M. Bruno Sido. Bravo !
M. Charles Revet. Très bien ! Il faut faire confiance aux gens de terrain !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos, vous n’en serez pas surpris, portera sur l’enseignement agricole. Je dispose de quatre minutes de temps de parole et j’ai pourtant tellement de choses à vous dire, monsieur le ministre…
Les travaux préparatoires au présent projet de loi laissaient de bons espoirs, notamment pour l’enseignement agricole. Comme vous l’avez indiqué à l’occasion de la rentrée scolaire de 2013-2014, cet enseignement a une petite place en nombre d’élèves, mais un grand rôle à jouer car de nombreux atouts à faire valoir.
En effet, le Gouvernement affiche l’ambition de faire de la France le leader en matière d’agroécologie. Il s’agit de mettre tout en œuvre pour produire au mieux, en relevant un double défi : répondre à la demande mondiale en matière d’alimentation et respecter les écosystèmes, dans le cadre d’un développement durable reposant sur une moindre utilisation d’intrants, de pesticides, sur la préservation de la ressource en eau, sur la lutte contre le gaspillage du foncier, etc. Une prise de conscience des acteurs agricoles et de nombreuses évolutions techniques se sont accentuées au cours des dernières années, notamment depuis le Grenelle de l’environnement.
Ainsi, l’enseignement agricole, qui prépare les professionnels de l’agriculture, du monde rural et paysager de demain, devait retrouver toute sa place dans ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
L’Observatoire national de l’enseignement agricole, l’ONEA, présidé par l’ancien ministre Henri Nallet, a remis en 2013 un rapport intitulé L’enseignement agricole face aux défis de l’agriculture à l’horizon 2025. Ici, ont été imaginées et mises en forme de nombreuses idées et préconisations permettant d’inscrire la formation des futurs acteurs du monde rural dans une agriculture du XXIe siècle.
J’en espérais beaucoup… Pourtant, je ne retrouve pas dans ce projet de loi la quintessence de ce rapport très fourni ! Où sont les transcriptions des sept recommandations de l’ONEA : faciliter et valoriser l’implication des professionnels ; refonder le schéma prévisionnel national des formations ; prendre en compte les dynamiques de déconcentration et de décentralisation ; donner la priorité à la formation des enseignants, des formateurs et des cadres ; assurer la réussite de tous ; bâtir la maison des savoirs ; reconstruire la relation entre enseignements technique et supérieur ?
Ce rapport aurait pu être une source dense d’inspiration. Malheureusement, le projet de loi est passé à côté. Nous ne retrouvons pas d’avancées vers les cinq missions dévolues à l’enseignement agricole, qui constituent un atout essentiel pour l’agriculture du futur. Il manque également l’articulation de l’autonomie des établissements avec un pilotage et un cadrage national. Or l’enseignement agricole, qui présente un modèle de coopération entre un système productif et un système éducatif, mériterait une plus forte prise en compte et une implication des professionnels de l’agriculture et de leurs organismes.
En définitive, et je regrette vraiment de devoir faire ce constat, nous sommes face à un texte sans ambition, annonçant le rendez-vous manqué de l’enseignement agricole.
Mme Françoise Férat. Tout ce qui devait permettre l’évolution de cette formation, afin d’être en parfaite harmonie avec les enjeux d’une nouvelle « révolution agricole », a été écarté.
Une nouvelle organisation ancrée dans les régions et les territoires, orientée vers des spécialisations et des voies d’excellence, impliquant tous les acteurs de la filière dans un même acte partenarial, n’a pas su être mise en œuvre dans ce travail législatif.
Un moment particulier, un texte spécifique prenant en considération la réalité des territoires et des acteurs aurait été perçu comme un signe encourageant, voire gratifiant, pour l’ensemble des établissements et des professionnels de cette formation. Mais seuls deux articles font référence à l’enseignement agricole, et cela, surtout, dans sa partie production.
Cette absence témoigne d’une conception idéologique de l’agriculture. Soumise aux exigences environnementales et adossée aux besoins en nourriture mondiale et en compétitivité internationale de la filière agricole, celle-ci souffrira de ne pas avoir formé les professionnels en devenir à ces questions agronomiques.
