M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais vous faire part, comme d’autres l’ont fait avant moi, de remarques tirées de mon expérience personnelle de médecin et de président de conseil général.
L’expression « déserts médicaux » me paraît trop générique. Les exemples locaux que je vais citer démontrent bien la diversité des situations.
Dans le canton de Montmirail, où il existe encore un hôpital local, même sans service actif, les postes de médecins hospitaliers sont pourvus, alors que les postes de médecins généralistes ne le sont pas. Les arguments sur l’attractivité du territoire, la nécessité de trouver un travail au conjoint ou l’éloignement d’un CHU sont battus en brèche dans ce cas de figure.
Certaines maisons de santé pluridisciplinaires qui ne trouvent pas de médecins libéraux font appel à des médecins étrangers, avec toutes les vicissitudes que cela engendre parfois, mais trouvent aussi une réponse en proposant des postes salariés. Il y a là une évolution des mentalités qui, d’une certaine manière, doit nous interpeller.
La maison de santé de Fère-Champenoise, établie sans projet médical, sans implication des médecins locaux, a trouvé très rapidement des médecins heureux de s’installer en milieu rural et désormais prêts à bâtir un projet médical adapté aux besoins de la population locale.
Le cas de la maison de santé de Dormans fait figure de contre-exemple : les professionnels étaient volontaires, mais il a fallu se battre comme un diable pour avoir la reconnaissance, le label et les subventions de l’État.
Tous ces exemples montrent bien que les situations locales sont très différentes. Françoise Férat pourrait citer son propre exemple : à Châtillon-sur-Marne, le projet de maison de santé, qui vise le label pôle d’excellence rurale, a été construit dans le plus grand consensus.
Mme Françoise Férat. Absolument !
M. René-Paul Savary. Par ailleurs, madame la ministre, je voudrais vous faire part de quelques réflexions précises, pouvant déboucher sur des propositions.
En matière de formation, plusieurs doyens de faculté de médecine française ont affirmé que le cursus médical dans certains pays était inférieur à celui qui est dispensé en France. Cela interpelle, compte tenu de la reconnaissance européenne des diplômes. Pendant ce temps, les médecins les mieux formés en France partent exercer dans d’autres pays, notamment au Canada et en Allemagne. C’est le « grand mercato » des médecins, comme l’écrivait récemment une analyste dans un journal bien connu.
Nos étudiants, quant à eux, lorsqu’ils se trouvent recalés en première année malgré des notes satisfaisantes, sont contraints de choisir un autre cursus en France – cela ne les empêche pas de réussir bien entendu –, tandis qu’ils peuvent s’inscrire dans des établissements de proches pays européens pour suivre des études de médecine non sélectives, moyennant finances. Il faut compter en général 5 000 euros de droits d’entrée.
En ce qui concerne le numerus clausus, les gouvernements successifs ont adopté depuis trop longtemps – j’ai été moi-même formé du temps du numerus clausus, ce qui remonte à un certain nombre d’années – l’idée selon laquelle plus les médecins étaient nombreux, plus cela coûterait cher à la sécurité sociale, donc à la nation.
Or la féminisation de la profession, la réduction du temps de travail, l’évolution des mentalités, la conciliation légitimement réclamée entre vie professionnelle et vie familiale, l’évolution du secteur médico-social, la protection maternelle et infantile, la pédopsychiatrie, les programmes de médicalisation des systèmes d’information dans les hôpitaux, les médecins spécialisés dans la reconnaissance du handicap, l’alourdissement des tâches administratives, les récupérations obligatoires des gardes de nuit – et j’en oublie sûrement – auraient dû inciter à pratiquement doubler le numerus clausus pour mettre en œuvre la politique nationale de médecine et répondre aux besoins de la population.
Enfin, en matière de gestion des cabinets médicaux, l’évolution informatique est nécessaire et évidente, mais les logiciels sont de plus en plus complexes, au nom de la sécurisation. De plus, la conformité des réponses médicales et les statistiques de suivi impliquent que les médecins généralistes soient en première ligne pour remonter les données exploitables. Mais pendant qu’ils font cela, ils ne soignent pas les malades !
