M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sport est confronté à des dérives qui l’éloignent des valeurs humanistes qu’il devrait incarner et véhiculer. Il l’a fait autrefois.
L’argent et le profit se sont introduits au cœur de la compétition sportive.
Le partage, le vivre-ensemble, le collectif et le dépassement de soi perdent peu à peu de leur sens et de leur importance pour se diluer dans les millions, voire les milliards d’euros que certaines de ces disciplines génèrent.
Le sport perd sa spécificité et surtout son éthique, devient une activité économique comme une autre.
Nous nous éloignons petit à petit de la conception si noble du sport de Pierre de Coubertin, qui disait : « Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre. »
De cette dérive financière résulte en partie le recours à la tricherie, au dopage qui brise l’égalité des chances.
Il ne s’agit pas de pointer du doigt tel ou tel sportif, pas plus que de nier absolument leur responsabilité, mais de comprendre pourquoi autant d’entre eux peuvent y recourir. La pression médiatique, les enjeux financiers, les calendriers sportifs toujours plus chargés sont autant d’éléments qui accentuent son usage.
Les sportifs sont victimes d’une « surcompétition » quelque peu inhumaine qui prend le pas sur le sens du sport lui-même.
Nous pensons qu’il faut réfléchir globalement au fonctionnement du sport mondial et agir sur ce système complexe, sans se limiter au traitement de l’une de ses conséquences, le dopage, et à la sanction du seul sportif.
Le groupe CRC a toujours considéré avec le plus grand sérieux et la plus grande gravité le problème du dopage, qui nuit autant au sport qu’aux sportifs et à leur santé.
Loin de la vision caricaturale d’un usage généralisé des substances dopantes, nous pensons néanmoins que ce problème doit être traité à bras-le-corps, et qu’une lutte efficace contre ce fléau du sport appelle un certain nombre d’actions fortes et de changements.
La France peut se féliciter d’avoir eu une « longueur d’avance » en la matière, comme cela est souligné dans le rapport.
Nous nous rappelons tous encore la loi Buffet de 1998, par laquelle notre collègue Marie-George Buffet, alors ministre des sports, avait engagé avec conviction la lutte contre le dopage. D’autres ministres ont ensuite apporté leur pierre à l’édifice. Cette loi d’avant-garde a permis à la France de se saisir de ce problème et a ouvert la voie à une réflexion internationale, pour finalement déboucher sur la création en février 1999 de l’Agence mondiale antidopage.
Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce rôle de précurseur, et face aux moyens et aux effets limités de la lutte contre le dopage, nous avons encore une fois le devoir d’initier des changements innovants, tant ce combat est difficile.
Je partage à la fois le diagnostic que dresse la commission d’enquête à laquelle j’ai participé et l’essentiel de ses conclusions et recommandations.
Nous nous joignons à nos collègues pour appeler de nos vœux, madame la ministre, la traduction de ces propositions en actes.
Un engagement fort de l’État est nécessaire, impulsant une dynamique internationale. Il faut donc une volonté politique, des changements, mais aussi des moyens humains et financiers supplémentaires pour les accompagner et en assurer l’efficacité.
C’est là notre seul point de divergence avec la commission d’enquête, dont le postulat de départ est l’amélioration de la lutte contre le dopage à moyens constants. Nous affirmons que, pour être pleinement efficace, la lutte contre le dopage doit être accompagnée des moyens financiers à la hauteur des enjeux.
Comme le préconise le rapport, nous jugeons qu’il faut en premier lieu disposer d’une meilleure connaissance de ce phénomène. La prévention doit être un axe fort de cette lutte, et il nous paraît pertinent que l’Agence française de lutte contre le dopage voit ses missions élargies en ce sens.
