M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° I-104 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° I-358 est présenté par M. de Montgolfier et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° I-509 est présenté par MM. Mézard, Collin, C. Bourquin, Fortassin, Alfonsi, Baylet, Bertrand, Collombat et Esnol, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° I-104.
M. Éric Bocquet. Cet article vise à majorer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE.
Il s'agit en l’espèce, comme relevé dans le rapport, de rendre « intelligents » les droits d’accise perçus par les services des douanes, et « incitative » la taxation relative aux carburants et modes de chauffage les moins susceptibles d’attenter à l’environnement.
Avec un rendement annoncé de 13,435 milliards d’euros au bénéfice de l’État et 11,424 milliards d’euros reversés aux collectivités locales pour couvrir les dépenses du RSA et les conséquences de la décentralisation – sans oublier les 436 millions d’euros de taxe spéciale sur les carburants perçus outre-mer –, il était sans doute temps que la TICPE devienne intelligente.
Derrière l’article 20 se cache un nouvel alourdissement de la fiscalité indirecte pour les ménages à hauteur de 230 millions d’euros dès 2014, et de 2,7 milliards d’euros en 2016.
Le prix du plein d’essence ou de gazole, la facture de chauffage au gaz ou au fioul vont augmenter sans que les intéressés puissent y faire grand-chose.
La grande remise à plat de notre système fiscal ne pourra ignorer la situation des familles contraintes d’utiliser leur véhicule personnel pour aller travailler ou dont les logements collectifs sont chauffés grâce au fioul ou au gaz.
L’article 20 nous éclaire sur le sens de certaines réformes fiscales : avant deux ans, compte tenu de la montée en charge de sa composante carbone et des pleins effets du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, la TICPE va se transformer en recette fiscale plus importante que l’impôt sur les sociétés. Une telle logique nous déroute quelque peu.
En effet, le produit de cette hausse sera affecté non pas à la transition écologique, mais à la réduction des cotisations sociales des entreprises dans le cadre du trop fameux CICE.
Les rôles sont donc clairement partagés : d’un côté, les entreprises collectent l’impôt et le facturent en dernier ressort au consommateur avant de percevoir le produit du CICE, de l’autre, les consommateurs ont le droit de payer le tout directement ou indirectement, sans espérer autre chose qu’un hypothétique mouvement d’embauche dans le secteur privé.
Nous ne pouvons évidemment que proposer la suppression de cet article, qui pervertit totalement le bien-fondé de la fiscalité écologique et témoigne, une fois encore, du fait que l’approche fiscale des problèmes environnementaux n’est pas la bonne.
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, pour présenter l’amendement n° I–358.
M. Albéric de Montgolfier. Le présent amendement vise à supprimer l’article 20, qui prévoit une forte augmentation des taxations de l’énergie en trois ans. La multiplication des tarifs varie entre 3,5 et 4 fois le tarif de 2013.
Cette montée en puissance considérable aura des conséquences non seulement sur les ménages, mais aussi sur les entreprises.
Or aucune étude d’impact n’a été réalisée : les effets de ce dispositif sur la compétitivité et sur l’emploi n’ont pas été évalués sérieusement.
Par ailleurs, ce renchérissement du coût de l’énergie supporté par les entreprises aboutit à taxer la fabrication française et à accentuer le déficit de compétitivité de nos fleurons face aux concurrents européens qui, eux, ne payent pas de taxe carbone.
Cette analyse a été confirmée par différentes études : la taxe, d’un effet récessif sur l’économie, sera destructrice d’emplois et de croissance.
Par ailleurs, quelles que soient les options retenues en matière de compensation ou de redistribution, aucune n’a de conséquence réellement favorable sur le développement économique.
En retenant, par exemple, un taux de vingt euros par tonne de CO2, avec exclusion des installations déjà soumises au marché européen de quotas, l’incidence sur le PIB serait négative et pourrait atteindre 0,33 % à long terme.
