Mme Anne-Marie Escoffier, au nom du groupe du RDSE. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est en toute humilité, mais avec une grande joie, que je viens cet après-midi participer à l’ouverture de ce débat sur le sport professionnel et les collectivités territoriales.
Je le fais en toute humilité, parce qu’il n’est de secret pour personne ici que je n’ai aucun titre sportif qui me donne une autorité suffisante pour me mesurer à nos athlètes de haut niveau du monde du sport professionnel…(Sourires.)
Mais je le fais avec une grande joie, aussi, parce que je prends le relais ici de mon ami Stéphane Mazars, mon remplaçant sur ces travées, qui m’a transmis le témoin.
Je vais m’attacher à ce que ce passage de témoin soit aussi réussi que la présentation qui a été faite de ce rapport en conférence de presse par le président Michel Savin, et par mon ami Stéphane Mazars, rapporteur.
Personne n’ignore aujourd’hui le rôle pris par les collectivités territoriales dans le domaine du sport.
Les lois de décentralisation successives n’ont pas fait du sport une compétence exclusive de l’une ou l’autre des collectivités territoriales, laissant ainsi aux régions, aux départements, aux communes et à leurs groupements, la responsabilité d’intervenir dans ce champ qui ne relève pas toujours de l’action publique.
La mission commune d’information, à la suite de nombreux travaux conduits sur la problématique de l’implication financière des collectivités territoriales, s’est interrogée très opportunément sur les voies de rationalisation des relations entre ces collectivités et le monde du sport professionnel, dont l’évolution s’apparente autant à celui de l’industrie et du commerce sous toutes ses formes que du spectacle.
Elle distingue ainsi clairement le sport amateur, dont le développement relève prioritairement des missions dévolues aux collectivités territoriales, du sport professionnel, dont l’évolution est marquée par quatre changements majeurs.
Premièrement, nous assistons à un nouveau dimensionnement du sport professionnel au-delà de nos frontières nationales : celui-ci s’élargit à l’Europe, voire au-delà, et entre en compétition avec des clubs étrangers hautement dynamiques.
Deuxièmement, certains clubs mènent des politiques de recrutement particulièrement ambitieuses et n’hésitent pas à accroître substantiellement les masses salariales, celles-ci pouvant représenter jusqu’à 70 % des dépenses des clubs sportifs.
Troisièmement, nous constatons une croissance particulièrement soutenue des droits de diffusion télévisée, essentiellement pour le football – leur montant annuel va passer de 607 millions d’euros pour la période 2012-2016 à 748 millions d’euros pour la période 2016-2020 – et pour le rugby – s’agissant du Top 14, ces droits passeront de 32 millions d’euros à 71 millions d’euros –, mais aussi, à un niveau moindre, pour des sports individuels comme le tennis ou le cyclisme.
Pour illustrer le montant de ces droits, retenons les chiffres globaux de 500 millions d’euros en 2000 et de 1,185 milliard d’euros en 2013 ! Vous conviendrez, monsieur le secrétaire d’État, que ces chiffres astronomiques frappent les esprits.
Quatrièmement, nous observons des mutations telles que la valorisation de la marque du club, la commercialisation du nom du stade, l’élargissement de la gamme des services offerts aux supporters ou encore le yield management ou gestion fine des billetteries et des loges, sur le modèle des compagnies aériennes.
Autant de transformations des conditions d’exercice des activités sportives qui ont entraîné avec elles une forme de dérive des modes de financement, qui a conduit nos deux missionnaires, le président Michel Savin et le rapporteur Stéphane Mazars, à s’interroger sur les moyens de desserrer progressivement les liens de dépendance réciproque tissés entre les collectivités territoriales et les clubs, tout en favorisant une certaine régulation du secteur. En la matière, il a été fort opportunément rappelé que notre territoire se caractérisait par une exception culturelle et sportive.
Le soutien des collectivités prend deux formes essentielles : un abondement direct par les subventions, qui ont représenté un total de 157 millions d’euros pour la saison 2011-2012 pour les cinq disciplines majeures – football, rugby, basket-ball, hand-ball et volley-ball – et un soutien indirect par la mise à disposition auprès des associations sportives de personnel ou d’infrastructures. C’est un domaine dont nous mesurons beaucoup moins l’amplitude, et il serait opportun de pouvoir commanditer une étude sur cet apport des associations en personnel et en infrastructures.
