Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il peut s’agir d’un contentieux de santé publique ou d’un contentieux de circulation routière, comme un blocage de la voie publique. Il peut aussi s’agir de contentieux particuliers qui concernent une portion de territoire. Le garde des sceaux peut donc faire des circulaires territoriales, voire des circulaires sectorielles ou thématiques.
À cet égard, M. Vial a eu le souci, hier, dans son intervention à la tribune, de présenter une demi-douzaine d’exemples. Mais, comme je le lui ai dit, toutes les situations qu’il a présentées avaient un caractère collectif et une dimension de trouble à l’ordre public. En l’occurrence, une circulaire convient parfaitement : elle permet de donner des instructions, y compris à un parquet général particulier, même si elle est diffusée partout. Elle peut en effet cibler ce ressort en précisant ce qu’il faut faire en cas de blocage des routes à l’occasion d’une grève. Par ce moyen, le garde des sceaux peut alors indiquer qu’il convient de faire diligence pour traiter le problème, ou de prendre du temps, notamment parce qu’une négociation est ouverte. Vous le voyez, il y a toujours des réponses possibles.
On peut avoir en tête, sans le dire expressément, l’intérêt supérieur de la Nation ou la lutte contre le terrorisme, comme le rapporteur l’a évoqué. Là aussi, une circulaire peut convenir, mais s’il y a une section qui fonctionne, c’est celle-là, bien qu’elle soit en compétence concurrente. Les intérêts de cette nature, qui touchent au fondement même de la société, seront toujours protégés, à moins de se trouver en présence d’un procureur ou d’un procureur général qui aurait complètement perdu la raison.
Je ne vois donc pas les situations particulières qui justifieraient des instructions individuelles, sans compter que nous avons d’autres instruments. On m’alerte sur le cas imaginable d’un procureur qui déciderait de ne pas poursuivre malgré les demandes du procureur général. Je rappelle que ce dernier peut donner des instructions individuelles et écrites qui sont versées au dossier. Si le procureur général dit de poursuivre par instruction écrite et que le procureur ne bouge toujours pas, alors, on avisera.
Imaginons que ce soit un contentieux qui fasse débat et qui agite l’espace médiatique : je veux bien imaginer qu’un procureur reste de marbre et ne bouge pas, cependant, même dans ce cas-là, le garde des sceaux n’a pas besoin de donner des instructions individuelles, puisque l’article 40 du code de procédure pénale lui permet d’introduire directement auprès du procureur un signalement sur ce fait, qui le contraindra à réagir.
Je le répète, je n’arrive pas à distinguer des cas qui justifieraient qu’on réintroduise les instructions individuelles.
En revanche, je vois bien les risques d’une telle réintroduction. Je veux bien croire que la suspicion sur la justice ne soit pas si prononcée, encore que je n’en suis pas si sûre, et que ce soit une question de moyens.
Je suis donc défavorable à cet amendement n° 1 rectifié. Mon argumentaire a été un peu long, mais, par respect pour vous, je me devais de développer notre position en faveur de la suppression des instructions individuelles, car elles contribuent à la défiance vis-à-vis de l’institution judiciaire. Une telle suppression, qui n’entraîne pas de désarmement de l’État, est sans danger. Il y aura toujours des possibilités de faire fonctionner la justice correctement.
M. le président. Madame la garde des sceaux, quelle est votre position sur les amendements nos 2 rectifié ter et 6 ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sur l’amendement n° 2 rectifié ter de M. Hyest, j’ai entendu les arguments de M. le rapporteur, qui a expliqué pourquoi la commission émettait un avis favorable, et je viens d’expliquer les raisons pour lesquelles le Gouvernement y est défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 6, qui vise à insérer les mots « sous quelque forme que ce soit »,…
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ça va de soi !
Mme Esther Benbassa. Je retire cet amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 6 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 17 ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. J’ai bien compris que l’amendement n° 4 rectifié était retiré et que le Gouvernement a déposé un amendement n° 17, qui correspond exactement à ce que j’avais proposé en commission au moment de l’élaboration du texte. J’ai été battu par la commission, notamment par mon groupe.
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est la raison pour laquelle, par la suite, la commission a tout de même donné un avis favorable à l’amendement de compromis de M. Mézard visant à insérer les mots « , sauf motif impérieux d’ordre public ».
À titre personnel, je peux être favorable à l’amendement n° 17, mais, je le répète, la commission l’avait refusé.
