’il s’agit là d’un sujet délicat, pour lequel les gouvernements précédents n’ont pas trouvé de solution idéale. Et puis, reconnaissons-le, le dossier des ordures ménagères n’est pas celui qui apparaît comme le plus noble !

Quoi qu'il en soit, de quelle manière le Gouvernement entend-il améliorer et optimiser les règles en matière de tri, car cela devient indispensable ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser Delphine Batho, que je supplée ce matin.

Le Gouvernement partage pleinement votre souci de simplification et d'harmonisation des normes.

Comme vous le savez, le 16 avril dernier, les états généraux de la modernisation du droit de l'environnement ont été lancés. Ils ont vocation à aborder notamment la question des déchets, de leur tri et de leur collecte, dont votre question souligne légitimement l'hétérogénéité dans les territoires.

La simplification du tri est déjà bien identifiée comme l'un des principaux leviers permettant d'améliorer la performance globale de la collecte sélective des déchets en France, et d'atteindre ainsi l'objectif national de 75 % de « recyclage matière et organique » pour les déchets d'emballages ménagers. Elle permettra également, comme vous le souhaitez, monsieur le sénateur, de maîtriser les coûts de la collecte sélective.

Le succès de cette simplification repose essentiellement sur le geste initial de tri des Français, qu'il s'agit de rendre plus simple. Plusieurs mesures visent déjà à répondre à cette problématique.

D’abord, une harmonisation sur l'ensemble du territoire national des consignes de tri des emballages ménagers relevant d'une collecte sélective se trouve déjà prévue par le code de l'environnement. La liste des types de déchets concernés, définie réglementairement, s'imposera à toutes les collectivités territoriales, ainsi qu'aux entités privées proposant une collecte sélective, à compter du 1er janvier 2015.

Ensuite, le code de l'environnement prévoit que tout produit recyclable soumis à un dispositif de responsabilité élargie des producteurs doit faire l'objet d'une signalétique commune informant le consommateur que ce produit relève d'une consigne de tri. Une campagne de communication nationale est prévue au cours des années 2013 et 2015, ainsi qu'une plate-forme Internet donnant une information sur les modalités de collecte séparée de chaque collectivité territoriale. À cette fin, un projet de décret élaboré en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés devrait être publié dans les prochaines semaines.

Une troisième mesure consiste à optimiser la collecte sélective de déchets particuliers, qui posent des problèmes spécifiques.

Pour les déchets d'emballage ménager, une expérimentation d'envergure est en cours afin de déterminer l'opportunité de l'extension des consignes de tri à tout ou partie des déchets d'emballages ménagers en plastique.

Cette expérimentation, engagée par les éco-organismes Eco-Emballages et Adelphe en 2012, repose sur trois axes : l'amélioration de la « recyclabilité », l'expérimentation d'une consigne de tri étendue aux barquettes et aux films en plastique, le développement des débouchés pour ces matériaux, dans une logique d'économie circulaire. Elle permettra, en lien avec les collectivités territoriales, de déterminer la consigne de tri considérée comme la plus simple par les citoyens.

Enfin, une étude prospective de long terme sur l'optimisation des collectes sélectives des emballages ménagers et des papiers a été engagée en janvier 2013 par le ministère de l'écologie. Elle doit être achevée avant la fin de l'année. Elle permettra de déterminer les leviers permettant d’améliorer ces collectes sélectives.

J'ajoute, monsieur le sénateur, que la prochaine conférence environnementale, en septembre 2013, comportera un groupe de travail dédié à l'économie circulaire et aux déchets qui fixera la feuille de route du Gouvernement sur ces sujets pour l'année 2014.

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Madame la ministre, vous avez pu le constater au travers de mes propos, je n’ignore pas que le sujet est délicat. Depuis une trentaine d’années, beaucoup de chemin a été parcouru. C'est l’état d’esprit qu’il convient dorénavant de faire évoluer, et je sais que le gouvernement actuel y travaille.

Cependant, les problèmes qui sont liés à la collecte des ordures ménagères, ces incohérences que j’ai soulignées, sont peut-être plus d’actualité dans le monde rural que dans le monde urbain. En effet, dans le monde rural, en matière d’ordures ménagères comme dans d’autres domaines, les structures sont nombreuses et la politique qui y est menée est nécessairement moins unifiée que dans une grande ville.

Il faut évoluer dans le sens d’une plus grande transparence, elle-même source de sécurité dans l’esprit des populations. Vous le savez, madame la ministre, dès qu’il se fait quelque chose, le pays s’enflamme, et il est beaucoup plus facile d’effrayer que de rassurer.

Ce nouvel état d’esprit doit être alimenté par une politique d’information qui rassure quant à l’évolution de notre société, quant à la France de demain et à la propreté de notre pays.

lutte contre l’éco-mafia

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, auteur de la question n° 342, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Gilbert Roger. Je souhaitais attirer l’attention du Gouvernement et, en particulier, de Mme la ministre de l'écologie, sur la gestion, depuis plus de vingt ans, par la criminalité organisée via certaines sociétés ou certains intermédiaires crapuleux, de plusieurs millions de tonnes de déchets de produits radioactifs et toxiques qui, transportés de l'Europe vers l'Afrique et l'Asie, transitent chaque année par la mer Méditerranée, avec la complicité de certains gouvernements.

Ces déchets dangereux, acheminés par des bateaux dénommés « navires de venins », sont ensuite coulés au large des côtes méditerranéennes. Des réponses transfrontalières de lutte contre ce trafic – d'autant plus important qu'il s'internationalise – s’imposent.

Le phénomène des éco-mafias s'étant développé de façon exponentielle ces dernières années, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre, en concertation avec les autres gouvernements des pays de la région méditerranéenne, pour favoriser la protection des eaux de la pollution et la répression des trafics illicites de déchets ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Monsieur le sénateur, la France, deuxième puissance maritime du monde, est présente sur quatre océans.

Elle est déterminée à devenir une nation de l'excellence environnementale, comme l'a affirmé avec force le Président de la République lors de la conférence environnementale, et se veut porteuse d'un nouveau message universel concernant la préservation de la biodiversité marine et la gouvernance des océans.

Malgré toute sa richesse, et malgré l'étendue des océans, la biodiversité marine est fragile et soumise à de nombreuses pressions. À l'échelle mondiale, plus de vingt espèces marines ont d'ores et déjà disparu du fait de l'homme.

De multiples pressions, anciennes et nouvelles, affectent en particulier la haute mer ; celle que vous évoquez, monsieur le sénateur, constitue un fléau que la France entend combattre de manière inflexible. Car la France ne peut rester passive face à la dégradation de la haute mer.

C'est le sens de l'action de Frédéric Cuvillier, ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche, pour la promotion d'une politique maritime intégrée, fondée sur une approche écosystémique et sur l’évolution des pratiques des professionnels.

Comme vous le savez, concernant la lutte contre les navires poubelles et l'éco-mafia, les transferts transfrontaliers de déchets sont régis par le règlement n° 1013/2006 ainsi que, au niveau international, par la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination.

Cette convention internationale, entrée en vigueur en mai 1992, a été ratifiée par plus de 170 pays dont les pays de la région méditerranéenne. Cette coopération entre pays vise à la protection de la santé humaine et de l'environnement en instaurant un système d'autorisation de transferts entre gouvernements et en restreignant les mouvements de déchets dangereux.

Au niveau national, les services des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement – DREAL – sont activement mobilisés sur le contrôle des transferts de déchets dangereux, qu'il s'agisse d'importations ou d'exportations. Ils travaillent, en étroite collaboration avec les services des douanes, à l'identification de ces trafics illicites de déchets.

Un protocole de coopération national entre les services des douanes et les services de la direction générale de la prévention des risques est actuellement en cours d'élaboration. Il a pour but de renforcer la répression des transferts illicites et le contrôle des conteneurs exportés et importés lors d’interventions réalisées, notamment, dans le domaine portuaire.

En effet, c'est bien dans le renforcement du contrôle que réside l'essentiel de la réponse à apporter au développement de l'éco-mafia. Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement y travaille activement.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Je pense que nous pourrions suggérer de faire faire un bilan, au moins à l’échelon européen, sur la façon dont nous agissons collectivement autour du bassin méditerranéen pour endiguer ce fléau. Nous sommes quelques parlementaires liés à la Méditerranée à faire ensemble le point sur la question – je pense notamment à des collègues italiens – et nous constatons malheureusement que ce trafic connaît un grand développement.

C'est la cause d’une dégradation de la biodiversité, mais ce sont des masses financières colossales qui sont en jeu…

6

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et une candidature pour la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.

Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré.

La Présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- M. Michel Billout, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Paul Vergès, démissionnaire ;

- et M. Paul Vergès, membre de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique, en remplacement de M. Michel Billout, démissionnaire.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, levée à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer
Discussion générale (suite)

Qualité de l'offre alimentaire en outre-mer

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer (proposition n° 460, texte de la commission n° 572, rapport n° 571).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une proposition de loi importante qui est soumise aujourd’hui à votre examen. C’est un texte de santé publique et c’est aussi un texte d’égalité visant à mettre un terme à des pratiques discriminantes appliquées en outre-mer depuis bien trop longtemps.

En effet, depuis des années, les habitants des outre-mer consomment des aliments – principalement des boissons et des spécialités laitières – qui présentent des surdosages en sucre par rapport aux mêmes produits de mêmes marques commercialisés en France hexagonale.

Depuis des années, des citoyens français, sur des territoires français, consomment dès leur plus jeune âge des aliments et des boissons dont la composition en sucre a des effets désastreux sur la santé, comme le prouve la prévalence du diabète et de l’obésité outre-mer. Et, depuis des années, après l’indifférence, nous entendons les dénégations des industriels qui n’hésitent pas à affirmer que les habitants des outre-mer sont, comme naturellement, plus friands de sucre que les autres Français et qu’ils sont eux-mêmes demandeurs de ces excès !

Ce texte de loi est la seconde tentative de mettre un terme à ces pratiques. Il y a deux ans, à l’Assemblée nationale, malgré des faits, des analyses, des chiffres, des enquêtes épidémiologiques, malgré des preuves incontestables qui avaient suscité la stupéfaction des députés découvrant l’existence de pratiques ahurissantes, la proposition de loi que je défendais alors comme parlementaire avait été rejetée à quelques voix près. Pourtant, nous ne demandions qu’une chose : que les taux de sucre dans les aliments et les boissons outre-mer soient alignés sur ceux qui sont pratiqués dans l’Hexagone !

Outre les raisons purement politiciennes qui furent à l’origine de ce rejet in extremis, les arguments d’alors sont, à peu de chose près, ceux que nous avons pu entendre de nouveau en commission et dans les débats à l’Assemblée nationale : « C’est du domaine réglementaire… Un simple décret et le tour est joué… Pourquoi ne pas conclure des chartes de bonne conduite avec les industriels ?... »

Nous étions en octobre 2011 et, je le dis avec gravité, nous avons perdu un temps précieux durant lequel il ne s’est rien passé. Rien : ni décret ni engagement volontaire des industriels ! Les pratiques condamnables ont perduré. Depuis quelques semaines, cependant, il semble se produire une accélération puisque l’on a porté à ma connaissance la signature de quelques chartes ici ou là…

Il revient donc au Sénat de permettre de faire cesser ces pratiques en adoptant à son tour cette proposition de loi qui va dans le sens de l’un des trente engagements du Président de la République. Celle-ci bénéficie du soutien du Gouvernement, soutien que j’ai exprimé à l’Assemblée nationale avec mon collègue Guillaume Garot qui, je le précise au passage, vous prie de bien vouloir excuser son absence, car il est retenu par d’autres obligations.

Oui, mesdames et messieurs les sénateurs, ce texte mérite d’autant plus d’être voté qu’il a été sensiblement étoffé et amélioré par rapport à sa version de 2011 grâce au concours des parlementaires, et en particulier de la députée de la Guadeloupe, Hélène Vainqueur-Christophe, qui en était le rapporteur à l’Assemblée nationale. Il ne vise plus uniquement à réguler les taux de sucre ajouté ; il porte désormais plus largement sur l’amélioration de la qualité de l’offre alimentaire outre-mer, et ce toujours dans une optique d’égalité.

Car en travaillant sur le sujet, d’autres discriminations frappant les outre-mer dans le domaine alimentaire ont été mises en lumière. Je veux parler d’une autre pratique condamnable : celle des dates limites de consommation, ou DLC, différenciées pour un même produit vendu dans l’Hexagone et exporté dans les outre-mer. Cette pratique consiste à prolonger la date limite de consommation de certains produits à l’export.

À l’origine, les yaourts étaient visés, car certains ont une date limite de trente jours à Paris ou ailleurs dans l’Hexagone, quand elle peut être de cinquante jours à Saint-Denis ou à Fort-de-France. Toutefois, à mesure que le sujet a été fouillé et expertisé, il est apparu que plus de trois cents produits frais faisaient en réalité l’objet d’une date limite de consommation différenciée, la différence pouvant aller de quelques jours à plusieurs mois !

Ainsi, tel fromage – j’espère que vous ne prendrez pas cette information pour de la stigmatisation, mais il s’agit du reblochon, pour être précis (Sourires.) – est-il commercialisé avec une DLC de trente-cinq jours dans l’Hexagone et de soixante-dix jours dans les outre-mer, soit une variation du simple au double ! Ainsi, tel sachet de gruyère râpé avec une DLC de quarante jours dans l’Hexagone est-il commercialisé avec une DLC de cent quatre-vingts jours. Une DLC peut donc aller d’un mois et dix jours à plus de six mois ! Comment peut-on encore tolérer cela ?

Bien sûr, cela pose la question de l’égalité dans la République. Mais cela soulève également une autre question, qui est au cœur des réflexions actuelles sur le gaspillage alimentaire : si les DLC pour les outre-mer apparaissent à l’évidence si longues, c’est peut-être aussi que celles en vigueur dans l’Hexagone sont trop courtes et que l’on envoie ainsi à la poubelle des tonnes d’aliments encore sains.

Les industriels doivent aux consommateurs la vérité et la transparence sur ce sujet ; nous y reviendrons, j’en suis sûr, dans nos débats. Nous pourrions évoquer les mannes de Schumpeter, la « destruction créatrice », ou encore trouver des arguments en faveur de l’emploi. Quoi qu’il en soit, la question mérite d’être posée et un débat public devrait, à mon sens, être engagé.

Enfin, je tiens à souligner une disposition tout à fait importante qui a été ajoutée durant les débats en commission à l’Assemblée nationale, à savoir l’obligation qui sera faite aux collectivités de tenir compte du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs en produits de l’agriculture dans l’attribution des marchés de restauration collective. Cela concerne aussi bien les cantines scolaires et les hôpitaux que les restaurants d’entreprise.

Cette disposition présente l’intérêt de participer à la structuration et au renforcement des filières de production locale. Ainsi, ce sont notamment les fruits et légumes produits localement, en circuits courts, qui verront leur accès favorisé avec des garanties de volumes significatifs. Cette mesure est donc favorable à un développement endogène.

Le postulat est intéressant : une meilleure qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire, dès le plus jeune âge, peut-elle aller dans le sens d’une stratégie offensive de développement des économies des outre-mer ?

Pour toutes ces raisons, je le répète, cette proposition de loi est un texte très important. Je tiens à saluer le travail conséquent et remarquable qui a été conduit par le Sénat, en particulier par la présidente de la commission des affaires sociales, Annie David, ainsi que par le rapporteur, Michel Vergoz. Nous espérons que cette proposition de loi sera très vite adoptée afin qu’elle soit rapidement opérationnelle et qu’elle puisse contribuer à améliorer l’offre alimentaire dans les outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Vergoz, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les consommateurs ultramarins sont frappés par une double inégalité quant à la qualité des produits alimentaires auxquels ils ont accès. Ces inégalités sont inacceptables, d’autant qu’elles sont susceptibles d’entraîner des effets néfastes sur la santé des personnes.

La première de ces inégalités concerne la teneur en sucres de certains produits alimentaires. En Martinique, des yaourts aux fruits produits localement contiennent ainsi de 27 % à 50 % de plus de sucres ajoutés que les spécialités comparables disponibles dans l’Hexagone. De fait, la recette de certains produits est adaptée lorsqu’ils sont distribués sur le marché ultramarin, en raison d’une prétendue préférence pour le sucre des consommateurs des outre-mer, qualifiée par les industriels de « goût local ».

Or plusieurs indices tendent à démontrer qu’il est nécessaire de limiter la consommation de sucres pour protéger la santé des personnes les plus fragiles.

Des études ont en effet mis en évidence le rôle spécifique de la consommation de boissons sucrées dans l’apparition du surpoids et de l’obésité chez l’enfant.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, le surpoids et l’obésité constituent d’importants facteurs de risque pour le développement de certaines pathologies non transmissibles et chroniques telles que le diabète, les troubles musculo-squelettiques, certains cancers et surtout les maladies cardiovasculaires, première cause de décès dans le monde.

Au total, selon un rapport de 2004 de l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui n’était pas encore l’ANSES, il est certain qu’un régime alimentaire présentant un index ou une charge glycémique élevés a « des effets délétères sur la santé, au moins dans certaines catégories de la population » comme les sujets en surpoids et les personnes diabétiques.

Plusieurs organismes ont d’ailleurs émis des recommandations concordantes afin de diminuer la quantité de sucres consommés chaque jour, notamment de sucres ajoutés. Dans sa Stratégie mondiale de 2004 pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé, l’OMS recommande ainsi aux pouvoirs publics d’adopter des mesures pour « réduire […] la teneur en sucre des boissons et en-cas ».

Nous sommes conscients que l’obésité est un problème de santé multifactoriel qui ne pourra être endigué par la seule baisse de la teneur en sucres de l’offre alimentaire. Cependant, au regard de ces éléments, il semble nécessaire d’intervenir.

La question est d’autant plus importante que la fréquence du surpoids, de l’obésité et du diabète est particulièrement forte parmi les populations ultramarines : la prévalence de l’obésité atteindrait 22 % en Martinique et 23 % en Guadeloupe, alors qu’elle n’est que de 14,5 % dans l’Hexagone.

L’obésité touche particulièrement les femmes et les enfants : 9 % des enfants seraient obèses en Guadeloupe et en Martinique contre 3,5 % dans l’Hexagone, soit près du triple.

Par ailleurs, les outre-mer figurent en France parmi les territoires les plus touchés par l’épidémie de diabète.

Quelques mesures, timides, ont été prises ces dernières années pour remédier à la progression constante de ces problèmes liés à l’excès de poids. Elles paraissent cependant très insuffisantes, ce qui justifie une intervention législative visant à mettre en œuvre des mesures plus contraignantes.

Le programme national nutrition santé, ou PNNS, créé en 2001, et le plan obésité ont fait l’objet d’une déclinaison spécifique en direction des populations d’outre-mer. Si les mesures préconisées se sont traduites par plusieurs initiatives intéressantes au niveau local, les effets de ces instruments tardent à se faire sentir.

Des actions ont également été entreprises en direction des industriels de l’agroalimentaire dans le cadre du PNNS 2 et du programme national pour l’alimentation : il leur a été proposé, sur la base du volontariat, de signer des chartes visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leur production. Cependant, à l’heure actuelle, une seule charte concernant spécifiquement la question des taux de sucres dans les produits distribués outre-mer a été signée. La méthode de la concertation semble donc avoir atteint ses limites.

La seconde inégalité qui frappe les consommateurs ultramarins concerne les dates limites de consommation : quelques industriels apposent sur les produits très périssables qu’ils fabriquent sur le continent tels que, par exemple, les yaourts, un étiquetage indiquant une date limite de consommation différente selon qu’ils sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin.

Ainsi, tandis que l’étiquetage de la plupart des yaourts distribués en France hexagonale comporte une date limite de consommation calculée en fonction d’un délai de trente jours à compter de leur date de fabrication, ce délai peut atteindre cinquante-cinq jours – soit pratiquement le double – pour les mêmes produits lorsqu’ils sont commercialisés en outre-mer.

Si cette pratique ne concerne heureusement qu’un nombre restreint de fabricants, elle pose une question de principe qui ne peut être négligée, d’autant qu’elle pourrait être à l’origine de risques sanitaires inacceptables.

Les obligations posées par le droit communautaire sont justifiées par le fait que les produits microbiologiquement très périssables tels que les yaourts « sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine ». Raison pour laquelle la date limite de consommation de leurs produits doit être déterminée par les industriels eux-mêmes, sous leur responsabilité et à partir d’analyses de risque.

Or, dans le cas de la pratique de la double date limite de consommation, la fixation d’une date plus éloignée pour les produits destinés aux marchés ultramarins répond à une préoccupation uniquement commerciale : les denrées produites en France hexagonale doivent en effet être acheminées par bateau vers ces marchés, ce qui implique un délai de transport conséquent. La date limite de consommation de trente jours est donc souvent presque atteinte lorsque ces denrées arrivent à destination.

De telles modalités de transport impliquent pourtant un risque sanitaire plus important, en raison notamment des dangers de rupture de la chaîne du froid : en toute logique, la date limite de consommation des produits destinés au marché ultramarin devrait être rapprochée et non reculée !

La pratique de la double date limite de consommation, qui résulte d’une interprétation erronée des industriels sur la réglementation applicable, pourrait exposer les populations ultramarines à un risque sanitaire inacceptable.

On peut également relever que la présence sur le marché ultramarin de produits provenant de France hexagonale et disposant d’un délai de consommation plus long que le délai habituellement constaté crée une situation de concurrence déloyale à l’encontre des producteurs locaux respectant ce dernier délai.

Ce sont ces inégalités que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à corriger.

Le texte initial reprenait en partie les dispositions de la proposition de loi déposée par M. Victorin Lurel à l’Assemblée nationale, adoptée en commission des affaires sociales avant d’être rejetée en séance publique, à neuf voix près, en octobre 2011.

À l’origine, ce texte s’intéressait uniquement à la question de la teneur en sucres des produits alimentaires disponibles sur le marché ultramarin. Sont venus s’y ajouter, lors de l’examen à l’Assemblée nationale, le sujet des doubles dates limites de consommation et celui de la qualité nutritionnelle des repas distribués par les entreprises de restauration collective.

Au final, le texte qui nous est proposé porte sur la question plus globale de la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, ce dont je me félicite. Ses dispositions seront applicables dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution, c’est-à-dire en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

L’article 1er de ce texte vise à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer par référence à la teneur maximale constatée dans les produits comparables commercialisés dans l’Hexagone.

Deux catégories de produits sont concernées par ce plafond : d’une part, les denrées similaires et de même marque distribuées à la fois en outre-mer et en métropole et, d’autre part, les denrées alimentaires exclusivement distribuées dans les outre-mer et assimilables à celles de la même famille commercialisées dans l’Hexagone, dont la liste sera précisée par voie réglementaire.

Dans le cas où la teneur en sucres ajoutés des denrées équivalentes distribuées en métropole diminuerait, une période d’adaptation d’une durée maximale de six mois est prévue afin de permettre aux opérateurs d’écouler leurs stocks.

Le contrôle de ces dispositions est confié aux agents publics compétents, notamment à ceux de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

Monsieur le ministre, lors de la préparation de ce texte, mon attention a été attirée sur le fait que la DGCCRF, qui fournit un travail remarquable, fait face à la fois à un élargissement de ses compétences et à une réduction de ses moyens. Cet effet ciseau pourrait être susceptible d’entraver la pleine application de ce texte.

Afin de permettre aux industriels d’adapter leur production aux nouvelles contraintes, l’article 2 fixe un délai de transition de six mois à compter de la promulgation du texte, ce qui me semble raisonnable.

L’article 3 concerne les dates limites de consommation et dispose que, « lorsque la mention d’une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l’emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long […] que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale ».

Afin de lever toute ambiguïté de rédaction, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser que la formulation retenue concerne bien les « dates limites de consommation » figurant sur les emballages des denrées alimentaires microbiologiquement très périssables et non les fameuses « dates limites d’utilisation optimale », ou DLUO, utilisées pour les produits présentant une relative stabilité microbiologique ?

L’article 4, enfin, vise à rendre obligatoire la prise en compte des performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture dans les critères d’attribution des marchés publics de restauration collective.

L’article 53 du code des marchés publics prévoit déjà que les pouvoirs adjudicateurs peuvent prendre en compte ce critère pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Lui conférer un caractère obligatoire permettra de promouvoir une meilleure qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire en restauration collective en favorisant l’approvisionnement en produits frais et de saison et incitera aussi au développement des filières agricoles locales, en encourageant le développement des circuits courts.

Au final, mes chers collègues, cette proposition de loi constituera un pas important pour l’amélioration de la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire à destination de populations ultramarines particulièrement touchées par le surpoids et l’obésité. Elle permettra surtout d’assurer enfin l’égalité entre les consommateurs, et c’est pourquoi je vous demande, au nom de la commission des affaires sociales, d’approuver ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi doit être appréhendée, selon mon groupe, sous les deux angles de la santé publique et du pouvoir d’achat.

S’agissant de la santé publique, les chiffres qui nous ont été communiqués sont terribles : selon l’étude ObEpi-Roche, 32,3 % des adultes en métropole sont en surpoids, contre près de 40 % outre-mer ; 15 % d’entre eux sont considérés comme obèses dans l’Hexagone, contre 30 % outre-mer ; en métropole, moins de 5 % des enfants sont concernés, contre plus de 8 % outre-mer !

Ces chiffres ont été confirmés par d’autres études qui ont, elles aussi, souligné que le surpoids et l’obésité sont significativement plus élevés chez les femmes.

Par ailleurs, outre-mer, la prévalence de l’obésité et des autres pathologies associées – diabète, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires – est plus élevée qu’en métropole.

L’État a tenté de prendre quelques mesures en direction des populations d’outre-mer, notamment dans le plan obésité 2010-2013, ou encore dans le programme national nutrition santé 2011-2015, dont vous avez parlé, monsieur le rapporteur.

Une des mesures préconisées dans ce programme visait à « faire en sorte que, pour une gamme comparable de produits, la teneur moyenne en sucre soit identique dans les territoires des départements d’outre-mer et en métropole ». Cela mettait en évidence la responsabilité des industriels de l’agroalimentaire dans la progression de l’obésité.

Hélas ! rien n’indique que cette recommandation ait été prise en compte. Vous le rappeliez à l’instant, monsieur le ministre, rien n’a été fait depuis la discussion à l’Assemblée nationale de la proposition de loi dont vous étiez l’auteur.

Ce sont non seulement les producteurs ultramarins qui sont visés, mais aussi les fabricants de l’Hexagone qui, pour leurs productions destinées à l’outre-mer, augmentent les taux de sucre.

Ainsi, un même produit d’une même marque comporte plus de sucre s’il est destiné à la Réunion, à la Martinique, à la Guyane ou à la Guadeloupe, que s’il était vendu à Strasbourg, Toulouse, ou même à Grenoble, pour citer une ville du département dont je suis l’élue. Cette différence peut aller jusqu’à 50 %, au nom d’une supposée appétence des populations d’outre-mer pour le sucre. L’argument est complètement faux. Il est même méprisant pour ces populations qui, en réalité, n’ont pas vraiment le choix, puisque tous les produits de consommation sont plus sucrés sur ces territoires qu’en métropole.

Il n’est pas non plus possible de cautionner l’explication avancée dans l’introduction du programme national nutrition santé, selon lequel « la spécificité de la situation alimentaire en outre-mer est étroitement liée aux particularités culturelles et économiques mais aussi aux particularités géographiques et climatiques, donc aux productions agricoles ».

Ainsi, au prétexte que l’outre-mer produit du sucre, les populations d’outre-mer devraient en consommer plus !

On peut, en revanche, s’arrêter un instant sur ce que sont les « particularités économiques » de l’outre-mer. Un rapport de l’Agence française de développement, l’AFD, a mis l’accent sur l’indice de développement humain, ou IDH, dans tous les outre-mer. Cet indicateur prend en compte des données de 2010 relatives à l’éducation, aux revenus mais aussi à la santé.

En les comparant aux résultats enregistrés dans l’Hexagone, nous ne pouvons que constater que les retards sont flagrants : ils se montent à vingt ans, en moyenne. La Réunion, elle, accuse un retard de vingt-cinq ans. Pour la Guadeloupe, le retard se monte à douze ans, et pour la Polynésie, à vingt-huit ans !

Bien évidemment, cela se traduit aussi dans le PIB : en moyenne, pour l’année 2009, les PIB des départements d’outre-mer sont inférieurs de 75 % à la moyenne des PIB de l’Union européenne.

Le contexte socioéconomique est donc extrêmement difficile. La question du coût de la vie et du pouvoir d’achat est particulièrement importante. Récemment, comme l’avaient fait il y a quelques mois les habitants des Antilles et de la Réunion, les Calédoniens sont descendus dans la rue pour manifester contre la vie chère.

En outre-mer, une grande partie de la population vit avec un faible pouvoir d’achat, alors que le coût de la vie y est nettement supérieur à la moyenne nationale. Il y a là une inégalité inacceptable, qui en entraîne une autre, tout aussi inadmissible.

En effet, une analyse a montré que plus le niveau de revenus était élevé, moins la prévalence de la surcharge pondérale était importante. Par voie de conséquence, malheureusement, plus le pouvoir d’achat est faible, plus la prévalence de l’obésité est importante. Pour des raisons financières, en plus d’hésiter à se faire soigner, les familles les plus modestes ne peuvent acheter de produits alimentaires dits sains.

Il existe une troisième injustice, tout aussi inacceptable. Je veux parler de la question des dates limites de consommation. Comment peut-on justifier que certains produits périssables, comme les yaourts, aient une date de péremption plus longue en outre-mer qu’un produit identique, de même marque, vendu sur le territoire métropolitain ? Cet écart, mes chers collègues, peut parfois atteindre vingt-cinq jours !

Je dois le dire, mes chers collègues, Monsieur le ministre, c’est cette inégalité qui m’a le plus étonnée. Il n’y a aucune raison à une différence des dates de péremption. Vous citiez l’exemple du reblochon, monsieur le ministre, pour lequel je ne vois vraiment pas comment deux dates de péremption différentes peuvent être fixées !

Cette loi, si elle est adoptée, va donc permettre de supprimer non seulement quelques injustices, mais également des inégalités, ce qui est le plus important.

Néanmoins, il reste encore beaucoup de travail pour faire reculer le surpoids et l’obésité, et, ainsi, réduire les risques de maladies cardiovasculaires.

Il conviendrait, par exemple, de prendre les dispositions nécessaires pour que les préconisations du programme national nutrition santé soient enfin mises en œuvre. Celui-ci proposait, je le rappelle, d’« agir sur l’offre alimentaire en milieu scolaire », « de valoriser les ressources et la production agroalimentaire locales » ou d’« agir sur le dispositif d’aide alimentaire ».

C’est bien la question de l’approvisionnement des marchés qui se pose. L’article 4 de la présente proposition de loi vise à promouvoir les denrées issues des circuits courts de distribution, afin de favoriser l’approvisionnement des sites de restauration collective en produits frais et de saison.

L’intention est louable ; on ne peut qu’y adhérer. Mais – faut-il le rappeler ? – la loi Grenelle 1 ou la loi de modernisation agricole, entre autres, envisageaient déjà cette possibilité.

Or, comme souvent, les dispositions permettant de prendre en compte les spécificités de l’outre-mer n’ont jamais été prises. Ces spécificités ont trait à l’étroitesse des marchés locaux et à l’éloignement de ce que l’on appelle les « grands marchés », qui sont – histoire oblige – ceux de la France métropolitaine et de l’Europe.

Comme nous l’a souvent expliqué mon collègue et ami Paul Vergès, cette situation de dépendance économique est la traduction d’un développement qui s’est toujours fait dans le même sens : les anciennes colonies avec la « mère patrie », puis avec l’Europe.

Derrière cela se trouve donc la question des accords de partenariat économique. Bien évidemment, il s’agit, avant tout, de promouvoir la production locale. Celle-ci doit être non seulement préservée mais surtout renforcée pour promouvoir des prix supportables, dans l’intérêt des consommateurs.

On ne peut donc occulter la question de la diversification des sources d’approvisionnement. Cela doit se traduire par la prise en compte de la situation spécifique de la Réunion et des autres départements d’outre-mer, dans le cadre des accords de partenariat économique. C’est un chantier qu’il reste encore à mener à terme. Monsieur le ministre, le groupe CRC compte sur votre action ferme et déterminée pour faire valoir ces spécificités.

Pour l’heure, le groupe CRC votera la présente proposition de loi sur l’offre alimentaire en outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet principal de la présente proposition de loi est de s’attaquer à deux problèmes affectant la qualité de l’offre alimentaire ultramarine : la teneur en sucres ajoutés de certains produits et les dates limites de consommation, parfois différenciées pour les territoires ultramarins.

Plus précisément, le texte vise, d’une part, à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer et, d’autre part, à disposer que le délai limite de consommation ne peut être plus long pour les produits destinés à l’outre-mer que celui prévu pour la même denrée alimentaire distribuée dans l’Hexagone.

Bien sûr, nous partageons le constat fait dans le rapport.

Il est totalement anormal que la teneur en sucre des boissons sucrées et des yaourts puisse être supérieure en outre-mer que dans l’Hexagone. Les chiffres dont nous a fait part notre rapporteur sont édifiants : l’écart entre la teneur en glucides de boissons sucrées distribuées localement et dans l’Hexagone peut aller jusqu’à 47 %.

L’allégation par les industriels d’une prétendue préférence locale pour le sucre laisse sans voix. De deux choses l’une : soit, effectivement, cette préférence est culturelle, mais alors elle ne doit pas être entretenue, pour des raisons évidentes de santé publique, soit, au contraire, cette préférence est fictive, et elle se justifie encore moins. Il n’est pas non plus interdit de s’interroger sur la motivation réelle de cette explication.

Cela m’amène à la seconde question, celle des dates limites de consommation. Même constat et même réaction : qu’il puisse y avoir des dates limites de consommation selon que le produit est destiné au marché hexagonal ou au marché ultramarin est totalement injustifiable et totalement aberrant.

C’est, en tout cas, une illustration parfaite de l’anecdote que nous contait il y a peu Mme la garde des sceaux – certains ici s’en souviendront, sans doute –, qui, en arrivant en France, n’a pas retrouvé dans l’Hexagone le gruyère de son enfance. Et pour cause, ce dernier « picotait » !

Plaisanterie mise à part, encore une fois, les chiffres mentionnés par M. le rapporteur sont édifiants : il est tout bonnement invraisemblable que le délai de péremption affiché pour la consommation d’un produit soit de cinquante-cinq jours en outre-mer, quand il n’est que de trente jours en France.

Nous rejoignons votre raisonnement implacable, monsieur le rapporteur : compte tenu des conditions de transport desdits produits, s’il y avait un délai limite de consommation différencié, il devrait être avancé et non reculé ! Ou bien serait-ce que les produits en question contiennent davantage de conservateurs ? Soit dit en passant, il faudrait peut-être, d’ailleurs, reculer toutes les dates de péremption, y compris dans l’Hexagone.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, pour nous, la question du sucre et celle des dates de péremption sont liées. On le sait, le sucre conserve. Il est donc probable que l’une des raisons à l’intensification en sucre de certaines denrées microbiologiquement instables – les yaourts en sont l’exemple typique – soit de leur permettre de durer plus longtemps.

Cela, bien sûr, n’excuse rien et doit être combattu. C’est de la santé des habitants des territoires ultramarins qu’il est question.

Encore une fois, nous partageons le constat fait sur le surpoids, l’obésité et le diabète, tel qu’il a été rappelé par Mme David. Ces affections sont particulièrement fortes en outre-mer. Il n’est pas normal, et encore moins acceptable, que le taux de prévalence de l’obésité y soit de 23 %, contre 14,5 % dans l’Hexagone. Il est même près de trois fois plus important en Guadeloupe et en Martinique qu’en métropole. Il en va de même pour le diabète, dont le taux de prévalence à la Réunion est le double de celui de l’Hexagone.

Évidemment, ces pathologies ont des causes multiples, même si le lien avec la surconsommation de sucre est bien établi.

Si, donc, nous partageons le constat global fait par les auteurs de la proposition de loi, nous différons, en revanche, quant aux solutions à apporter au problème.

Tout d’abord, je voudrais, sans malice, faire observer qu’il y a comme un hiatus entre l’intitulé du texte, ambitieux, et son contenu véritable. Lorsqu’il ne s’agit que de légiférer sur le taux de sucre et sur la date de péremption de certains produits, on ne peut pas dire que l’on garantit de manière globale la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, sauf à considérer que l’outre-mer n’a vraiment aucun autre problème en la matière, ce qui, chacun le sait, est loin d’être le cas !

Ensuite, et plus fondamentalement, nous ne pensons pas que, en l’occurrence, le recours à la loi – à tout le moins, à une proposition de loi aussi circonstanciée – se justifie.

Encore une fois, de deux choses l’une : soit il n’est effectivement question que de traiter du taux de sucre et de la date de péremption de certains produits, et il ne revient donc pas à la loi de le faire, soit, au contraire, on entend traiter globalement les problèmes d’alimentation et de santé publique, et c’est alors d’un texte d’une autre envergure dont nous aurions aimé être saisis.

J’en reviens à la première branche de l’alternative : les seules questions du taux de sucre et de la date de péremption ne relèvent pas de la loi. Le rapporteur, lui-même, l’a dit : la question relève de divers plans et programmes, comme le programme national nutrition santé ou le plan obésité, qui ont fait l’objet de déclinaisons spécifiques pour l’outre-mer, ou encore le programme national pour l’alimentation.

Autrement dit, la proposition de loi qui nous est soumise couvre un champ qui est de nature strictement réglementaire.

En revanche, qu’il faille une grande loi de santé publique, qui revoit toutes les questions se posant en la matière, oui ! D’ailleurs, nous l’appelons fermement de nos vœux. La dernière date de 2004. Depuis, les choses ont évolué. Les sujets sont nombreux, ils vont de la fiscalité comportementale à l’éducation à la santé, en passant par la problématique des alicaments.

Cette loi nous a été annoncée à plusieurs reprises, mais nous ne la voyons pas venir. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

En attendant cette grande loi de santé publique, nous ne pouvons que regretter que, une fois de plus, les questions ultramarines ne soient pas traitées dans leur globalité. C’était déjà le sens de mon intervention sur la proposition de loi prorogeant le bonus exceptionnel outre-mer.

En même temps que nous appelons de nos vœux une grande loi de santé publique, nous réclamons aussi de véritables réformes, qui marqueraient un net progrès pour les collectivités ultramarines. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Paul Emorine applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la qualité de l’alimentation devrait être un droit imprescriptible pour chaque citoyenne et citoyen. La semaine dernière, la Haute Assemblée a adopté une proposition de résolution européenne déposée par nos collègues du groupe UDI-UC, et tendant à la création d’un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation, qui touche aussi à cette problématique, ô combien essentielle.

De ce point de vue, l’injustice dont souffrent les populations ultramarines – du fait d’industriels peu scrupuleux, elles consomment des produits souvent beaucoup plus sucrés que ceux qui sont vendus en métropole, de surcroît avec une date de consommation qui est repoussée jusqu’à parfois vingt-cinq jours – est incompréhensible et intolérable !

La présente proposition de loi est donc un texte de « bon sens ». Il n’y a aucune raison pour qu’un même produit ait un taux de sucres ajoutés plus élevé, jusqu’à parfois plus de 50 %, quand il est destiné aux consommateurs ultramarins.

L’obésité et le surpoids, qui peuvent avoir les conséquences dramatiques que nous connaissons sur la santé, touchent très durement les populations ultramarines. En mettant fin à la pratique commerciale injustifiable consistant à sucrer davantage, car le sucre est moins cher, les produits vendus en outre-mer, la présente proposition de loi contribuera à la réduction d’un tel fléau.

Certes, la réduction du taux de sucre dans les yaourts ou les sodas ne résoudra pas à elle seule l’obésité et les risques pour la santé qui en découlent : diabète, hyper-tension, accidents cardio-vasculaires… Il faudra également renforcer la prévention et l’éducation alimentaire. Le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire a annoncé qu’il avait engagé une concertation avec les industriels pour pouvoir améliorer la composition de certains ingrédients alimentaires et revoir leurs teneurs en sucre, sel et graisse. J’espère vivement qu’une telle démarche aboutira rapidement et contribuera à renforcer la prise en compte de la santé des consommateurs.

De plus, s’il me paraît utile de recourir au véhicule législatif pour encadrer la qualité de l’alimentation, il est également indispensable de nous assurer que les règles seront respectées et que les contrôles et sanctions seront adaptés. L’expérience a montré que nous ne pouvions pas nous reposer sur des chartes de « bonne conduite » de la part des industries agroalimentaires. Il y en a déjà eu plus d’une trentaine, et le moins qu’on puisse dire est que leur efficacité en matière de protection des consommateurs et de santé s’est révélée très limitée.

La présente proposition de loi prévoit que les manquements aux nouvelles obligations concernant les différences de taux de sucre dans les produits vendus en France métropolitaine et en outre-mer sont constatés par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF. Mais encore faut-il, et la question se pose sur l’ensemble du territoire français, que cette dernière ait les moyens humains et financiers d’effectuer tous les contrôles qui sont de son ressort.

En effet, ses missions sont de plus en plus vastes, les types de fraudes sont de plus en plus variés et ils évoluent de plus en plus vite. Mais, pendant ce temps, les moyens de la DGCCRF sont en chute libre. Notre collègue Robert Tropeano a déjà dénoncé le phénomène dans une question d’actualité voilà quelques semaines. C’est un enjeu majeur. Nous ne pourrons pas garantir la qualité de notre alimentation si l’effectivité des contrôles et des sanctions contre les abus n’est pas assurée.

Le projet de loi relatif à la consommation que nous examinerons dans les prochains mois aborde les mêmes problématiques. Il renforce les sanctions contre les différents types de fraudes à l’encontre des droits des consommateurs et élargit les pouvoirs de la DGCCRF, mais la question des moyens de cette administration demeure en suspens... Or nous devons à nos concitoyens de donner à cette direction les moyens nécessaires pour lui permettre de protéger efficacement les consommateurs et leur santé.

Je referme cette parenthèse pour revenir à la proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer. Le texte, qui concernait seulement à l’origine l’interdiction de la différence de taux de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’Hexagone, a été utilement précisé et complété à l’Assemblée nationale.

Les articles 1er et 2 concernent le sucre, et l’article 3 porte sur les dates limites de consommation. La pratique de certains industriels consistant à apposer une date limite de consommation différente pour des produits fabriqués en France hexagonale selon que ceux-ci sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin n’est pas plus acceptable que le fait d’ajouter davantage de sucres.

Cela montre combien la notion d’information et de protection du consommateur peut être manipulée. Ainsi, les consommateurs métropolitains jettent des produits dits « périmés » qui sont considérés comme encore consommables en outre-mer. Or, selon la directive européenne concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires, pour les denrées microbiologiquement très périssables, comme les yaourts, « au-delà de la date limite de consommation, une denrée alimentaire est dite dangereuse ».

Par conséquent, comment nous assurer qu’un tel allongement de la date limite de consommation par rapport au produit vendu en métropole ne présente aucun risque en matière de santé pour les consommateurs ultramarins ?

Il faudrait, me semble-t-il, mettre la question des dates de péremption des denrées alimentaires sur la table, si j’ose dire, au niveau européen. En effet, les fabricants sont libres de fixer ces dates, dans la mesure où ils respectent un certain nombre de garanties sanitaires. Mais force est de constater que les dates ne permettent pas d’assurer une bonne information du consommateur à l’heure actuelle.

D’une manière générale, la transparence de l’étiquetage et la traçabilité des denrées alimentaires doit être renforcée ; la législation européenne actuelle comporte trop de failles sur ces points. Je vous renvoie à la discussion que nous avons eue mercredi dernier lors de l’examen de la proposition de résolution de nos collègues du groupe UDI-UC dont j’ai parlé voilà quelques instants. J’espère que cette résolution portera rapidement ses fruits et que des avancées significatives seront prochainement actées au niveau communautaire.

La rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale a également fait adopter un quatrième article, visant à promouvoir l’approvisionnement des sites de restauration collective – cantines scolaires, hôpitaux... – par des circuits courts de distribution. Il rend obligatoire, pour l’attribution de marchés publics de restauration collective, la prise en compte du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs en produits de l’agriculture.

C’est un apport majeur. En effet, les outre-mer ont souvent des productions locales de fruits et légumes importantes et diversifiées, mais dont une part très faible seulement est consommée dans les lieux de restauration collective. Ainsi, seuls 8 % des 90 000 tonnes de fruits et légumes produits chaque année à la Réunion sont consommés dans les écoles ou les hôpitaux de l’île. Ce dispositif est donc essentiel et mériterait probablement d’être étendu à la pêche et à l’aquaculture.

Le quatrième article de la proposition de loi contribuera donc à garantir une offre alimentaire de qualité dans les lieux de restauration collective, et en particulier à l’école, pour les enfants, tout en favorisant les producteurs locaux. Je rappelle cependant que seuls un tiers des établissements scolaires en Guyane disposent d’une cantine. Or la nécessité de disposer de telles infrastructures est une priorité avant de pouvoir garantir l’accueil et l’alimentation saine des enfants.

Quoi qu’il en soit, l’article 4 de la proposition de loi, en favorisant les circuits courts, permet à la fois de protéger la santé de nos concitoyens, de dynamiser le tissu économique local et de réduire l’impact environnemental lié au transport de marchandises. C’est donc une mesure de bon sens, aussi bien pour les territoires ultramarins que pour tous les territoires de l’Hexagone. J’espère vivement que d’autres textes s’en inspireront.

Pour conclure, la proposition de loi, qui répond à des exigences de justice, d’équité et de santé publique, mérite un soutien unanime de tous les parlementaires, qu’ils soient d’outre-mer ou de métropole. Tous nos concitoyens en saisissent l’importance et les enjeux. C’est pourquoi l’ensemble des membres du RDSE voteront pour ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela a déjà été souligné, la surconsommation de sucre est un grave sujet de santé publique. Le groupe écologiste du Sénat se réjouit que l’on ait pris l’initiative, via la présente proposition de loi, d’inscrire cette question à l’agenda.

Chaque fois que l’occasion nous en est donnée, et notamment lors de l’examen de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous rappelons que la santé publique ne doit pas être abordée simplement sous l’angle curatif ; elle doit aussi s’inscrire dans une démarche constante de prévention et de promotion de la santé publique.

C’est l’option qui est retenue ici, et nous nous en félicitons.

Le texte s’inscrit également dans une autre logique : la lutte contre les inégalités qui frappent les consommateurs ultramarins par rapport aux consommateurs de la France hexagonale.