La recherche et les résultats techniques évoluent et continueront d’évoluer. Notre agriculture, qui fut la première d’Europe, requiert des techniciens, des ruraux préparés aux performances agricoles et agroalimentaires de demain. L’avenir économique de cette filière risque de se trouver fragilisé face à des concurrents européens et internationaux rompus à ces innovations et grignotant à nouveau des parts de marché.
C’est pourquoi, dans un but constructif et sans dogmatisme partisan, j’ai déposé plusieurs amendements aux articles 26 et 27, dont les principaux ont pour objet de répondre aux défis suivants.
Le premier objectif est de garantir un cadrage national des formations, tout en assurant une certaine autonomie aux régions, directement en lien avec les spécificités des formations et des débouchés professionnels de leurs territoires.
Le second objectif concerne l’association plus étroite que le monde éducatif agricole doit trouver avec les acteurs professionnels. Les échanges d’expérience et de connaissance des uns et des autres permettront un essor plus réactif et adapté aux contraintes réelles.
J’aurai l’occasion d’expliquer en détail mes propositions lors de la discussion des amendements précédemment évoqués.
Sachez, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ces idées sont le fruit d’un travail de terrain de treize ans. C’est vous dire si ces propositions correspondent sincèrement aux attentes et aux réalités des structures de base, et pourraient constituer des avancées pour le développement et la structuration de l’enseignement agricole. De toute évidence, produire autrement implique de former autrement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher. (M. Didier Guillaume, rapporteur, applaudit.)
M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quatre ans de cela, nous étions réunis ici pour examiner une loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ne comportant aucun article dédié spécifiquement aux outre-mer. Bien sûr, le dernier titre renvoyait toutes les dispositions concernant l’outre-mer à des ordonnances ultérieures et à une grande loi spécifique… qui n’aura jamais vu le jour !
Aujourd’hui, les choses ont changé, et c’est tant mieux ! Même si seuls quatre articles sont consacrés aux questions ultramarines, alors que nous pouvions espérer une loi qui leur serait dédiée, conformément aux orientations arrêtées par François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, dans le document intitulé Mes 30 engagements pour les outre-mers, nous sommes heureux d’avoir enfin l’occasion de participer aux débats sur un sujet aussi primordial pour nos territoires.
L’agriculture est l’un des trois piliers socio-économiques de nos régions, avec le tourisme et le secteur du bâtiment et des travaux publics, le BTP. Elle structure notre marché de l’emploi, influe sur notre écosystème et jalonne notre paysage.
Notre organisation actuelle garde des traces de l’histoire des relations entre la France et ses colonies. Les « îles à sucre », comme on les dénommait jadis, étaient spécialisées pour alimenter la métropole en produits tropicaux. La structure foncière a certes évolué depuis, mais insuffisamment à mon avis.
En outre, notre organisation est confrontée à des difficultés structurelles persistantes, liées aux caractéristiques de nos territoires. Il s’agit de la forte concentration des productions autour des filières traditionnelles – canne, sucre, rhum et banane –, de la petite taille des exploitations, de l’exposition à des risques naturels dévastateurs, de la dépendance aux approvisionnements extérieurs et de l’importance des surcoûts – intrants et engrais sont en effet très chers – et, enfin, de la très grande part de l’exportation au détriment des productions vivrières.
Ces spécificités ont toute une série d’effets défavorables, fragilisant les exploitants et empêchant le développement d’une agriculture moderne. L’État, les collectivités territoriales et l’Union européenne doivent continuer à préserver ce secteur, dans des territoires caractérisés par des taux de chômage très largement supérieurs à ceux qui sont enregistrés dans l’Hexagone.
L’enjeu aujourd’hui est de trouver notre place dans la carte de la mondialisation, tout en renforçant l’agriculture vivrière pour tenir compte des besoins propres de nos territoires.
Certaines orientations ont déjà été prises en ce sens. La diversification des activités agricoles participe à ce renouvellement et répond à la nécessité d’atteindre un niveau d’autosuffisance alimentaire. Des avancées notables ont été réalisées en matière d’élevage, en particulier de volaille, ou de productions à forte valeur ajoutée, comme les plantes aromatiques ou l’horticulture.
L’action de l’État doit également favoriser le soutien à certaines filières prometteuses, mais restant, pour le moment, secondaires. C’est le cas par exemple de la bagasse, résidu de la canne à sucre, qui a les mérites de produire de l’énergie renouvelable.
