M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, celles et ceux qui étaient présents lors de l’examen de la loi de 2007 le savent : les débats furent animés, il y avait de l’ambiance, les points de vue étaient partagés. Aujourd’hui, c’est plus calme, quasiment consensuel !
Sans doute est-ce parce que la loi, finalement, reflète peut-être davantage les intentions affichées par Xavier Bertrand, alors ministre du travail, que celles, belliqueuses, du Président de la République de l’époque. Si l’on reprend les propos du ministre d’alors, l’objectif avoué était triple : « Éviter au maximum le recours à la grève, éviter la paralysie en cas de grève, éviter l’absence d’informations pour les usagers. »
Éviter au maximum le recours à la grève : on ne peut qu’être d’accord avec cet objectif, parce que cela n’interdit pas in extremis l’exercice du droit de grève. C’est sur ce point que portait la discussion : interdisait-on ou non le droit de grève ? Tel n’était pas le cas. En effet, la grève est une manifestation d’un conflit social, et si l’on peut la prévenir, c’est qu’une solution a pu être trouvée.
J’ai cru comprendre, mais peut-être ai-je mal compris, que, selon les rapporteurs, le bilan de la loi, sur cet aspect, était mitigé. De fait, elle prévoit simplement la mise en place obligatoire d’une négociation entre organisations syndicales et entreprises de transport avant le dépôt de tout préavis de grève. Si l’on en arrive à ce stade-là, c’est que le mécontentement est déjà bien ancré et commence à se manifester. En fait, il est déjà trop tard !
C’est pourquoi il faut plutôt favoriser d’autres modèles de gestion du service public des transports, d’autres manières d’envisager les rapports entre les salariés et les directions. Le dialogue social se doit d’être présent à tous les échelons. Par conséquent, il reste beaucoup à faire en matière de dialogue social dans les transports publics, hormis dans un certain nombre d’entreprises, où il existe des modalités de concertation.
J’en viens à présent au deuxième objectif de ce texte : éviter la paralysie en cas de grève. Il s’agit là d’un but louable, mais il faut tout de suite ajouter – plusieurs orateurs l’ont fait – que les conflits sociaux ne sont qu’une cause marginale des retards dans les transports. Nous en avions alors longuement débattu. Par exemple, à la RATP, pour l’année 2012, dans les causes de perturbation du trafic du métro, on retrouve avant tout les causes techniques – 43 % – et les incidents de voyageurs – 31 %.
Le rapport de l’expert judiciaire nommé lors de l’enquête sur les causes de l’accident survenu à Brétigny-sur-Orge se montre extrêmement critique quant à la maintenance des voies par la SNCF, par manque de moyens.
Les mouvements sociaux, je l’ai dit, ne sont responsables que de 3 % des perturbations. Nous l’avions souligné en 2007 : est-il nécessaire de faire une loi pour si peu ? Dans l’ensemble des transports urbains, le nombre de jours de grève est relativement faible : seulement 0,49 jour de grève par an et par salarié en 2011.
Les perturbations liées à la grève sont pointées du doigt comme étant les sources principales de nuisance. Or, s’il nous faut vraiment lutter contre la paralysie dans les transports, intéressons-nous, monsieur le secrétaire d'État, aux autres causes, qui sont à l’origine de 97 % des perturbations.
Pour améliorer le service public des transports, il faut d’abord améliorer la qualité des réseaux, car c’est cela qui nuit réellement aux usagers : des réseaux vétustes, des transports bondés dans les zones à fréquentation élevée.
Le dernier objectif de la loi était d’éviter l’absence d’informations pour les usagers, c'est-à-dire de leur donner l’information. Des avancées importantes ont été obtenues : il est primordial que les usagers ne soient pas bloqués chez eux. En région parisienne, dans le cas d’une grève subite dans le RER entraînant un blocage, il est évidemment nécessaire qu’ils soient informés, sachant qu’ils travaillent parfois jusqu’à quarante kilomètres de leur domicile. Les voyageurs doivent pouvoir s’adapter à l’avance si des perturbations sont prévues.