Certains secteurs seront particulièrement touchés : ceux de la chimie, du ciment, du papier, notamment, bref, tous les secteurs fortement consommateurs d’énergie.
Un rapport précise que cette taxe « pourrait également accélérer la désindustrialisation en faisant peser sur certains secteurs industriels un choc majeur de coût. »
Par ailleurs, la feuille de route publiée à l’issue de la première conférence environnementale prévoyait de promouvoir, dans le cadre de la révision de la directive sur la fiscalité de l’énergie, une fiscalité carbone européenne sur les secteurs hors quotas d’émission, ainsi qu’un mécanisme d’ajustement aux frontières de l’Union européenne.
Du fait de cet engagement de l’État, la contribution climat-énergie doit être pensée selon une approche non pas simplement française, mais européenne et concertée, afin d’éviter les effets de distorsion de la concurrence à l’échelle internationale et même européenne.
Malheureusement, le projet de contribution climat-énergie ne taxe que les consommations énergétiques en France. Aucun produit importé n’y sera donc soumis.
Il faut noter, pour achever de s’en convaincre, que la France est bonne élève : notre pays ne représente que 1,2 % des émissions de CO2 mondiales et en représentera moins de 1 % à l’horizon 2020.
En outre, la France réalise déjà, sans taxe carbone, des performances remarquables en la matière : elle affiche une réduction de 30 % de ses émissions de gaz à effet de serre depuis 1990, et continue d’investir dans la réduction de son empreinte carbone.
Cet article 20, dont nous proposons la suppression, est totalement déconnecté des prix du marché de CO2 et emporte un effet récessif.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° I-509.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement vise également à supprimer l’article 20 du présent projet de loi de finances.
Je tiens à le souligner d’emblée, les membres du RDSE ne sont pas opposés à la mise en œuvre d’une fiscalité écologique.
Cependant, nous considérons qu’une telle fiscalité doit répondre à deux exigences : elle doit être incitative et non punitive et doit servir à soutenir, en priorité, la mise en œuvre de politiques concourant au développement durable et à la transition énergétique.
Or l’article 20 ne nous semble répondre à aucune de ces exigences.
Tout d’abord, il prévoit une montée en charge très importante de l’augmentation des taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques.
Nous ne contestons pas le fait que, à l’heure actuelle, ces taxes ne prennent pas suffisamment en compte les émissions de carbone des produits énergétiques.
Toutefois, les dispositions proposées dans cet article qui instaure une « part carbone » dans les TICPE risquent d’être lourdes de conséquences pour un certain nombre de ménages et d’entreprises, ce qui serait particulièrement dommageable pour le pouvoir d’achat, la compétitivité, et donc pour la croissance.
Aussi, nous nous interrogeons sur le choix du Gouvernement concernant le prix de la tonne de carbone qui sous-tend le calcul de ces augmentations de taxes. Il est fixé à 7 euros en 2014, à 14,5 euros en 2015 et à 22 euros en 2016, alors que Christian de Perthuis, président du comité pour la fiscalité écologique, préconisait de retenir un prix de 20 euros la tonne en 2020.
De plus, les dispositions de l’article 20 nous semblent mal calibrées. Nous présenterons ultérieurement un amendement qui vise à prendre en compte différemment les énergies fossiles et les bioénergies, dont les émissions de CO2 ne sont évidemment pas comparables.
Quant aux nouvelles recettes générées par cette contribution climat-énergie, elles serviront majoritairement à financer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dispositif, je le rappelle, que les membres du RDSE soutiennent. Toutefois, à notre avis, la fiscalité écologique gagnerait en légitimité si ces recettes concouraient plus directement à la mise en œuvre de politiques assurant la transition énergétique.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons de supprimer l’article 20, qui nous semble prématuré en l’absence d’une stratégie nationale d’ensemble sur la transition énergétique. (M. Jean Arthuis applaudit.)