Dans ce cadre, se pose avec une acuité majeure le problème du financement des équipements du sport professionnel.
Au plan quantitatif comme au plan qualitatif, les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions légitimes, tant des sportifs que des collectivités elles-mêmes : absence ou insuffisance de certains équipements ; installations vieillissantes ne répondant plus, trop souvent, au cahier des charges des fédérations internationales pour l’accueil des grandes compétitions ; absence de locaux techniques adaptés, notamment pour répondre aux nouvelles exigences de l’audiovisuel.
Il en découle deux conséquences opposées : soit la désaffection pure et simple du public pour les clubs pratiquant sur ces espaces inadaptés, soit, à l’inverse, des investissements « surdimensionnés » dans une « course au gigantisme », pour reprendre les termes de votre rapport.
Le bon sens implique la mesure en toute chose, et il est essentiel, au moment où nos collectivités territoriales vont se trouver contraintes à des efforts financiers significatifs, de trouver la voie de l’équilibre entre ces deux maux.
Au nombre de ses propositions, la mission commune d’information avance plusieurs pistes, qui concourent toutes à la nécessité de supprimer progressivement les subventions sans contrepartie ou ne correspondant pas clairement à un objectif d’intérêt général.
Ainsi, la mise à disposition d’infrastructures doit donner lieu à une redevance d’occupation en rapport avec l’avantage tiré par le bénéficiaire.
Ainsi encore faut-il privilégier avec détermination les subventions correspondant à des investissements, au détriment de celles qui ne contribuent qu’au fonctionnement de ces installations. On ne saurait douter de l’intérêt d’une telle préconisation face au fréquent désarroi – je mesure mes mots – de villes moyennes de 10 000, 20 000 ou 30 000 habitants qui n’ont absolument pas les moyens financiers d’offrir des équipements adaptés à des clubs dont la qualité est pourtant incontestable.
Il faut en effet garder à l’esprit que peu de clubs ont un profil financier suffisamment solide pour s’autofinancer sans appoint public en dehors – cela a été dit à l’instant – de la Ligue 1 de football masculin, du Top 14 de rugby et de quelques manifestations importantes comme Roland-Garros, le Tour de France ou le Vendée Globe.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la mission préconise un retrait progressif des aides, d’abord pour les clubs bénéficiant des concours de partenaires privés - et à des niveaux presque incommensurables. Elle évoque la possibilité de mettre en œuvre cette mesure dès la saison 2016-2017 pour les clubs de Ligue 1 de football et du Top 14 de rugby, avant de l’élargir en 2020 aux clubs de sport professionnel venus à maturité.
Il va de soi que, si ces hypothèses étaient retenues, elles devraient impérativement s’accompagner d’outils permettant d’amortir ces changements et de répondre à l’aléa sportif et à ses conséquences économiques : baisse de recettes et surdimensionnement des infrastructures ayant vocation à s’ouvrir à une multifonctionnalité opportune.
Au nombre de ces outils, on peut compter la détermination du nombre de clubs par ligue, les matches de barrage, la diminution du nombre des accessions et des relégations... Autant de mesures qui nécessitent de mener des réflexions en amont avec les clubs et les fédérations sportives.
Sur ce dernier point, je ne peux d’ailleurs omettre de souligner la constante attention portée tant par notre Haute Assemblée que par le Gouvernement sur l’impérieux besoin de tordre le cou à l’inflation normative des fédérations sportives et des ligues professionnelles. Combien de fois n’a-t-on pas cité, dans cet hémicycle, les dépenses importantes, voire insupportables, nées d’un changement de normes affectant la largeur d’un terrain, la distance au filet, la hauteur des paniers ! La loi, née ici, portant création du Conseil national d’évaluation des normes s’est attachée à réduire ce problème.
Je ne voudrais pas revenir sur chacune des trente mesures préconisées dans ce rapport, toutes de bon sens et tendant à répondre de façon proportionnée au problème de la privatisation des bénéfices par la masse salariale et de la socialisation des pertes par le soutien financier des collectivités territoriales sur lequel, monsieur Savin, vous avez insisté.
