M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la question : « Quel avenir pour les colonies de vacances ? ».

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 10 juin 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 562 2 du code de l’environnement (Plans de prévention des risques naturels prévisibles ; 2014-411 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur l’application de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’application de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. Jacques-Bernard Magner, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame, monsieur les corapporteurs, mes chers collègues, je vous prie tout d'abord d’excuser l’absence de M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, qui a dû nous quitter rapidement et qui m’a demandé d’intervenir à sa place. Je ne suis donc que le relais de ses propos.

Le débat de contrôle qui s’ouvre maintenant aurait dû être organisé plus tôt dans la session, mais les aléas du calendrier parlementaire ont imposé son report de plusieurs mois. Le hasard veut qu’il se tienne le jour même pour lequel un préavis de grève a été déposé par plusieurs syndicats de cheminots ! (M. Jean Desessard rit et applaudit.)

Mme Mireille Schurch. C’est excellent !

M. Jacques-Bernard Magner. Les deux questions ne sont pas liées, certes,…

Mme Isabelle Pasquet, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Quoique !

M. Jacques-Bernard Magner. … mais notre débat nous permettra de faire le point sur un sujet politiquement sensible et qui concerne tous les usagers des transports publics.

Fidèle à la tradition, je laisserai aux deux corapporteurs le soin de présenter leurs conclusions sur l’application de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs, comme David Assouline l’aurait fait.

Nos collègues soulignent dans leur rapport que cette loi, malgré son intitulé ambitieux, n’a pas eu la portée que certains auraient souhaitée. En particulier, contrairement à une opinion trop souvent répandue, elle n’a pas instauré d’obligation de service minimum en cas de grève. D’où un malentendu entre les usagers et les grandes entreprises de transports comme la SNCF et la RATP.

Une différence entre l’objet supposé d’une loi et sa portée juridique réelle constitue typiquement un problème de qualité normative. Ce thème, auquel ma commission accorde une grande attention, nous aurons l’occasion de l’aborder de manière plus profonde ici même dans quelques jours, lors du débat sur le bilan annuel de l’application des lois.

La loi du 21 août 2007 illustre bien les difficultés auxquelles le législateur peut être confronté pour transcrire en droit les objectifs qu’il s’assigne : en l’occurrence, celui de mieux garantir la continuité du service public des transports terrestres.

En effet, le Parlement a dû trouver un chemin, très étroit, entre un principe constitutionnel intangible – le respect absolu du droit de grève –, des résistances psychologiques bien compréhensibles, liées à la forte sensibilité des organisations syndicales à tout ce qui touche à la négociation collective, et l’équilibre économique des grandes entreprises de transport, susceptible d’être affecté par le dispositif de remboursement des titres de transport en cas d’interruption prolongée du service ; sans oublier, bien entendu, la continuité du service public, qui est, elle aussi, un principe de valeur constitutionnelle, et surtout la première exigence des usagers.

J’aurais également dû évoquer la position délicate des collectivités territoriales et de l’État, souvent pris entre deux feux lors de conflits sur lesquels ils n’ont guère de prise.

Face à de telles contraintes, la marge de manœuvre du législateur était assez réduite. La loi ne pouvait donc avoir qu’une « ambition limitée », pour reprendre l’euphémisme utilisé par nos corapporteurs.

Sur le plan de sa mise en application réglementaire, la loi du 21 août 2007 n’a pas nécessité un grand nombre de décrets et n’a pas eu à pâtir de retard particulier.

Du point de vue du contrôle de l’application des lois, on peut remarquer que le décret du 24 janvier 2008, intégré depuis lors dans le code des transports, présentait une certaine singularité, dans la mesure où il devait s’appliquer seulement au cas où les entreprises concernées n’auraient pas signé d’accord-cadre et ne relèveraient pas d’un accord de branche. Il s’agissait, si j’ose dire, d’un décret à parution conditionnelle, le législateur ayant jugé préférable de confier à la négociation collective le soin de fixer les modalités d’application de la loi.

