M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens au préalable à saluer la persévérance de notre collègue Richard Yung, qui a repris ici un travail engagé dès 2011 par notre ancien collègue Laurent Béteille, que j’associe d’ailleurs à cet hommage, sur un sujet très important pour notre économie en ces temps de crise.

Les effets néfastes de la contrefaçon sur notre économie sont aujourd’hui bien connus. Des chiffres ont déjà été cités. Pour ma part, je rappellerai que le rapport de l’Union des fabricants remis au ministre de l’économie en 2010 avançait que la contrefaçon coûtait près de 100 milliards de dollars par an aux économies des pays industrialisés, dont près de 70 milliards de dollars en pertes de taxes, sans compter la destruction de 100 000 emplois pour la seule Europe.

La France est bien entendu directement touchée par ce phénomène, avec un coût annuel de 35 000 emplois et près de 6 milliards d’euros de perte de chiffre d’affaires pour nos entreprises, auquel il faut ajouter les pertes en matière d’innovation induites par le non-investissement. Le seul secteur du luxe souffrirait ainsi de pertes représentant 4 % à 7 % de son chiffre d’affaires.

Toutefois, cela a été dit, la contrefaçon ne se réduit pas aux produits de luxe qui assurent la renommée de notre économie. Elle touche aussi des produits de consommation courante comme les jouets, les cosmétiques, les médicaments, les pièces automobiles ou les produits alimentaires. Elle constitue de ce fait non seulement une atteinte aux droits de propriété intellectuelle, mais aussi, potentiellement, un danger pour la santé du consommateur, trompé sur la qualité d’une marchandise et des normes y afférant.

Face à ce fléau, les entreprises ont bien du mal à faire face et les États eux-mêmes sont impuissants s’ils n’agissent pas de façon concertée. Je veux d’ailleurs saluer, madame la ministre, la prochaine ratification de l’accord européen relatif à une juridiction unifiée du brevet, qui constitue, après de longues négociations, une nouvelle avancée dans la protection uniforme des brevets au niveau européen.

En tout état de cause, de puissants réseaux criminels se cachent bien souvent derrière les producteurs de produits contrefaisants : n’oublions pas que la contrefaçon est également une manière pour des groupes terroristes ou mafieux de diversifier leurs sources de revenus, dans le cadre de sanctions pénales plus faibles.

L’importation ou la contrebande de marchandises contrefaisantes sont en effet moins sanctionnées que le trafic de stupéfiants, et constituent à cet égard une prime de moindre risque pour des bénéfices équivalents, voire supérieurs.

Dans un monde toujours plus ouvert, où les flux commerciaux se démultiplient parfois sans contrôle, la présente proposition de loi apporte aujourd’hui de précieuses améliorations à la loi du 29 octobre 2007, qui transposait elle-même la directive du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Elle s’inscrit ainsi dans les quatre axes qui s’étaient dégagés de la loi de 2007 et que je me permets de rappeler : renforcement de la spécialisation des juridictions ; renforcement des procédures simplifiées et accélérées devant le juge civil ; consécration d’un droit à l’information pour contraindre les personnes en possession de marchandises contrefaisantes à fournir des informations sur leur provenance ; enfin, amélioration de la réparation du préjudice pour les victimes.

Elle vise également à compléter utilement d’autres pans du droit de la contrefaçon, à commencer par la précieuse procédure de saisie-contrefaçon, qui avait besoin d’être adaptée aux évolutions des pratiques et de la jurisprudence.

Par ailleurs, le présent texte tend enfin à procéder aux nécessaires harmonisations des différents dispositifs régissant les diverses catégories de droits protégés par la propriété intellectuelle, même si nous aurons tout à l’heure un débat sur la protection spécifique des droits de propriété sur les semences. Notre collègue Michel Delebarre a, semble-t-il, découvert la dure réalité rurale par le biais de ce problème. (Sourires.)

Mme Françoise Laborde. C’est très important !

M. Yvon Collin. Je tiens en outre, au passage, à saluer l’engagement du Gouvernement à s’opposer fermement, en collaboration avec la Commission européenne et les autres États membres, à toute extension de l’enregistrement des noms de domaine en .wine ou « .vin » tant que les indications géographiques européennes ne feront pas l’objet d’une meilleure protection sur le plan international.