J’insisterai en revanche volontiers sur celles de ces propositions qui tendent à conférer aux collectivités territoriales des responsabilités particulières. À l’heure où l’on s’interroge sur la clause de compétence générale, où l’on effectue des allers et retours entre sa suppression et son maintien, je crois utile de s’interroger sur les niveaux de responsabilité les plus adaptés pour soutenir, s’il le faut, le sport professionnel dans toutes ses dimensions et dans toute sa richesse.
Le bloc communal – et souvent, d’ailleurs, l’intercommunalité – paraît être – je reprends les mots de M. Michel Savin, président de la mission commune d’information – le « partenaire de référence » utile pour les clubs professionnels. Les métropoles, mais pas n’importe lesquelles, celles qui sont définies dans la loi du 27 janvier 2014, auraient effectivement, comme suggéré, la capacité de faire émerger de grands clubs « omnisports ».
Le département, aujourd’hui soutien aux événements sportifs, ne manquera pas, à terme, de voir cette compétence déplacée au profit d’un autre niveau, probablement régional, si tant est que la réforme territoriale aboutisse et se mette en place…
Quant à la région, une place privilégiée lui est due, en cohérence avec ses compétences premières en matière de formation professionnelle dans le domaine du sport professionnel.
Enfin, et je rejoins en cela les conclusions du rapport de la mission commune d’information, comment ne pas faire de la métropole du Grand Paris le lieu privilégié de réflexion sur la construction et la rénovation des équipements nécessaires dans la perspective d’une candidature aux prochains jeux Olympiques ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous me pardonnerez de ne pas aller plus avant s’agissant des transferts de compétence. Le paysage me paraît tellement incertain à l’heure actuelle que seul me semble raisonnable le principe de réduction des subventions des collectivités locales aux clubs de sport professionnel, afin que nos collectivités territoriales puissent retrouver la juste liberté d’utilisation de leurs crédits pour des opérations correspondant à leurs compétences premières. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 30 avril dernier, la mission commune d’information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales présentait ses conclusions au Sénat, nous donnant ainsi l’opportunité de débattre de ce sujet aujourd’hui.
Je veux souligner la qualité du travail de cette mission, féliciter son président et, à travers vous, madame Escoffier, son rapporteur, M. Stéphane Mazars.
Il s’agit d’un sujet que j’ai eu à connaître de très près pendant de nombreuses années. S’il n’est pas nouveau, puisque la Cour des comptes, en 2009, recommandait déjà « aux collectivités territoriales de mieux maîtriser leurs engagements à l’égard du sport professionnel et de rechercher ainsi un partenariat plus équilibré en termes de soutien financier, de mise à disposition d’équipements sportifs, d’amélioration et de construction des équipements », ce sujet reste encore aujourd’hui totalement à traiter.
Cette question est donc toujours pertinente dans un contexte financier difficile pour nos collectivités territoriales, le Premier ministre ayant annoncé vouloir réaliser 11 milliards d’euros d’économies sur ces dernières. L’argent public devient de plus en plus rare et précieux !
Il est donc urgent, pour les collectivités, de rationaliser leurs budgets et de réserver prioritairement leurs dépenses à leurs compétences principales.
En parallèle, nous ne pouvons plus nier l’émergence, depuis plusieurs années, d’une véritable industrie du sport professionnel qui, pour une part, dispose de fonds propres parfois importants, lui permettant une autonomie certaine. Je pense, par exemple, aux clubs de Ligue 1 de football ou à ceux du Top 14 de rugby et à quelques autres encore.
Aussi, pourquoi les collectivités territoriales continueraient-elles à subventionner autant les clubs de sport professionnel ? Cette question est d’autant plus légitime qu’il s’agit d’argent public utilisé souvent pour des intérêts privés.
Or, au-delà des aides accordées de bonne grâce par certaines collectivités, il existe des situations ambiguës pouvant s’apparenter à une insidieuse quasi-obligation de subvention. Ainsi, quand une collectivité finance largement son ou ses clubs, comment les élus de la collectivité voisine pourraient-ils refuser de faire de même ? Une pression s’installe sur la seconde collectivité, la poussant à faire comme la première. L’opinion publique, en effet, ne comprendrait pas qu’on « laisser tomber » son club fétiche.