Les réseaux de transport ont d’ailleurs bien intégré cet impératif, notamment grâce à internet et aux applications sur tablettes et téléphones mobiles, en communiquant de plus en plus rapidement, aussi bien sur les grèves que sur les problèmes techniques et les accidents.
Le dernier point qui avait fait débat était la signature individuelle. Je rappelle pour ma part que la grève est non seulement un droit constitutionnel, mais aussi une action collective. Or il est prévu dans la loi une procédure de déclaration préalable qui oblige les salariés à faire part de leur intention de participer à la grève. C’est là que se situe le vrai danger de cette loi : dans l’individualisation de la revendication sociale.
Mme Annie David. Exact !
M. Jean Desessard. La grève est et doit rester une action menée par un groupe de travailleurs et non pas par une somme d’individus. Car en émiettant les responsabilités, en tentant de séparer les travailleurs, l’objectif est non plus d’éviter le recours à la grève par le dialogue social, mais de l’empêcher par la contrainte. Je le répète, la grève doit demeurer une action collective.
Pour conclure, je voudrais vous faire part, mes chers collègues, de mon expérience en tant qu’animateur social, voilà une quinzaine d’années, lorsque je travaillais avec les chômeurs.
On me disait : « Jean, avec l’augmentation du nombre des demandeurs d’emploi, on va assister à une explosion sociale. » Ce à quoi je répondais que la France était trop vieille pour cela, qu’elle se rendait trop fréquemment chez le médecin. En revanche, je parlais d’une « implosion sociale », c'est-à-dire d’une violence dirigée non plus vers le patronat, l’État ou les ministres, mais vers soi – le suicide, la prise de médicaments –, vers ses proches – les violences conjugales, de voisinage, les éruptions de colère dans certains quartiers.
J’allais même plus loin : j’avais dit que si l’on ne donnait pas une réponse politique à cette désespérance sociale et à cette implosion sociale, celles-ci trouveraient une traduction politique. On pouvait penser, à une époque, que les partis de gauche pourraient en bénéficier. Or, au contraire, cette désespérance sociale et cette implosion sociale ont trouvé leur traduction politique dans un parti qui s’appelle le Front national. Déjà, j’avais signalé que si l’on n’apportait pas de réponse et si l’on continuait à favoriser et à émietter la souffrance sociale, le Front national arriverait.
Quand on voit que même les syndicats sont touchés politiquement par l’émergence du Front national, c’est grave ! C’était justement le danger de cette loi : ne pas favoriser le combat social collectif, mais vouloir individualiser les rapports sociaux, empêchant ainsi toute expression collective. Or dans l’expression individuelle, les gens, dans leur désespérance, cherchent ce qu’ils pensent être un refuge, mais qui ne fera en réalité qu’aggraver la situation.
La grève doit rester un moyen d’action, qui intervient certes en dernier recours, mais qui est toujours possible, collectivement, pour les salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour de la Haute Assemblée nous livre ce soir un clin d’œil que je qualifierais, si j’étais insolent, de pied de nez.
Notre assemblée a souhaité programmer un débat sur l’application de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs. Ce débat tombe à point nommé, puisque, dès qu’il sera terminé, débutera une grève reconductible à la SNCF, à l’appel de deux syndicats de cheminots opposés à la réforme ferroviaire que nous examinerons très prochainement !
Hasard du calendrier, monsieur le secrétaire d’État, vous aurez l’occasion, sans doute, de rassurer les cheminots sur la réforme ferroviaire. Celle-ci, nous l’espérons, permettra aussi de moderniser et d’améliorer le service rendu aux voyageurs. Car c’est bien le sujet : peut-on, en France, pratiquer un dialogue social autrement que par la seule confrontation ? Pouvons-nous aller plus loin dans des logiques de négociation, en posant ensemble, avec les organisations syndicales, les vrais enjeux, sans oublier, au passage, les voyageurs ?