En effet, comment concevoir que les produits de consommation courante en outre-mer aient une concentration en sucre supérieure à celle des mêmes produits de mêmes marques en France hexagonale ?

Par exemple, un Fanta Orange comporte 9,446 grammes de sucre pour 100 grammes à Paris, mais 44 % de sucre en plus en Guadeloupe, 48 % de sucre en plus en Guyane, 45 % de sucre en plus en Martinique et 42 % de sucre en plus à Mayotte…

Cette pratique inadmissible, qu’aucun argument objectif ne justifie, a des effets directs sur la santé des populations. En effet, et cela a déjà été dit, les sucres sont l’une des causes principales – nul ne le conteste – de l’épidémie d’obésité, qui n’a jusqu’ici pas été suffisamment traitée en outre-mer. Ainsi, 25 % des enfants et adolescents et plus d’un adulte sur deux sont touchés par des problèmes de surcharge pondérale en outre-mer. Or l’obésité favorise la survenue de diabète, d’hypertension, de maladies cardiovasculaires et respiratoires et d’atteintes articulaires sources de handicaps.

L’enjeu est donc extrêmement important sur le plan sanitaire.

D’ailleurs, lors de l’examen du projet de loi relatif à la vie chère en outre-mer, à l’automne dernier, notre groupe avait déjà déposé un amendement correspondant au contenu de l’article 1er de la proposition de loi, que nous soutiendrons bien entendu de nouveau aujourd’hui.

Un seul élément nous préoccupe sur l’article 1er : c’est un arrêté ministériel qui doit déterminer « la liste des denrées alimentaires » concernées.

Car si l’article 2 précise bien que l’article 1er « entre en vigueur dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi », le risque est que la publication de cet arrêté provoque une certaine inertie.

D’ailleurs, un arrêté était-il bien nécessaire, puisque tous les produits contenant du sucre sont concernés ?

De plus, le fait que cet arrêté relève de quatre ministères, trois ministères en plus du celui de l’outre-mer, n’est pas rassurant quant à l’objectif de l’effectivité rapide de cette mesure.

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour que la concertation et la prise de décision entre les quatre ministères se fassent aussi vite que possible. Nous ferons preuve d’une grande vigilance à cet égard !

Il n’y a pas que les dispositions relatives au taux de sucre. Le groupe écologiste se félicite également des deux articles additionnels dont nos collègues députés ont enrichi le texte.

J’évoquerai d’abord les dates de consommation recommandée. De deux choses l’une : soit les dates pratiquées en France hexagonale sont justes, et il n’y a alors aucune raison que les consommateurs ultramarins se voient pratiquer des délais de consommation recommandée supérieurs ; soit les dates pratiquées en France sont largement sous-estimées, et on pourrait voir une volonté inadmissible de pousser les ménages à la consommation en leur faisant jeter, gaspiller des aliments encore propres à la consommation pour en acheter de nouveaux. Dans les deux cas, il faut éclaircir la situation, qui n’est pas acceptable.

J’en viens au développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture locale, notamment par le biais des marchés publics de restauration collective. Nous nous félicitons de cette juste mesure. En encourageant les circuits courts, cette disposition sera source de création d’emplois locaux non délocalisables, renforcera l’indépendance économique et l’autosuffisance alimentaire des territoires ultramarins et constituera même un outil de lutte contre la vie chère.

Le double enjeu de santé publique et d’égalité des territoires – vous avez employé à juste titre l’expression « lutte contre les discriminations », monsieur le ministre – dont nous débattons aujourd’hui est tel que la seule action réglementaire n’aurait pas suffi.

Compte tenu des résistances et de la longueur des délais – nous débattons de ce sujet depuis des années –, c’est bel et bien d’un débat public et d’un vote du Parlement dont nous avons besoin pour manifester la volonté d’une prise de décision énergique.

Certes, nous sommes nous aussi, écologistes, pour une grande loi de santé publique régulant notamment la sécurité alimentaire. Mais ce ne serait pas une bonne idée de renoncer aujourd'hui à la présente proposition de loi au nom de la grande loi à venir ; ce serait même un acte de mauvaise foi. Il ne nous semble pas possible de différer une nouvelle fois et de renvoyer la décision à plus tard.

Le groupe écologiste du Sénat votera donc pour cette proposition de loi, en espérant qu’elle pourra rapidement entrer en vigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui pose une vraie question de santé publique : la lutte contre l’obésité est un enjeu majeur pour tous les Français, dans l’Hexagone comme outre-mer.

Vous connaissez les chiffres de la dernière enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité : près de 7 millions de Français seraient considérés comme obèses, soit le double d’il y a quinze ans. Ces données sont inquiétantes, et la situation dans les territoires ultramarins est encore plus grave, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné.

L’obésité, qui est un problème comportemental, touche, en effet, 15 % à 20 % de la population adulte de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Martinique.

L’obésité concerne 10,5 % des enfants des quatre départements d’outre-mer, contre 3 % des enfants en métropole. Cette différence est inacceptable !

Au total, sur ces territoires, près d’un quart des enfants et adolescents, et plus de la moitié des adultes sont touchés par des problèmes de surcharge pondérale.

Nous savons bien que l’obésité constitue un facteur de risque aggravant pour le développement de maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle ou les maladies coronariennes.

Ce texte repose donc sur un diagnostic que nous partageons tous, sur toutes les travées.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur, lorsque vous dites que la situation en outre-mer exige une mobilisation renforcée des autorités sanitaires et des professionnels de l’alimentation : il faut améliorer la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire et encourager nos concitoyens à adopter des comportements alimentaires plus favorables à leur santé.

Je rappelle qu’une alimentation équilibrée, associée à une activité physique, permet une meilleure prévention des maladies cardiovasculaires, du diabète, des cancers et de l’obésité. Il est donc nécessaire de promouvoir de saines pratiques alimentaires.

Il existe d’ores et déjà des outils pour lutter contre l’obésité. Avec la troisième édition – la première datant de 2001 – du programme national nutrition santé pour les années 2011 à 2015, notre pays s’est doté d’une politique nutritionnelle ambitieuse afin d’améliorer l’état de santé de nos concitoyens. Ce programme comprend une déclinaison spécifique à l’outre-mer, ainsi qu’un plan obésité.

Le secteur de l’alimentation a, d’ores et déjà, réalisé des efforts : selon le site du ministère de la santé, trente-trois chartes d’engagements volontaires de progrès nutritionnel ont été signées par des centaines d’entreprises, alors même qu’il n’existe pas d’obligation réglementaire fixant la teneur en sucre des produits.

Par ailleurs, un programme national de l’alimentation a été mis en place en 2010 pour inciter les opérateurs du secteur agroalimentaire à mettre en œuvre des accords collectifs par famille de produits avec des objectifs en matière de qualité nutritionnelle.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les avancées réalisées depuis la mise en place de ces programmes nationaux ?

J’en viens aux dispositions de la proposition de loi.

Le premier objectif de ce texte est d’éviter qu’un produit de même marque soit plus sucré outre-mer qu’en métropole.

Les produits concernés seraient, notamment, les yaourts, les sodas, les jus de fruit, etc.

Si nous sommes totalement favorables à la suppression de cette différence, nous voulons souligner le risque de distorsion de concurrence qui pourrait survenir entre les entreprises françaises et celles d’autres pays, notamment les États-Unis, en particulier aux Antilles.

Il est donc essentiel, tant d’un point de vue sanitaire qu’économique, de renforcer la promotion des comportements alimentaires plus favorables à la santé.

Le deuxième objectif de ce texte est d’interdire la fixation, pour une denrée alimentaire distribuée en outre-mer, d’une date limite de consommation emportant un délai de consommation plus long que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée dans l’Hexagone.

Nous nous réjouissons que des solutions soient recherchées pour remédier à cette situation. Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour empêcher que des entreprises européennes non françaises ne contournent cette disposition afin de conserver des dates limites de consommation différentes ?

Le troisième et dernier objectif de ce texte est la promotion de l’agriculture locale.

Pour louables que soient ces objectifs, ils ne correspondent pas réellement à la lutte contre l’obésité.

Régulièrement, le Gouvernement annonce le dépôt d’un projet de loi de santé publique. Ce texte sera un véhicule législatif approprié pour prendre en compte de manière beaucoup plus globale les problèmes liés à la prévalence de l’obésité et à ses conséquences sur les populations.

Néanmoins, il ne pourra se limiter à traiter ces seuls problèmes. Il devra aussi aborder les questions relatives aux addictions, notamment chez les jeunes.

L’annonce de cette nouvelle loi de santé publique ouvre, par ailleurs, la possibilité de donner une nouvelle impulsion à la politique de lutte contre les troubles mentaux.

Pour conclure, même si ce texte part d’une bonne intention, les mesures proposées nous semblent a minima pour atteindre les objectifs visés. C’est pourquoi une grande partie du groupe UMP s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée est appelée aujourd’hui à examiner une proposition de loi visant à mettre fin à une situation discriminatoire et injustifiée : dans nos territoires d’outre-mer, certains produits alimentaires comme les sodas ou les yaourts contiennent bien plus de sucre que leurs équivalents vendus en métropole.

Aucun impératif de conservation ne saurait être invoqué pour justifier cet état de fait, sinon pour quelles raisons les délais de péremption d’un produit alimentaire seraient-ils plus longs en outre-mer que partout ailleurs sur le territoire ?

Les industriels font état d’une prétendue appétence des Ultramarins pour le sucre. Cette affirmation n’est fondée sur aucune étude scientifique et ne saurait constituer un argument valable. Comme chacun le sait, le sucre appelle le sucre. Consommé régulièrement, il peut même devenir une véritable addiction.

On sait aujourd’hui que cette différence de traitement, qui avait déjà fait l’objet d’une proposition de loi en 2011, rejetée par la précédente majorité, est en partie responsable du surpoids, de l’obésité, mais aussi de pathologies graves associées telles que le diabète, l’hypertension artérielle ou les maladies cardiovasculaires, qui touchent aujourd’hui plus durement les Ultramarins que les Hexagonaux.

Certes, l’obésité ne trouve pas son origine dans la seule teneur élevée en sucre de l’alimentation. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Mais il est essentiel de donner aux populations ultramarines la possibilité de choisir de mieux se nourrir.

Il y a encore cinq ans, faute d’enquête spécifique, la situation du diabète à Mayotte n’était pas connue. La première grande étude transversale de la population réalisée en 2008, afin d’estimer la prévalence du diabète et des facteurs de risque cardiovasculaire, a révélé que 35 % des hommes et 32 % des femmes étaient en surpoids, et que l’obésité touchait 17 % des hommes et 47 % des femmes. La prévalence du diabète s’élevait à 10,5 % alors qu’elle est de 4,9 % en France métropolitaine. Chez les plus de trente ans, une personne sur dix était atteinte ; chez les plus de soixante ans, une personne sur cinq. Et plus d’une personne sur deux ignorait qu’elle était diabétique !

L’émergence de ces « nouvelles maladies » à Mayotte a correspondu avec la transition socioéconomique à laquelle l’île a fait face ces dernières années.

Certaines organisations telles que l’Association des jeunes diabétiques de Mayotte, l’AJD 976, et Rédiab Ylang 976, dont je tiens ici à saluer le travail, relayent les campagnes nationales et jouent un rôle essentiel en matière d’éducation thérapeutique du patient. Il faut encourager ces organisations et davantage les aider.

En prévoyant d’aligner le taux de sucre en outre-mer sur celui de l’Hexagone, cette proposition de loi ne tend à rien de moins qu’au rétablissement de l’égalité. Les inégalités territoriales en matière de santé sont particulièrement importantes entre nos territoires et la métropole. Ce texte a le mérite de mettre un terme à l’une d’elles.

Il est également l’occasion de rappeler les bienfaits d’une alimentation saine et équilibrée, et d’insister sur l’importance des campagnes d’information et de sensibilisation, notamment dans les écoles.

Ce texte répond, enfin, à la onzième des trente propositions faites par François Hollande en faveur des outre-mer lors de sa campagne électorale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Félix Desplan.

M. Félix Desplan. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le sucre a écrit les premières pages de l’histoire de la Guadeloupe.

Plus de trois siècles après, il nous réunit pour mettre fin à une autre injustice : celle de l’inégalité entre consommateurs. Les Ultramarins n’ont pas droit à la même qualité alimentaire. Cela n’est pas juste !

Cette proposition de loi vise donc à rétablir l’égalité face à des disparités discriminatoires justifiées par des prétextes fallacieux.

Nous avons tous, sans exception, une appétence innée pour le sucre. Carburant indispensable, il est à la fois le meilleur et le pire de nos aliments. Sa carence ou son absence nous est fatale ; mais son excès, qui est de nos jours beaucoup plus courant, est tout aussi dangereux.

Aujourd’hui, la consommation de sucre, comportement ubiquitaire des sociétés industrialisées, dépasse des niveaux plus que nécessaires.

Pourquoi celle des Ultramarins devrait-elle être plus importante ? Doit-on laisser notre destin aux mains de la dictature du sucre raffiné ? Doit-on laisser de nouveau s’orchestrer un crime organisé, basé sur le commerce du sucre, ce doux poison, ce doux assassin ?

Dans le cadre du projet guadeloupéen de société, nous, élus, réunis en congrès le 21 décembre 2013 sur la thématique « santé et alimentation », avions déjà été édifiés de l’état de santé des Guadeloupéens.

Afin de faire évoluer les pratiques alimentaires, la nécessité de mener des politiques publiques et d’établir des plans d’actions s’est peu à peu imposée dans nos agendas.

Une mauvaise alimentation tue bien plus de personnes chaque année que les drogues. Notre consommation de certains aliments est telle qu’elle s’apparente à une addiction à des drogues dures.

Disons-le : le sucre est bel et bien une drogue contemporaine. Il participe directement à l’apparition de plusieurs maladies et problèmes de santé, notamment l’obésité et le diabète. Mais, non content de causer des dégâts durables sur notre santé physique, il fragilise notre équilibre mental. Un nombre croissant de recherches scientifiques démontre que, en surconsommation, il peut influencer l’humeur et les comportements humains, dont l’agressivité, la violence. En effet, une hypoglycémie favorise l’irritabilité et l’agression impulsive.

Ces études sont principalement d’origines étrangères, je l’admets. Mais doit-on attendre des confirmations en France avant d’agir ? Peut-on rester les bras croisés ?

Les maux dont souffre ce bout de terre, qui m’est cher, sont déjà bien suffisants. La violence et l’insécurité qui la malmènent sont l’expression de pathologies sociétales. S’il est des facteurs exogènes, comme le sucre en provenance de nos assiettes, qui la rongent de l’intérieur, il est de notre devoir de les éliminer.

Le Président de la République a porté lors de sa campagne cette grande idée d’égalité des territoires. Lors de la conférence de presse du 16 mai, il a de nouveau rappelé cette ligne de conduite : « Je fais en sorte que là où il y a plus d’inégalités, nous fassions davantage. […] La promesse de l’égalité, ce n’est pas une nostalgie, ça reste une ambition. »

Cette valeur est une part de notre identité, une promesse sur laquelle la France s’est historiquement construite et à laquelle nous nous devons d’être fidèles. Donnons-nous l’ambition de la tenir, en commençant par réconcilier tous ceux qui font la France. Traduisons en actes, dès aujourd’hui, cette belle idée d’égalité, ce droit intangible. Faisons-en une réalité concrète pour les ultramarins !

Je voterai donc cette proposition de loi, traduction du onzième engagement du carnet de campagne de François Hollande pour l’outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Jean Boyer applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plusieurs années, on assiste en France hexagonale et dans les collectivités d’outre-mer à une augmentation de la prévalence du surpoids, de l’obésité et du diabète de type 2.

Cette augmentation a une origine multifactorielle : le patrimoine génétique, la trop faible activité physique quotidienne ou encore le déséquilibre alimentaire.

Cependant, pour les ultramarins, à ces facteurs s’ajoute une véritable inégalité de traitement, à savoir, jusqu’à aujourd’hui, des teneurs en sucre qui ne sont pas les mêmes dans certaines denrées alimentaires selon qu’elles sont distribuées dans l’Hexagone ou en outre-mer.

Or, cette problématique de teneur en sucres élevée des produits alimentaires de consommation courante revêt une importance vitale en termes de santé publique dans les territoires d’outre-mer, où l’obésité représente un véritable fléau, sans commune mesure avec la situation sanitaire que connaît l’Hexagone.

Ainsi, en Martinique, le constat est très inquiétant, puisqu’un enfant sur quatre est atteint d’obésité. À titre d’illustration, une canette de soda contient 14 grammes de sucres ajoutés en Martinique, contre 10 grammes sur le territoire métropolitain. Il en est de même pour le yaourt, qui contient 15,8 grammes de glucides dans l’Hexagone, contre 20 grammes en Guadeloupe.

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de pallier cette situation. Voilà quelques années, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments a supprimé la collation du matin dans les écoles, car elle pouvait favoriser l’augmentation de l’obésité. En 2001, était parue une circulaire qui visait à interdire les distributeurs de friandises et de boissons sucrées dans les établissements scolaires. Cette décision s’était alors heurtée aux proviseurs ainsi qu’aux parents d’élèves qui considéraient que les distributeurs limitaient les sorties des élèves pendant les interclasses.

Par ailleurs, un nombre croissant de scientifiques et de médecins affirment que la menace constituée par la consommation excessive de sucre, en particulier du fructose et du glucose, est telle qu’elle justifie la mise en place de mesures comparables à celles qui sont prises pour limiter la consommation de tabac et d’alcool.

En effet, c’est ce sucre raffiné, que nous consommons dans les aliments industriels, qui provoque une certaine dépendance et un appauvrissement des défenses immunitaires. Et que dire de certains industriels qui ont justifié la nature plus sucrée de leurs produits par un plus grand attrait des populations d’outre-mer pour le sucre ? De telles aberrations se passent de commentaires !

Enfin, en ce qui concerne la « date limite de consommation » apposée sur les yaourts, j’ai été heureux de constater qu’il en avait été pris bonne note dans ce présent texte, comme je vous l’avais demandé, monsieur le ministre, dans une de mes questions écrites en décembre dernier. Il est en effet impensable et injuste que les yaourts fabriqués en France hexagonale et expédiés dans les départements d’outre-mer aient une DLC différente de celle des mêmes yaourts vendus en métropole.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à rappeler brièvement ma préoccupation. Certains fabricants de métropole allongent la DLC en la portant à soixante jours afin que les produits arrivant en outre-mer soient commercialisables et restent donc à la vente plus longtemps en rayons dans les magasins d’alimentation.

Je rappelle que la durée de vie d’un aliment est définie comme la période durant laquelle le produit répond à des spécifications en termes de sécurité – innocuité – et de salubrité – absence d’altération –, dans les conditions prévues de stockage et d’utilisation, y compris par le consommateur. C’est ce qui s’appelle la date limite de consommation, la DLC, qu’il faut distinguer de la date limite d’utilisation optimale, la DLUO. La durée de vie d’un produit dépend donc de ses caractéristiques physico-chimiques, qui résultent de différents facteurs tels que la nature des ingrédients, le procédé de fabrication, le type de conditionnement et les modalités de conservation.

Ainsi, il est anormal qu’un produit fabriqué en métropole ait une DLC à 55 ou 60 jours, alors que les produits locaux identiques sont soumis à une DLC à 30 jours, ce qui conduit à avoir des produits fabriqués et importés qui affichent une DLC plus longue qu’un produit fabriqué ultérieurement. Cette pratique constitue pour les producteurs de yaourts des DOM une atteinte au libre jeu de la concurrence et revêt dès lors un caractère déloyal au sens de la législation nationale et européenne. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait pris la pleine mesure de cette injustice et qu’il ait introduit dans ce texte, par voie d’amendement, un alignement de la DLC des yaourts vendus outre-mer sur celle des yaourts vendus en France métropolitaine.

Monsieur le ministre, je tiens toutefois à nuancer mes propos. Si je suis favorable à une DLC commune entre la métropole et l’outre-mer, je m’inquiète des conséquences que pourrait avoir ce texte sur le pouvoir d’achat du consommateur ultramarin. En effet, je sais à quel point le Gouvernement a été soucieux de lutter contre la vie chère dans nos départements puisque nous avons adopté dernièrement une loi dans ce but.

Cependant, l’alignement des DLC pour les yaourts, mais aussi pour l’ensemble des produits frais et autres denrées périssables, risque d’entraîner une hausse des prix de revient de plus de 250 %. Comme vous le savez, les DLC des produits frais de métropole ne sont pas soumises à la contrainte du temps de transport, qui représente de 15 à 25 jours pour le transport maritime en direction des DOM. Et l’importation de ces mêmes produits par avion renchérirait inévitablement les prix. Une telle issue serait, vous en conviendrez, contraire à l’esprit des actions que nous avons engagées contre la cherté de la vie.

Au regard de ces éléments, pouvez-vous, monsieur le ministre, me préciser les mesures envisagées par le Gouvernement pour garantir une sécurité sanitaire maximale, tout en évitant une hausse des prix des produits frais ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.

M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est la première fois que nous évoquons les questions relatives à la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer dans cet hémicycle.

En tant que président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, je m’en félicite, car il s’agit d’un problème ô combien important pour le devenir de nos territoires et de nos populations !

En plus de limiter la teneur en sucre des produits consommés en outre-mer, nos collègues députés ont, à raison, élargi le champ de cette proposition de loi à la question de la date limite de consommation des denrées périssables, ce qui constitue un pas de plus vers l’égalité de traitement avec les consommateurs hexagonaux.

Notre débat d’aujourd’hui sur cette proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer arrive à point nommé. En effet, année après année, scandale après scandale, l’actualité est venue tristement nous démontrer à quel point nous vivons dans une contradiction à cet égard. Plus les normes sont rigoureuses en vue de protéger le consommateur, plus on découvre à quel point certains exploitants ne se soucient de rien d’autre que de leurs marges bénéficiaires.

Ainsi, aux Antilles, nous vivons sous la menace d’un puissant poison, la chlordécone, dont la rémanence va altérer la santé des dix prochaines générations. Non seulement nous mourons à cause des pesticides avec lesquels nos terres et nos eaux ont été polluées, mais nous mourons également des choix qui sont faits délibérément quant à la composition de nos produits alimentaires industriels.

De quoi s’agit-il ? À produit comparable, les denrées alimentaires fabriquées en outre-mer contiennent généralement plus de sucres que celles produites en Europe. Cela est particulièrement vrai s’agissant des produits laitiers, des sodas et des jus de fruits. Question de goût, répondent les industriels ! Les produits sont plus sucrés parce que cela correspondrait à une attente du consommateur ultramarin.

Il ne faut pas confondre attente et besoin : l’attente, c’est le besoin réinterprété par celui qui l’exprime. Il ne faut pas non plus confondre attente et habitude. Que les consommateurs ultramarins aient l’habitude de consommer plus sucré, c’est un fait. Que cette habitude soit assimilée à une attente, c’est tout autre chose.

D’où nous vient cette habitude ? D’abord de l’histoire même de nos contrées : la Martinique, la Guyane, la Guadeloupe, la Réunion ont souvent été appelées des « îles à sucre ». Jusqu’à l’avènement de la betterave, ces colonies fournissaient à la métropole l’ensemble du sucre dont elle avait besoin. De fait, la monoculture du sucre, jusque dans les années cinquante et soixante, a dessiné le paysage et formé les goûts. Il est normal que l’on mange beaucoup de sucre là où son accès est abondant et aisé.

L’autre caractéristique de nos pays tropicaux, et donc chauds et humides, c’est qu’avant l’électricité et les moyens de réfrigération modernes, il n’existait que trois façons d’assurer la conservation des aliments : les épices, le sel et le sucre. Cette contrainte a forgé nos goûts et notre relation particulière avec le très épicé, le très salé et le très sucré.

Tout cela ne serait qu’anecdotique si c’était sans conséquence. Mais tel n’est pas le cas. Vous aurez tous noté, dans les rapports qui vous ont été adressés, les conséquences de cette alimentation : la propension à l’obésité, la prévalence du diabète et la fréquence des maladies cardiovasculaires et des accidents vasculaires cérébraux.

Il est donc vital de changer ces habitudes alimentaires.

À cet égard, l’argument des industriels selon lequel les consommateurs n’achèteront plus leurs produits si le taux de sucre est diminué n’est pas recevable.

Il n’est pas recevable car nous savons tous que, passé les premières semaines un peu frustrantes, nous sommes capables d’ajuster nos habitudes alimentaires.

Il n’est pas recevable car le texte prévoit non pas que les produits destinés à l’outre-mer soient sous-dosés en sucre, mais tout simplement qu’ils comportent la même dose de sucre que les produits commercialisés dans les régions de France hexagonale.

Enfin, il n’est pas recevable, tout simplement parce qu’aucun argument économique ou commercial ne peut primer sur une question de santé publique.

Par conséquent, mes chers collègues, je voterai ce texte sans hésiter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à notre examen revêt une importance essentielle en termes de santé publique pour les collectivités d’outre-mer.

Toutefois, la santé publique n’est pas le seul enjeu : à l’heure où le Parlement étudie la gestion des déchets et le gaspillage alimentaire, notre réflexion doit être guidée par l’objectif global de développement durable.

Les problématiques soulevées par ce texte sur les dates limites de consommation et les dates limites d’utilisation optimale des produits alimentaires me donnent le sentiment que nous ne faisons qu’entrevoir un problème sanitaire beaucoup plus vaste à l’échelle nationale et que les pratiques des industriels de l’agroalimentaire sur les marchés des collectivités d’outre-mer sont, en réalité, symptomatiques.

Les questions relatives au taux de sucre et aux dates de consommation des produits vendus outre-mer que nous évoquons aujourd’hui concernent également la gouvernance de l’économie locale et montrent une nouvelle fois les difficultés que rencontrent nos collectivités pour trouver les moyens de favoriser la production locale et le contrôle des produits. De ce point de vue, l’article 4 du présent projet constitue une avancée intéressante. Néanmoins, il aurait été possible d’aller plus loin ; j’y reviendrai tout à l’heure.

Afin que la proposition de loi « visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer » soit à la hauteur de son intitulé, il est nécessaire que la réflexion soit poursuivie au-delà du présent texte, que les mesures futures soient encore plus ambitieuses et que nous continuions à résister aux injonctions de certains lobbys industriels. Je dis bien « certains » car il est inutile de stigmatiser les industriels de l’agroalimentaire et de leur faire supporter la charge de tous les problèmes de santé publique et d’inégalité de traitement entre les consommateurs ultramarins et métropolitains.

Toutefois, chacun doit prendre ses responsabilités. À cet égard, la responsabilité des pouvoirs publics est d’intervenir pour faire cesser ces pratiques, qui ne sont pas illégales et ont notamment pu perdurer en raison du vide juridique en la matière.

J’en profite pour souligner de nouveau les incohérences d’un système dans lequel on veut absolument soumettre aux règles de droit rédigées pour la métropole des territoires dont les contextes, notamment environnementaux, sont différents. Est-il normal que les producteurs et industriels ultramarins soient soumis aux mêmes réglementations des guides de bonnes pratiques d’hygiène que les industriels métropolitains ? Avec des normes différentes à l’égard de nos industriels, précédées d’études scientifiques adaptées à nos milieux naturels, différents de la métropole – le plus souvent tropicaux –, nous n’en serions peut-être pas là.

Par ailleurs, je suis certain qu’il sera bien utile de nous réunir à nouveau d’ici quelque temps pour réétudier les incidences pratiques du présent texte et de revoir les dispositifs de sanctions à l’encontre de ceux qui auraient trouvé des stratégies pour contourner la loi.

Le texte de loi qui nous est soumis constitue une avancée intéressante et démontre la politique volontariste menée par le Gouvernement à l’égard de nos outre-mer. Par conséquent, je le voterai ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Vergoz, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je constate que nous sommes tous d’accord sur le diagnostic. En revanche, il ressort de l’intervention de nos collègues Joël Guerriau et Alain Milon que nous divergeons sur les solutions.

Je veux témoigner de la bonne foi de tous ceux qui se sont penchés sur ce dossier.

Mon cher collègue Joël Guerriau, soyez assuré que nous avons totalement épuisé les voies de concertation – et je pèse mes mots !

Tout à l'heure, vous avez fait allusion aux programmes nationaux nutrition santé, les PNNS. Nous sommes engagés dans cette démarche depuis 2001, soit depuis douze ans. Trois PNNS se sont succédé, et le dernier en date – le PNNS 2011-2015 – a été doublé d’un plan obésité spécifique pour les populations d’outre-mer. Qu’en est-il sorti ? Pas grand-chose, et c’est un euphémisme…

Notre collègue Alain Milon a évoqué les chartes d’engagement. Trente-trois ont été signées, mais une seule concerne les DOM : il s’agit de la charte signée avec Créolailles sur le sel à la Réunion. Vous le voyez, nous sommes loin d’être à la hauteur de la problématique…

Si certains industriels ont affiché leur bonne volonté, force est de constater qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur démarche, peut-être parce qu’ils avaient tout simplement peur de se lier les mains et de subir une concurrence pour eux déloyale.

En outre, vous appelez de tous vos vœux la future loi de santé publique. C’était en 2009 qu’il fallait adopter une telle loi, comme le précédent gouvernement s’y était engagé ! Or, en 2009, il n’y a rien eu et, depuis, les désordres de santé publique se sont aggravés.

Pardonnez-moi cette expression un peu brutale, mais nous formons, en France, une « sous-population » ! Dans ces conditions, ne pas réagir rapidement me semble relever de la non-assistance à population en danger. Il faut agir, et seule la régulation publique peut le faire ! Nous avons le devoir d’envoyer un message fort aux populations domiennes et de leur témoigner le respect que nous leur devons. Cela devient urgent !

Pour terminer, nous nous sommes attaqués à la triple peine qui frappe les DOM, avec des produits aujourd'hui plus chers, plus sucrés et plus vieux. Félicitons-nous que le Gouvernement apporte des réponses à cet important problème. C’est du pragmatisme !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre. Je veux remercier toutes les sénatrices et tous les sénateurs qui ont participé à ce débat nourri.

Je veux également remercier la présidente de la commission des affaires sociales ainsi que le rapporteur, M. Vergoz, lequel vient de faire une intervention qui m’aidera, tout à l'heure, à vous répondre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup de questions ont été posées sur les dates limites de consommation et sur les dates limites d’utilisation optimale. Permettez-moi d’y répondre au moment où nous discuterons de l’article 3 : nous aurons alors probablement, sur ces sujets, un débat plus approfondi et juridiquement plus précis.

Je veux commencer par évoquer une différence, sinon idéologique, du moins philosophique : j’ai entendu M. Milon dire que l’obésité relèverait d’un problème d’ordre comportemental. Nous avons là une vraie divergence. Bien sûr, l’obésité relève de la responsabilité individuelle ; on ne saurait dire le contraire ! Néanmoins, il ne s’agit pas que de cela et on ne peut ignorer ce qui se passe depuis toujours, ce que l’on impose à ces populations. La distinction entre habitude et attente établie par M. Serge Larcher est, de ce point de vue, éclairante. Par conséquent, permettez-moi de ne pas partager le point de vue selon lequel les populations domiennes achèteraient délibérément des produits de mauvaise qualité nutritionnelle !

Il y va, selon moi, d’un problème d’inégalité. Chacun achète en fonction de ses capacités, de ses possibilités, de ses ressources. Or, quand on touche un petit revenu, quand on est « économiquement faible » – l’expression est affreuse –, on achète, hélas ! de mauvais produits : les plus salés, les plus sucrés et, peut-être, les plus gras.

Par ailleurs, je fais appel à mon expérience personnelle : dans les années cinquante et soixante, je n’avais pas le sentiment de manger plus sucré ou plus salé. En tout état de cause, malgré la proximité des plantations de canne à sucre, manger plus sucré ou plus salé n’a jamais été une habitude de consommation ! À l’époque, les études épidémiologiques n’existaient pas encore. Quarante ans plus tard, on vient nous dire qu’il s’agit d’une habitude acquise depuis longtemps dans les DOM, qui sont des territoires à sucre. Mais, que je sache, dans l’Hexagone, on tire du sucre de la betterave. Est-ce pour autant que l’on consomme plus de sucre ? La réponse est non !

Hélas ! l’imposition structurelle de produits de mauvaise qualité est une réalité. Néanmoins, si la consommation de ces produits est devenue une habitude, elle ne constitue pas une attente.

Aujourd'hui, avec le niveau d’éducation qui a progressé, les habitants des outre-mer ont d’autres attentes : ils veulent consommer mieux et à des prix raisonnables. Cette proposition de loi vise, du reste, à satisfaire ces attentes.

D'ailleurs, sans verser dans un enthousiasme excessif, permettez-moi de dire que ce texte réunit plusieurs qualités et comporte des avancées considérables.

Il garantit, autant que cela est possible, la qualité de l’offre alimentaire. Certes, nous n’avons pas l’ambition d’épuiser le sujet : il y a bien autre chose à entreprendre pour améliorer la qualité de cette offre. Cela étant, il faut bien commencer !

Dans le même temps, il s’agit de permettre un développement plus durable, plus écologique, plus soutenable, mais aussi de développer la production locale, tout en respectant la législation européenne et la législation nationale.

Dans ce texte, nous nous sommes attaqués à ce que d’aucuns considéraient comme la quadrature du cercle. Que souhaiter de mieux ?

Du reste, nous sommes très heureux de pouvoir réunir ces différents aspects en un texte bref, appelant peu de mesures d’application, puisqu’un seul arrêté devra être pris – nous avions déjà eu ce souci avec la loi relative à la régulation économique outre-mer, dont l’application, me semble-t-il, ne nécessitait que quatre décrets. La présente loi sera donc immédiatement applicable.

Nous espérons que la production locale pourra, à terme, se développer et que, au lieu d’importer des yaourts ou du jambon frais, on en fabriquera sur place, à partir de lait importé ou de viande importée.

Par ailleurs, vous avez tous reçu cette liste que vous ont envoyée l’industrie agroalimentaire et les commerçants. (M. le ministre brandit ledit document.) C’est édifiant ! Nous y reviendrons tout à l’heure à propos de l’article 3 de la présente proposition de loi.

Vous avez pu constater que la plupart des produits, notamment les plus périssables, microbiologiquement fragiles, doivent être consommés dans les vingt-cinq à trente jours, ce qui reste tout à fait compatible avec un transport par voie maritime.

L’argument consistant à dire qu’il faut nécessairement prévoir leur transport par avion, ce qui multiplierait les prix par 2,5, comme l’a évoqué M. Antiste, émane des industriels ou des commerçants et ne concernera que quelques produits comme les crèmes et autres desserts chocolatés, sur les trois cents dont l’industrie s’est autorisée à vous envoyer la liste, de façon à mon sens très contreproductive. En tout cas, cette méthode n’est absolument pas probante.

Nos points de vue sont philosophiquement opposés. J’estime que l’obésité n’est pas simplement le résultat d’un comportement individuel et qu’elle résulte aussi des choix opérés par les uns et imposés à d’autres, à savoir les consommateurs en situation de faiblesse.

J’en viens aux interventions des sénateurs Michel Vergoz et Jean-Claude Requier sur les moyens de la DGCCRF.

Oui, messieurs, j’ai plaidé la semaine dernière encore – je participe assez activement, je le crois, au projet de loi porté par mon collègue Benoît Hamon – pour un renforcement des pouvoirs des agents de la DGCCRF. Je souhaite avant tout que ces lois ne soient pas vidées de leur substance et que leur application ne soit pas soustraite à tout contrôle. Nous sommes conscients de ce risque.

Monsieur Guerriau, vous préféreriez attendre la grande loi de santé publique qui est annoncée. M. le rapporteur a déjà répondu sur ce point : cette loi sera adoptée au plus tôt au cours du premier semestre 2014.

Lorsque nous avons pris connaissance des chiffres de la prévalence de certaines pathologies, et pas simplement l’obésité – les caries dentaires, les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’hypertension artérielle et j’en passe –, à travers les résultats de l’enquête épidémiologique PODIUM menée par des médecins ici et dans les outre-mer, nous avons tout de suite déposé une proposition de loi. C’était en 2011 ; or, nous sommes en 2013, et rien n’a été fait !

On m’a demandé de fournir des informations concernant les progrès réalisés par la signature des chartes nutritionnelles et la mise en œuvre des PNNS successifs, autant de développements que j’ai suivis avec attention. Nous en sommes à la troisième édition du PNNS, et je me permets de vous le dire un peu brutalement, mesdames, messieurs les sénateurs, que rien n’a changé !

Nous avons, certes, constaté une petite accélération, car la présente proposition de loi sera probablement adoptée par la majorité, avec une abstention, je le crois, constructive de la part de l’opposition. Toutefois, je le répète, rien n’a été mis en œuvre à ce jour. On nous a dit qu’il faudrait quatre ou cinq ans pour commencer à diminuer les taux de sucres dans les produits alimentaires.

Au demeurant, la fixation de seuils maximaux dans cette loi n’est pas incompatible avec la rédaction de chartes contenant des dispositions plus restrictives.

Enfin, pourquoi vouloir différer ce que nous pouvons faire aujourd’hui ?

Il est un autre argument que j’ai souvent entendu marteler au cours de la présente discussion : cette question serait de nature réglementaire et ne pourrait en aucun cas être réglée par la loi. Permettez-moi de contester cette position.

Mesdames, messieurs les sénateurs, même si le code des marchés publics est plutôt de nature réglementaire lorsqu’il est question de rapports entre opérateurs privés, en revanche, dès qu’il s’agit de marchés passés avec les collectivités, la libre administration territoriale, liberté fondamentale des collectivités, est en jeu. Or l’article 4 du présent texte concerne précisément les marchés passés avec les collectivités.

Par ailleurs, les libertés d’entreprendre, d’échanger et d’exercer un commerce sont des principes à valeur constitutionnelle qui ne peuvent être modifiés par un décret. Il serait par exemple impossible de sommer, par voie réglementaire, une collectivité d’intégrer dans ses marchés publics des critères de performance. Une telle mesure pourrait être contestée à tout moment et annulée.

À l’occasion de l’examen de la proposition de loi que j’avais déposée à l’Assemblée nationale en 2011, la commission s’était d’ailleurs ralliée à cette position, selon laquelle de telles dispositions relèvent de la loi. Cet argument avait été longuement développé, comme tous les autres points de droit constitutionnel, dans mon rapport du 28 septembre 2011.

Madame Archimbaud, vous nous avez fait part à juste titre de vos craintes au sujet de l’arrêté ministériel visé par l’article 1er. J’avoue que j’ai eu le même doute que vous, mais, dans la mesure où plusieurs ministres sont intéressés par cette question, cette solution s’imposait. Je prends ici l’engagement que les décrets nécessaires seront pris, comme je l’ai fait lors de l’examen du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer.

Deux décrets ont déjà été pris, même si celui portant sur l’Observatoire des prix, des marges et des revenus n’a peut-être pas encore été publié, et que la tarification bancaire reste en cours de discussion. Par conséquent, les quatre décrets d’application de la précédente loi devraient rapidement être publiés. D’ici là, le texte s’applique et fait déjà l’objet de contrôles et d’un bilan à mi-étape.

En l’espèce, un arrêté devra être pris dans les plus brefs délais. D’ailleurs, la loi a été réécrite pour éviter trop de lenteurs. À l’époque, on avait prévu que les taux maximaux soient fixés par le Haut Conseil de la santé publique. Le présent texte prévoit une moyenne, et j’espère que l’arrêté pourra être rapidement publié.

L’argument du risque de concurrence déloyale entre entreprises françaises et étrangères a souvent été avancé. J’y répondrai par plusieurs remarques.

Je tiens tout d’abord à préciser que les produits concernés sont peu nombreux, même si cela ne peut, je le sais, constituer un argument juridique. En fait, il s’agit de niches, principalement constituées des desserts industriels contenant de la crème ou des œufs et de la charcuterie fraîche. Les dispositions que j’ai évoquées voilà quelques instants s’appliqueraient à ces produits, mais cela ne remettrait pas fondamentalement en cause la situation concurrentielle de l’industrie hexagonale.

Ensuite, les circuits rapides vers les outre-mer se font à partir des ports français. Les produits étrangers partent donc avec un fort handicap concurrentiel en termes de délais.

Enfin, plutôt que de tenir à bout de bras un système qui, selon nous, incite au gaspillage, mieux vaut – et ce n’est pas du protectionnisme – favoriser la production locale, privilégier les circuits courts et les produits frais, pour lesquels il n’y a pas de problème de livraison.

L’Association nationale des industries alimentaires, l’ANIA, nous a récemment fait parvenir ce dossier (M. le ministre montre de nouveau ledit document.) Il en ressort que le règlement européen n° 178/2002 permet à tout État d’édicter des dispositions nationales plus restrictives en matière de consommation et de date limite de consommation. Les dispositions de la proposition de loi devraient, sans que cela souffre de longues contestations, s’appliquer à toutes les entreprises européennes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense avoir répondu à toutes vos questions. J’apporterai simplement une dernière précision à M. Antiste au sujet de la possible augmentation des prix qu’il a évoquée.

Monsieur le sénateur, cet argument a été martelé avant la discussion de la présente proposition de loi. Je vous invite à consulter, dans le document de l’ANIA, la liste des trois cents produits susceptibles d’être concernés par ces dates limites de consommation. La DLC des crèmes vanillées, par exemple, est portée à vingt-huit jours si elles sont exportées, contre dix-neuf jours pour une commercialisation en France. Si le transport devait se faire par avion – choix qui résulte d’un calcul interne fait par un groupe d’entreprises –, selon l’ANIA, le prix de revient net passerait de 0,47 centime à 0,843 centime. Le prix de vente passerait quant à lui de 69 centimes à 1,23 euro. Et tout est à l’avenant…

Ces chiffres sont intéressants. Nous les analyserons, et vous verrez qu’ils cachent quelques surprises.

Si l’on excepte les produits figurant sur la première page du document de l’ANIA, à savoir les desserts, on constate que les dates limites de consommation des produits sont compatibles avec un transport par bateau. Le fret n’est pas en cause et l’argument de la hausse de prix ne tient donc pas la route. C’est un argument qui émane de groupes de pression : je peux l’entendre, mais je ne l’approuve en rien. C’est pourquoi je ferai une déclaration interprétative de l’article 3 de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer
Article 2

Article 1er

(Non modifié)

Le chapitre II du titre unique du livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique est complété par des articles L. 3232-5 à L. 3232-7 ainsi rédigés :

« Art. L. 3232-5. – Aucune denrée alimentaire de consommation courante destinée au consommateur final distribuée dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ne peut avoir une teneur en sucres ajoutés supérieure à celle d’une denrée similaire de la même marque distribuée en France hexagonale.

« Lorsque la teneur en sucres ajoutés d’une denrée alimentaire de consommation courante distribuée en France hexagonale diminue, les responsables de la mise sur le marché des denrées similaires de la même marque distribuées dans les collectivités mentionnées au premier alinéa sont autorisés à poursuivre leur commercialisation jusqu’à épuisement des stocks et dans un délai maximal de six mois. 

« Art. L. 3232-6. – La teneur en sucres ajoutés des denrées alimentaires de consommation courante destinées au consommateur final distribuées dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, mais non distribuées par les mêmes enseignes en France hexagonale, ne peut être supérieure à la teneur en sucres ajoutés la plus élevée constatée dans les denrées alimentaires assimilables de la même famille les plus distribuées en France hexagonale.

« Un arrêté des ministres chargés de la santé, de l’agriculture, de la consommation et des outre-mer détermine la liste des denrées alimentaires soumises aux dispositions du premier alinéa.

« Lorsque la teneur en sucres ajoutés la plus élevée mentionnée au premier alinéa diminue au sein d’une famille de denrées alimentaires distribuées en France hexagonale, les responsables de la mise sur le marché des denrées alimentaires assimilables de la même famille distribuées outre-mer soumises aux dispositions du même premier alinéa sont autorisés à poursuivre leur commercialisation jusqu’à épuisement des stocks et dans un délai maximal de six mois.

« Art. L. 3232-7. – Les manquements aux articles L. 3232-5 et L. 3232-6 sont constatés par les agents mentionnés au 1° du I de l’article L. 215-1 du code de la consommation dans les conditions prévues au livre II de ce même code. »

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano, sur l'article.

M. Jacques Cornano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je ne suis pas pour une inflation législative qui restreindrait les libertés de chacun de consommer ce qu’il souhaite et comme il le souhaite, force est de constater que la possibilité offerte aux producteurs de prévoir les taux de sucres qu’ils veulent, dans les produits alimentaires proposés à la vente outre-mer, constitue un véritable scandale sanitaire.

Les données épidémiologiques sont alarmantes mais néanmoins insuffisantes quant aux causes et conséquences à venir pour la santé de nos compatriotes en outre-mer.

La surconsommation de sucre outre-mer est le résultat direct de la volonté d’accoutumer le consommateur ultramarin à des taux de sucre élevés dans les denrées qu’il consomme quotidiennement. Je le redis, il faut que chacun assume ses responsabilités.

Je souhaite souligner deux éléments qui me semblent importants.

Tout d’abord, il est nécessaire de mener une étude d’ampleur sur l’impact en matière de santé – l’obésité et ses conséquences : diabète et maladies cardiovasculaires notamment – résultant de l’absence de contraintes pesant sur les producteurs en matière de sucres utilisés dans les produits alimentaires vendus outre-mer.

Comme l’a souligné dans son rapport notre collègue Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteur pour la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, les mesures prises dans le cadre de la lutte contre l’obésité révèlent des insuffisances en outre-mer. Concernant le programme national nutrition santé adapté à l’outre-mer, il est indiqué dans le rapport que « force est de constater que, plus d’un an après son lancement, la traduction concrète sur le terrain de nombre de ces mesures se fait encore attendre et semble bien impuissante à enrayer les tendances à l’œuvre ».

Ensuite, alors que l’avenir de l’éducation en France est au cœur des débats, il me semble indispensable de réfléchir aux moyens d’éduquer nos enfants à la bonne hygiène alimentaire, en introduisant notamment dans les programmes d’éducation à la santé et à la citoyenneté une éducation nutritionnelle spécifique à l’outre-mer, afin que les jeunes populations soient éveillées quant à la composition et aux apports nutritionnels des produits qui leur sont proposés à la consommation sur le marché de la collectivité d’outre-mer où ils vivent.

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette, sur l’article.

M. Jean-Étienne Antoinette. Le bien-manger et le bien-boire, y compris dans leur mission de lien social, font partie du socle culturel de la France, qui est commun à la métropole et aux outre-mer et qui est somme toute bien partagé par de nombreuses couches de la population.

