M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens toujours, par correction et par égard pour les parlementaires, à remercier les intervenants au terme de la discussion générale et à répondre à leurs éventuelles interrogations et observations, indépendamment de ce que j’ai pu dire dans mon intervention liminaire.
Je remercie donc Mmes Benbassa et Cukierman de leurs interventions et de la manière dont elles ont souligné le lien existant entre la logique de ce projet de loi et celle du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature. En effet, c’est bien ainsi qu’il faut lire ces textes. D’ailleurs, en 1998 et 1999, des textes similaires avaient été présentés par Élisabeth Guigou, garde des sceaux, et la non-convocation du Congrès avait conduit à l’abandon des modifications concernant les instructions individuelles prévues par l’article 30 du code de procédure pénale.
Monsieur Mercier, vous êtes intervenu avec encore plus de punch que d’habitude ! (Sourires.) Vous avez surtout rappelé que ce projet de loi comportait des dispositions claires. À ce titre, le moment me semble venu de redire, un peu plus sommairement sans doute que précédemment, que nous ne touchons pas aux rapports hiérarchiques, car nous ne modifions pas l’article 5 de l’ordonnance de 1958.
Il n’y a donc pas lieu de jeter la suspicion sur un parquet « lâché dans la nature » et « livré à lui-même », parce que le texte du projet de loi est très clair sur ce point. Contrairement à ce que vous nous reprochez, le Gouvernement assume totalement sa responsabilité en matière de politique pénale.
Pour répondre à M. Baylet sur ce point, je rappellerai qu’il n’y avait pas eu de circulaire générale de politique pénale depuis plusieurs années et que nous avons tenu à en élaborer une et à la diffuser dès le 19 septembre 2012.
Cette circulaire générale indique bien les orientations et les principes directeurs de la politique du Gouvernement. En nous appuyant sur l’article 20 de la Constitution, qui rend l’exécutif responsable de la conduite des politiques de la Nation, donc des politiques publiques, nous réaffirmons dans cette circulaire générale de politique pénale et dans la nouvelle rédaction de l’article 30 du code de procédure pénale la responsabilité du garde des sceaux en matière de politique pénale sur l’ensemble du territoire.
Il ne s’agit donc pas de dessaisir l’exécutif de cette politique pénale : au contraire, nous énonçons clairement ce principe de responsabilité, et pour la première fois ! Dans la rédaction actuelle de l’article 30 du code de procédure pénale – introduite par la loi du 9 mars 2004 –, le garde des sceaux « conduit la politique d’action publique » et il ne s’engage pas du tout sur la politique pénale. Non seulement il ne s’y engage pas dans l’article 30, mais il ne s’y engage pas non plus par circulaire générale puisque, je le répète, la nôtre vient introduire une innovation, même s’il ne s’agit pas de la première, qui représente un changement complet par rapport à la pratique observée pendant les dix dernières années au moins.
En ce qui concerne la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, monsieur Baylet, vous avez demandé un temps de concertation. La concertation a eu lieu, j’ai eu l’occasion de le dire lors de la première lecture : M. le Premier ministre avait souhaité, par égard pour les parlementaires, recevoir personnellement les présidents de groupe – il s’est attelé à cette tâche dès octobre 2012. Pour ma part, j’ai conduit toutes les autres consultations et j’ai proposé aux groupes parlementaires de me recevoir en audition, s’ils le souhaitaient – en ce qui concerne le groupe des radicaux et apparentés, j’ai eu le plaisir de le recevoir à la Chancellerie. Cela dit, j’ai bien entendu votre demande de concertation et nous ouvrirons encore des espaces de discussion sur cette réforme.
Pour ce qui est de la séparation et l’équilibre des pouvoirs, nous mettons justement un terme aux ingérences de l’exécutif dans l’exercice de la mission de requérir et dans celle de juger. Nous veillons donc à ce que « le pouvoir arrête le pouvoir », car Montesquieu avait effectivement bien vu les choses !
J’ai entendu M. Vial exprimer des inquiétudes sur les procureurs généraux, qui deviendraient gardes des sceaux dans le ressort de leur cour d’appel. Cette crainte n’a pas lieu d’être, parce que l’exécutif, en l’occurrence le garde des sceaux, engage sa responsabilité en matière de politique pénale sur l’ensemble du territoire national. Surtout, le code de procédure pénale reconnaît déjà aux procureurs généraux le pouvoir d’adapter les directives du garde des sceaux et la pratique est déjà bien établie, comme l’a rappelé M. Mercier.