Notre démocratie sociale doit savoir mieux poser les vrais sujets, ceux qui font l’avenir du service public, en n’oubliant pas que le monde est ouvert et que c’est d’abord en modernisant le service public que l’on assurera son avenir. L’équilibre de la loi de 2007 est donc à saluer, comme le font nos rapporteurs.
Je dirai ici quelques mots à la fois de ce qui est, selon moi, dans le rapport, et de ce qui, à juste titre, n’y est pas, même si d’aucuns voudraient en faire une lecture oblique. Je pense ici aux syndicats de l’aérien, qui font mine curieusement d’oublier que ce rapport concerne les transports terrestres.
Ce qui est dans le rapport, d’abord, reçoit tout notre accord. Premier principe : le dialogue social est important, et il faut toujours le développer et l’encourager. C’est tout l’intérêt de la loi de 2007, qui est souvent, à tort, considérée comme instituant un service minimum dans les transports en commun, alors qu’elle crée surtout un dispositif de négociation préalable en cas de désaccord et de conflit au sein de l’entreprise.
Le paradoxe est que, comme le montrent les deux rapporteurs, la loi de 2007 fonctionne et a répondu aux objectifs que lui avait fixé le législateur. Convenons que, ce soir, la démonstration n’est pas des plus aisées. L’avenir nous dira si M. le secrétaire d’État réussit à renouer les fils du dialogue.
Certes, il n’est pas possible d’affirmer que l’adoption de ce texte a eu pour conséquence de faire baisser le nombre de conflits sociaux et de préavis de grève, car, faute de statistiques des opérateurs concernant les principales causes de perturbations prévisibles du trafic, personne ne peut prouver la corrélation entre les deux phénomènes.
Comme le montrent nos collègues, les jours de grève dans les transports terrestres sont liés aux mouvements et mots d’ordre nationaux, là où le dialogue social au niveau de l’entreprise institué par la loi de 2007 est quasiment inopérant. J’ose croire que la SNCF est un contre-exemple, car elle pratique le dialogue social.
À cet égard, je dois dire ma relative incompréhension avec le mouvement social en cours. Il me semble que l’on pourrait faire, aimablement, le procès inverse au projet de loi portant réforme ferroviaire : à bien des égards, celui-ci est soucieux des équilibres sociaux, mais peut-être un tout petit moins du besoin d’adaptation au monde d’aujourd’hui…
Je poursuivrai avec une autre provocation, en rappelant que les conflits sociaux – sur ce point, je rejoins les propos des rapporteurs – et les grèves sont une part minime des perturbations du trafic des transports de voyageurs, comme le montrent précisément les auteurs du rapport. En effet, et je parle d’expérience, car j’emprunte le RER B pour rejoindre la capitale et me rendre au Sénat, nos concitoyens voient surtout les incidents, accidents, retards et avaries qui touchent les transports, particulièrement en Île-de-France, et qui pourrissent littéralement leur vie quotidienne.
Cela renvoie à un débat que nous avons souvent eu ici avec vous, monsieur le secrétaire d’État, sur l’état du réseau francilien. Vous avez bien voulu m’annoncer la création d’une mission sur le RER B et ses travaux. J’aurai plaisir à lire, peut-être bientôt, ce que celle-ci écrira sur le sujet. Seuls des investissements massifs de rénovation et de modernisation du réseau permettront d’améliorer à terme les conditions de circulation de nos concitoyens et, je le crois profondément, de rassurer les salariés sur leur avenir. Là réside l’enjeu majeur pour l’avenir des transports terrestres.
Cela renvoie également à nos discussions sur le financement des infrastructures de transports et à l’écoredevance, pour ne pas dire l’écotaxe, dont nous ne savons toujours pas, à cette heure, le sort que le Gouvernement lui réservera, compte tenu des déclarations, il est vrai contradictoires, des ministres concernés. Du reste, je vous crédite, monsieur le secrétaire d’État, d’une forme de constance sur le sujet.
