M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les projets de loi que nous examinons aujourd’hui visent à assurer la transparence et le contrôle des patrimoines des responsables publics. Ils se veulent un élément de réponse aux aveux de l’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac, sur ses comptes bancaires détenus à l’étranger.
Pour autant, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, cette question n’est pas nouvelle. Certes, beaucoup trop d’affaires ont terni la réputation et la confiance du peuple envers le monde politique. Ces affaires sont aujourd’hui autant de fractures entre élus et citoyens, et elles nourrissent un réel désenchantement populaire à l’égard de la politique et de la chose publique.
Ainsi, à chaque affaire, sans remonter à 1971 et encore moins à 1793,…
M. Gérard Longuet. Parlons de Panama !
Mme Éliane Assassi. … le besoin s’est fait sentir de renforcer la moralisation de la vie publique. À ce titre, on peut citer les affaires liées au financement des partis politiques et des campagnes électorales au cours des années quatre-vingt, qui ont conduit à l’adoption d’une première loi en 1988, sous le gouvernement de Jacques Chirac, avant qu’un nouveau texte ne soit voté en 1990, sous le gouvernement de Michel Rocard.
On peut citer aussi, en 2010, la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, qui avait été créée au plus fort de l’affaire Woerth-Bettencourt. Dans son rapport, la commission avait, notamment, proposé une loi de déontologie, le renforcement des incompatibilités et de nouvelles interdictions de cumul des fonctions. Un projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique a été présenté au conseil des ministres le 27 juillet 2011, mais il n’a jamais été discuté au Parlement.
Ainsi, remis une nouvelle fois au goût du jour, sous l’impulsion de l’actualité politique, les textes dont nous allons débattre s’inspirent des rapports de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, et du rapport d’information du groupe de travail pluraliste de nos collègues de la commission des lois, présidé par Jean-Jacques Hyest et auquel a participé l’ancienne présidente de notre groupe, intitulé Prévenir effectivement les conflits d’intérêts pour les parlementaires.
« Stupeur et tremblements », donc, après l’affaire Cahuzac, bien que l’on ait pris soin de nous préciser qu’il s’agissait des errements d’un individu, de la dérive personnelle d’une espèce de « loup solitaire de l’évasion fiscale » ! À la suite de ces révélations, le Président de la République soulignait que le mensonge d’un ministre était « un outrage fait à la République » et qu’il fallait prendre toutes les décisions qui renforceraient la volonté de construire une République exemplaire.
Ainsi donc, la promesse de campagne de François Hollande d’établir une République exemplaire se trouvant fortement ébranlée, l’objectif a été double : d’abord, insister sur le fait que seul un homme porte la responsabilité du scandale, renvoyant ainsi à l’idée d’une faille personnelle et non à une faille du système ; ensuite, renforcer le système existant afin qu’une défaillance personnelle ne puisse pas, de nouveau, venir « entacher » le système et, par là même, cette République exemplaire tant promise !
C’est avec ce double objectif que le Président de la République affichait l’ambition « de lutter de manière impitoyable contre les conflits entre les intérêts publics et les intérêts privés », en assurant la publication et le contrôle des patrimoines des ministres et de tous les parlementaires. S’est ensuivie la publication du patrimoine de nos ministres !
Ensuite sont arrivés ces textes, dont l’objet est de doter la France « de moyens effectifs de prévention, de contrôle et de sanction du non-respect des obligations de probité et d’intégrité qui s’imposent à tous ceux qui exercent des responsabilités publiques ».
Je voudrais m’arrêter sur un point. La multiplication récente des « affaires » montre que le fonctionnement de la Ve République est arrivé à bout de souffle : cette République est malade !
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. Trop de concentration de pouvoir dans l’exécutif, dévalorisation du Parlement, peu ou pas de place donnée à la souveraineté populaire et à l’initiative citoyenne : la Ve République a oublié que le contrat social repose aussi sur un accord implicite, en vertu duquel les gouvernés d’un jour peuvent être les gouvernants de demain. Un fossé inquiétant s’est donc creusé, fossé qui révèle une défiance de la population envers ceux qui la représentent et envers le Gouvernement.