Contrairement aux idées reçues, le dopage n’est pas le fait de quelques sportifs de haut niveau. Les sportifs amateurs et même les jeunes y ont recours, notamment dans les salles de sport. Il est donc essentiel de sensibiliser l’ensemble du monde sportif aux méfaits de ces substances sur la santé, et ce de la manière la plus pédagogique et efficace possible. Il faut donner aux jeunes sportifs, à tous les niveaux de compétition, les moyens de refuser et de dénoncer le dopage, afin qu’ils soient acteurs de ce combat.
Quant à la possibilité pour le ministère de s’opposer aux calendriers sportifs, nous ne nous berçons pas d’illusions sur son effet. Toutefois, cette mesure va, à nos yeux, dans le bon sens. Trop intenses, les saisons sportives favorisent en effet la prise de produits dopants. Ce constat a été unanimement admis lors de nos auditions.
Bien sûr, les politiques de contrôles doivent être améliorées. C’est la base. Mais les contrôles sur les compétitions ne suffisent pas, et la mise en cause de leur efficacité et de leur valeur en est la conséquence. Il faut donc renforcer les contrôles inopinés, étendre systématiquement les analyses à toutes les substances et développer des suivis tout au long de l’année, notamment par le biais des passeports biologiques.
Permettre à l’AFLD d’être présente lors de toutes les compétitions ayant lieu en France est une disposition qui nous agrée, même s’il nous paraît étonnant de demander une multiplication des contrôles sans parler de l’augmentation des moyens de cette agence au-delà des huit correspondants interrégionaux mis à sa disposition. Cette mesure n’en est pas moins positive.
Vient ensuite le volet « sanctions », indissociable de toutes les actions précédemment évoquées. Les sanctions doivent être renforcées, nous en convenons, mais de manière collective et pas pour le seul sportif.
Il est également indispensable de transférer l’exclusivité du pouvoir de contrôle des fédérations sportives nationales à l’AFLD. Afin d’éviter les conflits d’intérêts et d’assurer la plus grande indépendance des contrôles, il faut détacher ces derniers des acteurs directs du monde sportif. L’AFLD semble à même d’assurer cette indépendance et cette professionnalisation.
Enfin, nous nous joignons à l’injonction de coopération des différents organismes luttant contre le dopage, à savoir l’AFLD, les services de police, de gendarmerie et de douane.
En conclusion, je salue la grande qualité du travail accompli par la commission d’enquête. Son président, Jean-François Humbert, et son rapporteur, Jean-Jacques Lozach, ont beaucoup œuvré pour mener à bien cette lourde tâche, avec ses multiples auditions. Celles-ci se sont toutes révélées d’un très grand intérêt pour nous comme pour l’ensemble du monde sportif et même pour la population tout entière. Je précise que nos travaux se sont déroulés dans un climat très cordial et constructif.
Nous serons particulièrement attentifs à ce que les préconisations de notre rapport ne restent pas lettre morte et qu’elles produisent pleinement leurs effets, pour que, demain, la morale triomphe et pour que le sport soit synonyme de réussite et de bonheur pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP. – Mme Chantal Jouanno et M. Stéphane Mazars applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe socialiste d’avoir choisi ce sujet ambitieux et à féliciter le rapporteur, Jean-Jacques Lozach, pour la qualité de son travail. Sa parfaite connaissance de la chose sportive et sa totale implication dans cette mission sont indéniablement à l’origine de son audience.
Je tiens également à féliciter le président de la commission d’enquête, Jean-François Humbert, qui a su rassurer l’ensemble de nos interlocuteurs sur les réelles motivations de notre travail et, partant, établir avec eux un dialogue de confiance et de vérité.
Aussi ancienne que la pratique sportive elle-même, l’utilisation de substances et méthodes destinées à améliorer la performance des sportifs répond à l’accroissement permanent des exigences des athlètes envers eux-mêmes, de leur entourage ou encore du public, qu’il soit spectateur ou téléspectateur.