La complexité des circuits modernes de production et de commercialisation alimentaire et la difficulté accrue de la traçabilité des produits de consommation, en dépit d’un arsenal juridique ayant évolué en faveur du contrôle de la qualité, ont créé des disparités inacceptables entre les territoires de la République. De surcroît, cette situation va de pair avec de graves problèmes de santé publique, en particulier dans les outre-mer, non pas en raison d’éventuelles contraintes techniques mais tout simplement à cause des pressions exercées par des groupes d’intérêts économiques et financiers.

Comme M. le rapporteur l’a rappelé, le résultat médiocre des chartes d’engagements de progrès nutritionnels quant à la réduction de la teneur des sucres ajoutés met en lumière la résistance des industriels, appuyée par la complicité des précédents gouvernements, contre l’amélioration de l’offre nutritionnelle outre-mer.

Cette volontaire absence d’alignement indique également la voie à suivre : l’inscription dans une norme obligatoire. Par ailleurs, elle souligne une exigence : vérifier que les producteurs ne tenteront pas, en modifiant l’apparence de leur offre, de perpétuer leurs pratiques malsaines.

L’article 1er du présent texte, en introduisant la notion de denrées similaires, permettra un alignement effectif des outre-mer sur la métropole.

S’il s’agit de valoriser les circuits locaux de production et de commercialisation, inscrits dans le respect des normes sanitaires définies au niveau national, c’est une véritable avancée juridique à la hauteur des enjeux de développement des outre-mer. En effet, la préférence locale se fonde non pas sur des lobbies, mais sur la stricte application du cadre législatif et réglementaire.

Voilà pourquoi, au-delà de tout l’argumentaire développé par mes collègues concernant les enjeux sanitaires de l’offre alimentaire outre-mer – surpoids, obésité, maladies cardiovasculaires, diabète, etc. –, j’en tire un enseignement politique et idéologique majeur. La gauche humaniste aux affaires est la seule à même de placer les femmes, les hommes et les territoires de la République à la fois au centre des préoccupations et dans un destin partagé.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’apporte un soutien appuyé à cet article.

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.

M. Joël Guerriau. Eu égard aux excellents arguments invoqués par notre collègue et rapporteur M. Vergoz, et compte tenu de l’unanimité qui se fait jour, sur nos travées, parmi les représentants de l’outre-mer, le groupe UDI-UC votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer
Article 3 (Texte non modifié par la commission)

Article 2

(Non modifié)

L’article 1er entre en vigueur dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer
Article 4  (Texte non modifié par la commission) (début)

Article 3

(Non modifié)

Lorsque la mention d’une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l’emballage de cette denrée, ce délai ne peut être plus long, lorsque celle-ci est distribuée dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution ou dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, que le délai prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale.

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano, sur l’article.

M. Jacques Cornano. « À consommer jusqu’au », « à consommer avant le », « à consommer de préférence avant le », ces mentions figurent sur les emballages de nos produits alimentaires. Cependant, comment savoir ce qu’elles signifient réellement ?

La problématique fondamentale revêt un double aspect : comment concilier nos préoccupations relatives à la santé et les défis environnementaux engendrés par le gaspillage alimentaire et qu’il convient de relever ? Les enjeux de la lutte contre ce gaspillage sont la réduction de l’impact environnemental de l’alimentation, l’aide aux personnes les plus démunies et l’optimisation de l’agriculture. Ces impératifs de développement durable sont aujourd’hui incontournables.

À mon sens, la question du gaspillage alimentaire s’inscrit dans une réflexion d’ensemble à mener pour l’avenir de notre société et non seulement à l’égard des outre-mer.

Si je me félicite de voir étudiée la question posée par la vente de produits alimentaires différemment datés selon qu’ils sont vendus en métropole ou outre-mer, je reste dubitatif quant au problème dans son ensemble. Soit des aliments sont distribués outre-mer et, au mieux – si je puis m’exprimer ainsi –, ils sont dénués de qualités organoleptiques et nutritionnelles sans constituer un danger immédiat pour la santé ; soit la France est face à un véritable scandale environnemental, économique et social, résultant d’un gaspillage alimentaire institutionnalisé. À cet égard, les pouvoirs publics sont tout aussi responsables que les industriels de l’agroalimentaire, parce qu’ils les laissent faire.

En effet, si nous sommes confrontés à de tels problèmes, c’est essentiellement en raison du vide juridique lié à l’absence de dispositions légales et réglementaires concernant les DLC et les DLUO.

Dès lors, il apparaît que le sujet doit être étudié en amont et qu’il nous faut – pourquoi pas ? – repenser toute la méthodologie d’évaluation et de validation des documentations sur lesquelles se fondent les professionnels des secteurs.

En attendant cette refonte plus profonde et salutaire du système, il est possible d’introduire une obligation de prévoir, dans la rédaction des guides nationaux de bonnes pratiques et d’hygiène, des moyens et méthodes à mettre en œuvre afin de répondre aux objectifs sanitaires relatifs aux aliments, à l’intention des professionnels souhaitant vendre leurs produits dans les collectivités d’outre-mer.

De fait, parmi les principes de la méthode HACCP, système qui identifie, évalue et maîtrise les dangers significatifs au regard de la sécurité des aliments, l’étude scientifique et les avis rendus par les différents comités d’experts spécialisés ne font presque jamais mention de l’évolution des produits dans les contextes naturels ultramarins. Il s’agirait là d’un moyen de s’assurer de la bonne analyse des dangers biologiques – identification, caractérisation, exposition –, chimiques ou physiques à prendre en compte en fonction des produits ou productions considérés et des procédés utilisés dans l’environnement spécifique aux outre-mer.

Par ailleurs, au cours de la procédure de validation des guides nationaux de bonnes pratiques et d’hygiène, le protocole distingue cinq étapes, dont la première prévoit la notification du projet de guide aux trois directions – la direction générale de l’alimentation, ou DGAL, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ou DGCCRF, et la direction générale de la santé, la DGS – par la branche de secteur et la désignation d’une administration dite « pilote » par le comité interministériel de suivi des guides afin d’être l’interlocuteur principal du professionnel sur le projet de guide.

À mes yeux, il est indispensable que le ministère des outre-mer soit systématiquement associé aux discussions entre l’administration pilote et les professionnels des secteurs. Les guides ont pour objectif d’aider ceux-ci à maîtriser la sécurité sanitaire des aliments et à respecter leurs obligations réglementaires. Dès lors, pourquoi exclure de leurs champs d’études les collectivités d’outre-mer et risquer de mettre en péril la santé de nos concitoyens ?

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, sur l’article.

M. Serge Larcher. La teneur plus élevée en sucre de certaines denrées alimentaires n’est pas la seule différence de traitement que subissent les consommateurs ultramarins du fait de leur lieu de résidence, comme l’ont souligné nos collègues députés en élargissant, avec raison, le champ de la présente proposition de loi à la question de la date limite de consommation, ou DLC.

Cette DLC indique un délai impératif qui s’applique à des denrées rapidement périssables telles que les yaourts, susceptibles de présenter, après une courte période, un danger immédiat pour la santé du consommateur.

Or certains industriels de l’Hexagone ont mis en place un système de double étiquetage selon la destination de leurs produits, afin de prendre en compte les temps de transport par bateau. Ainsi, le délai est fixé à trente jours après la fabrication pour les yaourts distribués en métropole et peut atteindre cinquante-cinq jours pour les mêmes produits acheminés outre-mer.

Dans ces conditions, on peut se demander s’il est réellement sans danger pour la santé humaine de consommer un même produit trente voire soixante jours après sa fabrication.

Cette pratique choquante brouille l’information. Surtout, elle est inadmissible du point de vue de l’égalité des droits entre les consommateurs d’un même territoire, le territoire français.

Par ailleurs, l’allongement de la DLC des yaourts fabriqués en métropole et exportés vers les départements d’outre-mer constitue une pratique inéquitable, car les producteurs locaux – les nôtres ! – prévoient quant à eux des délais de consommation plus courts afin de tenir compte de facteurs susceptibles d’altérer la qualité des produits après leur mise en circulation.

On peut ainsi aboutir à une situation paradoxale où des produits importés, dont la DLC a été allongée, expirent plus tard que des aliments équivalents dont la date de fabrication est plus récente. Cette dissymétrie biaise de manière déloyale le choix du consommateur, qui se tourne généralement vers le produit offrant la plus longue période de consommation, ce qui est synonyme, à ses yeux, de plus grande fraîcheur.

Si je ne peux qu’approuver cet article 3, pour des raisons évidentes de santé publique, je m’interroge sur le champ de ces dispositions. Le dispositif vise en effet « le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée ».

Monsieur le ministre, je souhaite savoir si cette disposition ne concerne que la DLC ou si elle s’étend aux denrées alimentaires préemballées présentant une relative stabilité microbiologique et qui, selon la réglementation européenne et française d’étiquetage, doivent faire apparaître une date limite d’utilisation optimale, ou DLUO.

En outre, les distributeurs de denrées alimentaires outre-mer évoquent les conséquences de cet alignement des DLC entre la métropole et les territoires ultramarins. Vous connaissez cette question, que vous venez d’ailleurs de mentionner. Selon ces distributeurs, cette nécessaire mesure de santé publique engendrerait une augmentation des prix de ces produits outre-mer, voire leur complète disparition des étals. Ils avancent que le surcoût résultant d’une modification inévitable du mode d’acheminement, par avion et non plus par bateau, risquerait de poser problème.

Cette intervention vise à vous faire réagir, comme vous l’avez promis, au sujet de l’article 3, afin que toute ambiguïté soit levée et que la situation soit la plus claire possible. Bien entendu, dans notre esprit, des arguments industriels ou commerciaux ne peuvent en aucun cas primer sur les impératifs de qualité des produits et de santé publique. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

(M. Didier Guillaume remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre. En premier lieu, je tiens à apporter quelques compléments aux précisions que j’ai données il y a quelques instants, car je n’ai pas répondu à tous les orateurs à l’issue de la discussion générale.

J’ai été très intéressé par la comparaison historique qu’a dressée Félix Desplan. En effet, le sucre est pour partie à l’origine de notre histoire, et on sait dans quelles conditions : évoquer cette question aujourd’hui me semble tout à fait indiqué pour mieux domestiquer ce problème. Le sucre a bel et bien été à l’origine de l’esclavage : on a fait venir des esclaves dans les colonies pour produire non seulement du tabac et du coton mais aussi de la canne à sucre. Aujourd’hui, il ne faut pas que le sucre continue à dominer la vie quotidienne et l’avenir des outre-mer. J’ai vivement apprécié cette comparaison historique.

Par ailleurs, d’autres inquiétudes se font jour : d’aucuns redoutent qu’il ne soit plus possible de consommer certains produits frais outre-mer. Ils affirment qu’il faudrait acheminer ces aliments par avion, ce qui conduirait à une multiplication des prix. Toutefois, lorsque les ultramarins exportent leurs produits en métropole, notamment la banane ou l’ananas Victoria, ils ont recours au fret aérien, et le consommateur métropolitain accepte bien de payer un peu plus cher !

En conséquence, appliquons le principe de symétrie : si, outre-mer, on souhaite consommer des produits frais venant de métropole, peut-être faut-il accepter de les payer un peu plus cher. Je rappelle à cet égard que ce problème ne concerne guère que quelques aliments, à savoir des desserts et de la charcuterie.

J’espère comme beaucoup d’autres que l’on pourra opérer des substitutions d’importations et, donc, développer la production locale outre-mer.

Lorsque j’étais étudiant, je défendais la théorie du développement endogène, qui était proche de ma philosophie. Par la suite, j’ai contesté cette conception, en considérant qu’elle revenait à dire : « Il n’y a plus de solidarité nationale, il n’y a plus de crédits. Débrouillez-vous ! » Aujourd’hui, on octroie les moyens aux territoires d’outre-mer, notamment dans le domaine de la restauration collective.

Au-delà de la Guyane, qui fait partie d’un continent, quel est le problème des outre-mer ? C’est l’insularité. C’est la dimension et l’étendue des marchés, comme dirait Adam Smith. Les marchés sont peu étendus et regroupent peu de population.

On pourrait parvenir à accroître le marché, peut-être par la destruction créatrice. C’est ce qui est fait ici, en métropole. Pourquoi croyez-vous que l’on définit une date limite à quinze ou à dix-neuf jours pour le jambon frais, le jambon de Paris ou le jambon blanc, alors qu’il est encore consommable au-delà ?

Eh bien cela permet de préserver l’activité, de faire tourner les usines, de maintenir l’emploi ! Pourquoi ne peut-on pas répéter cet exemple-là, qui permet d’élargir le marché ? Derrière cette loi, il y a donc un autre objectif. Il faut par conséquent donner à l’industrie les moyens de se développer.

C’est le cas lorsqu’on dit aux agriculteurs et aux agro-transformateurs qu’un marché récurrent, quotidien, leur est proposé, celui de la restauration collective. À la réunion, me disait-on, il représente 36 millions de plats sur l’année ! C’est là un véritable marché ! Avant d’exporter, vous allez faire la conquête de votre marché intérieur. Nous n’allons pas sombrer pour autant dans l’illusion de l’indépendance alimentaire, mais vous aurez conquis une part du marché intérieur, vous aurez assuré des développements d’entreprises, et d’emplois, tout en favorisant un développement moins émetteur de gaz à effet de serre. Cette logique me semble vertueuse, et je tenais donc à vous apporter ce complément de réponse.

Une question a été posée, dont je n’ai peut-être pas saisi toute la subtilité, sur les accords de partenariat économique entre les territoires ultramarins et leur voisinage immédiat. Il faudrait peut-être en dresser le bilan, comme le Sénat l’a fait, dans un rapport qui a été remis.

De tels accords n’ont pratiquement été signés nulle part ailleurs que dans les outre-mer, c'est-à-dire dans la Caraïbe et, peut-être, dans l’océan Indien. En effet, l’Afrique s’est insurgée en affirmant que l’asymétrie de l’accord n'était pas conforme à ses intérêts, et ses représentants ont donc retenu leur plume.

En revanche, dans la Caraïbe, où nous n’étions pas représentés autour de la table – j’étais à l’époque président de région, et je m’étais invité au sein du CARIFORUM, qui est, comme on dit dans la Caraïbe, « la machine de négociation », afin d’obtenir des informations ; j’étais accompagné d’un compatriote de la Martinique, M. Jean Crusol, qui représentait la Guadeloupe et la Martinique –, l’accord a été signé avec une asymétrie pour une période d’une vingtaine d’années, à peu près. Les produits de dix-sept pays ACP ― Afrique, Caraïbes, Pacifique ― ou des pays et territoires d’outre-mer, ou PTOM, de la Caraïbe peuvent entrer librement en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Mais Saint-Barthélemy est aujourd’hui un PTOM et peut donc, si j’ose dire, légiférer et réglementer en matière de commerce extérieur.

Si les Français peuvent se rendre dans ces pays-là et y dépenser leur épargne, nos produits ne peuvent pas y être exportés. Ils se heurtent à ce que l’on appelle la negative list, qui est une sorte de liste de prohibition concernant plus de 200 produits qui ne peuvent pas pénétrer les marchés et entrer en concurrence avec les produits de la Caraïbe. Cela est peut-être vrai aussi pour l’océan Indien, même si il n’y a sans doute pas de liste de prohibition.

Il y a là une asymétrie, que la Commission européenne est libre de contracter, sans même l’accord de la France, conformément à ses prérogatives de négociation, dans le cadre d’un mandat.

À l’époque, je l’avoue, ce point n’avait pas fait l’objet d’une expertise suffisante. Il doit donc être réexaminé. M. le Premier ministre a nommé un parlementaire en mission – M. Serge Letchimy, député de la Martinique – pour faire des propositions tenant compte de ces accords de partenariat économique, de l’environnement immédiat, de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit de déterminer comment on peut agir avec ces contraintes et, par endroit, s’en émanciper. J’espère donc que nous aurons de nouveaux textes à étudier et de nouveaux accords à trouver.

En tout cas, quelle que soit la liberté du pouvoir de négociation de la Commission en matière de commerce international, il a été décidé de mieux tenir compte des intérêts de ces territoires, qui sont également européens.

Le processus bilatéral peut être catastrophique : on l’a vu en matière de banane, de rhum, ou de riz en Guyane. Il faut donc éviter de signer trop vite, sans évaluer les conséquences. En général, il n’y a pas d’étude d’impact. Nous avons déjà eu l’occasion de nous en mordre les doigts.

Pour le reste, je tenais à m’exprimer de manière précise, en lisant un texte, afin de bien répondre à vos interpellations, dont la dernière, celle du président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, le sénateur Serge Larcher. Je souhaite que cette réponse ait valeur interprétative et que demain, en cas de contentieux – qui sait ? –, elle puisse servir à éclairer le juge.

Tout d’abord, je souhaite vous dire mon plein accord avec le rapporteur, Michel Vergoz, quant à son interprétation de l’article 3 qui le conduit à préciser que seules les DLC sont concernées par cet article puisque la date limite d’utilisation optimale, la DLUO, n’est précisément pas une date au-delà de laquelle on ne peut plus consommer un produit.

Les inquiétudes de l’industrie agroalimentaire, qui défend l’utilisation de DLUO spécifiques à l’export, sont donc sans fondement. Cet article ne vise que les produits périssables dont la durée de commercialisation n’est que de quelques jours, ou de quelques semaines, et qui sont soumis à une obligation d’information sur leur délai impératif de consommation pour des raisons de sécurité sanitaire. Donc, uniquement la DLC.

Toutefois, même sur ce seul champ réduit des produits soumis à DLC, certains distributeurs ont soulevé un argument économique : l’allongement de la DLC serait nécessaire pour exporter par voie maritime dans les outre-mer, la voie aérienne engendrant un surcoût trop important.

Quelle est la portée exacte de cet argument ? Quels produits vise-t-il ? A-t-on soulevé un problème nouveau que personne n’avait vu, et quel est-il ?

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez comme moi été destinataires de ce document (M. le ministre brandit ledit document.) ; j’ai d’ailleurs entendu ici et là des éléments inspirés très largement de cet argumentaire produit par l’industrie agroalimentaire, les distributeurs et les commerçants. Il s’agit d’une liste de 300 produits soumis à double DLC et qui constituerait le cœur du problème.

Or que nous révèle cette liste ?

Elle nous apprend d’abord que pour une trentaine de produits, essentiellement des desserts industriels – mousse au chocolat, crème caramel, îles flottantes, riz au lait, baba au rhum, etc. –, la différence des DLC n’est que de quelques jours, d’une semaine au plus, comme cela apparaît sur la première page. Un si faible écart conduit à s’interroger sur la nécessité d’avoir deux dates.

Lorsque la DLC va de dix-sept à vingt et un jours en France hexagonale et de vingt-cinq jours à l’export – les outre-mer étant considérés comme territoires d’exportation, ces catégories sont pertinentes –, il s’agit d’un ajustement assez fin. Si ces desserts sont encore bons après vingt-cinq jours, pourquoi les jeter au bout de dix-sept jours ? C’est du gaspillage organisé ! Il y a une logique à cela... Le débat n’a pas été organisé sur ce sujet, mais la question se pose.

Ce document présente ensuite toute une série de produits, notamment des produits laitiers, avec des DLC ordinaires à vingt-cinq jours et des DLC à l’export à quarante, cinquante ou soixante jours. Je m’interroge franchement sur la logique des distributeurs. Ils nous disent qu’une DLC à l’export à vingt-cinq jours est suffisante pour vendre une mousse au chocolat malgré le délai de fret, mais qu’une DLC à vingt-cinq jours pour des yaourts ne l’est pas, et ils demandent donc quarante jours. Cela me paraît un peu contradictoire.

J’ai la même interrogation pour les tranches de jambon cuit. On entre vraiment dans le détail…

M. Daniel Raoul. Mais on en était au dessert ! (Sourires.)

M. Victorin Lurel, ministre. Je vois dans cette liste un jambon avec une DLC à quinze jours en France hexagonale et à vingt-trois jours à l’export, qui voisine avec un autre jambon portant une DLC ordinaire à vingt-sept jours et à quarante jours à l’export. Ainsi, on a allongé la DLC de ce jambon de Paris à vingt-trois jours à l’export, mais elle reste plus courte que la DLC normale du second ― il s’agit de jambon blanc. Pourquoi ne pas se contenter de vendre le second dans les outre-mer ? Cela me pose donc un nouveau problème.

Mais il y a mieux, ou peut-être pire : je vois dans cette liste du gruyère râpé avec une DLC normale à 40 jours, bien suffisante pour exporter en outre-mer, et une DLC à l’export portée à 180 jours ! Six mois pour un produit frais ! Avez-vous essayé de garder six mois un paquet de gruyère râpé dans votre réfrigérateur ? Essayez ! Nous avions entendu une ministre dire qu’elle ne reconnaissait pas son gruyère. Nous avons connu cela et à l’époque, effectivement, ça piquait ! (Sourires.) Faites l’expérience, cela vous aidera à vous faire une opinion sur les doubles DLC.

Je vois aussi un camembert pasteurisé avec une DLC à 21 jours portée à 70 jours à l’export et un reblochon avec une DLC normale à 35 jours qui va jusqu’à 120 jours à l’export ! Nous savions que les ultramarins aimaient trop le sucre, je vois que les industriels pensent qu’ils raffolent aussi du fromage très affiné et qu’ils ont l’estomac solide. (Sourires.)

J’ai conservé pour la fin les plaquettes de beurre avec une DLC à 35 jours qui passe à 365 jours à l’export. Comme disait Alphonse Allais, « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites ». (Sourires.)

Mesdames et messieurs les sénateurs, je ne sais pas si ces dates sont exactes, mais ce sont celles que nous présentent les industriels qui contestent la suppression de la double DLC pour l’outre-mer. Si cela correspond bien à la réalité des pratiques, je crains que la sécurité sanitaire n’ait pas grand-chose à voir dans cette affaire et que ces DLC élastiques ne soient que le résultat d’un marketing irresponsable.

Je finirai en rappelant que le même argument a été utilisé pour le surdosage en sucre. Lorsque l’on vous dit que c’est votre goût, c’est faux ! C’est un argument commercial, parce que cela crée de la dépendance, de l’addiction. C’est également un facteur de meilleure et de plus longue conservation, de plus longue série, et donc, essentiellement, un problème de profit ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe écologiste. – M. Bernard Fournier applaudit également.)

M. Daniel Raoul. On passe à table ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3 (Texte non modifié par la commission)
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Article 4  (Texte non modifié par la commission) (fin)

Article 4

(Non modifié)

Dans les collectivités mentionnées à l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture sont obligatoirement prises en compte pour l’attribution des marchés publics de restauration collective.

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano, sur l'article.

M. Jacques Cornano. Cet article 4 vise à promouvoir les denrées issues des circuits courts de distribution dans le cadre de la passation des marchés publics de restauration collective outre-mer.

L’évolution du texte prévue par l’Assemblée nationale est tout à fait bienvenue et s’inscrit parfaitement dans les nécessaires objectifs de développement durable.

Je précise qu’il s’agit néanmoins déjà d’un critère d’offre de passation de marchés publics que les collectivités retiennent souvent. Sur l’île de Marie-Galante, c’est le cas et nous faisons tout notre possible pour que les producteurs locaux interviennent au maximum dans la fabrication des repas des restaurants scolaires.

Toutefois, je tiens à le souligner, il est nécessaire d’aller plus loin, ce que je ne manquerai pas de faire, notamment en proposant l’élargissement de la mesure prévue pour les produits frais locaux à des produits locaux transformés, ainsi qu’aux produits issus de l’agriculture biologiques.

M. le président. Je mets aux voix l'article 4.

(L'article 4 est adopté.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.

(La proposition de loi est définitivement adoptée.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Daniel Raoul. Juste un dessert ! (Sourires.)

M. Victorin Lurel, ministre. Je tiens à vous remercier, tous, pour le véritable progrès qui vient d’être accompli.

J’ai bien entendu le sénateur Jacques Cornano, mais la question de l’extension des dispositions de l’article 4 à d’autres produits et à d’autres secteurs sera traitée dans le cadre de la loi portée par mon collègue Stéphane Le Foll. Notre ambition est, en effet, de changer de modèle, de passer d’un modèle intensif à un modèle agro-écologique. Nous verrons alors si cette proposition peut être reprise.

Article 4  (Texte non modifié par la commission) (début)
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8

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Discussion générale (suite)

Zone dite des cinquante pas géométriques

Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques (proposition n° 447, texte de la commission n° 567, rapport n° 566).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Serge Larcher, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Serge Larcher, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, « nous avons conscience d’avoir, par ce bref exposé, jeté un peu plus de lumière sur la trop vieille question des “50 pas géométriques” aux Antilles, que le Gouvernement a, enfin, décidé de résoudre ». Ainsi s’exprimait mon grand-oncle, Marius Larcher, avocat général à la retraite, dans un ouvrage intitulé La solution définitive de la question des cinquante pas géométriques aux Antilles (L’orateur brandit un exemplaire dudit ouvrage.), publié en janvier... 1949 !

Plus de soixante ans après, nous examinons une proposition de loi – que j’ai déposée le 26 mars dernier avec l’ensemble des membres du groupe socialiste – qui porte sur ce véritable « serpent de mer » qu’est la problématique – essentielle aux Antilles – de la gestion de la zone des cinquante pas géométriques.

Avant d’en venir au contenu de ce texte, il ne me semble pas superflu de faire quelques rappels historiques, afin de vous expliquer ce qu’est la zone des cinquante pas géométriques, une zone bien connue en Guadeloupe et en Martinique, mais qui est, j’en suis sûr, un mystère pour vous, mes chers collègues de l’Hexagone !

Sous l’Ancien Régime a été créée une zone dite « des cinquante pas du roi », une bande de 81,20 mètres située au bord du rivage. La création de cette réserve domaniale avait pour objectif d’assurer la défense des îles, l’avitaillement ainsi que l’entretien des navires.

L’édit de Saint-Germain-en-Laye de décembre 1674 a intégré la zone des cinquante pas au domaine de la Couronne. Les cinquante pas sont ainsi devenus inaliénables et imprescriptibles, ce qui a été confirmé par plusieurs textes, tels qu’un décret de 1790 sous la Révolution française et une ordonnance de février 1827 prise sous Charles X, sous la Restauration. Cette ordonnance indiquait qu’« aucune portion des cinquante pas géométriques réservés sur le littoral ne peut être échangée ni aliénée ».

Dès la fin du XVIIIsiècle, la zone des cinquante pas géométriques a commencé à être occupée par des personnes ne disposant pas de titres de propriété. Ainsi, l’abolition de l’esclavage a conduit les travailleurs des plantations à se diriger vers les terres disponibles du littoral afin de s’y établir, faute de moyens pour acquérir les terrains mieux situés, et pour cause ! L’administration a délivré dès le XIXe siècle des autorisations d’installation, en principe révocables mais qui sont progressivement devenues définitives.

Le fossé existant entre le droit et la réalité a conduit à modifier à plusieurs reprises – et dans des directions partiellement contradictoires – le régime de la zone des cinquante pas géométriques, pour tenter d’apporter des solutions au phénomène de l’occupation sans titre.

Deux décrets de 1882 et 1887 du président de la République ont introduit une exception à la règle de l’inaliénabilité du domaine public en autorisant, sous certaines conditions, la délivrance de titres de propriété.

Par ailleurs, un décret de juin 1955 a transféré la zone des cinquante pas dans le domaine privé de l’État, mettant fin à son imprescriptibilité. Il a permis de vendre des parcelles à certains occupants, tandis que les dispositions du code civil relatives à la prescription acquisitive ont pu s’appliquer.

En outre, la loi Littoral de 1986 a réincorporé les parcelles de la zone des cinquante pas géométriques dans le domaine public de l’État, tout en facilitant la cession aux communes et aux particuliers.

La zone des cinquante pas géométriques est finalement aujourd’hui régie par la loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer, une loi que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de modifier.

La loi de 1996 a cherché à améliorer la situation des occupants, en leur permettant d’acheter des terrains, à assurer l’aménagement des zones et à faciliter le développement économique de ces zones. Permettez-moi de vous en exposer les principales dispositions.

Tout d’abord, la délimitation par le préfet, au sein de la zone des cinquante pas géométriques, des espaces urbains et des espaces naturels, ces derniers étant confiés en gestion au Conservatoire du littoral.

Ensuite, la fixation des modalités de cession des terrains situés dans les espaces urbains : ils peuvent être cédés gratuitement aux communes et aux organismes d’HLM pour la réalisation d’opérations d’aménagement ou d’habitat social. Ils peuvent être cédés à titre onéreux aux occupants ayant édifié ou fait édifier des résidences principales ou des locaux professionnels avant le 1er janvier 1995. Une aide financière spécifique est prévue pour les acquéreurs de terrains occupés au titre de leur habitation principale.

Enfin, dans chaque département antillais est créée une « agence des cinquante pas géométriques », établissement public d’État dont la durée de vie était initialement fixée à dix ans. Ces agences avaient alors pour mission d’établir un programme d’équipements des terrains situés dans les espaces urbains et d’émettre un avis sur les projets de cession.

L’objectif de la loi de 1996 était simple : sortir du cercle vicieux dans lequel l’État était entraîné par la rigueur du droit et par son incapacité à le faire respecter.

Ainsi, en un peu plus d’un siècle, quatre textes sont intervenus, dans des directions en partie contradictoires, pour modifier le régime de la zone des cinquante pas géométriques. Cette « frénésie » législative s’explique facilement : 15 % à 20 % de la population de chacun des départements antillais vit sur cette zone. Ce sujet est donc tout, sauf anodin.

Pour autant, la frénésie législative ne s’est pas arrêtée. La loi de 1996 a elle-même été modifiée à plusieurs reprises.

Ainsi, la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques a été modifiée pas moins de trois fois au cours des dix dernières années.

La nomination des directeurs des agences n’étant intervenue qu’en 2001, la loi de 2003 de programme pour l’outre-mer, la LOPOM, a finalement fixé à quinze ans leur durée de vie.

Puis, la loi de 2009 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, a prévu qu’un décret pourrait prolonger la durée de vie des agences pour cinq ans, renouvelable deux fois, soit jusqu’au 1er janvier 2027.

La loi Grenelle 2 de 2010 a, enfin, prévu que la durée de vie des agences ne pourrait être prolongée que de deux ans, soit jusqu’au 1er janvier 2014, les missions de régularisation foncière des agences devant être reprises à leur disparition par des établissements publics fonciers d’État, des EPFE.

Par ailleurs, la loi Grenelle 2 a procédé à d’autres modifications importantes de la loi de 1996.

Ainsi, les agences se sont vu confier la conduite du processus de régularisation des occupants sans titre, une mission exercée jusqu’alors par les services déconcentrés.

De plus, afin d’accélérer le processus de régularisation, une date limite de dépôt des demandes de cession a été fixée au 1er janvier 2013.

Tel est aujourd'hui l’état du droit.

Dix-huit ans après son adoption, la loi de 1996 présente un bilan mitigé.

Le processus de régularisation a pris du retard : un nombre limité de dossiers a été déposé et peu d’offres de cession ont été acceptées. En Guadeloupe par exemple, plus de 5 000 demandes ont été déposées : l’agence des cinquante pas géométriques a formulé 2 200 avis favorables, pour moins de 700 régularisations effectives. Plusieurs facteurs expliquent ce résultat.

Tout d’abord, la population concernée est pauvre : de nombreuses cessions n’aboutissent pas du fait du prix proposé au regard des ressources des demandeurs. À cet égard, il faudrait réfléchir, monsieur le ministre, à l’institution d’un dispositif de financement, complémentaire à l’aide financière, afin de permettre à tous les occupants régularisables d’être effectivement régularisés.

Ensuite, la procédure de régularisation est particulièrement complexe et longue.

Enfin, nombre de locaux sont situés en « zones rouges », inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels. Il s’agit de terrains non cessibles et donc non régularisables.

Les modifications apportées par la loi Grenelle 2 ont cependant permis une accélération du processus, avec une forte augmentation du nombre de dossiers de régularisation déposés : 57 % des dossiers déposés en Guadeloupe l’ont été au cours des trois dernières années et, en Martinique, la proportion est proche de 40 %.

Pour ce qui concerne les travaux, le bilan de ces agences est également mitigé, notamment en Guadeloupe, où seuls onze chantiers d’équipement ont été menés à terme. En Martinique, en revanche, près de 30 millions d’euros de travaux ont été réalisés depuis 2006. Comme j’ai pu le constater sur le terrain, l’agence dispose d’une véritable expertise et constitue un interlocuteur privilégié pour les maires et les élus locaux. Elle est ainsi en mesure de fournir du foncier équipé pour la réalisation de logements sociaux.

J’en viens à la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

La proposition de loi initiale comprenait deux articles : l’article 1er, qui permet la prolongation de la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques jusqu’au 1er janvier 2016 ; l’article 2, lequel repousse au 1er janvier 2015 la date limite de dépôt des demandes de régularisation.

Au terme de mes travaux, qui m’ont conduit à auditionner les directeurs des deux agences des cinquante pas géométriques, les services de l’État en Guadeloupe et en Martinique, ainsi que le ministère des outre-mer, il apparaît que cette proposition de loi est bienvenue et même attendue dans les deux départements concernés. Il s’agit certes d’un texte d’urgence, mais qui n’a vocation à être, je tiens à le souligner, qu’un texte de transition.

La prolongation de la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques est nécessaire car la création d’établissements publics fonciers d’État, qui auraient dû, conformément aux dispositions prévues dans le Grenelle 2, reprendre la mission de régularisation des agences, n’est plus d’actualité. Tant en Guadeloupe qu’en Martinique, les collectivités territoriales ont en effet décidé de mettre en place des établissements publics fonciers locaux, des EPFL. Un EPFL existe depuis juin 2011 en Martinique et un autre a été créé il y a quelques jours en Guadeloupe.

Dans ces conditions, la disparition de ces agences le 1er janvier 2014 risquerait de créer une rupture préjudiciable à la poursuite de la normalisation de l’occupation de la zone des cinquante pas géométriques.

Le report de la date limite de dépôt des demandes de régularisation est également nécessaire : on estime que plus de 3 000 dossiers de construction sont encore régularisables dans chacun des départements antillais.

Cette proposition de loi n’est cependant pas une fin en soi. J’estime que le délai de deux ans doit être mis à profit pour réfléchir à l’avenir des agences et, plus globalement, à la gestion de la zone des cinquante pas géométriques. Cette réflexion ne peut pas être déconnectée d’autres questions telles que la création des EPFL, la recherche de la mutualisation entre les différentes structures qui existent ou encore la mise en œuvre de la mission de reconstitution des titres de propriété.

Je me réjouis donc, monsieur le ministre, que vous ayez, avec la ministre de l’égalité des territoires et du logement, lancé, en avril dernier, une mission de l’Inspection générale de l’administration et du Conseil général de l’environnement et du développement durable sur la problématique générale du foncier dans les Antilles, la lettre de mission du 16 avril dernier évoquant clairement la problématique des cinquante pas géométriques. Le transfert des missions des agences en matière de régularisation foncière aux EPFL semble aujourd’hui clairement envisagé, notamment en Guadeloupe. Cette mission permettra donc d’y voir beaucoup plus clair.

Pour ce qui concerne l’avenir des agences et de la zone des cinquante pas géométriques, je souhaite formuler trois ultimes observations.

Si les agences sont amenées à disparaître, je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le sort qui sera réservé au personnel. Selon moi, le savoir-faire et l’expertise de ce personnel pourraient utilement être mis au service des structures qui succéderont aux agences.

Par ailleurs, si les EPFL reprennent les missions de régularisation des agences, ne serait-il pas temps de réfléchir au transfert de la domanialité de cette zone aux conseils régionaux, à l’instar de ce qui s’est passé à Saint-Martin ? Cette question mérite d’être posée.

Enfin, il convient de mener une réflexion sur la gestion par l’Office national des forêts, l’ONF, de la forêt domaniale littorale. Cette zone, qui relève du domaine privé de l’État, est dans les faits partiellement urbanisée : c’est ainsi que l’on compte plus de 500 occupations illicites en Martinique ! Or la gestion de cette situation par l’ONF est souvent jugée brutale – certains disent ferme, moi je dis brutale.

Pour en revenir à la proposition de loi, la commission des affaires économiques en a adopté à l’unanimité les articles 1er et 2. En outre, elle y a introduit un article supplémentaire, dont le champ géographique est plus large que les seuls départements antillais. Cet article 3, dont le Gouvernement est à l’initiative, comporte un dispositif très attendu dans nos outre-mer car portant sur une question majeure : la reconstitution des titres de propriété.

De fait, les outre-mer se caractérisent par l’absence massive de titres de propriété. Cette situation est liée à des successions non réglées et à des occupations de fait ou sans titre. Il s’agit d’un véritable fléau : on estime qu’il touche entre 45 % et 60 % du territoire de la Guadeloupe et de la Martinique, mais aussi de la Réunion et de Saint-Martin.

Ce problème a de graves conséquences sociales, puisque le titre de propriété est la base de l’accès au crédit bancaire et qu’il peut servir de garantie pour des engagements économiques ou permettre de bénéficier d’aides publiques. Par ailleurs, cette situation est un frein aux opérations d’aménagement et à la construction de logements sociaux, comme nos collègues Georges Patient et Éric Doligé l’ont souligné dans leur rapport sur le logement social.

Pour résoudre ce problème, l’article 35 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, a prévu, sur le modèle de l’exemple corse, la mise en place d’un groupement d’intérêt public, un GIP, chargé de reconstituer les titres de propriété dans les outre-mer. Seulement, quatre ans plus tard, ce GIP n’a toujours pas vu le jour, faute de parution du décret d’application, ce que j’ai dénoncé à plusieurs reprises en tant que rapporteur pour avis des crédits de la mission budgétaire « Outre-mer ». Une mission de préfiguration a présenté son rapport en mai 2011 et un projet de décret a été soumis au Conseil d’État, mais celui-ci a estimé que les dispositions réglementaires envisagées ne respectaient pas les termes de la loi, puisqu’elles prévoyaient la constitution d’une structure distincte pour chaque collectivité.

Monsieur le ministre, je salue l’initiative prise par le Gouvernement, qui devrait permettre le lancement du processus de reconstitution des titres de propriété dans les outre-mer. La mission de titrement sera confiée à une structure propre à chaque collectivité : soit un GIP, soit un organisme foncier existant – par exemple, dans les Antilles, l’établissement public foncier local –, cette seconde option permettant d’éviter la création de structures supplémentaires.

Pour conclure, mes chers collègues, je vous invite à adopter la présente proposition de loi, qui permettra d’apporter quelques réponses urgentes aux importantes difficultés rencontrées par nos outre-mer en matière de foncier. J’espère qu’à la suite de la commission des affaires économiques, notre Haute Assemblée la soutiendra à l’unanimité, démontrant ainsi une nouvelle fois son profond attachement à nos outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Joël Labbé et Jean-Claude Requier ainsi que quelques sénateurs de l'UDI-UC et de l'UMP applaudissent également.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Discussion générale (suite)

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Souhaits de bienvenue à M. Nikom Wairatpanij, président du Sénat thaïlandais

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer en votre nom la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation conduite par M. Nikom Wairatpanij, président du Sénat du Royaume de Thaïlande. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le ministre se lèvent).

Cette visite illustre une nouvelle fois, s’il était nécessaire, l’excellence des relations franco-thaïlandaises. Après la visite en France, en juillet dernier, de la Première ministre de Thaïlande, Mme Yinluck Shinawatra, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s’est rendu il y a quelques semaines à Bangkok, où de nouveaux partenariats entre nos deux pays ont été noués.

Je tiens tout particulièrement à souligner la qualité des échanges entre nos Parlements. Une délégation du groupe d’amitié France-Asie du sud-est, conduite par nos collègues Gérard Miquel et Bernard Saugey, s’est rendue en Thaïlande en septembre dernier ; elle a pu échanger longuement avec M. le président du Sénat et des membres du Parlement thaïlandais, notamment sur les questions de démocratie locale et de coopération décentralisée, chères à notre assemblée. Une délégation du groupe d’amitié Thaïlande-France, en visite à Paris, sera reçue à déjeuner demain par une dizaine de nos collègues du groupe d’amitié France-Asie du sud-est.

Nous formons le vœu que la présence au Sénat du président du Sénat thaïlandais soit l’occasion de resserrer davantage les liens entre nos assemblées et de conforter le dialogue entre nos deux nations. Monsieur le président, nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat français ! (Applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Discussion générale (suite)

Zone dite des cinquante pas géométriques

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Article 1er

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi soumise à votre examen vient combler un vide juridique.

En effet, les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques, créées en Guadeloupe et en Martinique par la loi du 30 décembre 1996, devaient disparaître au bout d’une période de quinze ans, soit à la fin de l’année 2011. Cette même loi avait prévu que leur existence pourrait être prolongée de deux ans par décret, ce qui a été fait en 2011. Depuis le 1er janvier 2013, ces deux agences, dont la mission est de conduire le processus de régularisation des occupants sans titre des terrains du domaine public littoral, ne peuvent plus recevoir de dossiers.

Le 4 décembre dernier, j’ai indiqué devant les députés que le Gouvernement était favorable à la prolongation de la durée de vie de ces agences pour deux années supplémentaires après le 31 décembre 2013, ainsi qu’à la prolongation pour la même durée du délai de dépôt des demandes de régularisation. Les articles 1er et 2 de la présente proposition de loi vont dans le sens de cet engagement du Gouvernement. Cette initiative permet d’aller vite.

À la disparition de ces agences, les missions qu’elles assurent devaient être attribuées à des établissements publics fonciers d’État. En définitive, ceux-ci ne devraient pas voir le jour, les régions de la Guadeloupe et de la Martinique ayant créé récemment des établissements publics fonciers locaux, que nous croyons tout à fait à même d’agir dans ce domaine. La prolongation de deux ans de la durée de vie des agences permettra de donner du temps à ces nouveaux établissements, afin qu’ils acquièrent les moyens de reprendre efficacement la mission de régularisation foncière sur la zone des cinquante pas géométriques.

En un peu plus de quinze ans, les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques ont démontré leur utilité, en traitant d’un problème particulièrement prégnant sur ces deux territoires. Certes, comme M. le rapporteur l’a souligné, le bilan des régularisations est mitigé. Aux difficultés administratives liées à des procédures souvent trop lourdes pour une population plutôt âgée et pauvre s’ajoute le fait que les zones des cinquante pas géométriques continuent de connaître des occupations illicites, qui donnent à tout le processus des allures de travail de Sisyphe. Ce problème est on ne peut plus actuel et l’urgence de l’initiative sénatoriale est pleinement justifiée.

L’adoption de la présente proposition de loi est nécessaire, mais nous avons bien conscience qu’elle ne sera pas suffisante. Une réflexion globale doit être conduite par l’État, avec l’ensemble des collectivités territoriales, sur la gestion des zones littorales. C’est pourquoi le ministère de l’égalité des territoires et du logement et le ministère des outre-mer ont conjointement diligenté une mission de l’Inspection générale de l’administration et du Conseil général de l’environnement et du développement durable sur les problèmes fonciers en Guadeloupe et en Martinique.

Cette mission, lancée au milieu du mois d’avril et conduite par deux inspecteurs, doit fournir des préconisations sur les moyens de mettre en œuvre une stratégie foncière dans les zones urbanisées. Ces préconisations devront tenir compte des besoins en logements, des projets des collectivités territoriales, de la pérennisation des missions de régularisation foncière et d’aménagement dans la zone littorale, ainsi que des missions de reconstitution des titres de propriété. La mission devra aussi faire des propositions sur les différentes options possibles et notamment sur l’avenir des missions de régularisation et d’aménagement actuellement remplies par les agences.

Ce rapport doit être rendu le mois prochain ; si des mesures législatives s’avèrent nécessaires, elles pourront être introduites dans le projet de loi actuellement en préparation sur le logement et l’urbanisme. Il s’agit de se donner véritablement les moyens d’agir pour traiter au fond ces situations difficiles, aussi bien pour nos concitoyens concernés que pour les services de l’État et des collectivités territoriales.

C’est un fait que, dans certaines zones, comme M. le rapporteur l’a signalé, une pléthore d’organismes interviennent. (M. le rapporteur acquiesce.) Il y a parfois le Conservatoire du littoral, l’ONF, certaines communes habilitées à intervenir, l’agence des cinquante pas géométriques et bientôt peut-être, après l’absorption de celles-ci, les établissements publics fonciers, qu’ils soient d’État ou locaux ; en Guadeloupe, il arrive même parfois, me dit-on, que le parc national intervienne aussi. Cela fait beaucoup !

M. Serge Larcher, rapporteur. En effet !

M. Victorin Lurel, ministre. Il est vrai qu’il y a quelques interrogations sur l’évaluation faite par France Domaine du prix du mètre carré. J’espère que toutes ces questions seront abordées par le rapport dont je viens de parler.

D’ailleurs, l’article 3 de la proposition de loi va dans ce sens. Il vise à permettre la mise en œuvre « par une structure spécifique à chaque collectivité ultramarine concernée » d’une procédure de constitution ou de reconstitution des titres de propriété. C’était là encore un souhait que j’avais exprimé au nom du Gouvernement, en indiquant que nous étions tout à fait disposés à modifier l’article 35 de la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, afin de créer un groupement d’intérêt public chargé d’une mission de titrement destinée à reconstituer les titres de propriété et de combattre le fléau de l’indivision.

Comme l’a souligné M. le rapporteur, l’absence de titres de propriété pose de graves problèmes sociaux : pas d’accès aux crédits bancaires, pas de garantie ni d’aides publiques. Sans compter qu’elle rend très difficile l’accès à des ressources foncières sur lesquelles pourraient être réalisés les logements sociaux dont ces territoires ont tant besoin.

Pour reconstituer les titres de propriété dans les outre-mer, la LODEOM a prévu la mise en place d’un groupement d’intérêt public unique, mais celui-ci n’a jamais vu le jour, faute de parution du décret d’application. Il faut dire que l’idée de créer un seul GIP pour onze territoires était presque inapplicable ; elle l’aurait été même pour quatre ou cinq. (M. le rapporteur acquiesce.)

Grâce à l’article 3 de la proposition de loi, la mission de titrement pourra être confiée à une structure propre à chaque collectivité : soit un GIP, soit un organisme foncier existant, ce qui permettra d’éviter la création de nouveaux organismes. C’est, à notre sens, une solution plus souple et plus opérationnelle. L’article 3 l’étend d’ailleurs à Mayotte.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement accueille très favorablement cette proposition de loi et sera attentif aux débats que nous aurons dans un instant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Joël Labbé et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi nous renvoie au passé des départements d’outre-mer, puisque la zone dite aujourd’hui des cinquante pas géométriques est issue de la réserve domaniale, autrement dit des cinquante pas du roi, système qui visait à protéger les rivages des Antilles et de la Réunion contre des incursions ennemies.

