Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Carle
Secrétaires :
MM. Hubert Falco, Gérard Le Cam.
2. Conventions internationales. – Adoption de quatre projets de loi en procédure d'examen simplifié dans les textes de la commission
3. Accessibilité pour les personnes handicapées. – Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire
Discussion générale : Mmes Claire-Lise Campion, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; Ségolène Neuville, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion.
Mme Aline Archimbaud, MM. Jean-Pierre Vial, Vincent Capo-Canellas, Mmes Annie David, Françoise Laborde, Patricia Bordas.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État.
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Adoption de l’ensemble du projet de loi.
Suspension et reprise de la séance
4. Renforcement de l’efficacité des sanctions pénales. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
MM. Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne, Mme Cécile Cukierman, M. Jacques Mézard, Mmes Esther Benbassa, Virginie Klès, M. Jean-René Lecerf.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Hubert Falco,
M. Gérard Le Cam.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Conventions internationales
Adoption de quatre projets de loi en procédure d'examen simplifié dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de quatre projets de loi relatifs à des conventions internationales.
Pour ces quatre projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord portant création de la facilité africaine de soutien juridique
Article unique
Est autorisée l'adhésion de la France à l'accord portant création de la Facilité africaine de soutien juridique, signée à Paris le 11 février 2013 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’adhésion de la France à l’accord portant création de la Facilité africaine de soutien juridique (projet n° 403, texte de la commission n° 630, rapport n° 629).
(Le projet de loi est adopté.)
protocole avec la serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier
Article unique
Est autorisée l'approbation du protocole entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur l'application de l'accord entre la Communauté européenne et la République de Serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier signé le 18 septembre 2007 à Bruxelles (ensemble deux annexes), signé à Paris, le 18 novembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation du protocole entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie portant sur l’application de l’accord entre la Communauté européenne et la République de Serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier (projet n° 702 [2012-2013], texte de la commission n° 626, rapport n° 624).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec la serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces, signé à Paris, le 7 avril 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces (projet n° 701 [2012-2013], texte de la commission n° 628, rapport n° 627).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec le kosovo relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kosovo relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier (ensemble deux annexes), signé à Pristina, le 2 décembre 2009, et de son protocole d'application (ensemble deux annexes), signé à Pristina, le 19 septembre 2011, et dont les textes sont annexés à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Kosovo relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier et de son protocole d’application (projet n° 699 [2012-2013], texte de la commission n° 625, rapport n° 624).
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
3
Accessibilité pour les personnes handicapées
Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées (texte de la commission n° 632, rapport n° 631).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteur.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voilà aujourd’hui arrivés au terme de l’examen de ce projet de loi d’habilitation relatif à l’accessibilité, fruit d’un long et vaste travail de concertation nationale avec l’ensemble des parties prenantes à ce dossier.
Cette concertation visait à permettre, entre autres objectifs, la construction et la mise en place des agendas d’accessibilité programmée, les « Ad’AP », un outil proposé au Gouvernement dans le cadre de la mission parlementaire qui m’avait été confiée, laquelle a donné lieu au rapport « Réussir 2015 ».
Voilà désormais presque trois ans que l’accessibilité occupe une place prédominante dans mon travail quotidien. C’est une cause dans laquelle on ne peut que s’investir, tant elle est juste et indispensable pour le présent et l’avenir de notre société dans son ensemble. Et nous parlons là d’accessibilité « universelle », car c’est bien la totalité de nos concitoyens qui est concernée.
Je suis très heureuse de constater que la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 17 juin dernier, est parvenue à trouver un accord, lequel n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucun vote d’opposition.
Je voudrais à cette occasion saluer l’implication de nos collègues députés, en particulier du rapporteur Christophe Sirugue, qui ont permis d’enrichir ce texte, préalablement consolidé par le Sénat, ce qui fait honneur au travail des parlementaires des deux chambres.
Vous le savez, ce projet de loi, qui s’inscrit dans la continuité de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, avait pour objectif principal d’élaborer un cadre national pour les Ad’AP, seul instrument de politique publique permettant de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, à quelques mois seulement de l’échéance du 1er janvier 2015, et de poursuivre la dynamique d’accessibilité au-delà de cette date.
Le principe de réalité obligeait à procéder par la voie des ordonnances, ce qui n’est bien sûr jamais satisfaisant pour les parlementaires que nous sommes. Toutefois, à mes collègues qui craignent que le Parlement ne soit privé de débat et réduit à un simple rôle de spectateur, je répondrai que le Sénat, comme l’Assemblée nationale, a imprimé sa marque sur ce texte. Ce dernier, je vous le rappelle, comporte quatre articles.
L’article 1er habilite le Gouvernement à mettre en place l’Ad’AP, ce nouvel outil de programmation pluriannuelle des travaux de mise en accessibilité pour les établissements recevant du public, les ERP.
L’article 2 habilite le Gouvernement à créer un nouveau dispositif pour les services de transport public de voyageurs, le schéma directeur d’accessibilité – agenda d’accessibilité programmée, ou SDA-Ad’AP, dont les modalités sont identiques à celles de l’agenda prévu pour les ERP.
L’article 3 habilite le Gouvernement à prendre diverses mesures préconisées par la concertation, parmi lesquelles figure l’assouplissement, pour les petites communes, de l’obligation d’élaborer un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, le PAVE ; l’autorisation plus large des chiens guides d’aveugle et des chiens d’assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics ; l’élargissement de la composition et des missions des commissions communales et intercommunales pour l’accessibilité aux personnes handicapées ; la création d’un fonds dédié à l’accompagnement de l’accessibilité universelle.
Enfin, l’article 4 fixe à cinq mois suivant la publication de la loi le délai d’adoption des ordonnances et le délai de dépôt des projets de loi de ratification correspondants.
Conscient de l’immense travail accompli par les membres de la concertation nationale, le Sénat, dans un esprit respectueux et constructif, a tenu à préserver l’équilibre – certes historique, mais fragile – auquel ceux-ci sont parvenus. Aussi les dispositions qu’il a introduites ont-elles eu pour objectif de préciser ou de compléter certains points actés lors de la concertation.
À l’article 1er, il a souhaité renforcer le suivi de l’état d’avancement des travaux de mise en accessibilité, qui, on le sait, a fortement fait défaut lors de l’application de la loi de 2005, en prévoyant une remontée d’informations à destination des six collèges de l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle, l’Obiaçu, ainsi que des représentants du Parlement.
À l’article 3 du projet de loi, le Sénat a tenu à préciser les différents seuils démographiques relatifs à l’obligation d’élaboration du PAVE. Ceux-ci visent à prendre en compte les spécificités des petites communes, pour lesquelles l’élaboration de ce plan peut réclamer des efforts excessifs au regard de leurs moyens.
À ce même article, la Haute Assemblée a mentionné l’une des missions des commissions communales pour l’accessibilité aux personnes handicapées, à savoir dresser et publier par voie électronique une liste des ERP accessibles ou en cours d’accessibilité. Cette disposition apporte une réponse concrète aux difficultés statistiques que nous avons maintes et maintes fois constatées.
Enfin, à l’article 4 du projet de loi, notre assemblée a prévu que le Gouvernement présenterait au Parlement un rapport d’évaluation de la mise en œuvre des ordonnances ; ce document permettra de dresser un bilan de l’application de la loi et de vérifier l’efficacité du dispositif adopté.
Pour sa part, l’Assemblée nationale a souhaité aller plus loin dans la sécurisation du dispositif des Ad’AP. C’est ainsi que, à l’article 1er, elle a rendu ces agendas obligatoires et fixé le délai de leur dépôt à douze mois suivant la publication de l’ordonnance.
L’échec de la loi du 11 février 2005 tenant pour partie à l’absence de rendez-vous d’étape, les députés ont également prévu des formalités de suivi à mi-période pour les Ad’AP dont la durée est au moins égale à trois ans – plus précisément, supérieure à trois ans, selon la rédaction adoptée en séance publique. Cette mesure ne vise que les ERP de grande taille, puisque la plupart des petits établissements recevant du public devraient se voir accorder des agendas d’un ou deux ans, correspondant à des travaux souvent légers.
À cet article, nos collègues députés ont également invité le Gouvernement à clarifier la responsabilité du propriétaire et de l’exploitant d’un ERP dans le dépôt de l’agenda d’accessibilité programmée.
À l’article 2, l’Assemblée nationale a prévu que les Ad’AP spécifiques aux transports seraient déposés au plus tard dans les douze mois suivant la publication des ordonnances.
À l’article 3, elle a souhaité que les établissements publics de coopération intercommunale puissent se substituer aux petites communes pour l’élaboration du PAVE ; en outre, elle a précisé que la nouvelle composition des commissions communales pour l’accessibilité aux personnes handicapées devrait tenir compte de tous les acteurs concernés par la mise en accessibilité.
À ce même article, l’Assemblée nationale, sur l’initiative du Gouvernement, a clarifié la rédaction de la disposition portant sur les chiens guides d’aveugles et les chiens d’assistance. Elle a aussi instauré une obligation de formation ou de sensibilisation à la question du handicap pour les personnels en contact avec le public. Enfin, elle a précisé la gouvernance du fonds destiné à recueillir le produit des sanctions financières liées aux Ad’AP, afin de garantir la représentation des acteurs publics et privés, ainsi que celle des associations.
La commission mixte paritaire a conservé tous les apports du Sénat et de l’Assemblée nationale ; elle a simplement procédé à des ajustements rédactionnels, afin d’améliorer la clarté et l’intelligibilité du projet de loi.
Pour conclure, je tiens, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à insister une nouvelle fois sur l’importance de ce projet de loi d’habilitation. Alors que la première étape, celle du débat parlementaire, est sur le point de s’achever, l’essentiel reste à faire : après la publication de l’ordonnance et des premiers décrets d’application viendra le temps de la communication et de la pédagogie, afin que, dès le mois de septembre prochain, le processus soit en ordre de marche.
Madame la secrétaire d’État, je connais votre engagement et votre volonté d’aller à la rencontre des acteurs pour expliquer, rassurer et informer. En vérité, ce travail est tout à fait essentiel. Chaque acteur, à son niveau, doit y collaborer, afin que notre société s’adapte toujours plus à la réalité et réduise les inégalités. L’accessibilité est l’affaire de tous et de chacun d’entre nous !
Mes chers collègues, je souhaite que nous adoptions, à la majorité la plus large possible, les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’habilitation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis venue devant vous pour vous confirmer l’engagement du Gouvernement en faveur de l’accessibilité universelle.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées prévoyait un délai de dix ans pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports, de la voirie et des espaces publics. Ayant constaté, avec tous les acteurs du handicap, que seulement 30 % des ERP respectaient leurs obligations quelques mois avant 2015, le Gouvernement a décidé d’agir vite, pour que la loi de 2005 soit appliquée de manière efficace et concrète, dans la concertation.
Le Gouvernement a décidé d’agir sans dédouaner de leurs responsabilités les gestionnaires des établissements recevant du public, mais en fixant un cadre opérationnel de nature à les mobiliser de façon efficace.
C’est avec le souci de la concertation que, dès l’automne 2013, à la suite de la publication de votre rapport d’information, madame Campion, le Gouvernement a réuni les grandes associations du secteur du handicap et les représentants des établissements privés et des collectivités territoriales. Sous votre présidence, madame la rapporteur, ils ont travaillé pendant près de 140 heures pour définir un cadre qui instaure de façon irréversible une dynamique de mise en accessibilité de la société.
Ces discussions ont permis d’aboutir à des avancées normatives au service d’un objectif : faire progresser l’accessibilité de façon concrète. La mesure essentielle est la création des agendas d’accessibilité programmée, qui formaliseront l’engagement des acteurs à réaliser les travaux de mise en accessibilité dans un calendrier précis et resserré.
Les travaux parlementaires relatifs au projet de loi d’habilitation ont permis de renforcer le dispositif en rendant obligatoires ces agendas, que tout le monde appelle désormais les Ad’AP – ce sigle pouvant ne pas être compris des non-spécialistes, il est de notre devoir de continuer à parler d’« agendas d’accessibilité programmée ». Ces derniers ne correspondent ni à un abandon ni même à un recul de l’objectif de mise en accessibilité. De fait, tous ceux qui ne suivront pas la démarche de l’agenda d’accessibilité programmée subiront les sanctions pénales prévues par la loi du 11 février 2005.
Les gestionnaires des établissements recevant du public auront un an pour présenter un projet d’agenda d’accessibilité programmée. La durée de ces agendas prendra en compte la diversité des situations : pour la majorité des établissements recevant du public, elle pourra être d’un an, de deux ans ou de trois ans au maximum.
Cette durée sera donc trois ans au maximum pour la majorité des établissements recevant du public : j’y insiste, mesdames, messieurs les sénateurs, car il y a eu de nombreuses incompréhensions sur le sujet !
Le Gouvernement est en train de préparer les textes de l’ordonnance et des décrets d’application, avec à l’esprit plusieurs objectifs.
Tout d’abord, nous entendons respecter l’équilibre général des mesures issues de la concertation et des travaux parlementaires.
Ensuite, nous sommes décidés à mobiliser des moyens pour permettre la mise en accessibilité réelle et concrète des établissements recevant du public ; à cet égard, je signerai dans deux jours, jeudi prochain, avec le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, les représentants de la Caisse des dépôts et consignations et ceux de Bpifrance une convention prévoyant l’octroi de prêts bonifiés aux collectivités territoriales et aux entreprises.
Par ailleurs, nous recruterons très prochainement mille ambassadeurs de l’accessibilité dans le cadre du service civique ; ils iront partout sur le territoire pour expliquer et informer. C’est un travail important, madame la rapporteur, vous avez eu raison de le souligner.
Enfin, nous allons lancer un grand plan de communication nationale destiné à sensibiliser l’ensemble des gestionnaires d’établissements recevant du public et d’organismes de transport à l’accessibilité et à leur faire connaître le nouveau dispositif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voici le fond de ma pensée : à propos de l’accessibilité, nous n’avons plus le temps de regarder vers le passé ; il nous faut construire rapidement l’avenir, qui passe par les agendas d’accessibilité programmée. En vérité, il y a urgence pour toutes celles et tous ceux qui vivent chaque jour un véritable parcours du combattant pour se déplacer !
En dépit des attentes, que je sais très grandes, certains continuent de s’inquiéter ; je veux leur dire que le Gouvernement est déterminé à faire avancer l’accessibilité universelle. Tels sont ma mission et mon combat.
J’irai partout en France, auprès des collectivités territoriales, des entreprises et des artisans, pour expliquer, rassurer et informer. Je leur dirai que l’accessibilité concerne 12 millions de nos concitoyens, qu’elle est non pas une charge supplémentaire, mais un investissement d’avenir, qu’elle est une question d’égalité, mettant en jeu l’application même de nos principes républicains.
Cette accessibilité, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce au projet de loi d’habilitation et aux textes qui le suivront, nous la réaliserons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme Françoise Laborde. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons au terme d’une procédure législative accélérée dont nos concitoyens attendent beaucoup, puisqu’il s’agit de garantir à chacun un droit fondamental en réalisant l’accessibilité pour tous.
Comme nombre de nos collègues et moi-même l’avons souligné lors de la première lecture du texte, au mois d’avril dernier, nous regrettons le recours à une ordonnance, qui ne peut être un moyen habituel de faire la loi. Reste que nous comprenons bien l’urgence qui s’attache à la situation actuelle ; nous devons être pragmatiques et faire en sorte que les travaux soient effectivement réalisés d’ici à trois ans dans la majeure partie des cas, et en tout état de cause dans dix ans au plus tard.
Mme la rapporteur et Mme la secrétaire d’État ont eu raison de le rappeler : atteindre cet objectif est une nécessité si nous voulons vivre dans une société plus égalitaire et si nous voulons que le principe affirmé de l’accessibilité universelle devienne une réalité pour nos concitoyens. Ce projet de loi d’habilitation peut permettre d’y parvenir.
Les deux amendements que le groupe écologiste du Sénat a fait adopter tendent à améliorer de façon très importante le projet de loi ; nous nous réjouissons que les dispositions qui en sont issues aient été maintenues par la commission mixte paritaire.
Celles qui résultent de notre premier amendement faciliteront grandement la vie des personnes en situation temporaire ou permanente de handicap : elles prévoient qu’une liste des établissements recevant du public et des transports accessibles ou en cours d’accessibilité devra être mise à la disposition de tous par les communes et les intercommunalités.
Au travers de notre second amendement, nous avons voulu nous assurer de la vigilance des acteurs de l’accessibilité en mettant en place un comité de suivi de l’application de la loi, capable d’identifier et de surmonter les problèmes qui pourraient apparaître au fur et à mesure que les travaux seront entrepris. Ce suivi est assuré, et nous nous en félicitons.
Nous tenons à remercier Mme la rapporteur de son engagement ; elle a fait preuve d’une grande efficacité pour mettre tous les acteurs autour de la table et pour donner le jour à un projet de loi équilibré.
L’agenda d’accessibilité programmée, mis au point en collaboration avec les associations et les autres acteurs économiques et sociaux impliqués dans la mise en accessibilité, nous semble être la moins mauvaise des solutions, à condition que l’on ne retombe pas dans les écueils de ces dix dernières années. Nous devrons rester très vigilants à cet égard.
Il est nécessaire, pour que les travaux soient réalisés dans les temps et par tous, de ne pas alourdir les procédures et de prévoir des documents simples à remplir ; il s’agit en effet de ne pas étrangler les petites structures et de garantir le respect des délais d’envoi des agendas. Nous espérons que les ordonnances porteront la marque de ce souci de simplification.
La question des contraintes financières et administratives pesant sur les infrastructures soumises à la loi du 11 février 2005, notamment sur les collectivités territoriales et sur les établissements des professionnels de santé, a été abordée dans les débats parlementaires, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Je veux souligner une nouvelle fois que ces contraintes ne peuvent servir de prétexte pour repousser indéfiniment les délais. Les agendas d’accessibilité programmée doivent être l’outil permettant d’étaler les dépenses, pour anticiper les coûts. Au demeurant, la mise en accessibilité ne doit pas être perçue comme une contrainte financière, comme une charge qui empêcherait de financer d’autres investissements ; bien sûr, elle exige des choix et des arbitrages, mais elle profite à tous et représente un investissement qui devrait aller de soi.
Cela dit, à l’approche de la publication des ordonnances, certaines inquiétudes s'expriment, et je voudrais, madame la secrétaire d'État, vous interpeller pour savoir si elles sont fondées.
On en vient ainsi, évidemment, à aborder la question des difficultés financières, qui justifieraient des dérogations concernant le dépôt d’Ad'AP – et des dérogations renouvelables si nécessaire. Il nous semble qu’une telle notion doive être à la fois maniée avec prudence et très clairement définie, de telle sorte que certains travaux ne passent pas systématiquement après d’autres investissements.
Nous voudrions donc savoir s'il est vraiment prévu de faire une différence entre les ERP selon qu’ils reçoivent plus ou moins de 700 personnes et, pour les établissements qui n’excèdent pas ce seuil, d’accepter la dérogation dans l’hypothèse où le préfet ne répond pas. La question se trouve régulièrement posée. Il en résulte une certaine inquiétude et une crainte de retomber dans les vieux travers et de finir par se retrouver encore dans une situation de blocage.
Madame la secrétaire d'État, les ordonnances doivent rassurer nos concitoyens et démontrer la volonté du Gouvernement, celle que vous venez à l’instant d’affirmer avec force à cette tribune. Nous espérons donc que la très prochaine publication des ordonnances traduira bien la volonté du Parlement.
Cette nouvelle loi présente de belles avancées. Les prochaines années seront décisives. Je pense que chacun sera à la fois vigilant et, sans mauvais jeu de mots, constructif. Il n’est pas question de refaire les erreurs du passé, et l’égalité ne doit pas être sans cesse remise à plus tard.
Bien entendu, notre groupe votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen du présent texte, qui doit permettre la mise en œuvre la plus diligente possible des dispositions de la loi du 11 février 2005 en matière d’accessibilité.
Je tiens à souligner l’importance de la contribution sénatoriale sur cette question, avec le premier bilan de la loi handicap effectué par nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois en 2012, et, bien évidemment, avec la concertation présidée par Mme Campion, qui a permis de dégager des pistes qui se concrétisent dans le présent projet de loi et dont je veux saluer une nouvelle fois la qualité du travail, même si je regrette, bien entendu, le procédé retenu par le Gouvernement.
