compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Gérard Le Cam.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du 12 juin 2014 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Raymond Soucaret, qui fut sénateur de Lot-et-Garonne de 1981 à 2001.
3
Dépôt de documents
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, d’une part, la convention entre l’État et BPI-Groupe, action « Prêts robotique (Prêts pour l’automatisation et la robotisation de l’industrie) », d’autre part, la convention entre l’État et l’Agence nationale de la recherche relative au programme d’investissements d’avenir, action « IDEX/I-SITE ».
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques et, en outre, pour le second, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
4
Dépôt d'un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l’Agence française de lutte contre le dopage le rapport annuel d’activité 2013 de cet organisme, établi en application de l’article L. 232-5 du code du sport.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
5
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 13 juin 2013, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- les articles L. 1242-2 et L. 1243-10 du code du travail (recours au contrat de travail à durée déterminée et exclusion du versement de l’indemnité de fin de contrat) (2014-401 et 2014-402 QPC) ;
- l’article 380 11, alinéa 5, du code de procédure pénale (caducité de l’appel de l’accusé en fuite) (n° 2014 403 QPC).
Acte est donné de ces communications.
6
Polices territoriales
Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des lois, de la proposition de loi visant à créer des polices territoriales et portant dispositions diverses relatives à leur organisation et leur fonctionnement, présentée par MM. François Pillet et René Vandierendonck (proposition n° 553 [2012-2013], texte de la commission n° 609, rapport n° 608).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Pillet, coauteur de la proposition de loi.
M. François Pillet, coauteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi est née de l’analyse des très nombreuses auditions, consultations et observations faites à l’occasion de la préparation du rapport sur les polices municipales qui fut présenté à la commission des lois par mon collègue René Vandierendonck et moi-même. Le présent texte tend à mettre en place des réformes, des avancées que nous avions suggérées dans les recommandations émises au terme de ce rapport.
Le constat qui les avait précédées témoigne d’une évolution profonde de la mission de la police du maire. Subissant à la fois une crise de croissance et une crise d’identité, ces forces se différencient selon les besoins des territoires, les attentes de nos concitoyens et les missions qui leur sont confiées. C’est pourquoi notre rapport ne porta pas sur « la » police municipale mais s’attacha à examiner « les » polices municipales.
La crise de croissance tient à ce que cette dernière est assez impressionnante : en 1984, on comptait en France 5 600 agents municipaux affectés à cette mission, contre plus de 18 000 aujourd’hui. Tous statuts confondus, la police des maires représente un effectif global supérieur à 27 000 agents, soit plus de 10% des effectifs cumulés de la police et de la gendarmerie nationales.
La crise d’identité est engendrée par la différence entre les missions exercées et l’évolution de celles-ci. En matière de sécurité publique, les responsabilités sont, a priori, clairement établies : l’État en est le garant sur l’ensemble du territoire de la République, tandis que le maire est chargé de la police municipale, laquelle a, selon l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, « pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
Sur le terrain, cependant, les compétences apparaissent plus floues, les dérives découlant d’un certain désengagement des forces régaliennes. Les effectifs se sont réduits au cours des dernières années, les implantations territoriales ont diminué. De ce fait, les maires doivent bien souvent pallier le retrait de l’État en étoffant leur service de police municipale.
Le paysage se révèle aujourd’hui confus, les rôles respectifs des uns et des autres sont brouillés ; des questions se posent quant au statut des personnels, aux modes opératoires, à la coopération entre les différents intervenants, à l’augmentation progressive des pouvoirs judiciaires des polices municipales.
L’ensemble de ces considérations conduit donc à s’interroger sur l’équilibre général des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. C’est pourquoi, avec mon collègue René Vandierendonck, après avoir procédé à un état des lieux des polices municipales, de leur cadre juridique, nous proposons quelques évolutions.
