compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, je vais suspendre la séance quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures dix, est reprise à quinze heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire qui s’est réunie sur le projet de loi de finances rectificative pour 2013 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Avenir et justice du système de retraites
Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (projet n° 173, texte de la commission n° 190, rapport n° 189).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mon retard, absolument involontaire puisque j’avais été informée que la séance commencerait à seize heures.
Le projet de loi garantissant l’avenir et la justice de notre système de retraites revient devant vous pour un ultime examen. Les discussions ont été âpres, longues, approfondies lors de la première lecture de ce texte par le Sénat ; je ne reviendrai donc pas sur le détail de son contenu.
Je voudrais simplement insister sur l’ambition, la volonté du Gouvernement de restaurer la confiance à l’égard de notre système de retraites, en particulier au sein des jeunes générations. Si nous voulons éviter que les plus jeunes se tournent vers des systèmes d’assurance privée, finissent par ne compter que sur leurs propres forces ou leurs seuls proches, nous devons leur garantir que, le jour venu, ils pourront à leur tour bénéficier d’une retraite de bonne qualité et de bon niveau. Dans un contexte économique difficile, il est donc de notre responsabilité, de notre devoir de fortifier notre système de retraites.
Les débats, à bien des égards intéressants, que nous avons eus correspondent à l’idée que nous pouvons nous faire de la démocratie parlementaire : vos travaux ont éclairé le cap fixé par la majorité et contribué à enrichir le projet initial du Gouvernement.
Le dernier examen du texte à l’Assemblée nationale a maintenu les grands équilibres de la réforme, tout en permettant de compléter les dispositions initialement prévues. Permettez-moi d’énumérer les principales évolutions intervenues depuis la première lecture de ce projet de loi au Sénat.
Tout d’abord, l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, sera revalorisée deux fois au cours de l’année 2014 : non seulement au 1er avril, comme initialement prévu, mais également au 1er octobre, date de la revalorisation générale des pensions en 2014.
Ensuite, le Gouvernement a fait le choix d’augmenter de 50 euros l’aide à la complémentaire santé pour les personnes de plus de 60 ans dont le revenu s’établit entre 715 et 967 euros. Cela permettra de compenser, pour elles, le coût de la contribution apportée à nos régimes de retraite.
Nous entendons réformer les retraites en évitant d’entrer dans la logique de brutalité qui a trop longtemps prévalu dans notre pays. Nous voulons également marquer clairement le cap de la responsabilité financière qui est le nôtre, tenu tant à court terme, au travers des mesures de contribution concernant l’ensemble de nos concitoyens, qu’à plus long terme, avec l’allongement de la durée de cotisation qui interviendra à partir de 2020.
Je voudrais insister sur un point : c’est bien l’ensemble de nos concitoyens qui sont appelés à contribuer, et non pas seulement certaines catégories de Français, comme je l’ai entendu parfois affirmer, notamment sur certaines travées de cet hémicycle, ce qui accréditerait l’idée que des efforts seraient demandés aux uns tandis que d’autres en seraient exonérés.
Les fonctionnaires, comme les salariés sous statut et les agents sous statut, devront, comme les autres, contribuer à l’équilibre de nos régimes de retraite, que ce soit par l’augmentation de la cotisation, à compter de l’année prochaine, par l’allongement de la durée de cotisation à partir de 2020 ou par la mise à contribution des retraités de ces catégories.
En menant cette politique large, propre à rassembler notre société, nous entendons répondre aux défis financiers auxquels sont confrontés l’ensemble de nos régimes de retraite, du privé comme du public. C’est bien la recherche de l’équilibre qui a guidé le Gouvernement.
Dans le même temps, nous avons voulu tenir compte des conditions de vie et de travail, des carrières professionnelles pour déterminer les modalités de départ à la retraite. Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est le point central du projet de loi qui vous est présenté.