La loi de 2005 a représenté une formidable étape pour la cause des personnes handicapées, mais sans doute était-elle trop exigeante, tant sur l’étendue de l’accessibilité que sur le calendrier à tenir.
Je le répète volontiers, si la mise en œuvre de la loi de 1975 a pu être légitimement critiquée, il ne saurait en être de même de la loi de 2005 quand on se compare à nos voisins européens au regard de l’exigence du principe d’accessibilité universelle, sur lequel je reviendrai.
Toutefois, après le constat de l’impossibilité de parvenir à une accessibilité universelle en 2015, il est devenu nécessaire de trouver des solutions répondant aux fortes attentes de nos concitoyens et des associations représentatives des personnes handicapées. Pour cela, nous devons adopter une démarche plus réaliste et plus pragmatique, qui tienne compte des difficultés constatées dès 2012.
Le rapport sénatorial, tout comme un rapport de l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, avait pointé la trop grande complexité des règles issues de la loi de 2005 et l’absence d’évaluation des travaux à prévoir. L’échéance de 2015 avait été fixée sans prendre réellement en compte la charge financière et le temps que les travaux représenteraient.
Par ailleurs, ne manquons-nous pas aujourd’hui de réalisme quand on connaît la situation financière de notre pays, qu’il s’agisse des acteurs publics ou des acteurs privés, d'ailleurs ?
Certes, nos débats sur le présent texte ont révélé notre communauté de vues sur la voie à adopter pour poursuivre le chantier de l’accessibilité : ce sont les agendas d’accessibilité programmée, qui décriront les travaux pluriannuels de mise en conformité et leur programmation financière. Cette méthode doit être saluée, et je le fais volontiers.
Le projet de loi a donc le mérite de maintenir les exigences de la loi handicap, ce qui était essentiel pour tous les citoyens concernés par les questions d’accessibilité. Il a également le mérite de proposer un dispositif ayant reçu l’assentiment des divers acteurs de la concertation, tout du moins dans ses lignes générales.
Je formulerai cependant plusieurs regrets. Pour commencer, je ne puis que réitérer mes regrets que le Gouvernement ait décidé de procéder par voie d’ordonnances, dessaisissant ainsi le Parlement.
Bien sûr, madame la secrétaire d'État, je sais qu’il y a urgence. Néanmoins, le rapport de 2012 permettait d’associer davantage la représentation nationale, qui, à nouveau, aurait pu apporter une contribution utile. Nous sommes quotidiennement confrontés à la question de l’accessibilité dans nos communes et départements ; aussi, notre vision concrète et équilibrée n’aurait pas été sans intérêt.
Bien sûr, il devenait urgent de légiférer, avant d’en arriver à la date butoir de 2015. Néanmoins, je regrette infiniment que nous nous trouvions au pied du mur, alors que le rapport sénatorial de 2012 dressait déjà un bilan qui ne laissait aucun doute sur la question du respect du délai fixé.
Le débat parlementaire fait donc les frais du temps qui lui aurait permis de trouver sa place entre juin 2012 et l’échéance de 2015. De nos préconisations, le Gouvernement n’a retenu que sa présentation d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre des ordonnances d’ici à trois ans. J’espère que cette échéance nous permettra – et vous permettra, madame la secrétaire d'État – d’avoir raison…
Très sincèrement, madame la secrétaire d'État, je souhaite que les ordonnances vous permettent de répondre aux exigences affichées. Ayant choisi cette procédure, vous en avez la responsabilité. Toutefois, je crains, encore une fois, un manque de réalisme et une nouvelle désillusion.
Nous recommandions pourtant des ajustements de bon sens, qui tenaient compte des difficultés rencontrées par les collectivités dans la mise en œuvre de la loi handicap.
Le Gouvernement persiste à faire preuve du plus grand optimisme dans les capacités des différents intervenants à mettre en œuvre la réforme de l’accessibilité, mais les collectivités territoriales, déjà soumises à d’importantes contraintes budgétaires, se trouvent aujourd’hui confrontées à l’incertitude de la réforme territoriale qui vient d’être engagée. Cela, vous le savez, et vous conviendrez que les transferts de compétences ainsi envisagés ont un impact – indirect pour certains, mais direct pour d’autres – sur la mise en œuvre du projet de loi.
Quand je parle de souplesse d’un côté et d’exigence de l’autre, je veux faire référence à une position que j’assume et que j’ai délibérément soulevée, dès la première lecture du texte, en parlant de la contrainte qui résulte de notre interprétation exigeante du principe d’accessibilité universelle, principe mis en œuvre de façon beaucoup plus pragmatique dans des pays souvent cités en exemple.
Madame la secrétaire d'État, vous me comprendrez mieux quand j’affirme que l’accessibilité, c’est d’abord le principe et la philosophie de la loi de 2005, qui, comme je l’ai déjà souligné, veut répondre à tous les aspects du handicap, et non exclusivement de la mobilité, souvent mise en avant lorsqu’il est question d’accessibilité.
Oui, c'est vrai, la loi de 1975 n’avait pas été mise en œuvre comme elle aurait dû l’être, ce qui a été la raison majeure de la fermeté de la loi de 2005. La vérité n’est jamais dans les extrêmes, et la loi de 2005 ne pourra prétendre être bonne pour, si j’ose dire, venger celle de 1975.
Or, madame la secrétaire d'État, entre ces deux lois, il en est une dont on parle beaucoup moins, c’est celle de 1989, dont une disposition est connue sous l’appellation d’« amendement Creton ». En permettant à des jeunes de plus de vingt ans de rester dans leurs établissements faute de places dans les établissements adultes, cette disposition voulait, elle aussi, répondre à une situation insupportable et même donnée pour scandaleuse à l’époque, si bien que le dispositif mis en œuvre avait un caractère provisoire.
Vingt-cinq ans après, il y a au moins autant de jeunes relevant de l’amendement Creton qu’en 1989, avec, en revanche, des milliers de jeunes en attente de places, sans parler des handicapés adultes vieillissants qui, à défaut de pouvoir être reçus dans des établissements spécialisés pour personnes âgées, passent leurs journées dans les ESAT, les établissements et services d’aide par le travail.
Madame la secrétaire d'État, si je prends cet exemple très précis, sur lequel vous n’avez pas manqué d’être interpellée récemment, à l’occasion du cinquante-quatrième congrès de l’UNAPEI, l’Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés –, c'est parce que l’accès au droit le plus fondamental de la dignité humaine se place selon moi à un niveau tout aussi élevé que la réforme de l’accessibilité dont nous débattons aujourd’hui.
Oui, madame la secrétaire d'État, tel est le message que peuvent et doivent faire passer les politiques lorsqu’ils en ont la responsabilité : les droits de la personne handicapée forment un tout, et l’on ne peut se dispenser d’en aborder certains en prétendant qu’on en a servi d’autres avec une grande exigence.
Je forme le vœu que les ordonnances que vous mettrez en œuvre respectent bien ces exigences de pragmatisme, pour que les acteurs en charge du handicap puissent accompagner tous les handicaps, afin que le droit de tous à l’accessibilité revienne d’abord au respect de chacun, et surtout de ceux dont on parle le moins parce que, souvent, ils ne peuvent pas parler.
C'est la raison pour laquelle, madame la secrétaire d'État, je réitère mon souhait que, au travers des ordonnances que vous prendrez, vous puissiez aboutir – dans trois ans, nous nous retrouverons. Néanmoins, j’ai exprimé, notamment lors de la réunion de la CMP, un certain nombre de réserves, en raison desquelles nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la première lecture à l’Assemblée nationale et la commission mixte paritaire n’ont pas altéré l’appréciation que nous portons sur ce texte. Au contraire, elles l’ont même, dans une certaine mesure, confortée.
Ce texte marque une étape importante et nécessaire. Je réaffirme notre profond accord avec la loi de 2005. Si l’ambition de cette dernière est fondamentalement juste, elle était aussi difficilement applicable. Le présent texte nous est soumis à quelques mois de l’échéance « couperet » qu’elle fixait, et il fallait donc intervenir.
Toutefois, peut-être aurions-nous pu mieux prendre en compte les propositions de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que Jean-Pierre Vial a rappelées. Quant aux ordonnances, nous les déplorons.
En revanche, sur le fond, je ne peux que réitérer, pour l’essentiel, notre soutien aux solutions avancées. Le projet de loi est issu d’une concertation approfondie qu’il faut saluer. Une large part en revient à notre collègue Claire-Lise Campion. Ce texte donne un cadre législatif renouvelé, auquel s’ajoutera un cadre réglementaire rénové.
Au départ, le constat est évident : le manque d’information et de prise de conscience sur la réalité de la loi de 2005 est patent. Les collectivités territoriales, en particulier, n’ont pas entendu qu’elles s’exposaient à des sanctions.
Au fil des années, chacun a fait autant qu’il le pouvait, en fonction de ses moyens – pas seulement financiers, et surtout techniques –, mais, trop longtemps, l’échéance de 2015 est apparue presque théorique.
D’où le besoin de ce nouveau souffle, qui intervient malheureusement à l’heure où les collectivités voient leurs ressources baisser, où les rythmes scolaires compliquent encore la marche des projets et où se pose – différemment, certes – la question du devenir des villes et des départements.
Voilà donc le dilemme et l’extrême difficulté devant lesquels nous nous trouvons. Pour y répondre, le texte détermine un équilibre entre maintien des objectifs de la loi de 2005 et moyens donnés pour les atteindre. En matière de bâti, les ERP devront bien être accessibles. C’est le calendrier de la mise en accessibilité qui sera susceptible d’évoluer grâce à ce nouvel outil qu’est l’agenda d’accessibilité programmée, l’Ad'AP. Toutefois, en l’absence d’Ad'AP, la date limite du 1er janvier 2015 est maintenue, de même que les sanctions associées.
Pour ce qui est des transports, la priorisation des points d’arrêt à aménager est compensée par l’obligation de mettre en place des moyens de substitution pour tous les autres points d’arrêt. Les objectifs de la loi de 2005 semblent donc bien confirmés, mais, en contrepartie, plus de souplesse est donnée aux maîtres d’ouvrage et aux organisateurs de transports, toujours dans le cadre de l’Ad'AP.
La procédure de dérogation pour raisons financières est un élément encourageant du nouveau dispositif. C'en est en même un élément clef, parce que, comme j’y faisais référence à l’instant, l’horizon financier des collectivités est aujourd’hui à la fois incertain et dégradé.
Face à ce dispositif, nous formulions deux critiques principales. La première est celle de la complexité. Nous souhaitons éviter des procédures trop lourdes, notamment pour les petites collectivités territoriales.
Cette critique aura été – au moins partiellement – entendue, puisque l’Assemblée nationale a quelque peu simplifié le texte en réservant l’exigence d’un bilan de mi-parcours aux chantiers les plus considérables. Voilà une mesure de simplification que nous appelions de nos vœux et que la CMP a confirmée, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, et qui apparaît comme la contrepartie naturelle de l’obligation faite désormais à tout ERP de déposer un Ad'AP.
Néanmoins, cette simplification sera-t-elle suffisante ? Par exemple, les délais imposés pour le dépôt et la mise en œuvre des Ad'AP seront-ils assez longs ? Il est à craindre que non : entre la demande d’Ad'AP, la mise en concurrence pour un bureau d’études, la reprise des travaux de diagnostic antérieurs et la réalisation de l’Ad'AP, nous allons passer entre douze et dix-huit mois à ne produire que de la procédure et à ne pas faire, pendant ce temps, les travaux attendus.
Dès lors, le délai sera insuffisant – c'est du moins ce que je crains. Quoi qu’il en soit, il faudra accompagner les collectivités – madame la secrétaire d'État vient d’en parler –, qui découvriront peut-être un peu tard, à la rentrée, des obligations parfois quelque peu oubliées
La seconde critique que nous formulions s’inscrivait dans le droit fil de la première : selon nous, le texte n’explorait pas assez la piste intercommunale, ce qui est curieux à l’heure où l’intercommunalité est appelée au chevet du département…
Là encore, cette critique aura partiellement porté puisque, dorénavant, le texte confie aux intercommunalités la responsabilité de réaliser, si elles le peuvent, les plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces pour les communes manquant de moyens humains et techniques. C’est un premier pas qu’il nous faut saluer.
Néanmoins, cette avancée est encore très insuffisante puisqu’elle ne porte que sur la mobilité. Quid des ERP ? Le problème est pourtant le même !
Par la voie simple des groupements de commandes, la piste intercommunale doit être explorée pour les petites communes. Nous mesurons l’écart entre ce que nous exigeons d’elles et la faiblesse de leurs moyens. Comment réaliser les aménagements lorsque, comme c’est le cas dans certaines communes, la collectivité ne compte ni ingénieur ni technicien supérieur et que les travaux sont, par définition, complexes ? Le problème reste entier.
Je conclurai donc, madame la secrétaire d’État, en disant qu’il ne faut pas privilégier la méthode par rapport à l’objectif. De ce point de vue, les propositions du rapport de notre collègue Jean-Pierre Vial pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation me paraissent intéressantes. Puissiez-vous en tenir compte et veiller à rédiger les ordonnances autour de cet axe central qu’est la simplicité ! D’autant que celle-ci rime souvent avec efficacité.
Au total, ce texte présente à nos yeux trois avantages. Premièrement, il évite d’appliquer automatiquement le régime des sanctions pénales, ce qui n’est pas sans importance pour les exploitants et les collectivités. Deuxièmement, il ne rompt pas le consensus avec les associations représentatives et il continue à s’inscrire dans une démarche concertée, comprise et volontaire vers l’accessibilité. Troisièmement, il témoigne d’un début de simplification. Reste à transformer l’essai et à réussir concrètement ce vaste chantier d’intérêt général. En comptant sur le Gouvernement pour suivre ce cap, le groupe UDI-UC soutiendra le présent projet de loi d’habilitation. (M. Jean-Pierre Vial applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, comme vous, comme des millions de femmes et d’hommes investis dans le champ du handicap physique, moteur, sensoriel ou cognitif, je suis, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, soucieuse du respect de l’esprit de la loi de 2005, laquelle posait pour la première fois le principe de l’accessibilité universelle.
L’objectif initial, le cap de 2015 comme date butoir d’une mise aux normes de toutes les installations recevant du public, a été accueilli avec beaucoup d’espoir par celles et ceux qui voulaient construire une société plus juste, plus égalitaire, plus respectueuse des différences, une société du vivre-ensemble, sans relégation aucune.
En 2005, cet objectif apparaissait d’autant plus ambitieux que, comme mes collègues Guy Fischer, Roland Muzeau et Michelle Demessine, alors membres de la commission des affaires sociales, l’avaient souligné, aucun moyen spécifique n’avait été confié aux collectivités locales et territoriales pour les soutenir financièrement dans un chantier couteux, et aucune méthodologie, aucun accompagnement n’avait été mis en œuvre, le gouvernement de l’époque se contentant d’attendre, du reste imité en cela par l’ensemble des gouvernements qui lui ont succédé.
Nous voyons le résultat aujourd’hui : seuls 15 % des établissements recevant du public seraient en conformité avec la loi, et beaucoup de celles et ceux qui avaient cru en ce texte sont déçus. Vous l’avez dit vous-même, madame la secrétaire d'État, ils ont l’impression que les pouvoirs publics les ont abandonnés et que le présent texte constitue une régression en ce qu’il repousserait la date légale à partir de laquelle les établissements recevant du public devront être accessibles.
J’entends ces craintes et je les comprends, même si je souligne que le travail réalisé par le Sénat, par l’Assemblée nationale et par la commission mixte paritaire a singulièrement renforcé le caractère contraignant de cette proposition de loi. Je pondérerai mon propos néanmoins en regrettant fortement le choix fait par le Gouvernement de procéder par voie d’ordonnances en nous soumettant un projet de loi d’habilitation.
Même s’il y a urgence, cette décision, madame la secrétaire d’État, contribue à engendrer de la crispation et des craintes alors que, je l’ai souligné, des modifications importantes ont été apportées au texte adopté par le Sénat. Je pense notamment à l’obligation faite aux exploitants d’un ERP de déposer des agendas d’accessibilité programmée, alors que, comme je l’avais regretté en première lecture, ce dépôt n’était pas réellement contraignant jusqu’alors. Dorénavant, il le sera.
Je regrette toutefois que cette exigence ne soit pas transposée en des termes identiques pour les établissements de transport recevant du public et pour lesquels les règles de dépôt d’un agenda d’accessibilité programmée, un Ad’AP, sont moins contraignantes, ce qui complexifiera indiscutablement la chaîne de déplacement des personnes en situation de handicap.
Je me réjouis également que les débats parlementaires aient permis de préciser les délais de dépôt de ces agendas, ceux-ci étant limités aux douze mois suivant la publication de l’ordonnance, même si je continue à dénoncer le fait que, dans certains cas, les délais soient de neuf ans, ce qui nous paraît excessif.
En outre, madame la secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur la réalité de ces délais. Alors que le projet de loi prévoit l’obligation pour les gestionnaires d’ERP de déposer un Ad’AP dans les douze mois qui suivent la promulgation des ordonnances, il semblerait, comme le soulignait ma collègue Aline Archimbaud, que le projet d’ordonnance soumis à l’avis des associations prévoie la possibilité pour un gestionnaire rencontrant des difficultés financières de reporter de trois ans la date limite à compter de laquelle il est contraint de déposer son agenda. Si cette information était exacte, un tel délai constituerait à nos yeux une méconnaissance de l’esprit même de ce projet d’habilitation, d’autant que les associations soulignent que ce report de trois ans pourrait être renouvelé.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement doit être clair et nous dire si les craintes exprimées par les associations au lendemain de la présentation du projet d’ordonnance sont fondées ou non. En effet, nous craignons qu’il ne s’agisse là non pas d’un accompagnement de la loi de 2005, mais bien d’un renoncement.
Dans le même ordre d’idées, pourriez-vous nous indiquer sur quelle base matérielle seront évaluées les difficultés financières des gestionnaires requérant un tel report ? Avez-vous envisagé, par exemple, de demander aux préfets qu’ils exigent des gestionnaires d’attester de toutes les démarches réalisées et de tous les refus d’aides publiques qu’ils auraient pu solliciter pour les aider à accomplir la mise aux normes ? Il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire de sortir de la logique du déclaratif qui, nécessairement, engendre des doutes et des suspicions.
Comme en première lecture, le groupe CRC conteste le fait qu’il appartienne au préfet, et à lui seul, de décider de la validation ou non des agendas, alors même que le projet d’ordonnance supprimerait l’avis conforme de la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, et qu’est généralisée la règle selon laquelle le silence du préfet vaut validation.
Ces dispositions, qui suscitent des inquiétudes auprès des personnes en situation de handicap, ne rassurent pas non plus les représentants des collectivités locales et territoriales : ils se demandent comment celles-ci pourront faire en sorte de réaliser les objectifs légitimes et ambitieux fixés pour 2015 si des moyens financiers supplémentaires ne leur sont pas accordés. Or c’est bien ce qui se dessine au travers du pacte de responsabilité et avec la politique de rigueur que le Gouvernement entend imposer aux communes et aux départements.
La baisse des dotations générales auxquelles les collectivités devront faire face les privera mécaniquement des moyens techniques, humains et financiers nécessaires à la réalisation concrète de leurs obligations légales. C’est au point que nombreux sont les maires, les conseillers généraux et régionaux à penser qu’il faudra sans doute, avant 2025, prévoir de nouvelles dérogations.
La « nasse » de 2005, à savoir l’existence d’obligations fortes, mais non financées, pourrait se retrouver demain et avoir une nouvelle fois pour conséquence de reporter la date d’échéance, ce que ne comprendraient pas les personnes en situation de handicap et ceux qui se mobilisent en faveur d’une société accessible pour toutes et tous.
Madame la secrétaire d’État, au vu des interrogations que suscite le projet de rédaction pour cette ordonnance, qui ne permettrait pas de parvenir à une véritable accessibilité pour les 11 millions de personnes présentant au moins une incapacité motrice, sensorielle ou intellectuelle, et qui ne respecterait pas les conclusions du groupe de travail « regards croisés » auquel ont participé un bon nombre d’associations, mais aussi des représentants de collectivités, j’ai écouté avec intérêt et attention votre intervention. C’est avec plaisir que j’ai noté votre ferme volonté de mettre l’accessibilité pour toutes et tous au cœur de vos priorités. Pourriez-vous donc nous apporter quelques précisions sur la rédaction de cette ordonnance qui inquiète beaucoup les associations ? Le vote de mon groupe dépendra de vos explications. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées impose la mise en accessibilité des établissements recevant du public et des transports publics pour 2015. Elle a constitué un formidable signe d’espoir pour les personnes handicapées et pour leur famille.