Certes, le cadre général des missions de toutes les polices municipales est posé par différentes lois, dont celle du 15 avril 1999, qui a étendu les missions et les compétences des agents, puis, par celles de 2001, de 2003, de 2007 et de 2011.
Pour autant, il existe une grande diversité des pratiques sur le terrain, la physionomie de chaque police municipale dépendant, pour l’essentiel, des décisions prises par le maire. Qu’y a-t-il en effet de commun entre la petite police municipale qui ne comprend que quelques agents et celle qui est dotée de très nombreux agents, d’un système de vidéosurveillance et d’un centre de supervision urbain ?
Traditionnellement, la police municipale doit d’abord assurer la mise en œuvre des pouvoirs de police administrative du maire, principalement tournée vers la prévention des troubles à l’ordre public, à seule fin d’assurer la préservation du « bien vivre ensemble ». Il s’agit donc de régler des conflits sociaux par la médiation, la persuasion, la dissuasion, en s’appuyant sur le sens civique des citoyens, une pratique qui domine encore dans de nombreuses communes, en particulier les plus petites.
Les gardes champêtres, dont les effectifs ont connu une érosion massive depuis un siècle, exercent des compétences souvent proches de celles des policiers municipaux, bien que davantage orientées vers les problèmes ruraux. Il est à souligner que le rôle qu’ils jouent dans le domaine environnemental – protection du patrimoine naturel, police de l’eau, des réserves naturelles et réglementation de l’accès à la nature – ira croissant.
Si l’activité traditionnelle de la police municipale est ainsi à dominante préventive, les règles du « bien vivre ensemble » impliquent une part de répression sous forme de contraventions prévues par la loi ou par des arrêtés municipaux. Ainsi, les agents des polices municipales verbalisent principalement les contraventions aux arrêtés de police du maire, aux codes de la route et les infractions à un certain nombre d’arrêtés pris en vertu de pouvoirs de police spéciale.
La diversité des compétences de la police municipale soulève la question de l’unité du corps chargé d’assumer la diversité des missions. Il lui est, en effet, possible de verbaliser des infractions couvrant un panel très large puisqu’il s’agit de sanctionner des manquements au code de santé publique, au code rural, au code de la voirie routière, au code des débits de boisson ou au code de l’urbanisme.
Force est de reconnaître que nous assistons depuis plusieurs années à un élargissement et à un certain « durcissement » de la notion de tranquillité publique, laquelle est expressément mentionnée par l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Il est de plus en plus fréquent que les maires, quelle que soit leur tendance politique, développent une politique comportant une « dose » de répression plus forte, dans le but de lutter, d’une part, contre un « sentiment d’insécurité », d’autre part, de répondre aux sollicitations d’administrés qui tolèrent de moins en moins des comportements « incivils » eux-mêmes en progression.
Naguère considérés comme quelque peu obsolètes, les pouvoirs de police liés à la tranquillité publique sont réactivés et renforcés, avec de nombreux arrêtés municipaux dans le domaine de la prévention de la délinquance des mineurs ou de leur protection ; je fais là allusion aux arrêtés instituant, par exemple, un couvre-feu, aux dispositions prises pour lutter contre la mendicité agressive ou le racolage, contre la consommation d’alcool sur la voie publique, les rassemblements nocturnes, la circulation bruyante de véhicules à deux roues, voire les sonneries de cloches – je pourrais vous donner quelques exemples jurisprudentiels sur ce point !
Parallèlement à cette évolution, les polices municipales les plus importantes, par le nombre d’agents et l’extension de leurs fonctions, tendent à mettre moins l’accent sur l’îlotage et la présence sur la voie publique pour devenir plus réactives aux demandes des maires et des citoyens en matière de tranquillité publique. L’exemple emblématique est certainement celui de Nice, dont les 578 agents qui composent sa police municipale ont des missions si larges qu’elles se rapprochent de celles des forces nationales. Placée sous le signe de la réactivité et du professionnalisme, la police municipale niçoise est dotée d’équipements extrêmement modernes.