MM. Philippe Marini et Albéric de Montgolfier. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression, dont chacun appelle cependant des éléments de réponse différenciés.
S’agissant d’abord de l’amendement n° I-104, je ne peux que prendre acte de la cohérence de la ligne suivie par le groupe CRC au fil du temps, pour des raisons politiques que je respecte, même si, sur le fond, je ne partage pas l’analyse développée par M. Bocquet, et, comme beaucoup dans cette enceinte, je crois à la nécessité d’une mise en place progressive d’une fiscalité écologique dans notre pays.
Quant à l’amendement n° I-509, je voudrais convaincre nos collègues du groupe RDSE que le dispositif proposé répond en fait en grande partie aux préoccupations qu’ils ont exprimées, parce que parler de hausse arbitraire des taxes et d’un impact négatif immédiat sur le pouvoir d’achat ne correspond pas à la réalité.
Dans un horizon de moyen terme, l’augmentation sera progressive, et pour 2014 la prise en compte des émissions de carbone sera presque intégralement compensée par la diminution de la composante fixe des TICPE. Il est donc temps d’adopter le dispositif mesuré et progressif proposé par le Gouvernement.
J’espère que, au bénéfice de ces explications et de celles que vous apportera M. le ministre, vous accepterez, monsieur Requier, de retirer votre amendement.
Enfin, j’avoue ma grande incompréhension devant l’amendement n° I-358 déposé par le groupe UMP.
M. Philippe Marini. Ah !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Je rappellerai à mes collègues appartenant à ce groupe présents ce soir dans cet hémicycle les propos très forts tenus par le président Nicolas Sarkozy le 10 septembre 2009,…
M. Francis Delattre. C’est la première fois que vous citez Nicolas Sarkozy !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. … lors de la présentation de la « taxe carbone » à Artemare, dans l’Ain.
Cher collègue Francis Delattre, permettez-moi de citer votre président bien aimé de l’époque…
M. Philippe Marini. C’est votre référence préférée à vous !
M. Francis Delattre. Il a fait votre fortune !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Je vous le cite donc, puisque vous avez tendance à l’oublier : « la création d’une taxe carbone est tout sauf une décision anodine. Elle constitue un choix stratégique mûrement réfléchi, un virage fiscal majeur, ainsi qu’une décision économique de toute première importance. »
M. Francis Delattre. C’était avant la décision du Conseil constitutionnel !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Nicolas Sarkozy poursuivait : « il s’agit de s’engager, enfin, sur une voie permettant de prélever toujours mieux : d’un côté, de prélever davantage sur des activités qui coûtent à la collectivité et, d’un autre côté, de réduire peu à peu les prélèvements qui pèsent sur le travail des Français et sur l’activité économique en France. »
J’épargnerais à notre collègue du groupe UDI-UC les propos du même ordre tenus par Jean-Louis Borloo…
M. Jean Arthuis. Un peu différents sur ce point, tout de même !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Comme vous le savez, mes chers collègues, de tels propos abondent. Je pourrais en citer beaucoup d’autres allant dans le même sens.
En fait, cette espérance commune manifestée par ces grands leaders du moment, le Gouvernement la concrétise aujourd’hui en réorientant notre fiscalité vers des assiettes environnementales.
M. Philippe Marini. Vous réclamez maintenant de la continuité ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Pourquoi vous opposez-vous aujourd’hui à ce que vous souteniez hier parfois bruyamment ? Où est la cohérence ?…
M. Francis Delattre. Votre cohérence à vous, c’est la récession !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Où est la pédagogie à l’égard de nos concitoyens ?
M. Jean Arthuis. Ne niez pas la réalité, monsieur le rapporteur général !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Pour conclure, mes chers collègues, j’en appelle à votre sens des responsabilités et je vous invite, plus particulièrement vous, monsieur Arthuis, à voter en fonction de vos convictions.