Cette notion des cinquante pas géométriques concerne l’outre-mer, ou plutôt les outre-mer. En effet, dans ce domaine aussi, on peut noter des différences fondamentales entre les situations de la Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe. C’est ainsi qu’à la Réunion la zone des cinquante pas géométriques est devenue aliénable, donc prescriptible, dès 1922 ; à la suite de cette décision, la situation a été définitivement réglée pour la Réunion.

En revanche, le caractère prescriptible de la zone n’a pas été reconnu pour les Antilles par la jurisprudence. En Martinique et en Guadeloupe, pour mettre un terme aux problèmes liés à l’occupation sans titre de la zone des cinquante pas géométriques, la loi du 30 décembre 1996 a mis en place de nouveaux mécanismes de cession de ces terrains de cette zone relevant du domaine public maritime.

Parmi ces mécanismes figurait la création d’agences, qui constituent un instrument de coopération entre l’État et les communes, et sont chargées notamment de régulariser les occupations sans titre sur la zone.

Force est de le constater, les agences antillaises ont encore à faire : en effet, le nombre de « cessions-régularisations » reste très faible. Selon les chiffres qui nous ont été fournis, encore 8 000 occupants sont concernés.

Les autres missions de ces agences sont d’établir des programmes d’équipement des terrains mis à disposition, de vérifier la cohérence entre les cessions et ces programmes, de réaliser certains travaux d’équipement et de lutter contre l’habitat spontané.

L’habitat spontané est aussi, rappelons-le, une question d’une extrême importance outre-mer, au même titre que l’habitat insalubre, l’habitat précaire et, plus généralement, le logement.

Si la question humaine doit être mise en avant pour régler la situation existant aux Antilles, soulignons que les zones aménagées et équipées ne sont pas si nombreuses, tandis que les constructions illicites sur les espaces littoraux ont continué, quant à elles, à se développer.

Il n’est pas question de jeter la pierre à qui que ce soit. Nous dressons seulement le constat suivant : les quatre départements d’outre-mer regroupent 92 communes littorales au sens de la loi Littoral : 33 en Martinique, 25 en Guadeloupe, 15 en Guyane et 19 à la Réunion.

En 1999, la population des communes littorales des départements d’outre-mer approchait 1,5 million d’habitants. La densité de population était forte sur le littoral de Martinique, de Guadeloupe et de la Réunion, avec environ 300 habitants par kilomètre carré. C’est le reflet d’une densité de population élevée sur l’ensemble du territoire de ces trois îles, amplifiée en bord de mer.

Cette densité est supérieure à la moyenne littorale métropolitaine, estimée, quant à elle, à 270 habitants par kilomètre carré, l’essentiel de la population des départements d’outre-mer se concentrant en effet en bord de mer.

Les raisons d’une telle situation sont simples : le relief est accidenté à l’intérieur des terres. À la Réunion se dressent le piton des Neiges et le piton de la Fournaise ; en Guadeloupe, sur la commune de Basse-Terre, c’est le massif de la Soufrière ; et en Martinique, c’est la montagne Pelée.

Une autre raison d’une telle densité tient à la progression démographique de l’outre-mer, à des taux très différents, certes. Ainsi, la densité de population a augmenté de 21 habitants par kilomètre carré dans les communes littorales des Antilles et de 47 habitants par kilomètre carré à la Réunion.

La pression humaine reste donc très forte et s’accroît sur un territoire restreint, qui possède d’ailleurs une haute valeur patrimoniale. On comprend dès lors tout l’enjeu du foncier.

Je rappellerai seulement que l’État dispose, au total, de quelque 7 770 hectares au titre de la zone des cinquante pas géométriques, dont 4 263 en Guadeloupe et 3 516 en Martinique.

La question est donc importante, et il convient que tout soit mis en œuvre pour que ni les populations ni les possibilités de développement économique ne soient remises en cause. Telle est bien la mission de ces agences.

Cette proposition de loi vise à reporter une nouvelle fois leur échéance, en la fixant cette fois au 1er janvier 2016.

Cependant, cela ne doit pas nous empêcher de constater qu’il s’agit bien d’une question de déclassement des espaces, du public vers le privé.

Cette « privatisation » a eu pour conséquence inéluctable de faire augmenter de façon considérable le prix du mètre carré, permettant à de grands groupes hôteliers d’occuper cet espace pour y construire des résidences de luxe, mais jouant considérablement en défaveur des agriculteurs.

Je voudrais conclure en rappelant la stratégie nationale pour la mer et le littoral, et notamment le volet spécifique à l’outre-mer, destiné à favoriser l’économie des territoires ultramarins.

Lors de son élaboration sous l’ancienne présidence, la mission d’accompagnement créée par le gouvernement Fillon en vue de l’exploitation d’hydrocarbures au large de la Guyane avait notamment été mise en avant. Il s’agissait aussi de soutenir les projets de développement des énergies marines renouvelables à la Réunion. Ces projets, malheureusement, ont connu un net ralentissement.

Mais le plus important reste la question de la protection et de l’aménagement du littoral. Les écosystèmes concernés sont aujourd’hui affectés par des pollutions, et on constate dans toutes les îles une érosion de cette zone, accentuée par les premiers effets du changement climatique.

Il n’est pas non plus inutile de rappeler que, au-delà de la question de l’occupation de la bande littorale, d’autres actions doivent être menées pour protéger cet espace. Elles portent sur la qualité des eaux, la prévention des risques naturels et de l’érosion, ainsi que la préservation de la biodiversité et des sites, le tout devant être fait sans pénaliser le développement des activités économiques.

C’est une question de juste équilibre à trouver, pour l’outre-mer comme pour tout le littoral français. Selon nous, cet équilibre est possible. Aussi, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste. – MM. Joël Labbé et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant toute chose, j’aimerais saluer le travail de M. le rapporteur, président de la délégation à l’outre-mer, Serge Larcher, qui est également l’auteur de cette proposition de loi. Je félicite également le collaborateur qui a travaillé avec lui de la qualité de ses explications et de l’intérêt de toutes les remarques formulées.

Si l’objet de cette proposition de loi et son contenu peuvent paraître pointus, ils sont au contraire révélateurs de réalités difficiles pour nos territoires ultramarins. Ce texte est donc l’occasion non seulement de régler des problèmes juridiques concernant des situations particulières, mais aussi d’aborder en conscience des problèmes spécifiques aux départements d’outre-mer, avec leurs conséquences pour les habitants.

Dans un premier temps, je souhaite aborder le fonds même du texte, qui concerne les agences dites des cinquante pas géométriques. Il répond à une urgence en termes de calendrier, une probable insécurité juridique imposant au Gouvernement de réfléchir rapidement à l’avenir de la gestion du littoral guadeloupéen et martiniquais.

Comme cela a été rappelé, les deux agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques de nos deux départements antillais devaient disparaître à la fin de l’année 2011. La prolongation de deux ans accordée par le vote du Grenelle 2 arrivant à échéance au 1er janvier 2014, et les solutions de remplacement n’ayant pas fait l’objet d’un consensus, il était nécessaire que le législateur se mobilise pour trouver une solution rapide à cette situation, sous peine de créer une incertitude juridique ou de voir disparaître un outil utile à ces deux départements d’outre-mer.

Une prolongation de deux ans de la durée de vie des agences des cinquante pas géométriques et de la date limite de dépôt des demandes de régularisation des occupants sans titre me semble raisonnable, afin, d’une part, de poursuivre le travail entamé par ces agences et, d’autre part, de trouver une solution pour l’avenir concernant la gestion du littoral de Guadeloupe et de Martinique.

Comme le montre le rapport de Serge Larcher, il y a eu un important regain d’activité des deux agences depuis 2010. Cette augmentation, inédite depuis leur création, prouve la confiance qui leur est accordée et la qualité de leur travail, tout en soulignant l’aspect indispensable de leur existence. Naturellement, on peut aussi penser que, approchant de leur fin de vie, elles ont vu les dossiers affluer en raison de l’ignorance de l’avenir sur les situations d’occupations sans titre de cette zone littorale.

Cette prolongation de deux ans est non seulement raisonnable, mais aussi suffisante, monsieur le ministre, pour trouver une solution pérenne pour le remplacement de ces agences. Comme souvent en France, on crée des solutions provisoires qui durent. Il n’est pas question de revenir ici dans deux ans pour repousser encore la date limite d’existence des agences !

Si l’aïeul de M. le rapporteur, cité en introduction de son propos, pensait avoir trouvé une solution définitive à la question des cinquante pas géométriques, j’espère que l’aspect faussement définitif que je viens d’évoquer se transformera en réalité dans les deux ans à venir.

M. Serge Larcher, rapporteur. Tout à fait !

M. Joël Guerriau. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer d’ores et déjà sur les solutions potentielles ? Les établissements publics fonciers locaux pourraient-ils exercer ce rôle ?

Dans un second temps, je souhaite évoquer rapidement l’apport du Gouvernement, qui a souhaité ajouter un article 3, que M. le rapporteur a présenté, à cette proposition de loi. Il vise à modifier les modalités de mise en œuvre de la procédure de reconstitution des titres de propriété outre-mer prévue par l’article 35 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer. Cet article prévoit donc une « procédure de titrement » en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à la Réunion, Mayotte et Saint-Martin. Cette nouvelle procédure est plus « décentralisée » que la précédente, car elle peut être conduite par un GIP constitué dans chacun des territoires ou par un opérateur public foncier local.

Une telle mesure apparaît plus sage et plus efficace pour les opérations de titrement, qui sont par nature complexes, chères et surtout très différentes suivant le territoire concerné.

Le rapporteur de la commission des affaires économiques a esquissé les choix qui pourraient être faits par les cinq départements, entre GIP et établissement public. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous les confirmer ? Cela nous rassurerait, dans le cadre de l’acceptation de cette nouvelle mesure.

Pour finir, j’aimerais aborder les difficultés spécifiques à l’outre-mer soulevées par les deux axes de cette proposition de loi.

Si les agences des cinquante pas géométriques ont encore besoin d’exister, c’est bien que les occupants sans titre de cette zone n’ont pas les moyens d’acquérir leur terrain ni même de trouver un autre logement. Sur l’ensemble des dossiers traités, moins de 20 % des offres de cession sont acceptées. Les aides proposées sont insuffisantes, surtout pour des populations pauvres et souvent âgées.

Néanmoins, nous ne pouvons pas laisser perdurer ces situations illégales, d’autant que le phénomène d’installation illégale, cela a été rappelé, continue d’exister.

Avec la question des procédures de titrement se pose celle de l’insécurité juridique pour les occupants. C’est finalement le problème du logement en outre-mer qui est soulevé. Son financement général, ainsi que celui du logement social, a largement été soutenu par de nombreux dispositifs fiscaux avantageux. Il est temps d’évaluer l’efficacité économique de ces niches au regard des résultats réels pour les départements ultramarins.

Il y a quelques mois, nous votions une proposition de loi de notre collègue député Serge Letchimy sur l’habitat indigne en outre-mer. À la fin du mois de février, l’arrêté fixant le barème de l’aide financière versée pour compenser la perte de domicile des habitants de logis insalubres ou dangereux était publié. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Cette aide facilitera le relogement des occupants ou des bailleurs sans titre de terrains publics ou privés expulsés à la suite d’une opération d’aménagement.

Dans le cadre des prochaines lois sur le logement, présentées par votre collègue chargée de ces questions au Gouvernement, allez-vous, monsieur le ministre, proposer des mesures spécifiques à l’outre-mer ? Si la règle générale doit s’appliquer partout de la même manière, il est des situations et des héritages qui nécessitent une attention particulière et des coups de pouce plus grands. Tel est le cas des départements d’outre-mer.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront tout naturellement en faveur de cette proposition de loi consensuelle, et attendue. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et au banc des commissions. – MM. François Trucy et Michel Bécot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet des agences « des cinquante pas géométriques » peut sembler a priori assez technique et circonscrit, puisque celles-ci existent uniquement en Martinique et en Guadeloupe.

Pourtant, cette proposition de loi, tout comme celle qui est relative à la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer et que nous venons tout juste d’adopter, porte sur des enjeux essentiels pour tous.

Dans le cas présent, il s’agit notamment d’enjeux sociaux, au travers de la délivrance d’un titre de propriété pour des personnes qui en sont dépourvues et ne peuvent, de ce fait, accéder à un certain nombre de prestations publiques ou privées, telles qu’un crédit bancaire. Mais le régime applicable à la zone des cinquante pas géométriques recouvre aussi des questions d’aménagement du territoire et de protection des zones littorales.

Cet espace, qui a vu le jour il y a plus de trois siècles sous le nom de « zone des cinquante pas du roi » – je trouve cette formule assez jolie ! –, devait initialement servir à la protection des îles, l’avitaillement et l’entretien des navires. Elle a été très tôt confrontée au phénomène d’« occupation sans titre », auquel différentes réformes ont tenté d’apporter des solutions, sans qu’aucune ne se révèle jusqu’à présent réellement efficace.

Dès le XIXe siècle, des autorisations d’installation fondées sur des motivations économiques ont été délivrées. L’adoption de textes parfois contradictoires a eu pour conséquence une grande incertitude quant au régime juridique applicable à la zone des cinquante pas géométriques. Cela a rendu délicate la gestion des héritages et a conduit à ce que des milliers de concitoyens ultramarins construisent leurs habitations sur des terrains qui ne leur appartenaient pas. Aujourd’hui, près de 15 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique vit dans cette zone.

La loi du 30 décembre 1996 a créé, dans chaque département antillais, une « agence pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques », chargée d’assurer un « développement harmonieux de la zone » et d’en « organiser l’aménagement ».

Initialement créées pour dix ans, ces agences ont vu leur durée de vie modifiée à plusieurs reprises. Théoriquement, elles devaient cesser d’exister au 1er janvier 2014, date à laquelle leurs missions auraient dû être reprises par des établissements publics fonciers d’État. Mais il apparaît aujourd’hui que ces derniers ne seront pas créés puisque les collectivités de Guadeloupe et de Martinique ont décidé de constituer des établissements publics fonciers locaux.

En attendant que la question de la poursuite des missions des agences des cinquante pas géométriques soit clarifiée, il est donc indispensable de prolonger la durée de vie de ces agences, comme le prévoit l’article 1er de la présente proposition de loi.

Depuis la loi dite « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010, les missions des agences des cinquante pas géométriques ont évolué. La mission d’aménagement est devenue secondaire, tandis que la régularisation des occupants sans titre et l’établissement de programmes d’équipement de la zone sont devenus les missions prioritaires des agences.

Comme le rapporteur l’a très bien souligné, les différents bilans de l’action de ces agences sont mitigés : le nombre de régularisations reste faible et les installations illicites dans la zone des cinquante pas géométriques se poursuivent. Actuellement, même si aucun chiffrage précis n’a été établi, il y aurait environ 17 000 constructions illicites en Guadeloupe et 15 000 en Martinique. Un certain nombre de ces constructions menacent la sauvegarde du littoral dans les départements concernés.

Le bilan du processus de régularisation pour les occupants sans titre établi au 31 décembre dernier montre que sur plus de 5 000 dossiers déposés dans chacun des deux départements antillais, seuls 689 en Guadeloupe et 1 166 en Martinique ont abouti à des acceptations d’offres de cession, soit un taux respectif de 13,4 % et de 21,9 %. Ce résultat s’explique notamment par la situation financière fragile d’une grande partie de la population habitant cette zone. Le montant de l’aide publique dont peuvent bénéficier les personnes dont le dossier de régularisation est accepté pour acquérir leur résidence principale se révèle apparemment très insuffisant. Il serait souhaitable de trouver des solutions complémentaires pour permettre à ces personnes d’obtenir enfin en toute légalité un titre de propriété pour leur logement.

À ces difficultés financières s’ajoutent une certaine complexité et une certaine longueur du processus administratif, puisque le mécanisme de régularisation ne comprend pas moins de vingt-deux étapes.

Par ailleurs, un nombre important de dossiers ne peuvent aboutir car ils concernent des logements situés en « zones rouges » inconstructibles au titre des plans de prévention des risques naturels.

Il semble donc indispensable de trouver une solution de relogement pour les personnes vivant dans la zone des cinquante pas géométriques et dont la situation n’est pas régularisable, soit parce que leurs habitations sont situées en « zones rouges », soit pour d’autres raisons.

Enfin, comme l’a souligné le rapporteur, il est indispensable de mettre un terme à l’installation de nouveaux occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques, faute de quoi le problème de l’occupation sans titre dans cette zone ne sera jamais résolu.

Outre la question de la régularisation des occupants sans titre dans la zone des cinquante pas géométriques, il est également primordial de renforcer les efforts d’aménagement pour permettre aux familles qui sont installées dans cette zone d’avoir accès aux équipements publics essentiels, tels que l’assainissement.

Selon les estimations du ministère des outre-mer communiquées dans le rapport de notre collègue Serge Larcher, « les besoins financiers estimés étant de l’ordre de 280-300 millions d’euros sur le rythme actuel, il faudrait entre 10 et 15 ans pour mener à bien les travaux à leur terme ». Une telle attente pour nos concitoyens vivant dans ces zones n’est pas acceptable ; il faut donc trouver d’urgence des solutions pour leur permettre de vivre avec un titre de propriété et dans des conditions décentes.

Pour conclure, si la présente proposition de loi est nécessaire et répond à une urgence, elle n’apporte qu’une solution temporaire à la question de l’occupation sans titre. Elle vise à prolonger la durée de vie des agences ainsi que la date limite de dépôt des dossiers de régularisation de deux ans. En effet, environ 3 000 constructions seraient encore régularisables dans chacun des deux départements des Antilles. Il est donc utile de prolonger ce délai.

Toutefois, ces deux années supplémentaires ne suffiront ni pour achever la régularisation, ni pour finaliser l’aménagement de ces zones. Comme l’a souligné le rapporteur, il faudra apporter de nouvelles réponses à la difficulté que constitue l’absence massive de titres de propriété, laquelle dépasse largement la zone des cinquante pas géométriques et concerne non seulement les Antilles, mais aussi d’autres territoires ultramarins, comme le précise l’intitulé de la proposition de loi. Le Gouvernement devrait par conséquent profiter des deux prochaines années pour mener une réflexion globale sur le foncier en outre-mer.

À ce titre, je me réjouis que la commission ait ajouté à la proposition de loi initiale l’article 3, qui traite de la reconstitution des titres de propriété dans les outre-mer et qui offrira à chaque collectivité ultramarine une certaine souplesse pour utiliser un organisme foncier existant ou créer une nouvelle structure – par exemple un groupement d’intérêt public – chargée de mener cette mission de « titrement ».

Bien que n’apportant qu’une réponse partielle et transitoire aux problématiques de la zone des cinquante pas géométriques et de l’absence massive de titres de propriété en outre-mer, cette proposition de loi n’en est pas moins une étape importante et nécessaire, que l’ensemble des membres du RDSE soutiendront par leur vote unanime. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur plusieurs travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà trois jours, je n’avais jamais entendu parler de l’existence de la zone des cinquante pas géométriques ! Je commencerai donc mon intervention par un petit cours d’histoire.

La zone des cinquante pas géométriques, anciennement appelée les « cinquante pas du Roi », a été créée dans les Antilles sous l’Ancien Régime. Selon l’arrêt du Conseil supérieur du 3 mars 1670, « les cinquante pas du Roi doivent commencer leur hauteur du lieu où les herbes et arbrisseaux commencent à croître, et à continuer à mesurer dudit lieu, jusqu’à la longueur desdits cinquante pas. »

Si j’ai bien compris, la largeur de cette zone serait de l’ordre de 82,2 mètres.

M. Victorin Lurel, ministre. Elle s’établit à 81,2 mètres !

M. Joël Labbé. Je ne me battrai pas avec vous sur ce point, monsieur le ministre. (Sourires.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Soit 1,624 multiplié par 50 !

M. Joël Labbé. Je vous remercie de cette précision, monsieur le président de la commission.

Depuis leur origine, ces cinquante pas géométriques sont « inaliénables et imprescriptibles sans le consentement et le concours de la Nation ».

De nombreux particuliers se sont progressivement approprié des parcelles sur cette zone. La loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer a pris le parti d’ouvrir les droits de cession et de régularisation des occupants fonciers sans titre dans les espaces urbanisés, les espaces naturels étant confiés au Conservatoire du littoral.

Un amendement déposé par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement visait à accélérer les processus de régularisation.

Nous en sommes bien conscients, depuis plus d’un siècle, la possession de la terre sur cette zone est devenue un enjeu symbolique fort pour la population locale, notamment depuis l’abolition de l’esclavage.

Comme cela est mentionné dans le rapport de Serge Larcher, 15 % de la population de Guadeloupe et de Martinique vit dans cette zone. Nous comprenons donc l’intérêt de régulariser les situations qui peuvent l’être et, par conséquent, la nécessité de prolonger l’existence des agences d’aménagement, couramment appelées « agences des cinquante pas géométriques ».

En effet, à compter du 1er janvier 2014, la mission de régularisation foncière qu’elles exercent devait être attribuée à des établissements publics fonciers d’État. Or la création de ces derniers n’est plus d’actualité, notamment à la suite de la décision des collectivités territoriales de créer leurs établissements publics fonciers.

De fait, si ces agences disparaissent, à cette date, aucun organisme ne sera en mesure de reprendre leurs missions de régularisation foncière et d’aménagement. La présente proposition de loi répond donc à une urgence. Elle est bienvenue.

Néanmoins, la prolongation de la durée de vie de ces agences ne résoudra pas à elle seule les problèmes liés à l’aménagement des espaces concernés.

Il convient de rappeler que les cessions ne doivent pas être effectuées en privatisant le littoral. Il est indispensable que les pouvoirs publics assurent le respect du libre accès au littoral et l’arrêt de l’accaparement des espaces naturels.

On le sait, malgré tout, le phénomène d’occupation sans titre sur la zone des cinquante pas géométriques continue de se développer. Et le bilan qui peut être dressé des différentes lois est décevant. Le Gouvernement établissait déjà le même constat à l’occasion de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement. Près de quinze ans après la loi de 1996, le nombre des cessions-régularisations reste très faible, les zones aménagées et équipées sont peu nombreuses, et les constructions illicites sur les espaces littoraux ont continué à se développer, compromettant ainsi la sauvegarde du littoral pour les générations futures.

Ce bilan s’explique notamment par le fait que, depuis plus d’un siècle, tous les dispositifs mis en place pour tenter de régulariser la situation foncière sur ces espaces ont entretenu le sentiment que, de régularisation en régularisation, la zone des cinquante pas géométriques était un territoire ouvert, sur lequel il était possible de s’installer.

Le flux de nouveaux occupants sans titre doit cesser. Cela ne pourra être le cas qu’avec un soutien actif et fort des maires et des collectivités locales.

Plusieurs défis sont à relever : protéger le littoral en luttant contre les nouvelles installations illicites ; permettre un accès au littoral à tous, comme partout ailleurs ; lutter contre l’urbanisation exagérée de ces espaces et définir de justes perspectives pour l’utilisation de ceux-ci ; régulariser la situation foncière d’une population majoritairement âgée et pauvre, qui n’a bien souvent pas les moyens d’acquitter le prix demandé malgré l’aide financière exceptionnelle de l’État et qui, pour partie, est illettrée – ce paramètre doit effectivement être pris en compte ; assurer à ces populations les équipements publics essentiels, notamment pour ce qui concerne l’eau et l’assainissement ; proposer des relogements aux occupants sans titre non régularisables, car vivant en « zones rouges », c’est-à-dire en zones inconstructibles en vertu des plans de prévention des risques naturels.

C’est pourquoi, si la présente proposition de loi constitue une avancée nécessaire, que nous voterons, la réflexion doit se poursuivre, afin que soit organisé sur ces espaces un aménagement équilibré, en concertation avec les habitants et les collectivités locales. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et au banc des commissions. – MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la situation de la zone des cinquante pas géométriques en outre-mer est étroitement liée à l’histoire et à l’évolution de la conception du droit de la propriété.

À cet égard, l’occupation sans titre de cette zone est un phénomène ancien, qui a engendré le développement d’un habitat spontané, renforcé plus tard par la pénurie de logements sociaux.

Mais cette situation correspond aussi à la réalité physique de l’outre-mer, caractérisée par la rareté du foncier du fait de l’insularité, accentuée sous le double effet de la pression démographique et du développement de l’urbanisation.

En 1986, après plusieurs modifications de régime juridique pour tenter d’apporter une solution durable à l’occupation sans titre, la loi Littoral a réincorporé la zone des cinquante pas géométriques dans le domaine public de l’État.

Les occupations sans titre, la résorption de l’habitat spontané sont ainsi au cœur de la mission des agences des cinquante pas géométriques, objet de la présente proposition de loi, nées pour harmoniser leur régularisation.

À cette mission principale se mêlent d’autres enjeux, tels que l’aménagement du territoire, la préservation du littoral et du patrimoine écologique, ou encore le développement économique.

Créées en 1996, ces agences sont en effet devenues l’outil au service de la recherche du nécessaire équilibre à trouver entre ces multiples problématiques et les moyens d’y répondre. Il s’agit de l’équilibre entre préservation du littoral et réponse sociale à la situation des occupants, entre préservation de la ressource et développement économique.

Le problème de la zone des cinquante pas géométriques renvoie donc à une question multiforme, qui dépasse la seule propriété et qui a fait l’objet d’un certain nombre de rapports, parmi lesquels celui qu’ont remis en 2004 Catherine Bersani et Gérard Bougrier.

Au sein de ce document, dans le volet relatif à l’occupation, les auteurs évaluaient entre 15 000 et 18 000 le nombre de familles concernées par l’occupation sans titre et soulignaient, par ailleurs, l’imbrication des enjeux autour de la zone des cinquante par géométriques.

Toutefois, parler des agences des cinquante pas géométriques, c’est en premier lieu aborder indirectement le sujet du logement, par le biais de la régularité de l’occupation. Dans le contexte que l’on connaît en outre-mer, ce sujet mérite toujours la plus grande attention.

L’intervention des agences a mis fin à de nombreuses situations d’occupation irrégulières au regard du droit et à la précarité qui en découle. Elle a en outre contribué à la sécurité des personnes, particulièrement exposées aux dangers liés aux phénomènes climatiques en bordure de mer et résidant dans un habitat souvent insalubre.

Quant aux programmes d’équipement, ils ont participé à la dynamisation économique des littoraux.

Enfin, en matière de préservation, il convient de relever le travail mené de concert avec le Conservatoire du littoral qui gère, respectivement en Guadeloupe et en Martinique, plus de 1 200 hectares et plus de 71 hectares situés dans la zone des cinquante pas géométriques.

Autant dire que la mission des agences est à la confluence du social, de l’économique et de l’écologique. Cela fait de ces structures l’acteur charnière du mouvement de régularisation et de préservation de cette zone.

En dépit du travail accompli, le maintien du nombre de dossiers de demande de cession déposés, voire son augmentation, montre que les différentes campagnes de sensibilisation de la population ont été fructueuses.

Si la conduite de la politique de régularisation a nécessité des ajustements au fil du temps, c’est sans doute en raison de la subtilité et d’une forme de complexité qui la caractérise, justifiant l’ajustement symétrique de son instrument fondamental. Tel est donc l’objet de la présente proposition de loi.

Ainsi au cours des dix dernières années, la programmation de la disparition des agences des cinquante pas géométriques a été revue pas moins de trois fois, comme vous le rappeliez, monsieur le rapporteur.

Elle l’a été tout d’abord en 2003, au travers de la loi de programme pour l’outre-mer, pour tirer les conséquences du retard pris dans la mise en place des agences. Puis, en 2009, la loi pour le développement économique des outre-mer leur a attribué une durée de vie potentielle jusqu’en 2027, avant que la loi Grenelle 2 ne revienne sur cette disposition et ramène l’échéance à 2014.

Bien qu’ayant raccourci leur espérance de vie, ce texte a fort opportunément élargi les compétences des agences pour la gestion du foncier, favorisant une accélération de la régularisation et accroissant l’efficacité de leur action.

C’est pourquoi il nous semble incontestable que les agences ont vocation à demeurer l’interlocuteur privilégié des différents acteurs de la régularisation – État, collectivités et occupants – dès lors que les établissements publics fonciers d’État prévus par la loi Grenelle 2 n’ont pas encore vu le jour.

Laisser disparaître les agences en l’absence d’établissements de relais laisserait un vide évidemment préjudiciable. Celui-ci serait d’ailleurs préjudiciable à double titre, en mettant un frein au processus en cours avec, de plus, le risque de voir se développer d’autres zones d’habitat spontané dans le même temps.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre opinion sur le rôle joué par les agences des cinquante pas géométriques étant particulièrement positive, tant leur mission nous semble globale, nous ne pouvons qu’approuver la démarche de Serge Larcher consistant à proroger leur existence au-delà du 1er janvier 2014.

En outre, comme je le rappelais, par leurs campagnes publiques, les agences des cinquante pas géométriques ont joué efficacement leur rôle dans la régularisation de l’occupation, par l’incitation des occupants à l’acquisition de titres de propriété.

Dans cette optique, il nous semble aussi que l’article 2 tend à introduire un dispositif pertinent en prévoyant, d’un côté, une date butoir à destination des publics concernés et, de l’autre, une période de gestion du stock de demandes du point de vue des agences. Nous souscrivons également à cette disposition.

Mais cette problématique du titrement en outre-mer dépasse largement la seule zone des cinquante pas géométriques. La loi pour le développement économique des outre-mer l’avait prise en compte et avait prévu la mise en place d’un GIP afin de centraliser la reconstitution des titres en outre-mer et à Saint-Martin.

L’article 3 de la présente proposition de loi a pour objet de décentraliser le procédé général de reconstitution des titres de propriété tout en laissant aux collectivités le choix de l’instrument. Celles-ci pourront soit s’appuyer sur une structure existante disposant de l’expérience, voire ayant anticipé le traitement de cette question, soit créer un GIP ad hoc.

Chaque collectivité pourra donc trouver la réponse la mieux adaptée à son contexte – je pense en particulier à Saint-Martin ou à Mayotte – et, en cela, cet article est pragmatique.

J’en profite d’ailleurs pour souligner l’extension du processus de titrement à Mayotte, qui nous semble en cohérence non seulement avec la récente départementalisation, mais aussi avec la situation estimée par la mission de préfiguration du GIP prévu par la LODEOM, dans ce département, en matière de titrement.

Enfin, l’adoption de la proposition de loi de notre collègue Serge Larcher à l’unanimité en commission des affaires économiques est le signe du caractère consensuel de ce texte, dont nous partageons la philosophie.

Comme vous l’indiquez, monsieur le rapporteur et cher collègue, il s’agit avant tout d’une mesure d’urgence destinée à ne pas fragiliser le mouvement de régularisation en cours. Le groupe UMP y souscrit et votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Joël Labbé et Thani Mohamed Soilihi ainsi que M. le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la zone dite des « cinquante pas géométriques » qui nous préoccupe encore aujourd’hui a une histoire longue et très ancienne. Sa dénomination première en est bien la meilleure preuve : les « cinquante pas du Roi ».

Inaliénable et imprescriptible depuis l’origine, cette zone littorale sera occupée çà et là, et dès le XVIIIe siècle. Cette occupation sans titre va voir son régime évoluer à travers de nombreux textes de la fin du XIXe siècle à 1996, année de la création et de la mise en place des agences des cinquante pas géométriques, dont la durée de vie avait été fixée à dix ans par la loi de l’époque.

Ces agences ont pour mission de mettre en valeur les espaces urbanisés de cette zone. Celle-ci représente 3 543 hectares en Martinique, répartis en deux zones : une zone naturelle de plus de 2 500 hectares à protéger et une zone urbaine de près de 1 000 hectares sur laquelle vivent 15 000 foyers occupants sans titre, soit une densité d’environ 4 000 habitants au kilomètre carré. Ainsi, 15 % de la population se concentre sur 1 % du territoire ! En Guadeloupe, la zone des cinquante pas géométriques totalise 4 450 hectares.

Conscient de l’excellent travail entrepris par ces agences dans chacun des départements antillais, le législateur a, par trois fois déjà, jugé bon de prolonger leur durée de vie, leur expiration étant finalement fixée au 1er janvier 2014.

Si le travail effectué est de très grande qualité, il faut reconnaître que les difficultés de tous ordres n’ont pas manqué. Je suis très à l’aise pour en parler, d’abord pour être maire d’une ville côtière comptant 36 kilomètres de côtes, avec deux quartiers littoraux en fin d’aménagement, ensuite pour avoir été administrateur au sein du conseil d’administration de l’agence de la Martinique. Mais il reste tellement à faire !

Toutes les prévisions législatives, quoique louables dans leurs objectifs, ne sont pas prêtes à être appliquées et cela pose évidemment un réel problème : on risque de voir l’oiseau Agence abattu en plein vol, et il ne le faut pas ! C’est bien là l’objet de cette proposition de loi, que nous sommes nombreux à avoir signée.

Effectivement, beaucoup reste à faire, d’autant que les zones concernées ont continué à se modifier et dans les surfaces occupées et dans le nombre d’occupants, compliquant la tâche des agences, sans compter que celles-ci ont à relever un véritable challenge urbanistique : valoriser avec un maximum de cohérence des espaces occupés sans aucune logique d’aménagement.

Le chemin parcouru est bon, voire excellent, et il s’agit d’aller plus loin sans jeter les outils qui ont été utilisés jusqu’à présent. Prolongeons donc la durée de ces agences au-delà du 1er janvier 2014, soit jusqu’au 1er janvier 2016. De plus, repoussons la date limite de dépôt des demandes de régularisation des occupants sans titre.

Je suis conscient que ces seules mesures ne suffisent pas, comme le précise l’excellent rapport de notre collègue Serge Larcher,…

M. Serge Larcher, rapporteur. Merci !

M. Maurice Antiste. … mais je sais que les pouvoirs publics se donnent les moyens de fixer définitivement l’occupation, condition indispensable à la réussite et à l’achèvement de la mission.

Mon devoir serait incomplet si je n’attirais pas votre attention, monsieur le ministre, sur mon inquiétude quant à l’après-2016 car si ce n’est pas demain, c’est bien après-demain : les établissements publics fonciers locaux seront-ils déjà opérationnels lors du grand rendez-vous ?

Je veux aussi attirer votre attention sur la nécessité de rendre plus équitable l’assujettissement à la taxe spéciale d’équipement, qui alimente le budget des agences : elle ne concerne que les contribuables des villes littorales.

Le montant attendu et voté par le conseil d’administration de l’agence, après avis des conseils municipaux des communes concernées, pourrait être mieux réparti si la taxe était supportée par l’ensemble des contribuables du département. Après tout, sur une petite île, la mer n’est jamais bien loin et tous en profitent largement. Ce sont d’ailleurs les habitants les plus éloignés de la côte qui ont souvent cherché à occuper ces espaces.

N’oublions pas non plus le sort qu’il faudra réserver au personnel des agences quand celles-ci n’existeront plus.

Aussi donnons-nous les moyens de poursuivre toute la réflexion de manière à assurer nos objectifs, hors toute précipitation. Pour ma part, je suis prêt à apporter ma pierre à l’édifice. (MM. Jacques Chiron, Jacques-Bernard Magner et Yvon Collin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, six minutes me suffisent pour vous confirmer que les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des « cinquante pas géométriques » de Guadeloupe et de Martinique apportent aux services de l’État et des collectivités une aide incontournable au règlement de situations d’occupation du domaine public maritime.

Si leur utilité et leur efficacité sont indéniables, le travail à effectuer reste très important sur ces zones exposées à une occupation humaine en expansion continue et dont l’histoire est fortement imprimée dans notre mémoire collective.

Ainsi, je félicite notre rapporteur d’avoir été à l’initiative de cette proposition qui vise à prolonger l’existence des agences afin de permettre, dans l’attente de la mise en place des établissements publics fonciers, la poursuite des missions de régularisation foncière et d’aménagement.

La gestion de la régularisation de demandes est loin d’être achevée et la suppression des agences aurait eu des effets tout à fait préjudiciables pour les demandeurs vivant dans les zones du domaine public maritime et dont les situations financières et humaines sont souvent très difficiles.

En Guadeloupe et en Martinique, ce sont environ 3 000 constructions dont le dossier doit encore faire l’objet d’un traitement et l’expérience montre que le rythme de dépôt des demandes de régularisation par les occupants sans titre de propriété peut atteindre jusqu’à 1 000 demandes par an.

À ce gisement de matériel de bâtis, il convient d’ajouter un chantier inattendu résultant de la nécessité d’assurer un accompagnement de nature sociale personnalisé aux demandeurs de bonne foi dont les dossiers ont fait l’objet d’un refus, notamment parce que leur habitat se situe sur une zone supportant de forts risques naturels et qu’ils doivent être relogés.

Par ailleurs, les agences assurent un service d’équipement en voirie et réseaux divers des quartiers informels et la mise à disposition des communes de parcelles équipées pour la réalisation de logements sociaux est loin d’être achevée, comme le souligne le rapport de la commission des affaires économiques. Pourtant, cette mission essentielle ne saurait être prise en charge par nulle autre structure en raison de sa faible rentabilité financière.

Par conséquent, la création des établissements publics fonciers devra permettre de mettre en place des stratégies foncières afin de mobiliser du foncier et de favoriser le développement durable, mais elle devra également bien concilier et conforter le caractère social du rôle de ces structures à l’égard des occupants, ainsi que permettre l’aménagement des zones en protégeant les espaces naturels.

L’identification et la circonscription des priorités des établissements publics seront donc essentielles à la réussite des missions qui seront assignées à ceux-ci.

Nombre de questions demeurent en suspens quant à ces futurs établissements publics fonciers, qui seront a priori locaux. Nous espérons que des objectifs opérationnels seront strictement fixés et que les missions s’inscriront dans un calendrier à tenir avec rigueur.

Monsieur le ministre, pourriez-vous m’indiquer les raisons de l’exclusion d’établissements publics fonciers de l’État dans les départements de Guadeloupe et de Martinique, alors même que l’article L. 321–12 du code de l’urbanisme prévoit une telle possibilité et que c’est le cas en Guyane ? Le rapport de notre collègue Serge Larcher indique seulement que « deux établissements publics fonciers ne pouvant cohabiter en Martinique et en Guadeloupe, le projet de créer des EPF d’État a été écarté ».

Par ailleurs, il nous paraît indispensable de souligner l’importance de la protection de l’environnement dans ces zones en front de mer et la nécessité de maintenir le rôle fondamental de l’ONF dans les processus décisionnels.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’apporte certes aucune mesure nouvelle, mais comble un éventuel vide juridique, dont les conséquences auraient été véritablement catastrophiques pour nombre de nos concitoyens. Ainsi, je voterai ce texte avec l’espoir de voir fonctionner les nouveaux établissements publics fonciers guadeloupéen et martiniquais le plus rapidement possible. La Guadeloupe et la Martinique méritent une réflexion ambitieuse sur l’avenir de leur littoral. (MM. Maurice Antiste, Jacques Chiron et Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition de cette proposition de loi est de combler un vide juridique qui pourrait être fort préjudiciable à la Guadeloupe et à la Martinique en matière de régularisation foncière de la zone littorale et de pallier l’inexécution de l'article 35 de la LODEOM, adoptée en 2009, relatif à la mission de titrement qui avait été confiée à un GIP unique, ce qui s’est avéré – nous avons pu le constater – inapplicable. Le Gouvernement a très bien compris l’intérêt de cette proposition de loi, qu’il soutient.

Je l'ai dit dans mon propos liminaire, une mission d'inspection a été diligentée : elle doit nous permettre d’avoir une vision d’ensemble de la question. Sitôt son rapport remis, ce qui sera fait dans quelques mois, nous n'hésiterons pas à en tirer des conclusions qui seront, je l'espère, significatives, et à proposer un dispositif plus global et définitif dans le véhicule législatif qui sera porté par Cécile Duflot.

Nous sommes bien conscients – en ce qui me concerne, pour l’avoir vécu personnellement – de la confusion qui s'est installée depuis longtemps sur ces zones. Nous avions déjà l’ONF et les agences des cinquante pas géométriques, dont l’existence a été prorogée à plusieurs reprises, avec une taxe spéciale d’équipement portée uniquement par les communes littorales. Nous aurons bientôt les EPF, de l’État ou locaux, qui seront financés au moyen d’une redevance.

La question se pose de savoir pourquoi – c'est, me semble-t-il Jacques Cornano qui a soulevé ce point intéressant – la plupart des collectivités ont écarté la formule de l'établissement public foncier d'État. Le Gouvernement a bien compris que, au regard de l'esprit de la décentralisation, l’EPFE représente en quelque sorte une forme de recentralisation d'une politique très importante pour les collectivités : la politique foncière et, demain, la politique du logement, en particulier du logement social.

Je me suis renseigné, les EPFE fonctionnent très bien. Mais le directeur est nommé par l'État, il est l'ordonnateur de l'établissement public. En revanche, un EPFL relève des élus locaux : ce sont eux qui désignent, qui gèrent et qui assument pleinement les responsabilités. Cette formule fonctionne bien à la Réunion, où l’EPFL mène une politique de réserve foncière. En Guadeloupe, l’ensemble des collectivités a été consulté : la plupart d’entre elles se sont prononcées pour un EPFL. Un rapport d'inspection a été fait. L'État avait proposé un EPFE, mais il s'est rendu compte que cette formule se heurtait à la forte volonté des élus de domicilier le pouvoir local dans les territoires. Attentif au souhait des élus, le Gouvernement a préféré proposer un EPFL.

La question de l'après-2016 a été posée par de nombreux orateurs, dont Jacques Cornano et Joël Guerriau. Nous avons différents scenarii selon les choix faits par les collectivités.

Je vérifierai ce qu’il en est pour Saint-Martin où je me rendrai très bientôt. Après avoir discuté avec les élus, la situation est la suivante. En Guadeloupe, c’est un EPFL. En Martinique, il y a l'agence et un EPFL a été créé. J'ai bien entendu la demande du sénateur Antiste d’attendre de voir si le dispositif fonctionne avant d’envisager une absorption par un nouvel organisme. Il faut s'assurer du caractère opérationnel de la formule choisie.

En Guyane, il y a l’établissement public d'aménagement guyanais, qui fera probablement l'objet d’un examen en vue d’une éventuelle révision. Un EPFL pourrait être créé, si tant est que cela soit le choix des élus guyanais.

À la Réunion, l’EPFL a été créé.

Mayotte, qui entre également dans le périmètre de la mission de titrement, doit encore être consultée : ce sera soit un GIP, soit un EPFE ou un EPFL. Compte tenu du choc institutionnel que Mayotte devra absorber, un dialogue opiniâtre, ou à tout le moins soutenu, devra être mené avec les institutions et les élus pour faire le choix définitif de la structure qui sera chargée des deux missions. Un EPFE est envisageable, si la collectivité le souhaite, compte tenu du choc institutionnel que Mayotte devra absorber, je le répète, à compter du 1er janvier 2014. Nous prenons de nombreuses ordonnances, car nous ne pouvons pas faire autrement. Le code général des impôts devra désormais être appliqué sur ce territoire, ce qui suppose de nouveaux impôts ; sont également en cours une mission cadastre, et une mission état civil, qui s’achève. Ensuite, il y aura l'octroi de mer. Un énorme travail notamment en matière de cadastre doit être effectué. Il faudra donc être très attentif à la situation.

En tout cas, on peut retenir la souplesse de loi : elle sera adaptée en fonction de la volonté des élus locaux et selon les réalités locales.

Le bilan des agences des cinquante pas géométriques, évoqué par Serge Larcher, est mitigé, je le reconnais. Ce n’est pas une stigmatisation. Leur durée de vie a été prolongée, et le sera sans doute encore jusqu'en 2016. Après un certain nombre d’années de fonctionnement, on ne peut nier qu’elles rencontrent des difficultés. Une formule appropriée devra être trouvée. C’est pourquoi – j’hésite à vous le dire, mais c’est dans l’ordre des choses –, selon le contenu du rapport qui nous sera remis par les deux inspecteurs, des conclusions devront être tirées. Faudra-t-il aller jusqu'à l'absorption des agences par les établissements publics fonciers ou, comme cela a été fait à la Réunion, aller jusqu’à donner les terres aux communes et, depuis 1922, les titrements ont été faits ? Voilà un exemple qui n'a pas été évoqué !

Si l'on veut éviter de créer trop d'institutions, trop d’instances, trop de « zinzins », diraient certains, une réflexion ne doit-elle pas être menée sur ce sujet ?

Je sais bien que des inquiétudes existent quant au personnel, à la pérennisation, aux institutions. Mesdames, messieurs les sénateurs, toutes ces questions seront mises sur la table et nous reviendrons bien évidemment devant vous.

Une autre question pose problème, sur laquelle j’ai, là aussi, demandé à l'inspection de nous éclairer : il s’agit des différences d'évaluation des terrains en Martinique et en Guadeloupe. Je ne comprends pas les méthodes employées.

J'ai bien entendu tous les intervenants demander des aides plus importantes pour aider les occupants de ces zones, qui sont des populations défavorisées. Mais, dans mon budget, 500 000 euros sont inscrits sur une ligne budgétaire unique. La distribution de ces crédits est très certainement pertinente, mais elle n’est peut-être pas parfaitement appropriée. Le montant est-il suffisant ? J'ai voulu évacuer un affreux soupçon porté par certains élus, lesquels estimaient qu’avec des évaluations aussi élevées, on reprenait d'une main ce qu’on donnait de l’autre avec des subventions déjà insuffisantes. Il faudra soulever toutes ces questions et trouver la meilleure solution, je n'ose dire la moins mauvaise, compte tenu de la situation des finances publiques.

Sur la lourdeur des procédures, évoquée par Jean-Claude Requier, vingt-deux étapes nécessaires pour régulariser, c’est long.

S’agissant des zones rouges, la question de leur gestion se pose : faut-il reloger les occupants actuels ? Comment le faire ? Je n'ai pas aujourd’hui la réponse.

J'ai déjà répondu à Joël Labbé, qui s'est excusé de devoir partir, la réflexion se poursuivra.

Je tiens à remercier tous les groupes, en particulier l'UMP, qui va voter ce texte de consensus. Je profite de l’occasion pour remercier le groupe l’UDI-UC, qui, ayant changé de position, a voté en faveur de la précédente proposition de loi.