Le maire d’Évry illustre également cette évolution, considérant même que « la police municipale est le premier niveau de la sécurité, pas de la tranquillité ». Comme le souligne la sociologue Virginie Malochet, les habitants évaluent désormais la qualité d’une police municipale autant par sa capacité à répondre rapidement aux demandes que par sa présence visible sur le terrain.
Au-delà du renforcement des actions de « tranquillité publique », les missions des agents des polices municipales ont tendance à se rapprocher de celles des forces nationales en se « judiciarisant ».
Cette transformation accompagne un infléchissement des missions vers davantage d’interventions, de répression et de travail judiciaire. Au sein de certaines polices municipales, l’accent est ainsi mis de manière croissante sur la verbalisation, les flagrants délits, les interpellations suivies de mises à disposition de la police ou de la gendarmerie nationales, avec lesquelles elles sont en relation quotidienne. Il s’agit avant tout de faire appliquer les lois et de combattre vigoureusement la délinquance de voie publique.
En matière d’infractions routières, les policiers municipaux ont progressivement acquis une palette très large de prérogatives. Dans le cadre des conventions de coordination, certaines polices municipales interviennent fréquemment en soutien des forces de sécurité nationale. La vidéosurveillance, devenue un passage quasi obligé pour une politique de sécurité locale qui se veut dynamique, peut constituer un élément structurant de la coopération entre ces deux corps, surtout dans les zones urbaines connaissant un taux élevé de délinquance.
Enfin, la communautarisation des polices municipales est menée au sein de communautés d’agglomération et de communautés de communes, même si elle préserve le pouvoir de police des maires.
Le passage au niveau intercommunal a ainsi permis à certaines communes rurales dotées de peu de ressources de bénéficier d’une présence policière accrue. La police intercommunale, qui ne peut guère porter de nom plus adapté que « police territoriale », permet d’assurer aussi la continuité de l’action de la police municipale au-delà des limites géographiques de la commune.
Tel est le constat, très synthétisé. Vous pourrez retrouver toutes les informations sur l’état des lieux dans le rapport publié le 24 septembre 2012.
Tendant vers six objectifs principaux, vingt-cinq propositions communes ont été formulées par René Vandierendonck et moi-même. Elles contiennent des préconisations pragmatiques, non partisanes, entrant dans les espaces législatifs et réglementaires.
En cet instant, je tiens à saluer l’excellente collaboration et la parfaite entente qui ont régné entre nous, ainsi que le travail très ouvert que nous avons ensuite mené avec les deux ministres de l’intérieur qui se sont succédé depuis 2012, M. Manuel Valls, puis vous-même monsieur le ministre.
C’est dans cet esprit que René Vandierendonck va maintenant vous présenter les axes de notre proposition de loi, sur l’ensemble desquels notre accord est entier. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck, coauteur de la proposition de loi.
M. René Vandierendonck, coauteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, à l’occasion du débat sur les polices municipales organisé en janvier 2013 dans cet hémicycle, notre collègue Éliane Assassi avait formé le vœu que les travaux de notre mission d’information ne restent pas « dans les tiroirs », que soit enclenchée une « clarification du statut social des policiers municipaux » et que soit engagée une « réflexion globale sur la police municipale ». François Pillet et moi-même nous y sommes employés, et cela justifie le dépôt de la présente proposition de loi.
À la vérité, nous avons eu beaucoup de chance puisque le ministre de l’intérieur de l’époque est non seulement venu participer à ce débat, mais il a créé par la suite toutes les conditions pour qu’un travail partenarial puisse se dérouler avec ses services, ainsi, d'ailleurs, qu’avec les principales organisations syndicales de policiers.
Je tiens, monsieur le ministre, à vous remercier personnellement d’avoir persévéré dans cette voie. J’adresse également mes remerciements aux services du ministère de l’intérieur, tout particulièrement à la direction générale des collectivités locales et à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, sans oublier le préfet Jean-Louis Blanchou.