En outre, la gestion du personnel au sein d’un cabinet médical de groupe est contraignante et peu adaptable. Les remplaçants, futurs associés, qui viennent travailler dans les cabinets médicaux ruraux sont toujours effarés par les frais de cabinet, les charges sociales, les assurances, les cotisations à la CARMF – la Caisse autonome de retraite des médecins de France –, les charges d’exploitation, la répartition de la cotisation foncière des entreprises ou les charges informatiques. II convient donc de mieux former les jeunes à ce type d’exercice et de réduire les contraintes de gestion, si l’on souhaite que ceux-ci s’investissent, notamment en milieu rural.
Pour conclure, je voudrais avancer, à titre tout à fait personnel, quelques propositions.
Afin de permettre à des jeunes de s’implanter sans avoir à s’associer à travers une société civile de moyens, ce qui est particulièrement contraignant, il est important de promouvoir, pour les médecins ayant soutenu leur thèse, le statut de collaborateur avec carte professionnelle de santé ou, pour les autres, le statut de remplaçant permanent avec utilisation de la carte professionnelle du médecin remplacé pour télétransmettre. En effet, par définition, s’il y a un remplaçant, le médecin attitré ne peut pas exercer et, par conséquent, une seule carte professionnelle suffit.
Il me semble également nécessaire de respecter la liberté d’installation individuelle pour permettre à un médecin généraliste motivé d’exercer sa vocation de médecin de famille là où il le souhaite, mais de soumettre à appel d’offres des conventions de secteur 1 pour des activités libérales ou salariées, à disposition des maisons de santé pluridisciplinaires sous-équipées. Il s’agirait là d’une mesure intermédiaire non contraignante, qui pourrait peut-être répondre aux besoins locaux.
Je ne reviens pas sur la nécessité d’ouvrir le numerus clausus.
Il faut par ailleurs reconnaître, dans le cadre des remboursements de la sécurité sociale, les transports à la demande dans les secteurs ruraux, ce qui n’est pas toujours le cas. Ces remboursements portent plus sur quelques euros que sur des dizaines d’euros !
Il m’apparaît souhaitable d’uniformiser, en Europe, les entrées dans la formation médicale, en plus de la reconnaissance du diplôme.
Tout en maintenant la médecine à l’acte, il convient de renforcer les mesures actuelles prévoyant des rémunérations complémentaires liées aux résultats épidémiologiques, aux équilibres biologiques et aux frais informatiques. Ce sont, me semble-t-il, de bonnes mesures.
En outre, madame la ministre, les décrets portant création d’une structure spécifique adaptée à l’exercice en groupe doivent être publiés. À ma connaissance, cette mesure avait été décidée dans le cadre de la loi HPST, mais n’a toujours pas été mise en œuvre.
Il faut faire confiance aux territoires pour proposer une solution plus adaptée aux besoins de la population locale qu’aux exigences nationales des ARS.
Enfin, il peut être utile d’autoriser le rattachement des maisons de santé pluridisciplinaires aux hôpitaux locaux, cette solution constituant une voie intéressante de conciliation entre secteurs public et privé.
Voilà donc quelques propositions, fondées sur trois principes : le compromis, la liberté et la souplesse.
Le compromis s’entend entre les territoires et la politique de santé.
La liberté d’installation est l’un des fondements du modèle médical français et sa remise en cause entraînerait fatalement des départs plus nombreux vers l’étranger. Toutefois, des incitations ou des adaptations territoriales peuvent s’envisager.
La souplesse du type d’exercice, enfin, est aussi à promouvoir. Comme le disent certains économistes, si la médecine à l’acte produit trop, la médecine salariée ne produit pas assez. La complémentarité des deux est peut-être la voie du consensus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Mme Josette Durrieu applaudit également.)
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme Jean-Luc Fichet, dont je salue le travail, ainsi que celui de M. le rapporteur, j’interviens en tant qu’élue d’un département plus marqué par de fortes disparités territoriales entre le littoral et l’intérieur des terres que par son appartenance, ou pas, à la ruralité. Et c’est sans parler des territoires insulaires qui subissent d’importantes variations saisonnières et souffrent de handicaps bien plus importants !
Avant d’aborder la situation spécifique de deux îles qui me sont chères, parce que proches et jumelées – Belle-Île-en-Mer et Marie-Galante –, j’interviendrai sur deux points déjà abordés au cours de ce débat, mais qui s’avèrent structurants pour nos élus et nos concitoyens : le renouvellement et l’installation des professionnels de santé.