Enfin, nous devrons poursuivre une réflexion sur le financement. Nous n’avons pas évoqué ce point, mais à l'époque où les textes ont été discutés au Parlement, 60 % du financement provenait de l'État, contre 40 % des collectivités. (M. Jacques-Bernard Magner applaudit.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Article 2

Article 1er

(Non modifié)

Le premier alinéa de l’article 4 de la loi n° 96–1241 du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer est ainsi modifié :

1° À la deuxième phrase, les mots : « maximale de deux ans » sont remplacés par les mots : « qui ne peut excéder le 1er janvier 2016 » ;

2° La dernière phrase est supprimée.

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Article 3 (nouveau) (début)

Article 2

(Non modifié)

Au deuxième alinéa de l’article L. 5112–5 et au troisième alinéa de l’article L. 5112-6 du code général de la propriété des personnes publiques, la date : « 1er janvier 2013 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2015 ». – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
Article 3 (nouveau) (fin)

Article 3 (nouveau)

L’article 35 de la loi n° 2009–594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer est ainsi rédigé :

« Art. 35. – I. – En Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin, il peut être mis en œuvre une procédure, dite "procédure de titrement", ayant pour objet :

« - de collecter et d’analyser tous les éléments propres à inventorier les biens fonciers et immobiliers dépourvus de titres de propriété ainsi que les occupants ne disposant pas de titres de propriété ;

« - d’établir le lien entre un bien et une personne, afin de constituer ou de reconstituer ces titres de propriété. 

« II. – La procédure de titrement mentionnée au I peut être conduite : 

« - soit par un groupement d’intérêt public qui peut être constitué, dans chacun des territoires concernés, dans les conditions prévues au chapitre II de la loi n° 2011–525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.

« Chaque groupement est constitué de l’État, de la région d’outre-mer concernée ou, selon le cas, du Département de Mayotte ou de la collectivité de Saint-Martin, ainsi que d’associations d’élus locaux et de représentants des notaires. Compte tenu des compétences spécifiques exigées par la procédure de titrement qui lui est confiée, le groupement peut, par exception aux dispositions du 3° de l’article 109 de la loi n° 2011–525 du 17 mai 2011 précitée, recruter directement et en tant que de besoin des agents contractuels de droit public ou de droit privé ;

« - soit par un opérateur public foncier, sous réserve que le statut de cet opérateur soit complété par des dispositions permettant la mise en œuvre de cette nouvelle mission.

« L’organe délibérant de cet opérateur est alors complété par les représentants des personnes mentionnées au troisième alinéa du présent II.

« III. – L’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement crée et, le cas échéant, gère l’ensemble des équipements ou services d’intérêt commun, et effectue les travaux et missions connexes ou complémentaires rendus nécessaires par la conduite de la procédure de titrement.

« Pour l’accomplissement de sa mission, l’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement peut créer un fichier de données à caractère personnel dans les conditions définies par la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

« Sans que puisse leur être opposé le secret professionnel, l’opérateur public foncier ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement ainsi que les personnes qu’il délègue peuvent se faire communiquer par toute personne, physique ou morale, de droit public ou de droit privé, tous documents et informations nécessaires à la réalisation de la procédure de titrement, y compris ceux contenus dans un système informatique ou de traitement de données à caractère personnel.

« Les agents de l’opérateur public foncier ou du groupement d’intérêt public chargé de la procédure de titrement et les personnes qu’il délègue sont tenus de respecter la confidentialité des informations recueillies au cours de leur mission sous peine des sanctions prévues aux articles 226–13, 226–31 et 226–32 du code pénal.

« Ces informations sont communiquées aux officiers publics ministériels concernés, aux représentants de l’État ainsi qu’aux responsables des exécutifs des collectivités territoriales. »

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 14

Après le mot :

communiquées

insérer les mots :

aux pétitionnaires,

II. - Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Les informations mentionnées à l’alinéa précédent sont consultables par toute personne intéressée en préfecture. »

La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre. L’ordre d’examen des amendements me donne la priorité, mais je souhaite répondre par anticipation à un amendement tout à fait judicieux présenté par M. Lenoir.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Il ne faut pas en faire trop !

M. Victorin Lurel, ministre. Nous comprenons son amendement, qui tend à améliorer le texte, et voulons en tenir compte.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose simplement de préciser que les informations concernées sont aussi communiquées aux pétitionnaires et peuvent être consultées par toute personne intéressée – par exemple, des contestataires. L’information sera donc parfaite.

Sous le bénéfice de cet engagement, je serai donc conduit à vous demander, monsieur Lenoir, de bien vouloir retirer votre amendement.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Lenoir, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

« Un décret d’application précise les conditions dans lesquelles les informations collectées par l’opérateur public ou le groupement d’intérêt public chargé de la procédure du titrement sont portées à la connaissance des personnes concernées. »

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les compliments que je viens d’entendre justifient pleinement mon initiative et le temps que j’ai passé avec vous sur un sujet intéressant et important, dont j’ai autrefois eu à connaître à l’occasion d’une mission effectuée dans le cadre de responsabilités au sein l’administration centrale.

Vous avez souhaité, monsieur le ministre, que je retire mon amendement au profit du vôtre, mais je me permets de le résumer brièvement au moins à l’intention des lecteurs du Journal officiel, car si tous les sénateurs ici présents sont parfaitement avertis de la question, il convient cependant d’exposer le problème posé.

Le Gouvernement a déposé un amendement concernant la procédure de titrement, confiée soit à un groupement d’intérêt public, soit à un opérateur public foncier. Aux termes de cet amendement, d'ailleurs fort long et donc très précis, l’opérateur public travaillait sous le sceau de la confidence, ce qui est tout à fait justifié, et les informations finalement recueillies par lui étaient transmises aux autorités locales, aux officiers ministériels etc.

Or, lorsque cet amendement est parvenu à la commission, il est apparu que l’on ne savait pas comment ces informations étaient finalement connues des personnes concernées. D’où l’amendement que j’ai déposé, qui prévoit un décret d’application destiné à préciser le dispositif.

Le ministre fait très justement observer qu’un décret d’application s’ajoutant à d’autres, cela risque d’engendrer des complications et des retards. Loin de moi l’idée d’ajouter à la frénésie législative à laquelle notre rapporteur faisait allusion tout à l'heure ! Je voulais simplement que les choses fussent précisées.

Je maintiens néanmoins mon amendement, pour le cas où celui du Gouvernement ne serait pas adopté (Rires.) – hypothèse assez peu vraisemblable, j’en conviens –, afin de nous ménager en quelque sorte un parachute ventral !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques. L’amendement de notre collègue Lenoir prévoit qu’un décret d’application précise les conditions dans lesquelles les informations recueillies par la structure chargée de la procédure de titrement sont portées à la connaissance des personnes concernées. Il s’agit d’obtenir une information plus complète que celle qui est recueillie dans le cadre de la procédure de titrement. Fort bien !

Cependant, cet amendement pose deux problèmes.

D’une part, sur la forme, il est ambigu : quelles personnes vise-t-il exactement ? S’agit-il des personnes qui vont bénéficier d’un titre de propriété ? Ou bien des autorités, notaires, représentants de l’État, élus locaux ?

D’autre part, cet amendement pose un problème sur le fond : je rappelle que le décret d’application initialement prévu par l’article 35 de la loi pour le développement économique des outre-mer de 2009 n’a toujours pas été publié, au bout de quatre ans. C'est d'ailleurs pour cela que le dispositif législatif a été modifié. Vous comprenez dons aisément que je ne puisse pas être favorable à un amendement ayant pour effet de ne rendre le dispositif prévu applicable qu’après la publication d’un décret.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !

M. Serge Larcher, rapporteur. Souhaitant répondre aux inquiétudes de notre collègue, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à renforcer l’information des personnes concernées par la procédure de titrement en prévoyant qu’elles pourront consulter à la préfecture les informations transmises aux autorités.

L’amendement de notre collègue paraît, dans ces conditions, satisfait. La commission est donc favorable à l’adoption de l’amendement du Gouvernement et souhaite le retrait de celui de Jean-Claude Lenoir.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Comme je l’ai dit en commission, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois manifeste cette préoccupation en permanence : un certain nombre de lois demeurent inapplicables, faute de parution de leurs décrets d’application.

L’intention de Jean-Claude Lenoir était tout à fait louable…

M. Jean-Claude Lenoir. Encore, encore ! (Sourires.)

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. … et, d'ailleurs, nous avions invité notre collègue à déposer un amendement. Je suis donc très content, monsieur Lenoir, que vous ayez obéi à cette amicale injonction, même si vous avez été « doublé » par le Gouvernement. (Nouveaux sourires.)

Mais, d’une façon générale, chers collègues, évitez donc de prévoir des décrets d’application dans vos propositions de loi, car cela peut renvoyer aux calendes grecques la mise en œuvre de vos initiatives…

Vous le voyez, monsieur Lenoir, j’interviens plutôt sur la forme et non sur le fond, pour lequel vous avez satisfaction.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu, monsieur Lenoir ?

M. Jean-Claude Lenoir. Je n’ai pas l’intention de prolonger les débats. Un échange très intéressant et sympathique a eu lieu. Nous sommes donc d’accord sur le fond. Sur la forme, mon amendement aura permis au Gouvernement de remarquer qu’il manquait quelque chose à celui qu’il avait déposé la semaine dernière… Le but est atteint et, dans ces conditions, je vais retirer mon amendement.

On peut se rallier au propos général du président de la commission : en effet, trop de décrets d’application sont prévus. J’avais d’ailleurs le sentiment que son admonestation s’adressait au Gouvernement plutôt qu’aux sénateurs, qui ne produisent pas énormément de propositions de loi, dans lesquelles ils ne renvoient au surplus que rarement à des décrets d’application. (M. le président de la commission s’exclame.) Mais je suis sûr que le Gouvernement a entendu le président de la commission !

Cela dit, je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote sur l’amendement n° 2.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que l’histoire coloniale de Mayotte soit plus récente que, par exemple, celle des Antilles, mon département possède, lui aussi, sa zone des pas géométriques héritée d’un passé douloureux.

Dans une île où coexistent deux sortes de propriétés, la propriété coutumière et la propriété dite « titrée », la première catégorie, qui concerne la quasi-totalité des villes et des villages, pose à ce jour d’énormes problèmes aux Mahorais. Plusieurs parcelles situées sur les rivages de l’île, souvent habitées, se trouvent dans la zone des pas géométriques. Or la plupart de ces parcelles sont possédées sans titre malgré un processus de régularisation engagé depuis les années quatre-vingt-dix.

Par ailleurs, la réglementation de la régularisation foncière, qui résulte notamment des décrets dits Fillon, se révèle injuste – je dirais même particulièrement injuste. Elle aboutit en effet à demander à des propriétaires coutumiers, plusieurs générations après une installation sur des terres leur ayant toujours appartenu et transmises par leurs ancêtres, d’acheter ces terrains à l’État.

C'est pourquoi je me réjouis de l’article 3 de la présente proposition de loi, qui instaure une procédure dite « de titrement ».

Eu égard à la situation financière des collectivités de Mayotte, et parce qu’il est de la responsabilité de l’État de « boucler » la régularisation foncière avant le transfert des compétences décentralisées, j’appelle de mes vœux la mise en place très rapide d’un organisme étatique afin de régler, une fois pour toutes, la problématique foncière de la zone des pas géométriques

Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre, sur le « choc institutionnel » que connaît ce département, qui milite avec d’autant plus de force en faveur de cet organisme étatique. Il y va de la réussite du développement de ce département et de sa réforme fiscale, programmée au 1er janvier 2014.

Il s’agira, par ailleurs, de rendre justice aux propriétaires coutumiers mahorais, qui risquent une véritable spoliation si la situation demeure inchangée. C'est pourquoi je ne peux qu’être favorable à l’article 3 de cette proposition de loi, et demander que le processus de titrement, pour reprendre les termes de cet article, soit rapidement mis en œuvre à Mayotte.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Je voulais simplement préciser à notre collègue Jean-Claude Lenoir que le message que j’ai lancé s’agissant des décrets d’application concernait bien entendu les propositions de loi, mais qu’en aucune façon je n’ai changé de position concernant les projets de loi déposés par les gouvernements, quels qu’ils soient ! J’avais même souhaité, devant une autre majorité sénatoriale, que les projets de loi soient accompagnés de leurs projets de décrets d’application…

M. Jean-Claude Lenoir. Ils vont l’être, maintenant !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Y a-t-il des demandes d’explication de vote ?...

Je mets donc aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : « Proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques et à faciliter la reconstitution des titres de propriété en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin ».

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre. Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs. Si toutes les lois que je défends étaient votées avec pareille unanimité dans les deux assemblées, je serais un ministre totalement heureux… Heureux, je le suis, mais je le serais encore davantage ! (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (nouveau) (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques
 

11

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 21 mai 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 313-13 du code de la construction et de l’habitation (participation des employeurs à l’effort de construction) (2013-332 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

12

 
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République
Discussion générale (suite)

Refondation de l’école de la République

Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République (projet n° 441, texte de la commission n° 569, rapport n568, avis nos 570 et 537).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République
Demande de réserve

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, madame la rapporteure, madame, monsieur les rapporteurs pour mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une grande fierté pour moi que de vous présenter ce projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Je salue d’abord très chaleureusement et sincèrement le travail qui a été mené en commission. Durant sept heures de débat – ce n’est pas rien ! –, 426 amendements ont été examinés et 135 amendements ont été adoptés. Soixante-cinq d’entre eux émanaient de la commission, mais tous les groupes ont vu certains de leurs amendements adoptés ; je salue par conséquent vos méthodes de travail.

Je le dis d’autant plus que j’attends beaucoup de ce débat, pour l’école elle-même, bien sûr, mais au-delà, pour une certaine conception de la République, puisqu’il s’agit de la refondation de l’école de la République.

La première chose – elle est ancienne –, c’est que la loi, déclaration publique et solennelle de la volonté générale sur un objet d’intérêt commun, suppose la délibération, et par conséquent les lumières. Lorsque l’on pénètre dans une salle de classe, comme nous l’ont enseigné nos maîtres de l’école primaire, on apprend tout d’abord à l’élève à se décentrer : je n’ai pas raison tout seul. Comme le disait Anatole France dans ses beaux ouvrages, le chien de M. Bergeret se croit toujours le centre du monde. Ce n’est pas bon pour la démocratie.

L’école de la République est l’idée même de la rationalité. Elle cherche à décentrer les points de vue. « Je m’écoute, mais se croire, c’est ce qu’il y a de pire », disait Alain. J’essaie de prendre en compte le point de vue de l’autre. C’est que nous sommes plus intelligents à plusieurs que tout seul, mesdames, messieurs les sénateurs.

De ce point de vue, le travail parlementaire, qui a déjà été bien conduit à l’Assemblée nationale, est essentiel à l’intelligence de la loi. Je considère que, en laissant les débats se dérouler – j’ai veillé à ne pas être présent en commission pour que les parlementaires œuvrent comme ils l’entendaient –, nous participons aussi de cet esprit.

La deuxième chose – et elle est centrale, pour moi, dans ce débat au Sénat, parce que j’ai été surpris par la première lecture à l’Assemblée nationale –, c’est que nous devons et nous pouvons nous rassembler autour de l’école de la République. Comme je n’ai cessé de le répéter, il s’agit d’un nouveau pacte entre l’école et la nation. L’école n’appartient pas aux uns ou aux autres, elle appartient à tout le monde. C’est d’ailleurs une idée que vous avez défendue dans les amendements que vous avez proposés, y compris à l’égard des parents.

Je ne vois pas pourquoi, lorsque l’on adopte le point de vue qui fut le nôtre, celui de la clarté, de la simplicité, de la méthode, en commençant par ce qui est élémentaire et donc fondamental, ce sur quoi nous allons construire, on devrait se diviser ! Certains ne comprennent pas ce que « fondation » veut dire. La fondation, c’est ce sur quoi l’école repose. Elle est d’une simplicité que personne n’a été capable de mettre en œuvre, dans notre pays, non pas depuis cinq, dix, vingt ans, mais depuis plus d’un siècle : c’est la priorité au primaire.

Qui peut nous dire, alors que, pour la première fois, nous proposons une loi de refondation de l’école de la République qui accorde la priorité au primaire, avec des moyens programmés et l’ambition de nouvelles pédagogies, que nous ne pouvons pas nous rassembler autour de cette idée ? J’ai connu d’anciens ministres de l’éducation nationale – certains membres de cette confrérie siègent d’ailleurs dans votre noble assemblée – qui ne sont pas de ma famille politique et qui soutiennent cette priorité au primaire.

Pour quelle raison ? Lorsque 25 % des élèves qui entrent au collège aujourd’hui sont en difficulté pour lire, écrire, compter et entrent dans le processus de l’échec que nous connaissons et, à terme, du décrochage, les difficultés se sont créées avant. Chacun convient donc que, pour ces apprentissages fondamentaux, l’effort doit être fourni avant. Or, de tous les pays développés de l’OCDE, nous sommes celui qui accorde le moins à l’école primaire. Je ne parle pas encore de la formation des enseignants, mais j’évoque ici les moyens humains qui sont mis devant les élèves. Notre taux d’encadrement des élèves du primaire est le plus faible de tous les pays de l’OCDE.

Nous avons choisi d’accorder la priorité au primaire pour permettre la réussite de tous les élèves, en veillant à programmer des moyens dans la transparence, pour un tiers vers le secondaire et pour deux tiers, c'est-à-dire le double, vers le primaire.

Les besoins, dans les zones en difficulté – qu’elles soient urbaines, rurales ou dans les territoires d’outre-mer – sont criants. Nul n’est venu contester, lorsque nous avons présenté le collectif budgétaire prévoyant 1 000 postes supplémentaires pour le primaire au printemps dernier, ni à présent que les postes sont prévus pour la rentrée prochaine, que le fait de ne pas fermer une classe dans un village, d’être capable de ne pas en fermer une dans une zone urbaine sensible n’est ni de gauche ni de droite, mais républicain, dans l’intérêt des élèves et donc dans l’intérêt, demain, de la nation.

M. Christian Bourquin. La droite a assassiné l’école !

M. Vincent Peillon, ministre. Certains, dont le sénateur Carle, nous disent – et ils ont raison – qu’il faut accorder aux apprentissages précoces toute leur importance. Certainement ! L’accueil des moins de trois ans était de plus de 30 % en 2002, mais de 10 % lorsque j’ai pris mes fonctions. Il fait partie de nos priorités.

Lorsque nous sommes face à notre conscience, face aux raisons profondes de notre engagement dans la vie politique, considérant ce bien commun qu’est l’école de la République depuis deux siècles, nous devons dépasser les positionnements, les petitesses, les rancœurs, les habiletés, parce que la priorité au primaire est bonne pour le pays.

C’est simple, mais ce sont les fondements. Vous voulez construire du solide pour le collège et le lycée ? Construisez d’abord les fondements du primaire ! En 2002, sous la présidence de Jacques Chirac, certains ont tenté, je m’en souviens, de diviser par deux les effectifs des cours préparatoires, puis l’idée s’est égarée en route ; c’est dommage.

Nous devons à la fois accorder les moyens et changer les pédagogies là où les besoins sont les plus grands. C’est ce que nous faisons, et c’est essentiel.

Le deuxième axe – et il est lié – est celui de la formation des enseignants. Depuis la loi Guizot et le début de la IIIe République, chacun sait que l’école de la République, l’école qui a créé la République, qui en est comme le cœur battant, s’est construite d’abord autour de la formation des maîtres, dans des conditions très difficiles, des querelles ayant divisé durement le pays jusqu’en 1905. Les instituteurs furent souvent mal traités, vous le savez, par rapport aux professeurs du secondaire ou du supérieur. Cependant, la formation telle qu’elle était prodiguée dans les écoles normales a permis à des générations entières de « hussards noirs » d’assurer au pays une espérance par la promotion républicaine. C’est que, mesdames, messieurs les sénateurs, ces instituteurs ressemblaient à leurs élèves, ils étaient comme eux immigrés polonais installés dans les corons du Nord, dans les zones rurales en Bretagne ou ailleurs. La nation leur avait permis de s’intégrer et d’aimer la France, et de reproduire ainsi le modèle adopté.

Cela s’est tari avec la mastérisation : cinq ans d’études supérieures sans aucun moyen pour les conduire. Comment, lorsqu’on est enfant d’un milieu populaire, peut-on suivre ces études ? La sociologie de nos professeurs, aujourd'hui, n’est plus la même. Les emplois d’avenir professeur commencent à y remédier. Ils le feront davantage dans les années qui viennent, en assumant à nouveau ce mouvement de justice et d’espérance qui fait, je crois, l’essentiel des valeurs que nous partageons, à un moment où notre pays et notre jeunesse, dont 25 % est au chômage, souffrent d’un accroissement des inégalités et ont besoin de cet engagement de toute la nation.

La création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation a certes un coût. Sur la programmation des 54 000 postes que je vous propose, 27 000 postes sont destinés à permettre aux jeunes gens qui se destinent à ce métier de bénéficier, comme nous-mêmes auparavant, d’une année de stage, de la professionnalisation et de l’entrée progressive dans le métier afin de l’apprendre et de le vivre au mieux.

Quand nous débattons de l’école, nous sommes capables de parler de tout ce qui est accessoire, mais très peu de ce qui est essentiel, ce mouvement d’élévation qui va contre le mouvement d’abaissement, parce que l’élève devient capable, comme ceux qui, par le passé, et nous en sommes, ont reçu de bons enseignements, de clarté, de distinction, de simplicité.

On évoquera sans doute une foule de sujets, puisque l’on demande tout à l’école, mais l’essentiel, c'est-à-dire la capacité pour les élèves d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à se cultiver, « l’éducation libérale » dont parlait Jules Ferry, ce droit de se perfectionner qui est au cœur de la nature humaine et que l’État doit considérer comme son devoir dans une République qui a conjugué République sociale et République libérale depuis un siècle, de cela, nous ne parlons pas !

L’essentiel, c’est la priorité donnée au primaire, c’est la formation des enseignants, avec la création, par une loi de programmation, chose rare dans des circonstances budgétaires aussi difficiles, de 27 000 postes dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Ces écoles, je l’entends aussi, seraient des IUFM revisités. Mais pas du tout ! Les ESPE, saluées aujourd'hui dans toute l’Europe et même au sein de l’OCDE – car la France est parfois regardée pour ce qu’elle fait de positif –, sont un nouveau modèle. Nous avons changé la place du concours ; nous avons réécrit entièrement toutes les maquettes de concours de recrutement. Nous avons également revu ce que l’on désigne sous le vilain vocable de « référentiel métier ».

Nous souhaitons par ailleurs que les étudiants, dès la troisième année, puissent être accompagnés par des professionnels, à la fois des universitaires pour les différentes disciplines, pour la didactique, mais aussi des praticiens exerçant dans les établissements où nos étudiants auront demain à enseigner.

J’ai réuni, la semaine dernière encore, les chefs de projets, les recteurs, la conférence des présidents d’université, afin que nous ne reproduisions pas les mêmes erreurs. Ce qui a coûté très cher au système d’éducation français et que nous essayons de dépasser ici, c’est la division permanente entre les uns et les autres : le mépris du professeur du secondaire pour le professeur du primaire, du professeur de l’université pour le professeur du secondaire, sans oublier l’incompréhension à l’égard des éducateurs, comme nous avons pu l’observer à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires.

Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation rassembleront tous ceux qui ont vocation à enseigner et qui doivent avoir non seulement des savoir-faire, des savoir-être, mais aussi une connaissance de l’enfant, de l’élève dans la totalité de son développement, de son parcours et de son insertion dans la société. Ils doivent aussi apprendre à se connaître.

Par ce projet de loi, nous proposons de mieux travailler la liaison entre l’école et le collège ; il faut que les enseignants partagent des moments communs.

Nos enseignants, recrutés à bac + 5 – même pour la maternelle, fierté française depuis un siècle et en faveur de laquelle nous allons remettre en place une formation spécifique –, sont des fonctionnaires non pas d’exécution mais bien de conception. Il s’agit un métier qui nécessite du tact – c’est tout un art – et donc des connaissances générales, ainsi qu’une approche précise. La recherche, comme dans certains pays, doit participer en permanence de cette interrogation qui fait à la fois la sensibilité et, bien entendu, la confiance qu’un élève peut trouver dans le regard de son professeur.

Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation portent cette ambition, et sur tous les aspects : sur le service public du numérique, sur les enfants en situation de handicap et l’école inclusive qui, à juste titre, nous tient à cœur mais pour laquelle il convient d’être formé, ainsi que sur l’instruction morale et civique – la morale laïque -, car la République doit défendre ses valeurs et les enseigner !

M. Vincent Peillon, ministre. Nous avons besoin de former nos maîtres à tout cela.

Les questions de violence, nous les rencontrons tous les jours, que ce soit, comme la semaine dernière, dans une école parisienne ou aujourd’hui à Strasbourg, avec les menaces d’un internaute. Nous avons mis en place, pour la première fois, des protocoles de gestion des crises et créé le métier d’assistant de prévention et de sécurité. De même, j’ai institué, à l’intérieur du ministère, une délégation à la prévention des violences.

Nous devons être capables, dans ces écoles aussi, de former nos enseignants. Tout cela est également vrai de l’égalité entre filles et garçons – et il n’y aura pas ici, je l’espère, de faux débat sur le genre, dont j’ai déjà dit tout ce que je pensais – et de la lutte contre les discriminations, trop fortes dans notre pays. Nos enseignants doivent donc être formés à tous ces cas de figure ; il s’agit d’un effort considérable de la nation.

Si nous avons réussi autrefois pour le primaire, vous le savez, nous n’avons jamais su bien faire pour le secondaire et le supérieur. Raison pour laquelle nous connaissons aujourd’hui un tel taux d’échec chez tous ceux qui ne sont pas préparés, en particulier dans le supérieur.

C’est pourquoi nous nous devons d’avoir une immense ambition pour ces écoles supérieures. Nous y mettons les moyens. Certes, j’en suis conscient, une loi ne transformera pas d’elle-même la réalité. Certes, j’en suis également conscient, il faudra du temps, de l’obstination, de la persévérance pour faire en sorte que ce que nous allons décider ensemble se traduise réellement et que les 40 000 étudiants que nous avons recrutés cette année – comme quoi il s’agit bien d’un métier qui est encore valorisé dès lors que l’on n’en détourne pas les uns et les autres – trouvent à s’épanouir dans leur vocation.

Il faudra perfectionner le dispositif au fil du temps. Tout ne sera pas parfait dès la rentrée, m’objecte-t-on parfois. Mais bien évidemment ! Je ne peux que répondre, avec toute la modestie qui est la nôtre collectivement, que l’être parfait, ce n’est pas nous ! Ceux qui veulent occuper la place d’un soi-disant dieu mort ou d’un Prométhée se sont trompés et le vingtième siècle est là pour nous le rappeler.

Nous, nous tâtonnons ; nous, nous avons le droit à l’erreur, à condition que nous cheminions dans la bonne direction et la priorité au primaire, c’est la bonne direction ; personne ne peut le contester. La formation des enseignants, c’est la bonne direction ; personne ne peut le contester.

Permettre aux enfants de tous les milieux d’avoir un parcours d’éducation artistique et culturelle, c’est renouer avec notre grande tradition. Il n’y a pas d’alternative entre les apprentissages fondamentaux et l’éducation libérale, laquelle était déjà au cœur de l’aspiration des premiers républicains. C’est précisément lorsque, chez vous, vous n’avez pas accès à la culture, à la connaissance des arts, à la connaissance scientifique, que vous avez besoin de cette éducation qui est le patrimoine de ceux qui n’ont rien. C’est à l’école qu’il revient de vous permettre cet accès, et c’est bien le sens de ce que nous faisons.

Nous savons aussi, et c’est pourquoi je créerai le conseil économie-éducation avec le Premier ministre au mois de juin prochain, que l’école doit permettre l’insertion professionnelle. Comment pourrions-nous oublier un instant, dans un pays où 25 % de nos jeunes sont au chômage, que c’est de notre responsabilité ?

Oui, il est de notre responsabilité d’émanciper les individus, de leur permettre de construire leur autonomie et de se donner à eux-mêmes leurs règles. Oui, il est de notre responsabilité d’en faire des citoyens éclairés, capables de faire leur choix démocratique en toute connaissance de cause.

Mais il est aussi de notre responsabilité de leur permettre de s’insérer. Or, vous le savez, l’une des faiblesses profondes de notre système éducatif, c’est l’orientation, que l’on aborde souvent, lorsque l’on veut m’en parler, sous l’angle de l’orientation négative qui a lieu à la fin de la troisième, quand il faut choisir entre les différentes filières et les trois lycées.

Nous voulons donc mettre en place le parcours d’orientation et d’information, afin que chacun ait les mêmes droits : l’information, c’est du pouvoir ; l’information, c’est de la liberté ! Connaître les formations et les métiers qui existent, c’est le début de la construction pour soi d’un parcours autonome.

De la même façon, j’ai entendu les débats qui ont eu lieu ces derniers jours sur l’apprentissage précoce d’une langue étrangère. Il s’agit d’une question tout à fait fondamentale.

M. Vincent Peillon, ministre. Les défenseurs des langues régionales – ils sont nombreux ici, et nous leur donnons pleinement raison – nous disent très souvent qu’apprendre une autre langue n’empêche pas d’apprendre sa langue nationale. Au contraire, cela facilite les apprentissages (M. Jean-Michel Baylet acquiesce.), comme l’ont amplement montré les travaux du linguiste Hagège.

Il en va de même des langues étrangères, et c’est pourquoi le fait d’étendre cet apprentissage au cours préparatoire – ce que la précédente majorité avait d’ailleurs commencé à faire – est utile non seulement à l’intelligence du monde par les élèves d’aujourd’hui, mais aussi à la compétitivité de la France.

La situation de l’emploi, je le déplore, constitue notre problème premier. Elle est souvent associée à la compétitivité de notre pays, ce qui n’est pas tout à fait nouveau. Beaucoup d’entre vous font de la politique depuis un petit moment : ces discours-là, nous les entendons régulièrement. La crise, ceux qui sont nés après 1974 n’ont connu que cela ! Il n’est que de constater comment, sur des décennies, nous sommes passés à des millions de chômeurs et à une précarisation accrue.

Toutefois, si l’on veut relever les défis qui sont ceux de la France, ce serait une erreur cruelle de ne pas considérer que l’investissement dans l’éducation, dans l’intelligence, est l’investissement premier.

Les pays qui réussissent – par exemple, notre voisin allemand, auquel on nous compare souvent et qui a saisi la portée du choc provoqué par les résultats aux tests PISA – sont ceux qui ont compris que, pour s’insérer professionnellement et être, comme on le dit vilainement, compétitif, pour pouvoir réussir ensemble, il faut d’abord élever le niveau de qualification et de culture de toute sa population.

Nous sommes dans une économie de la connaissance et il nous faut donc relever les défis d’une économie de la connaissance. Pour ce faire, nous devons permettre à tous nos jeunes d’élever leur niveau de qualification et d’instruction. Mais cela va plus loin : l’initiative, la coopération – et je remercie ceux qui ont enrichi le texte autour de ce thème de la coopération – ne sont-elles pas utiles à l’esprit d’entreprise, de compétitivité, de réussite ? Tout cela doit s’apprendre à l’école.

Je relisais, il y a quelque temps, un ouvrage méconnu de Jules Michelet : Nos fils. Dans ce testament, il disait déjà de l’école, en 1869 – c’est incroyable ! –, qu’on y oblige les enfants à rester assis six heures et à répéter tous la même chose, tels des grenouilles qui coassent ! Ce faisant, on invalide l’activité, alors que l’activité est le dieu de la modernité, disait Jules Michelet ! Et après cela, nous attendons des citoyens qu’ils s’engagent, qu’ils soient actifs, qu’ils aient des jugements libres, qu’ils fassent preuve d’initiative, qu’ils soient capables de coopérer ?...

L’école doit être capable de développer ces qualités humaines, ces vertus humaines.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Vincent Peillon, ministre. Or notre école est aujourd’hui en contradiction avec les attentes qui sont les nôtres. C’est pourquoi la réforme que nous portons est aussi, bien entendu, une grande réforme pédagogique.

Dans cette loi de refondation, nous posons les fondements : priorité au primaire, formation des enseignants, programmation budgétaire. J’insiste sur ce dernier aspect car, chacun le sait, s’il n’y a pas les moyens, il n’y aura ni formation des enseignants, ni classes qui ne fermeront pas dans les zones rurales, ni possibilité de remplacement des professeurs, ni infirmières scolaires, ni adultes pour lutter contre les incivilités à l’école.

Ces moyens, il nous les faut. Ils sont nécessaires, ils ne sont pas suffisants – en tout cas, je ne le pense pas une seule seconde. Nous devons les utiliser pour réformer en profondeur et nous unir dans cette réforme.

On parle peu du service public du numérique éducatif. Il s’agit pourtant d’un aspect essentiel de ce texte. Vous le savez, si la France ne conduit pas aujourd’hui cette réforme d’ampleur, alors, et c’est déjà le cas, ce domaine sera entièrement occupé par les entreprises privées et les logiciels pédagogiques nous viendront de l’étranger.

Il s’agit d’un combat qui vaut plus que la question de l’enseignement des langues étrangères. Si l’on veut défendre patriotiquement notre nation, nous avons besoin non seulement de former par le numérique – ce procédé peut permettre à un grand nombre d’élèves de réussir, c’est pourquoi nous nous devons mettre en place ce service public, alors que des sociétés privées fournissent déjà ce genre de service aux parents qui en ont les moyens –, mais nous devons aussi former au numérique, parce qu’il comporte nombre de dangers et qu’il est de la responsabilité de l’école d’inscrire les devises de la République dans les territoires numériques du XIXe siècle.

Des organismes comme la Caisse des dépôts et consignations l’ont fait pour les écoles au XIXe siècle. Ils doivent s’impliquer fortement aujourd’hui pour rendre possible l’accès de tous les territoires au haut débit, pour nous rendre capables de former nos enseignants – et nous devons aider nos éditeurs à construire une filière du numérique pédagogique française. (M. Christian Bourquin s’exclame.)

Vous qui connaissez les collectivités locales, vous savez les efforts qu’elles ont réalisés ces dernières années – car cela relevait de votre responsabilité– pour trouver et donner aux établissements les moyens nécessaires en termes de matériels. Mais les professeurs n’étaient pas formés aux usages pédagogiques du numérique.

Nous avons donc là un projet considérable qu’il faut mener à bien rapidement et qui appellera également des réorganisations au sein du ministère de l’éducation nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi comporte de nombreux aspects ; c’est toujours le cas dans une loi scolaire. Je veux m’en tenir à ce qui est simple, à ce que nous pouvons partager, à ce que je viens d’indiquer.

Notre pays traverse une crise profonde qui est bien entendu une crise matérielle mais aussi une crise morale, une crise civique, une crise d’espérance. La France est le pays qui est le plus pessimiste sur son avenir. Il est vrai que beaucoup des choix faits ces dernières années ne sont pas en faveur de l’avenir. Nous avons décidé, à travers des interventions multiples, de faire en sorte que cet avenir soit ce qui peut nous rassembler : lorsqu’il s’agit de nos enfants, lorsqu’il s’agit des élèves de l’école de la République, lorsqu’il s’agit de la possibilité de leur offrir les conditions de la réussite scolaire, je crois profondément que nous pouvons nous rassembler.

Il y a longtemps de cela, au cours de débats tenus dans cet hémicycle, un grand républicain disait très simplement que les élèves, et c’est l’évidence, sont les messagers de l’avenir. Ce que nous faisons de notre école au cœur de la République, c’est ce que nous attendons de la France de demain. Il s’agit, pour chacune et chacun d’entre nous, d’une responsabilité très lourde.

J’ai été, je vous l’ai dit dès le début de mon propos, heureux du travail conduit en commission : bien des amendements adoptés permettent d’enrichir le texte, notamment son nouvel article 3 A, sur les finalités que nous poursuivons. Quelle école voulons-nous et donc quel projet de société ?

Lorsque nous parlons d’inclusion scolaire pour les enfants en situation de handicap – vous êtes revenus de façon unanime sur l’amendement qui avait provoqué, lors du débat à l’Assemblée nationale, une émotion légitime –, lorsque nous parlons de mixité sociale, lorsque nous voulons la réussite de tous – parce que son absence se traduit par un échec terrible pour des individus privés de cette capacité à s’insérer, à s’épanouir et dont l’état de santé traduit parfois cette difficulté, mais aussi parce qu’avoir 150 000 décrocheurs chaque année est pénalisant pour la France –, nous voulons aussi associer tous ceux qui contribuent à ce pacte entre la nation et l’école, en particulier les parents que vous avez, au travers de vos amendements, permis de mieux convier à notre travail.

Vous avez ajouté des éléments qui viennent clarifier un certain nombre des fondamentaux présents dans cette loi : je pense au Conseil supérieur des programmes, au Conseil national d’évaluation du système éducatif – on connaît les polémiques de ces dernières années – et, bien entendu, au socle commun de compétences, de connaissances et de culture.

Pourquoi ces fondamentaux ? Ce qui a beaucoup pénalisé l’école, ce sont des débats très théoriques, souvent au sein même de l’éducation nationale, opposant aux pédagogues les républicains autoproclamés et ignorant souvent les sources elles-mêmes. Devrions-nous en conclure que Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Jules Steeg, Johann Heinrich Pestalozzi, Jean-Jacques Rousseau n’étaient pas des pédagogues, ni des républicains ?

Ces clivages entre instruction et éducation existaient déjà à l’époque de Condorcet. Pourtant, être capable de produire des connaissances précises, être capable d’instruire son jugement, être capable de discriminer entre ses sources, être capable de construire une argumentation, être capable de respecter sa tradition, ce n’est pas seulement s’instruire, c’est déjà s’éduquer ; Michelet disait-il autre chose ?

Si notre vision est globale, vous avez donc, de votre côté, contribué à enrichir le texte, mesdames, messieurs les sénateurs. Vous l’avez fait, également, sur les questions de santé scolaire. En la matière, je vous le dis, la situation est alarmante, à un moment où, comme dans toute période de crise, la pauvreté regagne du terrain dans notre pays.

Vous avez aussi précisé le parcours d’éducation artistique et culturelle, et indiqué la manière dont le numérique éducatif devait contribuer à l’innovation pédagogique. L’État enseignant, en effet, ce n’est pas l’État Léviathan. Pour l’État enseignant, la République se doit de toujours placer l’individu émancipé au-dessus de toute raison d’État. C’est la grande leçon de l’affaire Dreyfus, le grand moment de la réconciliation nationale. Nous ne devons jamais oublier cette leçon.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez également souhaité indiquer que cette école de la confiance – car c’est une forme de foi que de croire en l’éducabilité de chacun – appelle aujourd’hui des modes d’évaluation qui mesurent mieux la progression de l’élève, qui aident à progresser plutôt qu’ils ne sanctionnent. Nous avons, en effet, une vision très particulière de ces sujets, en France. Vous avez voulu, de la même manière, le préciser pour les redoublements.

Tout cela est dans l’esprit de ce que nous essayons de faire, et je vous en remercie.

Je souhaite profondément que ce débat soit l’occasion de dire à quel point nous sommes tous attachés à l’école de la République, à quel point nous voulons et nous portons ensemble ce projet, qui vise à faire réussir tous les élèves, quelle que soit leur origine, quel que soit leur territoire, quelle que soit leur croyance, quelles que soient leurs opinions.

Nous le savons, cela ne date pas d’hier, l’état de la France s’est beaucoup détérioré. Nous avons fait des choix, parfois budgétaires, parfois pédagogiques – ceux-là sont plus anciens – qui n’ont pas été les bons.

Nous agissons pour que l’école retrouve le bon chemin. Il faudra du temps, je le sais. Si nous en sommes capables, ce que nous faisons pour l’école vaudra, par sa capacité d’entraînement, pour toute la nation.

Il faut être capable de parler de l’école avec raison, plutôt qu’avec une certaine émotion. Il faut être capable de le faire avec le sens du temps long, aussi, et de lutter contre la dictature de l’instant, qui prend tant de place dans la vie politique et dans les politiques publiques. Il faut être capable d’amorcer ce mouvement.

Je vous l’ai dit, j’ai été surpris des débats à l’Assemblée nationale. Comme si les priorités que je propose pour l’école dans ce projet de loi, auxquelles nous avons réfléchi depuis tant d’années, devaient diviser ! Au contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, si elles ont été choisies avant même que ne soient abordées les questions relatives au lycée professionnel ou au collège, par exemple, c’est qu’elles constituent précisément les éléments sur lesquels nous devons pouvoir nous rassembler.

J’espère que le Sénat, dans sa sagesse, sera capable d’envoyer ce signal important pour notre jeunesse, mais également pour un pays qui cherche son chemin vers l’espoir. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Françoise Cartron, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’éducation nationale, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, Pierre Mendès France affirmait : « Si notre République […] est capable de comprendre l’espérance des filles et des garçons de France, d’épouser cette espérance, de la servir dans chacune de ses décisions, alors elle n’a rien à craindre des […] extrémistes, car elle sera toujours plus forte et plus vivante, portée par sa jeunesse, ardemment défendue, et chaque jour renouvelée par elle ».

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Monsieur le ministre, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République que vous portez, et que j’ai l’honneur de rapporter au Sénat, s’inscrit pleinement dans cette belle ambition.

Ce texte, issu d’un long travail de concertation, dont il faut saluer l’ampleur et la qualité, est au cœur du projet politique du Président de la République.

Aujourd’hui, notre société est traversée par des crises multiples : crise majeure du chômage, crise de l’exclusion et de la stigmatisation, crise des repères et du sens collectif.

C’est un fait, le redressement de notre pays est pleinement lié à notre capacité à redonner à notre système éducatif des orientations claires et des moyens, indispensables.

L’école française souffre de plusieurs maux. Elle ne corrige pas les inégalités sociales, elle les cristallise en inégalités scolaires. Les résultats, tous niveaux confondus, ne sont pas satisfaisants et, pis, régressent au lieu de progresser. Un nombre inacceptable de jeunes sortent du système scolaire sans qualification.

C’est un fait, également, notre école est désorientée, elle a été abîmée par les coups subis ces dernières années.

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Je pense notamment à la suppression massive des postes, effectuée sans discernement, à la multiplication des expérimentations en tous sens et en tous genres, faite sans évaluation, et à la dureté du quotidien scolaire vécu par nombre de jeunes et de professeurs.

Oui, c’est bien de refondation qu’a besoin notre école, de la redéfinition d’un cap et d’engagements forts sur les moyens indispensables à la réalisation de ces objectifs.

Telle a bien été la volonté de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat dans ses travaux préparatoires, au cours desquels soixante-dix auditions ont été conduites, sur plus de cent heures, et plusieurs déplacements effectués.

Par l’adoption de 138 amendements, émanant de tous les groupes politiques, nous sommes parvenus à approfondir et à enrichir le projet de loi.

En préambule de cette discussion générale, je souhaite donc revenir sur ces différents apports.

Afin de réaffirmer la démocratisation du système scolaire, condition de notre cohésion nationale, la commission a estimé qu’il était nécessaire de clarifier l’ambition que nous avons pour l’école, de préciser le sens qu’elle revêt. Cette démarche constitue, pour la commission, la première pierre de l’édifice refondé.

Ainsi, elle s’est largement employée à fixer le cap et à rappeler les valeurs fondamentales qui doivent permettre à tous les enfants de se construire. Elle tenait à les voir inscrites dans le premier article du code de l’éducation.

C’est également au regard du nouvel article 3 A du présent projet de loi, fruit de plusieurs amendements, que les autres dispositions adoptées par la commission doivent être appréhendées.

Ainsi, nous avons souhaité rompre avec l’idée selon laquelle certains élèves étaient condamnés à l’échec. Parce qu’il n’y a pas de fatalité qui inscrirait irrémédiablement des élèves dans une scolarité chaotique, nous réaffirmons le principe selon lequel tout enfant est capable d’apprendre et de progresser. L’éducation nationale doit garantir l’universalité du droit à l’éducation, par un renforcement de l’obligation d’inclusion scolaire de tous les enfants, indépendamment de leurs origines, de leur milieu ou de leur condition de santé. Elle doit aussi assumer la mission fondamentale de lutte contre les inégalités culturelles et sociales.

En portant les efforts sur le premier degré et les enfants les plus fragiles, grâce, notamment, à la création de 14 000 postes d’enseignants titulaires, le Gouvernement opère, à cet effet, une véritable révolution copernicienne, et elle était indispensable.

Face aux difficultés diverses, rencontrées dès la petite enfance, l’école primaire constitue, en effet, le lieu d’épanouissement privilégié. C’est pourquoi 3 000 postes seront destinés à l’accueil des enfants de moins trois ans, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire, dans les territoires ruraux et en outre-mer. Cette préscolarisation, remise en cause ces dernières années, est essentielle pour un certain nombre d’enfants. Elle leur permet de développer leur langage, de s’ouvrir au monde du réel et du sensible, acquis indispensables à la réussite des apprentissages fondamentaux dispensés à l’école primaire.

En construisant des parcours pédagogiques adaptés, qui tiennent compte des différences de rythme et de maturité de chaque enfant, les difficultés scolaires, sources d’échec, seront surmontées. C’est pourquoi 7 000 postes seront affectés aux mesures de soutien dans les zones prioritaires, notamment au dispositif « plus de maîtres que de classes ».

Aujourd’hui, l’ensemble des recherches et des études sur ce sujet a conclu à l’inefficacité des systèmes scolaires qui procèdent à des orientations précoces vers l’alternance ou la formation professionnelle. Le projet de loi a donc prévu de renforcer le collège unique, qui conditionne à terme l’élévation du niveau de qualification globale.

Dans la refonte de la régulation du système éducatif au service de la démocratisation, le Conseil supérieur des programmes et le Conseil national d’évaluation du système éducatif auront un rôle clef à jouer.

Notre commission a prévu que les personnalités qualifiées nommées ne pourront pas siéger au sein des deux conseils. Par souci de transparence, elles pourraient être aussi nommées après avis des commissions chargées de l’éducation.

Dans le nouvel article 3 A, introduit par la commission, les valeurs fondamentales que sont le respect de l’égale dignité des êtres humains, la liberté de conscience et la laïcité, ont également été inscrites. Elles sont celles que le service public de l’éducation doit incarner et transmettre, en même temps que les connaissances, les compétences, et la culture.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Françoise Cartron, rapporteur. C’est au nom de ces mêmes valeurs que la commission entend encadrer plus strictement la mise à disposition des locaux et des équipements scolaires à des tiers, afin que la neutralité et la laïcité du service public soient pleinement respectées.

En application des recommandations qu’elle avait émises dans le rapport d’information sur la carte scolaire, notre commission a également assigné explicitement au service public de l’éducation la mission de veiller à la mixité sociale au sein des établissements scolaires.