Les limites sont constamment repoussées : ainsi, à l’épreuve reine de l’athlétisme, le 100 mètres, Usain Bolt a battu le record du monde en 2009 avec 9 secondes 58, que Jesse Owens, en 1936, avait réalisé quant à lui en 10 secondes 30. Pour l’épreuve du saut à la perche, le record détenu en 1940 par Cornelius Warmerdam avec 4,60 mètres fut largement dépassé par Sergueï Bubka en 1994 avec 6,14 mètres.
Alors que le sport est associé à l’éthique et à la santé, qu’il fait appel au dépassement de soi, qu’il impose le respect des règles du jeu et celui des adversaires, il devient aujourd’hui trop souvent un spectacle où ces valeurs n’ont plus cours.
En effet, le public et les médias attendent des exploits de plus en plus retentissants. Les entraîneurs, les fédérations, les médecins, les soigneurs et même l’entourage familial des sportifs font peser une pression parfois insoutenable sur les épaules de ceux-ci.
De surcroît, les calendriers surchargés n’accordent aucun répit aux sportifs, qui ne bénéficient du droit au repos qu’une fois blessés... Et encore lorsqu’ils ne continuent pas leur entraînement sous autorisation d’usage à des fins thérapeutiques, pratique du reste particulièrement contestable, comme le relève le rapport de la commission d’enquête.
Dans un entretien accordé en juin 2013 au journal Le Monde, Lance Armstrong déclare qu’il est impossible de gagner le Tour de France sans se doper. (M. Alain Dufaut acquiesce.) Tricheur ou victime ? Il me semble que le débat sur la responsabilité du sportif est légitime.
Certes, la responsabilisation du sportif requiert des actions de prévention dès le plus jeune âge. Les campagnes de sensibilisation, appuyées sur des études sur les effets indésirables des substances consommées, concourent à la lutte contre le dopage, notamment lorsqu’elles visent les jeunes amateurs. Ces études doivent être régulièrement actualisées pour alimenter nos connaissances en la matière. Des autopsies systématiques lors des décès prématurés des sportifs pourraient en déterminer les causes et contribuer ainsi à la rédaction de notices sur la fréquence des pathologies associées aux différents produits employés.
Cependant, il semblerait que la prévention ne soit pas toujours suffisante. Quoique souvent conscients des risques de pathologies, de morts subites et du possible raccourcissement de leur espérance de vie, les sportifs professionnels continuent de recourir au dopage.
L’argent, nous le savons, n’est pas leur principale motivation. Lors des auditions, le docteur Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport spécialiste du dopage, a affirmé que « le vrai moteur du dopage n’a jamais été l’argent » mais « l’ego, la compétition ».
Ces propos trouvent leur confirmation dans la bande-annonce du documentaire réalisé par Alex Gibney, dans lequel Lance Armstrong déclare : « J’aime gagner, et plus que tout, je déteste l’idée de perdre. Pour moi, ça équivaut à la mort. »
La prévention ne pourra jamais répondre au « tout ou rien ». C’est pourquoi, à titre personnel, avant de suivre les auditions menées par notre commission d’enquête, la pénalisation de l’usage de produits dopants me semblait pertinente.
La pénalisation de l’usage pouvait effectivement sembler efficace.
Au premier chef, il s’agissait d’un message dissuasif, notamment à destination des plus jeunes et des amateurs.
En outre, ce procédé permettait de recourir à des pouvoirs d’enquête élargis, de même que pour les produits stupéfiants, ou comme en Italie où une loi récente a qualifié de délit le simple usage d’un produit dopant.
Néanmoins, les arguments développés à l’encontre d’une telle solution me semblent aujourd’hui pertinents, pour ne pas dire convaincants.
En effet, nous avons l’expérience de la loi du 1er juin 1965, qui pénalisait l’usage de stimulants à l’occasion de compétitions sportives. L’application de ce texte s’est heurtée à des obstacles, en raison de la difficulté de prouver le caractère intentionnel de cet usage. Quarante-huit ans plus tard, il resterait aussi difficile d’établir cet élément moral de l’infraction, et partant la responsabilité pénale des sportifs eux-mêmes.