La nécessité de verdir notre fiscalité devrait nous réunir, comme c’est le cas dans de nombreux pays qui nous entourent, car ce sujet mérite mieux qu’un simple réflexe politicien consistant à répondre à celui qui pose la question, et non à la question elle-même.
Pour ma part, je réaffirme donc l’avis défavorable de la commission sur ces trois amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais développer trois types d’arguments pour répondre aux différentes interventions émanant de toutes les travées de cet hémicycle.
Monsieur Bocquet, vous vous inquiétez des effets insuffisamment redistributifs des mesures prises. La fiscalité environnementale que nous mettons en place rapportera 340 millions d’euros, et montera progressivement en puissance jusqu’à permettre une rentrée fiscale de près de 4 milliards d’euros.
Cette année, les mesures d’accompagnement des ménages qui veulent se protéger du coût de l’énergie qui grève leur pouvoir d’achat représentent au moins quatre fois le montant de la taxe que nous percevrons.
L’application du taux réduit de TVA à la rénovation thermique et aux travaux induits représente près de 500 millions d’euros, soit 150 millions d’euros de plus que le rendement de la taxe.
Le taux réduit de TVA sur les logements sociaux ayant vocation à offrir une haute qualité environnementale, et qui conduira à la constitution d’un parc de logements en zone tendue avec des loyers moins élevés que ceux qui prévalent habituellement et à des niveaux de consommation énergétique bien moindres, représente également 500 à 600 millions d’euros.
Le crédit d’impôt développement durable qui accompagne, avec la prime de 1 350 euros, les ménages qui s’engagent dans la rénovation énergétique de leur logement, est également d’un montant très significatif.
La mise en place des tarifs sociaux de l’électricité, qui est l’une des grandes mesures en faveur du pouvoir d’achat incluses dans le présent projet de loi de finances, représente 450 millions d’euros et bénéficie à 2,5 millions de ménages.
Donc, si l’on compare le revenu de la taxe, 340 millions d’euros cette année, avec la totalité des dispositions adoptées en faveur de la maîtrise de l’énergie – tarifs sociaux de l’électricité, rénovation thermique –, qui sont autant de mesures très redistributives en faveur des ménages pour lesquels la facture d’électricité pèse lourd, on est dans un rapport de un à quatre ou cinq. J’ai fait les additions devant vous.
Monsieur le sénateur, je comprends votre préoccupation, mais je ne peux pas la partager, compte tenu des indications chiffrées que je viens de vous fournir.
Monsieur de Montgolfier, j’ai écouté votre intervention avec beaucoup d’intérêt. En somme, votre raisonnement est assez simple : compte tenu de la situation de notre économie, qui n’est pas dégradée ni meilleure que celle qui prévalait sur la période 2009-2010, nous ne pouvons pas nous permettre d’augmenter les TICPE.
Mais, là encore, je veux rappeler les chiffres. La taxe par tonne de CO2 que nous proposons pour 2014 s’élève à 7 euros, alors que celle que vous aviez votée, vous, et qui serait en vigueur aujourd’hui si elle n’avait pas été censurée par le Conseil constitutionnel, s’élevait à 17 euros. Si je comprends bien votre raisonnement, 7 euros la tonne c’est très discriminant, alors que 17 euros c’est très stimulant pour l’économie. J’ai vraiment beaucoup de peine à y souscrire.
D’autant que cette taxe à 7 euros la tonne est compensée par un effet volume, c’est-à-dire que ce que nous prenons par l’effet taux nous le compensons en grande partie par l’effet volume, sans cela le rendement de la taxe dépasserait de beaucoup les 340 millions d’euros ; c’est un premier point.