M. Jacques Mézard. Je retire l’amendement n° 7 rectifié bis, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 2 rectifié ter n’a plus d’objet. (M. Jean-Jacques Hyest opine.)
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
Le livre Ier du même code est ainsi modifié :
1° Au début de l’intitulé du livre Ier, sont insérés les mots : « De la conduite de la politique pénale, » ;
2° Dans l’intitulé du titre Ier, après les mots : « des autorités chargées », sont insérés les mots : « de la conduite de la politique pénale, ». – (Adopté.)
Article 1er bis
L’article 31 du même code est complété par les mots : « , dans le souci de l’intérêt général et dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ».
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit d’un amendement tendant à supprimer l’article 1er bis, introduit par l’Assemblée nationale, qui a pour objet de compléter l’article 31 du code de procédure pénale par les mots « , dans le souci de l’intérêt général et dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ».
Je rappelle simplement que ce projet de loi est complémentaire du projet de loi constitutionnelle – qui, j’en conviens, a changé d’allure et de contenu – pour ce qui concerne l’indépendance et, surtout, l’impartialité des conditions de jugement.
C’est dans cette logique d’indépendance et d’impartialité que nous supprimons les instructions individuelles et que nous réorganisons les relations entre le garde des sceaux et le ministère public.
L’Assemblée nationale, en votant cette disposition, qui est redondante, a surtout introduit une exigence dans un seul article, et qui ne concerne que le ministère public.
Or l’impartialité, nous l’attendons non seulement du ministère public, mais aussi des juges du siège. Nous prenons des dispositions d’ordre général qui créent les conditions d’impartialité pour le ministère public et pour les juges du siège.
À mon sens, il y a une véritable difficulté avec cet énoncé : soit on va chercher dans le code tous les articles auxquels il faudrait rajouter cette mention, soit on considère que l’exigence d’impartialité ne s’impose que dans ce cas-là.
Il paraît préférable de laisser la rédaction de l’article 31 sans cet ajout. C’est pourquoi le Gouvernement a présenté cet amendement de suppression.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Hyest, Vial et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer les mots :
, dans le souci de l'intérêt général et
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je vais aller moins loin que Mme la garde des sceaux, car je pense que la seule suppression de la mention de l’intérêt général suffisait. En tout cas, je voterai l’amendement du Gouvernement, qui me paraît raisonnable. Nous n’avons pas besoin de répéter partout que le juge doit prendre en compte l’intérêt général et l’impartialité, car cela va de soi. D’ailleurs, je pense que cette mention figure dans les règles de déontologie fixées et déclinées par le Conseil supérieur de la magistrature.
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
du principe d’impartialité auquel
par les mots :
des principes d’indépendance et d’impartialité auxquels
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. L’objet de l’amendement est de rattacher le principe d’indépendance au principe d’impartialité, mais le débat que nous venons d’avoir sur l’amendement de suppression déposé par le Gouvernement me laisse à penser que notre amendement tombera.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Au préalable, monsieur le président, je voudrais revenir au vote sur l’article 1er. Je ne demanderai pas, comme je pourrais le faire, une seconde délibération, car il y a une navette sur un projet de loi ordinaire. Néanmoins, je voudrais indiquer que M. Hyest aurait été bien inspiré de retirer son amendement n° 1 rectifié, qui a été voté, au profit de celui qui avait été adopté par la commission. Car le vote qui est intervenu a eu pour effet de supprimer totalement, dans l’article 30 du code de procédure pénale, toute référence à des instructions individuelles. La phrase n’existe plus. Donc, cela signifie que le garde des sceaux peut donner des instructions individuelles comme il veut, quand il veut, de la manière qu’il veut. Voilà ce que je voulais dire pour que ce soit inscrit dans le compte rendu intégral des débats. À mon sens, il faudra que ce point soit rectifié en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et ici. Cependant, si vous souhaitez une seconde délibération, je peux la demander, étant précisé qu’il ne faut pas prolonger notre débat au-delà de treize heures.
J’en viens à l’avis du Gouvernement sur les amendements présentés à l’article 1er bis.