Cela étant, cette adaptation intervient dans le champ défini par la circulaire générale, mais, les profils des délits et des crimes étant différents d’un ressort de cour d’appel à un autre, la circulaire générale de politique pénale, qui énonce les principes directeurs et les priorités, n’exige pas la même intensité d’effort pour tous les types de contentieux dans tous les ressorts. Ce cadre général fixe les limites de l’adaptation intelligente que doit effectuer le procureur général, dans un souci d’efficacité.
M. Mercier a bien expliqué que cette pratique n’était pas nouvelle, parce que les territoires sont différents.
Quand des territoires présentent de fortes spécificités en termes délictuels ou criminels, il peut être nécessaire de diffuser une circulaire territoriale, ce que j’ai fait : j’en suis à la sixième et nous mettons la dernière main à deux circulaires pour les outre-mer. Dès le mois d’octobre, j’ai diffusé une circulaire territoriale de politique pénale pour la Corse et une autre pour l’agglomération de Marseille.
Il convient donc, lorsque des territoires présentent un profil de délinquance très particulier, loin de se contenter des adaptations que le procureur général peut apporter à la circulaire générale de politique pénale, d’aller plus avant, pour faire en sorte que l’action publique soit efficace sans que le procureur général ait à outrepasser les orientations contenues dans la circulaire générale.
En outre, les procureurs sont appelés, dans certains ressorts et à certains moments, à faire un effort particulier sur tel ou tel type de délinquance. Je vous avais donné des exemples en première lecture. Ainsi, à Lille, on a décidé de consentir un effort particulier, à une période particulière, pour la répression des actes racistes et antisémites, et à un autre moment, un effort a été fait sur les armes ; à Marseille, une attention particulière a été portée aux mineurs. Ces efforts interviennent dans le cadre des circulaires générales que le procureur général peut adapter.
Monsieur Vial, vous craignez que les instructions individuelles écrites que nous supprimons ne soient remplacées par des instructions orales. Ce faisant, vous évoquez une pratique dont je n’ai pas connaissance, mais qui a peut-être existé ! En tout état de cause, le fait d’affirmer très clairement que nous mettons un terme aux instructions individuelles permettra aux magistrats de révéler des instructions orales, s’ils en reçoivent.
Vous savez qu’une commission d’enquête parlementaire, à l’Assemblée nationale, procède à ses dernières auditions et vous avez vu comment a fonctionné la justice. Il est donc possible de ne pas donner d’instructions individuelles : même si cette pratique a eu cours pendant cinq ans, je n’y ai pas eu recours depuis ma prise de fonction et M. Mercier a dit lui-même qu’il n’y recourait pas non plus quand il était lui-même garde des sceaux.
Par ailleurs, j’ai expliqué à la tribune les raisons pour lesquelles des situations particulières pouvaient inspirer des inquiétudes tout à fait légitimes, mais elles n’étaient absolument pas concernées par les instructions individuelles et ne le seront pas davantage à l’avenir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plus aucune instruction individuelle n’est et ne sera adressée, parce que nous tenons à mettre un terme à l’immixtion de l’exécutif dans l’acte de requérir et dans l’acte de juger, afin de permettre aux magistrats de rendre la justice en toute sérénité.
Je vois d’ailleurs difficilement comment certains d’entre vous peuvent sans contradiction exprimer leur crainte d’un « gouvernement des juges » - comment le fait de ne plus adresser d’instructions individuelles au ministère public constituerait-il les prémices de ce gouvernement des juges ? - et nous reprocher par anticipation des instructions orales que ces magistrats subiraient en silence. Outre que l’argumentation ne me semble pas cohérente, je doute qu’il en soit jamais ainsi.
Au demeurant, mesdames, messieurs les sénateurs, notre démocratie est assez solide pour que nous n’ayons pas à nous faire peur avec des inquiétudes infondées !