Mes chers collègues, savez-vous qu’aujourd’hui 17 % seulement des Français pensent que les responsables politiques se préoccupent de gens comme eux ; ils sont donc plus de 80 % à penser que les responsables politiques ne se préoccupent pas d’eux ! Pourquoi ?
Beaucoup de choses se disent et s’écrivent au sujet de cette perte de confiance : manque de courage ou impuissance des gouvernants face aux puissants lobbies industriels, économiques ou financiers ; dispersion des lieux de prise de décision qui rend plus complexe l’accès aux informations et la maîtrise de ces décisions par le citoyen ; instrumentalisation de la démocratie représentative, devenue le lieu d’un nouveau marché où l’image, la volonté de se démarquer, la lutte pour les postes et l’espérance du gain l’emportent sur la vertu civique ; accélération des phénomènes de crise économique et financière qui favorise l’émergence d’une nouvelle catégorie de dirigeants, plus proches du chef d’entreprise que du chef de parti.
Oui, maintes causes sont avancées pour tenter de trouver des raisons à cette crise, mais la cause essentielle ne trouve-t-elle pas sa source dans la défiance de nos concitoyens à l’égard du personnel politique, dès lors que celui-ci ne met pas en œuvre les choix qui ont permis son élection ?
Cette défiance et cette non-réponse aux besoins populaires favorisent ce que certains, en d’autres temps, appelaient une « pédagogie du renoncement » qui, à son tour, favorise le repli sur soi, l’individualisme et l’abstention des électeurs, sans évoquer ici le vote en faveur du Front national. Fondamentalement, c’est bien la question de la démocratie, voire d’un changement en profondeur de culture politique et citoyenne, qui se pose aujourd’hui.
Il faut l’admettre, l’actualité politique reflète bel et bien le dérèglement du système capitaliste qui fait du développement de la finance, de l’argent et de l’accumulation, un but en soi, un jeu normal du système. Elle montre également qu’il existe aujourd’hui une collusion trop importante entre le monde politique et le monde financier. À cela, s’ajoute un affaiblissement patent du rôle du Parlement, ce qui n’aide en rien à maintenir le lien entre élus et citoyens.
Ainsi, tout en incriminant les facteurs extérieurs à notre monde politique pour expliquer la crise dans laquelle s’enfonce notre démocratie, il faut non seulement proposer des solutions pour redynamiser l’implication des citoyens, mais aussi être intransigeants à l’égard du monde politique, c’est-à-dire, mes chers collègues, vis-à-vis de nous-mêmes. En outre, nous devons, pour redonner confiance au peuple, mettre fin à la collusion que j’évoquais et aux pratiques contraires à l’intérêt général !
C’est en ce sens que nous nous devons d’envoyer un signal fort pour lutter contre la fraude fiscale, la délinquance financière et l’évasion fiscale. Comme le dit Transparency International France : « La transparence n’est pas une fin en soi. Elle doit permettre l’exercice d’un contrôle citoyen. Elle est aussi un outil devant contribuer à restaurer la confiance des Français envers leurs élus et leurs institutions. »
Chacun conviendra que la mise en place de dispositifs de prévention, de contrôle et de sanction aux manquements des obligations d’intégrité doit s’imposer à tous ceux qui exercent des responsabilités publiques, car il s’agit, je le répète, d’une exigence démocratique.
À ce titre, nous nous félicitons que soit remis à l’ordre du jour le principe de transparence. En ce sens, ces projets de loi constituent une avancée, avec différentes obligations désormais imposées pour empêcher concrètement les conflits d’intérêts : le renforcement des incompatibilités applicables tant aux élus qu’aux agents publics, l’obligation de déport ou de décharge de fonction, le durcissement et l’extension des règles de « pantouflage ».
De même, la généralisation et la précision du contenu des déclarations d’intérêts et de patrimoine favoriseront l’efficacité des dispositifs proposés. Pour les déclarations de patrimoine, le droit de consultation ouvert aux citoyens est une solution que je qualifierai d’équilibrée, car elle permet de concilier la nécessaire transparence et le respect de la vie privée.