Les potentiels ultramarins, notamment dans le domaine de la biodiversité, sont aussi tout à fait remarquables, et nos territoires sont souvent pionniers dans des secteurs innovants, encore bien trop peu exploités.
Malgré ces pistes alternatives, les agricultures ultramarines font face à une situation d’urgence, directement induite par leur organisation. Les filières agricoles demeurent en effet cruellement sous-organisées – sauf à la Réunion – et la multiplicité des interlocuteurs ne permet pas de répondre de manière adaptée aux demandes du marché.
La structuration doit passer par la constitution d’interprofessions, formant une chaîne intégrée de la production jusqu’à la commercialisation. Pour y contribuer, j’ai déposé un amendement visant à imposer au préfet l’ouverture de négociations entre les organisations de producteurs pour constituer des coopératives professionnelles, mesures qui, aujourd'hui, ne sont qu’incitatives. Structurer les filières permettrait également de valoriser les démarches de qualité des productions agricoles ultramarines et de faire connaître leurs performances en matière sanitaire et environnementale.
La situation du foncier agricole est aussi inquiétante dans les outre-mer. Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt présente un certain nombre d’avancées sur le sujet, notamment par le renforcement des pouvoirs d’intervention des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, ou par l’alignement des conditions de reprise des terrains sur les normes en vigueur dans l’Hexagone.
Néanmoins, je tiens à préciser que la surface agricole utile diminue de façon préoccupante dans nos départements, du fait d’une très forte pression foncière ayant une incidence directe sur les chances d’installation des jeunes agriculteurs. Il y a là, monsieur le ministre, un véritable sujet : si nous entendons relever les défis de l’agriculture ultramarine, il convient de mettre en place un véritable dispositif d’aide aux générations et, en premier lieu, de permettre l’accès des jeunes exploitants à des prêts bonifiés.
Aux difficultés structurelles que je viens d’évoquer, s’ajoutent de forts différentiels de compétitivité dans notre environnement régional. En outre, les effets pervers des accords commerciaux que l’Union européenne a passés avec les pays appartenant à cette zone constituent une menace supplémentaire pour nos productions locales.
Les dispositifs de compensation, qui, par définition, interviennent a posteriori, ne suffiront pas à sauvegarder ces filières en l’absence de dispositif régulateur en amont, permettant d’atténuer les effets dévastateurs de la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes sociales, sanitaires et environnementales. Si nous laissons nos marchés locaux être inondés de produits à moindre coût issus de pays voisins, que deviendra notre agriculture ? Ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui sont ici mis en jeu !
Dans son combat contre la vie chère, le Gouvernement devrait considérer ces situations spécifiques dans lesquelles la grande distribution, de manière subtile, propose des produits dits « locaux » qui, en réalité, proviennent de la zone caribéenne voisine. C’est là tout l’effet pervers des accords commerciaux entre l’Union européenne et les pays d’Amérique latine ou de la zone Caraïbe, et cela engendre une concurrence déloyale, mettant en difficulté la production martiniquaise. Ces accords créaient déjà des difficultés structurelles au niveau des productions traditionnelles, telles que la banane ou le rhum, et nous voilà maintenant atteints sur nos propres marchés, sur nos produits vivriers.
Si l’adoption du texte dont nous commençons l’examen aujourd’hui permettra, j’en suis certain, des avancées en matière de développement économique agricole, nombre de mesures devront encore être adoptées par voie d’ordonnance ou relèveront du niveau réglementaire. Espérons que ces prochaines étapes soient l’occasion d’une réflexion répondant, de manière plus complète, à la situation d’urgence à laquelle font face nos agricultures ultramarines !
Je regrette également que la question des produits phytosanitaires n’ait pas été abordée sous l’angle spécifique des outre-mer. Alors que les Antilles françaises ont subi les conséquences dramatiques de l’utilisation massive du chlordécone, produit qui, en plus de tout, s’est révélé inadapté à nos réalités environnementales, je souhaite que le Gouvernement prenne ici l’engagement d’entamer un processus de coopération régionale, avec, par exemple, le Brésil pour la zone Atlantique ou l’Afrique du Sud pour la zone de l’océan Indien, dans le but de développer une recherche-développement en matière agronomique adaptée aux spécificités locales.