En conclusion, je vous remercie tous de la qualité de vos interventions et de la fermeté avec laquelle, pour certains d’entre vous, vous avez assuré le Gouvernement de votre volonté d’avancer, et même d’aller plus loin pour que l’action publique soit encore plus lisible. Je remercie aussi de leur constance ceux d’entre vous qui restent convaincus que les instructions individuelles demeurent l’alpha et l’oméga de la politique pénale, alors que celles-ci ne s’élevaient qu’à une dizaine par année, qu’elles n’ont jamais concerné des infractions essentielles telles que les actes de terrorisme ou les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et qu’elles n’ont, en aucune circonstance, concerné le refus, par un procureur, d’engager l’action publique. Je m’incline devant cette conviction, même si je reste persuadée qu’elle n’est pas fondée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence, sont irrecevables les amendements ou articles additionnels remettant en cause les articles adoptés conformes ou sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.
Article 1er
(Non modifié)
L’article 30 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 30. – Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.
« À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales.
« Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles.
« Chaque année, il publie un rapport sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par MM. Hyest, Vial et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 30 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 30. – Le ministre de la justice définit les orientations générales de la politique pénale. Il les adresse aux magistrats du ministère public pour application et aux magistrats du siège pour information. Il rend publiques ces orientations générales.
« Le ministre de la justice peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d’appel les infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites qui sont versées au dossier, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu’il juge opportunes. Les instructions du ministre sont motivées, sous réserve des exigences propres au secret de la défense nationale, des affaires étrangères et de la sûreté intérieure ou extérieure de l’État.
« Sous réserve des dispositions de l’alinéa précédent, il ne peut donner aucune instruction dans les affaires individuelles.
« Il informe chaque année le Parlement, par une déclaration pouvant être suivie d’un débat, des conditions de mise en œuvre de ces orientations générales. »
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut parfois savoir persévérer, même si nous sommes en deuxième lecture et que la commission a décidé de se satisfaire de ce qu’avait décidé l’Assemblée nationale !
S’agissant des infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal, c’est-à-dire qui concernent les intérêts supérieurs de la Nation, il serait pour le moins utile de conserver la possibilité de donner des instructions.
L’amendement n° 1 vise à réintroduire le texte qui avait été voté par le Sénat lors de la réforme de 1999 que vous avez citée, madame le garde des sceaux. Nous sommes donc fidèles à ce qui avait été voté au Sénat, nous ne changeons pas d’avis.
M. Jean-Jacques Hyest. Pardon, madame le garde des sceaux, je n’ai pas changé d’avis sur le fait que les nominations des magistrats du parquet devaient recueillir l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ! Le Sénat avait voté ce principe, et nous avions nous-mêmes contribué à son adoption. En revanche, nous sommes en désaccord avec vous sur la composition que vous prévoyez de donner au Conseil supérieur de la magistrature.
M. Michel Mercier. Exact !
M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas changé d’opinion sur ce point, et j’étais rapporteur de la loi constitutionnelle de 2008 ! Je ne permets pas que l’on me dise que je change d’avis comme de chemise !
M. Jean-Jacques Hyest. Madame le garde des sceaux, nous avons voté en faveur de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats du parquet. Si vous vous étiez contentée de cette mesure, nous aurions pu aller à Versailles ! Et c’est encore possible, d’ailleurs.
M. Michel Mercier. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. En revanche, sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature, c’est non !
Nous restons donc fidèles à la position que nous avions défendue en 1999, à savoir qu’il faut conserver la possibilité de délivrer des instructions individuelles, au moins dans certains cas.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Hyest, Vial et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, je considère que j’ai défendu les trois amendements, mais sans changer d’avis ! (Sourires.)
Madame le garde des sceaux, je défends toujours les mêmes positions et je fais preuve d’une certaine constance. Si vous voulez trouver des contradictions dans les positions que j’ai adoptées depuis que je suis parlementaire, vous devrez vraiment bien chercher !
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Hyest, Vial et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cependant, il peut signaler au procureur général les manquements aux instructions générales dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de réquisitions conformes aux instructions générales.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements en discussion commune ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. M. Hyest a déposé trois amendements qui vont dans le même sens.
L’amendement n° 1 reprend, pour les instructions individuelles, la rédaction de la réforme avortée de 1999.
L’amendement n° 2 reprend, lui, l’article 40 du code de procédure pénale.