Nous constatons les difficultés récurrentes à garantir la présence en nombre suffisant de médecins et de professionnels de santé dans certains territoires, même lorsque ces derniers sont dynamiques, bien dotés en infrastructures et situés à des distances raisonnables de villes moyennes. Malgré la mobilisation quotidienne des élus locaux, la recherche de nouveaux praticiens s’apparente à un véritable chemin de croix.
D’autres l’ont dit avant moi, plusieurs facteurs peuvent nous aider à comprendre ce phénomène : peur de l’installation et de la surcharge de travail pour des générations attachées à l’équilibre des temps de la vie – tout du moins à une certaine idée de la qualité de la vie – et prise en compte de la situation des conjoints. Autant de critères qui compromettent la durabilité des implantations et favorisent au contraire les remplacements et les temps partiels. Ces perspectives sont aggravées par le vieillissement des professionnels de santé, que l’augmentation récente du numerus clausus ne permettra pas de compenser.
Conformément à la démarche initiée par le Gouvernement, l’ARS de Bretagne a élaboré un pacte territoire-santé autour de douze engagements afin de lutter contre les déserts médicaux, trois mois après le lancement de cette réflexion collective le 25 février dernier, à Brest, en votre présence, madame la ministre.
Ces douze engagements font en partie écho aux propositions de l’excellent rapport de nos collègues dont je retiendrai deux mesures phares susceptibles d’apporter des réponses concrètes aux besoins de nos territoires, trop souvent confrontés à des candidatures exclusivement issues de pays étrangers ou obligés de faire appel, à un prix souvent prohibitif, à des cabinets de recrutement débordés.
La première mesure est que, face aux déficits constatés en matière de démographie médicale, le stage en médecine générale doit effectivement être généralisé à l’ensemble des étudiants en médecine. Vous l’avez dit, madame la ministre, si à peine 37 % des étudiants en deuxième cycle ont pu bénéficier d’un stage d’initiation à la médecine générale sur le plan national, certains CHU, tel celui de Brest par exemple, connaissent des taux allant jusqu’à 100 %. Il est donc temps de mettre un terme à ces disparités.
Ce stage doit permettre de déconstruire les représentations sur l’exercice libéral en zone rurale et faciliter la recherche de successeurs ou de renforts pour les médecins déjà installés. Dans cette perspective, il conviendra de poursuivre la mobilisation des médecins généralistes pour les inviter à accueillir les stagiaires et accroître les aides au logement et au transport pour inciter les étudiants à sortir des grandes villes ou des zones côtières.
S’il s’agit bien d’un enjeu national, n’oublions pas les responsabilités de chacun, en particulier celles des médecins en place qui doivent développer cette culture de l’anticipation et de l’accueil qui leur permettrait aussi d’actualiser leurs connaissances et leurs pratiques.
La seconde mesure prioritaire concerne le développement de stratégies collaboratives et le travail en équipe en garantissant notamment les moyens en faveur de l’accompagnement méthodologique et financier des pôles et des maisons de santé pluriprofessionnelles.
Les collectivités, vous le savez, madame la ministre, s’engagent massivement dans cette dynamique. Je pense tout particulièrement à une commune proche de la mienne, celle de Josselin, qui a fait construire une maison pluridisciplinaire de santé aux normes HQE et BBC, ouverte depuis l’été 2012, pour un coût de 1,5 million d’euros et qui accueille cinq cabinets médicaux et paramédicaux. Je pense encore à la commune de Le Palais, à Belle-Île-en-Mer, qui met à disposition un logement pour stagiaires et remplaçants, déboursant ainsi 7 000 euros par an en soutien des deux médecins agréés pour accueillir ces stagiaires.
Tout comme celui de son île jumelée, Marie-Galante, le cas de Belle-Île-en-Mer, dont la population explose pendant les périodes de congés, est particulièrement éclairant.
Après deux ans de travaux – je sais que vous ne l’ignorez pas – et de réflexions partagées entre l’ARS, le conseil général, le centre hospitalier Bretagne-Atlantique et tous les professionnels concernés – pompiers, sécurité civile, médecins, paramédicaux, sans oublier, s’agissant d’une île, la SNSM –, la signature du contrat local de santé, en janvier 2013, a permis de mettre un terme à la dégradation de la situation insulaire en ciblant trois besoins prioritaires : la permanence des soins, la prévention des addictions et le maintien à domicile.