Concernant l’amendement n° 15 du Gouvernement, la commission émet un avis favorable. Par conséquent, l’amendement n° 3 rectifié serait satisfait ou deviendrait sans objet. Il en va de même pour l’amendement n° 10, sur lequel l’avis de la commission est de toute façon défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 3 rectifié et 10 ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même avis, monsieur le président, parce que, effectivement, ces amendements seront satisfaits ou deviendront sans objet si l’amendement du Gouvernement est adopté.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je comprends très bien ce qu’a dit M. le rapporteur, mais si Mme la garde des sceaux avait accepté l’amendement n° 2 rectifié ter, j’aurais certainement retiré l’amendement n° 1 rectifié. Comme son refus a été catégorique, il fallait quand même prévoir in fine des possibilités d’instructions individuelles aux parquetiers. En effet, on en a connu de très spéciaux, qui n’en faisaient qu’à leur tête et qui se fichaient du tiers comme du quart de la politique pénale générale. Comme on n’ose pas sanctionner dans cet univers-là, il faut se garder la possibilité de se faire obéir par la voie des instructions générales.
Monsieur le rapporteur, compte tenu de la confusion dans laquelle nous nous trouvons depuis un certain nombre d’heures, qu’il s’agisse de nos débats en commission ou en séance publique, il n’est pas étonnant qu’arrive ce genre de pépin !
M. le président. En conséquence, l’article 1er bis est supprimé et les amendements nos 3 rectifié et 10 n’ont plus d’objet.
Article 2
Les deuxième et troisième alinéas de l’article 35 du même code sont ainsi rédigés :
« Il anime et coordonne l’action des procureurs de la République, tant en matière de prévention que de répression des infractions à la loi pénale. Il précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la justice au contexte propre au ressort. Il procède à l’évaluation de leur application par les procureurs de la République.
« Outre les rapports particuliers qu’il établit soit d’initiative, soit sur demande du ministre de la justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort. »
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement touche à un point extrêmement important.
Nous considérons que la loi pénale doit s’appliquer de façon égale sur l’ensemble du territoire de la République, cette République dont on a rappelé à bon droit qu’elle est une et indivisible.
En conséquence, la définition de la politique pénale ne saurait relever, pour nous, que du garde des sceaux. Nous contestons donc formellement les dispositions du projet de loi qui nous est soumis tendant à permettre aux procureurs généraux d’adapter les instructions générales du garde des sceaux et à chaque procureur de la République d’adapter les instructions générales déclinées par le parquet général. Ce pouvoir d’adaptation nous paraît tout à fait inacceptable.
On nous explique évidemment, exemples à l’appui, que ces adaptations viseront des criminalités particulières concernant des territoires particuliers et qu’il n’y a donc pas lieu de s’alarmer. Cependant, je ne suis pas non plus insensible aux explications que vient de donner Jean-Jacques Hyest – je n’aurai pas des mots aussi durs que les siens ! –, rappelant les comportements pour le moins originaux, voire « spécifiques », que l’on a pu observer dans certains parquets ! Il serait inopportun de donner, de par la loi, la possibilité à ces procureurs-là d’adapter les instructions générales qui leur sont transmises soit par le garde des sceaux, soit par le parquet général.
Pour nous, cette question est fondamentale, nous l’avons dit depuis le début de l’examen de ce texte et encore dans la discussion générale. Nos collègues députés l’ont rappelé devant l’Assemblée nationale, je le répète ici : nous ne pouvons pas transiger sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission a bien entendu les arguments de M. Mézard, mais elle a émis un avis défavorable sur cet amendement, car elle considère qu’il faut accorder aux procureurs généraux une certaine latitude et que cette faculté d’adaptation des instructions générales s’inscrit dans l’architecture du projet de loi.
Toutefois, si cet amendement était adopté, les procureurs généraux pourraient toujours appliquer les circulaires générales avec une certaine souplesse. En effet, le guide intitulé Principes directeurs - Parquets généraux, diffusé en 2008 par les services du ministère de la justice, précise que le procureur général doit s’efforcer d’accompagner les instructions du garde des sceaux « de sa propre analyse, de ses propres instructions, aux fins de mise en œuvre, sur le ressort de la cour d’appel, de cette politique d’action publique ». Les procureurs généraux disposent donc déjà d’une certaine marge de manœuvre.
Cela étant, je confirme que la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, même s’il entend bien la préoccupation exprimée par les signataires de l’amendement. J’y ai déjà répondu, mais M. Mézard ne veut pas se laisser convaincre !
Convenez cependant que la responsabilité des procureurs généraux existe depuis 1958. En tant que chefs hiérarchiques des procureurs, les procureurs généraux sont bien ceux qui répondent de l’animation et de la coordination de l’action publique dans le ressort de la cour d’appel et plusieurs procureurs de la République relèvent de leur responsabilité. Le procureur général n’est pas un supérieur honoraire dont le rôle, certes prestigieux, se limiterait à représenter l’institution dans des événements mondains ! Il exerce réellement des responsabilités.