Si ce texte est, comme je l’espère, adopté, la durée de cotisation requise pour disposer d’une retraite de bonne qualité sera, pour la première fois, modulée pour tenir compte d’éventuels critères de pénibilité et de situations particulières, comme le travail à temps partiel ou des périodes de maternité.
C’est cette double exigence de responsabilité financière et de responsabilité sociale qui a guidé le Gouvernement. Je souhaite qu’elle puisse inspirer nos travaux à l’occasion de cette nouvelle discussion, dans un esprit de responsabilité et dans le respect de l’équilibre du texte présenté par le Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère que l’issue de nos débats sera différente de celle de la première lecture, même si je ne suis pas certaine d’être entendue. En tout cas, nous ne pouvons pas ne pas répondre aux préoccupations exprimées par nos concitoyens sur l’avenir de nos régimes de retraite. C’est à cette exigence qu’ensemble nous devons faire face, avec responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Christiane Demontès, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites que notre assemblée s’apprête à examiner en nouvelle lecture est le fruit d’un long processus, engagé par le Gouvernement il y a près de dix-huit mois.
Grande conférence sociale de juillet 2012, rapport de la commission Moreau pour l’avenir des retraites, puis concertation avec les partenaires sociaux au début de l’été dernier : la démarche a été sérieuse et méthodique, les discussions ont été riches et approfondies.
Les dispositions phares du projet de loi sont aujourd’hui bien connues de tous. Il n’apparaît donc pas utile de revenir sur le détail des avancées proposées par le Gouvernement. Je souhaiterais, en revanche, apporter quelques éléments de réponse aux critiques exprimées sur les travées de l’opposition et de certains groupes de la majorité parlementaire contre cette réforme.
Certains reprochent au Gouvernement l’insuffisance des mesures de redressement du système de retraites et appellent de leurs vœux un changement de paradigme, avec la mise en place d’un régime universel par points.
Faut-il leur rappeler la situation qui nous a été léguée ? Le besoin de financement du système est évalué à 20,7 milliards d’euros en 2020, dont 7,6 milliards d’euros pour le régime général, le Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, et les régimes de retraite de base non équilibrés par subvention.
La réforme des retraites de 2003 envisageait pourtant un retour à l’équilibre à l’horizon 2020 ; celle de 2010 l’envisageait pour 2018 : les promesses n’ont pas été tenues, tant s’en faut !
Pour faire face à cette situation, les mesures de financement prévues par le projet de loi s’élèvent à plus de 4 milliards d’euros en 2014 et à 8 milliards d’euros en 2020. Dès l’année prochaine, le déficit des régimes de retraite de base devrait être ramené à 1,6 milliard d’euros, contre 4,1 milliards en 2013.
Contrairement à une idée reçue, ces mesures impliquent l’ensemble des régimes de retraite, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, y compris celui de la fonction publique et les régimes spéciaux. Ceux-ci ne seront en effet exemptés ni de l’allongement de la durée d’assurance ni du report de la date de revalorisation des pensions, et encore moins de la hausse des cotisations d’assurance vieillesse.
Il convient en outre de « tordre le cou » à deux autres affirmations erronées.
Je pense en premier lieu à l’idée selon laquelle seul un changement radical de système permettrait de mettre un point d’arrêt aux déficits. Nous savons qu’une réforme systémique, qui conduirait à ne modifier que l’architecture générale de notre système, n’apporterait aucune réponse à la nécessité de consolider le financement de nos régimes de retraite par répartition. La commission Moreau a elle-même insisté sur ce point : l’urgence est non pas de changer de système, mais bien de sauvegarder le financement de nos régimes par un rééquilibrage à court terme et un meilleur pilotage à moyen et long termes.
En second lieu, les taux de remplacement assurés par les pensions sont assez comparables entre la fonction publique et le régime général, n’en déplaise à ceux qui voudraient nous faire croire le contraire.