Contrairement au texte initial, qui retenait, en matière de dédommagement, les notions de fautes lucratives et de dommages et intérêts punitifs, la commission a prudemment choisi de procéder à un retour en arrière, afin de ne pas créer une brèche dans notre édifice juridique, qui ne reconnaît pas, jusqu’à présent, la notion de dommages et intérêts punitifs.

En l’état, cette position nous paraît la plus raisonnable, afin de ne pas créer de précédent fâcheux, d’autant que la partie lésée ne doit pas à son tour bénéficier d’un enrichissement indu, qui résulterait d’un dédommagement dont le montant serait supérieur à celui du préjudice subi. Si de nombreux contrefacteurs estiment que la charge des dommages et intérêts à régler sera toujours inférieure aux bénéfices réalisés, il revient plutôt à l’État de sanctionner pécuniairement ces fraudeurs par le biais d’une amende civile.

Nous nous réjouissons par ailleurs des avancées importantes que permet ce texte pour les services des douanes, qui sont, madame la ministre, le fer de lance de l’État dans la lutte contre la contrefaçon et auxquels je tiens à rendre l’hommage qui leur est dû.

L’ensemble des mesures proposées va dans le sens attendu par la direction générale des douanes. Il s’agit en effet d’affiner son arsenal juridique, en particulier pour ce qui concerne l’harmonisation du régime de retenue avec le droit communautaire et les opérations d’infiltration ou de coup d’achat, qui sont un gage d’efficacité accrue. Le Gouvernement nous soumettra en outre dans quelques instants des amendements visant à tirer les conséquences du règlement du 12 juin dernier.

S’agissant du régime des visites domiciliaires, le dispositif retenu, qui tend à les rendre possibles sans autorisation préalable du procureur, mais avec l’accord de la personne concernée, nous paraît équilibré et proportionné aux objectifs poursuivis.

Enfin, s’agissant du renforcement des pouvoirs spécifiques d’intervention chez les opérateurs de fret, nous suivrons également l’attentisme prudent du rapporteur, qui a préféré s’en tenir aux garanties d’usage en matière de fichiers, tant que l’État, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et les entreprises de fret n’auront pas avancé ensemble sur cette question.

Je dirai un dernier mot, enfin, pour regretter que ce texte n’ait pas été l’occasion d’aller plus loin sur la question aujourd’hui essentielle de la cyber-contrefaçon. Il n’est plus à démontrer que l’explosion du commerce électronique sert aussi aux réseaux criminels à masquer leurs activités au milieu d’un flux d’informations complexe à réguler. Sans doute est-il aujourd'hui indispensable d’adopter les mesures de cette proposition de loi. Toutefois, madame la ministre, nous estimons qu’il faudra rapidement se pencher sur ce problème spécifique. J’ai bien noté que vous avez, au cours de votre intervention, pris acte de notre préoccupation, puisque le Gouvernement devrait travailler rapidement sur ce sujet.

Quoi qu’il en soit, les membres du RDSE remercient l’auteur de cette proposition de loi, qui leur paraît aller dans le bon sens et à laquelle ils apportent leur entier soutien. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de citer quelques vers du Jardinier et son Seigneur :

« […] et les chiens et les gens

« Firent plus de dégâts en une heure de temps

« Que n’en auraient fait en cent ans

« Tous les lièvres de la province.

« Petits princes, videz vos débats entre vous ;

« De recourir aux rois vous seriez de grands fous.

« Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,

« Ni les faire entrer sur vos terres. »

N’est-ce pas ce qui risque d’arriver avec les pouvoirs que cette proposition de loi s’apprête à donner aux douanes, comme nous le montre l’exemple canadien suivant ?

Un agriculteur bio découvre avec horreur que son champ est pollué par les semences OGM de son voisin, rendant ainsi sa production invendable sous le label bio. Il ne veut pas de cette semence devenue plante, il n’en a jamais voulu. Il en appelle à la justice pour faire condamner son voisin, le pollueur. Mais, en réponse, le détenteur du brevet OGM estime que l’agriculteur bio a utilisé une semence protégée. En conséquence, le pollueur fait détruire le champ du pollué, et récupère en prime des dommages et intérêts !