Deuxième point, cette taxe vise pour une large part à financer une diminution de 20 milliards d’euros de charges pesant sur les entreprises, non pas, comme avec la TVA sociale, en répercutant la baisse des cotisations sociales directement sur les ménages via une augmentation très significative de la TVA à hauteur de 13 milliards d’euros, car les 20 milliards d’allégements nets de charges du CICE correspondent à 10 milliards d’économies en dépenses…
M. Francis Delattre. Pour l’instant, c’est virtuel !
M. Philippe Marini. Ce ne sont que des créances !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mais pas du tout ! Cette somme correspond donc à 10 milliards d’euros d’économies en dépenses, à la fiscalité écologique, à hauteur de près de 4 milliards d’euros, et à la TVA, à hauteur de 6 milliards d’euros. Voilà comment est financé le CICE. Du reste, ces 6 milliards, vous ne pouvez pas dire qu’ils sont virtuels, puisque vous passez votre temps sur les ondes à expliquer que leur existence pose problème.
Je vous ai précédemment présenté les économies en dépenses pour cette année, et, sur les 15 milliards d’euros en cause, la part réservée au financement du CICE s’élève à 4 milliards d’euros. Quant à la part de la fiscalité écologique qui correspond à ce même financement, vous ne pouvez pas considérer qu’elle est virtuelle, sauf à vous dispenser de vouloir la supprimer par le biais d’un amendement de suppression.
M. François Rebsamen. Eh oui !
Mme Michèle André. C’est juste !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Quel est l’intérêt de proposer un amendement de suppression de quelque chose qui n’existe pas ? Votre raisonnement est erroné !
Bref, nous mettons en place une fiscalité environnementale pour financer une diminution du coût du travail et dans des conditions où l’effet taux est compensé par l’effet volume et où la tonne de CO2 est taxée à hauteur de 7 euros, contre 17 euros par le Gouvernement précédent.
Monsieur le sénateur, votre prise de position est totalement politique et partisane, et comme c’est souvent le cas lors de tels positionnements, vous oubliez totalement ce que vous avez fait hier. À l’inverse, notre démarche vise à moderniser le pays, à baisser le coût du travail, à rendre nos entreprises plus vertueuses, et, surtout, à obtenir un rendement fiscal permettant d’équilibrer le budget et de financer cette baisse du coût du travail.
Pour toutes ces raisons, monsieur le sénateur, je ne peux là non plus me prononcer favorablement sur votre amendement. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Monsieur Requier, je comprends bien votre propos, mais vous êtes attaché, vous l’avez dit, à la fiscalité écologique, et il faut bien à un moment donné la mettre en œuvre ; si, en outre, vous êtes attaché à la compétitivité des entreprises, ce qui est le cas de votre groupe, je le sais, vous ne pouvez pas ne pas vous féliciter de la montée en puissance de la fiscalité écologique, puisqu’elle permettra de financer une diminution du coût du travail.
Par ailleurs, comme je l’ai déjà indiqué, toutes ces mesures seront plutôt bénéfiques pour l’économie. Je suis donc défavorable à tous ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. L’alternance permet à la droite et à la gauche de présenter tour à tour les mêmes argumentations. Voilà comment s’est créé un consensus pour maintenir notre pays dans l’aveuglement, pour ne rien changer et persévérer dans une politique qui multiplie le nombre de chômeurs et met notre pays dans les pires difficultés.
Sommes-nous capables de rompre avec les conventions de langage, monsieur le ministre ? Vous évoquez les transferts de charges des entreprises vers la TVA au détriment des consommateurs. Mais croyez-vous qu’il y ait un seul impôt payé par les entreprises qui ne soit pas répercuté sur les prix à la consommation, et donc sur les consommateurs ?
C’était politiquement correct de déclarer hier qu’il y avait des impôts acquittés d’un côté par les entreprises et de l’autre par les ménages, et que l’augmentation des prélèvements obligatoires touchait à parts égales les entreprises et les ménages.
C’est ce discours même qui nous égare collectivement ! Sommes-nous prêts à en sortir ? La taxe que vous proposez d’instaurer, monsieur le ministre, reste un impôt de production.