Les écarts de niveaux de pensions sont en effet entièrement imputables à un effet de structure, tenant à des niveaux de qualification globalement plus élevés au sein de la fonction publique d’État. Je renvoie à cet égard aux travaux cités par la commission Moreau : ils font état d’un taux de remplacement médian de 74,5 % pour les salariés du secteur privé et de 75,2 % pour les salariés civils du secteur public de la génération 1942.
D’autres formations politiques estiment, au contraire, que la présente réforme s’inscrit dans la continuité des précédentes.
Je voudrais leur rappeler que la réforme de 2010 a bien souvent brutalisé nos concitoyens les plus proches de la retraite, en leur imposant sans préavis de nouvelles conditions d’âge et en remettant en cause par là même leurs projets de fin de carrière.
Une exigence fondamentale sous-tend, à l’inverse, ce projet de loi : demander à tous les Français des efforts modérés et équitablement répartis et organiser une montée en charge des mesures dans des conditions d’anticipation raisonnables.
Je pense en particulier à l’allongement progressif de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Il s’agit de garantir un ajustement de la trajectoire financière sans brutalité pour les générations proches de la retraite. Je l’ai déjà dit, cette mesure est juste, car elle s’accompagne de plusieurs dispositifs visant à compenser ses effets pour les personnes exerçant des métiers pénibles, ayant commencé à travailler jeunes ou ayant eu des carrières heurtées.
Le projet de loi prend en effet en compte la situation des assurés les plus pénalisés, auxquels très peu de réponses avaient été apportées jusqu’à présent.
Pour la première fois, vous le savez, ce texte traduit par un dispositif universel – le compte personnel de prévention de la pénibilité – le devoir qui incombe à la société de prévenir la pénibilité et d’en compenser les effets. Il marque ainsi l’aboutissement d’un long cheminement, entamé il y a plus de dix ans.
Une contribution essentielle est également apportée à la concrétisation de l’objectif d’égalité au travers des mesures en faveur des femmes, des jeunes, des assurés ayant eu des carrières heurtées, des personnes handicapées et de leurs aidants familiaux, ainsi que des retraités agricoles.
Je n’en citerai que quelques-unes : l’abaissement du seuil de rémunération permettant de valider un trimestre d’assurance vieillesse ; la mise en place d’une aide forfaitaire au rachat d’années d’études supérieures ; le dispositif améliorant les droits à la retraite des apprentis ; la création d’une majoration de durée d’assurance pour les aidants familiaux en charge d’un adulte lourdement handicapé ; la garantie pour les petites pensions agricoles d’atteindre 75 % du SMIC en 2017.
Plus généralement, le comité de suivi des retraites, pièce maîtresse du nouveau pilotage financier, constituera également un observatoire des inégalités en matière de retraites et des moyens mis en œuvre pour les corriger.
L’ensemble de ces mesures marque donc assurément une rupture avec les conceptions précédentes.
Avant de terminer, je souhaiterais saluer la prise en compte, à l’occasion de la nouvelle lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, de plusieurs revendications formulées en cours de procédure par des élus de toutes les sensibilités politiques.
Plusieurs modifications introduites dans le texte permettent tout d’abord de faciliter la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité.
Le rôle que pourra jouer la Mutualité sociale agricole, la MSA, dans les domaines tant de l’information que du contrôle des entreprises du secteur agricole est désormais pleinement reconnu. Les organismes de la MSA pourront en effet mettre en œuvre l’information des salariés dans le cadre d’une convention tripartite avec l’État et la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Ils pourront également contrôler l’effectivité de l’exposition aux facteurs de pénibilité, sans qu’il leur soit nécessaire d’être saisis d’une demande en ce sens par le gestionnaire du compte.
L’Assemblée nationale a en outre prévu, comme je l’avais suggéré, une périodicité de cinq ans pour la réalisation du rapport du Gouvernement sur l’évolution des conditions de pénibilité auxquelles sont exposés les salariés et sur la mise en œuvre des dispositifs de prévention créés par le projet de loi. Ce suivi périodique me paraît fondamental pour tenir compte des mutations rapides du monde du travail. L’adaptation aux nouvelles formes d’organisation de ce dernier nécessite une grande réactivité pour en connaître les effets et une réflexion approfondie pour prévenir les nouvelles formes de pénibilité.