Au surplus, le rapport de la commission d’enquête rappelle la difficile articulation entre la sanction pénale, d’une part, et les sanctions disciplinaires, d’autre part, la première et les secondes pouvant, dans certains cas, se contredire.
Qui plus est, les procédures judiciaires sont toujours plus longues que les procédures disciplinaires ou administratives. Cette situation contrevient à l’objectif d’une réponse rapide à la tricherie et aux atteintes portées à la santé.
La réponse pénale est sans aucun doute plus adaptée à la détention ou au trafic de produits et de méthodes interdites, comme le prévoit du reste notre droit actuel. En effet, il est plus opportun de pénaliser ceux qui tirent un profit direct de cette atteinte à la santé publique. Nous savons qu’il peut parfois s’agir de réseaux particulièrement bien organisés, aux activités multiples.
À ce titre, il faut relever qu’en dépit d’un cadre juridique pénal très élaboré la France connaît quelques lacunes dans la lutte contre les trafiquants, faute d’échange systématique d’informations entre les services répressifs, les services douaniers et l’Agence française de lutte contre le dopage. Or cette coopération est un moyen essentiel pour appréhender le fléau à sa source et, ce faisant, entraver la diffusion de ces produits, destinés non seulement aux initiés mais aussi au grand public.
Voilà pourquoi nous soutenons pleinement toutes les propositions du rapport allant dans le sens d’une collaboration renforcée et systématique entre tous les acteurs de la lutte contre le dopage.
Parmi les sanctions disciplinaires, seules sont dissuasives celles qui sont susceptibles d’avoir une influence réelle sur la carrière des sportifs. Ainsi, il serait intéressant de porter les suspensions de deux à quatre ans en cas de consommation de produits lourds.
Par ailleurs, il est évident que les fédérations nationales ou internationales ne doivent plus disposer à la fois des pouvoirs de contrôler, d’instruire le dossier et de prononcer la sanction. L’indépendance à l’égard du monde sportif doit être garantie pour éviter tout conflit d’intérêts patent.
De même, pour être indépendants, les contrôles doivent être confiés aux agences nationales de lutte contre le dopage, sans que soit requise l’autorisation de la fédération internationale ou, à défaut, de l’Agence mondiale antidopage, l’AMA.
Une fois les fédérations dessaisies de ces pouvoirs de contrôle, la sanction collective mériterait d’être étudiée. Au demeurant, pourquoi ne pas aller plus loin, notamment en modulant les sanctions financières selon les bénéfices tirés de la tricherie ?
Enfin, les dispositifs de sanction ne peuvent s’appliquer si les moyens de contrôle n’évoluent pas. La création du passeport biologique en 2008 au sein de certaines fédérations, comme l’UCI, puis sa mise en œuvre pour tous les sportifs de France – de haut niveau, espoirs et professionnels – permettra de contrer les évolutions technologiques visant à passer entre les filets de la détection. Associé à un accroissement des contrôles inopinés, à un ciblage plus aléatoire des substances et au recours à des témoignages, le passeport biologique constituera un outil redoutable pour déceler les infractions à l’éthique sportive.
Madame la ministre, nous connaissons votre attachement aux valeurs fondamentales du sport et votre engagement indéfectible sur le front de la lutte antidopage.
Nous savons qu’un projet de loi relatif au sport sera soumis au Parlement l’année prochaine, et nous ne doutons pas que vous retiendrez bon nombre des soixante propositions contenues dans le présent rapport.
Nous espérons que vos responsabilités au sein de l’AMA permettront à la voix de la France, qui, dans ce combat a toujours compté parmi les plus fortes, d’être entendue par tous et en tout lieu. Il s’agit, là aussi, de faire respecter l’égalité entre tous, entre nos athlètes et les autres.