M. Philippe Marini. Bien sûr !
M. Jean Arthuis. Or, en taxant la production, vous vous rendez complice de la délocalisation des activités et des emplois.
M. Albéric de Montgolfier. Eh oui !
M. Jean Arthuis. Sommes-nous prêts, mes chers collègues, à l’heure où le Premier ministre nous appelle à la « remise à plat » de nos prélèvements obligatoires, à modifier nos références, pour enclencher – enfin ! – le processus de réforme, qui nous permettrait d’espérer une reprise économique, le retour de la compétitivité, la recréation d’emplois, et l’inversion durable de la courbe du chômage ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur Arthuis, je comprends parfaitement votre raisonnement. Toutefois, il me semble quelque peu en contradiction avec les propos tenus dans cette enceinte même par des orateurs de votre groupe, il n’y a pas si longtemps de cela.
M. Jean Arthuis. C’est possible, c’est la démocratie !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le raisonnement que vous développez est le suivant : il faut, autant que faire se peut, diminuer les impôts pesant sur la production, parce qu’ils sont préjudiciables à la croissance et au développement des entreprises, et faire porter la taxation sur un autre élément.
Je reconnais là, monsieur le sénateur, votre grande sagesse, tirée de votre longue expérience, à laquelle je me rallie bien volontiers.
C’est bien pour cela que Pierre Moscovici et moi-même avions proposé, dans la version initiale du projet de loi de finances, de mettre fin à la taxation de la production, et d’imposer le résultat. À cet effet, nous avions suggéré de procéder à la taxation de l’excédent net d’exploitation, ou ENE, dont l’assiette prenait en compte les amortissements, pour éviter de pénaliser l’investissement. C’était également une manière d’engager une réflexion fort salutaire sur le basculement des impôts de la production vers le résultat.
De plus, la mise en place d’une taxe sur le résultat minimale répondait à notre volonté de nous assurer que certains grands groupes, qui dégagent actuellement des profits sans payer d’impôt sur les sociétés, puissent enfin en acquitter.
Son instauration aurait permis, enfin, de lutter contre le mitage de l’assiette de l’impôt sur les sociétés du fait des pratiques d’optimisation fiscale, pratiques que, par ailleurs, vous combattez, monsieur le sénateur.
L’ensemble de ces actions – baisse de l’impôt sur la production, mise en place d’un impôt minimal sur le résultat, « démitage » de l’assiette de l’impôt sur les sociétés – aurait contribué à ramener le taux de l’impôt sur les sociétés au niveau prévalant partout ailleurs en Europe.
Quand le Gouvernement a fait cette proposition, qui correspond très exactement au souhait que vous venez de formuler, nous avons vu des orateurs de l’opposition se lever – y compris certains de votre groupe, monsieur le sénateur – pour dénoncer une forme d’incohérence, qui méritait d’être condamnée sur le champ.
Vous avez raison : il faut faire exactement ce que vous venez d’indiquer. C’est la raison pour laquelle je compte sur vous pour soutenir la stratégie du Gouvernement en la matière, dans le cadre de la remise à plat de la fiscalité des entreprises, et lors des Assises de la fiscalité des entreprises, qui s’engageront avec les organisations représentatives au mois de janvier prochain. Cette stratégie, que je viens d’indiquer, correspond très précisément aux propos que vous venez de tenir, même si ces derniers sont à l’exact opposé de ceux qu’ont tenus à l’Assemblée nationale et au Sénat les orateurs de la famille politique à laquelle vous appartenez.
M. Jean Arthuis. Cela peut arriver !
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.
M. Francis Delattre. Je m’interroge sur la cohérence de l’action gouvernementale. Nous venons d’apprendre que la fiscalité écologique allait contribuer au financement du CICE.
M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’est pas un scoop !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Rien de nouveau !