De plus, au-delà des subventions, les demandes de certains clubs se font de plus en plus subtiles, notamment à travers des achats d’espaces publicitaires, le flocage de maillots et de shorts, la réduction des prix de location des installations, et on a parlé de l’inflation normative qui pèse sur les budgets, sans oublier des interventions plus ou moins fictives des joueurs auprès des jeunes de la ville, du quartier ou parfois du département…
Pour autant, le tableau n’est pas tout noir. Il est possible de discerner un point d’équilibre où collectivités et clubs peuvent trouver un juste profit. Il est exact que les collectivités peuvent bénéficier de l’image de leurs clubs, ainsi que du sentiment de cohésion liée aux résultats sportifs.
Au final, les préconisations du rapport sont à considérer comme des objectifs à atteindre et non comme des impératifs immédiats.
En revanche, ce qui est impératif, c’est de rendre transparentes au plus vite les relations entre clubs sportifs et collectivités, en distinguant clairement les éléments qui relèvent des activités commerciales de ceux qui relèvent de « services » d’entreprises privées. Il faut expressément réserver l’argent public à des objectifs d’intérêt général.
Ainsi, une distinction pourra se faire entre les disciplines masculines – surtout – et féminines – pour une part – très médiatisées et celles dont les répercussions sociales et médiatiques sont plus modestes, c’est-à-dire les disciplines dans lesquelles les entreprises privées n’ont guère de bénéfices à espérer dans l’immédiat.
Ce rapport prévoit donc des préconisations intéressantes, mais à mettre en œuvre avec précaution et discernement – ce qui est valable pour la Ligue 1 et le Top 14 ne l’est pas forcément pour la fédération de badminton –, tout cela sur la base de la transparence, afin d’éviter tout abus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce rapport répond à juste titre à un double constat.
D’une part, le monde sportif professionnel a évolué. Il s’éloigne plus en plus de notre modèle classique pour aller vers ce que nous avons appelé le « sport business », soit un secteur économique en pleine expansion.
D’autre part, la baisse des dotations aux collectivités territoriales les force aux restrictions budgétaires.
Or 350 millions d’euros de subventions seraient chaque année versés par les collectivités territoriales aux clubs professionnels. Face à cette mutation du sport professionnel, notre modèle classique, porté par les collectivités, est à bout de souffle. Une remise à plat du système et des liens entre nos collectivités et le sport professionnel s’impose donc.
Notre mission s’est interrogée sur la refonte de ce modèle : comment assurer des relations raisonnables et responsables entre le sport professionnel et les collectivités locales tout en permettant à nos clubs de rester compétitifs lors des grands tournois européens ?
L’une des premières observations de ce rapport montre que l’attribution des subventions aux clubs par les collectivités se fait sous pression, comme cela vient d’être souligné : pression du club, pression des médias, pression de l’opinion !
Dans ce contexte, les collectivités se voient obligées de verser des subventions pour équilibrer les budgets déficitaires des clubs. La communalisation des pertes – pour ne pas parler de « collectivisation » – et la privatisation des bénéfices par les clubs professionnels ne peuvent plus durer.
L’octroi de ces subventions doit donc revêtir un intérêt général. Lorsque l’on connaît les conditions de vie chaque jour plus difficiles de nos concitoyens, des subventions publiques qui serviraient indirectement à l’achat d’un joueur surpayé seraient illégitimes, voire indécentes.
Un autre problème majeur est pointé par la mission : le manque d’encadrement juridique et la diversité des formes de subventions comme, par exemple, les achats de prestations, créent un flou dans l’attribution de ces financements et leurs contreparties.
Nous saluons donc vivement les propositions allant dans le sens d’une plus grande transparence.
Une des autres facettes de ces subventions indirectes réside dans la mise à disposition, à des prix dérisoires, voire gratuitement, des équipements publics tels que les stades. Et cela d’autant plus que les coûts de construction ou de rénovation sont souvent pris en charge par les collectivités, pour une utilisation qu’elles ne maîtrisent pas. Actuellement, en France, 80 % du parc des stades est détenu par les collectivités, alors que dix-huit des vingt premiers clubs de football européens sont propriétaires de leurs stades.