Enfin, les partenaires sociaux des branches professionnelles sont désormais mieux associés à la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité. À travers un accord de branche étendu, ils pourront aider les entreprises à assurer la traçabilité des expositions professionnelles dans la fiche de prévention des expositions et à identifier les salariés éligibles au compte personnel de prévention de la pénibilité.
En ce qui concerne le cumul emploi-retraite, plusieurs d’entre vous avaient insisté, en première lecture, sur les difficultés engendrées par l’existence de régimes complémentaires dans lesquels les pensions ne peuvent être liquidées qu’à un âge supérieur à l’âge légal. Tel est le cas, par exemple, de la plupart des régimes de retraite complémentaires des professions libérales. Le projet de loi dispose désormais que les assurés n’auront pas l’obligation de liquider l’ensemble de leurs pensions de retraite pour pouvoir continuer leur activité dans le cadre du cumul emploi-retraite déplafonné.
Cette solution nous semble un bon compromis entre la nécessité d’harmoniser les dispositions du cumul emploi-retraite dans le sens d’une plus grande équité entre les assurés et celle de ne pas pénaliser les personnes dont la retraite complémentaire ne peut être liquidée qu’à un âge supérieur à l’âge légal.
Enfin, deux modifications introduites par l’Assemblée nationale font écho aux amendements que vous aviez acceptés dans le domaine de la gouvernance du système de retraites.
D’une part, c’est au sein du conseil commun de la fonction publique que se déroulera le débat annuel sur la politique des retraites dans les trois fonctions publiques. Nous évitons ainsi la création d’une nouvelle instance de concertation et garantissons la représentation effective des fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière.
D’autre part, en ce qui concerne les régimes de retraite des professions libérales, les conditions de nomination du directeur de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales sont assouplies par la suppression de la limite de temps prévue pour cette fonction. Le texte prévoit dorénavant que le mandat du directeur est d'une durée de cinq ans renouvelable. La demande émanant de la caisse elle-même et relayée par plusieurs d’entre nous est ainsi satisfaite.
S’agissant, pour terminer, des mesures de financement, la prise en compte de la situation des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées est améliorée. En effet, comme vous l’avez rappelé à l’instant, madame la ministre, le Gouvernement a entendu les préoccupations exprimées par plusieurs de nos collègues et prévu une double revalorisation du minimum vieillesse en 2014.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a adopté le 4 décembre dernier le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Malgré ce vote positif, le rejet du texte en première lecture au Sénat et l’échec de la commission mixte paritaire laissent peu d’espoir quant à une issue positive de nos débats. Bien évidemment, je le déplore, car, comme j’ai eu l’occasion de le souligner à de nombreuses reprises, ce texte adosse à un effort de redressement indéniable de nombreuses mesures d’équité, qui permettent de prendre en compte la diversité des situations sociales et professionnelles face à la retraite.
En effet, l’exigence de justice est au cœur du projet qui nous est proposé, comme elle l’a été depuis l’entrée en fonction du Gouvernement. Dois-je rappeler que l’une des toutes premières mesures prises par celui-ci, au travers du décret du 2 juillet 2012, a consisté à élargir le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue aux assurés ayant commencé à travailler avant l’âge de 20 ans ?
Après son passage à l’Assemblée nationale, le texte sur lequel nous devons nous prononcer a gagné tant en précision qu’en cohérence. En engageant, au-delà des mesures de redressement et d’équité, un nouvel acte du droit à l’information en matière de retraite, il réunit les conditions du retour à une plus grande confiance dans la faculté des régimes de retraite à remplir leurs objectifs non seulement financiers, mais aussi sociaux. Le Sénat s’honorerait en lui réservant une suite favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous entamons l’examen, en nouvelle lecture, du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, vous ne serez pas surpris de m’entendre annoncer que les membres du groupe communiste républicain et citoyen s’opposeront à ce texte, comme en première lecture.