Voilà quelle pourrait être la situation des petites exploitations d’agriculteurs en culture biologique à l’égard des produits sous certificat d’obtention végétale. Breveter le vivant, les graines, les semences, les levains, est déjà une décision étonnante, dangereuse et contraire à toute humanité. Mais permettre une saisie quelque peu arbitraire, sans que la justice n’ait rien eu à statuer, sur simple décision des douanes ou, pire encore, d’un groupe d’intérêts, fait basculer de l’intérêt général et de la présomption d’innocence à la défense d’intérêts très particuliers s’exerçant contre des personnes présumées coupables par les pouvoirs publics.

Que deviendra en effet la petite entreprise qui sera saisie de ses biens, de ses semences, de ses logiciels ou de tout autre élément soupçonné d’être une contrefaçon, face à des géants à la trésorerie bien remplie, qui pourront ainsi écraser un potentiel concurrent, uniquement par une demande de saisie, à laquelle l’administration sera obligée d’obéir ?

Certes, la proposition de loi tend à prévoir des indemnisations en cas d’erreur. Mais, entre-temps, la petite entreprise ne pourra pas livrer, honorer ses commandes, ne sera plus considérée comme fiable par ses acheteurs, perdra ses clients et sa réputation et, au bout du compte, fera faillite. Les indemnisations n’en pourront mais, le mal sera irréparable.

Pendant que nous votons sur ces saisies douanières attentatoires à la présomption d’innocence, l’espionnage industriel, à bien plus grande échelle, avec la complicité au plus haut niveau des États, s’amplifie. Sont en jeu des sommes autrement plus importantes, à tout le moins aussi importantes.

Les écoutes téléphoniques de l’Agence nationale de sécurité américaine, la NSA, révélées par le lanceur d’alerte Edward Snowden, qui mériterait l’asile politique par la patrie des droits de l’homme, ont fait perdre des marchés à des entreprises françaises telles Thalès ou Airbus, comme le contait le palmipède de la semaine passée.

Faut-il rappeler que c’est grâce à la contrefaçon indienne que des malades séropositifs ont pu se soigner à des prix acceptables, alors même que certains empêchaient cette entreprise de santé publique, sous prétexte de brevets et d’investissements dans la recherche médicale ? Que des brevets ou des droits de propriété intellectuelle, inventés d’ailleurs par Mirabeau, existent, pour permettre à leurs auteurs d’en vivre, c’est tout à fait normal. Que cela devienne une rente de situation, parfois au détriment de la santé des plus pauvres, des plus démunis et des plus fragiles, voilà qui devrait nous interpeller et nous faire réfléchir à une autre manière de penser la rémunération de l’innovation, pour un autre modèle de société.

Toutefois, le petit État qu’est la France n’a aucun pouvoir de faire modifier les règles du commerce mondial ni même d’enrayer les pratiques mafieuses, auxquelles nous sommes extrêmement sensibles, parce que les contrefaçons peuvent être mortelles, qu’il s’agisse de médicaments, de pièces mécaniques, de jouets, etc.

Nous voterons ce texte, malgré tout le mal que je viens d’en dire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est difficile à comprendre !

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon
Discussion générale (suite)

5

Nomination des membres d’une mission commune d’information

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté une liste de candidats pour la mission commune d’information sur « Quels nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’Internet ? »

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, ces listes sont ratifiées, et je proclame M. Philippe Adnot, Mme Michèle André, MM. Dominique Bailly, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Maryvonne Blondin, MM. Jean-Marie Bockel, Pierre Camani, Jacques Chiron, Philippe Dallier, Robert Del Picchia, Mmes Michelle Demessine, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Yves Détraigne, Claude Dilain, Jean-Jacques Filleul, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Gattolin, Gaëtan Gorce, Pierre Hérisson, Melle Sophie Joissains, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Philippe Leroy, Jacques-Bernard Magner, Philippe Marini, Rachel Mazuir, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Jean-Pierre Plancade, Bruno Retailleau, Mme Patricia Schillinger, membres de la mission commune d’information sur « Quels nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’Internet ? »

6

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon
Discussion générale (suite)

Lutte contre la contrefaçon

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon
Articles additionnels avant le chapitre Ier

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je salue particulièrement notre collègue Richard Young, expert en propriété intellectuelle.

M. Richard Yung, auteur de la proposition de loi. Ancien expert ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest. Il en reste toujours quelque chose ! (Mêmes mouvements.) D’autres sont spécialisés dans les semences : chacun son métier !