Pourtant, quelques mois avant l’échéance, force est de constater que nous sommes bien loin du compte : à peine plus de la moitié des écoles et seulement 42 % des réseaux de bus sont accessibles aux personnes en situation de handicap. Quant à la situation des commerces et des cabinets médicaux, par exemple, elle est loin d’être satisfaisante.
Certes, des efforts ont été incontestablement déployés par les acteurs concernés. Dans son baromètre 2013, l’Association des paralysés de France constatait ainsi que l’accès aux mairies, aux stades, aux bureaux de poste ou aux centres commerciaux s’était considérablement amélioré. Je tiens, en particulier, à saluer l’engagement des élus locaux qui, malgré les contraintes financières que la loi de 2005 leur impose, se battent pour rendre la vie de la cité accessible à tous.
Pour autant, nous le savons depuis quelques années déjà, l’échéance de 2015 ne sera pas tenue. En cause : une réglementation trop complexe, une absence de concertation, un manque de volonté politique et surtout un impact financier sous-évalué, principalement pour les communes ou les intercommunalités.
Dans ces conditions, quelle solution s’offrait au législateur ? Nous pouvions ne rien faire et laisser les contentieux se multiplier dès 2015. Cependant, sanctionner ceux qui n’ont pas rempli les objectifs fixés par la loi de 2005 ne constitue pas, à mon sens, une solution satisfaisante pour les personnes en situation de handicap. Il est préférable d’accompagner ceux qui n’auront pas achevé la mise aux normes, de leur donner les moyens nécessaires afin d’y parvenir rapidement. Même si, en tant que parlementaire, je regrette que le Gouvernement ait choisi la voie des ordonnances, il ne fait pas de doute que c’était la solution la plus sage, car il fallait agir vite.
Bien sûr, j’entends les inquiétudes des différentes associations, qui ne peuvent accepter que l’intégration des personnes handicapées, définie comme obligation nationale depuis 1975, ne soit toujours pas pleinement satisfaite. Quel que soit le handicap dont elle souffre, une personne a besoin de pouvoir faire ses courses, d’aller au musée ou au cinéma, de prendre les transports en commun ou de pratiquer une activité sportive.
C’est la raison pour laquelle il nous faut adopter ce projet de loi indispensable au maintien de l’objectif d’accessibilité fixé par la loi du 11 février 2005. Il permettra, selon les vœux du Gouvernement, « d’impulser rapidement une accélération des aménagements dans les prochains mois et d’engager un processus irréversible vers l’accessibilité universelle ». Il nous permettra de répondre aux attentes des personnes limitées dans leur vie quotidienne, tout en prenant en compte les difficultés de certaines collectivités et entreprises confrontées à des problèmes de temps et de coût.
Madame la rapporteur, ce projet de loi s’inscrit dans la continuité de votre rapport « Réussir 2015 » et met en place les mesures préconisées par les instances de concertation que vous avez présidées. Je tenais à vous remercier pour votre investissement et pour le travail que vous accomplissez depuis des années afin que se poursuivre la politique en faveur de l’accessibilité, même si je sais que, bien entendu, vous n’étiez pas seule à soutenir ce projet.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire va dans le bon sens, et je me félicite des améliorations que chacune des assemblées a pu apporter au texte.
La Haute Assemblée a complété le dispositif, notamment en précisant les seuils démographiques relatifs à l’obligation d’élaboration des plans de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics.
Je tiens également à saluer le travail de nos collègues de l’Assemblée nationale. Ils ont souhaité sécuriser davantage le dispositif des agendas d’accessibilité programmée en les rendant obligatoires et en fixant une date limite à leur dépôt.
Ils ont, par ailleurs, introduit l’obligation de formation et de sensibilisation à la question du handicap pour le personnel recevant du public.
Enfin, sur votre proposition, madame la secrétaire d'État, ils ont clarifié la disposition portant sur les chiens guides d’aveugle. Je ne peux, à ce sujet, que saluer votre volonté d’élargir le champ des personnes autorisées à entrer dans les lieux publics accompagnés d’un chien guide. C’est une très bonne chose.
Après le décret de février dernier, cette disposition est une nouvelle avancée pour l’accessibilité universelle.
L’obligation d’accessibilité doit être considérée non pas comme une contrainte, mais comme une source de bien-être pour une grande partie de nos concitoyens. C’est dans cet esprit, madame la secrétaire d’État, que le groupe du RDSE, unanime, apportera son soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Bordas.
Mme Patricia Bordas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons au terme du processus d’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.
Je me réjouis du consensus qui s’est dégagé en commission mixte paritaire entre les deux assemblées. Pour paraphraser Michel Audiard, je dirai que, sur un tel sujet, une quelconque dissonance entre l’Assemblée nationale et le Sénat aurait « fait désordre ». (Sourires.)
J’espère que le vote de l’ensemble des groupes politiques siégeant dans cet hémicycle sera positif et entérinera la nouvelle dynamique que porte ce projet de loi, car, mes chers collègues, il ne nous est plus permis de prendre davantage de retard.
En effet, malgré la difficulté de dresser un état des lieux pertinent, eu égard à la fiabilité discutable des données statistiques, nous nous apercevons tous et toutes, dans notre quotidien d’élu, que les travaux d’accessibilité relèvent plutôt de la chimère que de la réalité ; plus précisément, en dix ans, les avancées en matière de mise en accessibilité ont été inégales et insuffisantes.
Pour preuve, selon l’Association des paralysés de France, seuls 15 % des établissements recevant du public sont actuellement aux normes, quand seulement 8 % des communes de moins de 200 habitants ont adopté leur plan d’accès à la voirie et aux espaces publics, contre 38 % des communes de plus de 50 000 habitants.
Ce hiatus témoigne de l’importance du volontarisme politique sur cette problématique, à l’échelon tant local que national.
Aujourd’hui, si nous sommes obligés de proroger, à contrecœur, les délais qu’avait fixés la loi de 2005 et de souscrire au recours aux ordonnances, procédure dérogatoire peu appréciable pour les parlementaires, c’est à cause de l’absence de portage et de suivi politique, sous le quinquennat précédent, de l’auguste projet d’accessibilité universelle.
Prisonniers de l’inertie, voire de l’inaction passée, nous nous retrouvons dos au mur. Les mots, même ceux qui sont inscrits dans le marbre de la loi, sans actes, ne peuvent suffire. Ils ont certes une valeur symbolique, mais une portée non tangible. Désormais, il faut que nous soyons concrets.
Ainsi, la mise en œuvre des agendas d’accessibilité programmée et des schémas directeurs d’accessibilité, prévue respectivement aux articles 1er et 2 du présent projet de loi, devrait améliorer le pilotage des travaux de mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports, du cadre bâti et de la voirie.
Pour autant, l’adoption du projet de loi d’habilitation ne constituant pas un blanc-seing pour le Gouvernement, les parlementaires examineront attentivement et même scrupuleusement les mesures qui figureront au sein du projet de loi de ratification, qui, en vertu de l’article 38 de la Constitution, devra être « déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation », en l’occurrence dans un délai de cinq mois à compter de la publication des ordonnances.
En outre, la forte disparité observée quant aux travaux d’accessibilité sur notre territoire révèle le rôle prépondérant joué par les élus locaux. Certaines villes, telle Brive-la-Gaillarde – pardonnez mon chauvinisme local ! –, qui a reçu une Marianne d’or pour son engagement en faveur de l’accessibilité de l’espace public et des bâtiments communaux en 2012, ont réalisé de substantiels investissements ; à l’inverse, d’autres communes ont effectué des arbitrages contraires à l’intérêt des personnes en situation de handicap.
En d’autres termes, madame la secrétaire d'État, les collectivités territoriales, par la mise en place de plans d’action en matière d’accessibilité, par exemple, peuvent, je le crois, impulser localement les politiques ayant trait au handicap.
La volonté politique et l’affichage politique sont donc bien des facteurs essentiels en vue d’assurer la participation des personnes victimes d’un handicap à la vie de la cité.
À cet égard, comme le rappelle l’article L. 114-1 du code de l’action sociale et des familles, « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ».
Or il me semble que cette noble solidarité dont il est question est malheureusement souvent mise à mal par le regard porté sur le handicap.
Le regard honteux, parfois coupable, que peut jeter sur lui-même celui qui est affecté par un handicap est compréhensible, bien que néfaste. Il est l’expression d’un rejet, d’une douleur, d’une souffrance psychologique qu’il faut s’attacher à lénifier afin que la personne accepte de vivre avec ce handicap ; en revanche, le regard indifférent, voire méprisant, que peut adresser la société à l’encontre de la personne en situation de handicap est inacceptable.
Plutôt que de tendre le bâton, elle doit tendre la main ; plutôt que d’être un miroir dégradant, elle doit être un miroir enjolivant.
Dans cette perspective, la perception du handicap résulte non plus de l’incapacité permanente ou temporaire dont est atteinte la personne, mais de l’interaction de cette dernière avec un environnement peu favorable à son épanouissement.
Comme le met en exergue le programme des Nations unies pour l’égalisation des chances des personnes handicapées de 1982, « le handicap est donc fonction des rapports des personnes handicapées avec leur environnement. Il surgit lorsque ces personnes rencontrent des obstacles culturels, matériels ou sociaux qui les empêchent d’accéder aux divers systèmes de la société qui sont à la portée de leurs concitoyens. Le handicap réside donc dans la perte ou la limitation des possibilités de participer sur un pied d’égalité avec les autres individus à la vie de la communauté. »
Par conséquent, la collectivité doit permettre aux personnes affectées par un handicap de développer leurs potentialités, leurs « capabilités », pour reprendre la terminologie d’Amartya Sen, cet éminent philosophe et économiste. Tout obstacle érigé contre cet objectif s’avère, par suite logique, un frein à leur « bien-être ».
C’est pourquoi l’inaccessibilité, barrière majeure à l’expression des potentialités de celles et ceux qui sont en situation de handicap, constitue un reniement de leurs droits et une atteinte ineffable à l’idéal de justice sociale.
Il convient de garder à l’esprit que l’accessibilité universelle ne concerne pas uniquement les personnes en situation de handicap. Ce concept, progressiste, part du postulat que tous les individus peuvent être confrontés, un jour ou l’autre, à des difficultés pour se déplacer – à l’instar, suis-je tentée de dire, de jeunes parents accompagnés de leur enfant en poussette.
Par ailleurs, eu égard au vieillissement de la population, cette approche transversale s’avère probante.
La capacité de notre pays à anticiper les adaptations nécessaires à ce phénomène démographique, par des politiques publiques opportunes, déterminera notre faculté de répondre à cet enjeu sociétal.
Dans le cadre du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, présenté en conseil des ministres le 3 juin dernier, outre les politiques de prévention, il ne faudra pas omettre le volet portant sur l’accessibilité.
En conclusion, je tiens, à la suite d’autres orateurs qui se sont exprimés avant moi, à saluer l’excellent travail réalisé par ma collègue Claire-Lise Campion, depuis plusieurs années maintenant, et à rappeler que la mise en accessibilité n’est aucunement une « fleur » faite aux personnes en situation de handicap ; c’est un devoir pour tous et toutes, éminemment civique et profondément humain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Monsieur le président, je voudrais répondre aux questions qui ont été posées par les orateurs au Gouvernement.
Certains ont fait part de leur inquiétude quant à la méthode de validation des agendas d’accessibilité programmée. En réalité, deux cas de figure pourront se présenter : dans le cas des ERP pouvant accueillir plus de 700 personnes, c’est-à-dire les établissements de première et deuxième catégories, une validation à la fois de la commission départementale d’accessibilité et de sécurité et du préfet sera nécessaire ; dans le cas des ERP pouvant accueillir moins de 700 personnes, par souci de simplification, c’est le préfet qui validera, sachant que, en réalité, son silence vaudra validation.
La commission départementale d’accessibilité et de sécurité garde toutes ses prérogatives ; c’est elle qui sera chargée par la suite de procéder à des contrôles aléatoires, puisque le présent texte prévoit un point d’étape à mi-période lorsque la durée de l’agenda est supérieure à trois ans. Dans tous les autres cas, la commission départementale pourra, par exemple au bout d’un an, décider de vérifier les travaux qui auront été engagés par tel ou tel établissement. Sans doute, même si ce choix reste aléatoire, contrôlera-t-elle plutôt les établissements les plus importants du département, ceux qui peuvent accueillir le plus de personnes.
Par ailleurs, nous sommes évidemment obligés d’envisager le cas des établissements ou des collectivités confrontés à de graves difficultés financières, car, à l’évidence, ni les communes sous tutelle ni les entreprises en redressement judiciaire ne pourront engager des travaux de mise en accessibilité. À défaut, nous nous retrouverions à devoir gérer des situations imprévues, comme cela s’est produit avec la loi de 2005. Néanmoins, ces situations seront l’exception et un arrêté précisera les conditions relatives à la tutelle d’une collectivité, au redressement ou à la liquidation judiciaires d’un établissement ; par exemple, le ratio relatif au taux d’endettement et aux capacités d’autofinancement sera strictement encadré.
Je veux maintenant revenir sur la question des moyens de financement des travaux d’accessibilité, car un certain nombre d’entre vous souhaitent que les choses aillent plus vite – c’est notre vœu à tous ! – et expriment des inquiétudes à ce sujet, qu’il s’agisse des collectivités publiques ou des entreprises.
En vérité, on oublie de parler d’une grande partie de la concertation que vous avez menée, madame Campion. Elle a permis un réajustement des normes, et en particulier la simplification d’un certain nombre d’entre elles, en vue, précisément, de rendre les travaux moins coûteux. Je prendrai trois exemples.
Premier exemple : un petit commerce aura désormais la possibilité d’installer une rampe amovible, alors que, auparavant, les rampes étaient forcément « en dur ». Le coût est bien sûr bien moindre : 10 000 euros pour la rampe en dur, contre 1 500 à 2 000 euros pour la rampe amovible, au demeurant tout aussi efficace.
Deuxième exemple : jusqu’à présent, l’entrée principale d’un établissement devait obligatoirement être celle qui était mise en accessibilité. Désormais, ce pourra être une autre des entrées qui sera mise en accessibilité, à condition qu’elle soit effectivement accessible pour tous les publics, handicapés ou non.
Troisième exemple : quand un restaurant dispose d’une mezzanine, si le service est identique à l’étage et au rez-de-chaussée et que l’activité en mezzanine représente moins de 25 % de l’ensemble de l’activité du restaurant, il n’y aura pas d’obligation d’installer un ascenseur pour accéder à la mezzanine.
Toute une série d’aménagements et de simplifications des normes est ainsi prévue. Il s’agit de faire en sorte que les normes soient plus pragmatiques et, si je puis dire, moins idéologiques : elles permettront de rendre accessible l’ensemble des établissements tout en réduisant le coût des travaux.
Enfin, j’ai beaucoup insisté et je continue de le faire pour que le dossier des agendas d’accessibilité programmée soit le plus simple possible. Cela concerne notamment le formulaire que devront remplir à l’ensemble des établissements, y compris les petites communes et les petits artisans, lesquels ont, on le sait, déjà beaucoup de documents administratifs à remplir. Je plaide donc avec opiniâtreté auprès de l’administration pour que ce document soit simple et, en particulier, pour qu’il n’y ait pas de pièces jointes à fournir.
Il suffit d’adopter en l’occurrence le principe qui prévaut pour la déclaration de revenus : le contribuable remplit sa déclaration, puis l’administration lui demande éventuellement de produire des pièces complémentaires.
Bien entendu, j’insiste aussi pour que ce formulaire soit au moins téléchargeable en ligne. Peut-être même aura-t-on la possibilité de le remplir en ligne ; en tout cas j’y travaille.
Mon objectif, encore une fois, n’est pas que les collectivités et les entreprises passent leur temps à remplir des formulaires et à remettre des documents à l’administration ! C’est qu’ils réalisent les travaux de mise en accessibilité ! Voilà à quoi ils doivent consacrer leur énergie, et non à du remplissage de formulaires. Par conséquent, notre rôle, maintenant, est de simplifier au maximum ce passage obligé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. André Gattolin, Mme Françoise Laborde et M. Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement. En outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue d’abord sur les éventuels amendements puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
projet de loi habilitant le gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées
Article 1er
(Texte de la commission mixte paritaire)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin de :
1° Définir les conditions dans lesquelles peut être prorogé le délai fixé pour que les établissements recevant du public et les installations ouvertes au public soient, en application de la section 3 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la construction et de l’habitation, rendus accessibles à tous et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, lorsque le propriétaire ou l’exploitant de l’établissement ou de l’installation dépose ou s’engage à déposer un agenda d’accessibilité programmée soumis à l’approbation de l’autorité administrative et qu’il respecte cet agenda, ces formalités s’imposant pour tout établissement recevant du public ou installation ouverte au public n’ayant pas accompli les diligences de mise en accessibilité prévues par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. À cette fin, l’ordonnance précise notamment :
a) Le contenu des agendas d’accessibilité programmée relatif aux actions nécessaires à la mise en accessibilité et à leur programmation ainsi que, le cas échéant, aux dérogations sollicitées ;
b) Les modalités et les délais de présentation de l’agenda à l’autorité administrative, les cas de suspension ou de prorogation de ces délais, ainsi que les modalités et délais d’accord de cette autorité. Les modalités de présentation sont précisées, notamment pour les établissements ou installations dont le bail est en cours ou est conclu à compter de la publication des ordonnances prévues au premier alinéa du présent article. Les délais de présentation ne peuvent excéder douze mois à compter de la publication des ordonnances prévues au même premier alinéa ;
c) Les délais de réalisation des actions nécessaires à la mise en accessibilité de l’établissement ou de l’installation, en prévoyant les cas dans lesquels ces délais peuvent être suspendus ou prorogés ;
d) Les obligations du propriétaire ou de l’exploitant de l’établissement ou de l’installation en matière d’information de l’autorité administrative et de la commission prévue à l’article L. 2143-3 du code général des collectivités territoriales sur l’exécution de l’agenda, les modalités d’un point d’étape à mi-période lorsque la durée de l’agenda est supérieure à trois ans et les modalités d’attestation de l’achèvement des actions prévues à l’agenda d’accessibilité programmée ;
e) Les sanctions administratives encourues par le propriétaire ou l’exploitant de l’établissement ou de l’installation en cas de non-dépôt d’un agenda d’accessibilité programmée et de non-respect des obligations qui leur incombent en application des b à d.
Les dispositions prévues aux a à e peuvent être différentes selon le nombre d’établissements faisant l’objet d’un agenda d’accessibilité programmée appartenant à un même propriétaire ou gérés par un même exploitant, selon les caractéristiques de ces établissements, selon la nature des aménagements à y apporter ou pour tenir compte de motifs d’intérêt général ;
2° Définir les conditions dans lesquelles le propriétaire ou l’exploitant d’un établissement recevant du public ou d’une installation ouverte au public est soumis aux sanctions pénales prévues à l’article L. 152-4 du code de la construction et de l’habitation au titre de l’obligation de mise en accessibilité de ces établissements et installations ;
3° Modifier les règles d’accessibilité s’appliquant aux établissements recevant du public dans un cadre bâti existant et les modalités de leur mise en œuvre, définir les critères d’appréciation de la dérogation pour disproportion manifeste prévue à l’article L. 111-7-3 du même code et adapter la mise en œuvre de l’obligation de mise en accessibilité au cas des établissements recevant du public situés dans des immeubles en copropriété ;
4° Déterminer les règles particulières applicables aux travaux modificatifs demandés ou effectués par les acquéreurs de maisons individuelles ou de logements situés dans des bâtiments d’habitation collectifs vendus en l’état futur d’achèvement ;
5° Prévoir l’obligation d’inclure dans les parties communes des nouveaux immeubles d’habitation tout ou partie des places de stationnement adaptées aux véhicules des personnes handicapées et définir les modalités de gestion de ces places ;
6° Déterminer les modalités du suivi, au moins biennal, et de l’évaluation de l’avancement de la mise en accessibilité de tous les établissements recevant du public par l’ensemble des parties prenantes au dossier de l’accessibilité représentées dans les six collèges de l’observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle, auxquelles s’ajoutent des représentants du Parlement.