Pourtant, comme vous, madame la ministre, nous sommes conscients que les comptes sociaux, singulièrement ceux de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, sont confrontés à des difficultés auxquelles il convient d’apporter d’urgence des réponses.
Ces réponses doivent en outre être durables, pour assurer l’avenir des retraites par répartition, auxquelles nos concitoyens sont attachés, mais aussi pour restaurer la confiance de ces derniers à l’égard de nos régimes de retraite. Nous le savons toutes et tous, de plus en plus de nos concitoyens redoutent de ne plus pouvoir compter, à l’avenir, sur les retraites servies par le régime général de base, comme par les organismes complémentaires, pour vivre dignement une fois l’âge de la retraite atteint.
Cette crainte est alimentée par plus de dix ans de réformes qui se sont toutes traduites par des reculs et des renoncements. Qu’il s’agisse de l’indexation des retraites sur les prix plutôt que sur les salaires, de la révision des modalités de calcul des pensions, de l’évolution des conditions de revalorisation, des modifications de bornes d’âge ou des multiples allongements de la durée de cotisation, toutes les mesures prises jusqu’à aujourd'hui ont suscité des angoisses et provoqué des injustices.
Par exemple, la réforme de 2010, en allongeant la durée de cotisation, a eu pour effet majeur de repousser l’âge réel de départ à la retraite et d’entraîner des décotes de l’ordre de 8 % dans le secteur privé et de 15 % dans le secteur public. Autant le dire clairement, ces décotes représentent, en réalité, des baisses de pensions entraînant un affaiblissement du pouvoir d’achat des retraités.
Ce que je trouve très préoccupant, c’est que ces évolutions ne sont pas seulement la conséquence des réformes antérieures : elles semblent en constituer des objectifs. À cet égard, la réforme qui nous est présentée aujourd'hui va dans le même sens. En effet, madame la ministre, nous déplorons que, pour remédier aux déficits de la branche vieillesse, le Gouvernement n’ait rien trouvé d’autre que de réduire la dépense sociale, à savoir le montant des retraites.
Pourtant, les membres du groupe CRC vous avaient proposé des voies alternatives, permettant d’assurer un financement solidaire et à long terme qui, contrairement aux dispositions du présent projet de loi, reposerait non pas sur les seuls salariés et retraités, mais sur le capital.
Ainsi, nous avons présenté des mesures de justice sociale, telles que la suppression des exonérations de cotisations sociales accordées à des employeurs qui ne respectent pas la loi et notre Constitution en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Mais nous n’avons pas été entendus.
Nous avons proposé – en vain également – de réduire progressivement ces mêmes exonérations sur les bas salaires, lesquelles incitent les employeurs à précariser l’emploi et à sous-rémunérer les salariés.
En vain encore, nous avons proposé de moduler les cotisations sociales, de telle sorte que celles-ci soient moins importantes pour les entreprises qui favorisent l’emploi et les salaires et plus lourdes pour celles qui délocalisent et préfèrent nourrir la bulle spéculative et les actionnaires, plutôt que les salariés et l’économie réelle.
En vain, enfin, avons-nous proposé d’instaurer une cotisation sociale sur les revenus financiers.
Dès lors, madame la ministre, vous ne pouvez pas dire que le groupe CRC n’a pas proposé de solutions alternatives à votre projet. Vous avez, pour votre part, préféré allonger la durée de cotisation, geler les pensions des retraités modestes pendant neuf mois et priver les salariés en situation de handicap titulaires d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé de l’une des rares mesures positives que ce projet de loi contenait.
De la même manière, la prise en compte de la pénibilité, si elle diffère de la simple constatation médicale des dégâts causés par le travail instaurée auparavant par la droite, n’est toujours pas la mesure juste et préventive que nous appelons de nos vœux.