Un travail considérable a été réalisé, ce qui montre votre volonté de donner à cette proposition de loi une véritable portée. Cela laisse augurer que la concertation avec vos services se poursuivra dans le cadre du travail réglementaire dont dépendra en partie l’efficacité de ce texte. C’est en tout cas ce que j’appelle de mes vœux.
Le contenu de cette proposition de loi s’articule autour de trois axes forts : la création d’un nouveau cadre d’emplois unifié pour les polices territoriales, adossé à une formation renforcée ; l’optimisation du partenariat entre les forces armées de l’État et les polices territoriales au travers des conventions de coordination ; la mutualisation intercommunale, et cela sans toucher d’un iota aux pouvoirs de police du maire – je dois dire que j’ai eu, sur cet aspect, la chance de travailler avec notre collègue Catherine Troendlé. (Sourires.)
Je commencerai donc, bien sûr, par évoquer la création d’un nouveau cadre d’emplois et l’exigence de formation qui y est liée.
Bien que l’origine des gardes champêtres remonte au cœur du haut Moyen Âge, à l’an 900, force est de constater qu’il en reste seulement 1 400 en France. Le nombre de policiers municipaux ayant progressé dans le même temps, comme l’a souligné François Pillet, et la fonction d’agent de surveillance de la voie publique – ou ASVP – étant apparue, il nous a semblé important de clarifier les missions des uns et des autres.
Notre ambition est donc claire : avec ce texte, nous entendons – je remercie Virginie Klès de l’avoir bien mis en avant dans son rapport – valoriser le métier de policier territorial, reconnaître les missions de ces agents et leur caractère complémentaire, et non supplétif – suppléer, verbe transitif, signifiant « apporter ce qui manque » –, de celles des agents de la police nationale.
Le premier volet de cette proposition de loi vise donc à améliorer la qualification, les conditions de travail et l’avancement des carrières. Vous aurez l’occasion, monsieur le ministre, d’apporter quelques précisions sur les étapes qui ont déjà été franchies depuis que le débat a été lancé, ici même, sur cette question.
Nous avons, bien entendu, placé la formation au cœur de la proposition d’évolution législative. Mme la rapporteur y était très attachée et cette préoccupation était partagée avec le ministère.
François Pillet et moi avons exercé une amicale, mais insistante pression sur le Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT, pour obtenir ce que nous nous étions fixé comme objectif : la création d’une grande école nationale de formation des agents de police municipale. Celle-ci serait évidemment placée sous l’égide du CNFPT et s’appuierait sur deux regroupements à un niveau interrégional de ses formations spécialisées, afin de mieux répondre aux demandes des personnels, à savoir des formations à la carte, offrant le plus haut niveau de qualification et issues d’un catalogue labellisé.
Un point de discussion subsiste encore – mais nous sommes justement là pour débattre ! Relayant ce qui ressort du questionnaire rempli par 4 000 maires et que l’Association des maires de France, l’AMF, a elle-même placé au cœur de ses propres demandes, nous souhaitons que l’avis préalable de fin de formation initiale délivré par le président du CNFPT vienne éclairer l’avis du préfet et du procureur sur la capacité professionnelle de l’agent, son comportement ou encore les savoirs techniques acquis pendant la formation. L’agrément ne pourrait donc être délivré avant que le procureur et le préfet n’aient pu explicitement viser cet avis.
Je souhaite en outre vous donner acte, monsieur le ministre, des progrès concernant les ASVP. Cette dénomination est parfois employée comme une sorte de pavillon de complaisance, sous lequel sont regroupés des agents armés, d’autres chargés de verbaliser, d’autres encore intervenant dans le domaine de la vidéosurveillance. Il est important, me semble-t-il, que ces agents puissent disposer d’un cadre d’emplois clairement défini. Cela passe aussi par la formation et, à nouveau, monsieur le ministre, je veux saluer les avancées réalisées dans ce domaine.