Article 2
(Texte de l’Assemblée nationale)
Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :
1° D’adapter les obligations relatives à l’accessibilité des services de transport public de voyageurs prévues par le code des transports :
a) En définissant les conditions de détermination des points d’arrêts à rendre accessibles des transports urbains et des transports routiers non urbains et les délais de leur mise en accessibilité ;
b) En précisant les conditions dans lesquelles le matériel roulant en service au 13 février 2015 est rendu progressivement accessible ;
c) En précisant la notion d’impossibilité technique mentionnée à l’article L. 1112-4 du code des transports pour les réseaux de transport existants et les modalités de fonctionnement des services de transport de substitution à mettre en place dans les conditions prévues à ce même article ;
d) En définissant un régime spécifique de mise en œuvre de l’obligation d’accessibilité du service de transport scolaire prévu à l’article L. 3111-7 du même code, prenant en compte les modalités de scolarisation des personnes handicapées arrêtées en application de l’article L. 112-2 du code de l’éducation ;
e) En prévoyant les modalités d’intégration des obligations prévues en application du b du présent 1° pour le matériel roulant routier dans les conventions mentionnées à l’article L. 1221-3 du code des transports et les modalités d’une délibération annuelle des autorités organisatrices de transport sur la mise en œuvre de l’obligation d’accessibilité des services dont elles ont la charge ;
f) En modifiant la dénomination de la procédure prévue à l’article L. 1112-7 du même code ;
2° En ce qui concerne les gares et autres points d’arrêts ferroviaires :
a) De moduler les obligations de leur mise en accessibilité selon qu’ils revêtent ou non un caractère prioritaire et d’adapter les délais de mise en œuvre de ces obligations dans les conditions prévues au 3° du présent article ;
b) De préciser les cas dans lesquels l’obligation d’accessibilité peut être mise en œuvre par la mise en place d’un transport de substitution ;
c) De préciser les conditions dans lesquelles leur propriétaire ou leur exploitant est soumis aux sanctions prévues à l’article L. 152-4 du code de la construction et de l’habitation au titre de l’obligation de mise en accessibilité de ces établissements recevant du public ;
3° De permettre de proroger le délai de mise en accessibilité du service de transport public de voyageurs au-delà de la date prévue à l’article L. 1112-1 du code des transports lorsque l’autorité organisatrice de transport ou, en l’absence d’une telle autorité, l’État a déposé un schéma directeur d’accessibilité - agenda d’accessibilité programmée approuvé par l’autorité administrative et que cette autorité organisatrice ou l’État respecte cet agenda. À cette fin, l’ordonnance précise notamment :
a) Le contenu des schémas directeurs d’accessibilité - agendas d’accessibilité programmée, leur articulation avec les schémas directeurs d’accessibilité prévus à l’article L. 1112-2 du même code et les modalités des engagements respectifs des autorités organisatrices de transport et des autorités responsables d’infrastructure dans la mise en accessibilité du service de transport public de voyageurs ;
b) Les modalités et délais de présentation des schémas directeurs d’accessibilité - agendas d’accessibilité programmée à l’autorité administrative ainsi que les cas de suspension ou de prorogation de ces délais et les modalités et délais d’accord de cette autorité. Ces délais ne peuvent excéder douze mois à compter de la publication des ordonnances prévues au premier alinéa du présent article ;
c) Selon le type de transport public, le délai maximal, au-delà de la date prévue à l’article L. 1112-1 dudit code, de réalisation des mesures prévues par un schéma directeur d’accessibilité - agenda d’accessibilité programmée et les cas dans lesquels ce délai peut être suspendu ou prorogé ;
d) Les obligations de l’autorité organisatrice de transport en matière d’information de l’autorité administrative et de la commission prévue à l’article L. 2143-3 du code général des collectivités territoriales sur la mise en œuvre du schéma directeur d’accessibilité - agenda d’accessibilité programmée et la sanction du manquement à ces obligations ;
e) Les sanctions administratives encourues en cas de dépôt à l’autorité administrative d’un schéma directeur d’accessibilité - agenda d’accessibilité programmée au-delà des délais prévus au b, en cas de manquement aux obligations définies en application du d ou en cas de non-respect des obligations de formation des personnels en contact avec le public et d’information des usagers figurant dans le schéma directeur d’accessibilité - agenda d’accessibilité programmée.
Article 3
(Texte de la commission mixte paritaire)
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi afin :
1° D’une part, de fixer le seuil démographique en dessous duquel l’élaboration par une commune d’un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, prévue à l’article 45 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 précitée est facultative, ce seuil ne pouvant être supérieur à 500 habitants, d’autre part, de déterminer les conditions dans lesquelles l’élaboration de ce plan peut être confiée à un établissement de coopération intercommunale ;
2° De fixer le seuil démographique en dessous duquel l’élaboration par une commune d’un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, prévue au même article 45, peut être circonscrite à la programmation des travaux ou équipements d’accessibilité relatifs aux voies les plus fréquentées. Ce seuil ne peut être supérieur à 1 000 habitants ;
3° D’étendre le champ des bénéficiaires des dispositions autorisant l’accès des chiens guides d’aveugle et des chiens d’assistance des personnes handicapées aux transports et aux lieux publics, ainsi qu’aux lieux d’exercice d’une activité professionnelle, formatrice ou éducative ;
4° De modifier la dénomination des commissions communales et intercommunales pour l’accessibilité aux personnes handicapées et élargir leur composition afin de tenir compte de tous les acteurs concernés par un cadre de vie adapté, et compléter leurs missions, dont celle de dresser une liste publique, par voie électronique, des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public accessibles ou en cours de mise en accessibilité, que ces derniers relèvent du secteur public ou du secteur privé ;
5° De créer un fonds destiné à recevoir le produit des sanctions financières prononcées en lien avec les agendas d’accessibilité programmée et les schémas directeurs d’accessibilité - agendas d’accessibilité programmée et de prévoir les modalités de sa gestion, associant à parité les représentants de l’État et des collectivités territoriales, d’une part, ainsi que les représentants des personnes en situation de handicap et des acteurs de la vie économique, d’autre part ;
6° De tirer les conséquences des modifications prévues au 3° de l’article 1er, aux 1° et 2° de l’article 2 et au présent article sur la rédaction de l’article 45 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 précitée ;
7° De procéder :
a) À l’extension et à l’adaptation à Mayotte du chapitre II du titre Ier du livre Ier de la première partie du code des transports et de l’article 88 de la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d’ordre social ;
b) Le cas échéant, aux adaptations nécessaires des dispositions prises en application des articles 1er et 2 de la présente loi ainsi que des 1° à 6° du présent article, en ce qui concerne le Département de Mayotte et, lorsque ces dispositions relèvent de la compétence de l’État, en ce qui concerne les collectivités de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
8° De préciser les conditions dans lesquelles est rendue obligatoire l’acquisition de compétences à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées dans la formation des professionnels appelés à être en contact avec les usagers et les clients dans les établissements recevant du public. Ces compétences doivent tenir compte de toutes les situations de handicap, particulièrement le handicap moteur, visuel, auditif, mental, cognitif et psychique, le polyhandicap et le trouble de santé invalidant.
II. – Le Gouvernement présente au Parlement, avant le 31 décembre 2014, un rapport sur les mesures mises en œuvre pour assurer la gratuité d’accès aux transports en commun pour les chiens guides d’aveugles et les chiens d’assistance pour personnes handicapées.
Article 4
(Texte de l’Assemblée nationale)
Les ordonnances prévues aux articles 1er à 3 sont prises dans un délai de cinq mois à compter de la publication de la présente loi.
Pour chacune des ordonnances prévues aux articles 1er à 3, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de cinq mois à compter de la publication de l’ordonnance.
Le Gouvernement présente au Parlement un rapport d’évaluation de la mise en œuvre des ordonnances mentionnées au premier alinéa, à l’issue d’un délai de trois ans à compter de leur publication, ainsi qu’un rapport annuel au Parlement portant sur l’utilisation du produit des sanctions financières en vue d’améliorer l’accessibilité.
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...
Le vote est réservé.
Personne ne demande la parole pour explication de vote sur l’ensemble ?...
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales (projet n° 596, texte de la commission n° 642, rapport n° 641).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont nous allons débattre et qui a déjà été enrichi par les travaux de l’Assemblée nationale et de la commission des lois du Sénat sous l’impulsion Jean-Pierre Michel est un texte visant à protéger la société, puisqu’il tend en priorité à renforcer la sécurité des Français.
Toutefois, vous en conviendrez sans doute volontiers, la sécurité ne peut pas constituer l’horizon de la démocratie. Les phénomènes de déviance sont inhérents à toute organisation sociale, et il serait illusoire de prétendre à une société qui ne connaîtrait aucune forme de délinquance. Ces phénomènes sont pris en charge par la société.
D’ailleurs, Émile Durkheim nous enseigne que la capacité d’une société à régler les conflits en son sein s’exprime nécessairement par le bien. Par conséquent, l’idéal de sécurité totale est à la fois dangereux et trompeur : il est dangereux dans la mesure où il comporte une restriction potentiellement sans limite des droits et des libertés ; il est trompeur en ce qu’il suppose que l’on pourrait éliminer tous les risques.
Cela étant, nous devons faire tout notre possible pour limiter au maximum le nombre de victimes et pour accompagner celles-ci, conformément au devoir de solidarité que leur doit le corps social tout entier, à travers l’action de l’État. Toutefois, nous ne pouvons pas laisser croire que tout acte de délinquance peut être évité.
Nous devons aussi rendre effectif ce devoir de solidarité et faire en sorte non seulement que les personnes ayant enfreint la loi soient sanctionnées à la mesure de l’acte qu’elles ont commis, mais encore que leur réinsertion dans le corps social soit préparée.
Ces deux exigences ont inspiré la rédaction du présent projet de loi, qui, s’il est adopté, confortera le contrat social dans la mesure où il vise à protéger davantage et mieux, et affermira le pacte républicain grâce à l’action de cohésion qu’il prévoit.
Parce qu’il s’agit d’un sujet important qui concerne toute la société, et parce que nous avons le souci de réussir, nous avons choisi une méthode novatrice pour préparer ce texte.
Vous connaissez l’essentiel des travaux conduits pendant cinq mois par la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. J’ai eu la chance de pouvoir mobiliser des personnes de très grande qualité, de sensibilités et de parcours différents, qui ont accepté, en dépit de leurs divergences, de travailler ensemble.
Ainsi, le comité d’organisation a pu élaborer un état des savoirs sur la prévention de la récidive à l’échelle nationale et internationale. Il a préparé les travaux du jury de consensus et tenu deux audiences publiques ayant rassemblé 2 300 personnes. Le jury a voté à l’unanimité douze préconisations qu’il nous a soumises, à partir desquelles j’ai ouvert moi-même trois cycles de consultations. Le texte qui en est résulté a évidemment suivi le processus habituel des travaux interministériels. J’ai par ailleurs effectué un tour de France, afin d’informer le plus précisément possible et de convaincre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que vous enrichirez encore en séance plénière le présent projet de loi, qui, je le répète, a déjà été examiné par l’Assemblée nationale et par votre commission des lois.
Ces travaux nous ont permis de dresser un état des lieux le plus rigoureux possible, car nous avons choisi de nous fonder sur des connaissances évaluées, des expériences encadrées qui ont été menées aussi bien en Europe, notamment en France, qu’en Amérique du Nord, principalement au Canada. Nous avons alors constaté l’inefficacité des méthodes employées et l’existence d’un risque psychologique résultant de l’impuissance de l’action publique.
Qu’est-ce qui justifie ce bilan ?
D’abord, l’inflation législative, qui, de par sa propre spirale, a révélé l’inefficacité des choix opérés : ces dix dernières années, la procédure pénale a été modifiée à trente-trois reprises, tandis que le droit pénal l’a été soixante-sept fois !
Puis, une politique du chiffre qui a exercé une pression très forte sur les forces de sécurité de police et de gendarmerie et qui a été dénoncée par les syndicats de police.
Ensuite, une déconnexion entre la politique pénale et la politique carcérale, chacune, d’une certaine façon, vivant sa vie, suivant sa logique et sa propre rationalité, l’une avec sa fureur, en tout cas ses excès, et l’autre avec son embolie, de sorte qu’il a fallu envisager des pis-aller, notamment des automatismes en matière de gestion des flux carcéraux – je pense notamment à la procédure simplifiée d’aménagement des peines ou à la surveillance électronique de fin de peine –, afin de tenter de contenir les effets des automatismes d’incarcération.
Enfin, un élargissement du champ contentieux, par l’entrée de certains actes qui relevaient jusque-là des contraventions dans le champ délictuel, et une aggravation de la durée des peines, et donc de la durée d’incarcération, qui, en moyenne, est passée ces dix dernières années, de huit à onze mois. Il en est évidemment résulté une augmentation de la population carcérale de 35 % qui est sans corrélation avec l’augmentation de la démographie, d’environ 7 % sur la même période, ou avec l’évolution des taux de délinquance.
Quels ont été les résultats obtenus ?
Premièrement, l’objectif affiché de lutter contre la récidive n’a pas été atteint. En effet, le taux de condamnation pénale de la récidive légale a crû de 4,9 % à 12,1 % au cours de la période considérée, c’est-à-dire entre 2001 et 2011.
Deuxièmement, la surpopulation carcérale qui en est résultée a entravé le travail de préparation à la sortie de prison, précisément destiné à prévenir la récidive. Souvenons-nous que 76 % des personnes condamnées exécutent une peine de prison de moins d’un an et 56 % une peine de moins de six mois. Ces délais sont trop courts pour qu’il soit possible de préparer convenablement une réinsertion sociale. De surcroît, 98 % de ces condamnés entrent dans la catégorie des sorties sèches. Ces dernières se font sans aucune mesure d’accompagnement ou d’encadrement, sans la moindre contrainte.
La plupart du temps, lorsqu’elles sont libérées, ces personnes subissent une rupture sociale plus forte encore qu’à leur entrée en prison. De fait, 7 % des personnes incarcérées sont sans domicile fixe. En tout, 14 % des individus sortant des établissements pénitentiaires n’ont aucune solution d’hébergement. De cette situation découle une rupture sociale aggravée.
Et je n’insisterai pas sur les taux d’addiction. Au moins 25 % des détenus présentent une addiction. Une part un peu plus élevée encore en présente deux. Le taux d’illettrisme s’établit quant à lui à 27,8 % environ au sein des établissements pénitentiaires, niveau bien supérieur à la moyenne nationale.
Le taux d’incarcération n’a cessé de croître. Aujourd’hui, le surpeuplement des maisons d’arrêt avoisine les 140 % – il est, pour être tout à fait précise, de 138,8 %. Quelque 1 200 prisonniers dorment sur des matelas posés par terre ! On ne peut pas prétendre que ce sont là les conditions idéales pour préparer la sortie des détenus, pour garantir que, de retour dans la société, ils cessent d’être des dangers potentiels.
Voilà quelques instants, j’évoquais la pression du chiffre exercée sur les services d’enquête. Cette méthode a évidemment contribué à engorger les tribunaux. Elle a surtout saturé les services d’enquête et accaparé leurs effectifs, leurs moyens, leur temps et leur énergie, pourtant si nécessaires au démantèlement des réseaux criminels.
Sur la base de ces éléments, nous avons jugé utile de concevoir une politique pénale rationnelle, fondée sur la connaissance et l’évaluation de la situation réelle, bref sur l’expérience. Cette politique répond très clairement à un principe essentiel : l’efficacité de la peine.
Il s’agit d’élaborer un certain nombre de critères pour bien définir la peine. Je songe notamment à son individualisation.
Plus généralement, la condamnation doit servir à punir, mais son exécution doit préparer la réinsertion.
Ce principe est valable pour les longues peines, qui punissent les crimes. Il l’est également pour les courtes peines, qui répriment les délits. Je rappelle à ce propos que le présent projet de loi ne vise que les délits : il s’agit en l’espèce d’apporter des réponses efficaces à ce que l’on appelle la « petite » délinquance. L’adjectif renvoie au niveau de gravité des actes, eu égard à leur place sur l’échelle des peines. Cela étant, cette délinquance peut avoir des conséquences redoutables pour les victimes, notamment pour les plus vulnérables d’entre elles.
Pour mener ce travail méthodique et rigoureux, nous avons bien sûr pris soin d’observer ce qui se pratiquait dans d’autres pays. Mais, lorsque nous procédons ainsi, nous agissons avec discernement : les exemples étrangers ne doivent pas être transposés de manière mécanique en France.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ils doivent être étudiés en fonction de la logique de ce qui a été conçu ailleurs, en tenant compte d’un certain nombre de paramètres différant des nôtres. Je pense aux codes sociaux, aux références historiques, aux codes culturels, sans oublier divers critères sociologiques ou états d’esprit collectifs.
En tout état de cause, ce qui est capital, et ce qui, du reste, se révèle efficace, c’est de concevoir les politiques publiques sur la base de l’histoire du pays qui les élabore.
Voilà pourquoi nous avons interrogé l’histoire de la France elle-même. Ce passé forme le terreau d’une politique publique efficace, étant donné qu’il conduit à la penser sur la base d’une trajectoire, ponctuée d’un certain nombre de codes et de références stables.
Dans notre histoire, la question de la réinsertion occupe une place extrêmement importante. Elle s’est, à plusieurs reprises, trouvée au cœur des enjeux pénaux. Au fil du temps, les législateurs ont conçu un droit pénal et des politiques pénales en s’appuyant sur leur propre conception de l’utilité et de l’efficacité de la peine.
Cette tradition pénale, progressivement enrichie, nous vient de la Révolution française, qui marque une inflexion forte en la matière avec le code pénal de 1791. Ce texte a aboli la plupart des supplices – certains d’entre eux ont été maintenus, qu’il a fallu supprimer au cours des décennies suivantes.
Au-delà, je songe à la philosophie des Lumières qui, pour la première fois, a théorisé la limitation de la peine.
En 1789, l’un des rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Adrien Duport, affirmait que, en matière de peines, le minimum était ordonné par l’humanité et conseillé par la politique. Il ajoutait : toutes les fois que la finalité de la loi peut être atteinte par une peine, c’est barbarie et crime pour le législateur d’en employer une plus forte.
Adrien Duport rejoignait en cela un principe très clairement énoncé par Cesare Beccaria, dans son Traité des délits et des peines : celui des peines strictement nécessaires.
Cette conception de l’utilité et de l’efficacité de la peine n’a cessé de s’enrichir et de s’étendre, conformément à une tradition humaniste qui s’inscrit dans l’histoire de la France. Elle appartient à l’héritage républicain, mais pas exclusivement. En effet, si elle s’est développée à une époque où la société tendait à devenir plus laïque, elle a parallèlement été défendue, avec ardeur, par la droite chrétienne.
Sous la Restauration, plusieurs actes forts ont été accomplis, notamment grâce à l’influence et aux initiatives de la Société royale pour l’amélioration des prisons.
Sous la monarchie de Juillet, il faut citer les nombreux débats relatifs au régime pénitentiaire, et l’action de Charles Lucas, inspecteur général des prisons, catholique social, qui a fortement inspiré la loi du mois d’avril 1832. Ce texte a abrogé l’un des supplices qui avaient survécu à l’instauration du code pénal de 1791, à savoir l’amputation du poing en cas de parricide. Il a supprimé la marque au fer rouge pour les personnes condamnées aux travaux forcés. Il a incité les juridictions à déroger aux peines minimales contenues dans le code au vu de la personnalité de l’auteur de l’acte visé et des circonstances de l’infraction.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette conception s’est étoffée à la Chambre des pairs puis au Sénat, notamment grâce au travail du sénateur René Bérenger.
M. Yves Détraigne. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce dernier a œuvré de concert avec le sénateur Victor Schœlcher, pour lequel, vous le savez, j’ai une estime et une affection particulières. René Bérenger, catholique affiché, siégeait au centre de cet hémicycle. Victor Schœlcher, pour sa part, était un républicain résolu et un athée assumé. Il a d’ailleurs été surpris de l’émoi de la déclaration qu’il avait faite, à ce propos, dans cette enceinte. Tous deux ont conduit une commission d’enquête sénatoriale relative aux conditions de détention.
J’ajoute que René Bérenger est à l’origine de la loi du 14 août 1885 créant la libération conditionnelle, puis de la loi du 26 mars 1891 instaurant le sursis simple.