Le Sénat, plus particulièrement sa commission des lois, a depuis longtemps joué un rôle moteur dans le renforcement de la lutte contre la contrefaçon. Richard Young s’en souvient, notre assemblée a beaucoup contribué à l’élaboration de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon et, surtout, à l’évaluation qui en a été faite, grâce à la mission d’information qu’il a conduite avec notre ancien collègue Laurent Béteille : leur rapport, rendu après six mois de travail en février 2011, a révélé la nécessité d’apporter des compléments indispensables pour perfectionner la protection de la propriété intellectuelle en France.

Outre les enjeux économiques considérables de la lutte contre la contrefaçon, il ne faut pas négliger combien il est essentiel de conforter la réputation d’excellence et d’attractivité juridique de notre pays dans un domaine très concurrentiel marqué par ce phénomène dit du « forum shopping ». Richard Young et Mme la ministre l’ont rappelé.

Comme il paraît possible que deux sénateurs de sensibilités politiques différentes puissent cosigner un rapport d’information – à défaut d’une proposition de loi –, la proposition de loi de notre ancien collègue Laurent Béteille fut rapportée le 12 juillet 2011 par Richard Yung, sans qu’elle soit examinée par le Sénat. Ce fut l’un des derniers textes rapportés par la commission des lois avant le changement de majorité sénatoriale.

Aussi, on ne peut bien sûr que se féliciter du dépôt par Richard Yung et nos collègues du groupe socialiste de cette nouvelle proposition de loi, qui reprend quasi intégralement le texte élaboré en 2011 par la commission des lois. De fait, cet exemple est une bonne illustration de la capacité du Parlement à légiférer sur des sujets complexes, sans assistance a priori, comme le Sénat l’a démontré à maintes reprises dans le passé.

Les propositions de loi ne sont pas obligatoirement anecdotiques et sans doute la révision constitutionnelle de 2008 permet-elle plus facilement de conforter l’initiative parlementaire, à condition de disposer d’un peu de temps.

Comme M. le rapporteur l’a souligné, il s’agit non pas de bouleverser la loi du 29 octobre 2007, mais plutôt de lui apporter des améliorations, d’harmoniser les mécanismes existants, tant en matière civile qu’en matière de répression pénale, et de renforcer les moyens d’action des douanes.

La proposition de loi tend à ouvrir un large champ – d’autant que le Gouvernement a ajouté quelques pages à ses nombreux articles –, qui va de la répartition des contentieux à la prescription. Il convient de l’analyser sur chacun de ces points pour respecter à la fois la cohérence des données juridiques et la nécessité de ne pas modifier de façon excessive les règles existantes.

C’est ainsi que la commission de lois vous propose de ne pas bouleverser la répartition actuelle du contentieux de la propriété intellectuelle, mais plutôt de clarifier la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris. C’est également l’intention du Gouvernement.

Ce qui est important, en revanche, c’est que les tribunaux de grande instance compétents en matière de propriété intellectuelle disposent des ressources humaines nécessaires à leur efficacité, en particulier des magistrats spécialisés.

En ce qui concerne les dédommagements civils en matière de contrefaçon, si la commission a amélioré la rédaction de la loi de 2007, il est sans doute sage de ne pas introduire dans notre droit de la responsabilité la notion de dommages et intérêts punitifs.

Si M. Anziani était là, je lui dirais qu’il ne faut pas céder à cette tentation !

M. Richard Yung. Ce n’est pas la mienne, en tout cas !

M. Jean-Jacques Hyest. D’une manière générale, on pourrait creuser la question de l’amende civile – j’y crois beaucoup –, souvent bien préférable en matière de droit économique à la voie pénale. Une mesure touchant au porte-monnaie est toujours plus efficace qu’une vague sanction pénale, surtout quand celle-ci n’est presque jamais exécutée.

Je passerai sur les améliorations apportées par le texte sur les procédures du droit à l’information et du droit de la preuve, qui donnent au juge des moyens d’action plus larges.

Il y a lieu aussi de se féliciter de l’harmonisation opérée entre la procédure de saisie-contrefaçon et des procédures connexes pour tous les droits de propriété intellectuelle.

Un des chapitres les plus importants de la proposition de loi vise à renforcer les moyens d’action des douanes, dont le rôle est essentiel pour la lutte contre la contrefaçon. Outre l’extension et l’harmonisation avec le droit communautaire de la procédure de retenue douanière, les nombreuses dispositions visées notamment aux articles 9 à 14 ne peuvent qu’améliorer l’efficacité des services des douanes, dont il faut saluer la qualité de l’action et leur engagement très fort dans la lutte contre la contrefaçon.