Si la loi du 21 août 2007 a été « formellement bien appliquée », comme en conviennent nos corapporteurs, il serait excessif d’en déduire qu’elle donne toute satisfaction aux différentes parties en présence. De fait, Mme Pasquet et M. Laménie mentionnent les critiques qui lui sont adressées, tant par les employeurs que par les syndicats, et admettent qu’il est très difficile de mesurer l’incidence réelle de cette loi sur le niveau de conflictualité dans les transports terrestres. Du côté des usagers, les échos ne sont guère plus favorables.

M. David Assouline a rappelé à plusieurs reprises à cette tribune que nos débats de contrôle sur la législation en vigueur ne devaient pas répéter les débats législatifs ; aussi me garderai-je de revenir sur l’opportunité d’une loi qui, on s’en souvient, répondait surtout à une promesse électorale.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jacques-Bernard Magner. En vérité, notre collègue Catherine Procaccia, alors rapporteur du projet de loi, soulignait, dès les premiers mots de son avant-propos, que le texte représentait la « traduction d’un engagement fort du Président de la République au cours de la campagne électorale ».

Sans rouvrir le débat, notre travail d’évaluation nous force à constater, rétrospectivement, l’écart assez net entre les objectifs affichés par la loi de 2007 et ses effets réels. Cet écart tient, pour une bonne part, à une évaluation insuffisante, en amont, de l’impact des mesures proposées.

Lors de la discussion du projet de loi au Sénat, plusieurs de nos collègues avaient déjà souligné les incertitudes entourant la portée du dispositif envisagé. Par exemple, M. Jean-Pierre Godefroy avait dénoncé l’absence d’une « étude d’impact sur les coûts induits pour les collectivités territoriales et les entreprises » par le projet de loi.

Sans entrer dans le fond du débat, la loi du 21 août 2007 nous montre une fois de plus que, pour bien légiférer, le Parlement doit pouvoir évaluer assez précisément l’effet des mesures qu’il s’apprête à voter. Or ce travail ne peut être accompli dans la précipitation. Quelle que soit la majorité du moment, les assemblées doivent savoir résister à ce que nos rapporteurs appellent « la propension française à légiférer sous le coup de l’émotion ».

Quoi qu’il en soit, cette loi s’applique, et nos rapporteurs n’en proposent pas l’abrogation ; ils plaident, au contraire, pour qu’elle soit mise en œuvre plus activement. Car ce texte, malgré ses lacunes, a permis quelques avancées appréciables, notamment en ce qui concerne l’information des voyageurs en cas de grève.

En définitive, j’incline à considérer, à l’instar de Mme Pasquet et de M. Laménie, que la loi du 21 août 2007 a « enclenché la mécanique du dialogue social » dans le secteur des transports.

Les conclusions et les préconisations que nos collègues exposeront au Sénat dans quelques instants ont fait l’objet d’un débat très consensuel lors de leur présentation devant la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Souhaitons qu’elles soient entendues et qu’elles permettent d’améliorer le dialogue social dans les transports, au moment où les organisations professionnelles expriment l’inquiétude que leur inspirent les incidences de la réforme ferroviaire, dont l’examen en séance publique commencera dans quelques jours à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, corapporteur.

M. Marc Laménie, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 17 octobre dernier, Isabelle Pasquet, que je remercie sincèrement, et moi-même avons présenté devant la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois notre rapport relatif à la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres de voyageurs.

Ce rapport est le fruit de plus de six mois de travaux, d’une vingtaine d’auditions et de deux déplacements : le premier à la gare du Nord, le second à Orléans. Je remercie à cet égard les fonctionnaires de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, ainsi que ceux de la commission des affaires sociales, de l’efficacité avec laquelle ils nous ont secondés ; on ne mesure pas toujours quel travail de l’ombre est nécessaire pour organiser des rencontres avec les bons interlocuteurs, pour nous permettre d’apprendre – comme dit le proverbe, « on apprend tous les jours » – et de faire avancer les choses.

Je rappellerai les enjeux de notre travail et les principales constatations que nous avons faites, avant de laisser ma collègue Isabelle Pasquet, qui partage avec moi la passion des transports, notamment ferroviaires, exposer les recommandations que nos auditions, et l’ensemble de nos travaux, nous ont conduits à formuler.