L’implication de l’hôpital s’est révélée décisive pour organiser la venue de praticiens hospitaliers, et ce, je le rappelle, en remplacement des médecins « volants », ou remplaçants, rémunérés à l’époque 1 000 euros pour vingt-quatre heures de garde. Grâce à ce projet local de santé, un nouveau médecin est venu s’installer sur l’île en avril et un autre devrait suivre.
Si nous enregistrons donc de notables progrès pour Belle-Île-en-Mer, mon collègue Jacques Cornano, sénateur de Marie-Galante, déplore quant à lui la situation toujours très difficile de son île. L’avenir de l’hôpital pose problème et les pannes très fréquentes de l’hélicoptère assurant les rotations risquent de mettre à mal nos concitoyens ultramarins parfois en danger.
Quoi qu’il en soit, ces démarches volontaristes démontrent la nécessité et l’urgence d’une véritable territorialisation de la lutte contre les déserts médicaux, dans laquelle chacun devra assumer pleinement ses responsabilités - surtout l’État -, tant en matière de pilotage que de financement dans la durée afin de garantir la visibilité attendue par les professionnels, les élus et la population. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Compte tenu de nos contraintes horaires, liées à un ordre du jour comportant trois débats, je demanderai aux deux derniers orateurs inscrits de respecter leur temps de parole et à Mme la ministre de bien vouloir être très synthétique. Je vous remercie de votre compréhension.
La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, plutôt que de désert médical, je préfère parler de « fracture médicale » entre zone urbaine et zone rurale : déficit de généralistes, chacun s’est employé à le dire, mais aussi déficit grave de spécialistes - radiologues, ophtalmologistes, gynécologues,...
Permettez-moi d’évoquer ma propre expérience – ce que l’on connaît le mieux, c’est encore ce que l’on fait ! – dans le département des Hautes-Pyrénées, territoire rural et de montagne, qui compte seulement 230 000 habitants. Pour cette population vieillissante, nous manquons d’ophtalmologistes. Nous sommes également un département très touristique : notre population est multipliée par quatre en hiver et en été. Nous accueillons alors un million de vacanciers dans quatorze stations de ski et dix stations thermales. Or les touristes sont exigeants : disposer de médecins et d’un hôpital n’est plus un atout mais une condition à leur venue, et nous manquons aussi de radiologues et de chirurgiens traumatologistes.
Pour entrer un peu plus dans le détail, je voudrais dire un mot de l’hôpital psychiatrique de Lannemezan - qui est aussi un hôpital général -, dont j’ai la chance de présider le conseil de surveillance depuis longtemps. J’allais dire qu’il s’agit d’un petit hôpital, mais 1 500 lits, ce n’est tout de même pas tout petit !
Le bassin de vie de Lannemezan compte seulement 50 000 habitants, mais, avec cinq stations de ski et deux stations thermales, ce chiffre peut être multiplié par quatre : chaque année, 200 000 personnes passent dans ce bassin de vie.
Dans ces conditions, madame la ministre, et je confirme en cela les propos de M. Savary, nous avons essayé de faire face en créant, il y a maintenant quatre ans, un groupement de coopération sanitaire : dix-sept spécialistes et chirurgiens viennent de Toulouse – cela montre que rien n’est impossible et qu’il n’y a pas de fatalité absolue – et pratiquent, sans dépassement d’honoraires, une chirurgie ambulatoire essentiellement dans le domaine de la traumatologie. Nous avions fait un pari : c’est un pari gagné ! Il s’agit d’un succès étonnant : on peut venir à Lannemezan, même de Toulouse !
Je voudrais rappeler, même si cela fait mal, que, dans le même temps où était créé ce groupement - en 2008 -, la maternité fermait pour des raisons comptables, comme vous l’avez dit tout à l'heure. Or le fond des vallées n’a pas bougé : il est toujours à une heure de route, pas à trente minutes, et quinze accouchements en urgence ont eu lieu.