J’en viens au deuxième axe : l’optimisation du partenariat entre les forces de l’État et les polices territoriales au travers des conventions de coordination.
On dénombre actuellement 4 000 polices municipales et 2 230 conventions de coordination. Si un récent décret a donné à ces conventions un peu plus de contenu, elles sont, en pratique, trop souvent formelles et déséquilibrées. Peu d’entre elles se fondent sur un diagnostic contextualisé de la sécurité sur le territoire concerné, établi en lien avec le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. En outre, leur contenu ne traduit pas toujours une dynamique de partenariat entre forces étatiques et forces locales, suggérant même parfois une subordination des agents municipaux. Enfin, le suivi de ces conventions est largement à parfaire.
Tout le travail que nous avons mené sur ce sujet a consisté à dynamiser et à rééquilibrer ces conventions de coordination, afin de favoriser les collaborations en matière de sécurité sur un territoire donné et le suivi des relations ainsi établies.
Un point est également en discussion sur ce thème, mes chers collègues. Si l’on peut s’en tenir à certaines limites en matière de compétences judiciaires – les maires s’accordent à dire que point trop n’en faut –, encore faut-il, quand on se voit confier de telles compétences, avoir les moyens de les exercer !
M. Louis Nègre. Merci !
M. René Vandierendonck. Voilà pourquoi, en accord avec l’AMF, nous tenons à ce que le procureur de la République soit un des cosignataires de ces conventions de coordination. Mais ce point sera, lui aussi, débattu tout à l'heure.
Enfin, troisième axe : la mutualisation à l’échelle intercommunale.
En des temps récents – Mme Escoffier se souvient certainement de l’examen, dans cet hémicycle, de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles –, nous avons tenu à montrer qu’il était possible de concilier les pouvoirs de police du maire et la mutualisation à l’échelle intercommunale de certaines fonctions support, en jouant sur la fameuse mutualisation ascendante. Comme nous l’avons bien montré au cours dudit débat, celle-ci n’est pas de l’ordre du rêve : elle existe bel et bien.
J’invite ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui n’ont jamais entendu parler du cas du Haut-Rhin à patienter encore quelques instants, car je ne voudrais pas déflorer le sujet qu’abordera certainement Catherine Troendlé. (Sourires.) En revanche, je peux mentionner deux des dispositifs les plus intéressants que François Pillet et moi-même ayons vu fonctionner : le système en place au sein de la communauté d’agglomération de la Vallée de Montmorency, la CAVAM, et celui de la communauté d’agglomération Roissy Porte de France.
Dans ces deux collectivités, nous avons pu rencontrer tous les maires, qui nous ont confirmé ne pas avoir perdu une once de leurs prérogatives sur le territoire de leur commune. En sus, la mutualisation à l’échelon intercommunal des fonctions support a permis des progrès considérables, avec, notamment, la mise en place d’un système de traitement des infractions constatées, d’un système de transmission informatique de données anonymisées validé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ou encore la prise en charge, au niveau de l’intercommunalité, du fonctionnement du CSU, c'est-à-dire du centre de supervision urbain.
En nous quittant, le président de la CAVAM nous a même signalé un autre avantage, qu’il avait oublié de mentionner jusqu’alors : à Montmorency, le turnover au sein de la police municipale a chuté de 30 % à 13 % !
Je dirai en conclusion que nous souhaitons poursuivre le travail collectif mené sur cette question, qui, avec celle du permis de construire, dont nous avons récemment débattu, se trouve au cœur des préoccupations des maires.