C’est un dur combat, que d’aucuns pourraient croire perdu d’avance,…
M. Alain Dufaut. Mais non !
M. Stéphane Mazars. … ou juger sans intérêt.
Aux yeux des membres de mon groupe, ce combat n’en mérite pas moins d’être mené, car il est noble. En effet, il dépasse largement le seul fléau de la tricherie et le seul cadre du sport. Roland Barthes disait : « Doper le coureur est aussi criminel, aussi sacrilège que de vouloir imiter Dieu ; c’est voler à Dieu le privilège de l’étincelle. » (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes tous sensibles au sport, d’une manière ou d’une autre, que l’on aime le regarder, encourager une équipe, ou bien que l’on s’y adonne régulièrement pour rester en forme.
Le sport pour toutes et tous, c’est un vecteur de dynamisme collectif et de santé. C’est également un moyen de diffuser des valeurs très positives, comme l’égalité des chances, le dépassement de soi, la solidarité et le respect des autres.
Toutefois, le sport peut présenter un côté sombre, objet de scandales financiers ou urbains. N’oublions pas, au demeurant, que le sport a souvent été employé par les dictatures, cherchant à asseoir leur puissance, au détriment de la santé des sportifs.
Ainsi, il est de la responsabilité de l’État de fixer les bonnes orientations stratégiques sans s’immiscer de manière trop autoritaire dans la vie des associations sportives.
Cela étant, s’il existe un sujet sur lequel la puissance publique doit se montrer intransigeante, c’est bien le dopage. Alors que la pratique sportive est globalement synonyme de santé et d’équilibre, le problème du dopage relève de l’exact opposé. Le revers de la médaille de nos champions, c’est le caractère inhumain et ultra-compétitif de la politique actuellement menée : il suffit d’observer l’ensemble des saisons de la plupart des championnats, leur durée et leur intensité, au détriment du repos et tout simplement des vacances des sportifs.
Nous devons sortir d’une logique de sport business qui a poussé à l’utilisation de méthodes contraires à l’esprit sportif, mises en lumière par les révélations particulièrement graves autour de la carrière de Lance Armstrong et le retrait de ses sept titres de maillot jaune du Tour de France, notamment. Le site Internet du Tour de France fait maintenant apparaître des trous dans le palmarès de l’épreuve, qui laissent l’observateur songeur.
Comme l’a très bien développé l’excellent rapport de nos collègues Jean-François Humbert, président de la commission d’enquête, qui n’est plus présent, et Jean-Jacques Lozach, rapporteur, qui, lui, est là, le dopage touche à la fois les professionnels et, de plus en plus, les sportifs amateurs, démontrant l’opacité et l’ampleur du trafic de produits dopants, que l’on peut considérer comme de réels stupéfiants au fort pouvoir addictif.
À l’échelle individuelle, les conséquences médicales peuvent être dramatiques. Overdoses, dépendance toxique, les risques encourus sont graves, d’autant plus que la pratique du dopage échappe à tout contrôle sanitaire, de l’élaboration des substances à leur vente, jusqu’à la prise par l’athlète, les substances dopantes étant parfaitement illégales.
Pourtant, par manque de coopération, les trafiquants ont souvent une longueur d’avance sur la police, la gendarmerie et la douane. Ces forces doivent davantage collaborer pour parvenir à démanteler ces réseaux d’acheminement clandestins.
Par ailleurs, les fédérations sportives et les agences régionales ou nationales de lutte contre le dopage rencontrent des difficultés organisationnelles, scientifiques et matérielles, notamment budgétaires, ainsi que l’indiquait notre collègue Michel Le Scouarnec.
Les fédérations peinent à mobiliser les moyens techniques suffisants pour organiser des contrôles appropriés, individualisés et inopinés. C’est pourquoi la réforme de l’AFLD, envisagée dans ce rapport, semble très souhaitable, afin de conférer à cet organisme les moyens humains et matériels de gérer de manière autonome son rôle de prévention, de contrôle et de sanction.