M. Francis Delattre. Autant que je sache, le renchérissement du coût de l’énergie sera supporté, pour l’essentiel, par les entreprises. De même, la création d’une surtaxe sur l’impôt sur les sociétés représente une taxation supplémentaire pesant sur la production. Enfin, la non-déductibilité fiscale des investissements des entreprises ne semble pas non plus tout à fait cohérente avec le discours que vous venez de tenir, monsieur le ministre.
En réalité, avec le CICE, vous êtes en pleine schizophrénie ! Son effet est neutre pour les entreprises, auxquelles vous allez prendre 2,5 milliards d’euros avec la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés, 3 milliards d’euros avec la non-déductibilité fiscale de leurs investissements, et une somme encore à déterminer avec le renchérissement du coût de l’énergie.
D’un côté, donc, le Gouvernement donne de l’argent pour améliorer la compétitivité des entreprises, et de l’autre, il les grève de taxes et impôts nouveaux ! Si vous pouviez expliquer la cohérence de votre action, monsieur le ministre, le pays vous en serait reconnaissant !
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, pour explication de vote.
M. Philippe Marini. Monsieur le ministre, vous nous avez rappelé dans quel esprit vous aviez été amené à évoquer une contribution sur l’excédent brut d’exploitation, ou EBE, lors de la préparation du présent projet de loi de finances. Vous avez également fait état des réactions hostiles, qui ont été exprimées par différents groupes politiques. Mais vous ne nous avez pas dit ce qui a vraiment fait obstacle à ce projet : la réaction massive qu’il a provoquée dans le milieu des entreprises !
Vos interlocuteurs avaient peut-être tort, et vous auriez pu leur expliquer pourquoi, comme vous l’avez fait tout à l’heure aux trois auteurs des amendements de suppression de l’article 20.
Monsieur le ministre, il faut que vous réalisiez que toutes les mesures qu’a prises la majorité actuelle, depuis l’alternance de 2012, ne sont pas de nature à créer un climat de confiance, qui vous aiderait à bien faire comprendre vos projets par les milieux économiques. On peut, de votre point de vue, le regretter, mais c’est une réalité !
Il est vrai que vos prédécesseurs ont eu l’expérience du débat très difficile relatif à la taxe carbone. Cette fiscalité s’est aussitôt heurtée à toute une série de demandes justifiées de modération, voire d’exonérations.
Je me permets de souligner que, si les amendements tendant à la suppression de l’article 20 ne sont pas adoptés, nous allons aussitôt examiner une très longue série d’amendements, qui n’est que la démonstration des futurs problèmes d’application d’un tel impôt.
Si la fiscalité environnementale que vous avez conçue est moins ambitieuse que celle qui a été adoptée voilà quelques années, elle se heurtera pourtant aux mêmes difficultés : les questions de transport ou d’isolement de certains milieux géographiques, la pénalisation des fonctions de production de certaines entreprises et de certains secteurs. Tous ces contribuables éventuels se manifesteront avec force. Monsieur le ministre, vous ne pourrez pas résister à toutes ces expressions négatives, et vous accorderez des dégrèvements, des exceptions, des modifications de toute nature. Je suis prêt à parier que, au bout du compte, le dispositif ne sera pas si éloigné que cela du précédent, qui avait été soumis au Conseil constitutionnel, lequel, je le rappelle, l’avait annulé, au motif que, faisant droit à trop de demandes d’exception et d’exonération, il était devenu trop inégalitaire.
M. Dallier l’a souligné tout à l’heure, les choses sont devenues tellement complexes que, finalement, tout se passe comme si vous preniez d’une main, puis rendiez de l’autre. Vous vous livrez à une espèce de jeu de bonneteau permanent, si bien que plus personne ne peut avoir une vision claire de la stratégie fiscale menée en France. Dans ces conditions, monsieur le ministre, la remise à plat de la fiscalité est une urgente nécessité !