La question de l’équipement sportif est donc une priorité majeure pour les clubs, les collectivités et le pays tout entier, aussi bien pour la pratique sportive que dans la perspective de l’accueil des grandes compétitions internationales. Des exemples récents – la MMArena, au Mans, ou le stade de Grenoble – nous montrent le désastre que peut constituer la construction d’un stade aux frais de la collectivité. Ces stades peuvent devenir un poids financier, que les collectivités territoriales doivent ensuite traîner seules, pendant des décennies, si l’aléa sportif a été défavorable au club de la ville.
Sur ce point, nous saluons la proposition n° 18, qui proscrit l’utilisation des partenariats public-privé pour la création de ces stades.
Le transfert de gestion ou de propriété des stades aux clubs professionnels, comme proposé dans le rapport, est également plus que salutaire. Il faut absolument renforcer ce mouvement.
De même, la clarification des missions de chaque collectivité territoriale va dans le bon sens. Néanmoins, la désignation de l’intercommunalité comme partenaire de référence du sport professionnel pourrait susciter de nombreuses réticences. Nous ne pensons pas qu’imposer un tel partenaire de référence représenterait un réel apport pour la pratique sportive.
Par ailleurs, si le besoin de transparence se fait sentir du côté des collectivités territoriales, notamment en matière de subventions, l’indispensable régulation du secteur doit également concerner les clubs.
Le contrôle de gestion des sociétés sportives a été instauré et pris en charge par les fédérations sportives. Cependant, cette régulation n’est pas entièrement efficiente et nos clubs continuent d’enregistrer de nombreux déficits. Les pistes évoquées par le rapport sur la régulation du secteur et la diversification des sources de revenus des clubs nous semblent donc prometteuses.
Toutefois, nous nous interrogeons sur la nécessité de créer une nouvelle autorité administrative indépendante, le Conseil supérieur du sport professionnel, qui engloberait les organismes de régulation de toutes les ligues sportives, avec leur pouvoir réglementaire. Créer un nouveau comité – oserai-je parler d’un « comité Théodule » ? – améliorerait-il la régulation du secteur ? Cette autorité pourrait a contrario rendre le processus de prise de décision encore plus complexe.
De même, on devrait exiger que les fédérations soient moins prolifiques en normes, situation qui peut parfois entraîner des rapports ambigus avec les partenaires, par exemple des industriels, lesquels peuvent être intéressés par leur modification.
D’une façon plus générale, nous saluons l’audace des mesures qui nous sont proposées. L’enjeu est de taille, et l’ambition du rapport se devait de l’être tout autant.
Je voudrais néanmoins attirer votre attention, mes chers collègues, sur le risque d’une segmentation de notre monde sportif professionnel. La première proposition du rapport prévoit en effet de fixer à 2020 la date de fin des subventions aux clubs professionnels pour l’ensemble des disciplines arrivées à maturité. Cela ne posera pas de problème pour le football et le rugby ; mais quelles disciplines, à part celles-ci, pourraient être arrivées à maturité dans ce laps de temps, alors que le volley-ball ou le handball professionnels, par exemple, sont encore financés à plus de 70 % par nos collectivités ?
Au moment de repenser le modèle économique du sport professionnel, il nous appartient de nous assurer d’un réel effet d’entraînement entre l’économie du « sport spectacle », qui ne cesse de croître, et le sport professionnel, qui continue d’être porté à bout de bras par les collectivités territoriales. L’inverse entraînerait une fracture sportive, laquelle comporte deux dangers : le blocage du développement des sports professionnels qui ne sont pas actuellement sur le devant de la scène, et la coupure définitive entre le « sport business » et le reste du sport professionnel.
Je souhaite insister sur ce point particulier. Si les conclusions du rapport sont claires, et particulièrement foisonnantes, en ce qui concerne le « sport business », les propositions pour assurer la reconnaissance et l’autonomie progressive du reste du sport professionnel, singulièrement le sport professionnel féminin, sont en revanche trop peu nombreuses.