Comme vous le savez, le principe même de cette loi était, selon ses promoteurs, de mieux concilier le droit de grève et la continuité du service public, deux principes de valeur constitutionnelle, à travers le développement du dialogue social dans les transports publics terrestres. Évidemment, monsieur le secrétaire d'État, ce n’est pas simple.

Ainsi, la loi s’applique au transport terrestre de voyageurs, c'est-à-dire au transport ferroviaire : les TGV, dont on parle beaucoup ; les TER qui sont également un grand sujet d’actualité avec les collectivités régionales ; enfin, les trains d’équilibre du territoire, comme les trains corail, un sujet que l’on aborde fréquemment, lui aussi, dans cet hémicycle, et qu’il ne faut pas négliger. La loi s’applique également au transport urbain – métro, tramway, bus – et interurbain – transports scolaires, notamment, qui sont très importants dans tous les départements. En revanche, nous n’avons pas abordé la question du droit de grève dans les transports aériens, autre sujet de préoccupation, mais qui ne relève pas de cette loi.

Mme Isabelle Pasquet, corapporteur. C’est dommage !

M. Marc Laménie, corapporteur. Cela dit, eu égard aux problématiques spécifiques soulevées dans le secteur aérien, ce sujet important mériterait une réflexion approfondie du Parlement, pour répondre aux inquiétudes des organisations syndicales de salariés, qui nous interpellent.

Contrairement à une idée largement répandue, la loi du 21 août 2007 n’a jamais eu pour objectif d’instituer un service minimum dans les transports, qui aurait nécessité la réquisition des salariés en cas de grève.

Le législateur a en effet choisi la voie du « dialogue social » – ces deux mots sont très forts – pour assurer la continuité du service public en cas de perturbations prévisibles du trafic liées à une grève, mais aussi à des travaux, à des incidents techniques, malheureusement fréquents, ou à des conditions météorologiques difficiles, pour peu que celles-ci soient connues trente-six heures à l’avance. Toutefois, la météorologie n’est pas une science exacte… Certes, l’hiver dernier a été clément, mais cela n’a pas été le cas les années précédentes, et l’ensemble des services a eu alors beaucoup de mérite.

Le dispositif retenu pour assurer la continuité du transport repose sur quatre piliers.

Premièrement, il repose sur la mise en place par accord dans les entreprises ou, à défaut, dans les branches, d’un mécanisme de prévention des conflits qui rend obligatoire la négociation pendant huit jours avant le dépôt d’un préavis de grève, sur le modèle de l’alarme sociale qui existe à la RATP depuis 1996.

Deuxièmement, il repose sur la définition de dessertes prioritaires et l’élaboration d’un plan de transport adapté, un PTA, et d’un plan d’information des usagers, un PIU, à mettre en œuvre en cas de perturbation prévisible.

Troisièmement, il repose sur l’obligation, pour les salariés indispensables à l’exécution du PTA et mentionnés dans un accord ou plan de prévisibilité, de déclarer à leur employeur quarante-huit heures à l’avance leur intention de faire grève.

Quatrièmement, et enfin, il prévoit l’amélioration des droits et l’information des usagers, ce qui est tout à fait fondamental.

Je ne reviendrai pas sur la grande diversité qui règne dans le secteur des transports publics terrestres de voyageurs et qui a été soulignée dans notre rapport. Même si je n’ignore pas le préavis de grève qui a été déposé par les cheminots de la SNCF pour aujourd’hui même, comme vient de le rappeler notre collègue, force est de constater que le dialogue social est globalement davantage institutionnalisé dans cette entreprise ferroviaire, que nous défendons, et à la RATP que dans le transport urbain et interurbain.

Malgré l’absence de statistiques consolidées au niveau national, les personnes que nous avons auditionnées avec ma collègue s’accordent sur un point : les mouvements sociaux ne sont pas, tant s’en faut, la principale cause des perturbations prévisibles du trafic enregistrées sur les réseaux de transport. (M. Michel Teston approuve.)

C’est un constat bien réel. D’après les informations que nous avons pu recueillir, ils se situent même en fin de liste, loin derrière les incidents techniques – secours à personne et incidents dramatiques – et les travaux. Nous ne le voyons que trop bien dans nos départements, raison pour laquelle, avec ma collègue, nous soutenons la rénovation de l’infrastructure ferroviaire.