Pour autant, avec mon groupe, je m’efforcerai tout au long de l’examen de ces textes de démontrer qu’ils ne vont pas suffisamment loin. Ils font, entre autres, abstraction de la question du lobbying, pourtant étroitement liée à celle des conflits d’intérêts. S’agissant de l’obligation de déport, elle était trop limitée dans le texte initial du projet de loi, puis a été supprimée en commission : nous la réintroduirons par voie d’amendement, dans les termes du texte initial, mais en l’étendant encore.
Quant à la Haute Autorité de la transparence de la vie publique, elle n’est pas, pour l’heure, dotée de moyens d’action suffisants.
Nous sommes, bien évidemment, favorables à l’introduction dans notre droit d’une définition du concept de conflit d’intérêts. Jusqu’à présent, le caractère imprécis et fragmenté de cette notion, non définie par un texte législatif en droit français, ne permettait pas d’élaborer une véritable politique de prévention des conflits, construite sur une base juridique solide.
Cependant, nous pensons que la définition proposée ici n’est pas encore suffisamment précise.
Nous avons bien conscience que la notion de « conflit d’intérêts » est à la fois subjective et évolutive, en fonction des situations susceptibles de se présenter et de l’expression des attentes collectives. Il nous paraît regrettable que la définition donnée par M. Jospin ait été préférée à celle qui avait été choisie dans le cadre du rapport Sauvé.
Cette dernière détermine, en effet, de manière plus pertinente le champ du conflit d’intérêts au travers de la définition de l’intérêt privé : « l’intérêt privé d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public s’entend d’un avantage pour elle-même, sa famille, ses proches ou des personnes ou organisations avec lesquelles elle entretient ou a entretenu des relations d’affaires ou professionnelles significatives, ou avec lesquelles elle est directement liée par des participations ou des obligations financières ou civiles ». Cette définition permettrait une application plus effective.
S’agissant de la Haute Autorité, son rôle doit être essentiel. Il est plus que nécessaire de s’assurer que l’élu ne s’est pas anormalement enrichi pendant l’exercice de son mandat.
L’exemple de la Commission pour la transparence financière de la vie politique le démontre, elle qui n’a jamais disposé de moyens de contrôle ou de sanction pour agir efficacement !
Depuis sa création, en 1988, elle a traité 10 000 dossiers – de ministres, de parlementaires, d’élus locaux, de dirigeants d’entreprise publique ou d’office HLM –, mais n’a découvert que quelquefois des éléments suffisamment douteux pour justifier une transmission au parquet, « sans que cela ne puisse rien donner », regrettent ses services.
D’ailleurs, Christian Pierre, l’un des anciens membres de cette commission, qui l’a quittée en 2009, avait précisé : « Elle ne contrôle rien. Elle ne détecte rien. Et ne sanctionne rien. Donc pratiquement, elle ne sert à rien. » Pourquoi la structure existante n’a-t-elle pas été renforcée ?
Ainsi, c’est à juste titre qu’on peut s’inquiéter des possibilités dont disposera la Haute Autorité de la transparence de la vie publique pour garantir une lutte effective contre les conflits d’intérêts et les défaillances.
Nous devons donc la renforcer en lui octroyant les moyens matériels et humains garants de son efficacité si on s’entend, bien évidemment, sur l’objectif à atteindre : en faire la clé de voûte du mécanisme de contrôle de l’intégrité des responsables publics.
Certaines autorités administratives indépendantes, telles que l’Autorité des marchés financiers, l’Autorité de contrôle prudentielle ou encore la Commission de régulation de l’énergie disposent, quant à elles, de moyens d’enquête et de sanction.
Sans moyens humains et matériels pour mener à bien ses missions, la Haute Autorité sera, à coup sûr, une nouvelle version de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Par conséquent, elle ne servirait à rien !
Il lui faut des moyens matériels, au travers, notamment, de la création de moyens d’enquête propres, comme cela existe pour l’Autorité des marchés financiers. Il faut aussi lui octroyer la possibilité d’enjoindre l’administration fiscale à transmettre tous les éléments dont elle pourrait disposer.
Cela revient, en outre, à faire sauter le filtre politique du bureau de l’Assemblée nationale, ce qui offrirait une plus grande force démocratique.
Enfin, on ne peut que regretter l’absence dans ces projets de loi de la question du lobbying, qui est pourtant plus qu’étroitement liée à celle des conflits d’intérêts.