La gauche est évidemment très marquée par cet héritage, par cet humanisme pénal. Entre 1875 et 1885, elle s’est révélée très active et très unie contre les lois d’exclusion, notamment contre les lois de relégation des multirécidivistes dans les bagnes coloniaux, en Nouvelle-Calédonie puis en Guyane.
Clemenceau, figure emblématique de cette époque, s’est opposé à ces textes législatifs, en déclarant que toute pénalité n’aboutissant pas à l’amendement du coupable était une mesure insuffisante de préservation sociale, et qu’elle devenait inutile dès lors que cet objectif était atteint.
Tel est bien l’esprit qui a inspiré la conception de la contrainte pénale, qui doit être adaptée, ajustée et évaluée.
Au début du XXe siècle, cet engagement de la gauche, quant à l’utilité et à l’efficacité de la peine, et la conception humaniste de la sanction, qui se doit d’être socialement utile, ont été incarnés par Jean Jaurès. Souvenons-nous en particulier de son combat, en 1908, contre la peine de mort.
Au sortir de Seconde Guerre mondiale, le Conseil national de la résistance a inspiré, dans ce domaine, l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante défendue par le général de Gaulle. L’exposé des motifs de ce texte dispose : « La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »
C’est à cette même époque qu’a été mise en œuvre la réforme pénitentiaire, ou réforme Amor. Le premier de ses quatorze principes a affirmé, comme finalité essentielle de la peine privative de liberté, l’amendement et le reclassement social du condamné.
Durant toute cette période se déploie la défense sociale nouvelle, chère au cœur et à l’esprit de M. le rapporteur, créée et animée par Marc Ancel dans le sillage des travaux et de la réflexion de Raymond Saleilles, qui, le premier, a conçu l’individualisation des peines. Ce courant a donné lieu à la création du sursis avec mise à l’épreuve en 1958. (M. le rapporteur opine.)
Viennent ensuite les travaux et les initiatives de Robert Badinter en tant que garde des sceaux. En 1982 a été votée la première loi de protection des victimes d’infractions, cependant qu’était créé le premier bureau d’accueil des victimes. Il s'agissait de donner à ces dernières une place dans le procès pénal. Surtout, il faut rappeler l’action menée pour l’abolition de la peine de mort, sans oublier la création, en 1983, du travail d’intérêt général.
Par le biais de la loi du 15 juin 2000, Élisabeth Guigou a renforcé la présomption d’innocence, étendu la protection des victimes et créé le juge des libertés et de la détention.
Le Sénat s’inscrit durablement dans cette tradition humaniste, dans cette conception de l’utilité sociale de la peine.
J’ai rappelé les travaux de Bérenger et de Schœlcher. Il y en a eu d’autres, et ce plus récemment, vous le savez parfaitement. Les références sont nombreuses. Je citerai par exemple le rapport publié en 2000 par la commission d’enquête menée par MM. Hyest et Cabanel. Avec le rapport du premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, l’ouvrage du docteur Vasseur et les travaux de l’Assemblée nationale, ce document a contribué à la prise de conscience, dans notre société, de la nécessité de penser la peine et le régime pénitentiaire. Il fallait préparer nos concitoyens à cette idée : la prison doit être un espace de droit.
Ces travaux s’inscrivent dans une dynamique marquée, en 1995, par un revirement de la jurisprudence du Conseil d’État. À cette époque, ce dernier a cessé de considérer que les décisions de l’administration pénitentiaire relevaient simplement de mesures d’ordre interne. Il a engagé la construction d’une jurisprudence reconnaissant les droits fondamentaux des détenus, lesquels ont commencé à être considérés comme des sujets de droit.
D’une certaine manière, ce processus a abouti, en 2007, à la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Les attributions de celui-ci ont été enrichies et renforcées sur l’initiative de la Haute Assemblée avant le départ de M. Delarue, ce sur la base d’une proposition de loi de Mme Catherine Tasca.
Bien entendu, la loi pénitentiaire de 2009 constitue un second aboutissement. Elle a été fortement enrichie par le Sénat.
M. Jean-Jacques Hyest. Ça c’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le rapporteur, Jean-René Lecerf, qui a très largement consolidé ce texte, déclarait à l’époque que, en matière correctionnelle, les peines d’emprisonnement devaient constituer l’ultime recours. Il ajoutait que l’exécution de la peine devait être orientée vers la réinsertion de la personne détenue.
Quant à vous, monsieur Hyest, qui présidiez alors la commission des lois du Sénat, vous avez fortement approuvé cette réforme. En effet, vous avez déclaré au cours de ce débat que les courtes peines engendraient plus souvent la récidive que l’exemplarité,…
M. Jean-Jacques Hyest. Et je maintiens mes propos !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et qu’il fallait penser à d’autres solutions que la détention.
Ce texte de très grande qualité a reçu un vote unanime, après avoir été enrichi par tous les groupes du Sénat selon leurs sensibilités.
C’est dire que lorsque je parle de tradition pénale humaniste, qui s’inscrit dans la durée, je parle de la vôtre, de la nôtre, celle qui veille avec constance à l’avancée des sociétés humaines. Elle est tournée vers le rétablissement du lien social, quand celui-ci se déchire de toutes parts, et vers le respect de la dignité, qui occupe une place centrale dans la modernité.
C’est la dignité des victimes, que nous devons respecter et accompagner, auxquelles nous devons offrir réparation et que nous n’avons pas le droit de réduire en quelque sorte à des boules de vengeance.
C’est la dignité des condamnés, qui, parce qu’ils doivent pouvoir réintégrer le corps social, ne peuvent être réduits à l’acte qu’ils ont commis, et encore moins à ceux qu’ils pourraient commettre.
C’est enfin la dignité, souvent oubliée, des personnels pénitentiaires, qui doivent pouvoir exercer leur mission dans des conditions ni indécentes ni absurdes, comme elles le sont pourtant trop fréquemment.
Par ailleurs, la peine est tournée vers l’avenir : c’est la condition de son efficacité.
Dans cette logique, le présent projet de loi, tel que nous l’avons conçu, pose le principe de l’individualisation de la peine. Un nouvel article du code pénal énoncera les finalités et fonctions de celle-ci : sanctionner et favoriser l’amendement, l’insertion et la réinsertion de la personne condamnée.
Lors des travaux de la commission des lois, M. le rapporteur a affirmé éprouver un certain malaise envers le mot « amendement », qu’il suspecte, si j’ai bien compris sa pensée, d’être quelque peu étranger à la sémantique séculière. Pourtant ce terme appartient à la tradition que je viens d’évoquer, et indique simplement que le condamné, le coupable, l’auteur de l’acte doit prendre conscience de sa responsabilité vis-à-vis non seulement de lui-même, mais aussi d’autrui à qui il a infligé un préjudice, et de la société. Cette prise de conscience est indispensable pour garantir les conditions d’une réinsertion durable.
La peine est prononcée avec sa dimension tant rétributive qu’afflictive : elle pose la stigmatisation de l’acte par rapport aux principes, aux valeurs et aux règles de la société, un acte qui, selon Durkheim, offense des « états forts […] de la conscience collective » que la sanction, justement, affermit.
En outre, la peine doit favoriser l’amendement, l’insertion et la réinsertion. À cette fin, la personne est prise en compte eu égard à sa responsabilité d’individu que l’individualisation n’annule pas, au contraire ! Les travaux de l’école de la défense sociale nouvelle, après ceux de Raymond Saleilles, indiquent bien que cette responsabilisation constitue le moteur de la resocialisation. Elle n’est donc pas écartée. Pour autant, la peine doit être prononcée au regard de l’individualité, du parcours du condamné et des circonstances.
Nous avons ainsi décidé de supprimer les automatismes qui limitaient le pouvoir d’appréciation du juge, de façon à lui permettre de prononcer la peine la plus adaptée.
Les statistiques font apparaître que les peines planchers, le premier de ces automatismes, concernent essentiellement ce que l’on appelle des « petits » délits : 47 % des vols et des atteintes aux biens en font l’objet. Ces peines ont changé les pratiques des juridictions, qui ont prononcé des sanctions plus sévères pour les délits passibles d’une peine inférieure ou égale à trois ans de détention. Auparavant, des peines équivalentes à ces peines minimales étaient prononcées dans 14 % des cas ; après l’entrée en vigueur de la loi, elles l’ont été dans 44 % des cas.
Quels ont été les résultats de cette plus grande sévérité ?
Monsieur Détraigne, lors des débats relatifs à la loi pénitentiaire, vous vous posiez la question. Vous aviez ainsi déclaré : « si la fonction de la peine est notamment d’être efficace et dissuasive, je ne suis pas certain que l’aggravation et la systématisation des peines d’emprisonnement soient la meilleure manière de lutter efficacement contre la récidive. »
Les statistiques vous donnent raison : à l’issue d’une période d’incarcération, le risque de récidive est deux fois plus élevé qu’au terme d’un sursis avec mise à l’épreuve. De surcroît, le code pénal est déjà sévère et prévoit des circonstances aggravantes d’où résultent des peines très lourdes. Aujourd’hui, comme, déjà, le code pénal de 1791, il inclut la condition de récidive, emportant un doublement de la peine encourue.
Nous avons donc décidé de supprimer les automatismes, les peines planchers et la révocation automatique des sursis. Il va de soi, toutefois, qu’une juridiction pourra décider de révoquer un sursis, si elle le juge utile.
Nous avons également introduit la césure du procès pénal, autorisant la juridiction à procéder en deux temps : elle déclarerait d’abord rapidement la culpabilité et prononcerait les mesures d’indemnisation de la victime, ou des victimes, s’il y en a, puis, à partir d’éléments concernant l’auteur recueillis par enquête, elle déciderait de la sanction. C’est une option offerte, et non une obligation.
Nous créons la contrainte pénale : une peine autonome, en milieu ouvert, déconnectée de la prison, contrairement au sursis avec mise à l’épreuve qui est une peine d’emprisonnement aménagée partiellement ou totalement par la suite. Cette différence de conception produit une rupture symbolique avec l’idée selon laquelle l’incarcération, la prison, est la seule réponse possible en sanction d’un acte délictueux.
La contrainte pénale diffère du sursis avec mise à l’épreuve – nous y reviendrons au cours de la discussion des articles –, car elle s’appuie sur une évaluation préalable obligatoire de la personnalité et de la situation du condamné et débute dès le prononcé de la sanction, étant exécutoire par provision. Le juge d’application des peines peut, en outre, prononcer des obligations et des interdictions plus larges que dans le cadre d’un sursis avec mise à l'épreuve. Le contrôle est effectué à l’aide d’un programme de responsabilisation, permettant de prononcer une peine ajustée, évaluée régulièrement et adaptable.
Grâce à certaines dispositions, les forces de sécurité de police et de gendarmerie pourront participer au contrôle, sous forme de retenues ou de visites domiciliaires. Le fichier des personnes recherchées se trouve en outre enrichi des obligations importantes permettant de procéder à ce contrôle.
Bien entendu, le constat d’un échec total conduirait à une incarcération.
Cela étant, la contrainte pénale est appelée à être prononcée en cas d’infractions qui font l’objet aujourd’hui d’un sursis avec mise à l'épreuve et dont l’auteur, en raison de sa personnalité, nécessite un suivi, ou lorsque de courtes peines d’emprisonnement sont encourues. Actuellement, selon la loi pénitentiaire, si aucun mandat de dépôt n’est délivré, ces peines doivent être aménagées et ne sont donc pas immédiatement exécutoires.
M. le rapporteur a introduit une disposition nouvelle en la matière, que nous étudierons ultérieurement. Comme je l’ai indiqué devant la commission des lois, nos philosophies divergent un peu : pour notre part, nous entendions faire référence non pas à certains types d’infractions, mais plutôt à la personnalité de l’auteur de l’acte nécessitant un suivi plus ajusté.
Par ailleurs, les études et les statistiques l’ont prouvé, les risques de récidive sont plus élevés dans le cas d’une sortie sèche que dans celui d’une libération conditionnelle. Nous avons donc introduit la libération sous contrainte : aux deux tiers de l’exécution de la peine, un rendez-vous judiciaire obligatoire permettra à la commission d’application des peines de décider éventuellement d’une telle libération, sous forme de placement à l’extérieur, tels le placement sous bracelet électronique, la semi-liberté, ou de libération conditionnelle. Cette commission pourra évidemment s’en tenir au maintien en détention.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les principales dispositions du présent projet de loi, dont nous nous allons débattre.
Pour répondre à la préoccupation que vous avez exprimée à plusieurs reprises, je vous l’assure, le Gouvernement s’est donné les moyens pour accompagner ces mesures normatives. Tout d’abord, il prévoit une augmentation de 25 % du corps des conseillers d’insertion et de probation grâce à un millier de recrutements en trois ans ; 400 postes seront créés en 2014, après les 63 qui l’ont été l’année dernière. Malgré le contexte budgétaire contraint, nous avons également créé l’an dernier 49 postes de juge d’application des peines, ainsi que des postes de greffier, mesure que nous réitérons cette année.
Monsieur Lecerf, dans votre rapport sur l’application de la loi pénitentiaire, vous aviez observé que le renforcement du corps des conseillers d’insertion et de probation était important pour ce qui concerne l’aménagement des peines.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous nous y attelons.
Nous avons pris en outre un certain nombre de mesures que j’aurais l’occasion de développer très probablement après la présentation de la motion tendant à opposer la question préalable. Je vous indiquerai alors les dispositions que nous avons introduites dans ce texte en ce qui concerne les politiques publiques, les moyens, les victimes, ainsi que tout ce que nous avons déjà mis en place durant deux ans.
Par ce texte, nous introduisons la justice restaurative. Nous avons réécrit l’article 707 du code de procédure pénale qui rassemblera, en quelque sorte, les droits des victimes. Ceux-ci, que nous renforçons, étaient auparavant épars dans le code susvisé. Et nous faisons en sorte de garantir le droit à la sûreté et à la sécurité dont jouit la victime dans le processus d’exécution de la peine.
Nous avons introduit dans le projet de loi, en collaboration avec l’Assemblée nationale, des mesures relatives à l’aide aux victimes et, vous le savez, nous travaillons sur les procédures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai à vos interrogations et à vos inquiétudes quant aux politiques publiques et aux moyens que nous consacrons au succès du présent projet de loi.
Il s’agit d’un texte de raison, telle que l’entendaient les philosophes des Lumières comme Berthold Brecht, qui, dans La vie de Galilée, écrivait : « la vieille qui la veille du voyage, de sa main rude, donne une touffe de foin supplémentaire au mulet, le capitaine de navire qui pour l’achat des vivres pense à la tempête aussi bien qu’à l’accalmie, l’enfant qui enfonce son bonnet sur la tête quand on lui a démontré qu’il pourrait pleuvoir, eux tous sont mon espérance, eux tous se laissent convaincre par des raisons. Oui je crois en la douce violence de la raison sur les hommes. À la longue ils ne peuvent pas lui résister. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Muguette Dini et M. Jean-René Lecerf applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après cet exposé magistral d’histoire du droit pénal et de la prison, mâtiné de sociologie et de philosophie, j’en viendrai à des propos plus triviaux. Le rapporteur doit vous exposer le projet de loi tel qu’il était et tel que la commission a souhaité qu’il devînt.
Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale, qui y a ajouté un certain nombre d’articles. Il en comporte aujourd’hui une cinquantaine. Comme l’a indiqué madame la garde des sceaux, il fait suite aux travaux de la conférence de consensus. Une telle méthode a déjà été utilisée, mais c’est la première fois que, en matière judiciaire, une consultation aussi large, dont les acteurs sont aussi variés, précède l’élaboration d’un projet de loi. Ce texte est donc pensé, et non une réponse à un fait divers quelconque, aussi dramatique soit-il.
Il vise à remettre le principe d’individualisation de la peine au cœur de la mission du juge, quoi que puissent en dire certains magistrats. Dans la continuité de la loi pénitentiaire, il affirme que la sanction pénale doit permettre avant tout la réinsertion du délinquant – je préfère, quant à moi, parler de resocialisation –, afin d’éviter la récidive.
Dans ses modalités, c’est un texte prudent, qui ne va pas aussi loin que certains l’auraient souhaité, notamment le jury de consensus, mais qui, compte tenu de l’état de l’opinion publique sur les sujets en cause et de la contre-information à laquelle se livrent un certain nombre de médias particulièrement mal intentionnés, me paraît équilibré. Je vous proposerai donc, mes chers collègues, de l’adopter dans la rédaction qu’a retenue la commission des lois.
Mais avant d’en aborder le contenu, je ferai un bref rappel relatif au contexte général.
Nous sommes actuellement dans une période d’inflation pénale et carcérale. Malgré la diversification des sanctions pénales, la prison reste la peine de référence pour les magistrats. Avec 68 645 personnes détenues au 1er mai dernier, nous avons renoué avec les taux d’incarcération de la fin du XIXe siècle. C’est à croire que tout ce qui a été fait depuis n’a pas servi à grand-chose…
En valeur absolue, notre pays se situe dans une position médiane par rapport à ses voisins européens, mais, à la différence de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni où le taux d’incarcération diminue, le nombre de détenus en France continue à augmenter rapidement et constamment : il a crû de 8 % entre 2009 et 2014 et, aujourd’hui, le taux de détention est de 103 pour 10 000 habitants.
Ce fait tient principalement selon moi à deux facteurs : d’une part, l’augmentation de la durée des peines prononcées, en lien notamment avec les peines planchers et, d’autre part, l’augmentation du nombre d’entrées en détention, en particulier pour des courtes peines.
Or, on le sait, les établissements pénitentiaires ne sont pas en mesure d’accueillir l’ensemble de ces détenus : un quart des prisons françaises présente un taux d’occupation supérieur à 150 % et environ 1 200 détenus dorment actuellement sur des matelas posés par terre dans les cellules.
Cette situation de surpopulation carcérale soulève de nombreuses difficultés – promiscuité, violences, agressions envers les personnels pénitentiaires… – et ne permet pas à l’administration pénitentiaire de mettre en œuvre des projets de réinsertion qui tiennent la route.
À cet égard, le bilan de l’application de la loi pénitentiaire est encore décevant, comme l’avaient souligné dans leur rapport d’information, voilà deux ans, Jean-René Lecerf, qui fut également le rapporteur de la loi pénitentiaire, et Nicole Borvo, qui a depuis quitté notre assemblée.
S’agissant, par exemple, de l’obligation d’activité, elle correspond à environ quatre heures trente d’activités offertes en moyenne par semaine aux détenus, pour l’essentiel sport ou fréquentation de la bibliothèque.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh voilà !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Par ailleurs, les aménagements de peine ont effectivement beaucoup augmenté, comme le prévoyait la loi pénitentiaire, mais surtout au bénéfice du placement sous surveillance électronique, qui consiste, pour l’essentiel, à vérifier que le condamné se trouve à son domicile aux heures fixées par le juge. Actuellement, 11 048 détenus sont dans cette situation. À l’inverse, les mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur, qui permettent de travailler à la réinsertion, sont très peu développées.
Dans ces conditions, les sorties sèches demeurent majoritaires : 80 % des détenus quittent la prison sans avoir fait l’objet d’un accompagnement, mais cette proportion s’établit à 84 % pour les condamnés à une peine d’emprisonnement de six mois à un an, et même à 98 % pour ceux dont la peine est inférieure à six mois.
Or, on le sait, ces sorties sèches augmentent le risque de récidive à la sortie. Les condamnés se réinsèrent dans le milieu d’où ils viennent, c'est-à-dire dans celui de la délinquance, d’où ils ne sont sortis que pour entrer en prison.
C’est d'ailleurs l’une des raisons pour lesquelles certains de nos voisins européens – je ne parle pas de pays exotiques comme le Canada ou les pays nordiques – ont interdit, sauf exception, le recours aux courtes peines d’emprisonnement. Ainsi, le droit allemand contient une disposition spécifique concernant les courtes peines qui limite la possibilité pour le juge de prononcer des peines inférieures à six mois d’emprisonnement. Lorsqu’il le fait, il doit motiver sa décision spécifiquement en fonction de la gravité de l’infraction ou de la personnalité de l’auteur. La Suisse, quant à elle, interdit le prononcé de peines de moins de six mois d’emprisonnement. En regard de ces dispositions, la peine de contrainte pénale apparaît comme extrêmement timorée.
Cette situation n’a pas été améliorée par les lois sur la récidive qui ont été adoptées entre 2005 et 2012.