L’assouplissement de la carte scolaire, qui devait donner aux parents une plus grande liberté dans le choix des établissements, et devait être favorable, notamment, aux élèves issus de milieux sociaux défavorisés, a agi en trompe-l’œil. Cette réforme s’est faite, contrairement à son objectif initial, au bénéfice des familles qui maîtrisent le mieux les parcours scolaires, celles dont le capital socioculturel est le plus grand. En sous-entendant l’existence de bons et de mauvais établissements, elle n’a fait de surcroît qu’entretenir une concurrence préjudiciable, au détriment des personnes déjà victimes de la ségrégation, qui ont vu leur ghettoïsation et leur homogénéité sociale renforcées.

Dans ce système, les options et les parcours spécifiques sont devenus, le plus souvent, des outils au service de stratégies de dérogation et ne servent plus, à proprement parler, le projet pédagogique. Ils sont devenus un instrument de différenciation sociale entre les établissements, et à l’intérieur même de ces derniers. Si la solution n’est pas dans un retour à une sectorisation stricte, elle réside de manière certaine dans l’élaboration de nouveaux instruments de régulation et de nouveaux critères d’affectation.

C’est sur la base de ce constat, monsieur le ministre, que vous avez indiqué, dans la circulaire de rentrée 2013, que les demandes de dérogation formulées sur la base d’un parcours scolaire particulier ne seraient plus prioritaires. C’est un premier pas.

En partant des préconisations de la mission, notre commission a intégré dans ce texte l’élargissement des secteurs de recrutement des collèges, sous l’autorité des conseils généraux, afin qu’ils puissent définir des secteurs communs à plusieurs collèges publics dans un même périmètre de transport urbain, favorisant ainsi un brassage des publics.

Afin de faire émerger une nouvelle école, ouverte vers ses partenaires, où la coconstruction est la règle, et non un obstacle, l’article 3 A précise également que l’école se construit nécessairement avec les parents et, plus généralement, par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative.

Cette approche, nous la retrouvons dans la réforme des rythmes scolaires. Écoles, collectivités territoriales, associations culturelles et sportives ou encore mouvements d’éducation populaire auront l’occasion de mener, ensemble, des actions qui organisent de manière globale les temps éducatifs de l’enfant, à travers les projets éducatifs territoriaux. Certes, cette entreprise commune n’est pas ancrée dans les pratiques, et elle ne sera pas facile à mettre en place. Elle est cependant indispensable. C’est en favorisant la cohérence et la synergie entre tous les partenaires de l’école que nous ferons naître des approches nouvelles.

Cette démarche partenariale, que nous soutenons, a pris corps, plus globalement, dans une série d’amendements concernant l’ensemble des acteurs de la communauté éducative.

Ainsi, notre commission a intégré les associations éducatives complémentaires de l’enseignement dans la définition de la « communauté éducative » inscrite dans le code de l’éducation. De la qualité du dialogue qui sera ainsi noué dépendra la réussite de nombreux projets.

Le rapport issu de la concertation reprenait, par ailleurs, la notion d’une coéducation entre les parents et l’école. Notre commission en a fait un axe fort de son travail. Elle a cherché à établir, par plusieurs amendements, un véritable pacte de confiance et de responsabilité avec les familles.

Tout d’abord, notre commission a souhaité rappeler son attachement au principe fondamental de l’école inclusive.

C’est pourquoi elle considère à l’unanimité de ses membres que l’accord des parents doit rester un préalable à toute décision de changement d’orientation d’un élève handicapé.

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Parce que toute rupture entre la sphère familiale et la sphère scolaire serait préjudiciable au suivi de l’enfant, nous avons maintenu le principe d’un accord des parents et d’une mise en œuvre conjointe avec l’équipe éducative de tous les dispositifs d’aide personnalisés.

D’une manière générale, le texte de la commission pose un principe directeur : l’éducation nationale doit mener un travail approfondi de dialogue avec les parents pour établir des relations de confiance. Il est d’ailleurs primordial de s’efforcer de tisser des liens avec les familles les plus éloignées de l’école.

À cette fin, la commission a inséré plusieurs dispositions qui devraient permettre, à terme, de rapprocher les familles de l’institution scolaire. D’abord, dans les missions des enseignants figureraient l’information et l’aide aux parents pour leur permettre de suivre la scolarité de leur enfant. Ensuite, dans chaque établissement scolaire, un espace serait aménagé à l’usage des parents et de leurs délégués ; ils pourraient s’y retrouver et échanger. Enfin, le conseil d’administration des collèges et des lycées dresserait chaque année un bilan des actions menées à destination des parents d’élèves.

De surcroît, dans un esprit de responsabilisation des parents d’élèves, notre commission a choisi d’inscrire dans un cadre légal l’autorisation de mener une expérimentation sur trois ans en matière d’orientation à la fin de la classe de troisième. La décision serait confiée aux parents avec le souci de lutter contre l’orientation subie par défaut, bien souvent à la source du décrochage scolaire.

Lorsque nous avons abrogé la loi Ciotti, qui visait prétendument à enrayer l’absentéisme scolaire par la menace financière, à savoir la suspension des allocations familiales, nous ne défendions pas autre chose. (Murmures sur les travées de l'UMP.) Cette disposition injuste, inefficace…

M. Gérard Longuet. Au contraire, efficace !

Mme Françoise Cartron, rapporteur. … et univoque, était une double peine infligée à des familles souvent fragilisées et démunies.

M. Alain Dufaut. C’est tout le contraire !

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Elle risquait par conséquent de les éloigner durablement, voire définitivement d’un système de soutien pérenne. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)

À l’inverse, nous avions introduit des mesures d’accompagnement des parents selon les difficultés analysées, ainsi que des actions de remédiation et de soutien personnalisé auprès de l’élève en rupture, en mobilisant les professionnels compétents. Il s’agit donc d’associer et non plus de compartimenter, de stigmatiser ou d’exclure.

Notre commission a souhaité accorder une place toute particulière aux langues. Outre l’enseignement de langue étrangère obligatoire, prévu dès le premier degré, il est proposé que les enfants puissent recevoir une sensibilisation à la diversité linguistique. Dans ce cadre, les langues parlées dans les familles allophones ou bilingues pourraient être favorisées. Les langues régionales trouvent toute leur place dans une telle ouverture vers les cultures qui contribuent à la richesse de nos territoires.

Afin de faire émerger une nouvelle école, ouverte sur son environnement et en phase avec les exigences de son temps, la commission a précisé que l’organisation du service public d’éducation, les méthodes d’enseignement et la formation des maîtres devront favoriser la coopération entre les élèves.

Reconnaissons-le, l’approche élitiste de l’enseignement qui a longtemps prévalu caractérise malheureusement un système qui, sous couvert d’excellence, produit toujours plus de décrocheurs et toujours moins de bons élèves.

La modernisation pédagogique que nous proposons tend à faire en sorte que l’école soit le lieu non plus d’une compétition effrénée, mais de la coopération entre eux.

Cela sera rendu possible par le rétablissement d’une formation des maîtres ambitieuse. Conséquence de l’échec avéré de la mastérisation, le texte prévoit la mise en place dès la rentrée prochaine des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Ni IUFM ni écoles normales, ces structures nouvelles porteront l’ambition de répondre aux besoins actuels de formation initiale et continue, ainsi qu’aux nouvelles exigences pédagogiques. Ce sont 27 000 postes qui seront créés à cette fin.

Comme il est précisé dans le projet de loi, ces écoles contribueront au développement d’une culture professionnelle partagée par tous les enseignants, en proposant des modules de formation de la maternelle à l’enseignement supérieur.

Notre commission, en prévoyant la présence de représentants de l’établissement intégrateur au sein du conseil de l’ESPE, entend assurer une coopération étroite et fructueuse, à des fins pédagogiques, entre l’école et les unités de recherche. Par ailleurs, elle a souhaité consacrer la diversité des formateurs professionnels intervenant dans ces structures, qui doivent comprendre aussi bien des enseignants exerçant dans le milieu scolaire et des universitaires que des acteurs de l’éducation populaire, de l’éducation artistique et culturelle et de l’éducation à la citoyenneté.

Il convient également de prévoir un renforcement de la formation des cadres de l’éducation nationale – je pense notamment aux inspecteurs –, qui apparaît aujourd’hui insuffisante. La commission a souhaité qu’ils puissent bénéficier d’une formation les préparant à l’ensemble des missions d’évaluation, d’inspection et d’expertise, mais aussi d’animation pédagogique qui leur sont assignées. À défaut, l’impulsion donnée par la loi risquerait de s’épuiser sur le terrain, faute de relais efficaces.

Dans ce sursaut pédagogique, les nouvelles technologies joueront un rôle éminent pour le renouvellement tant des moyens d’enseignement que des méthodes d’apprentissage. Elles favoriseront à n’en pas douter la coopération entre les élèves et la transversalité des enseignements.

À cet égard, la création d’un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance donnera le cadre qui manque aux actions en faveur numérique à l’école. La formation des enseignants à l’utilisation des outils et des ressources numériques constituera également une avancée importante. De même, les enfants bénéficieront de l’information nécessaire sur les chances, mais aussi sur les risques liés à internet.

Notre commission a souhaité apporter quelques précisions. Elle a notamment choisi d’élargir le rôle des services numériques mis à disposition des écoles et des établissements d’enseignement à l’innovation des pratiques et aux expérimentations pédagogiques favorisant la coopération entre élèves.

Condition indispensable à un développement effectif des usages, des outils et des ressources numériques en milieu scolaire, l’exception pédagogique mériterait par ailleurs un élargissement de son champ, afin d’établir un dispositif plus simple, plus sécurisé mais aussi suffisamment large pour correspondre à la réalité des activités d’enseignement et de recherche.

La loi portant refondation de l’école constitue la matrice des transformations à venir. Elle n’épuise cependant pas les mesures devant y concourir. Les dispositions réglementaires de mise en œuvre seront décisives.

Dans une telle ambition pour notre jeunesse, le Parlement joue aussi son rôle. Je salue le travail accompli à l’Assemblée nationale et par notre commission ici, au Sénat. Je voudrais remercier tous les collègues ayant participé à ces longues séances, ainsi que les fonctionnaires de la commission, qui nous ont assistés et ont effectué un travail considérable.

Les débats qui vont s’ouvrir aujourd’hui et l’examen des 524 amendements qui ont été déposés nous amèneront, je n’en doute pas, à réaffirmer ce que François Hollande rappelait jeudi dernier en conclusion de sa conférence de presse : la promesse de l’égalité n’est pas une nostalgie, cela reste une ambition.

C’est tout l’enjeu de cette loi de refondation que vous portez, monsieur le ministre et dans laquelle nous pouvons tous nous retrouver. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteur pour avis.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la commission de la culture, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, sur proposition de sa présidente, Annie David, la commission des affaires sociales du Sénat s’est saisie pour avis du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République sur la question plus spécifique de la scolarisation des enfants en situation de handicap.

Il s’agit en effet d’un sujet majeur, sur lequel notre commission s’est toujours beaucoup impliquée. Il nécessite d’être approfondi dans le cadre de l’examen de ce projet de loi.

En outre, le rapport pour avis de notre commission s’inscrit dans la continuité du travail que j’ai effectué l’année dernière avec notre collègue Isabelle Debré, dans le cadre de la commission pour le contrôle de l’application des lois sur l’évaluation de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, ou « loi handicap ».

En affirmant le droit de tout enfant en situation de handicap à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile et à un parcours scolaire continu et adapté, cette loi a permis un réel mouvement d’ouverture de l’école de la République sur le monde du handicap. Pour preuve, depuis 2006, le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire augmenté d’un tiers, soit 55 000 élèves supplémentaires.

Pour autant, ces bons résultats doivent être nuancés. D’une part, on estime à 20 000 le nombre d’enfants en situation de handicap qui sont encore sans solution de scolarisation. D’autre part, cette avancée quantitative ne s’est pas accompagnée d’une amélioration qualitative de même ampleur.

En effet, que constate-t-on sur le terrain ?

Tout d’abord, on note une extrême diversité des situations vécues par les familles selon les départements. Les temps hebdomadaires de scolarisation sont très aléatoires, et les projets personnalisés de scolarisation sont de qualité hétérogène, quand ils ne sont pas inexistants.

Ensuite, il existe des ruptures dans les parcours de scolarisation, du fait de la difficulté à poursuivre la scolarité en milieu ordinaire dans le second degré et d’un accès encore très limité à l’enseignement supérieur.

Autre constat particulièrement préoccupant, l’échec de l’accompagnement en milieu ordinaire. Le recours croissant aux auxiliaires de vie scolaire, les AVS, qui sont recrutés sur des contrats précaires et qui sont insuffisamment formés, ne permet pas de répondre de manière pertinente aux besoins.

À cela s’ajoute l’insuffisante formation des personnels enseignants et des personnels d’éducation, lesquels se sentent le plus souvent démunis devant le handicap d’un élève.

Enfin, il existe un véritable manque de coopération entre le secteur médico-social et l’éducation nationale, qui se caractérise par un cloisonnement des filières préjudiciable à la qualité de la prise en charge.

Ce bilan en demi-teinte nous a conduits avec Isabelle Debré à formuler, l’année dernière, plusieurs recommandations, parmi lesquelles la réactivation du groupe de travail sur les AVS, le renforcement de la problématique du handicap dans la formation initiale et continue des personnels de l’éducation nationale, ainsi que la promotion de la coopération entre les sphères médicosociale et éducative.

De son côté, le Gouvernement, sous l’impulsion de Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, a pris – je m’en félicite – la mesure de la situation en lançant plusieurs chantiers, qui correspondent aux priorités que nous avions identifiées.

Premièrement, la mise en place d’un groupe de travail sur la professionnalisation du métier d’accompagnant, dont l’objectif est de parvenir à la définition d’une nouvelle profession qui englobe toutes les formes d’accompagnement, qu’elles soient scolaires ou périscolaires. Ses conclusions seront rendues publiques prochainement.

Dans l’attente de la création de ce nouveau métier, vous avez d’ores et déjà annoncé, monsieur le ministre, le recrutement de 1 500 AVS supplémentaires à la rentrée 2013.

Deuxièmement, la nouvelle impulsion donnée au dossier de l’accessibilité par la mission qui m’a été confiée à l’automne 2012.

Dans le rapport que j’ai remis au Premier ministre le 1er mars dernier, je préconise, s’agissant de l’accessibilité des établissements recevant du public, les ERP, parmi lesquels les établissements scolaires, la mise en œuvre concertée d’un principe d’accessibilité raisonnée, en d’autres termes l’ajustement de la réglementation aux difficultés existantes.

Troisièmement, le lancement d’un nouveau plan Autisme dont la scolarisation constitue l’axe fort, avec le développement des services d’éducation spécialisée et de soins à domicile, les SESSAD, ainsi que la mise en place, à la rentrée 2014, de trente unités d’enseignement dédiées à l’autisme en école maternelle.

Quatrièmement, enfin, l’intégration à la rentrée 2013 dans la formation initiale des enseignants d’un module de sensibilité obligatoire à la question du handicap à l’école, mesure sur laquelle, monsieur le ministre, vous reviendrez sans doute au cours de nos débats.

J’en viens maintenant au projet de loi qui nous est soumis.

Sa version initiale ne comporte pas, dans le corps même des articles, de disposition relative à la scolarisation des enfants en situation de handicap.

En revanche, le rapport annexé mentionne à plusieurs reprises cette question et y consacre même un paragraphe spécifique qui met, à juste titre, l’accent sur l’importance de l’accompagnement humain.

En première lecture, l’Assemblée nationale a utilement enrichi ce rapport annexé de nouvelles références à la question du handicap à l’école.

Elle a, en particulier, introduit la notion d’école inclusive, considérant que l’école de la République ne doit pas simplement accueillir les enfants en situation de handicap, mais qu’elle doit aussi s’adapter à leurs spécificités. C’est un progrès significatif, qui marque un véritable changement de paradigme : désormais, c’est à l’école de s’adapter aux besoins de ces enfants, et non l’inverse.

Nos collègues députés ont ensuite introduit plusieurs dispositions de nature législative.

Sur l’initiative du Gouvernement, ils ont inséré un nouvel article 3 bis pour ériger l’inclusion scolaire de tous les élèves, notamment des élèves en situation de handicap, au rang des missions du service public de l’éducation.

Sur proposition de sa rapporteure, Françoise Cartron, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a fait le choix de déplacer ce principe d’inclusion scolaire dans un nouvel article 3 A tout en l’élargissant à toutes les autres sources d’exclusion : origine, milieu social, conditions de santé.

Nous ne pouvons que nous féliciter de cette disposition, qui donne force de loi à l’inclusion scolaire.

L’Assemblée nationale a également introduit un nouvel article 4 ter relatif à l’orientation des élèves en situation de handicap, qui a déclenché à juste titre – vous l’avez souligné, monsieur le ministre – la colère du monde associatif.

En remplaçant l’accord des parents par une simple consultation, cet article tendrait à les priver de la possibilité de décider du mode de scolarisation de leur enfant. Or l’accord des parents est fondamental, car il agit comme un garde-fou pour éviter que la demande de révision ne se traduise, comme c’est parfois le cas, par la fin de la scolarisation de l’enfant en milieu ordinaire.

Cette disposition va à l’encontre de l’objectif d’inclusion scolaire et de la volonté de construire un véritable partenariat avec les parents.

Je me réjouis donc que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat ait supprimé cet article.

À l’article 10, les députés ont précisé que la diffusion des technologies numériques dans les établissements scolaires s’adresse, notamment, aux élèves en situation de handicap.

L’offre d’outils numériques adaptés et personnalisés représente, en effet, une véritable plus-value pour ces enfants.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a décidé de retenir une rédaction plus générale, visant l’ensemble des élèves, choix tout à fait pertinent.

Enfin, à l’article 30, l’Assemblée nationale a précisé que l’enseignement dispensé dans les écoles maternelles doit être adapté aux besoins des élèves en situation de handicap.

C’est en effet le plus tôt possible que ces enfants doivent pouvoir être scolarisés en milieu ordinaire, non seulement pour leur permettre de débuter leur parcours scolaire dans de bonnes conditions, mais aussi pour sensibiliser les autres enfants à l’acceptation de la différence.

Cette disposition a été maintenue par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication de notre assemblée.

Je souhaite, à présent, insister sur un point : il me semble indispensable que les dispositions relatives à la scolarisation des enfants en situation de handicap ne soient pas simplement traitées dans le rapport annexé au projet de loi, comme c’était le cas initialement, car celui-ci – je le rappelle – n’a pas de portée normative. Si l’on veut avancer sur la voie de l’inclusion scolaire, il faut que ses modalités soient inscrites dans la loi.

C’est pourquoi la commission des affaires sociales a adopté, sur ma proposition, neuf amendements portant sur plusieurs articles du texte.

Le premier entend relancer le chantier de la coopération entre l’éducation nationale et le secteur médicosocial en inscrivant ce principe dans la loi.

Les deuxième et troisième amendements visent à rappeler que les départements et les régions, qui sont respectivement chargés de la construction, de l’équipement et du fonctionnement des collèges ainsi que des lycées, doivent aussi assurer l’accessibilité de ces établissements.

Les quatrième et cinquième amendements tendent à permettre au Conseil supérieur des programmes de proposer des aménagements aux épreuves des examens et des concours pour les candidats en situation de handicap.

Le sixième amendement vise à charger le Conseil national d’évaluation du système éducatif d’évaluer les politiques publiques mises en œuvre pour scolariser les élèves en situation de handicap en milieu ordinaire.

Le septième amendement tend à prévoir que la formation des élèves à l’utilisation des outils numériques soit aussi dispensée au sein des unités d’enseignement des établissements médicosociaux et de santé.

Enfin, les huitième et neuvième amendements visent à ce que les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, d’une part, assurent le développement et la promotion de méthodes pédagogiques adaptées aux besoins des élèves en situation de handicap et, d’autre part, organisent des formations de sensibilisation à l’inclusion scolaire de ces enfants.

Mes chers collègues, je suis convaincue que ce projet de loi est l’occasion d’améliorer les conditions de scolarisation des enfants en situation de handicap et de permettre que l’école de la République devienne une école réellement inclusive. Il est utile que nous nous en donnions les moyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Claude Haut, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République traduit l’engagement du Gouvernement de faire de l’éducation nationale l’une des priorités du nouveau quinquennat, en consacrant les moyens financiers et humains nécessaires au premier des services publics de la République française.

La commission des finances du Sénat a souhaité se saisir du texte pour avis, notamment sur les articles relatifs à la création de postes dans l’éducation nationale, ainsi que sur toutes les dispositions qui concernent les finances des collectivités locales.

Pierre angulaire de la refondation de l’école de la République, le rétablissement dans l’enseignement de 60 000 postes supprimés par l’ancienne majorité était au cœur de la campagne du candidat François Hollande : le présent projet de loi traduit cet engagement, le déclinant pour la première fois par catégorie de postes et ciblant des territoires prioritaires, tout en définissant les objectifs et le cadre d’une ambition nouvelle pour l’école.

Dans un contexte particulièrement contraint pour les finances publiques, les choix opérés au bénéfice de l’éducation nationale résultent d’arbitrages au sein d’une enveloppe budgétaire fermée : la stabilisation, d’une part, des dépenses de l’État sous les doubles normes « zéro volume » et « zéro valeur » et, d’autre part, des effectifs, signifie que l’effort accompli dans le domaine de l’enseignement est compensé par des économies équivalentes au sein du budget de l’État, suivant les principes fixés par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

Alors que les crédits de l’ensemble des missions du budget général hors charges de la dette et pensions sont stabilisés en valeur et devraient être révisés à la baisse, la loi de programmation des finances publiques a prévu une augmentation des crédits de la mission « Enseignement scolaire » de 1,18 milliard d’euros en 2015 par rapport à la loi de finances initiale pour 2012. La mission enregistre la deuxième plus importante hausse des crédits sur la période du budget triennal 2013-2015, après la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

S’agissant des mesures ayant un impact budgétaire sur les finances de l’État, le rapport annexé au projet de loi détaille la programmation des 60 000 emplois devant être créés dans l’enseignement au cours de la législature.

Sur ce total de 60 000 postes, 54 000 emplois seront créés au ministère de l’éducation nationale, 5 000 au ministère de l’enseignement supérieur et 1 000 au ministère de l’agriculture au titre de l’enseignement technique agricole.

La réforme de la formation initiale représentera la moitié des créations d’emplois dans l’éducation nationale, soit 27 000 postes sur un total de 54 000. À ces créations de 27 000 postes s’ajoutent 27 000 autres postes, répartis entre 21 000 nouveaux postes d’enseignant titulaire, dont 14 000 dans le premier degré et 7 000 dans le second degré, et 6 000 postes supplémentaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, la prévention et la sécurité, le suivi médical et social, l’amélioration du pilotage des établissements et des services académiques.

En particulier, 3 000 nouveaux postes permettront d’améliorer la scolarisation des enfants de moins de trois ans. La répartition des postes devra être déclinée par académie, mais elle devra veiller en priorité à réduire les inégalités territoriales et se concentrer sur les zones les plus fragiles. L’objectif d’amélioration du remplacement figure explicitement parmi les créations de postes du premier degré.

La commission des finances a adopté, sur ma proposition, un amendement, que je présenterai en séance publique, pour compenser également les suppressions de postes de remplaçants dans le deuxième degré. Cette difficulté nous est souvent rappelée dans nos territoires.

C’est donc bien l’ensemble des personnels d’éducation qui bénéficieront d’un renforcement de leurs effectifs, une priorité étant accordée à l’enseignement primaire, car il a été montré que c’est dès le plus jeune âge qu’il faut assurer un même accueil des enfants pour empêcher que ne se développent les inégalités sociales.

La commission des finances a également examiné les dispositions ayant un impact sur les finances des collectivités territoriales, qui sont des partenaires à part entière de la refondation de l’école.

Tout d’abord, les articles 12, 13 et 14 du projet de loi sont relatifs à la répartition des compétences entre l’État et les collectivités en ce qui concerne l’acquisition et la maintenance des équipements informatiques dans les collèges et les lycées.

D’un point de vue juridique, cette répartition des compétences est aujourd’hui ambiguë. La commission des finances estime que le Gouvernement devra apporter des éclaircissements en séance publique. Lors du débat, je reviendrai, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur les différentes interprétations dont nous ont fait part, en particulier, les associations d’élus.

Par ailleurs, l’article 47 crée un fonds d’amorçage, temporaire, destiné à aider les collectivités territoriales dans la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires. Au cours des auditions que j’ai menées ou à la lecture des contributions écrites que j’ai reçues, il est apparu clairement que l’ensemble des associations d’élus ont apporté leur soutien au principe même de la réforme, en reconnaissant l’amélioration des conditions d’enseignement qu’elle permettra.

Les auditions ont toutefois fait ressortir des obstacles liés à des difficultés pratiques d’organisation, à des contraintes d’un calendrier qui a semblé trop serré à certains élus ou encore et surtout à des raisons financières. Afin de consolider juridiquement le dispositif, la commission de la culture, sur l’initiative de la commission des finances, a inscrit dans le texte du projet de loi le montant des aides annoncées pour les collectivités territoriales.

Cette disposition offrira aux collectivités concernées une certaine garantie quant aux montants qu’elles percevront, étant entendu que cette aide a pu constituer un facteur important dans leur décision de mettre en œuvre la réforme dès la rentrée 2013.

Pour autant, le décret d’application soulève plusieurs difficultés sur lesquelles j’entends revenir en séance publique. Ces difficultés, auxquelles le Gouvernement a en partie apporté une réponse, portent sur les EPCI dotés de la compétence en matière d’éducation, qui toucheront la majoration du fait d’une ou plusieurs communes éligibles en leur sein, sur la question de l’année d’éligibilité à la DSU-cible ou à la DSR-cible prise en compte. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles, en évoquant également la question, cruciale, du financement du fonds.

Enfin, j’ai souhaité saisir l’occasion que présentait ce texte – mais à mon grand regret, je n’ai pas été suivi par la commission de la culture –, pour traiter du sujet des normes applicables aux collectivités territoriales. Il s’agit d’un enjeu financier important. Les normes nouvelles pèseront en effet sur le budget des collectivités, à hauteur de 1,8 milliard d’euros environ en 2014.

Je vous proposerai ainsi trois amendements – mais j’ai cru comprendre que je ne serai pas suivi – qui s’inspirent d’une proposition du rapport de notre collègue Éric Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Que ce soit dans les communes, les départements ou les régions, lorsque des établissements mettent à disposition certains équipements, il me semble plus cohérent de raisonner par année plutôt que de faire examiner chaque demande au cas par cas par le conseil d’administration des établissements.

Telles sont, monsieur le ministre, les principales observations de la commission des finances, sous le bénéfice desquelles elle a proposé au Sénat l’adoption du présent projet de loi.

Si des éclaircissements nous semblent nécessaires, ce texte, perfectible, n’en marque pas moins une étape décisive dans l’ambition de refonder l’école de la République, en restituant au service public de l’éducation les moyens nécessaires à son fonctionnement. C’est un enjeu majeur qu’il nous faut relever : nous ne devons plus accepter que des enfants et des jeunes sortent du système scolaire sans qualification et sans perspectives. C’est à nous, législateur, à nous, parlementaires, de faire de l’éducation et de la formation les pierres angulaires d’une société plus solidaire, qui refuse la fatalité de la reproduction des inégalités scolaires, sociales et territoriales. Tel est le chantier qui s’ouvre à nous : nous vous soutiendrons dans cette tâche, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, dans un contexte difficile, socialement et budgétairement, au cours d’une session chargée, parfois bousculée par l’ordre du jour ou des contretemps inédits, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour la façon dont ce texte arrive en discussion au Parlement.

Le présent projet de loi répond à une nécessité et à une priorité que nous avons tous au cœur : l’éducation. Il prend en compte les mutations à l’œuvre, prévoit l’innovation pédagogique, s’inscrit dans la société numérique. Il répare la disparition coupable de la formation professionnelle des enseignants. Il est amené dans le respect de la démocratie, en navette entière, avec une rédaction fidèle à ce que vous aviez dessiné à grands traits dès le mois de juillet. Enfin, il est accompagné de moyens qui rendent tout à fait crédibles les propositions qu’il comporte.

Voilà pour l’expression de notre satisfaction.

En commission, nous avons, vous le verrez, pris toute notre part du travail, et j’en remercie en votre présence, la rapporteure, Françoise Cartron. Mes remerciements vont aussi à toutes celles et à tous ceux qui ont enrichi de leurs travaux la réflexion, la vôtre, madame, sur la carte scolaire, celle de Brigitte Gonthier-Maurin sur le métier d’enseignant. Je remercie enfin le groupe de Jacques-Bernard Magner sur le prérecrutement, tous les membres de la commission pour leur intérêt et leur assiduité, leurs déplacements sur le terrain, et bien sûr les administrateurs, dont les week-ends n’ont pas été épargnés par le calendrier…

C’est parce que chacun, au Gouvernement comme au Parlement, s’est engagé pour la réussite de ce texte qu’il est souhaitable que ne soient pas ici détricotées des avancées significatives.

Il est d’usage, et de bonne utilité pour certaines cohérences ou conformités législatives, que, sur l’initiative du Gouvernement, et dans un souci partagé de réalisme, soient réparés des oublis, voire modérés des excès. Toutefois, il serait contre-productif que disparaissent des apports exigeants, nourris d’observations actualisées. De même, une plus grande fidélité à la rédaction d’une plume experte du ministère ne saurait, par la voie d’un amendement, spolier le Parlement de son apport contributif. Le prix symbolique serait trop fort. Monsieur le ministre, vous venez de le déclarer, on est intelligent à plusieurs.

M. Vincent Peillon, ministre. Je le pense !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Je reprends donc espoir ! (Sourires.)

Voilà pour notre sensibilité à la démocratie parlementaire.

Enfin, je souhaite me faire l’écho des questions qui accompagnent le changement.

Ce qui fut fait avant la loi, et qui est peu évoqué – le temps scolaire et le temps d’ouverture dans l’école – a suscité beaucoup de résistances, non sur le bien-fondé de l’allégement, mais du fait de craintes de perdre des acquis : des enseignants ne voulant pas perdre l’unique interlocuteur qu’est l’État, des parents voulant des garanties d’horaires et de contenus, des associations s’interrogeant sur la transition de leurs permanents du mercredi aux fins de journées, des collectivités aux moyens plus que jamais tendus... Les objections n’ont pas manqué, au point que même l’excellente idée du projet éducatif territorial ne se dessine qu’en pointillé.

Monsieur le ministre, passer d’une société bloquée, comme vous l’avez trouvée (Protestations sur les travées de l'UMP.), parce qu’elle a été malmenée,…

Mme Sophie Primas. Oh là là !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. … à un climat de confiance pour coproduire des projets, demandera beaucoup de conseils, d’écoute, de souplesse et de prise en compte des difficultés de chacun, sans renoncement.

M. Pierre Bordier. En clair, ce n’est pas pour demain !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Il en est de même des questions qui entourent le parcours culturel et artistique, pour lequel il faut à la fois des certitudes sur l’inclusion dans le programme – c’est écrit dans la loi – et des ouvertures sur les talents et richesses du territoire.

Tout comme notre commission a soutenu la pluridisciplinarité dans les travaux scolaires, je me permets d’insister sur l’indispensable coordination interministérielle entre l’éducation, la culture, l’enseignement supérieur, mais aussi l’éducation populaire, et même le travail, pour l’intermittence et le statut de l’animation.

Voilà pour ce qui entoure le texte, et qui doit aussi contribuer à sa réussite dans la durée ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Demande de réserve

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République
Discussion générale (début)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Monsieur le président, en application de l’article 44, alinéa 6, du règlement, la commission demande la réserve de l’article 1er du projet de loi et du rapport qui lui est annexé, ce jusqu’à la fin de la discussion des articles.

M. le président. Aux termes de l’article 44, alinéa 6, de notre règlement, la réserve, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, est de droit, sauf opposition du Gouvernement.

Quel est donc votre avis sur cette demande de réserve formulée par la commission, monsieur le ministre ?

M. Vincent Peillon, ministre. Pas d’opposition !

M. le président. La réserve est ordonnée.

Discussion générale (suite)

Demande de réserve
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. « Être illettré aujourd’hui, c’est être empêché de participer à l’essor économique de ce pays parce que l’on est privé des moyens minimum nécessaires à la promotion sociale et économique. Être illettré aujourd’hui, c’est être enfermé dans un cercle étroit de connivence et de proximité, coupé de la communication sociale et de la culture commune. Être illettré aujourd’hui, c’est être vulnérable face à des discours et à des textes dangereux portés par des individus sans scrupules. Être illettré enfin, c’est être plus immédiatement porté au passage à l’acte violent parce que l’argumentation, l’explication sont difficiles. »

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, madame la rapporteur pour avis, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, si j’ai choisi de citer en préambule le linguiste Alain Bentolila, c’est parce que les centristes estiment que le véritable enjeu de cette énième réforme de l’école, c’est bien l’illettrisme.

Aujourd’hui, 20 % des jeunes quittent le système scolaire entre seize et dix-sept ans sans diplôme, plus de 50 % sont en situation d’illettrisme, plus de 78 % ne décrocheront pas d’emploi stable. Les chiffres ont été rappelés et, pourtant, le mot « illettrisme » n’apparaît pas dans ce texte de loi. C’est un véritable paradoxe, l’année même où le Premier ministre a déclaré l’illettrisme « grande cause nationale » !

Au cours des trente dernières années, notre pays a relevé le défi de l’accès de tous à l’éducation et au savoir, mais la question de l’école bute toujours aujourd’hui sur le qualitatif. Il ne s’agit pas seulement de réussir l’exploit que chacun des 12 millions d’élèves ait un enseignant face à lui chaque matin, il faut que l’école pour tous soit aussi une école de la réussite de chacun.

À l’heure actuelle, 20 % des élèves qui entrent en sixième ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux : lire, écrire, compter. Ce résultat est d’autant plus préoccupant que notre dépense publique en matière d’éducation est l’une des plus élevées au monde. C’est bien la preuve qu’une addition de micro-réformes ne suffit pas. Et pourtant, aujourd’hui, on nous en propose une nouvelle !

Il serait question de refondation : refonder l’école de la République et refonder la République par l’école ! Nous souscrivons tous à ces nobles intentions, mais objectivement, le présent texte n’est pas une véritable refondation de notre système éducatif. En témoigne d’ailleurs son architecture complexe et illisible. Au projet de loi proprement dit, on a ajouté un rapport annexé, rapport bavard et peu hiérarchisé dont on ne perçoit pas la qualité normative.

Avant tout, une réelle refondation aurait impliqué la prise en compte des rythmes scolaires dans le projet de loi, et que ces rythmes ne soient pas chamboulés dans la précipitation, par décret, quelques semaines avant le dépôt du texte.

En même temps, le rapport annexé prévoit que les rythmes scolaires seront ultérieurement amenés à être encore modifiés ! Ces annonces, déconnectées les unes des autres, qui modifient le temps de la journée et de la semaine sans commencer par ce qui était le préalable, allonger l’année, dénotent un manque de cohérence dans l’approche.

Et pourtant, l’aménagement du temps de l’enfant, articulant soigneusement le temps scolaire et le temps périscolaire, et ce en concertation avec les collectivités locales qui en assument les politiques, ou encore les acteurs de la petite enfance, aurait dû être à la base de la réflexion du Gouvernement sur la refondation de l’école.

On mesure aujourd’hui l’efficacité de la méthode : perplexes, une très grande majorité d’élus ont repoussé l’application de cette réforme à 2014. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans mon département, sur 589 communes, seules 77 se sont lancées pour la prochaine rentrée.

Si l’on parle de refondation, il faut aborder tous les sujets. Ainsi, je trouve très regrettable, alors que l’on se penche sur la formation des enseignants, et c’est une bonne chose, que la question du statut des personnels du monde éducatif soit totalement occultée, qu’il s’agisse du statut des enseignants, de celui des directeurs de cycle primaire ou encore, alors que l’intégration des handicapés est un impératif républicain, de celui des auxiliaires de vie scolaire.

Une vraie « refondation » de l’école aurait dû passer par là, par une réflexion sur les missions des maîtres dans un monde qui, on l’avouera, a tout de même bougé depuis 1950, date du dernier décret qui fixe ce statut.

Autre question non posée, celle du statut et de l’autonomie des établissements qui permettraient de donner une vraie réalité et, surtout, une véritable efficacité aux projets d’établissement, le tout dans un cadre national, qu’il s’agisse des programmes ou du statut des enseignants.

C’est la condition pour remettre l’ascenseur scolaire en marche. Nous sommes convaincus qu’il faut passer d’une logique très concentrée, très centralisée, à une logique de projets adaptés en fonction des enfants.

On n’appréhende pas les apprentissages fondamentaux de la même façon selon que les enfants vivent dans le VIIe arrondissement de Paris, à Argenteuil, où certains parents éprouvent parfois eux-mêmes des difficultés avec la langue française, ou dans un village de Seine-Maritime dont le niveau socioculturel sera plus faible.

Il est des besoins d’individualisation des parcours et d’accompagnement auxquels nous n’apportons toujours pas de réponses suffisantes. Il y a ici et là, de la part d’enseignants, des initiatives remarquables qui mériteraient valorisation et reconnaissance...

L’école doit avant tout garantir la réussite de chaque élève, ce qui nécessite une adaptation à chaque élève. Cela démontre l’importance de l’orientation, dont je ne comprends pas bien en quoi elle est réformée par le présent texte.

Sur ce sujet, je trouve complètement dépassé, en tout cas déconnecté du marché de l’emploi, le regard que porte l’actuel gouvernement sur la formation professionnelle et l’apprentissage, et ce alors que le nombre d’élèves sortant sans diplôme du système éducatif ne cesse de croître chaque année.

Je suis pour une orientation choisie, mûrement réfléchie, mais aussi un parcours souple au service de l’élève. Il y a cette obsession du collège unique, mais, je tiens à le souligner, « unique » ne veut pas dire « uniformisation » !

Ma collègue Françoise Férat s’attardera plus longuement tout à l’heure sur cet attachement des centristes à la promotion de la diversité des intelligences.

Cette réussite de chaque élève passe aussi par la formation des enseignants. Je déplore en ce sens l’absence de mesures précises quant à la formation continue, et je m’interroge sur le contenu des enseignements qui leur seront délivrés au sein des ESPE.

Je vous ai bien écouté, monsieur le ministre, et je vous le dis, il ne faudrait pas retomber dans les écueils des IUFM d’antan ! Pendant des années, les instituts universitaires de formation des maîtres ont développé des recherches parallèles à celles des universités, qui auraient pourtant pu enrichir beaucoup plus le contenu et la manière d’enseigner en France.

Pendant des années, aussi, à la différence des écoles normales, les IUFM ont ignoré la réalité du terrain et préféré se constituer en annexe du CNRS. Il nous faut des enseignants ayant eu une formation en pédagogie et un apprentissage des réalités du terrain, ainsi qu’une réelle ouverture au monde professionnel.

Pour en revenir à l’enjeu essentiel qu’est l’illettrisme, je voulais souligner le point positif du texte qui est de décider d’investir sur le primaire, sur les classes où tout s’apprend et où tout se joue ; c’est le seul moyen par lequel nous pourrons lutter efficacement contre les problèmes de lecture et d’écriture.

Cela faisait partie des préconisations centristes pour le projet présidentiel et législatif, nées du constat de la grande distorsion des moyens accordés au lycée et au collège, au détriment du primaire.

Notre proposition était aussi d’aller plus loin dans le rapprochement de l’école primaire et du collège au sein d’un même établissement public. J’approuve donc la mise en avant du cycle primaire par le projet de loi, tout comme la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans toutes les zones urbaines sensibles et les zones rurales isolées.

En revanche, nous déplorons l’écrasement du socle commun de compétences et de connaissances défini par la loi de 2005. Au regard du phénomène croissant et socialement dévastateur que constitue l’illettrisme, le socle commun – lire-écrire-compter – doit être considéré en effet non comme un minimum, mais comme un préalable au succès de toute scolarité.

M. Jacques Legendre. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. D’où le rôle central du législateur. Le cœur même de l’école ne peut être laissé au seul pouvoir réglementaire comme le prévoit le texte.

Bien entendu, l’éducation est l’apprentissage de savoir-faire, mais également de savoir-être. Insérer à terme un enfant dans la vie professionnelle et en faire un adulte responsable et épanoui : voilà deux objectifs à donner à l’école. Les disciplines permettant le développement du sens critique, l’éveil sensoriel et de la sensibilité sont essentielles.

J’avais proposé en 2005 un amendement au socle sur les pratiques sportives et culturelles, finalement repris par décret. Aussi, je soutiens l’ambition de mettre en avant dans ce texte l’éducation artistique et culturelle, mais je souhaiterais que le projet apporte des clarifications et une articulation entre les notions d’éducation artistique et d’enseignement artistique, les deux n’étant pas tout à fait identiques. Généralement, ces derniers enseignements sont dispensés dans des établissements qui permettent de prolonger la formation des jeunes.

En pratique, cette réforme doit assurer un continuum, depuis la sensibilisation jusqu’à la formation des futurs amateurs ou professionnels.

L’autre point non clarifié est la notion d’activité culturelle liée à la réforme des rythmes scolaires, pour laquelle on perçoit que le temps et les activités périscolaires et scolaires n’ont pas été pensés dans leur complémentarité.

Quant au sport, nous regrettons qu’il ait été négligé par ce texte et uniquement traité dans les annexes. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.

Je dirai quelques mots sur le numérique, pour lequel le texte porte une certaine ambition. L’école du XXIe siècle ne peut ignorer la génération digitale, tous ces enfants qui, telle la « Petite Poucette » de Michel Serres, ont un rapport familier et intuitif avec le numérique. Le numérique modifie l’accès aux savoirs, les manières d’apprendre et de travailler.

Notre groupe d’études « Médias et nouvelles technologies », que j’ai le plaisir de présider, a tenu l’année dernière à conduire des travaux sur ce sujet. Nos conclusions sont unanimes : l’école doit penser non seulement les nouveaux outils, mais aussi les nouveaux usages et la pédagogie adaptée.

Cela exige que le maître ait un rôle central dans l’apprentissage de l’analyse et de la sélection des multiples informations que reçoivent les élèves au quotidien ; il s’agit d’en faire des adultes éclairés, et pas seulement des récepteurs d’informations passifs.

Je voudrais conclure sur un sujet fondamental pour les collectivités dont la Haute Assemblée incarne la représentation : je pense au rôle dont ne sauraient être dépourvus les représentants des territoires, premiers partenaires de l’éducation nationale autour de l’enfant. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé plusieurs amendements tendant à redonner toute son importance à la concertation avec les élus.

Monsieur le ministre, répondant à l’une de mes questions d’actualité, vous m’aviez affirmé que les élus locaux devaient « faire des efforts ».Je ne pense pas qu’ils aient goûté la remarque, au moment où l’État diminue sa dotation – moins 3 milliards d’euros, je le rappelle – et se décharge, d’une certaine façon, de ses responsabilités...

Ce qui inquiète les élus, c’est que ce texte, bien qu’affichant des intentions contraires, porte en lui l’émergence d’une école à deux vitesses en fonction des moyens dont les communes ou groupements de communes disposeront ou pas.

Le fonds d’aide de l’État est non seulement insuffisant, il n’est pas pérennisé. Pis, on envisage de ponctionner des politiques sociales essentielles consacrées à la petite enfance ou à la parentalité, à travers des subventions de la Caisse nationale des allocations familiales.

En réalité, en ces temps de restrictions budgétaires obligées, si la CNAF finance la réforme des rythmes à la place de l’éducation nationale, cela reviendra bien pour elle à déshabiller Pierre pour habiller Paul !

Pour terminer tout à fait, je dirai que, pour qu’elle puisse se réformer, il faudrait que l’éducation nationale échappe aux aléas de nature purement politique et bénéficie de lignes directrices sur quinze ou vingt ans. À cet égard, il est regrettable que certains dispositifs mis en place ces cinq dernières années aient été balayés avec mépris, en dépit de rapport d’évaluation positifs. (Mme la rapporteure proteste.)

Je pense aux internats d’excellence ou encore à l’aide personnalisée, engloutie dans la réforme des rythmes. C’est malheureux quand on sait que l’éducation aurait besoin de davantage de consensus et d’objectivité pour avancer. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, avant d’entamer l’examen d’un texte de loi relatif à l’école, on devrait toujours relire Alain. Je ne dis pas cela, vous le comprendrez aisément, seulement parce que ce bon philosophe était radical (Sourires.), même si ce fut l’un de ses mérites, mais plutôt parce que, lui qui fut un éminent professeur, nous éclaire de son expérience de transmetteur du savoir et d’éveilleur des esprits.

Dans ses Propos sur l’éducation, en 1932, il écrivait : « Si j’étais directeur de l’enseignement primaire, je me proposerais, comme but unique, d’apprendre à lire à tous les Français. Disons aussi à écrire et à compter. »

Au moment de dresser l’état des lieux de notre système éducatif, l’école semble, hélas ! avoir oublié l’esprit d’Alain.

Toutes les études nationales et internationales tendent vers un même constat : la stagnation, voire la régression de notre système éducatif. Aujourd’hui, à la fin du primaire, près d’un élève sur cinq éprouve des difficultés face à l’écrit, et 140 000 élèves sortent annuellement de l’enseignement scolaire sans diplôme ni qualification.

Mes chers collègues, l’école de la République est donc en panne, d’une part, parce qu’elle remplit mal sa mission de transmission du savoir et qu’elle ne parvient pas à lutter contre l’échec scolaire, d’autre part, parce qu’elle n’est plus cet outil au service de la méritocratie républicaine et qu’elle contribue, au contraire, à la reproduction des inégalités sociales.

Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’un constat similaire avait déjà été dressé en 2005, lors de l’élaboration de la précédente loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école. Or, depuis, nous le savons tous, la situation ne s’est pas améliorée ; pire, elle s’est dégradée, et ce constat peut, je le crois, être partagé sur toutes les travées de notre assemblée.

En effet, ces dix dernières années, la politique éducative de notre pays s’est résumée à des déclarations excessives et à la mise en avant d’expérimentations qui ont trop masqué l’abandon d’une institution. Le non-remplacement systématique d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, appliqué à l’éducation nationale, a constitué une véritable saignée.

Ce phénomène malheureux, couplé à une déconstruction de la formation des enseignants, a aggravé les disparités socioterritoriales et dégradé l’offre d’éducation.

Cette gestion comptable, et coupable, de l’éducation a même abouti à la recherche d’enseignants remplaçants via le site internet de petites annonces de vente d’occasion Leboncoin.fr, le recrutement se retrouvant placé entre une armoire normande et un scooter d’occasion. (Sourires.) Il était plus qu’urgent de changer de cap ! C’est ce que vous nous proposez, monsieur le ministre.