En dehors de l’incompatibilité du mandat parlementaire avec l’exercice d’activités de conseil, et malgré quelques initiatives en commission des lois, aucune vraie réflexion n’a été engagée en matière d’encadrement du lobbying.
Si l’écoute de tous les acteurs de notre société est nécessaire, voire essentielle, à l’élaboration des décisions publiques, les échanges entre les élus et les groupes d’influence doivent être menés de manière déontologique et transparente pour les citoyens. Or, nous le savons tous ici, il n’en est rien. L’actualité récente est là pour le démontrer ! Il est donc urgent que la France leur impose – pour le moins, et je suis gentille ! – des contraintes.
La transparence ne doit et ne peut pas être un vain mot, un vain concept pour le pouvoir en place, quel qu’il soit !
Comme l’a dit André Malraux, « la vérité c’est d’abord ce que l’homme cache » : efforçons-nous toujours de contraindre le pouvoir à sa manifestation. Mes chers collègues, la transparence est à ce prix ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons terminé nos travaux la semaine précédente avec un projet de loi constitutionnelle sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM. Nous les débutons cette semaine avec un projet de loi sur la transparence de la vie publique. À première vue, pas de lien évident entre les deux textes.
Pourtant, qu’est-ce qui a conduit le Gouvernement à soumettre au Parlement, en priorité, le texte portant réforme du CSM ? Quelle est la véritable raison d’être du texte sur la transparence ? Cela a déjà été dit à cette tribune, c’est une seule et même affaire : l’affaire Cahuzac !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Henri de Raincourt. Il aura marqué son passage !
M. François Zocchetto. Je l’ai rappelé mercredi dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi constitutionnelle, il s’est agi d’opérer un amalgame déduisant d’un prétendu manque d’indépendance de la justice, qu’aurait révélé l’affaire Cahuzac, la nécessité de réformer d’urgence le Conseil supérieur de la magistrature.
Ce ne fut pas une réussite, monsieur le ministre. N’avez-vous pas annoncé vous-même, à l’issue du vote du Sénat de jeudi dernier qui ne vous convenait pas, que la réforme était purement et simplement suspendue ?
Nous le regrettons, car le vote du Sénat n’est pas à prendre à la légère quand on sait l’urgence qu’il y a à renforcer le statut des magistrats du parquet.
Revenons aux projets de loi sur la transparence que vous nous présentez aujourd’hui. Là, plus de faux-semblants : il s’agit bien d’une « réforme Cahuzac » ! Certains ont même parlé, dans nos rangs, d’une opération de blanchiment de l’affaire Cahuzac !
M. Charles Revet. C’est sans doute vrai !
M. François Zocchetto. Bien sûr, M. Cahuzac n’est pas cité nommément dans l’exposé des motifs des projets de loi, mais la toute première phrase de ce dernier est assez éclairante : « Le Gouvernement a décidé d’accélérer les travaux qui avaient été entrepris pour rénover le cadre de la lutte contre les conflits d’intérêts dans la vie publique. » On se demande bien ce qui a pu susciter cette « accélération » des travaux, si ce n’est l’affaire Cahuzac !
On ne trouve pas plus de traces de Jérôme Cahuzac dans le rapport de l’estimé Jean-Pierre Sueur ! On préfère, bien sûr, faire référence, dès les premières lignes, à Saint-Louis, à Philippe IV ou encore à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! La véritable justification de la réforme est ainsi peu mise en avant par la majorité : on peut la comprendre.
La confiance de nos concitoyens dans la classe politique était déjà bien timide. Les mensonges de votre ancien ministre du budget ont eu sur elle un effet dévastateur.