À l’échelle internationale, la question de la coopération à tous les niveaux est au cœur des préoccupations. Nous sommes souvent, comme le soulignait notre collègue Stéphane Mazars, à la pointe du combat, parfois au détriment de nos propres performances. Ce n’est certes pas le seul sujet, mais tous deux amoureux du sport et de notre pays, nous y sommes également sensibles ! (Sourires.)
Une entente entre les fédérations nationales est nécessaire pour soulager des calendriers de compétition et en ralentir le rythme, pour répartir raisonnablement la responsabilité des contrôles lors des compétitions, et pour harmoniser – c’est très important – les sanctions à travers les disciplines et les pays.
J’ajouterai qu’une révision de l’organisation mondiale du sport est souhaitable afin de l’orienter dans un sens moins mercantile et d’encadrer le financement et la gestion des fédérations sportives nationales.
Pour les écologistes, la pratique de la compétition à un haut niveau de performance n’est pas forcément contradictoire avec une vision humaniste et coopérative. Certains de mes collègues écologistes se sont fait une spécialité de l’opposition aux subventions sportives, ce n’est pas mon cas. Étant moi-même un amoureux du Paris-Saint-Germain (Mme Françoise Laborde s’exclame.), je vous le dis ici avec beaucoup de plaisir. (Sourires.) Je vois beaucoup de collègues issus des régions qui semblent moins attachés à ce club. (Nouveaux sourires.) Madame la ministre, qui sourit, est sans doute plus attachée elle-même aux diables rouges du Football club de Rouen !
Pour conclure, je tiens à remercier, au nom de mon groupe, les auteurs de ce rapport pour la qualité du travail et des analyses qui y sont développées. Nous nous inscrivons dans les recommandations formulées.
La pratique du dopage, parce qu’elle concerne tous les sports, tous les pays et tous les niveaux, doit être combattue de manière transversale dans l’ensemble des disciplines, à l’échelle nationale et internationale. La France, qui est un des premiers pays à avoir adopté une réglementation en la matière, dès 1965, ne doit pas relâcher ses efforts en faveur de la transparence, de l’éthique et de la lutte contre le dopage, à l’échelle tant nationale qu’européenne et mondiale. Ainsi, le sport continuera d’être reconnu comme un élément de santé publique, et non le contraire, mais aussi comme un moteur pour la jeunesse.
Je fais confiance, comme mes collègues, à notre ministre de la jeunesse et des sports pour présenter l’année prochaine un projet de loi portant cette préoccupation très forte de la lutte contre le dopage. Je me souviens des débats à ce sujet entre certains députés, auprès desquels je travaillais comme jeune assistant parlementaire, et Marie-George Buffet, qui avait fait un travail remarquable. J’espère que nous resterons dans cette continuité afin de peser davantage sur cette politique très importante pour notre pays, pour le sport et pour notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Chantal Jouanno et M. Stéphane Mazars applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du groupe UDI-UC dans une position un peu ambiguë. En effet, madame la ministre, j’ai exercé vos responsabilités, et j’ai eu le plaisir d’être membre de cette commission d’enquête. Je me souviens d’un certain sentiment d’impuissance quand j’occupais votre place, car depuis 1998 et le scandale Festina, la question du dopage a toujours sali le cyclisme, de manière quelque peu injuste, dans la mesure où ce sport est l’un des plus contrôlés, tous les sports sont concernés, comme l’a très bien montré cette commission d’enquête et la France est, il faut le rappeler, un des pays les plus engagés dans la lutte contre le dopage. Mais nous échouons souvent.
C’est pourquoi je ne peux que me réjouir, avec l’ensemble des membres du groupe UDI-UC, de voir que le Sénat, à travers notre commission d’enquête, s’est emparé de cette question, avec la volonté partagée d’engager un débat aussi objectif et dépassionné que possible. On ne peut empêcher la survenue de quelques hérésies médiatiques, mais tel a bien été le souhait de chacun au sein cette commission d’enquête. Celle-ci a abouti de fait à un constat, que vous connaissez : concernant le sport, on est toujours confronté à un paradoxe.