La clarté des financements et des investissements, c’est aussi une clef du dialogue social : afficher une ambition, c’est mobilisateur pour les salariés et les voyageurs. Comme le montrent les auteurs du rapport, le dispositif inspiré de la procédure d’alarme sociale existant préalablement à la RATP fonctionne bien et représente une avancée notable pour les usagers.
Grâce au dispositif de déclaration préalable des grévistes et de définition des dessertes prioritaires, nos concitoyens sont informés, au plus tard la veille, de la proportion des trains et des lignes qui seront en service, ainsi que de leurs horaires – nous le mesurons particulièrement ce soir. Avant 2007, les voyageurs ne disposaient pas de ces informations essentielles pour l’organisation de leur journée.
Il faut ainsi saluer le travail de nos deux rapporteurs, qui, au-delà de leurs orientations politiques, que l’on pourrait qualifier d’opposées, ont réussi à établir un bilan objectif et juste de cette loi de 2007, souvent appelée à tort « loi sur le service minimum », et à aboutir à des positions et des recommandations communes pour une loi si décriée à l’époque par l’opposition parlementaire d’alors.
Comme le soulignent les auteurs du rapport, le législateur a réussi à trouver un équilibre entre les deux principes constitutionnels apparemment contradictoires que sont le droit de grève et le principe de la continuité du service public. Devant l’impossibilité d’instituer un service minimum dans les transports terrestres de voyageurs, qui aurait supposé de réquisitionner les personnels, le dispositif institué par la loi d’août 2007 s’inscrit néanmoins dans le cadre constitutionnel contraint de l’exercice du droit de grève et tend à concilier ces deux principes par une procédure de déclaration préalable des salariés et d’information des voyageurs.
Le succès de cette loi dans les transports terrestres se mesure aussi par sa duplication, en 2012, dans le transport aérien par l’adoption de la loi relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports, dite « loi Diard ». Je saisis l’occasion de cette discussion pour évoquer cette loi, en ce moment contestée par certains syndicats de personnels, qui s’appuient à tort, me semble-t-il – je rejoins en cela mon collègue Marc Laménie – sur une recommandation du rapport pour demander son abrogation.
Je souhaiterais maintenant dire un mot de ce qui ne figure pas, à juste titre, dans le rapport, même si d’aucuns voudraient, à tort, me semble-t-il, l’y inclure. Il faut en effet préciser que nos deux rapporteurs n’évoquent pas en tant que telle la loi Diard du 19 mars 2012, mais soulignent uniquement les dispositions qui ont été ajoutées par amendement à l’occasion de l’examen de ce texte, pour compléter la loi de 2007, et qui concernent seulement les transports terrestres et nullement le transport aérien.
Je pense notamment à une disposition introduite par voie d’amendement afin de régler un mouvement de grève local à la SNCF : celle-ci oblige le salarié qui s’est déclaré gréviste à déclarer vingt-quatre heures à l’avance soit sa décision de renoncer à la grève soit sa volonté de reprendre le travail.
À aucun moment, nos deux rapporteurs ne proposent d’abroger la loi Diard ; ils souhaitent uniquement supprimer les modifications apportées par la loi Diard – sous-entendu, à la loi du 21 août 2007. Il y a donc un certain paradoxe à s’emparer du rapport de nos collègues, comme certains le font, pour lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Dans le rapport n’est nullement évoqué le dispositif de prévention des conflits et d’information des passagers dans le transport aérien, puisque ce n’est pas son objet. Il ne faut donc pas remettre en cause la loi Diard à l’occasion de ce débat.
Comme la loi de 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, la loi Diard relative au transport aérien a fait la démonstration de son utilité pour l’organisation des vols en cas de mouvements de grève et l’information des passagers, tout en respectant le droit de faire grève et les droits des personnels aériens, puisqu’elle a été jugée constitutionnelle.
Ce texte, comme la loi de 2007 pour les transports terrestres, incite au dialogue social et le renforce dans les transports, ce qui correspond aussi à une option que nous partageons : privilégier la prévention des conflits plutôt que le conflit et le recours à la grève, qui n’est que le constat de l’échec du dialogue et de la négociation et non son préalable.