Dans les années à venir, le Gouvernement devra continuer à accompagner les outre-mer, avec une juste vision des réalités les définissant. Comme vous l’avez justement mentionné, monsieur le ministre, la prise en compte des contraintes et des spécificités de nos territoires, notamment par les instances européennes, est l’un des défis que l’État français devra relever pour permettre aux outre-mer de trouver leur place dans la compétition internationale et de développer leurs atouts.
Dans une économie mondialisée, dont la France accepte les règles, tout doit être fait pour sauvegarder et propulser l’agriculture ultramarine, ainsi que le modèle social et environnemental qui est le sien, et ainsi répondre aux besoins des populations. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, mes chers collègues, je m’associe à tous les compliments qui ont été formulés envers la commission et ses rapporteurs ainsi qu’aux félicitations qui ont été adressées à M. le ministre pour sa reconduction à la tête du ministère de l’agriculture.
M. Didier Guillaume, rapporteur. C’est mérité !
M. Yvon Collin. En effet !
Monsieur le ministre, nous examinons un texte ambitieux destiné à renforcer la performance de l’agriculture, un secteur essentiel à la fois à la croissance et à l’équilibre territorial de notre pays.
Dans le projet de loi modifié par la commission des affaires économiques, cette performance est placée sous le signe d’un triple défi : économique, environnemental et social. Il s’agit – vous l’avez dit, monsieur le ministre – de garantir la viabilité des exploitations agricoles, de prémunir ces dernières contre la volatilité des marchés et les risques climatiques et, en outre, de contrôler le foncier rural.
L’aval de la production est aussi une préoccupation forte que nous retrouvons dans plusieurs articles du texte. L’impératif alimentaire, dans sa dimension tant nationale qu’internationale, est également une préoccupation importante. J’en suis plus que convaincu : les enjeux de l’alimentation, en termes sanitaires, mais aussi en matière d’innovation, obligent à encourager, d’une part, la vigilance pour ce qui concerne la santé, et, d’autre part, l’investissement, s’agissant de la recherche.
Pour réaliser tous ces objectifs, plusieurs dispositions nous sont proposées. Certaines tendent à mieux structurer ou à renforcer des outils existants, d’autres introduisent de nouvelles formes de coopération, dans la perspective de mieux mobiliser et valoriser la production agricole ou forestière. Je pense à ce sujet, en particulier, à la véritable nouveauté de ce texte : le groupement d’intérêt économique et environnemental, le GIEE, instauré à l’article 3. Ainsi que cela a été dit, il s’agit de mettre en place un cadre juridique souple destiné à faire converger des démarches agroécologiques.
Cette initiative est intéressante sur le principe comme dans sa mise en œuvre. Le groupement devrait recueillir l’adhésion de nombreux agriculteurs qui ont déjà un sens aigu de l’entraide. À travers les coopératives d’utilisation en commun de matériel agricole, les CUMA, ou les groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, les exploitants savent déjà s’associer intelligemment pour optimiser leur fonctionnement ou leur développement.
Le GIEE et le GIEEF, pour la forêt, sont orientés vers l’agroécologie, ce qui est nécessaire compte tenu des impératifs environnementaux. Cette démarche s’inscrit également dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune, qui commande le verdissement des aides directes.
Comme vous le savez, mes chers collègues, les droits à paiement sont de plus en plus conditionnés même si les États membres disposent d’une certaine flexibilité à l’intérieur de leur enveloppe PAC. La prise en compte du réchauffement climatique est donc une obligation, mais, comme le dit l’adage, « point trop n’en faut » ! S’il est important d’orienter les pratiques agricoles dans le bon sens, il n’est pas souhaitable de le faire à marche forcée, au risque de fragiliser certains équilibres économiques.
Il nous faut donc, monsieur le ministre, rester vigilants sur ce point. C’est pourquoi je suis un peu réservé quant à la généralisation poussée du bail environnemental. Nous aurons l’occasion d’en discuter durant les débats.
S’agissant de l’important volet consacré au renforcement de la maîtrise du foncier et de la protection des terres agricoles, je ne suis pas surpris, monsieur le ministre, que vous ayez placé l’objectif très haut. C’est une bonne chose. Parmi les principaux leviers d’intervention, vous avez naturellement porté votre attention sur les SAFER et le contrôle des structures.