À ce titre, j’indique que la répartition des droits médias dans le football anglais, telle que nous l’a présentée lors de son audition le directeur de l’action européenne de la première division de football au Royaume-Uni, M. Moreuil, va de 1 à 1,4 entre les clubs de Premier League, quand elle va de 1 à 4 ou 5 en France. S’assurer d’une meilleure répartition de ces droits et en dédier une partie plus importante aux autres divisions et à l’action sociale – la Premier League consacre 35 à 40 millions de livres sterling au secteur social – pourrait certainement pallier certaines difficultés du monde sportif de notre pays.
En effet, derrière la volonté d’éviter une coupure entre le « sport business » et le reste, un autre enjeu se profile : le maintien du rôle social du sport. Il convient de rappeler, comme l’a fait la mission commune d’information dans son rapport, que le sport professionnel a un rôle à jouer dans la promotion du sport et dans la cohésion sociale qui en découle. Certes, les sommes en jeu, qui viennent d’être évoquées, ne sont évidemment pas les mêmes. Mais l’exemple, ramené à juste proportion, mériterait peut-être d’inspirer les autres sports professionnels.
La proposition n° 8 du rapport, dont l’objet est de transformer les achats de prestations en partenariats avec les fondations des clubs professionnels, serait d’ailleurs très bénéfique de ce point de vue.
En conclusion, nous tenons à remercier les membres de la mission commune d’information de s’être penchés au bon moment sur ce sujet sensible, en ces temps de rigueur budgétaire, et d’avoir proposé un modèle totalement neuf, du moins dans notre pays, pour assurer le passage du sport professionnel vers son autonomie.
Appliquer le modèle économique préconisé par la mission permettrait de concilier au mieux nos deux objectifs : améliorer l’efficience de la dépense publique et assurer l’indépendance financière des clubs professionnels compétitifs.
Nous appelons ce modèle de nos vœux, et souhaitons qu’il advienne rapidement. Nous espérons donc, monsieur le secrétaire d’État, que les propositions de la mission trouveront l’écho qu’elles méritent.
Telle est notre position sur ce nécessaire et excellent rapport, pour lequel, madame Escoffier, vous qui avez pris le relais de Stéphane Mazars, je vous félicite. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, tout d’abord, de féliciter et de remercier le président de la mission commune d’information, Michel Savin, ainsi que son rapporteur, Stéphane Mazars – je compte sur vous, madame Escoffier, pour lui transmettre ce message ! – pour la qualité et le volume du travail accompli.
Depuis quelques années, le sport professionnel est soumis à de profonds bouleversements. L’argent l’a, en quelque sorte, gangrené et éloigné de sa philosophie, de son éthique et de son humanité. Ce rapport peut et doit nous permettre de changer le cours des choses.
Il y a un siècle – cette découverte m’a étonné –, Jean Jaurès pressentait déjà les dangers de l’utilisation des sports par la société capitaliste et leur transformation en spectacles à grand fracas, dommageables au développement de l’être humain. Quel visionnaire !
Alimentés par le développement de la télévision, la médiatisation extrême des grands événements sportifs à l’échelle planétaire et les revenus publicitaires exorbitants qu’ils génèrent pour les clubs et les sportifs de haut niveau ont contribué à transformer en partie le sport professionnel en un spectacle, en un véritable business, aux antipodes des valeurs humanistes que le sport devrait véhiculer en permanence.
Nous sommes loin, désormais, de l’idée que nous défendons, celle d’un sport émancipateur, qui forme des êtres humains, leur apprend le plaisir, le partage, l’esprit d’équipe, mais aussi le dépassement de soi. Pour nous, le sport contribue fortement à l’épanouissement humain ; c’est un facteur de paix entre les nations.
Le sport, du moins professionnel, a tendance à devenir un simple produit de consommation, quand le club de sport s’apparente dorénavant à une véritable entreprise, financiarisée et parfois cotée en bourse, qui achète des joueurs à coups de millions d’euros et sans être contrainte par aucun plafond. Cela ne sert ni à diffuser des valeurs positives ni à financer le développement du sport pour tous, en particulier pour les jeunes et le peloton des amateurs, qui sont très nombreux.
Évidemment, la situation décrite ne correspond pas à l’ensemble des sports pratiqués ; elle concerne surtout le football et le rugby. Néanmoins, au regard des sommes engagées et des dérives permanentes qu’elles impliquent, elle mérite d’être examinée.