Quelle a été votre réponse ? Plutôt que de reconnaître l’inutilité de la fameuse Charte de bonne conduite du Gouvernement, qu’on a oubliée au passage, vous avez décidé de mieux masquer le malaise qui est le vôtre en jetant l’opprobre sur tous les responsables politiques, voire sur les responsables publics, et en lançant le jeu dangereux de celui qui lavera plus blanc que blanc ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Je le reconnais, les deux projets de loi poursuivent néanmoins un large chantier ouvert par la précédente majorité, chantier que nous ne refusons certainement pas d’aborder. La réflexion a été ouverte il y a plus de deux ans déjà, dans le cadre des travaux du rapport de Jean-Marc Sauvé. Nous aurions souhaité ne pas être contraints de légiférer sous le coup de l’émotion,…
M. Antoine Lefèvre. … et dans l’urgence !
M. François Zocchetto. … encore moins dans le cadre de la procédure accélérée.
Nous aurions préféré ne pas légiférer en réaction aux manquements graves d’un de vos ministres, alors que vous avez si souvent reproché à vos prédécesseurs d’agir sous le coup de l’émotion.
Qu’elles soient de nature organique ou ordinaire, je distingue deux catégories dans les dispositions que vous nous proposez, monsieur le ministre. Il y a, d’une part, très clairement ce qui concerne la situation patrimoniale et la déclaration à laquelle vous voulez soumettre les élus. Il y a, d’autre part, la prévention des conflits d’intérêts.
Selon nous, ces deux sujets appellent des approches et surtout des réponses bien différentes.
Pour ce qui concerne la déclaration de la situation patrimoniale, la voie dans laquelle vous nous engagez ne mène à rien. Je le dis clairement, je ne vois pas l’intérêt qu’il y a à produire les déclarations, ni pour le législateur, ni pour la justice, ni pour nos concitoyens !
Les seuls, à mon sens, qui doivent se réjouir d’avance de ce type de proposition, c’est une certaine catégorie de journalistes, et on peut les comprendre ! Que d’articles déjà tout prêts, décrivant par le menu le patrimoine de M. le maire ou de Mme la sénatrice ! (Marques d’approbation sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Quel bénéfice pour notre vie démocratique ? Aucun puisque règnera le soupçon plutôt que la confiance entre les citoyens et les élus ! Vous savez très bien que toute déclaration sera sujette à caution de la part de nos concitoyens !
En fait, la seule chose qui présente un réel intérêt si l’on s’attache à l’examen du patrimoine d’un élu ou d’un responsable public, c’est un éventuel enrichissement injustifié et donc suspect. Dans cette hypothèse, rendre publique une variation inexpliquée du patrimoine d’un élu aura un effet positif. Nous vous proposerons des amendements dans ce sens.
Le dispositif que vous nous proposez est tout autre. Le premier effet garanti de votre système sera de susciter une certaine forme de voyeurisme, de curiosité malsaine.
M. Charles Revet. Oui !
M. François Zocchetto. Que penser alors de la pseudo publicité des déclarations de situation patrimoniale inventée par l’Assemblée nationale ? À quoi cela servira-t-il de pouvoir consulter sans pouvoir publier ? Je le dis clairement, nos collègues députés ont inventé une véritable usine à gaz ingérable, ou plutôt une usine à fabriquer de la rumeur et du soupçon ! Rien de pire que d’entretenir l’une et l’autre à l’encontre des élus !
Votre majorité a tenté de trouver un compromis malheureux entre l’idée de départ de publicité intégrale, qu’elle a refusée – car c’est bien le groupe socialiste qui a refusé la publication des patrimoines –, et la gêne réelle qu’elle éprouvait à ouvrir la voie au voyeurisme, donc à une certaine forme de populisme, ce dont tout le monde a bien conscience !
Voilà comment nous en sommes arrivés à cette brillante idée d’une déclaration qui ne serait consultable qu’en préfecture. Consultable mais pas diffusable ! Cette diffusion serait un délit. Du moins était-ce ce que prévoyait le texte avant son passage en commission des lois. Notre rapporteur a cru bon de maintenir cette interdiction de diffusion, mais il l’a privée de toute sanction de nature pénale.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je n’ai pas maintenu l’interdiction ! Elle est supprimée.
M. François Zocchetto. Alors la confusion est encore plus grande !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Elle est supprimée !
M. Alain Gournac. Tout va mieux alors !
M. François Zocchetto. Plus personne ne s’y retrouve !
Quoi qu’il en soit, pour rétablir la confiance entre les citoyens et les élus, un autre choix serait préférable !
