compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Hélène Conway-Mouret.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a, pour sa part, fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Claudine Lepage.

Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

3

Débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales, organisé à la demande de la mission commune d’information et du groupe du RDSE (rapport d’information n° 484).

Dans le débat, la parole est à M. Michel Savin, président de la mission commune d’information.

M. Michel Savin, président de la mission commune d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission commune d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales, que j’ai eu l’honneur de présider, a rendu son rapport assorti de trente propositions le 29 avril dernier.

Je tiens tout d’abord à remercier de son travail son rapporteur, notre ancien collègue Stéphane Mazars, qui s’est impliqué jusqu’au bout pour achever sa mission. Je tiens également à souligner l’excellent esprit qui a présidé à nos travaux ; il en est ressorti un diagnostic partagé sur la nécessité de faire évoluer la gouvernance du sport professionnel et de redéfinir ses rapports avec les collectivités territoriales.

Nos travaux ont fait suite à de nombreux rapports déjà publiés sur le sujet. Je pense en particulier au rapport de la Cour des comptes de 2009 et, plus récemment, au très instructif rapport de la mission d’évaluation de la politique de soutien au sport professionnel et des solidarités avec le sport amateur. Je n’oublie pas non plus, monsieur le secrétaire d’État, le rapport que vous avez remis sur le fair-play financier, publié en juillet 2013, lorsque vous étiez encore député.

Nous n’avions pas pour objectif de rédiger un rapport de plus, d’autant que ceux qui ont déjà été réalisés sont de grande qualité. Notre mission a voulu identifier les bases d’un nouveau modèle du sport professionnel tel qu’il pourrait s’affirmer dans les années à venir et repenser, en conséquence, le rôle des collectivités territoriales.

Mais, au-delà de ces perspectives de long terme, plusieurs de nos recommandations sur les subventions, la construction des stades, la responsabilité sociale des clubs et la gouvernance du sport professionnel pourraient faire, à notre sens, l’objet d’une application prochaine. Ce sont ces dispositions que je vous propose d’évoquer dans la perspective du projet de loi que vous pourriez être amené à présenter au Parlement au premier semestre 2015.

Notre mission a souhaité en effet répondre à deux défis immédiats : d’abord, celui du contexte budgétaire et financier, qui invite les collectivités territoriales à passer en revue l’ensemble de leurs dépenses afin de trouver des sources d’économie ; ensuite, celui du modèle du sport professionnel qui se met en place en Europe aujourd’hui.

Je souhaiterais insister sur ce dernier point, car il est crucial. Nos conclusions sont le fruit de nos échanges avec les responsables, anglais et allemands, des clubs d’Arsenal, de Schalke 04 et du Bayern de Munich, mais aussi avec ceux de la fédération anglaise de rugby et du tournoi de Wimbledon. Et ces conclusions ne peuvent être ignorées si l’on souhaite que nos clubs puissent défendre leurs couleurs au plus haut niveau.

Quels sont ces constats et ces conclusions ? Nous en voyons trois.

Premier constat, il convient de rappeler que, nulle part ailleurs en Europe, le sport professionnel rentable – celui qui draine des sommes considérables et qui fonctionne comme une véritable activité économique – ne fait l’objet de subventions publiques. En cela, la France se distingue clairement de la pratique européenne, ce qui pose question en ces temps de disette budgétaire…

Notre deuxième constat concerne les stades : un mouvement important est à l’œuvre en Europe, notamment depuis la Coupe du monde de 2006, qui a eu lieu dans une Allemagne s’illustrant par la construction de nouveaux stades dont les clubs sont les propriétaires.

Le stade devient ainsi un actif qui peut être valorisé dans le bilan comptable du club. Mais, surtout, il permet de produire de nouvelles recettes au travers des loges, des places « premium », des locations de salons et autres manifestations organisées au sein de l’équipement.

Cela remet en cause le modèle français de propriété municipale du stade, mais aussi le recours aux partenariats public-privé, qui privent le club d’une partie des recettes d’exploitation tout en grevant fortement les finances locales – j’y reviendrai.

Le troisième constat qui me tient particulièrement à cœur est celui du rôle social et civique des clubs professionnels.

Nous avons constaté en Allemagne et plus encore en Grande-Bretagne que la responsabilité sociale des clubs était considérable. Chaque saison, ce sont ainsi près de 40 millions de livres sterling qui sont consacrés à des projets socio-éducatifs par les clubs de la Premier League au travers de leurs fonds de dotation. En France, seuls cinq clubs de football sont dotés de fondations ou de fonds de dotation, et leur budget se chiffre tout au plus à 400 000 euros…

Ces constats nous ont incités à recommander un changement de notre modèle d’organisation du sport professionnel. En fait, ces évolutions sont déjà en cours, comme l’illustre, par exemple, la construction des nouveaux stades de l’Olympique lyonnais et du Racing Métro 92 ou le projet de la Fédération française de rugby d’un grand stade de 82 000 places, mais elles sont le fruit d’initiatives disparates et ne s’inscrivent pas encore dans une vision globale qu’il est de la responsabilité de la puissance publique d’accompagner grâce à un cadre législatif adapté.