Le réseau ferroviaire est aujourd’hui à bout de souffle à cause d’un manque d’investissement manifeste ces dernières années. Soyons impartiaux, le phénomène ne date pas d’aujourd'hui, et il est souvent évoqué dans cet hémicycle. Ce point vous a encore été rappelé mardi dernier, monsieur le secrétaire d'État, lors d’une séance de questions orales au Gouvernement au cours de laquelle notre collègue Charles Revet vous a interrogé sur la sous-utilisation des infrastructures ferroviaires dans le département de la Seine-Maritime.

Je vous poserai une question similaire pour le département que je représente, les Ardennes, où, malheureusement, des voies ferrées sont sous-utilisées et des TER remplacés par des lignes de bus, ce qui est dommage. Nous déplorons le manque d’investissement manifeste de ces trente dernières années.

Malgré l’effort sans précédent de RFF pour rénover et régénérer le réseau – les investissements à réaliser sont considérables –, nous continuerons de pâtir pendant de nombreuses années encore des dysfonctionnements du réseau national, qui mérite pourtant aussi beaucoup de soutien.

Une étude est particulièrement éloquente : parmi les 419 perturbations prévisibles constatées sur le Transilien en 2012, plus de 95 % étaient dues à des travaux et seulement 3,3 % à des mouvements sociaux, ce qui est véritablement infime.

Cela ne signifie pas que les grèves n’ont aucun impact sur les usagers ni qu’il ne faille rien faire pour diminuer la conflictualité dans le secteur. Il est souvent question de développement durable, mais je pense qu’il y a aussi beaucoup à faire au quotidien en termes de pédagogie durable. La relation quotidienne qu’ont de nombreux Français avec les transports en commun et l’insatisfaction qu’ils ressentent parfois face au service offert expliquent le caractère exacerbé de leurs réactions en cas de grève. Il convient d’écouter et d’entendre les préoccupations des usagers : à la SNCF, les comités locaux d’animation et de développement, les CLAD, sont aussi des lieux d’échange et d’information.

Sur un plan formel, la loi a été correctement appliquée. Il est vrai qu’elle ne requérait qu’un seul décret d’application, pris dans le délai imparti, pour définir le contenu de la négociation préalable au dépôt d’un préavis de grève en l’absence d’accord d’entreprise ou de branche. Les deux rapports au Parlement ont également été remis, même si le second l’a été avec un retard de deux ans.

Les nouveaux outils du dialogue social ont bien été mis en œuvre dans le secteur du transport urbain : un accord de branche a été signé entre l’Union des transports publics et ferroviaires, l’UTP, et les organisations syndicales représentatives le 3 décembre 2007.

Ses dispositions concordent très largement avec celles du décret précité. Surtout, l’accord a instauré un observatoire paritaire de la négociation collective et du dialogue social, dont les études et statistiques se sont révélées précieuses pour notre travail. Hélas, seulement 20 % des entreprises interrogées par l’UTP déclarent avoir signé un accord de prévisibilité, la plupart ayant préféré recourir à un plan unilatéral.

La RATP et la SNCF ont, quant à elles, adapté à la loi leurs mécanismes de prévention des conflits, qui étaient auparavant facultatifs, mais aucun accord de branche n’a été signé dans le transport interurbain.

En ce qui concerne les entreprises de transport, le processus d’élaboration des plans de transport adapté et des plans d’information des usagers semble désormais arrivé à son terme, bien qu’il ait été plus long que ce que la loi avait envisagé.

S’agissant des autorités organisatrices de transport, ou AOT, la très grande majorité d’entre elles ont accepté la mission nouvelle que leur a confiée la loi : définir les dessertes prioritaires à assurer en cas de perturbation et approuver le PTA et le PIU définis par l’opérateur de transport. Toutefois, certaines collectivités s’y sont refusées, pour des raisons politiques ou parce qu’elles ont jugé avoir déjà pris les mesures appropriées.

De fait, selon une enquête de l’UTP, au moins quinze autorités organisatrices de transport urbain n’avaient toujours pas défini de dessertes prioritaires en 2012, tandis que 23 % des réseaux interrogés n’avaient pas adopté de PTA. C’est également le cas d’un certain nombre de régions, qui ont la charge des TER. Comme l’a prévu la loi, le préfet s’est alors substitué à l’autorité organisatrice de transport après mise en demeure, mais la situation n’est malgré tout pas satisfaisante, car le représentant de l’État n’a ici qu’un rôle supplétif.