Concernant les SAFER, l’Assemblée nationale a ouvert encore un peu plus leur droit de préemption. Cette très forte prérogative de puissance publique est parfois – je tiens à le souligner – difficile à concilier avec le respect de la propriété privée rurale. L’extension des moyens des SAFER ne pose pas de problème en soi, pourvu que l’opérateur reste centré sur ses missions originelles.
Or l’agriculture a évolué dans son organisation, sans qu’aient été redéfinis dans le même temps le rôle et les prérogatives des SAFER. C’est pourquoi, avec plusieurs de mes collègues de la commission des finances, nous avons émis des recommandations dans un récent rapport sur les outils fonciers. Nous avons suggéré, par exemple, de « recentrer les compétences des SAFER sur leur cœur de métier et encadrer davantage les pouvoirs coercitifs dont elles disposent. ».
Il ne s’agit pas de jeter le soupçon sur les SAFER. En effet, que resterait-il aujourd’hui de surface agricole sans leurs interventions ? Toutefois, l’augmentation de leurs pouvoirs doit s’accompagner d’une certaine transparence quant à leur fonctionnement. Cela correspond d’ailleurs à une des recommandations de la Cour des comptes sur ce sujet. Je suis heureux de constater, monsieur le ministre, que vous avez retenu plusieurs de nos propositions dans ce projet de loi. Je ne citerai que la rationalisation de la gouvernance des SAFER, judicieusement améliorée.
Je dirai un mot concernant le contrôle des structures : je ne suis pas partisan des mesures qui rendraient trop complexe l’élaboration des documents d’urbanisme pour les élus locaux. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des amendements. (M. le ministre opine.)
Monsieur le ministre, je partage l’économie générale du texte qui consiste à donner, pour l’avenir, les moyens à tous les acteurs du monde rural de faire plus en faisant mieux. Nous espérons convaincre la Haute Assemblée d’approuver plusieurs amendements, afin de pouvoir voter avec plus de conviction et de sérénité cet excellent projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume, rapporteur. Conviction et sérénité ! Très bien !
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crains que ce projet de loi, malgré ses ambitions affichées, ne réponde ni aux difficultés que traverse notre agriculture ni aux inquiétudes et aux attentes des agriculteurs et de la filière de transformation.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Dominique de Legge. L’article premier déroule, sur le mode d’un inventaire à la Prévert, une succession d’objectifs pleins de bons sentiments, plus louables et consensuels les uns que les autres,…
M. Didier Guillaume, rapporteur. Ce n’est déjà pas si mal !
M. Dominique de Legge. … mais dont on ne voit aucune traduction juridique opérationnelle dans le corps du projet de loi.
Le Premier ministre émettait ici même, hier, le souhait d’une loi moins bavarde. Je crains que ce texte ne soit pas à la hauteur de ce vœu !
M. Didier Guillaume, rapporteur. Il le sera si l’on ne vote pas trop d’amendements ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique de Legge. Assigner autant de finalités à la politique agricole et de l’alimentation, n’est-ce pas prendre le risque d’en faire un outil au service de causes contradictoires et bien éloignées du sujet, alors que, plus que jamais, on attendait l’affirmation de quelques principes et leur traduction concrète ?
Je ne vois également rien dans ce texte qui aille dans le sens du « choc de simplification » annoncé par le Président de la République. Bien au contraire, je découvre au fil des articles de nouvelles procédures, de nouvelles normes et de nouvelles contraintes, comme à l’article 20, ou à l’article 3, qui crée les groupements d’intérêt économique et environnemental. Aucune étude d’impact n’a d’ailleurs pu évaluer les conséquences de la création de ces nouvelles structures.
Aux articles 4 et suivants, l’obligation de déclaration sur les engrais azotés, l’obligation de déclaration préalable trois ans avant le départ en retraite et toutes les obligations accompagnant le bail environnemental imposent des contraintes supplémentaires pesantes pour les agriculteurs.
En somme, je ne trouve dans ce projet qu’un encadrement administratif plus strict et une complexification des démarches, alors que la simplification de l’exercice de leur activité ou de leur installation est une revendication récurrente des agriculteurs.
Dans le même ordre d’idée, l’extension des prérogatives des SAFER, dont vous faites des instruments d’intervention généraliste bien au-delà de leur objectif initial d’amélioration des structures, est porteuse de confusion. Vous vous inquiétez de voir se mettre en place des montages ou des procédures juridiques ayant pour effet de les contourner ; mais peut-être devriez-vous vous interroger sur les raisons qui conduisent les agriculteurs eux-mêmes à cela !