L’esprit de ces deux lois est bien de favoriser une culture du dialogue entre les partenaires sociaux, afin d’éviter les conflits sociaux et le recours à la grève, malheureusement utilisée parfois par certains syndicats comme un préalable à la discussion.
Ces deux lois sont aussi essentielles pour l’information des voyageurs et des usagers. Ce principe ne peut être remis en cause, car ceux-ci se sont habitués à être informés, soit de l’annulation de certains vols, soit de la circulation des trains et du trafic sur les lignes en cas de mouvement social. Nos concitoyens ne comprendraient pas que l’on revienne sur cet acquis.
Pour conclure, comme il faut bien trouver une solution à la revendication exprimée dans l’aérien, je ne peux que suggérer à la commission pour le contrôle de l’application des lois d’établir un bilan de la loi du 19 mars 2012, pour faire le pendant de ce rapport. Je rejoins ici la recommandation de notre collègue Marc Laménie, et je m’en réjouis.
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, sept ans après l’adoption expéditive de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, un état des lieux serein sur la conflictualité au sein des entreprises de transport devenait indispensable, à la suite des débats houleux, mais ô combien nécessaires, qui se sont tenus au Sénat, puis à l’Assemblée nationale.
L’opposition était à l’époque justifiée avant tout par les propos qui déformaient la réalité sur les origines des perturbations dans les transports, fortement relayés par les médias.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Robert Hue. Sur ces mauvais fondements, on s’apprêtait à remettre en cause l’exercice du droit de grève : un droit fondamental, difficilement acquis par les salariés et reconnu par le septième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, à valeur constitutionnelle, qui a progressivement permis à l’ensemble de nos concitoyens d’obtenir l’amélioration de leurs conditions de travail, ainsi que de leurs droits sociaux.
En 2007, le Gouvernement prétendait encadrer le droit de grève dans les transports sous prétexte de garantir la liberté d’aller et venir, l’accès aux services publics essentiels, la liberté du travail, ou encore la liberté du commerce et de l’industrie. Certes, dans les transports en commun, une perturbation, de quelque nature que ce soit, peut occasionner une gêne provisoire pour les usagers qui n’ont à leur disposition d’autre moyen pour se déplacer. On pouvait cependant s’interroger sur la pertinence du projet de loi alors que des progrès avaient déjà eu lieu au sein de la RATP depuis 1996, puis de la SNCF par un protocole d’accord signé en 2003.
Le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois peut légitimement nous conduire à remettre en question l’utilité même de ce texte, dont l’évaluation n’a pas dû être aisée : la loi a-t-elle abouti, par la mise en place d’un mécanisme de prévention des conflits, à réduire la conflictualité et à restaurer le dialogue social ? Selon moi, le rapport ne plaide pas en ce sens.
Le nombre d’alarmes sociales a augmenté, les dialogues entre la direction et les organisations syndicales de salariés n’ont été malheureusement que formels et les constats de désaccords après négociations se sont accrus. L’évaluation prend l’exemple de la RATP, où 36 % des alarmes sociales se sont soldées par un accord en 2012 contre 56 % en 2007.
Les seuls avantages que l’on peut retenir de cette loi sont, d’une part, l’instauration d’une négociation obligatoire dans toutes les entreprises de transport, là où elle n’était encore que facultative, et, d’autre part, le renforcement de l’information des usagers lors des perturbations prévisibles. Ce dernier point ne doit toutefois pas être négligé.
La loi a-t-elle permis d’assurer une plus grande continuité des services publics, argument qui tenait lieu de justification à ceux qui préconisaient des restrictions au droit de grève ? Non, puisque les usagers subissent toujours des retards et suppressions de trains : panne de signalisation, panne de caténaire, accidents voyageurs, présence de colis suspects et divers incidents combinés.