Vous trouverez dans mon rapport, mes chers collègues, une présentation de l’ensemble des mesures adoptées, dont la plus emblématique concerne l’instauration de peines planchers. Notez aussi une restriction des conditions d’accès aux aménagements de peine, une surveillance plus facile à la fin de la peine et des dispositions relatives aux mineurs destinées à écarter l’excuse de minorité et à instaurer des tribunaux correctionnels pour mineurs, à la place des tribunaux pour enfants.
En apparence, ces lois reposent sur une logique, qui peut se comprendre et se défendre, de gradation de la réponse judiciaire face à quelqu’un qui s’entête dans la délinquance.
En réalité, les réponses apportées ne sont pas pertinentes.
D’une part, la notion de récidive légale est une notion juridique complexe – le grand public n’y comprend rien ! –, qui se distingue du concours d’infractions et de la réitération d’infractions, et qui ne reflète donc pas ce que les gens entendent habituellement par récidive.
D’autre part, cette logique de gradation de la réponse pénale n’est pas toujours adaptée aux situations concrètes et aux différentes trajectoires de sortie de la délinquance – on parle de « désistance » – qui sont loin d’être rectilignes.
Sur ces sujets, la règle classique de doublement des peines encourues en cas de récidive permet déjà au juge d’adapter le quantum de la sanction au cas d’espèce, comme le faisait remarquer au cours d’une réunion de la commission Mme Tasca.
Je dirai enfin un mot des peines exécutées en milieu ouvert. Un paradoxe a été relevé par la Cour des comptes en 2010 : ces peines sont « quantitativement importantes, mais qualitativement négligées ».
Je veux notamment parler du sursis avec mise à l’épreuve, ou SME, qui représente les trois quarts des mesures suivies en milieu ouvert par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SPIP – près de 80 000 SME ont été prononcés en 2011, dont un tiers dans le cadre d’une « peine mixte » –, ou encore du travail d'intérêt général, le TIG – 15 000 peines prononcées en 2011. En revanche, les peines alternatives, comme les stages ou les annulations du permis de conduire, sont beaucoup moins prononcées.
Ces peines sont pourtant intéressantes, car elles favorisent un suivi et permettent d’éviter la désocialisation liée à une incarcération, mais leurs conditions d’exécution posent des problèmes de moyens, nous le savons bien, monsieur Détraigne.
Pour ce qui concerne le SME, en particulier, les contraintes imposées à la personne ne sont pas toujours bien adaptées, les délais d’exécution sont souvent longs, et, très fréquemment, la prise en charge par le SPIP se résume à un simple contrôle du respect des obligations, sans suivi particulier axé sur la réinsertion et la prévention de la récidive.
Nous avons déjà souvent parlé des difficultés rencontrées pour multiplier les offres de TIG auprès des collectivités locales et des organismes publics, notamment.
Ces difficultés sont singulièrement imputables à la crise d’identité que traversent les SPIP en milieu ouvert. Jean-René Lecerf l’avait d'ailleurs évoquée dans son rapport pour avis budgétaire voilà quelques mois : à l’heure actuelle, les SPIP sont saturés. En théorie, chaque conseiller suit environ 90 mesures ; en réalité, ce ratio atteint souvent 150 à 200 mesures par conseiller, ce qui est anormal. Par comparaison, un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse suit en moyenne 25 mineurs.
Les SPIP sont donc confrontés à une crise d’identité, avec le recentrage de leurs missions sur la prévention de la récidive qui a laissé de côté le travail social. La loi du 27 mars 2012, à laquelle nous nous étions opposés, leur a retiré une grande partie des enquêtes de personnalité présentencielles.
C’est dans ces conditions que les personnels des SPIP vont faire l’objet d’un renouvellement de générations dans les années à venir, avec l’annonce par le Gouvernement du recrutement de 1 000 personnels supplémentaires d’ici à 2017, soit une augmentation du corps de l’ordre de 25 %, pour permettre l’application du présent projet de loi.
Ainsi, 400 postes ont d’ores et déjà été ouverts par la loi de finances pour 2014, l’objectif, énoncé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault – mais le Gouvernement actuel suit le précédent sur ce point – lors du dépôt du présent projet de loi, étant de parvenir, à terme, à un ratio de 40 mesures par conseiller de probation.
J’en viens maintenant, après cette introduction un peu longue, au texte lui-même, qui a été significativement enrichi par les travaux de l’Assemblée nationale.
Je reviens très rapidement sur le projet de loi initial du Gouvernement.
Il contient notamment un important volet consacré à l’individualisation des peines, avec la suppression des peines planchers et le rétablissement de l’obligation de motivation de toute peine d’emprisonnement ferme non aménagée, y compris pour les récidivistes. La révocation du sursis ne sera également plus automatique.
Par ailleurs, le projet de loi crée une nouvelle procédure de césure du procès pénal pour mener des investigations sur la personnalité, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les mineurs.
Il prévoit aussi de développer la probation, en s’inspirant d’expériences conduites dans les pays anglo-saxons et sur les recommandations du Conseil de l’Europe. Il crée notamment une nouvelle peine, dite de « contrainte pénale » – une autre appellation aurait pu être trouvée, car il s’agit d’une véritable tautologie ! – susceptible d’être prononcée pour des infractions punies de cinq ans d’emprisonnement au maximum lorsque la personnalité de l’auteur justifie un accompagnement socio-éducatif renforcé.
Cette peine pourrait être prononcée pour une durée de six mois à cinq ans – c’est très long – et comprendrait des mesures d’assistance, de contrôle et de suivi, ainsi que certaines obligations ou interdictions – exécution d’un stage, d’un TIG, réparation du dommage causé à la victime, injonction de soins, etc.
Sa mise en œuvre reposera avant tout sur les juges d’application des peines et les conseillers d’insertion et de probation. Une réévaluation régulière de la situation de la personne en cause sera mise en place.
Par ailleurs, afin de limiter les sorties sèches, le projet de loi crée une procédure de libération sous contrainte, qui obligera l’administration pénitentiaire à examiner la situation de toutes les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans lorsqu’elles ont exécuté les deux tiers de leur peine, afin de décider, si possible, une mesure de sortie encadrée.
À l’inverse, sans que l’on comprenne parfaitement la cohérence d’ensemble du projet, l’article 7 revient sur l’une des mesures essentielles de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, en ramenant de deux ans à un an pour les non-récidivistes, et de un an à six mois pour les récidivistes, le seuil d’emprisonnement permettant un aménagement de peine ab initio.
Le texte met également l’accent sur la nécessité d’éviter les ruptures de prise en charge entre le milieu fermé et le milieu ouvert en associant plus étroitement les services publics concernés.
Il reconnaît expressément les droits des victimes tout au long de l’exécution de la peine.
Il renforce aussi les pouvoirs de police et de gendarmerie en matière de contrôle du respect, par une personne condamnée, des obligations résultant de sa condamnation.
Si les députés ont peu modifié les articles du projet de loi initial, ils ont en revanche procédé à de nombreux ajouts. Je souligne ici la qualité du travail du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Dominique Raimbourg.
Quant aux articles du projet de loi initial, je mentionnerai essentiellement trois sujets.
D’abord, pour ce qui concerne les aménagements de peine, les députés ont prévu un quantum unique d’un an d’emprisonnement, applicable aux non-récidivistes comme pour les récidivistes.
Ensuite, à l’égard du champ de la contrainte pénale, ils sont parvenus à un compromis avec le Gouvernement, en prévoyant que la contrainte pénale s’appliquera aux délits punis de cinq ans d’emprisonnement jusqu’au mois de janvier 2017, et, à compter de cette date, à tous les délits. Je proposerai sur ce point des modifications.
Enfin, ils ont prévu que les forces de police et de gendarmerie pourraient recourir à la géolocalisation et à l’interception des communications lorsqu’elles soupçonnent une personne de ne pas respecter les obligations résultant de sa condamnation.
Nos collègues députés ont par ailleurs enrichi le texte de trente articles nouveaux.
Je mentionnerai notamment plusieurs dispositions sur les victimes, la consécration des bureaux d’aide aux victimes, la possibilité de recourir à la justice restaurative avec l’accord de la victime, une nouvelle procédure d’indemnisation lorsque la victime ne s’est pas constituée partie civile et la création – sur laquelle nous reviendrons – d’une sorte de taxe de 10 % sur toutes les amendes pénales prononcées, afin de financer l’aide aux victimes.
Pour ce qui concerne l’exécution des peines, les députés ont en particulier prévu que, lorsqu’un condamné n’aura pas pu ou pas voulu bénéficier d’un aménagement de peine, il pourra être soumis par le juge d’application des peines, pendant la durée des crédits de peine et des réductions supplémentaires de peine, au respect de certaines mesures de contrôle, obligations ou interdictions afin de permettre sa réinsertion.
Les députés ont par ailleurs intégré les dispositions de la proposition de loi de notre ancienne collègue Hélène Lipietz relative à la création d’un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d’ordre médical, votée à l’unanimité par le Sénat au mois de février dernier, et allégé la procédure de suspension de peine pour raisons médicales.
Les députés ont également ajouté un volet relatif à la prévention de la délinquance, en proposant plusieurs mesures pour impliquer davantage les acteurs locaux de terrain, comme cela se pratique dans les pays anglo-saxons, par exemple au Canada, notamment au sein des comités locaux de prévention de la délinquance.
Enfin, et c’est plus problématique, les députés ont adopté plusieurs articles qui augmentent considérablement les pouvoirs de la police et de la gendarmerie. J’y reviendrai, car nous avons estimé que ces articles, auxquels le ministère de l’intérieur est d’ailleurs hostile, posaient un problème de constitutionnalité.
Mes chers collègues, j’en viens à la position que la commission des lois a adoptée et que je vous propose de suivre.
Pour nous, ce projet de loi s’inscrit dans la continuité de la loi pénitentiaire. Il reprend des principes, rappelés par Mme le garde des sceaux, que la commission des lois a toujours défendus, y compris sous la précédente majorité – de façon irrégulière peut-être –, à savoir la nécessité de préparer la réinsertion de la personne condamnée et la liberté d’appréciation laissée au juge.
En cela, ce projet de loi se situe dans la lignée de l’École de la défense sociale nouvelle animée, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, par des hommes qui avaient vécu la déportation et les camps de concentration et qui voulaient affirmer leur foi en la réinsertion et en la possibilité de resocialisation de tous les délinquants et criminels. Plusieurs textes ont cependant fait exception à cette tradition : je pense à la néfaste loi Sécurité et liberté et aux différentes lois sur la récidive.
Pour le reste, nos lois se sont toujours inscrites dans cette tradition d’humanisme défendue par l’École de la défense sociale nouvelle, très inspirée par le christianisme social.
Si j’approuve totalement la création de la contrainte pénale, qui devrait permettre de combler quelque peu le retard de notre pays en matière de probation, j’ai néanmoins proposé plusieurs ajustements qui ont été acceptés par la commission.
Sur le champ de la contrainte pénale, nous sommes d’accord avec le compromis trouvé à l’Assemblée nationale et consistant à procéder par étapes : seront concernés d’abord les délits punis de cinq ans, puis, éventuellement, après une évaluation en 2017, tous les délits.
Toutefois, le système voté par les députés présente un défaut : il continue de faire de la contrainte pénale une simple alternative à l’emprisonnement, le juge pouvant prononcer l’une ou l’autre de ces peines. Dans ces conditions, je crains que les magistrats ne prononcent que très peu de contraintes pénales. Il faut sortir de l’idée que la prison est la seule peine adaptée à tous les types d’infractions, notamment aux petits délits.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très juste !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Afin de faire évoluer notre système pénal, la commission propose, outre les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, de faire de la contrainte pénale une peine de référence unique, tout en prévoyant, bien entendu, des peines alternatives et des sanctions pécuniaires, pour un certain nombre de délits peu graves. La liste qui a été retenue exclut toutes les atteintes aux personnes : il s’agit notamment du vol simple et de la conduite sous l’influence de l’alcool.
Cela ne signifie pas que la contrainte pénale devra être prononcée dans tous les cas pour ces infractions : si le juge considère que cette sanction est trop lourde, il pourra prononcer une peine d’amende, un TIG, un stage, une interdiction du permis de conduire, la confiscation du véhicule, etc. En revanche, il ne pourra plus prononcer de peine de prison. C’est à cela qu’il faut aboutir.
Nous verrons d’ici à quelques années si, comme je le souhaite, il est opportun d’élargir ce système. Pour moi, à terme, il faudra passer en matière correctionnelle du diptyque prison-amende au triptyque prison-contrainte pénale-amende. C’est ce qui nous a été proposé tout au long des auditions que nous avons menées, notamment par Robert Badinter, les représentants de la Commission consultative des droits de l’homme, Mme Delmas-Marty, Mme Herzog-Evans et le professeur Pin.
Nous avons également simplifié le système voté par les députés en faisant de la sanction du non-respect des obligations d’une contrainte pénale un délit autonome, puni de deux ans d’emprisonnement, comme c’est déjà le cas pour les TIG. Le système figurant dans le projet de loi présentait, me semble-t-il, quelques risques constitutionnels.
Je soumettrai enfin plusieurs ajustements visant notamment à rééquilibrer les pouvoirs entre la juridiction de jugement et le juge de l’application des peines.
Je considère, pour ma part, que le juge de l’application des peines est non pas le juge qui prononce la sanction, mais celui qui décide des obligations découlant de cette sanction et vérifie leur bonne exécution.
S’agissant des aménagements de peine, nous proposons d’en revenir au droit issu de la loi pénitentiaire, c’est-à-dire à un seuil de deux ans d’emprisonnement et d’un an pour les récidivistes. En cela, je suis ce que le Gouvernement prétendait vouloir, c’est-à-dire faire une différence entre les récidivistes et les non-récidivistes.
En effet, non seulement l’abaissement du quantum proposé par le projet de loi est incohérent avec le reste du texte, mais il devrait, en outre, conduire à augmenter mécaniquement de 5 000 le nombre de peines non aménageables, ce qui n’est pas envisageable au vu de la situation actuelle de nos établissements pénitentiaires. Nous avons souvent insisté ici pour préserver cet équilibre qui me paraît bon et, sur ce point, la commission propose de rester fidèle à sa position, telle qu’elle s’est exprimée au moment du vote de la loi pénitentiaire.
Je proposerai, par ailleurs, de supprimer les articles introduits par les députés donnant – sans aucun contrôle, il faut bien le dire – de nouveaux pouvoirs à la police et à la gendarmerie : possibilité de recourir à la géolocalisation et aux interceptions de communications à l’encontre de toute personne sortant de détention sans que la finalité soit expliquée, possibilité donnée aux officiers de police judiciaire de mettre en œuvre une transaction pénale – c’est à mon avis contraire au principe de la séparation des pouvoirs – ou des alternatives aux poursuites d’office, possibilité de communiquer des documents couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction, notamment aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, donc au préfet et au maire.
Le ministère de l’intérieur a confirmé, lors de mes auditions, qu’il était également défavorable à ces dispositions qui posent de nombreuses difficultés et qui, en l’état, passeraient difficilement, me semble-t-il, l’épreuve du Conseil constitutionnel.
Enfin, si, sur le principe, la commission est bien sûr favorable à la création d’une taxe de 10 % sur toutes les amendes pénales et les sanctions financières pour financer l’aide aux victimes, il existe un risque, car la nature juridique de cette majoration n’est pas claire : s’agit-il d’une taxe ou d’une sanction ? En toute hypothèse, pour éviter toute contestation sur le fondement du principe de proportionnalité, nous avons instauré un plafond. Le Gouvernement propose d’améliorer la rédaction de cet article et la commission émettra vraisemblablement demain matin un avis favorable sur cet amendement.
Mes chers collègues, je souhaite évoquer maintenant les trois articles introduits par la commission.
Il s’agit, d’abord, de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, comme l’ont également souhaité en commission Mmes Benbassa et Cukierman dans deux amendements identiques. Ces juridictions n’ont rien apporté ; elles ne prononcent pas de sanctions plus sévères que les tribunaux pour enfants ; elles ont compliqué le travail des juridictions tout en écartant la société civile, puisque les assesseurs devant les tribunaux pour enfants en ont été exclus. Tous les magistrats, sans exception, qui ont évoqué ces juridictions à l’occasion soit des auditions sur ce texte soit du rapport sur la protection judiciaire de la jeunesse que j’ai rédigé l’année dernière se sont prononcés pour leur suppression.
Sur la rétention de sûreté ensuite, j’ai proposé un dispositif intermédiaire, assez subtil, que la commission a entériné. Dans la mesure où, à l’heure actuelle, des personnes font l’objet d’une surveillance de sûreté, il ne serait pas responsable de supprimer totalement cette mesure sans prévoir de suivi pour ces dernières. L’amendement adopté par la commission supprime la rétention de sûreté en tant que telle, mais conserve la surveillance de sûreté et crée un délit autonome pour le cas où une personne ne respecterait pas ses obligations.
Enfin, puisque la commission des lois évoque régulièrement la situation des malades mentaux en prison, nous avons souhaité intégrer le dispositif de la proposition de loi de Jean-René Lecerf relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, texte dont j’ai été le rapporteur et que le Sénat a voté à l’unanimité au mois de janvier 2011. Le Gouvernement a déposé un amendement sur ce sujet que la commission examinera également demain.
Je terminerai mon propos par trois remarques, avant de formuler une conclusion.
Madame le garde des sceaux, vous le savez très bien, cette loi ne servira à rien si le Gouvernement ne dégage pas les moyens nécessaires, notamment en personnels de services de probation et en juges de l’application des peines. Le Gouvernement a pris des engagements clairs dans le cadre de ce projet de loi, notamment le recrutement de 1 000 personnels supplémentaires sur trois ans, 400 ayant d’ailleurs déjà été recrutés. Il faut que ces engagements soient respectés. C’est le gage du succès de ce texte ; un échec serait absolument dramatique.
Je rappelle que, si la loi pénitentiaire est aujourd’hui peu ou mal appliquée, c’est notamment parce que les postes annoncés par le précédent gouvernement n’ont pas été créés. L’objectif affiché est de parvenir à un ratio de 40 mesures par conseiller de probation : il faut qu’il soit tenu si l’on veut que les mesures de milieu ouvert fonctionnent.
Il existe une autre condition préalable à l’application de cette loi, à savoir la rénovation des méthodes de travail des services de probation. Cette question suscite beaucoup d’inquiétude chez les personnels – je les ai tous entendus –, mais elle doit être résolue pour que la probation devienne une alternative véritablement crédible à la détention. Les personnels des services de probation sont bien sûr des fonctionnaires exerçant un service public, mais ils peuvent être aidés et accompagnés par des militants associatifs, comme c’est déjà le cas pour les fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse qui sont assistés par des associations habilitées.
Enfin – et vous l’avez évoqué au cours de votre audition devant la commission, madame le garde des sceaux –, il est nécessaire d’améliorer l’évaluation des politiques publiques en matière de sécurité. Les nombreuses lois votées au cours des dix dernières années se sont faites pratiquement « à l’aveugle », sans évaluation préalable, car notre outil d’évaluation est défaillant.
Cela est largement imputable aux outils statistiques du ministère de l’intérieur et, jusqu’à une date récente, du ministère de la justice, outils qu’il faut absolument améliorer. Le décret prévu par l’article 7 de la loi pénitentiaire, qui prévoyait une évaluation de la récidive par établissement pour peine, n’a toujours pas été publié. Néanmoins, vous avez récemment annoncé une réforme de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales et la création d’un Observatoire de la récidive et de la désistance totalement indépendant du Gouvernement. Souhaitons qu’il soit bientôt mis en place et que l’on dispose ainsi d’un système d’évaluation fiable et indépendant.
Je conclurai sur le laxisme supposé du projet de loi. Voilà un terme que je ne cesse d’entendre à la télévision ou de lire dans les journaux à propos de ce texte. Or ce qui serait laxiste, ce serait de ne rien faire,…
Mme Catherine Tasca. Oui !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … de laisser les choses en l’état, de persister à remplir les prisons au-delà de leur capacité d’accueil, d’y faire entrer des condamnés à des courtes peines, pour lesquels on sait très bien qu’aucune mesure d’accompagnement n’est possible, de continuer à avoir 98 % de sorties sèches pour les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de moins de six mois, lesquelles ont un taux de récidive d’environ 70 %, ce qui conduit à faire des victimes supplémentaires. (Mme le garde des sceaux acquiesce.)