Enfin, l’amendement n° 3 tend à permettre au ministre de la justice de signaler les cas dans lesquels les procureurs de la République n’appliqueraient pas les instructions générales des procureurs généraux.
Ces trois amendements ont des objets très proches, ce qui leur vaut, à tous les trois, le même avis défavorable de la commission !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à ces trois amendements.
L’intention de M. Hyest, au travers de ces trois amendements, est de rétablir les instructions individuelles. Or rien ne s’oppose à ce que l’article 40 du code de procédure pénale soit actionné à tout moment, y compris par le garde des sceaux. Par ailleurs, je tenais à signaler une imprécision dans la rédaction proposée.
Je ne souhaitais pas froisser M. Hyest, qui m’a semblé considérablement heurté par mes propos.
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Telle n’était pas mon intention, monsieur le sénateur, et je regrette d’avoir provoqué ce début de colère !
M. Jean-Jacques Hyest. Madame le garde des sceaux, vous ne m’avez jamais vu vraiment en colère ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certains périls ont leur attrait, et j’ai un certain goût du risque ! Mais pas cet après-midi ! Plus tard, en revanche, je ne dis pas... (Sourires.)
Je vous donne acte du fait que votre exigence, qui n’a pas été satisfaite lors de la réforme constitutionnelle de 2008, concernait l’avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du ministère public. La vérité est ainsi totalement rétablie.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Je trouve ce débat intéressant, mais il semble que l’on aboutit, sans le dire, à peu près au même résultat.
S’agissant du statut du parquet, comme l’a dit M. Hyest, le Sénat a voté la réforme constitutionnelle et s’est prononcé clairement sur le statut du parquet. Il appartient désormais au seul Président de la République de décider si cette réforme sera mise en œuvre ou non. Il suffit qu’il nous convoque à Versailles ! C’est à lui de prendre cette décision, et pas à nous. Il a les moyens de le faire puisque le Sénat a voté la réforme. C’est suffisant pour réformer le statut du parquet !
S’agissant maintenant des instructions individuelles, j’ai bien entendu la ministre et le rapporteur : l’article 40 du code de procédure pénale peut être utilisé par le garde des sceaux, comme toute autorité constituée. Ce dispositif impose, je le rappelle, au garde des sceaux, notamment, de dénoncer au procureur de la République toute situation constituant une infraction dont il aurait connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Ce sont les termes mêmes de l’article !
Il ne s’agit pas d’une instruction individuelle, mais c’est bien la mise en œuvre d’une disposition du code de procédure pénale. C’est même écrit dans le rapport, que j’ai lu avec grand plaisir, au premier paragraphe de la page 13 !
J’ai l’impression que l’on joue un peu... S’il s’agit de voter le texte conforme, alors il faut le dire, mais sans oublier de rappeler les instructions autorisées par l’article 40. Ainsi, tout le monde sera satisfait !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vos propos me surprennent, monsieur Mercier ! Vous savez bien qu’un signalement au titre de l’article 40 ne vaut pas instruction individuelle, ne serait-ce que parce que l’issue peut en être très différente. Cela fait partie de la panoplie des initiatives à la disposition du garde des sceaux.
L’essentiel, ce sont évidemment les orientations de politique pénale, c’est l’instrument disciplinaire. Le garde des sceaux figure accessoirement au nombre des autorités constituées qui peuvent recourir à l’article 40, et donc faire un signalement au procureur de la République.
Il ne s’agit donc pas d’un retour des instructions individuelles, puisque l’article 40 existe déjà dans le code de procédure pénale. Personne n’y touche et on n’en modifie pas une virgule ! Je signale simplement que le garde des sceaux peut l’utiliser à l’occasion, s’il ne parvient pas à obtenir les résultats qu’il souhaite par une autre voie.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote sur l’amendement n° 2.
M. Michel Mercier. C’était parfait, madame la garde des sceaux, mais je n’ai pas émis une opinion individuelle ! Je me suis borné à lire le rapport, que vous avez soutenu.
J’essaie de prendre mes informations aux meilleures sources. Pour moi, le rapport est parole d’évangile, ou quasiment, et le rapporteur est sans doute sur la voie de la rédemption... (Sourires.)