L’arrêt Bosman, rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 15 décembre 1995, a contribué à renforcer le caractère marchand du sport professionnel, en confirmant la libre circulation des joueurs entre équipes, sans quota de nationalité, et en levant ainsi tout obstacle à un véritable marché des transferts de joueurs, qui se font même en cours de saison.
Nous le déplorons, car le spectacle offert, comme l’affirmait Guy Debord dans son essai La Société du spectacle, « n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. »
Le sport professionnel, devenu « sport spectacle », est porteur d’une idéologie économique imposant une vision marquée par les valeurs capitalistes et la domination financière. Ces valeurs, relayées largement par les médias de masse, font promptement reculer l’éthique, et tendent à faire oublier la morale au bénéfice de l’audimat et des sponsors.
Pour le sport professionnel, la priorité est donc de moraliser, de prévenir et d’encadrer ces dérives.
La mission commune d’information se fonde, dans son rapport, sur le même constat que le nôtre. Elle questionne à juste titre – c’est son grand mérite – la participation financière élevée des collectivités territoriales à ce type de sport, laquelle approche 160 millions d’euros par an pour les clubs professionnels, soit une moyenne de 800 000 euros par club. Ces chiffres sont deux fois moins importants que ceux qui ont été cités précédemment, mais ils figurent dans le rapport.
Cette participation est d’autant plus élevée que la crise et la baisse des ressources des collectivités pèsent lourdement sur leurs budgets.
Le rapport souligne un paradoxe : le sport professionnel continue d’être financé par les collectivités, alors qu’il est désormais très éloigné des missions de service public.
En effet, les collectivités sont sollicitées financièrement, et ce à plusieurs moments.
Tout d’abord, dans la plupart des cas, les collectivités territoriales ont la particularité d’être propriétaires des infrastructures sportives, dont elles ont la charge de la construction et de l’entretien. La vétusté de ce parc immobilier et sa nécessaire modernisation, souvent dictée, d’ailleurs, par les contraintes médiatiques, rendent cette charge financière trop importante.
J’ajoute que la recherche de l’événement de caractère national, voire international, y contribue également de plus en plus.
Bien qu’elles disposent de leur libre arbitre, les collectivités sont donc soumises à des pressions, et sont très fortement incitées à agir : on invoque alors des raisons liées à la notoriété du territoire et aux supposées retombées économiques – tellement attendues ! Il s’agit, en quelque sorte, d’une mise en concurrence des territoires et des villes, ainsi que l’a fort justement souligné Raymond Couderc dans son intervention.
De la même manière, et pour les mêmes raisons, les collectivités sont ensuite sollicitées financièrement par les clubs professionnels quand il s’agit pour eux de combler leurs pertes. En revanche, elles ne sont pas associées à la mutualisation des bénéfices que ces mêmes clubs peuvent réaliser. Je pense notamment à la vente des droits de diffusion, dont les montants explosent, et aux sommes folles déboursées pour les achats de joueurs : les clubs amateurs pourraient tirer bénéfice du rayonnement et des retombées financières ainsi produits.
Ce questionnement nous paraît d’autant plus pertinent que certaines aides indirectes sont « bradées », ou à la limite de la légalité. C’est le cas de la mise à disposition des clubs d’équipements sportifs, et ce sans contrepartie financière en lien avec la valeur réelle du service, ou encore de l’attribution de subventions sans contrôle.
Nous pensons, c’est d’ailleurs le sens du rapport, qu’il faut dessiner un nouveau modèle économique du sport ; il faut revoir la question de la participation des collectivités à ces grandes entreprises que sont devenus les clubs professionnels.
Une des priorités serait de permettre que l’apport financier des collectivités territoriales, quand il existe, se fasse exclusivement avec une contrepartie financière à hauteur du service ou du bien fourni, ou en échange de la réalisation d’une mission d’intérêt général, laquelle devra être examinée avec soin et contrôlée.
Nous ne sommes pas sûrs que cela doive passer par la création d’une nouvelle agence. En tout état de cause, le besoin de régulation est évident. Elle doit donc être mise en œuvre au plus vite.