Pour avancer vers ce nouveau modèle, il nous est apparu que, entre sport professionnel et collectivités territoriales, des « transferts » – pour user d’une métaphore sportive – étaient devenus indispensables.

Nous voyons au moins cinq transferts à organiser. Ils concernent les modalités d’organisation de la régulation du sport professionnel, la répartition entre les dépenses de fonctionnement et d’investissement, le montant et l’objet des aides des collectivités territoriales, l’exercice de la responsabilité sociale du sport professionnel et, enfin, les compétences des collectivités territoriales.

Le premier changement majeur vers lequel il conviendrait de s’orienter serait la fin des subventions et des achats de prestations sans véritable contrepartie.

Comme l’a montré le rapport d’inspection de la mission d’évaluation de la politique de soutien au sport professionnel de juillet 2013, ces subventions ne respectent pas la loi, puisqu’elles devraient être strictement consacrées à des missions d’intérêt général. Au lieu de cela, il est prouvé qu’elles financent les dépenses de fonctionnement des clubs et participent donc à l’inflation salariale, ce qui nous semble tout à fait inacceptable compte tenu, en particulier, de la situation des finances publiques locales.

C’est maintenant aux spectateurs, aux téléspectateurs, mais aussi aux entreprises de financer le sport professionnel !

C’est pourquoi la mission a proposé de supprimer dès la saison 2016-2017 la possibilité pour les collectivités territoriales de subventionner sans contreparties les clubs de Ligue 1 de football et du Top 14 de rugby. La hausse des droits de télévision dans ces deux disciplines devrait pouvoir compenser la baisse des contributions publiques.

Pour éviter tout malentendu, je tiens à rappeler que, si nous avons considéré que la fin des subventions de fonctionnement devait, à terme, concerner toutes les disciplines, cela ne vaut aujourd’hui que pour celles qui sont arrivées à maturité dans leur processus de professionnalisation. Le basket-ball, le handball, le volley-ball et le hockey sur glace en sport collectif ne sont donc pas aujourd’hui concernés par cette proposition, même si un cap doit être fixé pour l’avenir. Ces sports, de même que le sport professionnel féminin et le handisport, ne pourraient exister, nous le savons bien, sans financements publics locaux.

Moins d’argent public dans le sport professionnel, mais aussi « mieux » d’argent public : tel est le deuxième « transfert » à organiser. La Cour des comptes avait montré, dans son rapport de 2009, un véritable manque de transparence dans l’utilisation des subventions publiques par les clubs professionnels.

Cinq ans plus tard, nous avons pu constater que la situation ne s’était pas améliorée : non seulement les recommandations de la Cour des comptes concernant l’amélioration de la transparence n’ont pas été suivies par l’État, mais le rapport d’inspection de la mission d’évaluation de la politique de soutien au sport professionnel de juillet 2013, déjà cité, a mis en évidence l’existence de conflits d’intérêts dans le contrôle de gestion et l’insuffisance des contrôles de l’État tant sur les normes édictées par les fédérations et les ligues que sur les flux financiers qui irriguent de plus en plus ce secteur.

La mission a donc proposé d’instaurer une véritable régulation du secteur, qui serait confiée à une instance indépendante – nous pourrions la dénommer « Conseil supérieur du sport professionnel ». Il ne s’agirait pas de créer une autorité de plus mais, au contraire, de regrouper des missions et des moyens existants dans d’autres autorités qui interviennent déjà dans le sport, comme les DNCG, les directions nationales du contrôle de gestion, et l’ARJEL, l'Autorité de régulation des jeux en ligne.

Les missions de cette autorité seraient à la fois limitées et essentielles. Cinq missions principales pourraient ainsi être envisagées : la détermination des conditions permettant de garantir la pérennité du modèle économique du sport professionnel ; la supervision du contrôle de gestion des clubs au travers des directions nationales du contrôle de gestion, les DNCG, qu’elle absorberait, et dont l’indépendance serait ainsi garantie ; le contrôle des subventions de toute nature pour préserver l’équité et la fixation des critères de redevances ; le suivi des normes imposées par les fédérations et les ligues aux collectivités territoriales pour s’assurer de leur cohérence et de leur efficacité ; enfin, le contrôle des plans de financement des nouveaux stades et des nouvelles arenas que cette autorité devrait, en outre, homologuer pour assurer une répartition territoriale équilibrée.

Le sport professionnel est devenu un véritable marché, qui brasse des milliards d’euros. C’est parce qu’il n’est pas régulé que les accidents industriels ont tendance à se multiplier, au détriment des collectivités territoriales. Nous pensons à l’arena du Mans, mais aussi au Stade des Alpes, de Grenoble. Or, comme pour l’audiovisuel avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, ou la finance avec l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, toute régulation d’un secteur a besoin d’un régulateur à la fois indépendant et expert.