Mes chers collègues, je vais maintenant laisser ma collègue Isabelle Pasquet vous présenter les recommandations de la commission. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, corapporteur.

Mme Isabelle Pasquet, corapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’adoption de la loi du 21 août 2007 a suscité une opposition forte chez ceux pour qui elle s’apparente à de nouvelles contraintes.

Néanmoins, les salariés et les organisations syndicales représentatives se sont conformés, dans leur très grande majorité, aux conditions nouvelles d’exercice du droit de grève issues de la loi. Celle-ci n’a donné lieu qu’à un contentieux limité, qui a permis de préciser ses modalités d’application.

Il n’en reste pas moins que les acteurs concernés nous ont fait part de nombreux griefs à l’égard de ce texte. De manière générale, la faiblesse du dialogue social et les tactiques utilisées par les entreprises pour se conformer à la lettre, mais non à l’esprit de la loi sont déplorées par les syndicats. Ainsi, les négociations préalables dans le cadre de l’alarme sociale seraient souvent purement formelles, le rapport de force étant toujours préféré au dialogue.

La majorité des concertations préalables aboutissent, en effet, à un constat de désaccord. De plus, certaines entreprises de transport urbain n’auraient pas mis en place de procédure formalisée de recueil des déclarations préalables d’intention de faire grève, ce qui compromettrait le secret professionnel par lequel elles sont couvertes.

Enfin, cette loi aurait indubitablement transformé l’exercice d’un droit constitutionnel fondamental, le droit de grève, en une affaire de spécialistes, marquant un pas supplémentaire dans le sens de la judiciarisation des relations de travail.

De leur côté, les employeurs soulignent que la loi ne fait pas de distinction entre les grèves en fonction de leur mot d’ordre, qui, lorsqu’il est national, ne peut être satisfait par l’entreprise. De plus, certains estiment que l’alarme sociale est dévoyée, car elle est banalisée au détriment des institutions représentatives du personnel.

Enfin, ils regrettent que la Cour de cassation ait reconnu la légalité des préavis de grève à durée déterminée de longue durée et des grèves récurrentes de très courte durée – moins d’une heure –, dont ils estiment qu’elles ont des effets disproportionnés en termes de désorganisation de l’entreprise.

Au fil de nos auditions, nous avons constaté que l’impact de la loi sur la conflictualité était difficile à apprécier du fait, notamment, du caractère irrégulier et difficilement prévisible de la récurrence des mouvements sociaux.

L’évolution du nombre de préavis de grève ou de jours de grève par agent à la RATP ou à la SNCF depuis 2007 ne semble pas liée à l’adoption de la loi. Il n’est pas possible d’établir une corrélation entre la loi et l’évolution de la conflictualité, cette dernière dépendant surtout des mots d’ordre nationaux.

Dans ce contexte, notre rapport formule une série de recommandations visant essentiellement à améliorer l’application de la loi.

Il est tout d’abord indispensable de remettre le dialogue social au cœur de cette application. Son amélioration, objectif affiché de ce texte, n’a pas été généralisée. Il faut donc tirer pleinement parti des possibilités offertes, en associant mieux les institutions représentatives du personnel à la définition du plan de transport adapté et du plan d’information des usagers. Surtout, la période de négociation préalable doit être mise à profit par toutes les parties pour chercher à éviter le conflit. Si elle reste purement formelle, sa valeur ajoutée par rapport au préavis est inexistante.

La revalorisation du dialogue social en dehors des périodes de conflit est le seul moyen de parvenir, à terme, à une diminution significative du nombre et de l’intensité des conflits sociaux dans les transports. Le dialogue social doit devenir une démarche permanente, plutôt qu’un ultime recours lorsque le conflit devient inévitable. Les organisations syndicales ne doivent pas avoir à menacer du dépôt d’un préavis de grève pour être reçues par la direction. Les litiges individuels doivent pouvoir être résolus par d’autres biais que l’alarme sociale.