C’est ainsi le procureur général qui transmet le rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort. C’est lui qui répond de l’exécution de la politique pénale. Il ne se contente pas, à la fin de l’année, de constater ce qui s’est passé, il anime l’action des parquets tout au long de l’année. Il décline donc la politique pénale du garde des sceaux, qui, lui, reste responsable pour l’ensemble du territoire national.
Lorsque je vous ai présenté ce projet de loi, je vous ai expliqué que nous n’avions pas souhaité modifier l’ordonnance de 1958. Je pensais avoir été claire sur ce point. Il peut certes apparaître légèrement contradictoire d’accepter le lien hiérarchique entre le procureur de la République, le procureur général et le garde des sceaux et, en même temps, de travailler à renforcer l’indépendance des parquets. Malgré tout, l’institution judiciaire française reste cohérente, avec certes son architecture particulière, et nous n’avons pas voulu mettre à bas cette cohérence.
Avec ce projet de loi, nous supprimons les instructions individuelles, nous renforçons la responsabilité du garde des sceaux, donc de l’exécutif, en matière de politique pénale et nous nous référons en plus à l’article 20 de la Constitution : il ne s’agit donc pas d’une responsabilité fantaisiste ni d’une responsabilité quinquennale ; nous parlons de la responsabilité intemporelle de l’exécutif, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le garde des sceaux se réfère à l’ordonnance de 1958 pour éviter que les ressorts des cours d’appel ne deviennent des fiefs où chaque procureur général déterminerait à la fois les conditions d’accès à la justice, les orientations pénales, la politique pénale, etc.
Lorsqu’un territoire présente des caractéristiques particulières, le garde des sceaux peut diffuser une circulaire s’appliquant à ce territoire : j’en suis à ma cinquième circulaire territoriale, mesdames, messieurs les sénateurs !
Lorsque nous avons délimité les périmètres des zones de sécurité prioritaires, par exemple, nous avons déterminé des secteurs géographiques, mais nous nous sommes aussi préoccupés de la nature des contentieux. Ma circulaire pénale générale indique comment traiter l’ensemble des contentieux, comment choisir les procédures, les poursuites, etc. Toutefois, dans un même ressort de cour d’appel, les parquets peuvent être confrontés à des types de délinquance bien différents. Il revient alors au procureur général, dans le cadre strict de la circulaire générale d’orientation, d’en nuancer l’application afin que, sur l’ensemble du ressort, le traitement ne soit pas le même, puisque les délinquances ne sont pas les mêmes. Rien de plus, mesdames, messieurs les sénateurs ! Le procureur général ne va pas au-delà de la circulaire générale, mais celle-ci est pensée pour l’ensemble du territoire national et peut donc être déclinée de manière particulière pour une partie plus ciblée de ce territoire.
Je prendrai l’exemple des GLTD, les groupes locaux de traitement de la délinquance. Ce sont des structures strictement judiciaires mises en place à titre temporaire par le procureur pour associer tous les acteurs qui interviennent sur la juridiction. Ces GLTD sont autant de déclinaisons de la politique pénale ; ils permettent de consacrer un effort particulier pendant un temps donné pour combattre et éradiquer un type de délinquance particulier qui perturbe considérablement la vie d’un territoire particulier.
J’ai bien conscience d’avoir été un peu longue, monsieur le président, et peut-être même abusivement explicative ! (Sourires.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 11, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le procureur général adresse au ministre de la justice un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 13.
M. le président. Je suis en effet saisi d’un amendement n° 13, également présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout rapport particulier doit être versé au dossier de la procédure. »
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. Ces amendements s’inscrivent dans la même logique que celle qui inspirait la suppression des instructions individuelles, même si les rapports particuliers ne peuvent pas leur être assimilés.
Le premier tend à supprimer la première partie de l’alinéa 3 de l’article 2, qui fait référence à la transmission des rapports particuliers.
Le second est un amendement de repli : si la transmission des rapports particuliers devait être maintenue, il conviendrait alors que ces rapports soient versés au dossier de la procédure.
Je ne développerai pas davantage la comparaison avec les instructions dans les affaires individuelles, puisque leur interdiction n’a pas été adoptée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’essaierai d’être brève, mais claire.