Ainsi, en cas d’exposition à des facteurs de pénibilité multiples, seuls deux d’entre eux seront pris en compte, afin de réduire la portée et le coût du dispositif.
Dans le même esprit, vous instaurez des seuils, alors même que les jurisprudences, en cas de maladies professionnelles, tendent à rappeler que la notion de seuil n’est pas des plus pertinentes.
Enfin, l’amendement que nous avions déposé et que le Sénat avait adopté, tendant à prévoir une priorité de reclassement pour les salariés bénéficiant d’une formation professionnelle au titre de la prise en compte de la pénibilité, n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale.
Tous ces éléments nous conduiront à voter contre ce projet de loi, comme nous l’avions fait en première lecture. Ce n’est pas de gaieté de cœur, madame la ministre, mais nous estimons que votre texte ne rompt pas fondamentalement avec les contre-réformes précédentes et ne correspond aucunement aux ambitions que vous affichez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réformes engagées ces vingt dernières années n’ont pas permis de rétablir l’équilibre général de notre système de retraites. Si rien n’est fait, le déficit s’élèvera à plus de 20 milliards d’euros en 2020… La crise économique de ces dernières années et l’allongement de l’espérance de vie nous imposent de prendre des mesures.
Comme notre collègue Françoise Laborde l’avait rappelé en première lecture, nous devons à la fois permettre aux actifs qui arrivent en fin de carrière de pouvoir partir à la retraite dans de bonnes conditions et garantir aux générations futures qu’elles pourront bénéficier d’une retraite convenable. Ainsi que vous l’avez souligné, madame la ministre, il est de notre responsabilité de prendre les mesures permettant d’atteindre ce double objectif.
Dans son rapport de janvier dernier, le Conseil d’orientation des retraites s’est interrogé sur l’opportunité de maintenir de nombreux régimes aux règles différentes et nous incite à simplifier un système de retraites particulièrement complexe. C’est pourquoi, en vue de consolider notre système par répartition, nous plaidons pour la mise en place d’une réforme systémique. Madame la ministre, je sais que nous divergeons sur ce point.
Pour autant, vous avez fait le choix d’une réforme globale responsable et juste, notamment à l’égard des femmes, avec la validation des périodes de congé de maternité, des jeunes, avec la valorisation des années d’apprentissage et de stage, ainsi que des retraités agricoles, des personnes handicapées ou ayant effectué des carrières heurtées.
Je pense, enfin et surtout, à la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité, mesure phare de votre réforme.
Nous le savons bien, malgré les progrès des technologies et l’automatisation des tâches dans certaines professions, l’écart entre l’espérance de vie des cadres et celle des ouvriers ne disparaît pas. D’après l’INSEE, les hommes cadres de 35 ans peuvent ainsi espérer vivre encore quarante-sept ans, contre quarante et un ans pour les ouvriers. Dans ces conditions, la mesure prise en faveur des salariés dont l’activité professionnelle réduit leur espérance de vie constitue incontestablement une avancée majeure.
Contrairement à la réforme de 2010, dont les auteurs avaient fait le choix d’indemniser l’invalidité, votre texte, madame la ministre, apporte de vraies solutions aux problèmes liés à la pénibilité au travail.
D'ailleurs, je regrette que, en première lecture, notre assemblée ait rejeté l’article, particulièrement important, qui créait le compte personnel de prévention de la pénibilité. Certes, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, des voix se sont élevées pour dénoncer un dispositif complexe. Certes, la mise en œuvre de ce dernier soulèvera peut-être quelques difficultés, mais je tiens à rappeler qu’il est prévu d’associer davantage les partenaires sociaux.
Par ailleurs, Michel Sapin et vous-même, madame la ministre, avez confié à Michel de Virville une mission de facilitation et de concertation permanente sur la mise en œuvre opérationnelle du compte personnel de prévention de la pénibilité.