Vous ne m’en voudrez pas, enfin, de me féliciter de l’alignement sur le droit commun des délais de prescription de l’action civile en matière de contrefaçon. La réforme de la prescription de l’action civile, engagée et menée à bien par le Sénat, a en effet permis la modernisation d’un pan entier du code civil, laquelle, je le crois, est unanimement appréciée par les juristes. C’est suffisamment rare pour le signaler !

La contrefaçon, qui, pour l’opinion publique concerne avant tout des produits de luxe, s’étend à tous les domaines : industriels, agricoles, mais aussi ceux de la santé et de la sécurité humaine et animale. C’est pourquoi, devant les risques particuliers que suscitent ces contrefaçons, l’aggravation des sanctions pénales s’avère utile.

Mes chers collègues, après M. le rapporteur, je vous lance à mon tour un appel : certes, la question de l’authenticité des sculptures ou des tableaux est intéressante, mais ce sont des problèmes annexes ; aussi, je vous en supplie, concentrons-nous sur l’essentiel ! Ce texte est si important que le Gouvernement, chose rare s’agissant d’une proposition de loi, a engagé la procédure accélérée, ce qui démontre sa volonté de le voir adopter rapidement.

Si j’en juge par plusieurs amendements qui ont été déposés, je suis tout de même frappé de constater que certains sujets qu’on pensait avoir réglés reviennent régulièrement. Ainsi, il me semble que, il n’y a pas si longtemps, nous avons adopté une loi relative aux certificats d’obtention végétale ; de fait, pour moi, le problème des semences était réglé.

M. Gérard Le Cam et Mme Hélène Lipietz. Il n’a pas été bien réglé !

M. Jean-Jacques Hyest. Il n’empêche qu’il revient !

J’ai eu le sentiment que certains orateurs, prenant prétexte de la lutte contre la contrefaçon, soulevaient de nouveau ce problème dans leur intervention.

Ce sujet est important, j’en conviens, mais, comme la commission des lois, j’estime qu’il doit être traité dans un autre cadre. Aujourd’hui, nous avons d’autres problèmes plus urgents à régler.

En conclusion, le groupe UMP votera cette proposition de loi, heureux aboutissement d’une démarche d’évaluation et de proposition du Sénat.

Madame la ministre, ce texte sera en outre agrémenté des amendements du Gouvernement visant à mettre en cohérence le droit national avec le règlement de l’Union européenne adopté le 12 juin 2013 et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2014. C’est là un record de rapidité – nous serons même en avance –,…

Mme Nicole Bricq, ministre. C’est exact !

M. Jean-Jacques Hyest. … alors que l’Europe nous reproche toujours d’être à la traîne dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contrefaçon représente un manque à gagner non négligeable pour notre économie et, plus largement, pour l’économie mondiale. La problématique abordée par le texte présenté par notre collègue Richard Yung est donc d’une importance capitale et concerne beaucoup d’entreprises de notre pays.

La contrefaçon, jadis artisanale et relativement localisée, est devenue aujourd’hui un phénomène industriel et planétaire qui emporte des conséquences négatives très lourdes.

Les chiffres sont éloquents : la contrefaçon représenterait environ 10 % du marché mondial. En outre, on considère que les entreprises de l’Union européenne qui sont engagées dans des activités internationales perdent entre 400 millions et 800 millions d’euros sur le marché intérieur, et autour de 2 milliards d’euros en dehors de l’Union.

Selon l’OCDE, la contrefaçon aurait également pour conséquence directe la suppression de 200 000 emplois dans le monde, dont 100 000 en Europe.

À elle seule, la France perdrait chaque année plus de 6 milliards d’euros. On estime également que la contrefaçon détruit chaque année plus de 30 000 emplois dans notre pays et que plus d’une entreprise sur deux a été confrontée à ce problème.

Dans la période de crise économique aiguë que nous subissons aujourd’hui, ces chiffres ne peuvent pas nous laisser indifférents. Nous devons utiliser tous les outils permettant de faire reculer le chômage, tous les moyens pour lutter contre la destruction d’emplois dans notre pays.