Je vous remercie, madame la ministre, pour le pacte territoire-santé et les douze engagements. Beaucoup de choses ont été dites, mais quelques questions demeurent sur le déficit des spécialistes, notamment sur le numerus clausus et les incitations. Peut-on renforcer encore les missions de l’hôpital public de proximité ? La consultation délocalisée permettra seulement de déployer les moyens dont nous disposons déjà. Les cabinets libéraux, avec conventions bien sûr, seront-ils concernés par ce dispositif ? Cette solution rassurerait certains.
Je voudrais également insister sur l’utilisation des nouvelles technologies. Je suis étonnée, cher collègue Hervé Maurey, vous qui êtes ici le spécialiste du numérique, que vous ne voyiez en elles que des réponses partielles. Il ne s’agit pas d’une évolution mais d’une révolution ! Nous avons beaucoup parlé de télémédecine, mais pourquoi ne pas aller plus loin et parler de télé-radiologie et de télé-échographie ? Je pense de manière incontestable que nous allons puiser là des réponses.
Je voudrais encore faire part de mon engagement personnel et évoquer ce « petit » hôpital depuis longtemps à la pointe en matière de télémédecine, avec Louis Lareng, puisqu’il se positionne juste derrière le CHU de Purpan à Toulouse.
Nous sommes porteurs d’un projet e-santé, sur le point d’être finalisé, qui s’appuie à la fois sur les usages du numérique et sur les technologies spatiales. La région Midi-Pyrénées vient de lancer un programme ambitieux et veut être au cœur de l’utilisation des technologies spatiales. Elle a choisi notre zone du piémont des Pyrénées, autour de l’hôpital de Lannemezan, comme zone pilote et de référence. Nous avons accepté cette proposition et élargi la zone à la chaîne des Pyrénées. Ce projet est engagé ; il sera finalisé d’ici à quelques semaines, en tout cas avant la fin de 2013. J’espère, madame la ministre, avoir suscité votre intérêt.
Pour finir, je voudrais vous interroger sur une autre expérience pilote en matière de télémédecine et de télé-radiologie pénitentiaires – car nous disposons aussi d’une centrale pénitentiaire ! –, qui vise bien évidemment à éviter les extractions de détenus, souvent compliquées à mettre en œuvre. Où en est-on de l’évaluation ? Une plus-value est-elle ressortie de cette expérimentation ? Quels seraient les crédits spécifiques – car tout passe par là - permettant d’intégrer cette technologie ?
Je conclurai en disant que nous disposons d’outils nouveaux qui resteront inertes si manquent la volonté et les crédits. « Faisons le pari de la confiance », avez-vous dit, madame la ministre. Nous vous faisons confiance ! (Mme Odette Herviaux et M. Michel Teston applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accès à la médecine de proximité est inégal en France, tout le monde l’a dit. Les territoires ruraux sont, plus que les autres, confrontés à cette inégalité en matière d’offre de soins.
En matière de désertification médicale, se référer à la densité de praticiens par territoire permet de cibler les zones les plus fragiles. Toutefois, on ne peut restreindre l’accès aux soins de la population à ce seul facteur de densité de l’offre médicale : il faut également tenir compte de facteurs économiques, sociaux et culturels.
Si le nombre de praticiens a globalement augmenté depuis trente ans, les zones dans lesquelles on ne trouve quasiment pas de médecins se sont paradoxalement étendues, notamment dans les territoires ruraux. Les écarts de couverture de la population sont ainsi de un à deux pour les généralistes et de un à huit pour les spécialistes.
Dans le département du Nord, le secteur rural du Cambrésis et de l’Avesnois - où a grandi Pierre Mauroy -, à l’amplitude géographique importante, souffre de ce phénomène alors que les secteurs urbains et particulièrement le centre de la métropole lilloise sont couverts de façon satisfaisante.
Cette situation était prévisible du fait de l’iniquité de la politique de santé publique menée ces dernières années, laquelle a participé à l’accroissement des inégalités infrarégionales, pourtant contenues grâce à l’engagement volontariste des collectivités locales dans le domaine de l’accès aux soins.
Cette situation, déjà inquiétante du fait que les étudiants en médecine, tout du moins deux tiers d’entre eux, n’envisagent pas d’exercer en milieu rural, devient franchement alarmante pour ces secteurs dans lesquels l’allongement de la durée de vie et le vieillissement de la population nécessitent des traitements adaptés.