Une telle loi d’orientation et de programmation était nécessaire, indispensable, même, et se devait d’être ambitieuse. Ce projet de loi est la pierre angulaire de l’action du Gouvernement en matière d’éducation. Il s’inscrit dans cette vision volontariste pour l’école : augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, loi de finances pour 2013 où, dans un contexte budgétaire contraint, nous le savons tous, l’effort vers les missions d’éducation nationale a été accru. Il faut le souligner, le répéter et même l’apprécier.

Je pourrais également citer les emplois d’avenir professeur, dont vous avez parlé, monsieur le ministre, mais également le projet de réforme des rythmes éducatifs, qui sont autant de chantiers en cours.

Mes chers collègues, l’examen, par notre assemblée, de ce texte constitue l’aboutissement d’un long processus entamé dès juillet 2012, et que vous avez exposé aux différents groupes sénatoriaux, monsieur le ministre, y compris au RDSE. Nous y avons été sensibles !

Les radicaux de gauche s’accordent, bien sûr, sur les grandes lignes du projet de loi : l’effort en matière de recrutement de personnels en direction notamment du primaire, l’indispensable réforme de la formation initiale des enseignants, avec la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, la lutte contre l’échec scolaire et la réforme de l’orientation. Quant à la création d’un service public de l’enseignement numérique, que vous avez évoquée, nous serons particulièrement vigilants pour que les transferts de compétences de l’État vers les collectivités en matière d’achat et d’entretien du matériel informatique soient compensés convenablement.

Mme Françoise Laborde. Ce n’est pas gagné !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Non, en effet, ce n’est pas gagné !

M. Jean-Michel Baylet. Les lois d’orientation et de programmation relatives à l’école sont trop souvent des « lois bavardes », dans le sens où elles exposent les grands principes vers lesquels doit seulement tendre l’action éducative.

Je rappelle que, aux termes de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement… Le présent texte n’en oublie pas pour autant la mobilisation des moyens nécessaires à la mise en œuvre des objectifs fixés, ce qui, à l’aune des politiques menées par les derniers gouvernements, constitue, reconnaissons-le, un progrès notable.

Aujourd’hui, mes chers collègues, trop de jeunes sortent du système éducatif sans qualification. Trop d’élèves, à leur entrée au collège, ne maîtrisent pas les bases des connaissances en termes de lecture. Ces populations, les statistiques le démontrent, sont naturellement celles qui éprouvent le plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail.

L’on perçoit donc le caractère fondamental de l’effort que nous devons consentir en faveur de l’éducation.

Monsieur le ministre, si les sénateurs radicaux s’accordent, vous l’avez compris, sur l’économie générale du texte et les objectifs qu’il assigne à l’école de la République, lors de l’examen des articles, notre groupe défendra plusieurs amendements tendant à améliorer le projet de loi, notamment sur l’articulation entre le socle commun des connaissances et les programmes, sur l’abaissement de l’âge de la scolarisation obligatoire, thème cher à Françoise Laborde.

En outre, nous aborderons les implications pour les collectivités en termes de rythmes scolaires et d’organisation de l’offre scolaire et périscolaire. Vous savez que nous sommes un certain nombre, dans les départements, à avoir combattu pour que cette réforme soit une réussite.

Enfin, dans la lignée du débat sur l’application de la loi de 2005 relative au handicap qui s’est tenu dans cet hémicycle fin 2012, nous veillerons à faire de l’école le lieu d’inclusion de tous les élèves, notamment des jeunes handicapés.

J’entends bien ces voix qui, dans l’opposition, ergotent parfois sur le choix du terme « refondation ». Certes, il ne s’agit pas de balayer l’édifice existant, d’en faire table rase. La présente réforme ambitionne cependant de renouer avec les fondations républicaines de l’éducation. C’est la raison pour laquelle les radicaux se sont réjouis de l’annonce de la création d’un enseignement laïque de la morale. Cette discipline, qui sera dispensée et évaluée du primaire au lycée, doit permettre de partager et de transmettre nos valeurs communes de liberté, d’égalité et de fraternité qui constituent la base du « vivre ensemble ».

L’affichage et la diffusion, auprès des élèves, d’une « charte de la laïcité » doivent également contribuer à faire de l’école le premier lieu où vit et où se vit la République.

Faire entrer cette morale laïque au sein de l’école relève d’une volonté affirmée. Le choix des termes est primordial. Monsieur le ministre, je ne crois pas que vous me contredirez, vous qui avez tant étudié l’œuvre de Ferdinand Buisson. Il s’agit bien de morale, c’est-à-dire d’un ensemble de valeurs, de principes et de règles, et cette morale à l’école ne peut bien sûr qu’être laïque, c’est-à-dire hermétique aux influences partisanes, religieuses, communautaires ou économiques.

Les missions que nous attribuons à l’éducation nationale ont été magnifiquement résumées par celui qui en fut un ministre visionnaire, Jean Zay : encore un radical ! (Sourires.) Oui, mes chers collègues, les radicaux ont fondé la République ! Il est bon de le rappeler !

Dans l’ouvrage qu’il rédigea au cours de sa dure et cruelle détention, Souvenirs et solitude, Jean Zay revint sur l’ambitieuse réforme qu’il avait menée en 1937. À ses yeux, l’enseignement devait consister « à former le caractère par la discipline de l’esprit et le développement des vertus intellectuelles ; à apprendre à bien conduire sa raison […] ; à garder toujours éveillé l’esprit critique ; à démêler le vrai du faux, à douter sainement ; à observer, à comprendre autant qu’à connaître ; à librement épanouir sa liberté. »

Ce sont bien les lumières de cet humanisme qu’il nous revient de rallumer aujourd’hui. Pour ce faire, monsieur le ministre, nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, « projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République » : voilà un titre qui sonne, qui claque, qui claironne ! Toutefois, s’agit-il d’un texte ambitieux ou d’un texte emphatique ? Nous avons le droit de nous poser la question. En tout cas, ce projet de loi mérite d’être examiné attentivement et sans a priori. C’est ce que les commissaires de l’UMP et moi-même avons fait : quand il s’agit de l’avenir de nos enfants, la politique doit rester secondaire.

M. Jacques-Bernard Magner. Ça, c’est une bonne nouvelle !

Mme Colette Mélot. De part et d’autre !

M. Jacques Legendre. Cela étant, il nous faut bien avouer notre déception ou, à tout le moins, notre inquiétude.

Monsieur le ministre, j’ai l’expérience d’un certain nombre de textes essentiels, effectivement fondateurs. Je songe aux lois qui, au début de la VRépublique, portèrent de 14 à 16 ans l’âge de la fin de la scolarité obligatoire et supprimèrent l’examen d’entrée en sixième, en postulant que tous les enfants devaient aller au collège. Je songe à la création des collèges d’enseignement secondaire, les CES, que la gauche n’approuva pas à l’époque, à celle des instituts universitaires de technologie, qui fut combattue, de même que le ministre d’alors, Christian Fouchet. Je songe également à d’autres textes tout aussi essentiels, notamment à la loi Haby, dont j’ai d’ailleurs été le rapporteur et qui a unifié les filières des premiers cycles du second degré ; ce fut un progrès important.

M. Vincent Peillon, ministre. Oui !

M. Jacques Legendre. Je songe enfin aux objectifs définis, en 1980, par le ministre Christian Beullac, dont votre serviteur était le secrétaire d’État : aucun jeune ne devait quitter l’école sans avoir une somme de connaissances générales suffisante et une qualification professionnelle attestée. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Cela a été rappelé, chaque année, entre 130 000 et 150 000 jeunes quittent encore le système scolaire sans un niveau suffisant et sans qualification professionnelle. Ces jeunes sont les plus vulnérables face au chômage.

Pourtant, les moyens de l’éducation nationale ont été fortement augmentés,…

M. Alain Néri. Pas au cours du dernier quinquennat !

M. Jacques Legendre. … presque doublés depuis 1980. Il faut en tirer les leçons : les mauvais chiffres révélés par l’étude PISA ne sont pas dus, pour l’essentiel, à un manque de moyens.

Face à cette situation, que proposez-vous, monsieur le ministre ? Vous nous présentez un projet de loi incomplet, puisque ce texte n’aborde pas le problème du second cycle du second degré et n’innove pas dans le domaine pourtant critique de l’orientation, tandis qu’il semble amorcer une remise en cause du socle commun.

Monsieur le ministre, votre projet de loi, il faut le reconnaître, prévoit d’abord la mobilisation de crédits importants pour recruter à nouveau des enseignants, avec le remplacement de tous les départs à la retraite et la création de nouveaux postes.

Nous contestons ce choix pour deux raisons.

Premièrement, cette mesure aura des conséquences sur l’équilibre global de la fonction publique. En effet, le Président de la République s’est engagé à ne pas augmenter le nombre total de fonctionnaires. Cet accroissement du nombre d’enseignants devra donc être compensé par une diminution importante des effectifs dans d’autres corps de la fonction publique, à savoir, en pratique, la défense nationale : il ne faut pas s’étonner de certains choix récemment rendus publics ! L’équilibre est toujours difficile à atteindre entre deux exigences réelles, entre deux devoirs de l’État : d’une part, assurer l’éducation, d’autre part, garantir la défense et la sécurité de la République en ces temps particulièrement difficiles.

Deuxièmement, cette « refondation » vise avant tout à permettre l’accueil des enfants à la maternelle dès l’âge de 2 ans. Or, à nos yeux, c’est plutôt sur la dernière année de maternelle et le début de l’école primaire que l’effort doit être porté.

M. Jacques Legendre. Nous avons proposé de tirer les conséquences d’une réalité : à l’âge de 5 ans, tous les enfants vont à la maternelle. Abaisser à 5 ans l’âge du début de la scolarité obligatoire, organiser un cycle entre la dernière année de l’école maternelle et la première année de l’enseignement primaire, voilà qui permettrait, nous semble-t-il, de favoriser l’acquisition des fondamentaux.

M. Jacques Legendre. Nous regrettons de n’avoir pas été entendus jusqu’à présent sur ce sujet.

M. Alain Néri. Et la préparation aux acquisitions, ça se fait à quel moment ?

M. Jacques Legendre. Par ailleurs, à certains égards, nous craignons de voir adopter une loi de réaction plus que de refondation.

Le collège unique serait-il devenu la vache sacrée à laquelle on ne pourrait pas toucher ? Je puis en parler, ayant contribué à sa création : plusieurs décennies plus tard, l’expérience montre que sa rigidité même nuit aux élèves les plus en difficulté. Or vous nous proposez de rigidifier davantage encore le collège unique ; on ne s’en évadera plus guère, alors qu’il faudrait introduire de la souplesse, pourquoi pas via l’instauration de modules. Le texte du Gouvernement va dans l’autre sens : avance-t-on ou opère-t-on un retour en arrière ?

Monsieur le ministre, votre propension à « grignoter » les fondamentaux du socle commun est elle aussi inquiétante. La loi Fillon fixait clairement dans la législation les matières de ce socle. Quant à vous, vous renvoyez à un décret : c’est un recul.

Parallèlement, votre texte en appelle aux équipes pédagogiques, aux enseignements transversaux. Pourquoi pas, mais que devient la liberté pédagogique des enseignants ? Dans ce domaine, comme dans les préconisations de l’annexe en matière d’évaluation, plane un parfum discret de pédagogisme.

Mme Claire-Lise Campion, rapporteur pour avis. Ça y est, nous y voilà !

M. Jacques Legendre. L’innovation a ses mérites, mais elle doit également avoir ses limites : il ne faut jamais perdre de vue l’absolue nécessité d’assurer, en toute priorité, l’apprentissage de la lecture et des savoirs fondamentaux du socle commun.

M. Jacques Legendre. Cela impose de revoir le dispositif d’évaluation des élèves, ainsi que celui des enseignants. « Évaluation » n’est pas un mot choquant.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est pourquoi vous avez multiplié les réformes sans les évaluer !

M. Jacques Legendre. L’évaluation doit s’appliquer au système, aux élèves et aux enseignants ! Évaluer les enseignants, c’est aussi les reconnaître, faire en sorte qu’ils soient estimés à leur juste valeur, à la mesure de l’importance de leur fonction dans la société ; c’est faire en sorte qu’ils soient mieux payés. Rappelons que le non-renouvellement des postes par le précédent gouvernement ainsi que l’allongement des études des futurs enseignants avaient aussi pour objectif de permettre une revalorisation salariale. Comment ferez-vous pour augmenter à la fois le nombre et la rémunération des enseignants ?

Des enseignants mieux payés doivent être bien formés. Vous avez raison d’insister sur ce point, monsieur le ministre, mais est-ce à dire qu’il faille en venir à mettre en place des structures, les ESPE, qui rappellent tout de même furieusement les IUFM ? Votre projet de loi insiste sur l’autonomie de ces écoles par rapport aux universités. Nous sommes attachés à ce que l’université joue pleinement son rôle dans la formation des enseignants, qui doivent recevoir une solide préparation disciplinaire…

M. Alain Néri. Comme c’était le cas avec les écoles normales et les IPES ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Legendre. … et bénéficier d’expériences de terrain au côté d’enseignants chevronnés plutôt que de cours ex cathedra dispensés par des pédagogues spécialisés dans les sciences de l’éducation.

Enfin, j’en viens à la réforme des rythmes scolaires.

Monsieur le ministre, là aussi, vous avez raison de poursuivre, avec un certain courage, que je vous reconnais volontiers, la réflexion engagée par votre prédécesseur, M. Luc Chatel. Toutefois, faut-il pour autant aller trop vite ? Nous sommes favorables à la réforme des rythmes scolaires, mais sa mise en œuvre pose des problèmes. Les collectivités territoriales doivent y être pleinement associées, car ce seront elles, en définitive, qui paieront !

M. Jean-Michel Baylet. Elles paient déjà, nous pouvons en témoigner !

M. Jacques Legendre. Sur ce plan, la précipitation peut se révéler néfaste : plutôt que d’appâter quelques communes volontaires avec un peu d’argent, mieux vaut se donner une année de plus et aider toutes les communes à démarrer. Nous en appelons tout simplement au bon sens.

Telles sont les remarques argumentées que je tenais à formuler. Nous avons déposé de nombreux amendements qui s’en inspirent, mais, contrairement à ce que j’ai entendu affirmer, presque tous ont été rejetés par la commission. Ce matin, en particulier, aucun amendement émanant des groupes de l’opposition n’a été accepté. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si, certains ont été acceptés, ce qui n’était pas le cas quand vous étiez aux manettes !

M. Jacques Legendre. Si ce refus devait ne pas être corrigé, au cours du débat en séance plénière, par l’adoption de nos amendements les plus essentiels, nous ne pourrions apporter notre soutien à un texte qui, s’il comporte sans doute des mesures importantes, n’est tout de même pas la réforme du siècle ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. –Mme Françoise Férat applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, chers collègues, penser un projet pour l’école, c’est penser un projet pour la société.

Or, l’une des dimensions fondamentales des évolutions en cours repose sur la mutation des formes de savoirs et de raisonnement. Dès lors, comment poser la question de l’école sans aborder celle, fondamentale, de la place des savoirs et de leur évolution ?

En effet, notre société est de plus en plus structurée par des savoirs complexes, savants, qui modèlent les situations auxquelles sont confrontés les citoyens et les travailleurs. Cette évolution pose indéniablement à notre société le défi de l’élévation du niveau de connaissances.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’apprendre par cœur et de restituer un savoir, mais de comprendre, de substituer, de mettre en relation des savoirs. Cette exigence de réflexion se conjugue avec des contenus devenus plus notionnels. De récents travaux de recherche montrent d’ailleurs que ces exigences croissantes sont présentes dès l’école maternelle.

Cette évolution doit nous conduire à nous poser deux questions : quelle finalité conférer aux savoirs ? Les destine-t-on à tous ? Un projet pour l’école doit, selon nous, répondre sans ambiguïté à cette double interrogation.

Lors du précédent quinquennat, la droite a mené, via la RGPP, une politique de démantèlement du service public, concrétisée par la suppression de près de 80 000 postes. Cette politique a profondément déstabilisé les personnels dans l’exercice de leur mission, en imposant une logique de gestion de la pénurie que les écoles et les établissements subissent encore actuellement.

Dans le même temps, confrontée au défi de l’élévation du niveau de connaissances, la droite a, par ses réformes, jeté les bases d’un autre objectif pour l’école : l’employabilité, avec, comme principaux outils de tri des élèves, l’individualisation des parcours et la notion de « compétences », consacrée en 2000 par la stratégie dite de Lisbonne et devenue, hélas, la boussole des réformes éducatives libérales en Europe.

L’école subit aussi la panne du processus de démocratisation scolaire, dont relevait l’exigence de la poursuite d’études. Il a débouché sur une « démocratisation quantitative », laquelle « ne s’est pas accompagnée d’une diminution des inégalités sociales qui se sont juste décalées dans le temps », pour reprendre les mots du chercheur Jean-Yves Rochex.

Les outils employés pour conduire cette massification ― orientation, classes de quatrième et de troisième technologique, chute du nombre de redoublements ― ont bien débloqué des verrous, mais ils ont aussi montré leurs limites en ne permettant pas de lutter efficacement contre l’échec scolaire. Ainsi, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, le taux de passage en seconde n’évolue plus, ou seulement très lentement.

La loi Fillon de 2005 n’a pas relancé ce processus. Bien au contraire, avec l’inscription dans la loi d’un socle minimal de connaissances et de compétences, un recentrage s’est opéré sur la scolarité obligatoire, dont l’instauration remonte tout de même au décret Berthoin de 1959 !

Selon nous, pour répondre au défi de l’élévation du niveau de connaissances, une relance du processus de démocratisation scolaire est nécessaire, car seule celle-ci peut permettre de construire une école au service de l’émancipation individuelle et collective. Telle est l’ambition qu’il nous faut avoir pour l’école.

Conscients de cet enjeu de démocratisation scolaire et confrontés, dans le même temps, aux conséquences des réformes de la droite, les personnels de l’éducation se sont mobilisés en nombre pour défendre une réponse de service public. De là sont nées des frustrations, une souffrance ordinaire liées à un sentiment de « travail empêché », mais aussi des réflexions sur la pratique et les métiers, qui ont nourri des attentes et des exigences en matière de transformation en profondeur du service public. Ces dernières ont trouvé un écho dans la refondation annoncée par le Gouvernement.

C’est, en effet, à ce haut niveau d’exigence qu’il faut se placer. Nous partageons ce choix, car l’heure n’est pas à « moins d’école », mais à « plus et mieux d’école ». Dès lors, il faut imaginer et bâtir le service public national d’éducation correspondant à ces ambitions.

Si nous approuvons la priorité accordée au primaire, la réaffirmation du collège unique ou la remise en chantier de la formation des enseignants, il nous semble que ce projet de loi ignore des dispositions essentielles qui auraient pourtant dû l’irriguer.

Quelles sont ces dispositions qui, selon nous, devraient nourrir notre débat ?

Oui, il y avait bien urgence à porter un coup d’arrêt à la révision générale des politiques publiques, contrairement à ce que la droite affirme. Il faut saluer la décision du Gouvernement de redonner des moyens, en termes de postes, à l’école. Mais, nous le savons, ces moyens, qui relèveront des prochaines lois de finances, ne suffiront pas à faire reculer mécaniquement les inégalités scolaires ; ils doivent s’appuyer sur l’engagement d’une réforme pédagogique profonde. C’est sous cet aspect que le projet de loi ne prend pas suffisamment la mesure des transformations à opérer et risque, peut-être, de manquer à son ambition de refondation.

La première de ces transformations consisterait à considérer que tous les enfants sont capables d’apprendre et de réussir, et à faire évoluer en conséquence le service public. Parce que les différences entre les élèves sont non pas naturelles, mais socialement construites, et que l’échec scolaire n’est pas une fatalité, l’affirmation de la capacité de tous les élèves à suivre les apprentissages scolaires doit être au fondement du projet éducatif.

La deuxième transformation porte sur le contenu des enseignements. Relever le défi des savoirs à enseigner à tous est une nécessité pour aller vers une société plus juste. À l’individualisation des parcours et des enseignements, il faut opposer une conception ambitieuse et émancipatrice de l’école, que recouvre le concept de culture commune, par la transmission des mêmes contenus à tous les élèves.

Suivre un cursus commun, que ce soit dans le cadre de la scolarité unique ou au travers des disciplines étudiées ensemble dans une même filière, n’interdisant évidemment pas la mise en œuvre de pédagogies différenciées et ouvrant la possibilité de découvrir de nouveaux centres d’intérêt jusqu’alors insoupçonnés, afin de faire l’expérience d’un apprentissage partagé : c’est cela aussi qui fonde le vivre ensemble.

Il est urgent de mettre en œuvre le « tous capables », l’appréhension de savoirs toujours plus complexes, l’ambition de transmettre une culture commune, qui posent l’exigence d’allongement de la scolarité obligatoire.

L’éducation nationale doit pouvoir disposer de plus de temps pour former les jeunes et prendre en charge, bien en amont du décrochage, les élèves qui rencontrent des difficultés. C’est pourquoi nous proposons d’instaurer une scolarité obligatoire de 3 à 18 ans. Cela permettrait d’ouvrir une réflexion globale sur les cycles et les rythmes, de dégager le collège de la pression de l’orientation, laquelle se joue aujourd’hui trop tôt et n’autorise pas le droit à l’erreur, faute de réelles passerelles.

La formation des enseignants est également essentielle à la refondation de l’école. Il est temps de rendre aux enseignants la maîtrise de leur travail et de leur donner les moyens de faire évoluer leurs pratiques pour assurer la réussite de tous les élèves. Cela implique une formation de haut niveau, construite selon un continuum conjuguant le disciplinaire et le professionnel, dans un système d’aller-retour en lien avec la recherche.

Pour que l’entrée dans le métier se fasse dans de bonnes conditions, et eu égard à la crise sérieuse du recrutement, que les emplois d’avenir ne résoudront pas, je continue de plaider en faveur de véritables pré-recrutements dès la licence. De plus, rappelons que les enseignants interviennent au sein d’équipes pluri-professionnelles, qu’il nous faut reconnaître et renforcer, et non pas diluer.

Seul un service public national peut être le garant de l’égalité d’accès aux savoirs sur tout le territoire. En effet, le poids des inégalités territoriales pèse fortement dans la réussite des élèves. Le maintien d’un cadrage et d’un pilotage nationaux forts n’exclut nullement les coopérations et les partenariats. Je pense notamment aux parents, qui doivent être considérés comme des acteurs à part entière de la réussite des élèves. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement tendant à instaurer un statut des délégués de parents d’élèves.

Mais ces partenariats ne doivent pas servir de paravent à un désengagement de l’État. Or, la mise en œuvre de la réforme des rythmes et les forts accents de territorialisation de plusieurs dispositions de ce projet de loi, qu’il s’agisse de la définition de la carte des formations professionnelles initiales, du parcours d’éducation artistique et culturel, du service public du numérique ou encore du service public de l’orientation tout au long de la vie, recèlent ce danger.

Voici, brossées à grands traits, les fondations sur lesquelles devrait s’appuyer, selon nous, une refondation du service public national d’éducation. Ces réflexions ont guidé les propositions que nous avons formulées en commission pour amender le texte issu de l’Assemblée nationale. Sous l’impulsion de notre rapporteur, la commission a apporté à celui-ci des améliorations, auxquelles nous avons pris toute notre part : je pense notamment à la notion du « tous capables », introduites à l’article 3A du projet de loi et inscrite parmi les principes généraux de l’éducation.

Sur la question des contenus d’enseignement, le projet de loi amende le socle commun de connaissances et de compétences issu de la loi Fillon, qui institutionnalisait le principe d’objectifs différenciés en fonction des élèves, avec ce socle comme minimum à garantir à tous et les programmes comme finalités pour les élèves « destinés » à la poursuite d’études. Mais, si l’on prétend supprimer cette distinction, pourquoi le projet de loi conserve-t-il le socle à côté des programmes ?

Je l’ai rappelé précédemment, la refondation passe à nos yeux par l’affirmation d’un même niveau d’exigence pour tous les élèves. C’est le sens de la réécriture de l’article 7 que nous avions proposée et dont une partie a été retenue. Cependant, un autre amendement adopté contre notre avis contredit cet objectif. Le présent débat devra permettre de trancher cette question.

Notre combat visant à privilégier une coopération État-région, plutôt qu’une mainmise de la région sur la carte des formations professionnelles initiales, a trouvé un début d’issue en commission par l’adoption d’un de nos amendements à l’article 18.

Enfin, notre travail pour replacer une formation initiale de haut niveau des enseignants au cœur de la refondation a permis d’inscrire dans le projet de loi que les écoles supérieures du professorat et de l’éducation assureront les actions de formation utiles aux étudiants se destinant au professorat et ne se contenteront pas de les organiser. Cette précision était utile, car le flou règne quant à la mission qui sera dévolue à ces écoles.

Ces premiers pas en appellent d’autres. Or nous constatons, à l’ouverture du débat en séance publique, que le Gouvernement revient, par voie d’amendements, sur des améliorations que nous avions apportées aux articles 7, 18 et 51. De plus, il propose de faire adopter, via ce texte, la réforme du service public de l’orientation inscrite aux articles 14 et 15 du projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires. Le débat qui va s’ouvrir maintenant est donc extrêmement important. J’estime que les enjeux liés à l’orientation scolaire, qui s’adresse à des jeunes gens en devenir, sont d’une telle spécificité qu’ils ne pourront trouver une réponse pleinement satisfaisante au sein d’un « service public de l’orientation tout au long de la vie » indifférencié, dont la région, de fait, deviendrait le maître d’œuvre.

On le voit, de nombreux points restent en discussion. Les débats de cette semaine détermineront donc l’appréciation finale de mon groupe sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, quelle est l’école dont nous rêvons, que nous voulons ? Ce n’est pas celle que nous connaissons aujourd’hui, marquée par les évolutions intervenues ces dix dernières années.

En effet, le constat suivant est largement partagé ce soir : notre école va mal, le phénomène du décrochage s’aggrave, nombre d’élèves s’ennuient en classe sans que les résultats des autres s’améliorent.

La responsabilité de ce bilan est partagée. Les différentes politiques publiques menées depuis vingt-cinq ans n’ont pas donné les résultats escomptés, dans un pays qui fut jadis exemplaire, même s’il ne faut pas céder au mythe d’un âge d’or de l’école. Celle-ci ne joue plus le rôle d’ascenseur social, comme ce fut le cas dans le passé pour un grand nombre d’élèves, et la massification, réelle, n’a pas été synonyme de démocratisation.

Le groupe écologiste en appelle à une « autre » école pour notre pays, pour une autre société. Cela signifie que si nous approuvons le texte présenté sur divers points, d’autres suscitent parmi nous des interrogations.

En effet, si le texte issu des travaux de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication nous inspirait un relatif optimisme, grâce au travail très important mené par Mme la rapporteur, que nous remercions encore une fois, le sort réservé à certains amendements et l’apparition de quelques autres ont suscité des inquiétudes. Nous éprouvons donc ce soir une certaine perplexité, mais nous ne doutons pas que M. le ministre la dissipera.

Il ne s’agit pas seulement de la prise en compte de tel ou tel amendement auquel nous tenons beaucoup, mais, plus généralement, de la philosophie qui sous-tend certaines « apparitions » : je pense notamment à l’évocation, tout à l’heure, du rapport Gallois. Il conviendra de lever les malentendus.

Ce qui compte à nos yeux, c’est de progresser vers l’école de la bienveillance, une école qui éduque à la coopération plutôt qu’à la compétition. Nous n’avons pas besoin de mots ronflants, nous souhaitons simplement la mise en place de dispositifs concrets pour intégrer tous les élèves, y compris, cela a été dit tout à l'heure, ceux qui sont en situation de handicap, afin de faire d’eux les citoyens et les citoyennes de demain. Il nous appartient de penser l’école réellement tout au long de la vie et d’apprendre à nos enfants que l’apprentissage ne cesse pas après l’université.

De même, le phénomène majeur de la révolution numérique doit, selon nous, s’accompagner d’une refonte significative des méthodes pédagogiques, afin de favoriser le travail en équipe et la pluridisciplinarité. Mon collègue André Gattolin s’exprimera plus longuement sur ce point tout à l'heure.

Notre école a aussi vocation à former des citoyens et des citoyennes capables de penser par eux-mêmes, aptes à coopérer tout en étant autonomes, dotés d’un esprit critique et prenant plaisir à apprendre, même si les acquisitions passent par des moments délicats ou difficiles.

L’école que nous voulons doit préparer des êtres capables d’avoir un esprit d’initiative – l’initiative relève non pas uniquement de l’entreprise, mais aussi des associations ! –, attentifs à la vie en collectivité, où le « faire ensemble » serait plus valorisé que « l’avoir » et où le fétichisme du classement et de la performance serait remplacé par l’altruisme, la solidarité, l’attention à l’autre et la lutte contre toutes les formes de gaspillage, nos ressources communes n’étant pas inépuisables.

L’école que nous voulons doit promouvoir une vision humaniste de notre « vivre ensemble ». Tel était le sens d’un certain nombre de nos amendements qui avaient retenu l’attention de la commission, mais semblent avoir disparu…

Je ne reviendrai pas sur la question du décrochage, véritable scandale national. Non seulement ces jeunes qui quittent le système éducatif n’auront pas de diplôme, mais ils perdent beaucoup de leurs chances d’insertion dans la société.

Devant ce constat partagé, nous insistons sur le fait que notre école a besoin de changer en profondeur. Que l’on appelle cela « refondation », « vrai changement », « remise à plat des fondamentaux » ou « travail sur les fondements du système » nous importe peu. Le projet de loi tel que nous l’examinons aujourd'hui, enrichi par le travail de la commission, présente à nos yeux le mérite essentiel de tendre à construire une école nouvelle, et non pas à ériger les suppressions de postes en politique publique.

Selon nous, l’une des questions centrales est celle de la formation des enseignants.

Il n’est pas nécessaire de restaurer les écoles normales et les IUFM, même s’ils avaient des vertus, quoi que l’on ait pu en dire. Ce n’est pas avec les vieilles recettes du XIXe et du XXe siècles, assorties d’un clic de souris, que l’on fondera l’école du XXIsiècle !

Mme Corinne Bouchoux. Nous sommes capables de voir ce qui fonctionne dans d’autres pays au niveau du primaire : la réussite est bien meilleure quand il n’existe ni redoublement ni notation précoce. Quand allons-nous l’entendre ? Il est temps de s’attaquer à ces deux mythes. À cet égard, nous notons avec satisfaction les avancées du texte en ce sens.

Cela a été dit, les inégalités sociales se sont renforcées, et l’école joue un rôle totalement stratégique en matière de socialisation. Il faut donc mettre en place une scolarisation précoce dans les zones urbaines défavorisées, sans oublier les zones rurales ou périurbaines.

Par ailleurs, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation doivent être des lieux structurés et structurants vivants, propres à donner un nouveau souffle à la formation de nos enseignants.

Enseigner est un métier : cela s’apprend, et ce tous les jours, tout au long de la vie. Monsieur le ministre, nous attirons votre attention sur la question de la formation continue des enseignants.

Enfin, pour ce qui nous concerne, nous tenons particulièrement aux projets éducatifs de territoire. À cet égard, nous aimerions revenir sur la façon dont ils ont été mis en place cette année, afin de donner un peu plus de souplesse au système. Nous souhaitons également que les contrats éducatifs locaux, créés en 1998 par une circulaire cosignée par de nombreux ministres, puissent inspirer des mesures allant dans le même sens.

En ce qui concerne les recrutements et les concours, nous estimons – nous l’avons déjà dit ici il y a quelques mois – que c’est à la fin de l’année de L3 que les choses devraient se jouer, mais nous n’avons pas réussi à vous convaincre. Nous comprenons bien les raisons qui ont poussé le monde des universités et d’autres acteurs à préférer une autre option, mais nous aimerions que soit inscrite dans le texte une clause de revoyure, afin d’examiner si organiser le concours en fin de L3 ne présenterait pas finalement plus d’avantages. En effet, les masters seraient ainsi plus cohérents et, nous sommes prêts à vous le démontrer, monsieur le ministre, cela ne coûterait pas plus cher à l’État. Nous insistons fortement sur ce point.

Concernant les langues régionales, là encore, ne regardons pas le XXIe siècle avec les lunettes du XIXe siècle : nous ne sommes plus en 1880.

Aujourd’hui, tout le monde parle français, et la diversité linguistique ne doit plus nourrir de craintes. Trente ans après les lois de décentralisation, nous savons que personne n’est menacé par la pratique des langues régionales.

Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !

Mme Corinne Bouchoux. Aussi avons-nous déposé quelques amendements qui, loin de mettre en danger l’unité de la République, visent uniquement à mettre en valeur notre patrimoine linguistique dans toute sa diversité et sa richesse. Nous pensons en outre qu’il est temps d’avancer dans la prise en compte de la langue des signes.

Pour conclure, si nous étions très satisfaits de la tournure prise par le texte à l’issue du travail accompli par la commission sous l’égide de Mme la rapporteur, qui a permis de nombreuses innovations et avancées, nous éprouvons ce soir quelques doutes. Parfois, les compromis les plus subtils risquent d’émousser les enthousiasmes les plus sincères… (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.

M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, sans nul doute, on ne pouvait continuer à assister passivement au spectacle déchirant de la dégradation de notre école ! Qui peut accepter que 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans formation ? Comment se satisfaire que 25 % des élèves entrant au collège soient en difficulté ? La France peut-elle continuer à être le pays d’Europe ayant le plus mauvais taux d’encadrement des élèves ? Comment peut-on justifier la baisse, pendant les cinq dernières années, de 35 % à 11 % du taux de scolarisation en maternelle des enfants de moins de 3 ans ? Comment expliquer la suppression progressive des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, et des moyens indispensables pour aider les enfants porteurs de handicaps ? Doit-on continuer à ignorer la médiocrité de la formation des enseignants, le creusement des inégalités dans leur recrutement, la faiblesse et l’insuffisance des moyens en termes de remplacement des maîtres ? Comment pourrions-nous nous satisfaire des mauvais classements internationaux de notre institution scolaire, ainsi que de la médiocrité des résultats de nos élèves aux tests PISA, qui révèlent des lacunes insupportables dans plusieurs disciplines ?

Devant ce constat désolant, assez largement partagé sur les travées de cet hémicycle, il fallait mettre en œuvre une rénovation en profondeur de notre école. Le Président de la République, François Hollande, s’y était engagé, le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, le fait !

Il nous propose une loi qui s’attaque à toutes les régressions qu’a connues l’école au cours de ces dix dernières années. Il dessine une école tournée vers l’avenir, qui montre l’ambition de se repositionner aux premiers rangs, sur le plan international, en termes de politiques éducatives. Contrairement à ce que certains s’obstinent à affirmer, il s’agit bien d’une refondation.

En effet, c’est la première fois qu’un projet de loi d’orientation et de programmation constituant un engagement fort en faveur de l’école est présenté, qui plus est dans une période d’aléas financiers et de difficultés budgétaires majeures.

Ce texte n’est pas seulement une réforme du système éducatif ; il constitue bien une refondation de l’école républicaine, en ce sens que l’on part de la base, des fondations de l’école, de l’école primaire. C’est en cela que cette refondation est vraiment démocratique et égalitaire : elle concernera tous les élèves, en commençant par ceux de la maternelle.

Une réforme globale de l’éducation par une seule loi, qui constituerait, aux dires de l’opposition, la seule véritable refondation possible, n’a jamais existé, à aucune période, ni dans aucun pays, pas même sous Jules Ferry ! Il s’agit là non pas du point de vue subjectif du membre de la majorité gouvernementale que je suis, mais de celui d’un historien de l’éducation unanimement reconnu, M. Claude Lelièvre, professeur d’histoire de l’éducation à la Sorbonne.

Certes, la loi de 1989 voulue par Lionel Jospin était une grande loi d’orientation.

M. Jacques-Bernard Magner. Puis, la loi Fillon de 2005 fut une loi de programmation. Mais le texte qui nous est aujourd’hui présenté est le seul à rassembler les deux volets : l’orientation et la programmation.

Ce projet de loi de refondation de l’école de la République se situe dans la parfaite filiation des lois fondatrices qui se sont succédé pendant dix ans : la loi Paul Bert sur les écoles normales, en 1879, les lois Jules Ferry sur l’école laïque, gratuite et obligatoire, en 1881 et en 1882, la loi Goblet sur l’organisation de l’enseignement primaire, en 1886, et, enfin, le statut des enseignants, en 1889.

Ainsi, contrairement à ce que certains préconisent aujourd’hui, les fondateurs de l’école de la République n’ont pas débuté leur œuvre par les structures ou par le statut des enseignants, mais bien par la formation. De même, avec le présent texte, la refondation de l’école commence par la pédagogie, la formation des enseignants et la priorité donnée au début du parcours scolaire.

Le projet de loi de refondation de l’école de la République que vous défendez avec l’enthousiasme et la sincérité que l’on vous connaît, monsieur le ministre de l’éducation nationale, constitue un contrat renouvelé entre l’école et la nation : quand l’école avance, la République grandit.

Mme Michèle André. Très bien !

M. Jacques-Bernard Magner. Il s’agit bien, aujourd’hui, de jeter les bases d’une rénovation en profondeur de l’école, de partager des valeurs et une vision, de développer des pédagogies de la confiance et de la réussite.

Il faut rompre avec cette vision essentiellement comptable qui a installé la défiance entre la communauté éducative et ceux qui sont chargés de gérer les moyens nécessaires au fonctionnement de l’institution scolaire.

Le constat de la dégradation étant établi, il convient désormais de proposer des solutions. Ce projet de loi de refondation apporte les réponses qu’attendaient les acteurs du monde éducatif : les élèves, les parents, les enseignants, les collectivités locales, le monde associatif, toutes celles et tous ceux qui comprennent le malaise dont souffre notre société, dans laquelle notre école est en train de perdre pied.

Dans ce contexte, qui peut contester qu’il soit urgent et nécessaire d’arrêter l’hémorragie des moyens humains ? À cet égard, 60 000 postes seront créés pendant le quinquennat, alors que 80 000 avaient été supprimés au cours des cinq dernières années et que 80 000 autres l’auraient été durant les cinq prochaines années si l’on avait poursuivi selon le schéma mis en place en 2007. (Mme Françoise Férat s’exclame.) C’est donc d’un différentiel de 140 000 postes qu’il s’agit, avec la création de 60 000 postes et la non-suppression de 80 000 : voilà ce que l’on peut opposer à celles et ceux qui contestent l’amélioration des moyens !

M. Jacques Chiron. Tout à fait !

M. Jacques-Bernard Magner. Qui peut contester qu’il faille reconstruire la formation des enseignants ?

Certes, la mastérisation a assuré un bon niveau de formation intellectuelle des enseignants, mais à quel prix ? Les étudiants avaient une idée négative du métier d’enseignant, les nouveaux professeurs étaient affectés sans jamais avoir rencontré d’élèves dans une classe et, en matière de recrutement, les couches populaires étaient sous-représentées, car il faut avoir les moyens de poursuivre ses études jusqu’à bac+5 ! Il y avait donc pénurie de candidats au concours et le vivier se tarissait d’année en année de manière inquiétante.

Pourtant, la preuve a d’ores et déjà été apportée que l’on peut restaurer la confiance. On constate que les premières annonces, les premières mesures prises depuis mai 2012 par le Gouvernement ont amené une progression du nombre de candidatures au concours de 50 % en 2013.

Il faut donc revoir complètement la formation des enseignants, en lui apportant toute la professionnalisation dont elle manque cruellement aujourd’hui. Cette formation sera assurée au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, dans lesquelles pourra jouer la double commande de l’éducation nationale et de l’université.

Quant aux rythmes scolaires, ils ont largement fait débat. Qui peut aujourd'hui encore défendre la semaine de quatre jours, alors que toutes les études des spécialistes montrent qu’elle est néfaste pour les enfants ? Il fallait donc mettre en place de vrais rythmes scolaires. La semaine de quatre jours et demi, avec des horaires allégés, constitue une première réponse au mécontentement exprimé en 2008 par l’ensemble de la communauté éducative, lors du passage forcé à la semaine de quatre jours.

Cette nouvelle organisation permettra de donner une véritable place aux activités périscolaires, qui sont souvent animées par les associations d’éducation populaire, nombreuses dans nos quartiers et dans nos communes. Les associations laïques, les clubs sportifs et, d’une manière générale, le monde associatif pourront retrouver un rôle éducatif essentiel, au service du développement et de l’éducation de nos enfants. Les communes ou les communautés de communes qui assureront la responsabilité et l’organisation de ces nouveaux temps éducatifs seront ainsi des partenaires à part entière de la communauté éducative.

On comprend d’ailleurs assez mal pourquoi se manifeste quelque frilosité à mettre en œuvre, dès la rentrée de 2013, des rythmes dont tous s’accordent à dire qu’ils constituent la bonne solution pour les enfants. Cela revient à dire aux enfants de notre pays que nous savons ce qui est bon pour eux, mais que nous leur demandons d’attendre la rentrée de 2014 pour en bénéficier ! En tous cas, les aides financières promises par l’État sous forme d’un fonds d’amorçage sont prévues dans le texte qui nous est soumis.

En résumé, le projet de loi donne la priorité à l’école primaire d’une manière totalement inédite, prévoit un effort considérable en termes de postes supplémentaires, avec un engagement sur cinq ans, instaure des rythmes scolaires adaptés aux besoins reconnus des enfants, ainsi qu’une vraie formation initiale et continue des maîtres, comporte des engagements en matière de scolarisation des enfants de moins de 3 ans, programme des moyens adaptés pour les élèves en difficulté et les enfants porteurs de handicaps, vise à lutter contre le décrochage scolaire et contre l’illettrisme, à promouvoir la santé, à créer un véritable service public du numérique éducatif, à nouer un partenariat affirmé avec les collectivités territoriales, à améliorer la place des parents dans l’école, à instituer l’enseignement de la morale laïque…

Tels sont, mes chers collègues, quelques-uns des nombreux aspects de ce projet de loi de refondation de l’école. Au-delà de ces engagements, il procède de la volonté de promouvoir une école qui éduque, qui enseigne, qui forme les citoyens de demain et qui rassemble les membres d’une collectivité, une école qui appartienne à la nation tout entière et qui la représente.

Notre école républicaine a certes besoin de moyens, mais aussi de valeurs à enseigner et à diffuser auprès de notre jeunesse. Notre école doit être réformée pour combattre et vaincre les inégalités, pour aider les plus démunis au lieu d’aggraver les écarts qui se creusent entre nos concitoyens, pour construire le socle commun de connaissances, de compétences et de culture auquel chacun des enfants de notre pays a droit. Elle doit constituer un creuset pour la justice et former des citoyens libres et égaux.

Le groupe socialiste se félicite de l’ouverture d’un grand débat démocratique, grâce à la concertation qui a été lancée dès l’été dernier ; aujourd’hui, le moment est venu pour le Sénat d’y prendre toute sa part. Les travaux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ont été très constructifs : près de cent trente amendements ont été adoptés, dont certains émanaient de l’opposition. (MM. Jacques Legendre et Jean-Claude Carle le contestent.)

M. Vincent Peillon, ministre. Monsieur Legendre, dix-huit amendements venaient de l’UMP et dix-sept de l’UDI-UC !

M. Jacques-Bernard Magner. Comme ils l’ont fait en commission, les sénateurs socialistes apporteront leur contribution positive au débat en présentant quelques amendements, relatifs notamment à la santé scolaire et aux écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Mes chers collègues, ce projet de loi est très attendu par tous les acteurs du système éducatif. Ce débat devrait passionner notre pays, car il prépare son avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les derniers chiffres du Conseil d’analyse économique, le CAE, font apparaître que, au début de l’année 2013, 17 % des jeunes de 15 à 29 ans ne fréquentent ni l’école ni l’université, ne bénéficient d’aucune formation et n’ont pas intégré la vie professionnelle.

M. David Assouline. Voilà le bilan de la droite !

Mme Françoise Férat. Monsieur Assouline, nous espérons beaucoup de ce texte !

Aujourd’hui, plus de 150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans validation de leurs acquis, alors que le niveau d’étude et l’obtention d’un diplôme professionnalisant sont les clés de la réussite. Dans la majeure partie des cas, ces jeunes sont issus des catégories sociales les plus défavorisées de notre pays. D’ailleurs, l’OCDE classe la France au vingt-septième rang sur trente-quatre pays du point de vue de l’équité scolaire : dans notre pays, l’incidence de l’appartenance sociale sur les résultats scolaires est particulièrement forte.

En outre, le taux de scolarisation des 15-19 ans a baissé au cours des quinze dernières années, ce qui est alarmant quand on sait combien l’insertion professionnelle de ces jeunes est difficile : en France, 71 % d’entre eux sont sans emploi ou inactifs, alors que ce taux est de 57 % en moyenne dans les autres pays de l’OCDE.

Mes chers collègues, tous ces chiffres vous paraissent peut-être fastidieux à entendre, mais il m’a semblé nécessaire de les mentionner pour jeter les bases de ce débat. Nous nous accordons tous à reconnaître qu’ils sont inquiétants, de même que nous reconnaissons tous l’impérieuse nécessité de trouver rapidement des solutions pour que nos jeunes puissent s’insérer dans la vie professionnelle. L’école de la République doit donner à tous les mêmes chances !

Notre pays traverse une crise économique sans précédent et ces jeunes sont les plus touchés par le chômage ; les dernières études européennes et internationales en font le triste constat.

Quant au Conseil d’analyse économique, il estime que « si la crise a affecté l’ensemble des pays développés, nombre de nos voisins européens connaissent des taux d’emploi des jeunes nettement supérieurs au nôtre ». C’est donc qu’il existe des solutions ! Le CAE met notamment en évidence deux grandes raisons de la situation française : l’enseignement professionnel par l’alternance entre emploi et études est trop peu développé et les moyens alloués à l’accompagnement vers l’emploi des jeunes les plus en difficulté sont insuffisants.

Le projet de loi a l’ambition de définir « les objectifs de la refondation en matière d’élévation du niveau de connaissances, de compétences et de culture de tous les enfants, de réduction des inégalités sociales et territoriales et de réduction du nombre des sorties du système scolaire sans qualification ». Très bien, mais il reste maintenant à y parvenir ! Or je crains malheureusement que ce texte ne tienne pas ses promesses : les bonnes intentions ne suffiront pas.