Mme Cécile Cukierman. Il faut parfois se détacher des Évangiles...
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
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Article 1er bis
(Non modifié)
L’article 31 du même code est complété par les mots : « , dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Les deuxième et troisième alinéas de l’article 35 du code de procédure pénale sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« Il anime et coordonne l’action des procureurs de la République, tant en matière de prévention que de répression des infractions à la loi pénale. Il précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la justice au contexte propre au ressort. Il procède à l’évaluation de leur application par les procureurs de la République.
« Outre les rapports particuliers qu’il établit soit d’initiative, soit sur demande du ministre de la justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort.
« Il informe, au moins une fois par an, l’assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la justice en application du deuxième alinéa de l’article 30. »
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je souhaite rappeler notre position sur ce sujet.
La question des instructions individuelles est intéressante au niveau du principe. Mais, lorsqu’il y en a quatre par an, qui sont versées au dossier, comme cela a été rappelé, on ne peut pas dire qu’elles changent véritablement le cours des choses, ni d’ailleurs la position de la Cour européenne des droits de l’homme quant à l’indépendance de notre système judiciaire.
Je vous ai entendu dire, madame la ministre, qu’il fallait que la justice soit indépendante. Alors que vous êtes garde des sceaux depuis plus d’un an, je ne vous ferai pas l’injure de dire qu’elle ne l’est pas...
L’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fixe le principe de la séparation des pouvoirs. Cet équilibre des pouvoirs est selon nous très important. Or vous voulez le modifier de manière importante en confiant au parquet, qu’il s’agisse des procureurs généraux ou des procureurs de la République, un pouvoir d’adaptation reconnu par des dispositions légales.
Recevoir une instruction générale et l’appliquer avec bon sens et professionnalisme, comme c’est le cas la plupart du temps, ce n’est pas la même chose que de se voir reconnaître par la loi la capacité d’adapter ladite instruction !
Cette question soulève plusieurs problèmes, et d’abord celui de la publicité, dont nous avons déjà débattu ici.
Nous considérons pour notre part que, dans l’intérêt de la société et du gouvernement de la République, certaines instructions générales ne doivent pas faire l’objet d’une publicité.
J’en viens à l’objet essentiel de l’article 2, qui est au cœur du dispositif du projet de loi : le pouvoir du parquet.
Vous confiez aux procureurs généraux un pouvoir de précision et d’adaptation de vos instructions générales. Et vous nous dites que vous-même, dans tel ou tel cas, envoyez dans certains territoires des circulaires précisant le contenu de votre politique.
Le présent article dispose donc que chaque procureur général aura, de par la loi, le pouvoir d’adapter vos instructions générales. Mieux encore, dans chaque ressort de tribunal de grande instance, le procureur de la République pourra adapter les instructions adressées par le parquet général.
Nous le savons, la justice est humaine : elle n’est pas toujours parfaite, même si, dans leur immense majorité, les magistrats font bien leur travail. Dans certains cas, la reconnaissance légale de ce pouvoir aura donc des conséquences graves sur la politique pénale de la Nation. Nous ne pouvons pas y souscrire !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il nous a semblé légitime que les procureurs généraux dans leur ressort, et, aux termes d’un deuxième amendement qui va dans le même sens, les procureurs de la République dans leur département, disposent d’un pouvoir d’adaptation en fonction du territoire dans lequel ils exercent. On peut ainsi admettre que les instructions générales du garde des sceaux ne soient pas appliquées de la même manière, et avec la même vigueur, dans les départements d’outre-mer, à Marseille ou dans le Nord.
Dire qu’une telle disposition rompt l’égalité des citoyens devant la loi pénale, c’est aller très loin ! Mme la garde des sceaux nous donnera sans doute des explications complémentaires sur ce sujet.
La commission a émis un avis défavorable, estimant qu’il convenait de garder cette souplesse.
Je reconnais que l’adoption des amendements de M. Mézard ne changerait pas grand-chose : les procureurs pourraient toujours procéder à des adaptations en fonction des circonstances de leur ressort.
N’en faisons pas une affaire d’État ! Je préfère, pour ma part, que l’on s’en tienne à la rédaction actuelle et que l’on vote ce texte conforme, pour que nous en terminions tout à fait.