Il faut surtout revenir à l’équilibre voté en 2007 : cela passe par la suppression des modifications apportées en 2012 par la loi Diard. En application de celle-ci, les salariés qui avaient l’intention de faire grève doivent informer vingt-quatre heures à l’avance leur employeur s’ils y renoncent ou, pour ceux qui étaient en grève, s’ils souhaitent reprendre le travail.

La stabilité des règles conciliant la défense des intérêts professionnels des salariés et la sauvegarde de l’intérêt général doit être recherchée. La loi Diard est venue la perturber, avec un effet contraire à celui qui était initialement recherché, puisqu’un salarié peut être artificiellement forcé à faire grève vingt-quatre heures de plus qu’il ne l’aurait souhaité.

Le deuxième volet de nos recommandations porte sur la responsabilisation des autorités organisatrices de transport. Celles-ci doivent s’investir davantage dans la définition des dessertes prioritaires en cas de perturbation : elles peuvent agir par ce biais pour corriger des inégalités territoriales ou garantir que des services prioritaires sont correctement desservis. Il est également important qu’elles approuvent le PTA et le PIU préparés par l’entreprise de transport, le cas échéant en demandant des modifications.

Surtout, elles doivent intégrer des critères sociaux et environnementaux de qualité de service dans les conventions d’exploitation qu’elles concluent avec les entreprises de transport. Prévue par l’article 12 de la loi, cette mesure est jusqu’à présent restée lettre morte ; seul le STIF s’en est saisi pour les contrats signés avec la RATP et la SNCF en 2012. L’État, qui est AOT, c'est-à-dire autorité organisatrice de transport, des trains d’équilibre du territoire, est en retard sur ce point, tout comme de nombreuses régions.

Par cette disposition, l’AOT pourrait garantir des acquis sociaux, en particulier lorsque le recours à la sous-traitance est très répandu. Les possibilités sont également nombreuses sur le plan environnemental.

La systématisation des bilans d’exécution des PTA et des PIU ainsi que leur contrôle par l’AOT doit être l’occasion pour cette dernière d’évaluer les choix de l’entreprise de transport. L’intérêt ici n’est pas uniquement de faire un bilan comptable de la mise en œuvre d’un PTA. L’AOT doit être à même d’identifier l’origine de toutes les perturbations et, en cas de grève, de comprendre pourquoi la procédure de prévention des conflits a échoué.

Il nous est également apparu important de développer des outils statistiques harmonisés de suivi des perturbations du trafic et de l’application de la loi. À titre d’exemple, la SNCF ne dispose pas de statistiques consolidées sur les principales causes de perturbations prévisibles du trafic recensées sur son réseau. Une typologie précise et uniforme doit donc être réalisée à l’échelle nationale.

Le secteur du transport interurbain doit faire un effort particulier. Il a échoué à conclure un accord de branche sur la prévention des conflits et ne dispose d’aucun outil statistique fiable. Le dialogue social dans la branche doit donc reprendre et la fédération professionnelle concernée, la FNTV, doit assurer le suivi de l’application de la loi.

Enfin, il est temps que le Gouvernement s’assure que cette loi est uniformément appliquée sur tout le territoire. Le ministère des transports devrait donc réaliser un recensement des PTA et PIU pour dresser un bilan exhaustif de ceux-ci. Sur cette base, un travail de sensibilisation des AOT et de partage de leurs initiatives pourrait être entrepris.

La conciliation de deux principes constitutionnels apparemment contradictoires comme la continuité du service public et le droit de grève aboutit inévitablement à un résultat qui ne satisfait pas pleinement l’ensemble des acteurs concernés, qu’ils soient plus favorables à l’un ou à l’autre de ces droits. Néanmoins, ils se sont approprié la loi du 21 août 2007. Réponse sans doute imparfaite au problème plus vaste de la qualité du service dans les transports, celle-ci n’en a pas moins contribué à enclencher la mécanique du dialogue social dans ce secteur d’activité.

Il faut désormais poursuivre dans ce sens, afin que les revendications légitimes des salariés ne soient pas opposées aux droits constitutionnels des usagers. L’édifice a été bâti : il appartient maintenant à tous les acteurs de faire vivre le dialogue social, au bénéfice du service public. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – M. Robert Hue applaudit également.)