Si de nombreux usagers sont concernés par des soins de premier recours, une approche plus globale d’aménagement médical du territoire doit être envisagée sur le long terme, permettant d’éviter les ruptures de prise en charge des patients, par exemple pour les personnes âgées ou celles en situation de handicap, et ainsi freiner le développement des déserts.
De plus, la désertification médicale étant aggravée par l’éloignement ou la disparition des petits établissements hospitaliers, la création de maisons de santé compte parmi les réponses adaptées pour équilibrer la densité médicale.
Je veux souligner votre volonté, madame la ministre, de vous attaquer aux déserts médicaux, à travers les douze engagements que vous avez présentés dans votre pacte territoire-santé et saluer le travail de nos collègues dont témoignent les propositions contenues dans le rapport d’information.
Dans tous les cas, le pragmatisme doit être privilégié. Cela permettra d’appréhender les difficultés en matière d’accès aux soins en fonction des contextes locaux et d’organiser ainsi une meilleure répartition des moyens dans les bassins de vie.
Cependant, il persiste une contradiction entre la nécessité de mettre en œuvre, après concertation, une carte médicale organisant la présence des médecins dans les zones désertifiées et l’attachement de la profession médicale à son caractère libéral et à sa liberté d’installation, qui conduisent à la surpopulation médicale à Paris ou sur la Côte d’Azur et à la disparition progressive des médecins de campagne, par exemple dans le sud du département du Nord. Dans cette zone, en effet, les perspectives en matière de démographie médicale sont tellement préoccupantes que des maires ont constitué un collectif sur le sujet. Ils m’ont même adressé un appel au secours, après l’annonce du départ des deux seuls médecins qui exerçaient conjointement sur huit communes, au cœur d’un même bassin de vie.
Plus de deux mille foyers sont concernés. Les habitants refusent d’avoir recours de manière systématique aux services des urgences de l’hôpital, aux services mobiles d’urgence et de réanimation, les SMUR, ou aux pompiers, dont le coût reste plus élevé que celui des solutions de proximité adaptées.
Les élus soulignent que des mesures financières d’incitation à l’installation de jeunes médecins généralistes ont déjà été prises, sans qu’elles aient d’incidence dans leur secteur, car le nombre de patients potentiels y est suffisant pour assurer des revenus réguliers et plus élevés que les 4 600 euros mensuels garantis par l’État. De surcroît, les médecins de communes voisines mais plus éloignées, déjà débordés, refusent d’accepter de nouveaux patients.
Des discriminations importantes existent donc selon le lieu de résidence. J’y suis moi-même confrontée avec Médi’ligne. Après un diagnostic réalisé en ligne, ce service téléphonique de régulation, situé à Lille, à plus de quatre-vingts kilomètres de mon domicile, peut donner un simple conseil au malade, lui proposer d’aller chez le médecin de permanence ou à la maison médicale, quand ils existent à proximité, de se rendre aux urgences de l’hôpital ou bien d’appeler le 15. Cela contribue, hélas ! à la surcharge de l’hôpital public le week-end ou la nuit, alors qu’il peut s’agir de pathologies simples, qui, si elles ne requièrent pas d’hospitalisation, viennent encombrer les services d’urgence.
Dans la plupart des cas, il appartient au patient de se déplacer, quel que soit son état de santé, sur des distances qui demandent bien souvent plus de trente minutes – la durée de trajet maximale que vous avez évoquée, madame la ministre – pour être parcourues.
Les territoires ruraux et déserts doivent donc faire l’objet d’une attention bienveillante de la part des pouvoirs publics, dans la perspective d’un rééquilibrage de l’offre médicale.
Pour résumer la situation, j’ai constaté qu’il était désormais plus facile de trouver un vétérinaire d’astreinte qu’un médecin de permanence.
M. Roland du Luart. C’est vrai !
Mme Delphine Bataille. C’est pourquoi l’égalité d’accès aux soins doit être envisagée de manière urgente, dans le cadre d’une politique globale d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. J’ai bien compris, monsieur le président, que mon intervention devait être brève en raison d’un ordre du jour chargé. Je prie donc par avance le Sénat de bien vouloir m’excuser si mes réponses lui paraissent trop schématiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat très riche éclaire les enjeux qui s’attachent à la présence médicale de professionnels de santé sur l’ensemble de nos territoires. Vous me permettrez cependant de ne pas apporter de réponses aux questions locales que vous avez évoquées. Mon cabinet se tient bien entendu à votre disposition pour poursuivre des débats que nous avons, pour l’essentiel, largement engagés, portant sur les structures présentes au sein de vos départements.