Les perturbations liées à la grève – l’un de nos collègues l’a souligné, et c’est un point très important – ne sont en effet que très marginales, puisqu’elle n’est à l’origine que de 3,3 % des perturbations en moyenne. La très grande majorité de ces dernières relèvent donc bien d’incidents techniques ou relatifs aux voyageurs.
Mes chers collègues, souvenez-vous des déclarations de Xavier Bertrand, alors ministre du travail. Des trémolos dans la voix, il déclarait dans cet hémicycle qu’il ne voulait plus voir un seul voyageur exaspéré sur un quai, guettant « un train qui ne viendra[it] peut-être jamais » ! Au reste, contrairement aux propos provocateurs tenus par Nicolas Sarkozy en juillet 2008, la grève dans les transports, on s’en aperçoit encore ! Et j’ajoute que c’est positif.
Ce texte ne peut donc répondre aux situations de blocage les plus prononcées, à savoir les grèves relevant de revendications de politique nationale.
L’origine des perturbations dans les transports terrestres se situant à un tout autre niveau, la loi de 2007 n’apportait qu’une réponse sommaire à des problèmes plus profonds.
Par ailleurs, si cette réforme devait permettre d’encourager le dialogue social, rien n’a été fait pour traiter le problème à la source, c’est-à-dire pour améliorer les conditions de travail des salariés des entreprises de transport et préserver le service public en accordant les moyens de financement nécessaires à la qualité des dessertes.
Les salariés continuent de subir des agressions, des actes de malveillance et, plus dramatiquement encore, les conséquences de suicides sur les voies.
Ce sont bel et bien les perturbations « imprévisibles » qui pèsent sur la vie des usagers. Ce sont les sous-investissements cumulés depuis les années quatre-vingt qui sont à l’origine de la très grande majorité des perturbations et donc de l’insatisfaction des usagers, tandis que la fréquentation a explosé au cours des dernières années. Ce constat est particulièrement vrai en Île-de-France, où le nombre d’usagers du RER a bondi de 30 % en dix ans, rendant la situation de plus en plus tendue et insoutenable pour nos concitoyens.
Partant, il est urgent de pérenniser le financement des infrastructures de transports, à commencer par les recettes de l’Agence de financement des infrastructures de transports de France, l’AFITF, dont la principale ressource devait être constituée de l’écotaxe « poids lourds ».
M. Vincent Capo-Canellas. Eh oui !
M. Robert Hue. L’absence de visibilité sur ce dossier met en péril le renouvellement des trains d’équilibre du territoire, les TET.
M. Vincent Capo-Canellas. Absolument !
M. Robert Hue. Monsieur le secrétaire d’État, j’espère que la réforme ferroviaire que nous examinerons prochainement, plutôt que de s’atteler à la seule ouverture à la concurrence du transport de voyageurs, au risque de mettre en péril l’accès au service public ferroviaire, répondra efficacement – mais je ne doute pas que ce sera le cas – à la question de son financement. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret.
Mme Hélène Masson-Maret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’essence même de la fonction de parlementaire est d’édicter des lois, mais vérifier la bonne application de ces dernières est une mission qui me paraît également primordiale, et à double titre.
Dans ce domaine, le principal enjeu est de mesurer un éventuel écart entre ce que le législateur a voulu et son application concrète sur le terrain. Il est également important d’adapter la législation aux évolutions de notre société et, quand c’est nécessaire, d’améliorer les lois existantes en légiférant de nouveau.
À cet égard, l’examen du rapport sur l’application de la loi du 21 août 2007 aura un écho tout particulier à partir d’aujourd’hui, dix-neuf heures, avec le début d’une grève reconductible à la SNCF, à l’appel de deux syndicats de cheminots.
Le problème des grèves en France est donc toujours d’actualité.
Mme Mireille Schurch. Encore heureux !
Mme Hélène Masson-Maret. Ne peut-on donc pas imaginer une autre société, chère collègue ? Je suis surprise d’entendre un tel point de vue, qui plus est de ce côté de l’hémicycle !
En outre, il convient d’étalonner le dispositif de 2007 avant d’imaginer quelles suites donner à cette entreprise législative.