La contrefaçon a beaucoup évolué. Au départ, elle concernait principalement les produits de luxe, comme la joaillerie, l’horlogerie, les parfums, les cosmétiques ou la maroquinerie. Aujourd’hui, elle s’étend à presque tous les domaines et à la quasi-totalité des biens de consommation, ce qui pose de véritables problèmes de sécurité pour l’usager, en particulier s’agissant des jouets, des médicaments, des produits alimentaires, des appareils domestiques ou encore des pièces détachées, dans le secteur automobile.

En 2009, la commission des lois avait décidé de créer une mission d’information sur l’évaluation de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. Il s’agissait de vérifier si les avancées contenues dans cette loi, dont beaucoup sont d’ailleurs issues de la commission des lois du Sénat, avaient produit les effets escomptés, en matière tant civile que pénale ou douanière.

Le rapport d’information de notre collègue Richard Yung et de notre ancien collègue Laurent Béteille, publié en février 2011, soulignait que la loi de 2007 a globalement constitué un net progrès dans la lutte contre les atteintes à la propriété intellectuelle. Ce rapport d’information avait mis en évidence la nécessité, d’une part, d’apporter certaines précisions ou clarifications souhaitées par les professionnels et, d’autre part, d’améliorer encore la protection de la propriété intellectuelle dans notre pays. En effet, il apparaît essentiel de conforter la réputation d’excellence et l’attractivité juridique de la France dans un domaine très concurrentiel marqué par le phénomène dit du « forum shopping ».

Le présent texte traduit donc les propositions issues de ce rapport sénatorial, dans le respect de la directive du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Pour renforcer la lutte contre la contrefaçon, le texte aborde essentiellement quatre grands domaines : la spécialisation des tribunaux, le calcul et la détermination des dommages et intérêts, le droit à l’information et le droit de la preuve, enfin, le renforcement significatif du pouvoir de la douane.

Au nom de mon groupe, je tiens à saluer le travail important réalisé par M. le rapporteur. Cette matière est extrêmement technique et son rapport a permis à ceux d’entre nous – dont je suis – qui ne sont pas des spécialistes de la propriété intellectuelle de mieux l’appréhender.

Nous saluons les amendements qui ont été adoptés en commission. Je veux dire un mot sur celui qui a été adopté à l’article 2, qui concerne le mode de fixation des dommages et intérêts en matière de contrefaçon.

M. le rapporteur a opportunément proposé de supprimer la disposition selon laquelle le juge peut ordonner la confiscation des recettes procurées par une contrefaçon au profit du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle victime de cette contrefaçon, lorsqu’il considère que le montant des dommages et intérêts, tel qu’il résulte des critères fixés par le texte, ne répare pas l’intégralité du préjudice.

Une telle disposition pourrait effectivement s’apparenter à l’introduction dans notre droit de dommages et intérêts punitifs, ce qui nous semble non pertinent et peu conforme à notre tradition juridique.

Pour finir, je dirai un mot des nouveaux moyens juridiques dont la présente proposition de loi tendra à doter l’administration des douanes. Cette administration, souvent mal connue alors même que son travail est particulièrement efficace, joue un rôle absolument déterminant en matière de lutte contre la contrefaçon et contre les réseaux criminels qui l’organisent à l’échelle mondiale.

Certes, la douane dispose à ce jour de moyens de lutte contre les actions des sites internet étrangers proposant des contrefaçons à des acheteurs situés en France, via ses pouvoirs traditionnels de contrôle au moment du dédouanement.

Toutefois, ces modalités de contrôle sont aujourd’hui insuffisantes pour lutter efficacement contre la contrefaçon qui se développe sur internet. La nature particulière de ce vecteur de fraude nécessite la mise en œuvre de possibilités de contrôle optimisées, portant notamment sur les envois postaux et de fret express utilisés pour l’expédition des marchandises achetées en ligne.

Le texte tend donc à introduire des améliorations importantes, en particulier en ce qui concerne les procédures d’infiltration et celle du coup d’achat qui a été mentionnée par plusieurs intervenants avant moi. Ces modifications sont attendues par les douaniers et rendront leur action plus efficace.

Ce texte constitue donc un complément indispensable de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. Nous soutiendrons donc cette proposition de loi et plaidons pour qu’elle puisse rapidement être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et qu’elle ne reste pas, comme de trop nombreuses propositions votées au Sénat, en déshérence entre les deux assemblées. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe écologiste, du groupe socialiste, et sur certaines travées du RDSE. – Très bien ! au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.