En effet, face à ce monde toujours plus traversé, voire secoué, d’enjeux financiers, d’enjeux médiatiques, de demandes de performances toujours plus importantes – le Paris-Saint-Germain, cher Jean-Vincent Placé, en est un bon exemple –, et donc à un appétit pour le spectacle, la société demande toujours plus de lutte contre le dopage, de transparence, d’éthique, voire de morale.
Le parti pris de la commission, qui est en fin de compte un choix politique, a été de ne pas souhaiter que le sport s’oriente toujours vers le sport spectacle. Nous considérons fondamentalement, et de manière tout à fait unanime, qu’il s’agit d’un enjeu et d’une question de société.
Pour avoir une vision objective du sujet, soyons clairs, la commission a dû dépasser le silence, voire l’omerta, qui frappe le monde sportif. Le rapport final, notamment dans son annexe relative aux auditions, illustre particulièrement bien le phénomène. À écouter les représentants des différentes fédérations, et on connaît bien le sujet, tous les sports semblent « naturellement » épargnés.
L’escrime ou le judo, pour ne pas citer le karaté, bien évidemment (Sourires.), seraient trop techniques pour être concernés. Le tennis ou le football requerraient, quant à eux, trop d’intelligence du jeu, dans la majorité des cas… Bref, tout le monde s’accorde pour dire que le dopage ne concernerait finalement que le cyclisme, dont l’histoire récente a été en effet très agitée.
Si ce mutisme, cette omerta est compréhensible du point de vue des fédérations – trop communiquer sur le dopage c’est aussi faire fuir des licenciés potentiels –, elle n’en est pas pour autant soutenable ou acceptable de notre point de vue, car le sport est une question de santé publique, d’éducation, d’éthique et donc, fondamentalement, une question de société, et par là même une question politique.
Partant de cette idée, la commission est parvenue à dresser un tableau assez édifiant des pratiques, anciennes et nouvelles, qui tient en une phrase : Tous les sports sont concernés, tous les sportifs sont concernés.
Tous les sports sont concernés, même si la commission a pu démontrer que les outils de mesure actuels sont insuffisants à donner l’ampleur exacte du phénomène. Les contrôles sont en effet trop rares, trop prévisibles et trop circonscrits. Pourtant, aucun sport n’est épargné.
Tous les sportifs sont concernés, on n’insiste jamais assez sur ce point. La commission a dévoilé la partie immergée de l’iceberg. On ne connaît du dopage que ses manifestations les plus médiatiques, or la prolifération des pratiques dopantes est constantes chez les non-professionnels. Elle est même terrifiante parce qu’elle touche les plus jeunes.
À ce sujet, si vous ne l’avez pas déjà fait, madame la ministre, je vous invite à lire le compte rendu de l’audition de Jean-Pierre Verdy, représentant de l’AFLD, qui nous décrivait une situation épouvantable : « Ce qui se passe chez les amateurs est très grave. Les produits utilisés sont les mêmes que chez les professionnels, mais ils le sont de manière anarchique et en quantité impressionnante : on a vu un père injecter à son fils deux à trois fois la dose d’EPO que reçoivent les professionnels. » L’OCLAESP faisait exactement le même constat.
C’est d’autant plus grave que les circuits commerciaux, les circuits d’accès à ces produits dopants sont, ainsi que l’a montré la commission, extrêmement faciles à pratiquer. On peut se procurer des produits dopants bien évidemment sur Internet, auprès de certains pharmaciens, ou auprès de certains responsables de salle de sport.
La commission considère donc unanimement le dopage comme un fléau social qui mine les fondements de la République. Il faut le dire : les sportifs et les sportives de très haut niveau sont des exemples pour la société et pour les jeunes, même s’ils adoptent des comportements violents, inadaptés, dopés. Un Franck Ribéry, un Nicolas Anelka ou un Lance Armstrong restent des exemples pour les jeunes, voilà le plus grave.