J’ajouterai, à l’intention de l’ensemble des agents, policiers municipaux et gardes champêtres, qui concourent à la prévention de la délinquance, parfois à sa répression, que le Sénat, au-delà de tout clivage, n’a eu de cesse de faire reconnaître leur profession et de valoriser leurs carrières. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les coauteurs de cette proposition de loi, mes chers collègues, je souhaite vous dire à quel point rapporter sur ce texte a été une mission passionnante et satisfaisante.
En vérité, il a été plutôt facile de m’emparer de cette tâche compte tenu des nombreux rapports dont ce dossier avait déjà fait l’objet, réalisés par différentes personnalités qui s’étaient penchées, avant moi, sur le berceau de la police territoriale. Je pense à notre collègue Jean-René Lecerf, auteur d’un rapport évoquant le rôle du maire en matière de prévention de la délinquance, et aussi, bien sûr, à René Vandierendonck et à François Pillet. Mais je veux également rendre hommage aux deux ministres de l’intérieur successifs, qui ont tenu le même discours sur le sujet et fait preuve du même engagement envers cette proposition de loi, ainsi qu’au groupe du travail formé autour du préfet Jean-Louis Blanchou, dont la réflexion a été menée en coordination et en concertation avec l’ensemble des parties intéressées.
Ce consensus n’exclut pas le débat, bien au contraire, mais il s’agit là d’un débat constructif entre partenaires, en vue d’une vraie coproduction législative.
Pour autant, mes chers collègues, vous me permettrez, à moi qui suis plus une sénatrice des campagnes qu’une sénatrice des villes, d’adresser un petit signe amical et tout à fait sincère aux gardes champêtres. Ce nom de « garde champêtre », qui fleurait bon la campagne, est effectivement amené à disparaître du vocabulaire usuel, et cela indépendamment de la position des uns ou des autres. Le métier, les missions demeureront, mais la fonction de ces agents aura une autre appellation.
La création des polices territoriales ne consiste pas en une phagocytose – qu’on me pardonne ce nouveau recours au vocabulaire scientifique, mais les termes scientifiques ont, comme les termes juridiques, l’avantage d’avoir un sens très précis –, c'est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une ingestion des gardes champêtres par les polices municipales : il s’agit d’une conjugaison, de l’addition de deux forces, de deux métiers, de deux types de compétences pour former un nouvel organisme, à savoir les polices territoriales.
C’est, monsieur le ministre, une des raisons pour lesquelles nous tenons à l’appellation « police territoriale ». (M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, manifeste son désaccord.) Je sais que vous et nous ne sommes pas d’accord sur ce point, mais il nous semble important de marquer, à travers cette nouvelle dénomination, que les polices municipales ne phagocytent pas le corps des gardes champêtres et que les polices territoriales constituent bien une nouvelle force de police locale, regroupant les compétences des gardes champêtres et des policiers municipaux d’hier. Nous travaillons bien, en l’occurrence, à droit constant.
La commission a débattu de cette question de dénomination et, en qualité de rapporteur, je me dois de vous rapporter l’ensemble de ses débats. Parmi les éléments qui auraient milité en faveur du maintien de l’appellation « police municipale », se trouve l’argument du coût. Il est vrai que nul n’y est indifférent ! Refaire le flocage, modifier la signalisation, changer les insignes n’est pas sans coût, et c’est un aspect important. Mais, aujourd'hui, nous n’avons pas de chiffres réellement précis sur le coût de ces opérations.
Devant cette absence de données objectives, nous nous en sommes tenus à la « police territoriale ».
Le volet qui a recueilli, lui, un assez large consensus, est celui de la formation, sur lequel René Vandierendonck a beaucoup insisté.
La formation resterait du ressort du CNFPT, lequel s’est d’ores et déjà engagé à mener une réflexion autour de l’interrégionalisation des formations, ainsi que sur l’homogénéisation et la labellisation des formateurs.
Il est vrai que, comme je l’ai dit en d’autres occasions, le niveau des formations et le degré de satisfaction des maires quant aux formations dispensées par le CNFPT ne sont pas les mêmes sur l’ensemble du territoire français et selon les modules.