Madame Cukierman, les rapports particuliers sont nécessaires, d’autant plus que ce projet de loi a pour objet de reconnaître la responsabilité des procureurs généraux dans le ressort de leur cour d’appel et des procureurs de la République dans leur parquet. Le garde des sceaux restant responsable tant de la politique pénale que du fonctionnement du service public de la justice, il faut qu’il soit informé, ne serait-ce que pour prendre un certain nombre de décisions utiles au bon fonctionnement des juridictions.
Les rapports particuliers ne peuvent pas être versés au dossier de la procédure, pour la simple raison qu’ils ne sont pas liés à la procédure. En général, ils interviennent même après.
Par exemple, lorsque le Conseil constitutionnel a abrogé les dispositions législatives relatives au harcèlement sexuel, j’ai interrogé les parquets généraux pour qu’ils m’indiquent comment ils avaient requalifié les faits, mais je ne me suis pas immiscée dans les procédures en essayant d’orienter les réquisitions. Concrètement, les parquets avaient enregistré un certain volume de plaintes et la décision du Conseil constitutionnel provoquait la suppression de l’incrimination : une circulaire a demandé, dans un premier temps, d’envisager une requalification des faits afin d’éviter l’abandon pur et simple des poursuites, puis les parquets ont été invités à expliquer combien de requalifications étaient intervenues et sur quelles bases.
Ce type de rapport n’a donc pas à figurer au dossier, puisqu’il ne représente aucun intérêt pour la procédure. En revanche, ces rapports particuliers sont nécessaires à l’information du garde des sceaux : dans le cas que j’ai cité, ils m’ont permis de renseigner la représentation nationale et d’ajuster les dispositions du projet de loi créant la nouvelle incrimination. Dans la circulaire d’application que j’ai diffusée après l’adoption de la nouvelle loi, j’ai pu mettre en garde les parquets contre le risque de sous-qualification, notamment afin d’éviter que le viol ne soit requalifié en tentative d’agression sexuelle ou en agression sexuelle.
Voilà à quoi servent ces rapports particuliers !
De même, pour organiser le procès des prothèses mammaires PIP, à Marseille, nous avons dû prendre un certain nombre de dispositions urgentes et coûteuses, du fait du nombre des victimes, qui est de surcroît passé de trois mille à six mille. Il m’a fallu réunir des financements afin de trouver un nouvel espace pour accueillir l’audience.
Les rapports particuliers sont donc indispensables pour le bon fonctionnement du service public de la justice et je vous demande donc de retirer vos amendements, madame la sénatrice.
M. le président. Madame Cukierman, les amendements nos 11 et 13 sont-ils maintenus ?
Mme Cécile Cukierman. Non, je les retire, monsieur le président. Par cohérence, je retire également les amendements nos 12 et 14, à l’article 3.
M. le président. Les amendements nos 11 et 13 sont retirés.
La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote sur l’article.
M. Jacques Mézard. L’amendement que nous avions déposé était tout à fait fondamental à nos yeux. Puisqu’il n’a pas été adopté, nous ne pourrons pas voter cet article.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis (nouveau)
À l’article 36 du même code, les mots : « telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes » sont remplacés par les mots : « réquisitions écrites conformes aux instructions générales prévues à l’article 30 ».
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Introduit par la commission des lois du Sénat, cet article 2 bis nouveau illustre le souci d’enfermer les réquisitions du procureur général dans un cadre strict ; je le comprends d’autant plus qu’il est en cohérence avec l’amendement que nous avons examiné à l’instant. J’indique, toutefois, que le procureur général ne peut pas aller au-delà des instructions données par le garde des sceaux.
Dans la mesure où nous sommes dans un système d’opportunité des poursuites, la rédaction actuelle du code de procédure pénale me paraît convenir.
Pour cette raison, je demande la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. L’amendement du Gouvernement vise à supprimer un article qui avait été adopté par notre commission des lois. Aujourd’hui, l’épure est différente, puisque les instructions individuelles n’existent même plus à l’article 30 du code de procédure pénale.
À titre personnel, et compte tenu des débats, j’estime que l’amendement du Gouvernement est opportun, même si la commission l’avait repoussé lors de la rédaction du texte.
M. le président. En conséquence, l'article 2 bis est supprimé.
Article 3
L’article 39-1 du même code devient l’article 39-2 et l’article 39-1 est ainsi rétabli :
« Art. 39-1. – En tenant compte du contexte propre à son ressort, le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général.
« Outre les rapports particuliers qu’il établit soit d’initiative, soit sur demande du procureur général, le procureur de la République adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion de son parquet. »
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 39-1. – Le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice.
La parole est à M. Jacques Mézard.