Cela nous invite donc à considérer le dopage comme un fléau social et comme un fléau sanitaire. La commission a ainsi très bien montré que les produits dopants présentaient une dangerosité particulièrement lourde. La consommation d’anabolisants n’a bien sûr pas les mêmes effets que celle d’amphétamines, mais, pour autant, les risques sanitaires sont là : dépendance, agressivité, changement du comportement, risques cardiovasculaires, cancers prématurés, vous connaissez cela mieux que nous tous.
L’avenir est angoissant, car, au-delà des produits que nous connaissons et que nous avons beaucoup de mal à détecter, arrivent sur le marché du dopage le dopage génétique et les biotechnologies, qui seront plus difficiles encore à identifier dans le cadre du système actuel qui tend à cibler les contrôles sur certains produits. C’est dire à quel point l’intelligence peut, hélas, être vénale.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les travaux de la commission ont non seulement lancé un signal d’alarme, mais également et surtout préconisé des mesures très précises.
Au nom du groupe UDI-UC, je veux dire au président de la commission et au rapporteur que nous soutenons l’ensemble des propositions présentées, conçues, en outre, pour être mises en œuvre à coût budgétaire constant et qui sont donc potentiellement directement opérationnelles – je dis bien « potentiellement » car certaines d’entre elles concernent aussi les fédérations internationales.
Je voudrais en évoquer quelques-unes.
Une proposition phare porte sur la révélation du dopage, et donc sur la création de comités « vérité et réconciliation ». S’il faut vraiment, à travers le mécanisme qui les concerne, tendre la main aux repentis, donc aux sportifs qui vont s’exprimer, il faut, pour lever l’omerta, vraiment taper du poing sur la table vis-à-vis des fédérations, qui ne mettent pas toujours en œuvre les politiques de prévention que nous leur demandons. Notamment sur le plan médiatique, on cible beaucoup trop le sportif et pas suffisamment l’ensemble du système qui l’entoure et qui, parfois, le contraint à se doper.
Je veux aussi revenir sur deux propositions majeures. La première est la généralisation du passeport biologique. C’est une nécessité afin de sortir du principe actuel de preuve matérielle pour aller vers le principe de faisceau d’indices de dopage. La mise en relation systématique des informations entre l’OCLAESP et l’AFLD est probablement un des points les plus importants pour aller vers ce faisceau d’indices.
Un tel dispositif permettrait d’assurer une veille sanitaire individuelle des athlètes en temps réel, tout en permettant de mieux déterminer le moment le plus opportun pour un contrôle inopiné.
La seconde proposition majeure sur laquelle je veux insister est la création d’une instance indépendante des fédérations qui soit en charge des sanctions. Ce n’est pas le plus simple, j’en ai bien conscience. Cependant, il n’y a pas d’autre moyen de lever cette suspicion permanente autour des sanctions, que nous avons encore connue l’été dernier, et de faire que la lutte antidopage devienne véritablement une affaire d’État. Car il s’agit bien de cela. Nous avons d’ailleurs pu constater que la plupart des circuits étaient directement liés aux circuits de drogue. C’est donc bien une affaire régalienne, au sens propre.
Le consensus existe autour des propositions entre les membres de la commission, c’est vrai, et je doute qu’il soit rompu.
Je n’exprimerai qu’une réserve : nous aurions aimé, comme le président de la commission l’a rappelé précédemment, débattre non pas des conclusions de la commission d’enquête, mais d’une proposition de loi ou d’un projet de loi. Si un texte doit être présenté au Parlement – et il y en aura un ! –, nous souhaitons vivement qu’il soit discuté en premier lieu au Sénat, ne serait-ce que pour s’inscrire dans la droite ligne des travaux qui ont été menés ici. Madame la ministre, j’espère que la présente discussion vous donnera l’occasion de prendre date pour un futur débat législatif sur la mise en œuvre effective des propositions formulées dans ce rapport. (Applaudissements sur les travées de l'UMP ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Michel Le Scouarnec et Jean-Jacques Lozach applaudissent également.)