Le laxisme, c’est se satisfaire d’une situation qui n’est pas tenable. À l’inverse, la responsabilité, l’efficacité, la prise de conscience, le courage, c’est proposer autre chose : c’est l’objet de ce projet de loi. J’espère que cette entreprise sera couronnée de succès. Je souhaite, tout comme vous, madame le garde des sceaux, que le Gouvernement y consacre les moyens matériels nécessaires.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi dans le texte issu des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je veux le dire avec force : non à l’impunité !
L’impunité est délétère, elle brise la confiance en la justice. Nous sommes ici rassemblés pour débattre d’un projet de loi dont le but est d’y mettre fin.
Je débuterai mon propos là où Jean-Pierre Michel a excellemment conclu le sien. Mes chers collègues, pour que, comme nous le souhaitons, il n’y ait plus d’impunité, il faut que tout délit, toute infraction donnent lieu à une sanction.
Pour ce faire, il faut une pluralité de sanctions. La prison ne peut être la seule peine possible ! Penser le contraire, comme le font certains, relève du fantasme.
Par conséquent, madame le garde des sceaux, je tiens à rendre hommage au travail que vous avez accompli en vue de nous présenter ce projet de loi. Monsieur le rapporteur, je tiens également à vous remercier de votre fidélité totale à l’esprit du texte, qui consacrera bien trois types de peines distinctes : l’amende, la contrainte pénale, érigée au rang de peine en tant que telle, et la détention.
J’ai moi aussi lu les titres de ce journal du matin qui, sur six ou sept colonnes, a dénoncé la « gauche anti-prison ». Je dénonce cette formule : c’est une insulte, une imposture ! Nous ne sommes pas contre la prison : bien au contraire, nous pensons qu’il s’agit d’une institution républicaine et qu’elle est nécessaire. Nous visitons assez les prisons pour savoir combien le travail des personnels pénitentiaires, auxquels je tiens à rendre hommage, est difficile, combien leur tâche est rude.
Cela étant, si nous considérons que les prisons sont nécessaires pour protéger, punir et réinsérer, la détention ne doit pas être la seule peine possible et nous préconisons l’existence d’autres peines. Cela n’autorise personne à dire de nous que nous sommes « anti-prison » ! Tout le monde comprend qu’il s’agit là d’une imposture intellectuelle.
Aux auteurs de cet article, je demande de nous expliquer comment ils peuvent soutenir de telles allégations – parce qu’il y aurait d’autres peines, nous serions contre la prison – et ainsi jouer sur un certain nombre d’émotions élémentaires en prétendant qu’on ne mettra plus les gens en prison. Nous voulons que la prison soit une institution républicaine, où les détenus puissent bénéficier de conditions de vie plus favorables qu’actuellement (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame), conformément aux dispositions de la loi pénitentiaire – cela demande des moyens, mais nous sommes d’accord pour fournir les efforts nécessaires – et, surtout, puissent se réinsérer.
Aux auteurs de cet article, à ceux qui lancent des campagnes, déclenchent les polémiques et qui, par un réflexe pavlovien tout à fait méprisable, crient au laxisme chaque fois que Mme Christiane Taubira ouvre la bouche, je réponds que le nombre de peines d’emprisonnement ferme est important, en particulier à la suite des lois qui ont été votées par les gouvernements précédents.
M. Jean-Jacques Hyest. Par le Parlement, cher collègue ! Jusqu’à preuve du contraire, c’est le Parlement qui vote les lois ! Ce n’est pas la même chose…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Hyest, vous avez cent fois raison : j’aurais dû dire « par la majorité précédente ».
Sur le fond, je veux rappeler que, selon les chiffres officiels – ceux du rapport de M. Raimbourg, auquel je rends hommage à mon tour –, pour une peine d’emprisonnement ferme sur deux, le délai de mise à exécution va de quatre à soixante mois.
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La moitié des peines d’emprisonnement ferme sont mises en œuvre plus de sept mois après avoir été prononcées. En 2012, le taux de mise en exécution des peines de détention ferme s’élevait à 56 %.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En d’autres termes, mes chers collègues, 44 % des peines ne sont pas exécutées et, en dépit de tous les discours tenus par l’exécutif précédent, ce sont exactement 99 600 personnes condamnées à de la prison ferme qui, à la fin de l’année 2012, circulaient dans les rues au lieu d’exécuter leur peine ! Voilà la réalité.
Dès lors, aux auteurs de cet article, aux auteurs des campagnes, je demande pourquoi ils n’ont jamais écrit qu’une politique aboutissant à un tel résultant était laxiste, alors que c’est le cas !
MM. Jacques Chiron et Jean-Claude Leroy. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce projet de loi vise précisément à mettre fin à ce laxisme, par des peines diversifiées, appropriées, individualisées.
M. Jacques Chiron. Exactement !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il tend à permettre à la France de sortir de la grande difficulté dans laquelle elle se trouve, avec, au 1er mai 2014, 81 053 personnes sous écrou et 68 045 personnes détenues. Jamais, par le passé, ces chiffres n’avaient été aussi élevés !
Au demeurant, nous construisons de nouvelles prisons – et, madame le garde des sceaux, vous l’avez souligné et avez même annoncé des chiffres –, ce qui prouve d'ailleurs que nous ne sommes pas du tout « anti-prison ». Nous voulons simplement que la prison assume sa mission dans de bonnes conditions.
Pour terminer, comme l’a très bien expliqué Jean-Pierre Michel, nous demeurons fidèles à la loi pénitentiaire. Mes chers collègues, je ne vous rappellerai pas les conditions dans lesquelles nous avons voté ce texte ! En tout état de cause, souvenez-vous qu’il y est écrit qu’« en matière correctionnelle, en dehors des condamnations en récidive légale prononcées en application de l’article 132-19-1, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ».
Je me réjouis qu’une telle disposition ait été adoptée sous le gouvernement précédent : elle va dans le bon sens. Mais pourquoi n’a-t-on pas dit alors qu’elle était laxiste ? Je le répète, il faut que la détention soit décidée quand c’est nécessaire, à savoir quand les autres peines, en particulier la contrainte pénale, ne peuvent être mises en œuvre. C’est bien qu’il en soit ainsi.
Sur la bizarrerie qui consisterait à revenir sur le seuil de deux ans d’emprisonnement – un an pour les récidivistes – pour bénéficier d’un aménagement de peine, je vous renvoie aux propos de notre ancien collègue Robert Badinter, qui, faisant part de son opposition à une telle disposition, a estimé que « redescendre à un an n’aurait d’autre effet que d’ajouter quelques milliers de détenus à la population carcérale. Tout le bénéfice de la suppression des peines plancher se volatiliserait. »
Mes chers collègues, le texte issu des travaux de la commission des lois, à la suite de longs débats, de nombreuses auditions et de beaucoup de travail, est fidèle à cette démarche sans précédent qu’a constituée la conférence de consensus, qu’il s’agisse de sa préparation, de sa tenue ou de son suivi, menée par Mme le garde des sceaux. L’idée que la contrainte pénale est une peine spécifique répondant à des délits spécifiques s’inscrit totalement dans l’esprit du texte. Nous pensons que nous servons la République en servant l’esprit du projet de loi initial.
Madame le garde des sceaux, voyez dans cet appel à un large vote de votre texte par le Sénat un hommage à votre action et à cet « esprit des lois » auquel vous êtes attachée et auquel nous adhérons totalement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir présente une caractéristique : déposé le 9 octobre 2013, il semble qu’il ait fait, depuis, l’objet de longs débats au sein du Gouvernement. Il paraît même que ces débats ne sont pas complètement terminés…
M. Didier Guillaume. C’est la démocratie !
Mme Cécile Cukierman. Ce sont les parlementaires qui votent la loi !
M. Jean-Jacques Hyest. Au reste, ce n’est pas un journal du matin qui le dit ! (Sourires.) Nous disposons d’autres sources…
En revanche, l’examen d’un texte d’une telle importance me semble précipité. Ainsi, de manière assez inédite, le projet de loi ne fera l’objet que d’une seule lecture dans cette assemblée.
M. Vincent Capo-Canellas. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Un tel procédé paraît extraordinaire quand on sait que le dialogue se fait aussi via la navette. Madame le garde des sceaux, vous le savez, sans navette, le dialogue tourne vite court et se termine sur un coin de table, en commission mixte paritaire… Peut-être aboutirons-nous malgré tout à un accord rapide sur votre texte, d’autant que l’on nous demande d’en boucler l’examen avant la fin de la session. Au demeurant, nous le souhaitons pour vous : cela vous permettra de prendre quelque repos. Vous le méritez bien…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai bien autre chose à faire, hélas ! L’agenda est déjà bien rempli…
M. Jean-Jacques Hyest. Il est vrai que, depuis toujours, on n’a à la bouche que la conférence de consensus. À ma connaissance, c’est encore le Parlement qui vote les lois ! À cet égard, le jury de consensus m’a paru très unilatéral, comme si le Parlement n’avait plus qu’à s’en remettre aux spécialistes de la question.
D’ailleurs, on ne sait plus très bien s’il s’agit de lutter contre la récidive, ce que laissait penser l’intitulé initial du projet de loi, ou s’il s’agit désormais de renforcer l’efficacité des sanctions pénales, conformément au nouvel intitulé du texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest. Certes, mais ce n’est pas tout à fait la même chose ! Les mots ont un sens.
Et les promoteurs du projet de loi d’opposer la prétendue politique du « tout-répressif » de la majorité précédente à leur humanisme de bon aloi…
L’Assemblée nationale a voté quelques incongruités, telles la transaction pénale conférée aux officiers de police judiciaire – cette mesure n’a d’ailleurs pas manqué de nous étonner –, la géolocalisation et l’interception des correspondances de personnes condamnées sortant de détention, interception de sécurité dont la nature pose question. Chers collègues, vous qui nous opposez la surveillance de sûreté, soyez extrêmement vigilants dans ce domaine ! Il y a là un petit paradoxe que les députés n’ont certainement pas vu.
En dehors de ces incongruités, quel est le fond de la réforme, dont on nous dit, bien sûr, qu’elle est ambitieuse – on dit cela de toute réforme – et qu’elle permettra à la fois de régler le problème de la surpopulation carcérale et celui de la récidive ? Il est vrai que le cœur du dispositif est constitué par l’article 8 du projet de loi, lequel prévoit l’alternative à l’emprisonnement que constitue la « contrainte pénale », notion qui, malgré nos efforts de compréhension, nous semble encore floue et sans grand contenu.
Franchement, par rapport à l’actuel article 131-3 du code pénal, quoi de nouveau sous le soleil ? Et je ne vous cite pas les peines alternatives à l’emprisonnement, très diverses, qui figurent dans les articles suivants du code pénal ! Aussi, je ne vous infligerai pas la lecture de la sous-section 2 du titre III, intitulé « Des peines », que vous connaissez sans doute par cœur.
En outre, le code pénal, même révisé – j’ai participé à cette entreprise à l’époque –, se garde bien de donner une définition de la peine. Pour sa part, ce projet de loi – bavard, comme tant d’autres – n’a pas résisté à la tentation d’une définition, laquelle devrait plutôt se trouver dans des essais ou des ouvrages de philosophie… D’ailleurs, cette définition ne permet pas de bien distinguer le but de la peine de sa fonction. Tout en reconnaissant à la victime un zeste de droits supplémentaires, le texte mélange la sanction nécessaire et l’individualisation pour permettre le retour dans la société de celui qui a enfreint l’une des règles essentielles que le code pénal sanctionne.
Pour en revenir au centre du débat, et même si je ne suis aucunement d’accord avec vous, monsieur le rapporteur, je reconnais que vous suivez la logique initiale du texte, ayant bien conscience que la contrainte pénale est un succédané du sursis avec mise à l’épreuve et non pas une sanction autonome. Aurez-vous le courage de nous dire que l’emprisonnement ne s’applique plus à des délits punis de cinq ans d’emprisonnement – vous l’avez certes, monsieur le rapporteur, limité à quelques délits –, et pourquoi pas ultérieurement à des délits punis de dix ans d’emprisonnement ? Je résiste à la tentation de vous citer certains de ces délits, notamment ceux contre les personnes qui seraient concernées.
En dehors de ce point crucial, qui ne saurait entraîner notre adhésion à votre projet – et je vous démontrerai qu’il n’en est nul besoin pour éviter le tout-carcéral –, vous reprochez que l’on distingue le sort réservé aux récidivistes et aux primo-délinquants. Toutes les dispositions du projet de loi veulent d’ailleurs contraindre le juge à motiver une sanction d’emprisonnement, car si certains sont adeptes des peines planchers, il semble que d’autres soient adeptes des peines plafonds.
Je rappelle que les peines planchers ont été validées par le Conseil constitutionnel. Si cela ne veut rien dire pour M. Jean-Pierre Michel, pour ma part, je respecte les décisions du Conseil constitutionnel. Les peines planchers n’entravaient en rien la personnalisation de la peine et il est évident que les juges ont utilisé la peine minimale de façon mesurée et justifiée. Je vous renvoie aux chiffres de la Chancellerie, madame le garde des sceaux.
C’est un a priori idéologique qui guide votre démarche, plus qu’une véritable politique de lutte contre la récidive. J’en veux pour preuve l’extraordinaire article 3 du projet de loi, qui vise à obliger le juge à motiver spécialement sa décision de prononcer une peine d’emprisonnement – heureusement, et j’y reviendrai, l’impossibilité matérielle permet au juge de faire ce qu’il veut. Pourtant, le juge, conscient de ses responsabilités, ne fait qu’appliquer le code pénal. Quelle méfiance envers les juges ! Un certain nombre d’entre eux s’en sont, à juste titre, émus.
En matière de procédure pénale, tout projet de loi est révélateur d’une politique et n’en est que la traduction juridique. Outre la complication extrême du dispositif qui repose largement sur le juge de l’application des peines – vous en avez d'ailleurs modifié certains aspects qui posaient problème –, il n’a qu’un seul objectif, sous-entendu : lutter contre la surpopulation carcérale – certains diraient « vider les prisons ».
D’ailleurs, je n’aime pas les comparaisons internationales. En effet, si les exemples donnés de certaines politiques pénales d’Europe du Nord font rêver puisque l’on y ferme apparemment les prisons, on oublie de dire que le taux de récidive n’y est pas si faible qu’on le prétend. Il faut toujours relativiser. Il est vrai que les prisons d’Europe du Nord que j’ai visitées ont une dignité que peu de nos établissements pénitentiaires possèdent.
Si le Sénat n’a cessé d’affirmer depuis la commission d’enquête sur les prisons de 2000, et surtout à l’occasion du vote de la loi pénitentiaire de 2009, que les courtes peines d’emprisonnement étaient peu efficaces et même plutôt nuisibles, qu’elles étaient plutôt facteur de récidive que d’amendement, la vraie question qui se pose est de savoir pourquoi la loi n’est pas appliquée ou est peu appliquée !
L’article 65 de la loi pénitentiaire complétant l’article 132–24 du code pénal, cité précédemment par le président de la commission, Jean-Pierre Sueur, prévoit effectivement que les peines d’emprisonnement sans sursis ne peuvent être prononcées qu’en dernier recours. Tout est là ! Pourquoi vouloir inventer quelque chose de nouveau alors que nous disposons déjà de tous les outils juridiques permettant de ne pas incarcérer des primo-délinquants, et ce, madame le garde des sceaux, jusqu’à deux ans d’emprisonnement ? Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi les députés ont décidé de réduire cette durée à un an et six mois d’emprisonnement. J’aimerais bien que quelqu’un m’explique la cohérence de cette décision !
Je rappelle que le code de procédure pénale prévoit que les condamnés libres bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité ou leur situation le permettent, de mesures d’aménagement de peine : la semi-liberté, le placement à l’extérieur, le placement sous surveillance électronique, le fractionnement ou la suspension de peine, la libération conditionnelle ou la conversion de la peine en travail d’intérêt général. Il en est de même pour les personnes déjà incarcérées. Et cela pour toutes les peines prononcées de moins de deux ans. Certains avaient voulu, à une certaine époque, réduire cette durée, mais le Sénat s’était battu pour la maintenir (M. Jean-René Lecerf opine.) ; Jean-René Lecerf pourrait, avec d’autres, en témoigner. De mon point de vue, cela couvre largement les mesures proposées dans le projet de loi pour la contrainte pénale.
Je me permets de rappeler à mon tour que, dans un moment rare, un véritable consensus parlementaire a existé lors du vote de la loi pénitentiaire, et que l’échec de sa mise en œuvre est lié au manque de moyens pour assurer son effectivité. On peut le reprocher au gouvernement précédent, mais pourquoi la mise en œuvre des moyens nécessaires à son application n’a-t-elle pas été une priorité de votre politique pénale, madame le garde des sceaux ?
M. Jean-Jacques Hyest. Si cette loi est bonne – et je pense que personne ne la trouve mauvaise –, pourquoi ne l’a-t-on pas mise en œuvre immédiatement ?
M. Jean-Jacques Hyest. Non, ce n’était pas une question de décrets d’application ; c’était surtout une question de moyens des SPIP, vous le savez très bien, cela a été évoqué !
L’étude d’impact de votre projet de loi, madame le garde des sceaux, et les restrictions budgétaires ne peuvent inciter à l’optimisme ; nous pouvons craindre que la contrainte pénale ne soit pas la grande réforme dont vous attendez des résultats estimés entre 16 000 et 60 000 condamnés.
Avez-vous véritablement les moyens de créer plus de 1 000 emplois ? On nous avait dit la même chose pour la loi pénitentiaire : 1 000 emplois ! La réponse est évidemment négative. Ce qui est extraordinaire dans notre beau pays de France, c’est de croire qu’en faisant une loi de plus, qui obscurcit plus qu’elle ne simplifie la lisibilité des politiques de l’État, on va résoudre tous les problèmes ! En créant continuellement des lois, on pense qu’on va améliorer les choses !
Ce n’est pas en calquant les régimes de sanctions des récidivistes sur celui des primo-délinquants ni en rendant obligatoire la procédure d’examen de la situation des personnes condamnées à plus de cinq ans d’emprisonnement à deux tiers de la peine que l’on y changera grand-chose ! Encore faudrait-il avoir les moyens en juge, etc. Au contraire, cela ne va pas améliorer la situation explosive de notre système judiciaire.
La contrainte pénale, « faux jumeau du sursis probatoire », pour reprendre les termes de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, pose selon elle un sérieux problème de justice et de lisibilité. Pourquoi créer en plus compliqué ce qui est déjà difficilement applicable ? Quand on constate que près de 100 000 peines correctionnelles – vous avez dit 99 600 – ne sont pas exécutées, pouvons-nous espérer que la création des bureaux d’exécution des peines, les BEX, suffise à assurer une meilleure effectivité des sanctions pénales ?
Comme tous ceux qui croient à l’individualisation de la peine, au fait que l’emprisonnement n’est pas la solution unique pour les délinquants – vous devriez, d’ailleurs, revisiter la notion de récidive ; on en parle quelquefois mais on n’avance pas sur ce point –, je crois que les moyens juridiques existent pour faciliter l’insertion ou la réinsertion des condamnés.
Au lieu de se lancer dans des guerres idéologiques dont nous avons le secret, mieux vaudrait surtout appliquer les textes existants, et qui, examinés sur le long terme, présentent, quoi qu’on en dise, une certaine continuité. Et ce n’est pas la notion de justice restaurative, laquelle peut certes avoir un intérêt dans le cadre d’un traitement psychologique mais pas dans celui de la justice, qui aura des effets évidents.
Quoi qu’il en soit, je ne peux que le répéter, et le rapport de M. Jean-René Lecerf et de Mme Nicole Borvo-Cohen-Seat sur l’application de la loi pénitentiaire est éloquent à ce sujet, finirons-nous par changer la prison, non pas parce que la loi ne prévoit pas tous les dispositifs, mais parce qu’on lui donnera les moyens de jouer pleinement son rôle de préparation à la réinsertion des détenus dans la société ?
Combien de sorties sèches génèrent-elles de récidives ? Comment faire pour que les maisons d’arrêt ne mêlent plus des détenus provisoires, des grands criminels en attente d’établissement pour peine et cette masse de délinquants qui devraient recevoir un traitement adapté ? Sans parler de tous ceux qui sont atteints de troubles mentaux, pour qui la prison n’est pas non plus la solution !