Je tiens à le souligner, nous faisons face à un enjeu de service public au sens large, puisqu’il peut être assumé par des professionnels libéraux ou par des professionnels salariés d’un service du secteur public.
L’idée de service public doit trouver son prolongement dans l’ancrage territorial, qui, si nous voulons penser l’avenir de notre système de santé, m’apparaît absolument nécessaire. C’est dans cet esprit que je présenterai, l’année prochaine, un projet de loi de santé publique, qui précisera la notion même de service public territorial de santé. C’est bien à l’échelle d’un territoire, dont il faut d’ailleurs déterminer les limites, que nous devons concevoir la mise en place des politiques de santé et de l’offre de soins, notamment. Je le répète, c’est dans cet esprit que sera élaborée la stratégie nationale de santé. Elle devra s’attacher à concevoir une offre de soins capable de prendre en compte les besoins d’une population donnée sur un territoire précis.
Comme je l’ai déjà dit, nous devons être conscients que le temps où il y avait un médecin par village est révolu. Il nous faut donc étudier la question des pôles de santé de proximité ou des maisons de santé pluriprofessionnelles – des lieux de relations entre professionnels de premier recours – et celle de leur articulation avec les hôpitaux, afin que leur action puisse correctement irriguer un bassin de vie.
Il faut que ces lieux soient accessibles : les malades doivent pouvoir s’y rendre et obtenir un rendez-vous rapidement. Je souscris pleinement à l’analyse qui a été faite au cours du débat : l’accessibilité de ces lieux ne se résume pas au nombre de kilomètres à parcourir pour s’y rendre, elle se mesure également au temps nécessaire pour y obtenir un rendez-vous. Cet enjeu me paraît tout à fait important.
J’ai entendu vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, et j’ai pu constater que de nombreuses mesures proposées dans le rapport rédigé par M. Maurey recoupaient celles du pacte territoire-santé. Vous avez plus particulièrement insisté sur certaines d’entre elles, que je mentionne pour mémoire.
La formation des médecins généralistes a été évoquée. Elle implique toute une série de transformations, y compris dans la manière de concevoir les maisons de santé pluriprofessionnelles.
Le travail en équipe a également été mentionné. J’y insiste à mon tour, car je suis convaincue qu’il y a là un enjeu majeur. Pour attirer les professionnels, il faut transformer les conditions d’exercice des métiers ; c’est ce que demandent les plus jeunes d’entre eux.
La question de la présence des hôpitaux de proximité a été abordée, qui ne se réduit pas à celle de l’implantation de la structure en tant que telle. Elle a également trait à la manière dont s’articule la prise en charge des malades entre les soins de premier recours, l’hôpital de proximité et le CHU pour les interventions plus lourdes.
Enfin, il a été discuté de la place de la télémédecine, qui est l’un des éléments de l’articulation que je viens d’évoquer, et de la coopération entre professionnels. Je ne m’attarderai pas davantage sur ces sujets, même s’ils me paraissent tout à fait essentiels.
D’autres points ont été soulevés, qui méritent sans doute d’être approfondis.
Vous avez indiqué, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il était nécessaire de garantir le rôle de la puissance publique régulatrice dans le choix des lieux d’installation des maisons de santé. Je crois tout à fait en cela. J’ai entendu les interrogations portant sur la pérennité du fonds chargé de financer ces projets. Je tiens à vous dire que nous avons mis en place un schéma régional d’investissement, qui doit pouvoir s’appliquer aussi aux maisons de santé.
L’idée, c’est que l’agence régionale de santé doit pouvoir identifier les territoires et investissements prioritaires, qu’ils soient hospitaliers ou de médecine de premier recours, de manière à s’attaquer au problème de la répartition territoriale, que j’évoquais il y a un instant. Il ne sert pas à grand-chose, en effet, de construire trois maisons de santé, ici considérées comme de simples projets immobiliers, dans un rayon de cinq ou dix kilomètres, si c’est pour n’en trouver aucune autre avant quarante kilomètres ! Nous devons concevoir une carte,…