Un autre point, également rappelé par René Vandierendonck, et auquel la commission des lois attache une grande importance, est la transmission de l’attestation de fin de formation initiale par le président du CNFPT au préfet et au procureur avant le prononcé de l’agrément.
Plusieurs motifs justifient cette mesure.
D’aucuns pensent que la transmission de l’attestation de fin de formation serait de nature à induire systématiquement un effet négatif sur la délivrance de l’agrément. Ils craignent que l’on ne recherche, à cette occasion, des arguments s’opposant à ce que la personne concernée devienne policier municipal au motif qu’elle n’en aurait pas les capacités. Mais la situation inverse peut aussi se rencontrer.
C’est pour cette raison que nous tenons à ce que le préfet et le procureur disposent de l’ensemble des éléments existants, ceux relevant de la formation initiale n’étant pas « liants », mais simplement propres à éclairer leur jugement et leur décision de délivrance, ou non, de l’agrément.
Certaines personnes peuvent en effet avoir commis des bêtises de jeunesse et montrer ensuite, par leur conduite, notamment durant la formation, qu’elles ont en fait toutes les qualités pour devenir policier municipal.
Moi-même, dans ma commune, j’ai recruté des personnes dont le casier judiciaire n’était pas totalement vierge et qui avaient fait des bêtises à l’âge de dix-huit ans. Après tout, aujourd’hui, les casiers ont tôt fait de se remplir ! Ces agents ont démontré par la suite qu’ils avaient toutes les capacités requises pour s’occuper, en l’occurrence, de jeunes et de prévention de la délinquance.
Il est donc essentiel à mes yeux de disposer, avant de délivrer un agrément aussi important que celui permettant d’exercer les fonctions de policier territorial, de la totalité du dossier de la personne. C’est d’autant plus vrai que les décisions de retrait ou de non-délivrance de l’agrément, lesquelles lient le maire en tant qu’autorité territoriale en matière d’affectation et de titularisation des agents de police territoriale, seront également soumises au préfet et au procureur.
Toujours en matière de formation, nous avons tenu à ce que les agents de surveillance de la voie publique et les assistants temporaires de police municipale, les ATPM, suivent une formation adaptée à leurs missions. Nos collègues du RDSE ont déposé un amendement tendant à prévoir un aménagement de cette formation dans le temps, afin que ces personnels puissent prendre leurs fonctions dans des délais relativement courts.
Pour autant, les ASVP, tout comme les ATPM, parce qu’ils exercent leurs fonctions sur la voie publique et portent un uniforme, doivent bénéficier d’un minimum de formation. C’est la condition requise tant pour assurer leur sécurité propre que pour conférer une sécurité juridique aux actes des communes et autres collectivités pour le compte desquelles ils agissent.
L’intercommunalité nous semble incontournable. Il faut aller vers davantage d’intercommunalité et de mutualisation. Plusieurs des dispositions contenues dans cette proposition de loi vont dans ce sens.
Pour autant, en dépit des propositions initiales qui ont été formulées, la commission des lois n’a pas accepté de donner la compétence d’officier de police judiciaire aux présidents des EPCI, et cela pour une raison simple : on ne voit pas à quel moment ou en quelles occasions les présidents d’EPCI pourraient exercer cette fonction, d’ores et déjà très peu utilisée par les maires. Par ailleurs, certains ne manqueraient pas de demander l’élargissement de cette compétence aux vice-présidents des EPCI. À quoi bon attribuer des compétences d’OPJ à des personnes qui ne les exerceront pas ?
Il nous a paru positif, en revanche, de confier les pouvoirs de police spéciale aux présidents d’EPCI, afin de leur permettre d’exercer complètement les compétences qui leur ont été transférées.
Nous avons voulu, aussi, supprimer la superposition du conseil local et du conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance. Certains d’entre vous ne semblent pas convaincus par cette mesure...