La nécessité de créer cette autorité indépendante de régulation a été constatée par les trois rapporteurs de la mission interministérielle d’évaluation de la politique de soutien au sport professionnel, mais aussi par vous-même, monsieur le secrétaire d’État, lorsque vous proposiez, en 2013, dans un rapport de l’Assemblée nationale, de conférer à la direction nationale du contrôle de gestion le statut d’autorité administrative indépendante et de la doter pouvoirs de contrôle renforcés.

Troisième transfert : la transparence ne pourra pas, à elle seule, rétablir l’image du sport professionnel, qui a été abîmée par les excès du « sport business ». Pour ce faire, les clubs devront accomplir un effort en matière de responsabilité sociale.

Nous pensons que l’augmentation considérable des moyens des clubs professionnels comme leur popularité auprès de la jeunesse leur donnent de nouvelles responsabilités et qu’il leur incombe de prendre leur part du travail de renforcement de notre cohésion sociale.

Nous souhaitons ainsi vous proposer que les ligues créent leurs propres fonds de dotation ou leurs propres fondations et que l’ensemble des clubs fassent de même.

On pourrait également prévoir que les clubs professionnels de première division consacrent une fraction de leurs revenus à des actions sociales et éducatives, comme cela se fait en Grande-Bretagne.

Enfin, les collectivités territoriales pourraient, elles aussi, aider financièrement les fondations et les fonds de dotation des clubs, en contrepartie d’actions d’intérêt général et éducatives.

Quatrième transfert : concernant le modèle économique des clubs, il faut sortir du schéma dans lequel les collectivités territoriales financent les stades sans avoir leur mot à dire et, lorsqu’elles n’en ont plus les moyens, recourent à de coûteuses astuces comme les partenariats public-privé, les PPP, pour conserver « à tout prix » un certain contrôle de « leur » club local. Puisque les clubs sont devenus des entreprises et qu’ils cherchent tous à augmenter leurs revenus, il est normal qu’ils deviennent propriétaires de leurs « moyens de production ».

C’est pourquoi nous proposons que l’article L. 113-1 du code du sport soit modifié pour que les collectivités puissent subventionner la construction de nouveaux stades et de nouvelles arenas, dont les clubs deviendraient les propriétaires. Nous pourrions également ouvrir plus largement les possibilités en termes de garanties d’emprunt pour aider les clubs à boucler leurs financements. Une telle évolution a été rendue possible par la décision de la Commission européenne qui a validé en décembre dernier le plan d’aides pour la construction et la rénovation des stades de l’euro 2016.

Dans le même esprit, nous proposons aussi que les collectivités puissent vendre leurs stades aux clubs et aux fédérations en recourant à des techniques comme le crédit-bail, afin de permettre à ces clubs d’acquérir, dans la durée et à un prix adapté, leur outil de travail.

On pourrait également imaginer que les stades déjà construits grâce à des PPP puissent être rachetés en crédit-bail par les clubs intéressés.

Pour autant, monsieur le secrétaire d’État, nous croyons qu’il est important de laisser libres les collectivités de garder ou non les stades qu’elles possèdent. Elles doivent pouvoir alors en déléguer la gestion aux clubs résidents.

Si l’on peut comprendre qu’une collectivité, pour des raisons de tradition ou d’identité, souhaite rester propriétaire de son stade, il nous semble en revanche essentiel de prévoir que les nouveaux stades ne pourront plus être construits principalement grâce à des fonds publics.

Nous proposons ainsi d’inscrire dans la loi que le montant des fonds publics alloués à la construction des nouvelles enceintes sportives dédiées au spot professionnel ne pourra pas dépasser 50 % du total.

Dans le même esprit, il nous semble qu’il serait judicieux de ne plus permettre, à l’avenir, aux collectivités territoriales de recourir aux PPP pour financer des stades dont elles ne sont pas les utilisateurs finaux.

Une dernière chose concernant les investissements : notre mission propose que l’État incite et aide les fédérations de basket-ball, de handball et de volley-ball à construire et exploiter en commun une salle de 10 000 à 15 000 places en région parisienne. Un tel projet mutualisé a reçu un bon accueil des fédérations concernées, car il répond à une réelle attente.

Cinquième et dernier transfert : concernant la compétence générale des collectivités territoriales en matière de sport professionnel, nous proposons de désigner une collectivité territoriale de référence pour accompagner le sport professionnel. Cette collectivité pourrait être l’agglomération ou la métropole, la région restant compétente en matière de formation professionnelle. Bien entendu, les conseils généraux resteraient compétents pour aider les événements sportifs qui ne sont pas organisés par des clubs professionnels, ce qui est essentiel en zone rurale.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un véritable changement de culture que notre mission propose. Le sport professionnel a changé, la situation des collectivités territoriales également ; il est temps d’en tirer toutes les conséquences en adaptant le droit et les usages à ces nouvelles réalités. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, au nom du groupe du RDSE.