Dans notre droit, la règle est la liberté du commerce et des échanges, et la préemption doit demeurer l’exception, justifiée par l’intérêt général. Les nouvelles attributions que vous conférez aux SAFER ne manqueront pas de mettre en concurrence ces dernières avec les établissements publics fonciers régionaux, mais pourront également se retourner contre les agriculteurs eux-mêmes, pour qui le foncier représente souvent le fruit d’une épargne construite par le travail de toute une vie et dont ils peuvent souhaiter disposer à leur guise au moment de la retraite.
Je ne vois pas davantage de mesures qui pourraient, dans l’esprit du pacte de responsabilité, apporter une réponse aux questions de compétitivité des entreprises agricoles et agroalimentaires. La filière agricole est sans doute celle qui s’est mobilisée le plus pour réaliser des investissements motivés par des considérations ou des contraintes environnementales, certes souhaitables, mais sans effet sur l’amélioration de la rentabilité des entreprises. Je ne vois rien dans le texte qui participe d’un engagement à ne plus imposer aux agriculteurs et à la filière des contraintes supérieures à celles de nos partenaires européens.
Concernant ce chapitre de l’écologie, notre commission a su, fort heureusement, rééquilibrer le texte initial en rappelant que le développement durable reposait sur un triptyque, les éléments environnementaux, économiques, et sociaux devant être considérés à parts égales.
Je crains que la promotion des circuits courts et de l’agriculture biologique ne nous dispense de répondre à une question, toujours esquivée pour ne pas fâcher certains lobbies, et pourtant essentielle : celle du potentiel de production.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Il faut de tout !
M. Dominique de Legge. Si aucune évolution ni aucune diversification ne doivent être écartées, toutes les exploitations n’ont pas vocation à se restructurer vers les circuits courts et l’agriculture biologique, ne serait-ce que parce qu’il n’existe pas de marché correspondant, et qu’il faudrait alors renoncer à nos exportations.
S’agissant du potentiel de production, je ne connais pas d’agriculteur qui n’ait le souci de la préservation de son outil de travail, qu’est la terre, ni de son cadre de vie, qu’est son environnement.
Dois-je rappeler que la fermeture d’un abattoir en Bretagne a plusieurs causes, dont la première est une moindre compétitivité, due aux charges et à l’excès de réglementation qui pèsent sur l’entreprise, mais qu’elle s’explique aussi par la diminution du nombre d’animaux à abattre ? Depuis dix ans, le pouvoir régional n’a eu de cesse de conditionner ses aides à la diminution du potentiel de production, sans pour autant l’avouer. Pourtant, les faits sont là !
Le résultat ? Passer de vingt-cinq millions à vingt-deux millions de têtes de porcs ne peut qu’emporter des conséquences en aval ! Notre industrie agroalimentaire, qui s’est développée à proximité des lieux de productions et qui, à ce titre, a souvent été considérée comme non délocalisable, ne peut qu’être affectée par cette évolution. Je déplore que ceux qui s’émeuvent le plus du chômage dans l’industrie agroalimentaire, soient souvent les plus virulents à exiger la diminution du potentiel de production.
Monsieur le ministre, j’ai participé aux réunions que vous avez organisées avec les parlementaires bretons avant que n’éclatent les crises que l’on sait. Je vous ai entendu dire que le maintien du potentiel de production et la réduction des normes étaient les conditions de la survie de bon nombre d’exploitations et des industries agroalimentaires. Je vous ai entendu, avec le Premier ministre d’alors, dire au SPACE de Rennes, le salon des productions animales, que de nouveaux textes, concernant notamment les zones d’excédent structurel, ou ZES, sortiraient rapidement. Je vous ai entendu, lors de la rédaction de ce qui a été appelé le pacte d’avenir pour la Bretagne – un pacte de plus ! –, affirmer que des initiatives seraient engagées pour permettre à nos exploitations de continuer à produire et à nos entreprises de rester performantes.
Dans le texte que vous nous présentez, je ne vois en rien la traduction de toutes ces promesses. Dans le mot « pacte », il y a aussi le mot « acte » ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Didier Guillaume, rapporteur, applaudit également.)