Je rappellerai en quelques mots les circonstances qui nous réunissent cette après-midi.
Le Sénat a publié un rapport relatif à l’application de la loi du 21 août 2007. Le constat en est le suivant : si, formellement, cette loi a été plutôt bien appliquée, si les voyageurs sont désormais mieux informés, l’impact sur le nombre de mouvements sociaux reste difficile à établir. S’y ajoutent des griefs qui demeurent vifs et qui méritent que l’on s’y attarde.
Je rappelle à présent, en quelques mots, le périmètre de ce texte. Il s’applique aux transports ferroviaires, aux transports urbains et aux transports interurbains et concerne opérateurs publics, entreprises privées internationales et PME.
Je rappelle en outre brièvement les dispositions mises en œuvre par cette loi. Elles ont déjà été exposées, mais il est toujours bon d’énumérer leurs quatre piliers.
Sur le plan des moyens, cette loi met en œuvre un mécanisme de prévention des conflits qui rend obligatoire la négociation pendant huit jours avant le dépôt d’un préavis de grève. S’y ajoute la définition de dessertes prioritaires, l’élaboration d’un plan de transport adapté, le PTA, et d’un plan d’information à destination des usagers, le PIU. En outre, les salariés ont l’obligation de déclarer à leur employeur quarante-huit heures à l’avance leur intention de faire grève. Enfin, ce texte prévoit l’amélioration des droits et de l’information des usagers.
Examinons à présent un aspect à mon sens capital : les contributions assurées par le Sénat au titre de cette réforme en 2007.
À l’article 1er, un amendement de Hugues Portelli a permis de préciser le rôle essentiel des services publics de transports. Ces derniers garantissent « la liberté d’aller et venir, la liberté d’accès aux services publics, notamment sanitaires, sociaux et d’enseignement, la liberté du travail, la liberté du commerce et de l’industrie », qui sont autant de libertés constitutionnelles. J’insiste sur ce point, monsieur le secrétaire d’État !
À l’article 2, un amendement a permis d’imposer aux entreprises la signature avant le 1er janvier 2008 d’un « accord-cadre organisant une procédure de prévention des conflits ». C’est là une avancée vers une nouvelle orientation de gestion des conflits au sein des grandes organisations. En effet, il me semble que les sénateurs ont souhaité rendre obligatoires et non plus facultatives les négociations au niveau de la branche.
À ce titre, contrairement à ce qui a pu être affirmé, le débat d’aujourd’hui est bel et bien une occasion de réhabiliter la loi de 2007.
Ce texte ne constitue en rien une négation du droit de grève. Nulle part il n’y est écrit que la grève doit connaître des limites, à part peut-être pour ce qui concerne les préavis « glissants » ou à répétition.
Dans les faits, cette loi vise trois objectifs, qui ne peuvent être assimilés à une limitation de ce droit constitutionnel qu’est le droit de grève : la prévention des conflits via la négociation préalable, l’amélioration de la prévisibilité du trafic et le renforcement de l’information des usagers. Pour autant, on peut se demander si ces objectifs ont été atteints. La loi est-elle correctement appliquée ? Telle est la question qui sous-tend nos discussions d’aujourd’hui !
On peut considérer que la réponse est globalement positive, même si cet adverbe ne saurait masquer les carences observées. Les nouveaux outils du dialogue social ont bien été mis en œuvre dans le secteur du transport urbain, avec la signature d’un accord de branche entre l’Union des transports publics et ferroviaires, l’UTP, et les organisations syndicales représentatives, le 3 décembre 2007.
Quant au processus d’élaboration des PTA et des PIU, il semble désormais presque arrivé à son terme. Néanmoins, leur application fait encore l’objet de polémiques, chez les syndicats comme chez les employeurs. Des griefs persistent de part et d’autre.
Du côté des syndicats, les salariés mettent en exergue les faiblesses du dialogue social, celles des négociations préalables de pure forme, qui aboutissent le plus souvent à un constat de désaccord.