Le projet de loi donne la priorité à l’école primaire. Je suis bien évidemment d’accord avec cette orientation : c’est dès le cours préparatoire que tout doit être mis en œuvre pour la réussite de tous. L’école doit donner les mêmes chances à tous les élèves : elle doit être une chance, pas un facteur d’inégalité ! À cet égard, tout se joue dès le primaire. Or les écarts sont encore trop grands aujourd’hui ; pis, ils s’aggravent. Nous constatons malheureusement tous les jours que, d’un territoire à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une famille à l’autre, les élèves n’ont pas tous les mêmes chances de réussite.

Cette situation n’est pas acceptable. C’est pourquoi je regrette que la mixité sociale et l’éducation prioritaire, en particulier, ne soient pas abordées par le projet de loi, non plus que les difficultés relatives à la carte scolaire. S’agissant de cette dernière question, le rapport de la mission d’information du Sénat sur la carte scolaire préconisait notamment, en juin 2012, de développer une pédagogie de la mixité sociale, de repenser l’offre de formation, ainsi que l’attribution des dotations aux établissements, et de réviser les procédures d’affectation et de dérogation. Or rien ne nous est proposé sur ces points.

Les inégalités ne font d’ailleurs que s’accroître au fur et à mesure du parcours scolaire des élèves. Aujourd’hui, près de 20 % des élèves de 15 ans sont en grande difficulté face à l’écrit et un nombre toujours croissant d’élèves arrivent en sixième avec des problèmes de lecture. Si des élèves ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture à l’arrivée au collège, comment espérer que leur scolarité ultérieure se déroule sans problème ? Or aucune mesure concrète n’est proposée pour lutter contre l’illettrisme, pourtant déclaré grande cause nationale de 2013, alors même que le projet de loi vise à redéfinir le socle commun.

En ce qui concerne la formation des enseignants, si l’intention d’engager une réforme de leur formation initiale est louable, qu’en sera-t-il de son application et des moyens qui lui seront alloués, ainsi que de la formation continue ? Je suis sceptique quant à son efficacité réelle.

Rien non plus n’est proposé en matière de statut des enseignants. Le projet de loi comporte malheureusement bien trop de déclarations d’intention, qui seront loin d’être suffisantes pour faire face aux difficultés de notre système éducatif.

C’est pourquoi les sénateurs du groupe UDI-UC ont déposé une série d’amendements visant à mieux défendre les principes fondateurs de l’école et à améliorer son organisation, à renforcer le rôle des collectivités territoriales, à valoriser l’apprentissage et la formation professionnelle et à mieux prendre en compte les élèves en situation de handicap.

Les récents débats sur la réforme des rythmes scolaires ont montré de façon évidente que les communes et les intercommunalités comptent parmi les acteurs principaux de l’éducation de nos enfants ; elles doivent donc y être pleinement associées.

À ce propos, monsieur le ministre, je déplore la méthode employée pour modifier les rythmes scolaires ; cette réforme aurait dû être intégrée dans le présent projet de loi, comme il était prévu à l’origine. Tous, dans nos départements, nous constatons qu’elle sera très difficile à mettre en œuvre et que le manque de moyens alloués au temps périscolaire créera une nouvelle fois de nombreuses inégalités entre les collectivités territoriales. Le financement de ce dispositif n’a pas été évalué, ce qui pose un problème majeur aux municipalités.

Monsieur le ministre, comme je vous l’ai indiqué lors de votre audition par la commission de la culture, je suis, malgré ma réelle bonne volonté, dans l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre cette réforme dans de bonnes conditions, les caractéristiques de mon pôle scolaire, situé en zone rurale et tributaire des transports scolaires, ne s’y prêtant pas : en raison des impératifs liés aux transports scolaires, l’amplitude horaire restera la même qu’aujourd’hui, avec une demi-journée supplémentaire qui accroîtra la fatigue des enfants.

La réflexion aurait été préférable à la précipitation. Cette réforme faisait l’unanimité dans l’esprit, mais, parce que l’on n’a pas pris le temps de la concertation avec les acteurs concernés, elle est aujourd’hui rejetée par le plus grand nombre !

Par ailleurs, je m’étonne que l’apprentissage et la formation professionnelle ne soient pas mis en avant, alors qu’ils peuvent être un levier puissant pour permettre à nos jeunes de s’insérer efficacement dans le monde du travail.

C’est ainsi que le projet de loi n’autorise plus les enseignements complémentaires préparant les élèves à des formations professionnelles, qui peuvent être proposés dès la classe de quatrième. Vouloir maintenir à tout prix un élève dans un parcours où il ne s’épanouit pas, c’est prendre le risque qu’il décroche et quitte le milieu scolaire. Au contraire, la formation ou l’apprentissage lui permettrait d’apprendre à connaître le monde de l’entreprise ; l’enseignement agricole est le meilleur des exemples à cet égard.

Mon inquiétude porte sur l’avenir des classes de quatrième de l’enseignement agricole, que l’article 33 du projet de loi met en péril. Si je me réjouis que le Gouvernement ait déposé un amendement visant à les prendre en compte, je regrette un peu de ne pas avoir été entendue sur ce sujet en commission. Cela étant, l’essentiel est que cet amendement existe.

Toujours à propos de l’enseignement agricole, la régionalisation de la formation professionnelle soulève également des questions. Comment s’articulera-t-elle avec le présent projet de loi et les lois à venir sur la décentralisation et sur le monde agricole ? De nombreuses zones d’ombre subsistent.

Le collège unique, au sens strict du terme, n’est pas la solution. Le collège doit être multiple et permettre aux élèves de trouver leur voie. Pour cela, il convient, au-delà du socle, de favoriser les parcours différenciés, parmi lesquels l’apprentissage. Il faut promouvoir la diversité des intelligences !

L’important, c’est que l’orientation des jeunes soit choisie et non subie, ce qui suppose que les enseignants, les parents et les enfants y soient pleinement associés et disposent d’une information complète.

Certains secteurs souffrent d’un véritable déficit d’image, alors qu’ils sont pourvoyeurs d’emplois et forment à des métiers en situation de pénurie de main-d’œuvre. C’est pourquoi je m’inquiète de la suppression du dispositif d’initiation aux métiers en alternance mis en place au bénéfice des jeunes de 15 ans sous statut scolaire par la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée, dite loi Cherpion. Ce dispositif répond à un besoin spécifique des jeunes de moins de 16 ans achevant leur parcours au collège et ayant une idée claire de leur projet professionnel.

L’apprentissage est une voie d’excellence : huit jeunes sur dix qui l’empruntent trouvent un emploi au terme de leur formation. Je pense donc qu’il faut maintenir le dispositif en question, qui est ancré dans la réalité des besoins des élèves. Sa suppression conduirait à des situations incohérentes : à la fin de leur troisième, des jeunes ayant acquis le socle commun de connaissances ne pourraient plus commencer une formation par l’apprentissage avant d’avoir atteint l’âge de 15 ans. Or l’apprentissage et la formation professionnelle préparent à plus de 500 métiers dans l’hôtellerie, l’informatique, le paramédical, l’artisanat et le bâtiment, tous secteurs dans lesquels les employeurs ont beaucoup de mal à recruter.

Cette filière constitue une possibilité supplémentaire offerte aux jeunes, l’emprunter n’est nullement une obligation ; elle ne représente ni un choix de seconde zone ni un choix par défaut. La place qui lui est accordée dans le système éducatif français est injuste au regard de ses performances et discriminatoire envers les jeunes qui ont opté pour ces parcours. Ces derniers se rendent bien compte que leur formation n’est pas toujours mise en avant, quand elle n’est pas dépréciée. Au bout du compte, pourtant, ils font partie de ceux qui trouvent un emploi.

Monsieur le ministre, votre projet de loi comporte bien trop de déclarations d’intention et ne prévoit pas assez de moyens pour les mettre en œuvre. En outre, il souffre de nombreux manques. Quant à la prétendue concertation destinée à le préparer, elle a été menée dans la précipitation, pendant les vacances d’été et alors même que le texte était pour ainsi dire rédigé !

M. David Assouline. Vous êtes de mauvaise foi : c’est la plus grande concertation jamais réalisée !

Mme Françoise Férat. Enfin, la réforme des rythmes scolaires n’a pas été débattue devant le Parlement et elle est imposée aux collectivités territoriales sans qu’on leur donne les moyens de la mettre en œuvre. Je regrette que, une fois encore, aucune réelle concertation n’ait été conduite avec les acteurs concernés. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le constat est sans appel : l’école est devenue, dans notre pays, le lieu de reproduction des inégalités sociales, tant et si bien que la France figure parmi les pays de l’OCDE où le lien entre les origines sociales et culturelles des parents et les résultats de leurs enfants est le plus caractérisé. Ce triste constat suffit à lui seul pour conclure que l’école de la République est en crise, et ce depuis trop longtemps, ajouterai-je.

Les moyens humains et financiers consacrés à l’école ne sont pourtant pas négligeables, diront certains. Alors, à qui la faute ? Peu importe, ai-je envie de répondre. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point au cours de nos débats.

Le moment est venu d’entamer la refondation de l’école, de revenir aux fondamentaux, de fixer des objectifs à la fois ambitieux et raisonnables, de permettre à l’école de renouer avec son rôle d’ascenseur social et sa mission de transmission des connaissances, des savoirs et des valeurs républicaines.

Pour y parvenir, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut entrer dans le concret, celui du fonctionnement d’une école, de la vie quotidienne d’une classe, de la relation à la fois complexe et merveilleuse qui s’établit entre le maître et l’élève. Faut-il le rappeler ici, cette relation est fondée sur la transmission et l’échange. Dans la pratique, et dans le meilleur des cas, les deux principaux acteurs, le maître comme l’élève, reçoivent, et aucun ne doit perdre.

Aussi l’école a-t-elle besoin, avant tout, d’enseignants en nombre suffisant et dotés d’une solide formation. Ce métier, qui compte parmi les plus beaux, s’apprend : n’est pas pédagogue qui veut ! En effet, si la pédagogie a longtemps été définie comme l’art d’éduquer, elle est devenue une science, celle de l’éducation, qui rassemble les méthodes et pratiques d’enseignement et d’éducation, met en exergue toutes les qualités requises pour transmettre un savoir ou un savoir-faire. En un mot, il est nécessaire d’apprendre à apprendre !

C’est pourquoi aucune refondation de l’école ne sera possible sans le concours et l’engagement des enseignants : leur formation doit être professionnalisée et à la hauteur des enjeux, leur métier revalorisé aux yeux de la société, tout comme leur salaire, qui doit refléter la confiance et les attentes très fortes que nous plaçons en eux.

Nous devons reconstituer un corps d’enseignants motivés, responsabilisés, engagés, soutenus financièrement et moralement, un corps d’enseignants qui aiment leur métier et qui, tout simplement, croient en leur mission quotidienne au service des élèves et de la République.

Les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation devront jouer un rôle clé dans le nouveau dispositif, puisqu’elles auront la noble charge de former et de préparer tous les enseignants, de la maternelle à l’université, ainsi que le personnel d’éducation. Elles contribueront aussi à la formation continue pour adapter les méthodes d’enseignement et les connaissances aux évolutions de la société.

La refondation de l’école passe par la priorité donnée à l’école maternelle et à l’école élémentaire. Bien des choses se jouent, en effet, en matière d’apprentissage des savoirs et de transmission des valeurs, dès les premiers pas de la scolarisation ! Nous partageons, monsieur le ministre, votre volonté de développer la scolarisation dès l’âge de 2 ans, alors que son taux a fortement chuté en dix ans, passant de 35 % à 11 %.

Sans passer en revue l’ensemble des moyens nécessaires – la discussion des amendements sera l’occasion d’entrer dans le détail –, je souhaite toutefois insister sur certains choix qu’il convient de faire.

J’évoquerai d’abord l’aide personnalisée aux élèves en difficulté, qui doit être revue, car on ne peut pas continuer à la dispenser pendant la pause du déjeuner, tôt le matin ou tard le soir, c’est-à-dire à des horaires incompatibles avec l’attention et la concentration.

Une autre décision incontournable concerne les RASED, qui doivent absolument être rétablis.

Quant à la révision des programmes, elle doit s’accompagner de l’instauration d’un vrai parcours culturel et artistique, tout comme du renforcement de la place du sport à l’école. Art et culture contribueront ainsi, aux côtés des autres matières, à une meilleure transmission des connaissances essentielles pour la réussite éducative et, plus encore, pour le « vivre ensemble ».

Enfin, je partage, monsieur le ministre, votre objectif de mettre en place un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance renforçant l’offre pédagogique. Il s’agira, notamment, de permettre aux élèves en situation de handicap et à ceux qui ne peuvent être scolarisés de se rapprocher de l’école, en bénéficiant de ressources adaptées, afin de tendre vers une école réellement inclusive. Ce service devra venir s’ajouter à l’enseignement classique, sans s’y substituer. Comme je l’ai indiqué, le fondement de l’apprentissage doit reposer avant tout sur la relation entre l’enseignant, l’élève et ses pairs.

Avant de conclure, et parce que nous sommes au Sénat, je souhaite dire quelques mots du rôle clé joué par les collectivités territoriales dans notre système éducatif, qu’il s’agisse des communes, pour l’école primaire, ou des départements et des régions, pour le secondaire. Chacun sait ici que ces collectivités s’investissent autant qu’elles le peuvent dans l’éducation. C’est pourquoi je salue la création du fonds d’aide aux communes pour la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. Monsieur le ministre, il faut leur laisser du temps pour s’organiser ! Le temps passé à l’école par les enfants doit être un temps d’apprentissage de qualité, aménagé sans précipitation et avec les moyens nécessaires.

Monsieur le ministre, j’ignore, à ce stade, si le Sénat approuvera votre projet de loi, amendé par la commission de la culture du Sénat, dont je félicite la rapporteur pour le travail qu’elle a accompli. La majorité des membres du RDSE espèrent qu’il sera adopté, même si, à nos yeux, il peut encore être amélioré. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons déposé près de quatre-vingts amendements.

Quoi qu’il en soit, vous savez pouvoir compter sur les radicaux de gauche pour soutenir l’école de la République, une école publique et laïque de qualité, afin de lui permettre de retrouver toute sa place dans la préparation de l’avenir de la France. Combattre la grave crise morale que traverse notre pays, c’est aussi redonner force et vigueur à notre école. C’est en refondant l’école que nous redonnerons espoir à la jeunesse ! (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, afin de compléter l’intervention de Corinne Bouchoux sur les objectifs du projet de loi, je souhaite appeler l’attention sur la section de ce texte consacrée à l’éducation aux usages du numérique, rebaptisée à juste titre par nos collègues de l’Assemblée nationale « service public du numérique éducatif ».

Je ne reviendrai pas sur le bilan des différents plans de développement des usages du numérique à l’école. Le rapport de notre collègue Françoise Cartron est très clair sur le sujet. En ce qui concerne la formation des enfants et des adolescents à l’utilisation des outils numériques, la France reste en retard, malgré un taux moyen d’équipement relativement satisfaisant, qui masque toutefois d’importantes disparités entre zones urbaines et zones rurales, ainsi qu’au sein des zones rurales.

Compte tenu de la réalité des moyens déployés pour faire face à ce retard et des difficultés de l’institution scolaire à intégrer la dimension numérique dans l’enseignement, le groupe écologiste recommande de s’inscrire dans une vision plus réaliste et pragmatique et, en même temps, plus inventive de l’apport des nouvelles technologies de l’information à l’enseignement.

À ce stade, la plus-value de l’intégration des nouvelles technologies du numérique dans les enseignements réside principalement dans les possibilités qu’elles ouvrent en termes de changements pédagogiques. En effet, ces nouveaux services numériques ne doivent pas seulement offrir un « outil de plus », à utiliser comme les autres parmi l’offre fournie par l’institution scolaire. Ils doivent servir de base à une refonte critique des approches pédagogiques, favorisant l’innovation et les expérimentations, au profit du travail collaboratif entre les élèves, ainsi qu’entre les enseignants. C’est le sens des amendements qui ont été déposés tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat par les parlementaires écologistes.

Utiliser uniquement les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement, les TICE, comme un nouveau support au service de pédagogies anciennes serait contre-productif et ne répondrait pas aux enjeux de la révolution numérique dans le secteur éducatif.

De la même manière, la proposition de favoriser l’usage de logiciels libres et de formats ouverts pour les ressources pédagogiques et les contenus numériques va dans le sens d’une extension de l’interactivité des outils mis à disposition des élèves et des personnels, alors que les logiciels dits « propriétaires » entravent, au contraire, le libre accès aux savoirs et la mutualisation des contenus.

Parallèlement, il convient de relativiser l’apport des nouvelles technologies dans l’enseignement. Pour nous, la plus grande des interactivités, en matière d’éducation, reste d’abord celle qui s’établit entre un enseignant et chacun des élèves à l’intérieur d’une salle de classe. Aucune technologie, aussi innovante soit-elle, ne peut se substituer à cette relation singulière.

S’il est important que l’école valorise les usages numériques dans le cadre des apprentissages, notamment pour améliorer le suivi personnalisé des élèves, il faut néanmoins se garder de faire des outils technologiques l’alpha et l’oméga de toute forme de modernisation des pratiques éducatives, car, dans les faits, les enseignants restent le plus souvent des praticiens des nouvelles technologies bien moins expérimentés que leurs élèves. Chacun connaît l’écart générationnel qui existe en matière d’appropriation des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

En ce qui concerne la mise en œuvre du plan pour le développement des usages du numérique à l’école, j’observe que le portail unique de référencement de l’ensemble des ressources pédagogiques n’a toujours pas vu le jour. La faute en revient à un dispositif extrêmement lourd, peu ergonomique et contraint par les conditions posées par les éditeurs de manuels pédagogiques. Ce serait pourtant un outil essentiel à mettre au service de la communauté éducative.

Surtout, le numérique ne peut ni ne doit se substituer à l’éducation aux médias, au sens large du terme, telle que mise en œuvre dans les établissements, sur la base du volontariat des enseignants, depuis une trentaine d’années.

Or, j’ai déjà alerté la commission de la culture sur le fait que le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information, le CLEMI, créé en 1983 par l’universitaire Jacques Gonnet, auquel je rends hommage, et chargé d’accompagner cette politique, a vu, ces dernières années, ses moyens humains et financiers limités, quand ils n’ont pas été tristement amputés.

M. David Assouline. Par la droite !

M. André Gattolin. La faiblesse des budgets consacrés à cette mission ne permet plus de propager et d’étendre les expérimentations et les initiatives très riches conduites par le CLEMI. Je pense notamment au travail essentiel mené en direction des enseignants stagiaires, afin qu’ils ne soient pas démunis en matière d’éducation aux médias d’actualité, que ceux-ci soient numériques ou pas ! En effet, on aurait tort de considérer que l’accès à une vidéo sur internet peut remplacer le visionnage d’un journal télévisé ou la lecture analytique d’un article pour l’apprentissage du décryptage de l’information.

Mes chers collègues, le numérique éducatif représente sans conteste une voie de transformation des méthodes pédagogiques de l’enseignement. Pour autant, et au vu des contraintes financières subies par l’État et les collectivités locales, le groupe écologiste reste lucide quant à l’impact des mesures proposées au travers du présent projet de loi. Ce n’est que par un ensemble de dispositions, encore à développer et à améliorer, que nous pourrons véritablement renforcer et adapter aux temps présents le service public de l’enseignement dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la mise en place des PPRE dans les réseaux ECLAIR pilotés par les DASEN, bientôt renforcée par l’instauration du PET, peine à produire ses effets. (Sourires.) Il est vrai que le simple manque d’outils scripteurs pour l’apprenant en ZEP, que peine à reconnaître la DGESCO, ne facilite pas la mise en œuvre efficace de ces projets ! Espérons que le maintien des ATSEM, auxquels viendront bientôt s’ajouter des adultes surnuméraires, permettra enfin la concrétisation des objectifs qui leur sont assignés. Sinon, les apprenants se verront contraints de rejoindre la cour de récréation pour y jouer avec un référentiel bondissant. (Nouveaux sourires.)

Voilà ce qu’est devenu le système « éducation nationale » ! Seuls les initiés, les « sachants », s’y retrouvent, tandis que les autres acteurs, parents, élus ou même enseignants, n’y comprennent plus rien.

En conséquence, aucun objectif assigné au système éducatif n’a été atteint depuis vingt ans. Chaque année, notre école est plus inéquitable et plus inefficace, comme l’attestent toutes les enquêtes nationales ou internationales.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La faute à qui ?

M. Jean-Claude Carle. Pourtant, les objectifs assignés à l’éducation nationale sont assez simples à définir.

Premièrement, l’école doit apprendre à lire, à écrire et à compter à tous les élèves. Or, aujourd’hui, le nombre d’élèves quittant le système éducatif avec de graves lacunes scolaires est inacceptable pour notre pays. Ainsi, 40 % des élèves qui entrent au collège connaissent des difficultés en lecture, en calcul ou en écriture.

À ce propos, je me réjouis que le Président de la République ait fait de l’éducation la priorité de son quinquennat et que le Gouvernement ait érigé la lutte contre l’illettrisme en grande cause nationale de l’année 2013.

Deuxièmement, l’école a pour mission de détecter les talents, aussi divers soient-ils, dans les domaines des arts plastiques, de la musique, des sciences, de l’histoire, etc. Les talents sont multiples et la sensibilité de chacun doit pouvoir être accompagnée et valorisée par l’école.

Troisièmement, l’école doit assurer la mise en adéquation des formations scolaires proposées avec les débouchés professionnels. C’est le meilleur moyen de prémunir la jeunesse contre le fléau du chômage, qui conduit un jeune sur quatre, au terme de son cursus scolaire, à pousser la porte non pas d’une entreprise ou d’une administration, mais de Pôle emploi !

Monsieur le ministre, venons-en au projet de loi que vous nous présentez. Je le dis clairement : ce texte est pavé de bonnes intentions.

M. Daniel Raoul. Ça change !

M. Jean-Claude Carle. Que l’on me permette de saluer le travail de Mme le rapporteur, Françoise Cartron. Même si je ne suis pas d’accord avec elle sur plusieurs points et si nos avis sont souvent divergents, je veux rendre hommage à son implication et à son engagement au service de l’école.

La première bonne intention que je tiens à souligner, c’est la priorité accordée au primaire, dont je me félicite. En effet, le primaire, terreau de la construction des inégalités et du décrochage scolaire, a été le grand oublié des réformes précédentes.

Autre bonne intention, la volonté de donner davantage aux élèves les plus en difficulté, qui se traduit par la mesure intitulée « plus de maîtres que de classes », laquelle témoigne, monsieur le ministre, de votre détermination à lutter contre le décrochage scolaire.

M. Daniel Raoul. Ça nous change !

M. Jean-Claude Carle. Nous savons que l’amélioration de la performance globale de notre système éducatif passe par la diminution du pourcentage d’élèves rencontrant de grandes difficultés scolaires dans notre pays. J’expliquerai ultérieurement pourquoi, si je partage cet objectif, je suis en désaccord avec les mesures que vous proposez.

M. Daniel Raoul. Ben tiens !

M. Jean-Claude Carle. La création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation relève également d’une bonne intention. Évidemment, il est fondamental de reconstruire la formation des enseignants.

M. Alain Néri. Alors pourquoi l’avez-vous supprimée ?

M. Jean-Claude Carle. Mon cher collègue, j’ai été le premier à dénoncer les mesures prises à cet égard et à interroger le prédécesseur de M. le ministre à l’occasion d’une séance de questions cribles.

M. Alain Néri. Vous êtes donc d’accord avec nous ? (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Claude Carle. J’en conviens, supprimer les IUFM sans les remplacer par rien n’était pas la meilleure chose à faire. (Exclamations et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Mes chers collègues, dans ce domaine, nous avons tous une part de responsabilité.

M. Alain Néri. Faute avouée est à moitié pardonnée !

M. Jean-Claude Carle. En proposant de créer les ESPE, vous prenez en compte le fait que la formation initiale des enseignants peut améliorer de manière significative leur pratique en salle de classe et, par voie de conséquence, l’apprentissage des élèves.

Enfin, il y a consensus sur la réforme des rythmes scolaires. Il est assez rare que tous les rapports soulignent la nécessité d’une telle réforme.

Cela étant, monsieur le ministre, je ne voterai pas le présent projet de loi en l’état.

M. Daniel Raoul. C’est dommage !

M. David Assouline. Pourtant, nous l’espérions !

M. Jean-Claude Carle. Je vais m’en expliquer en reprenant les quatre axes que je viens d’évoquer, qui constituent les principaux piliers de la refondation de l’école que vous proposez.

Afin d’éclairer mon propos, je souhaite tout d’abord rappeler le contexte dans lequel vous nous présentez ce projet de loi.

Premièrement, vous êtes ministre de l’éducation nationale en une période où la prise de conscience de l’iniquité dramatique de notre système éducatif et de sa trop faible efficacité émerge. De ce point de vue, vous êtes ministre au bon moment, si tant est qu’il y ait un bon moment, rue de Grenelle, pour engager une réforme profonde du système éducatif. (M. le ministre sourit.)

Deuxièmement, vous bénéficiez d’un climat politique favorable puisque, comme l’a souligné mon collègue Benoît Apparu à l’Assemblée nationale, votre majorité accuse la droite d’avoir bradé le système éducatif. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est tout de même la vérité !

M. Jean-Claude Carle. Troisièmement, vous êtes issu du milieu enseignant, dont vous étiez et vous demeurez, je l’espère, apprécié et respecté. Pour ma part, j’ai du respect pour votre fonction, votre personne et votre engagement. (Mme Dominique Gillot applaudit.)

M. Alain Néri. Très bien !

M. Jean-Claude Carle. Quatrièmement – c’est certainement le point le plus important –, l’éducation est la priorité du quinquennat de François Hollande. De ce fait, vous bénéficiez d’une importante marge de manœuvre, y compris budgétaire, pour réformer l’école.

M. Alain Néri. Le changement, c’est maintenant !

M. Jean-Claude Carle. Tous les voyants sont donc au vert pour réformer profondément et efficacement l’école. Cependant, vos choix m’interpellent.

Commençons par la réforme des rythmes scolaires. Ce n’est pas parce que le sujet fait consensus qu’il est efficace de le traiter maintenant. Dans un pays où 20 % des élèves sortent sans diplôme du système éducatif, la priorité budgétaire devait-elle être donnée à cette réforme ? Depuis des mois que nous parlons de celle-ci, l’accent est mis sur les activités périscolaires. Or, selon moi – je l’ai écrit –, la lutte contre l’illettrisme, le décrochage scolaire et les inégalités scolaires suppose la mise en œuvre de mesures politiques centrées sur la maîtrise des fondamentaux.

L’une des questions centrales de l’enseignement dispensé en primaire est celle du temps d’enseignement disponible.

Pour lutter efficacement contre les inégalités scolaires, il faut renforcer le temps dédié à l’apprentissage des fondamentaux, notamment pour les élèves les plus en difficulté. C’est pourquoi je m’inquiète de l’accent mis sur les activités périscolaires ou sur d’autres enseignements, comme l’éducation aux arts plastiques, l’introduction de l’apprentissage d’une langue étrangère ou de cours de morale laïque dès le cours préparatoire. En effet, quel bénéfice pourrait en retirer un jeune qui ne maîtrise pas les fondamentaux ? Ces enseignements limiteront nécessairement encore plus le temps alloué à l’apprentissage des fondamentaux. Cela ne va pas dans le bon sens, me semble-t-il.

Personnellement – mais ce point de vue est largement partagé –, j’aurais consacré la marge budgétaire dont vous bénéficiez non à la réforme des rythmes scolaires, mais à des actions plus efficaces à destination des élèves et des écoles les plus en difficulté. Mais surtout, monsieur le ministre, vous vous êtes trompé sur la méthode ; j’y reviendrai.

Pour ce qui concerne maintenant la réforme de la formation des enseignants, je suis favorable à la création des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, mais l’important, c’est le contenu des enseignements dispensés en leur sein. C’est de ce point que le Parlement devrait débattre. Or, à ce jour, nous n’avons aucune idée de la nature de ces enseignements. Les pédagogies enseignées répondront-elles aux attentes des enseignants sur le terrain ? Les enseignements prodigués donneront-ils des outils concrets à des enseignants dont la moitié de la classe est parfois en grande difficulté scolaire ? Ces enseignants pourront-ils être soutenus pédagogiquement lorsqu’ils éprouveront des difficultés à faire progresser leurs élèves ? Telles sont les questions que nous nous posons. Monsieur le ministre, force est de le constater, nous avons besoin d’éclaircissements sur ces points.

J’en viens à la priorité donnée au primaire, à propos de laquelle nous avons une divergence profonde. Pour moi, l’enseignement primaire, c’est l’école maternelle et l’école élémentaire. Agir au stade de l’école élémentaire, c’est déjà tard. Pour prévenir le décrochage scolaire, il faut renforcer la préparation à l’apprentissage des savoirs fondamentaux à l’école maternelle, notamment en grande section.

De nombreux pays nous envient notre école maternelle, dites-vous.

M. Alain Néri. C’est vrai !

M. Jean-Claude Carle. On nous l’envie certainement en tant que structure d’accueil, mais pas comme structure de préparation à l’apprentissage des savoirs fondamentaux.

Mes chers collègues, l’écart de performance scolaire entre les élèves, déjà extrêmement important dès l’entrée au cours préparatoire, ne cesse de s’accroître par la suite. La maternelle est le terreau de la construction du décrochage et des inégalités scolaires.

M. Alain Néri. C’est faux !

M. Jean-Claude Carle. Je regrette donc qu’une véritable redéfinition de la mission assignée à l’école maternelle ne figure pas dans le présent projet de loi.

Cette mission est simple à définir : l’école maternelle doit résorber les inégalités de départ, afin de mettre tous les élèves sur un pied d’égalité au moment de l’entrée à l’école élémentaire. Cela suppose de renforcer le temps d’apprentissage des élèves pour qui l’école maternelle est la seule structure de développement cognitif. En clair, pour lutter efficacement contre les inégalités scolaires, il faut « primariser » la grande section de l’école maternelle.

M. Alain Néri. Ça commence avant !

M. Jean-Claude Carle. La préparation à l’apprentissage des savoirs fondamentaux est tellement importante pour lutter contre les inégalités scolaires que je propose l’intégration de la grande section de maternelle à l’école primaire et, en conséquence, l’instauration de l’obligation de scolarisation à l’âge de 5 ans.

Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que, lors de l’élaboration de la loi Jospin, en 1989, puis de la loi Fillon, en 2005, le souhait de la représentation nationale était de faire de la grande section de maternelle le premier lieu d’apprentissage des savoirs fondamentaux ?

Aujourd’hui, l’école maternelle prépare trop peu à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul.

M. Alain Néri. C’est faux !

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, en souhaitant sanctuariser l’école maternelle avec un cycle unique, non seulement vous remettez en cause le souhait exprimé par la représentation nationale depuis vingt-cinq ans, mais encore vous commettez une erreur fondamentale.

Enfin, s’agissant de la mesure « plus de maîtres que de classes », plusieurs études ont démontré que l’ajout d’un enseignant surnuméraire dans une classe ne donnait pas forcément de résultats. Quelles sont les principales causes de cette situation ? J’en citerai deux.

Tout d’abord, l’enseignant en place délègue à l’enseignant surnuméraire, souvent inexpérimenté, le soin de s’occuper de ses élèves les plus en difficulté ; cela contribue à accroître encore un peu plus les inégalités scolaires.

Par ailleurs, les différences de pratiques pédagogiques entre les deux enseignants conduisent à « embrouiller » les élèves.

Concrètement, pour que cette mesure produise des effets, elle doit être strictement définie et encadrée. J’espère, monsieur le ministre, que ce dispositif sera évalué et que vous viendrez rendre compte devant la représentation nationale de ses résultats.

J’aurais également souhaité que soit instauré un soutien pour les enseignants qui rencontrent des difficultés à faire progresser leurs élèves. Je proposerais volontiers la mise en place d’un tutorat, qui pourrait être exercé par les inspecteurs de l’éducation nationale ou par les conseillers pédagogiques, dont les missions devraient être redéfinies afin qu’ils soient plus présents sur le terrain et se consacrent moins à des tâches administratives.

Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire part de mon désaccord sur la méthode.

Depuis des décennies, chaque ministre chargé de l’éducation, quelle que soit son appartenance politique, qu’il s’agisse par exemple de M. Jospin, qui avait compris le rôle majeur du cycle des apprentissages fondamentaux, ou de M. Fillon, qui savait l’importance du socle commun, souhaite améliorer les choses. Mais, malgré leur volonté, notre système est de plus en plus inefficace et inéquitable.

Cela tient, à mon sens, à trois raisons majeures.

Premièrement, dans notre pays, les corporatismes sont forts. S’ils sont des piliers de notre démocratie, ils privilégient parfois des intérêts catégoriels, aux dépens de l’intérêt général. Soyons clairs, je parle de tous les corporatismes, ceux des enseignants, bien sûr, des parents, de l’administration de l’éducation nationale, mais également, mes chers collègues, celui des élus que nous sommes, pas toujours cohérents.

M. David Assouline. Ceux de droite !

M. Jean-Claude Carle. Deuxièmement, votre ministère est fortement imprégné par la culture de la circulaire qui entend tout réglementer, de la même manière, partout dans le pays. Pourtant, les situations sont multiples : si la France est une, elle n’est pas uniforme. En matière d’éducation, monsieur le ministre, l’intérêt général doit prendre en compte la diversité des territoires.

Troisièmement, l’organisation et la gestion des ressources humaines ne sont plus adaptées à une société qui exige souplesse et réactivité.

Je crois que, concernant la réussite des élèves, vous pouviez faire entrer le système éducatif dans une culture du résultat. Ainsi, en faisant du primaire et de la lutte contre l’illettrisme votre priorité, vous pouviez fixer un objectif en matière d’amélioration de la maîtrise de la lecture par les élèves avant la fin du quinquennat de François Hollande. Sur ce point, les évaluations PIRLS qui seront réalisées en 2016 viendront d’ailleurs sanctionner votre action. L’éducation ne s’inscrit pas toujours dans le temps long.

Ces éléments me conduisent à penser qu’il faut changer de méthode et que nous ferons avancer les choses à l’échelon local, grâce notamment à la multiplication d’expérimentations évaluées. Il est urgent de passer des compétences séparées à des compétences véritablement partagées. En un mot, il faut passer de la culture de la circulaire à celle du contrat, du partenariat, de la proximité.

En conclusion, comme le disait Socrate voilà vingt-cinq siècles, « le savoir est la seule matière qui s’accroît quand on la partage ». Or aujourd’hui le partage est par trop inéquitable. Notre système éducatif laisse trop d’enfants au bord du chemin, il pénalise le développement de notre économie. Mais surtout, cette situation hypothèque la cohésion sociale de la nation.

Réussir le partage du savoir, c’est le grand défi qui s’impose à vous, monsieur le ministre, mais aussi à nous, car l’école n’est le monopole de personne ; elle n’est ni de droite ni de gauche, elle appartient à la nation tout entière.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le projet de société n’est pas le même !

M. Jean-Claude Carle. L’école est un sujet qui, trop souvent, divise, du fait d’approches idéologiques, alors que les réalités actuelles devraient, au contraire, nous inciter à engager un débat constructif, mus par un unique intérêt : l’avenir de tous nos enfants.

Mais des paroles aux actes, il y a un abîme ! J’en veux pour preuve le refus systématiquement opposé, ce matin et cet après-midi, par la commission à tous les amendements extérieurs.

M. David Assouline. Dans le passé, vous n’avez jamais accepté autant d’amendements de l’opposition que nous !

M. Jean-Claude Carle. Il est difficile de rassembler si, par hypothèse, la lumière et la vérité n’émanent que d’un seul camp ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, monsieur, madame les ministres, mes chers collègues, le Président de la République a souhaité donner la priorité, au travers de la refondation de l’école, à la jeunesse et à l’éducation. C’est une véritable ambition, affirmée dans l’intérêt des élèves, et tel est bien l’essentiel !

Il s’agit de réaffirmer les principes fondateurs de notre système public de l’éducation, dans un esprit de justice, d’égalité et de solidarité ; c’est un véritable projet de société.

Monsieur le ministre, je me réjouis des trois orientations essentielles de votre projet de loi : la création de 60 000 postes, la réaffirmation du rôle fondamental de l’école maternelle en tant que facteur de réussite scolaire et d’égalité des chances, la création des ESPE. Avec cette dernière mesure, le texte tend à recréer une formation initiale pour les futurs enseignants et à replacer la pédagogie au centre de leur métier.

L’objectif de la refondation est clair : permettre la réussite de tous les élèves. Or, aujourd’hui, le déterminisme social pèse très lourd, et notre école n’assume plus, malheureusement, son devoir républicain, qui est de permettre à tous les enfants de développer leur potentiel.

Au-delà des notes, la réussite scolaire doit signifier aller à l’école sans la peur au ventre, avec plaisir ! J’insiste sur ce point, car le mot « plaisir » est trop peu utilisé quand on parle de l’école… Bien sûr, il doit être associé au mot « travail » ; nous avons eu sur ce point une discussion en commission.

Pour lutter contre le développement d’un climat de violence et d’agressivité, vous avez, monsieur le ministre, renforcé la présence d’adultes à l’école en créant un nouveau métier, celui d’assistant de prévention et de sécurité.

Évidemment, la réussite éducative n’est pas du seul ressort de l’école, elle dépend aussi de l’environnement de l’enfant, de ses éventuels problèmes familiaux ou de santé, de son accès ou non à la culture et au sport : autant de facteurs qui peuvent jouer sur la réussite des enfants, notamment de ceux qui vivent dans des milieux socioculturels défavorisés, ainsi que vous l’avez très bien souligné, madame la ministre, le 15 mai dernier, lors de la première journée nationale de la réussite éducative.

Dans cette perspective, j’ai choisi de m’arrêter sur l’un des éléments les plus prégnants qui participent de cette réussite : la santé, le bien-être de l’enfant.

« Les maîtres d’école [étant] des jardiniers en intelligences humaines », comme le relevait Victor Hugo, un enfant a besoin d’être placé dans un terreau qui soit le plus sain possible, d’être nourri et soigné, pour se développer et grandir. Un enfant qui a faim, qui voit ou entend mal ou qui ne dort pas assez ne peut se concentrer ou travailler correctement.

Or notre pays a la chance de disposer d’un dispositif unique et précieux, à savoir le système de santé scolaire, même si celui-ci connaît des difficultés. Il faut toutefois noter que ses personnels ont bénéficié d’avancées depuis l’élection de François Hollande : je pense à la revalorisation indiciaire des médecins effective depuis août 2012 et au passage des infirmiers scolaires en catégorie A. Cependant, il reste encore à combler un déficit de recrutement.

En matière de santé, je voudrais insister sur deux points : d’une part, un suivi de la santé d’élèves particulièrement ciblés par un médecin, avec présence obligatoire des parents, afin de permettre un temps d’échange et de soutien à la parentalité, plutôt qu’un bilan systématique, effectué en grande partie par des infirmiers ; d’autre part, l’éducation à la santé et aux comportements responsables.

Une telle action éducative mériterait d’être incluse dans l’emploi du temps des élèves et adaptée à leur âge, mieux qu’elle ne l’est aujourd'hui par les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté, qui ne fonctionnent que très inégalement, selon les bonnes volontés des uns et des autres.

J’ai déjà évoqué les difficultés rencontrées par les enfants de familles défavorisées, mais il me paraît important de rappeler ici que, dans notre pays, 10 % des enfants de moins de 15 ans sont victimes de maltraitance physique, psychologique et/ou de carences affectives, et ce dans tous les milieux, selon Anne Tursz, pédiatre et directrice de recherche à l’INSERM. Comment apprendre dans de telles conditions ?

Avec des missions redéfinies – je pense notamment à la prise en charge des enfants en situation de handicap –, le service de santé de l’école devrait être à même de détecter et de prévenir de telles maltraitances, en travaillant en coordination avec le ministère de la santé et les collectivités locales, au travers de la protection maternelle et infantile et des agences régionales de santé. Il devrait en outre, dans cette perspective, être doté de logiciels adaptés, dont les données soient prises en compte et analysées, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Monsieur le ministre, pour lutter contre les inégalités sociales, accentuées par la précarisation de la société, qui conduit à la résurgence de la malnutrition et de maladies qu’on croyait oubliées, comme la gale et la tuberculose, pour prévenir les troubles d’apprentissage et de comportement – je pense au suicide des jeunes –, pour porter cette ambition républicaine de la refondation de l’école, nous avons besoin de ces professionnels de santé, maillon indispensable à la réussite de nos enfants. Il y va de l’avenir de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous nous félicitons que le projet de loi de refondation de l’école accorde une priorité à l’école primaire et porte une attention particulière à la maternelle.

C’était devenu une nécessité, après les réductions drastiques des moyens et du nombre de postes d’enseignant découlant de la RGPP mise en œuvre par l’ancienne majorité. L’école maternelle était devenue une variable privilégiée de l’ajustement budgétaire du ministère de l’éducation nationale, en dépit de son rôle décisif dans la lutte contre l’échec scolaire et les inégalités, particulièrement pour les enfants issus d’un milieu social défavorisé.

Je prendrai un exemple concret pour illustrer mon propos. Dans ma ville d’Auray, dans le Morbihan, pour décider la fermeture d’une classe, le taux d’élèves de moins de 3 ans présents à la rentrée est fixé à 15 % de l’ensemble des effectifs dans une école, et à 25 % dans d’autres. Mes chers collègues, je puis vous assurer qu’une telle mesure, très peu républicaine, a bien été mise en œuvre !

La scolarisation précoce en maternelle a une incidence positive sur le niveau de compétence des élèves, ainsi que sur la probabilité de redoublement.

Si nous partageons les objectifs du projet de loi concernant la réaffirmation du rôle de la maternelle et la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, avec la programmation de nouveaux moyens, nous aurions souhaité qu’ils soient énoncés avec plus de force encore.

La scolarisation des moins de 3 ans, particulièrement bénéfique pour les enfants issus des milieux populaires, a un effet positif en termes d’acquisition du langage, de compréhension orale et de familiarisation avec l’écrit.

Pourtant, c’est elle qui a subi le plus durement les conséquences de la RGPP. Ainsi, en 2000, un enfant sur trois âgé de 2 à 3 ans fréquentait l’école maternelle – et même un sur deux en Bretagne, où la scolarisation précoce était plus importante –, contre seulement un sur cinq aujourd'hui, et ce sans tenir compte de l’existence ou nom de crèches ou de pôles multi-accueil.

Le projet de loi prévoit donc la création de 3 000 postes sur la totalité du quinquennat pour développer l’accueil des moins de 3 ans. C’est un progrès indéniable, qu’il est juste de souligner. Néanmoins, avec plus de 36 000 communes et plus de 15 000 écoles maternelles publiques en France, la portée de cette mesure risque d’être insuffisante.

Nous nous félicitons également que soit mentionnée dans la loi la nécessité de mettre en place des conditions d’accueil adaptées aux spécificités des moins de 3 ans. La scolarisation des enfants de 2 à 3 ans ne se conçoit que dans de bonnes conditions d’accueil, permettant la prise en compte de la diversité des états de développement d’aussi jeunes enfants.

Par contre, l’article 5 du projet de loi, qui tend à récrire l’article du code de l’éducation relatif à la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, ne fait que reformuler, avec des mots différents, ce qui se pratique déjà : la scolarisation précoce s’effectue en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, qu’il convient d’ailleurs de définir de manière objective et réaliste. Je sais que certains quartiers urbains sont ciblés, mais de petites communes rurales méritent aussi qu’on leur porte une attention particulière.

Nous souhaitons, pour notre part, aller plus loin en rendant possible, à terme, la scolarisation de tous les enfants de 2 ans dont les parents en feront la demande. L’article 40 de la Constitution nous empêche de proposer l’adoption d’une telle disposition, mais nous affirmons que l’État doit garantir ce droit.

Nous formons aussi le vœu qu’un module spécifique de formation soit dispensé aux enseignants qui prennent en charge ces jeunes enfants, en plus d’une formation initiale et continue adaptée aux enjeux de la maternelle dans son ensemble.

Concernant les enfants de classe maternelle âgés de 3 ans et plus, le projet de loi apporte quelques avancées et fixe des objectifs que nous partageons : création d’un cycle unique pour la maternelle, mettant fin à la « primarisation » de l’école maternelle, affirmation des missions spécifiques de l’école maternelle, développement sensoriel, moteur et social, développement de l’estime de soi, épanouissement affectif, introduction – à notre demande – de l’objectif de développer l’envie et le plaisir d’apprendre, instauration d’une formation spécifique, tant continue qu’initiale, pour les enseignants d’école maternelle.

En revanche, nous ne pouvons que nous étonner, monsieur le ministre, que le projet de loi ne prévoie pas de rendre obligatoire l’instruction dès 3 ans.

Le constat partagé du rôle fondamental de l’école maternelle avait réuni toute la gauche du Sénat autour de la proposition de loi n° 447 de notre rapporteur, Françoise Cartron, visant à instaurer la scolarisation obligatoire à 3 ans, contre 6 ans actuellement. Nous avions passé une soirée mémorable et très animée à débattre de cette question avec M. Chatel, le précédent ministre de l’éducation nationale…

Avant tout symbolique, une telle mesure aurait permis de reconnaître à leur juste valeur les apports fondamentaux de la maternelle à notre système scolaire, sans incidence sur les finances de l’État, puisque plus de 99 % des enfants de 3 à 6 ans sont déjà scolarisés en France.

Nous partageons donc, monsieur le ministre, vos objectifs concernant la scolarisation des enfants de 2 à 3 ans ; néanmoins, nous aurions souhaité encore plus d’ambition, tant le précédent quinquennat a été marqué par un recul brutal et dévastateur !

Nous aurions souhaité la création de davantage de postes, bien sûr, mais surtout une avancée symbolique d’une véritable refondation progressiste de l’école de la République : l’extension de 3 ans à 18 ans de l’obligation scolaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, l'école de la République est chargée d'une noble mission, celle de transmettre le savoir aux jeunes générations.

Or l'école du XXIe siècle est en crise dans notre pays. Ce constat est bien souvent rappelé au travers d'évaluations nationales et internationales, notamment l'enquête PISA, qui concerne les pays membres de l'OCDE. Près de 150 000 élèves quittent chaque année le système scolaire sans réelle qualification, ce qui est inacceptable.

Le projet de loi qui nous est présenté ne traite pas du système éducatif dans son ensemble et ne propose aucune grande réforme, ce que nous pouvons regretter. Je me limiterai à évoquer quelques points qui me paraissent importants.

Monsieur le ministre, vous avez fait de l'école primaire une priorité ; cela est légitime, puisqu'il s'agit du niveau scolaire où l'avenir de l'enfant se construit. Pourtant, quelle est la classe à privilégier : la dernière année de l'école maternelle ? Le cours préparatoi