Si vous considérez que la publicité des déclarations est nécessaire, il n’y a qu’une seule solution pour atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé : la publication sans réserve au Journal officiel de l’intégrité des déclarations. Si vous nous obligez à suivre votre logique, nous défendrons, avec Michel Mercier et un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC, un amendement visant à mettre en œuvre cette solution. J’espère qu’il sera adopté et que le groupe socialiste le votera. Ce sera le seul moyen d’éviter un système incohérent, irréaliste et qui continuera à jeter un peu plus le soupçon sur les responsables politiques. On verra bien si le groupe socialiste suit le Gouvernement !
En ce qui concerne les conflits d’intérêts, les choses sont différentes, on aborde là une vraie question. Autant le sujet des déclarations est peu intéressant, autant celui-ci mérite que l’on s’y attarde longuement, en tous cas plus longtemps que ce ne fut le cas jusqu’à présent.
La question qui se pose est la suivante : peut-on concilier l’exercice passé, actuel et futur d’une activité privée – je parle bien d’activité, et non de profession – avec un mandat public ?
Une première approche, radicale, serait de considérer que cela est impossible. Une telle interdiction absolue, au-delà de son caractère inconstitutionnel, serait évidemment un recul démocratique et aurait vocation à créer une classe, voire même une caste, politique, parfaitement décalée par rapport aux réalités économiques et sociales de notre pays.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. François Zocchetto. La seconde approche est celle qui organise une concomitance entre mandat public et activité privée.
Organiser un système déclaratif est la bonne idée. D’ailleurs, le Sénat n’a pas attendu le Gouvernement puisque nous remplissons déjà, depuis un bon moment, une déclaration d’intérêts publiée sur le site internet du Sénat.
Tous les citoyens peuvent consulter les déclarations d’activité et d’intérêts des sénateurs et de leurs proches. Nous n’avons donc pas de leçons à recevoir sur ce sujet !
Cette question de la prévention du conflit d’intérêts pose aussi le problème du renouvellement et du recrutement de notre classe politique. À force de stigmatiser les parlementaires et les élus, nous connaîtrons bientôt – et c’est déjà le cas ! – de graves difficultés de recrutement. On ne voit pas comment, demain, un agriculteur, un artisan, un cadre du privé ou du public, ou une personne exerçant une activité libérale, accepterait de s’engager dans la vie politique, au vu des contraintes toujours plus fortes que l’on entend faire peser sur les élus. Ce n’est pas de la politique fiction !
M. Charles Revet. Non ! Il est bon de le rappeler...
M. François Zocchetto. Je rappelle que, lors du dernier renouvellement, la moitié des nouveaux députés était constituée de professionnels de la politique,...
M. Charles Revet. C’est que veulent les socialistes !
M. François Zocchetto. ... c’est-à-dire des personnes issues des partis politiques ou des cabinets ministériels.
Ce problème se fait de plus en plus présent, et le Sénat n’est pas à l’abri de cette évolution.
M. Henri de Raincourt. Hélas !
M. François Zocchetto. La question que nous devons nous poser, mes chers collègues, est simple : à quoi doivent ressembler les élus de demain ?
Disons les choses plus clairement : si l’on met bout à bout l’ensemble des réformes que vous nous proposez, entre les déclarations tous azimuts et le non-cumul des mandats, on voit aisément quel sera le visage, par exemple, de l’Assemblée nationale.
Votre texte conforte la voie fatale qui fera de l’Assemblée nationale, en particulier, et du Parlement, en général, des chambres de fonctionnaires élus, comparables à ce qui existait, entre autres, sous le règne de Louis-Philippe, durant la Monarchie de Juillet.
M. Jean-Michel Baylet. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Exact !
M. Charles Revet. C’est ce que les socialistes veulent !
M. François Zocchetto. Cette catégorie que l’on peut, pour le coup, qualifier de « caste politique », sera principalement composée d’anciens membres de cabinets, d’apparatchiks des partis politiques, voire peut-être de quelques hauts fonctionnaires qui n’auront fait que de la politique.
M. Éric Doligé. Et de retraités...
M. François Zocchetto. Au mieux, on peut espérer quelques retraités du secteur privé pour représenter a minima la société active...
M. Jean-Michel Baylet. On est sauvé ! (Sourires.)