La logique du rapport nous interpelle néanmoins sur un point : pour nous, ce n’est pas parce que les collectivités n’ont plus d’argent et qu’elles doivent faire des économies qu’il faut réfléchir à leur participation financière ; c’est bien plutôt parce que l’usage de l’argent public – qu’il passe par des subventions ou des aides indirectes comme la mise à disposition de stades – doit impérativement être guidé par des perspectives d’intérêt général qui soient utiles à la population, ainsi que, naturellement, par l’éthique.
Le rapport énonce un principe : la fin des subventions versées par les collectivités aux sports professionnels « arrivés à maturité ». Nous partageons cette volonté pour le football ou le rugby, qui ont les moyens de leur autonomie, ne serait-ce que grâce aux droits de retransmission télévisée.
Revoir le modèle économique suppose donc d’imaginer de nouvelles modalités de régulation du sport professionnel, afin de faire prévaloir l’intérêt général du sport sur les intérêts particuliers des clubs.
Le rapport relève très justement l’incohérence de la participation des collectivités territoriales à des pratiques éloignées des missions d’intérêt général et, tout simplement, des valeurs qui fondent le sport : la morale, la solidarité, la paix.
Il faut revoir cette participation, par exemple en transférant les subventions de fonctionnement des collectivités territoriales vers l’investissement, afin que les clubs deviennent propriétaires de leur stade et assument ensuite la charge financière liée à leur utilisation.
Je m’interroge également, même si j’ai entendu des explications à cet égard, sur le mécanisme permettant aux collectivités locales de réaliser, grâce à des subventions et au fonds de compensation pour la TVA, des équipements à moindre coût que les clubs. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée ; à tout le moins, il faut plafonner les subventions à 50 %. De même, les baux emphytéotiques, auxquels j’avais également songé, ne sont peut-être pas la panacée ; la solution serait peut-être juste, mais elle n’est pas forcément facile à mettre en œuvre.
Au-delà, il nous semble important de ne pas entériner un modèle de sport que nous ne cautionnons pas.
Pour cela, il est essentiel, selon nous, d’augmenter la taxe Buffet sur les droits de retransmission télévisée, afin de redonner des moyens au développement du sport amateur, un sport amateur que l’État lèse d’ailleurs dangereusement dans son budget, en affectant au sport professionnel de haut niveau l’essentiel des maigres crédits qu’il consacre au sport.
Quid également de l’encadrement des salaires des sportifs, voire des salaires tout court ? Si, comme l’a souligné notre collègue Michel Savin, les subventions communales contribuent à l’inflation des coûts de transferts ou des « mercatos » multiples, il est grand temps de les réduire !
Le rapport évoque ce point, mais pour confier la mission de régulation à une autorité indépendante. Il faut faire preuve de fermeté ; l’État doit sans doute fixer des limites à de telles dérives financières. Pourquoi ne pas envisager la création d’une taxe sur les transferts de joueurs, par exemple pour financer le sport amateur ? C’est aussi une piste.
En Europe, le professionnalisme est sans cesse dérégulé. Outre-Atlantique, les ligues de sports collectifs ont mis en place des mécanismes de régulation fondés sur le partage des revenus, jusqu’à 75 % du profit global redistribué ; certes, le niveau de profit y est considérable. Les exemples du Royaume-Uni et de l’Allemagne méritent également d’alimenter nos réflexions, qui doivent être engagées non seulement à l’échelon national, mais également, pour atteindre leur objectif, aux échelons européen et international.
Les pistes que le rapport propose sont, pour l’essentiel, positives. Nous ne souscrivons pas à toutes, mais la plupart restent très intéressantes. Chacune mérite d’être examinée, même si la mise en œuvre de certaines risque d’être compliquée ; peut-être M. le secrétaire d’État aura-t-il cette touche de génie qu’il nous faut en la matière. (Sourires.) En tout cas, toutes ces suggestions ouvrent des perspectives encourageantes.
Quoi qu’il en soit, le rapport doit s’accompagner de mesures tendant à limiter au mieux les dérives du sport professionnel. Il ne suffit pas de faire des constats ; il faut agir maintenant pour changer une réalité qui n’est pas acceptable ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Danielle Michel.