Alors, ce projet de loi, dont on peut contester le soubassement idéologique, la petite chanson « c’est la société qui crée la délinquance », ce qui n’est pas entièrement faux, mais n’est pas non plus complètement vrai, manque sa cible, est rejeté par la majorité de l’opinion publique – même si les journaux n’en clarifient pas totalement le sens. Pour ces raisons, malgré quelques points positifs, issus notamment de propositions de loi du Sénat, votre texte ne saurait, hélas, madame le garde des sceaux, être approuvé par mon groupe. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comment ne pas partager les objectifs affichés de cette réforme ? Votre texte, madame la garde des sceaux, vise, selon l’exposé des motifs, à « lutter contre la récidive […], moderniser et clarifier le droit des peines et leurs modalités de mise en œuvre ». Naturellement, nous partageons tous ici ces objectifs. Ils ressemblent d’ailleurs sensiblement à ceux qui ont présidé à l’élaboration de la loi pénitentiaire de 2009.
Malheureusement, madame la garde des sceaux, je crains que votre projet de loi n’atteigne pas tout à fait ces objectifs. Commençons par la contrainte pénale, qui est en quelque sorte la mesure emblématique de votre réforme. J’évoquerai tout à l’heure le fond de la mesure, auquel nous ne sommes pas fondamentalement opposés. Toutefois, sur la forme, il est difficile d’admettre qu’ajouter une nouvelle forme de peine au maquis existant soit source de « clarification du droit des peines », surtout quand même les spécialistes ont du mal à comprendre précisément sa nature tant elle s’apparente, dans ses modalités, à des éléments qui existent déjà, je pense évidemment au sursis avec mise à l’épreuve.
Il est invoqué ensuite la nécessité d’individualiser les peines, principe fondateur de notre droit pénal. Cependant, ne le sont-elles pas déjà ? Les magistrats ne disposent-ils pas des outils juridiques leur permettant d’apporter une réponse adaptée aux circonstances de l’infraction et à la personnalité de l’auteur ? Je pense que si.
En réalité, sur ce point, vous avez certainement en tête un des marqueurs de la majorité précédente : les peines planchers. Or celles-ci ne sont pas contraires au principe de l’individualisation des peines. D’ailleurs, moins de 40 % des prévenus passibles de ces peines se les voient appliquées.
En revanche, contrairement à ce qui est affirmé, elles ont un effet dissuasif, peut-être pas sur tous les délinquants, bien sûr, mais dans le cas de certains contentieux de masse comme les délits routiers. Ainsi, je reste convaincu que l’effet dissuasif est réel sur un automobiliste que le président du tribunal correctionnel avertit qu’il encourt une peine plancher au prochain écart.
Autre pilier de votre réforme, « construire un parcours d’exécution des peines ». Là encore, c’est un bel objectif, auquel nous souscrivons tous. La réalité, c’est que cette problématique ne tient pas tant à ce que l’on pourrait modifier dans le code pénal, elle tient d’abord et avant tout, comme l’indiquait notre rapporteur, aux moyens que l’on prévoit d’y consacrer. C’est, selon nous, le cœur du problème.
Rapporteur pour avis des programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice » pendant plusieurs années, je sais évidemment que notre justice manque aujourd’hui cruellement de moyens, à la fois pour effectuer certains actes d’investigation, pour rémunérer des experts judiciaires, et même tout simplement pour travailler dans des conditions normales.
Aujourd’hui, compter les gommes ou les ramettes de papier est la réalité quotidienne de nombreux magistrats ! Sans parler du manque de magistrats à tous les niveaux, notamment de juges de l’application des peines, de greffiers ou de conseillers d’insertion et de probation. Ces derniers seront pourtant l’un des piliers de la mise en œuvre de votre réforme, qui devra, pour être crédible, disposer des moyens indispensables à sa bonne application.
Car sans moyens suffisants, cette réforme sera un échec. De la même manière que l’on se plaint de la surpopulation carcérale due au manque de places dans les prisons et de la promiscuité néfaste que cela provoque, on risque demain, si les moyens ne sont pas assurés dans la durée, de se plaindre de l’échec cruel des nouvelles peines proposées. Pire même, si un délinquant exécutant sa peine à l’extérieur se retrouve livré à lui-même et récidive, ce texte apparaîtra alors comme une loi laxiste.
Ce n’est pas votre souhait, madame la garde des sceaux, ce n’est pas votre souhait, monsieur le rapporteur, ni le nôtre, mais, malheureusement, je crains fort que la nécessaire rigueur budgétaire ne l’emporte sur les bonnes intentions affichées. La difficulté – qui, d’ailleurs, n’est pas propre à ce projet de loi –, c’est que l’on nous propose une réforme avec des engagements sur des financements à venir sans la certitude que ces derniers soient effectivement adoptés.
Pour en revenir au texte, je dirai quelques mots sur le principe de la contrainte pénale. Nouvel outil offert au juge, il est difficile de dire que l’on y est fondamentalement opposé dans la mesure où ce dispositif reprend les obligations et interdictions en vigueur du sursis avec mise à l’épreuve, le SME. D’une certaine façon, être contre la contrainte pénale reviendrait à être contre le sursis avec mise à l’épreuve...
Cette nouvelle peine, d’un type particulier, ne peut avoir vocation à ne s’appliquer qu’à certains profils de délinquants, lorsqu’elle y est vraiment adaptée. Dans la pratique, madame la garde des sceaux, la vraie question est de savoir si les magistrats, habitués au fonctionnement du sursis avec mise à l’épreuve, vont réellement percevoir la plus-value de la contrainte pénale, ce qui ne me paraît pas évident. Si tel n’est pas le cas, l’adoption de cette mesure resterait assez vaine...
Peu convaincus par le compromis adopté par l’Assemblée nationale prévoyant une application à l’ensemble des délits à compter du 1er janvier 2017, nous vous proposerons d’en revenir à une contrainte pénale strictement applicable aux délits punis de moins de cinq ans d’emprisonnement.
Le texte adopté par les députés, au-delà de la contrainte pénale, était déjà, selon nous, critiquable. Mais le texte que nous examinons aujourd’hui, celui qui a été élaboré par notre commission des lois, est presque caricatural. Parmi les marqueurs que vous vouliez absolument supprimer, outre les peines planchers, que j’ai déjà évoquées, voilà que l’on supprime aussi la rétention de sûreté et les tribunaux correctionnels pour mineurs !
Tout cela semble découler d’une même logique, qui guide la majorité depuis mai 2012 : détricoter toutes les réformes de la précédente majorité, sans toujours proposer quelque chose de crédible à la place.
Avec la modification introduite à l’article 8 ter, vous avez transformé, monsieur le rapporteur, la nature même de la contrainte pénale. Cette dernière était présentée comme une nouvelle possibilité offerte au juge, en complément des possibilités existantes, d’accroître sa liberté de choix et de trouver une réponse plus adaptée aux circonstances et à la personnalité de l’auteur de l’infraction. Or les dispositions introduites à l’article 8 ter font tout le contraire : elles suppriment la peine de référence actuellement en vigueur – l’emprisonnement – pour imposer la contrainte pénale ! Il s’agit en fait d’une atteinte à la libre appréciation du juge.
Le système proposé fait donc disparaître la peine de prison. On aurait pu imaginer qu’elle perdure au moins en cas de récidive, mais il n’en est rien : l’emprisonnement ne pourra toujours pas être prononcé par le tribunal correctionnel à l’encontre d’un récidiviste ayant déjà été, par exemple, condamné à cinq ou six reprises dans des affaires de vol... Il s’agit d’un vrai problème.
À mon sens, la solution retenue est révélatrice du peu de confiance que vous avez en ce dispositif : de peur que les magistrats n’y recourent suffisamment, on le leur impose.
Au-delà, on ne peut faire abstraction du message envoyé à nos concitoyens lorsque l’on décide de supprimer les peines d’emprisonnement pour délit de vol et de recel de vol, filouterie, destructions, dégradations et détériorations, délit de fuite, délit d’usage de stupéfiants, délit d’occupation des halls d’immeubles, ou encore les délits prévus par le code de la route.
Le travail réalisé par notre rapporteur a été très important et, même si je ne partage pas la plupart de ses analyses, je tiens à en saluer le sérieux et la précision. Chacun l’aura compris, nous ne sommes pas favorables à plusieurs des modifications introduites par la commission. Toutefois, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : nous avons soutenu plusieurs des amendements visant à revenir au texte de la loi pénitentiaire. Je ne citerai que les seuils d’aménagement des peines d’emprisonnement. L’Assemblée nationale avait uniformisé ces seuils, faisant ainsi disparaître toute distinction entre primo-délinquants et récidivistes. Rétablir cette distinction était indispensable ; il faut donc saluer l’initiative de notre rapporteur sur ce point.
En conclusion, nous étions sceptiques sur le texte voté par les députés. Après l’examen en commission, nous sommes un peu dépités. Pour être clair, si le projet de loi n’évolue pas sensiblement d’ici à l’issue de nos débats, notamment grâce à l’adoption de nos amendements, dont certains devraient recevoir l’appui du Gouvernement puisqu’ils visent à revenir au texte initial, nous voterons contre, en regrettant, par exemple, l’abrogation des peines planchers et de la rétention de sûreté.
En revanche, si, après avoir voté nos amendements, nous aboutissons à un texte équilibré, qui permette effectivement d’améliorer la lutte contre la récidive, notre position sera susceptible d’évoluer. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’histoire du droit pénal est en grande partie celle de la répression de la récidive, une histoire jonchée d’échec et qui pourtant se répète.
En France, sous l’Ancien Régime, les anciennes coutumes en vigueur avant les grandes ordonnances royales prévoyaient, par exemple, que l’on essorille – c’est-à-dire que l’on coupe une oreille – le délinquant à sa deuxième condamnation. À la troisième, point de rémission : le voleur était définitivement essorillé pour ne pas avoir entendu ce qui lui était reproché, avant d’être pendu.
La relégation demeure la sanction la plus connue en matière de lutte contre la récidive. Introduite en France par la loi du 27 mai 1885, son objectif majeur était d’éloigner le plus longtemps possible les récidivistes de la ville.
Ces lois partaient toutes de l’idée que les récidivistes étaient incorrigibles, irrécupérables et qu’il fallait les éliminer, du moins les éloigner sans se soucier des suites.
Il n’est malheureusement nul besoin de remonter loin dans notre histoire pour rencontrer de nouveau cette philosophie, laquelle préside encore trop souvent à la rédaction de nos lois pénales. En effet, durant les dernières décennies, les faits divers, terreau de la démagogie, en ont justifié un bon nombre : renforcement des sanctions, instauration de peines planchers, rétention et surveillance de sûreté, mise en place du tribunal correctionnel pour mineurs… Autant de textes utilisés comme des instruments de communication politique, mais qui, aujourd’hui, ne parviennent pas à masquer un bilan particulièrement négatif, pour ne pas dire désastreux.
Avec ces lois, l’élimination n’est évidemment plus physique, mais sociale. Quant à l’éloignement, il se décline sous la politique du « tout-enfermement ».
Il a toutefois échappé aux rédacteurs de ces lois que notre société a heureusement évolué depuis 1885 et que la plupart des personnes emprisonnées ressortent un jour. C’est en maintenant cette politique du « tout-enfermement », qui plus est dans des conditions peu respectueuses des droits de la personne humaine, que sont fabriqués ces récidivistes et ces exclus, qui sont ensuite montrés du doigt.
Avec ces lois, on s’est contenté d’entasser des individus dans des mètres carrés, de les mettre pour un temps à l’écart de la société. On a empêché leur réinsertion en les infantilisant littéralement, quand on ne les a pas carrément brisés par des conditions de détention dégradantes. Là réside le laxisme !
La fameuse loi pénitentiaire de 2009 – encore bien inappliquée à certains égards, comme cela a été rappelé – mise à part, nous examinons ce soir, pour la première fois depuis longtemps, un projet de loi de réforme pénale qui rompt avec cette politique inefficace, aussi bien par la méthode, à travers la mise en place d’une conférence de consensus qui a permis d’avoir un vrai discours scientifique sur la peine, que par le contenu, lequel résulte de ce travail de concertation.
Ce projet de loi entend prévenir efficacement la récidive et donner un sens à la peine. Pour ce faire, il se donne des objectifs précis : sortir du « tout-carcéral », insister sur la personnalisation des peines, supprimer les mécanismes automatiques faisant échec à l’individualisation des peines et construire un parcours d’exécution des peines efficace dans la prévention des risques de récidive.
Nous approuvons l’ensemble de ces objectifs. J’évoquerai tout d’abord celui qui vise à sortir du « tout-carcéral ».
Vous le savez, le taux d’incarcération n’a cessé d’augmenter – 38 % depuis dix ans –, et le taux de récidive n’a pas pour autant diminué, bien au contraire.
La mesure phare de ce texte, qui défend l’idée que la peine ne doit plus être synonyme de privation de liberté, est la contrainte pénale. Il s’agit d’une peine effectuée en milieu ouvert, entièrement tournée vers le suivi socio-éducatif du condamné. Elle est conçue non comme un mode de sanction moins sévère que la peine d’emprisonnement, comme on peut l’entendre parfois, mais plus efficace, car plus adapté au traitement de la plupart des délits, qui ont, d’ailleurs, été énumérés ce soir.
L’expérience montre qu’une peine exécutée en milieu ouvert peut s’avérer plus contraignante qu’une peine de prison, car elle comporte une obligation de résultat. La personne condamnée sera absolument tenue de suivre les injonctions qui lui seront fixées, in fine celle d’aller de l’avant. En termes de lutte contre la récidive, la contrainte pénale sera plus efficace qu’une peine passive effectuée en prison dans les conditions que nous savons.
Pour que cette mesure soit efficace – ne nous voilons pas la face –, il faut que les moyens nécessaires soient donnés aux magistrats et conseillers d’insertion et de probation, véritables chevilles ouvrières de ce texte. Il faudra aussi qu’un important travail pédagogique soit effectué pour faire en sorte que les magistrats s’approprient rapidement cette peine qu’ils devront distinguer d’autres mesures telles que, par exemple, le sursis avec mise à l’épreuve.
Moyens humains, moyens financiers, sachez, madame la garde des sceaux, que nous serons toujours à vos côtés pour aller en ce sens et que nous ne pouvons accepter le statu quo défendu par certains, selon lesquels les difficultés budgétaires, que nous dénonçons par ailleurs, empêcheraient de faire évoluer la philosophie de notre droit pénal. Il s’agit d’une évolution nécessaire, pour ne pas dire indispensable, en ce début de XXIe siècle.
J’ajouterai un mot sur l’important travail de notre rapporteur qui a permis de nourrir le débat sur ce point.
L’adoption de son amendement – nous y reviendrons demain – permettrait de faire de la contrainte pénale une peine autonome, encourue à titre principal pour une série de délits précisément identifiés, lesquels ne seraient plus passibles d’une peine d’emprisonnement.
Tout comme notre rapporteur, je pense que cette solution permettra d’identifier clairement la contrainte pénale comme nouvelle peine de référence en matière correctionnelle. Nous y reviendrons lors du débat sur les articles, mais je peux déjà dire que la solution préconisée par notre rapporteur a notre faveur en ce qu’elle permet de sauver des geôles destructrices les auteurs de vols simples, de filouterie, ou encore les fumeurs invétérés. (Sourires.)
Il ne nous semble pas que cette décision remette en cause le pouvoir des juges, puisqu’il leur reviendra toujours de choisir ou non de recourir à la contrainte pénale ou à l’amende et d’en proposer l’application.
Tout l’enjeu de la contrainte pénale n’est-il pas justement de créer une peine qui permette d’éviter à ces gens un passage en prison dont nous savons tous qu’il est inefficace et désocialisant ?
En ce sens, admettre que certains faits, de faible gravité, soient punissables d’une contrainte pénale et non plus d’une peine d’emprisonnement ne nous semble pas aberrant. La prévention de la récidive passe aussi par là : cet amendement évitera que de petits délinquants, condamnés à de courtes peines, ne ressortent au bout de six mois endurcis par la prison et prêts à commettre de nouveaux délits, parfois différents de ceux pour lesquels ils avaient été condamnés.
Ce texte porte ensuite l’exigence d’une individualisation de la peine selon la personnalité du condamné. Je ne reviens pas ici sur la suppression de mécanismes automatiques limitant les possibilités d’individualisation. Vous connaissez la position de notre groupe sur cette question : nous avons constamment défendu cette exigence à travers les propositions de loi que nous avons déposées.
Je voudrais en revanche souligner une innovation majeure de ce projet de loi : la césure pénale. Ce dispositif permettra de ménager opportunément le temps de la réflexion en autorisant des investigations qui aideront à décider de la peine la plus adaptée à la personnalité du condamné et donc de mieux prévenir la récidive.
Je n’ai pas ici le temps de développer l’ensemble des mesures du texte initial, que nous saluons et que nous soutiendrons, auxquelles s’ajoutent celles qui ont été adoptées par notre commission. Et sur ce que le projet de loi ne contient pas, j’y reviendrai au cours du débat. Il nous semble en effet que, sur certains points, le texte aurait pu aller un peu plus loin.
J’évoquerai brièvement la suppression de la rétention de sûreté, aberrante peine après la peine. Ce projet de loi ne pouvait pas faire l’impasse sur cette mesure ; la commission des lois y a donc veillé. Pour notre part, il nous semble désormais indispensable de supprimer également la surveillance de sûreté.
De la même manière, s’il ne s’agit pas de balayer par principe tout ce qui a été fait précédemment, on ne pouvait pas permettre que la justice des mineurs soit oubliée d’un projet de loi relatif à l’individualisation des peines, et qui concerne donc l’ensemble des condamnés potentiels. C’est ainsi que, la semaine dernière, la commission des lois a permis qu’une première étape vers la réhabilitation de cette justice soit franchie, en adoptant un amendement tendant à supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs. On s’en souvient, l’instauration de ces tribunaux, à la veille de l’élection présidentielle, s’était faite sans travail de concertation, et constitua une profonde régression par rapport au principe fondateur de l’ordonnance de 1945, lequel fait primer l’éducatif sur le répressif.
Cette ordonnance est et doit rester la traduction de la volonté de concilier les exigences des principes démocratiques, de la protection de la jeunesse et d’une juste répression de la délinquance des mineurs. Le groupe CRC, qui considère que la priorité éducative n’exclut pas la fermeté, se félicite donc de l’adoption de cet amendement et invite à poursuivre la réflexion sur la justice des mineurs, que les lois successives ont étouffée. Le présent projet de loi manque cruellement d’idées sur le sujet, même si son objet n’est pas de résoudre le problème. Un autre texte sur ce thème est donc attendu.
J’en arrive à mon dernier point. M. le rapporteur l’a indiqué, le présent projet de loi contient des dispositions relatives aux victimes, lesquelles, bien évidemment, ne peuvent être mises de côté. En réalité, je dirai que chacune des dispositions du texte les concerne, car on ne peut s’intéresser aux victimes sans s’intéresser aux délinquants.
Comme l’écrit Serge Portelli, spécialiste des droits des victimes, « victimes et coupables appartiennent à la même humanité. Questionner "l’enfer" de la récidive, se demander qui est […] dans le box des prévenus, c’est aussi aider les victimes. »
L’erreur, jusqu’à présent, a été de vouloir diviser cette humanité. Au gré de l’actualité, de faits qui bien sûr révoltent l’opinion publique, mais qui ne représentent pourtant qu’une petite part de la criminalité, les exclusions ont été renforcées.
En votant ce texte progressiste, nous redonnons aux juges les outils pour penser cette humanité dans toutes ses composantes, pour considérer les délinquants autrement qu’à travers un acte ou une énumération de faits.
En votant ce texte, nous réaffirmons que la peine doit aussi être un temps pour se reconstruire et se réinsérer. C’est le seul moyen efficace pour lutter contre la récidive, que la peine soit purgée en milieu ouvert ou fermé.
Mes chers collègues, le temps de l’essorillement est bien loin ; il nous faut évoluer, et ce projet de loi, qui a gagné encore en ambition grâce à la commission des lois du Sénat, en est l’occasion. Dès lors, en l’état, le groupe CRC le soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe RDSE votera très majoritairement ce texte, car nous sommes arrivés au bout d’un système. Nous, nous ne sommes ni laxistes ni répressifs ; nous voulons être des hommes et des femmes de bon sens. Pour nous, la politique pénale ne saurait être une simple réponse aux faits divers médiatiques, chose que nous avons trop souvent vécue au cours des années passées.
La méthode de la conférence de consensus, qui a présidé à l’élaboration du présent projet de loi, a permis de mettre en exergue les points de convergence entre des acteurs d’horizons divers. Dans la forme, néanmoins, nous ne pouvons que déplorer l’engagement de la procédure accélérée. Il s’agit, cela dit, d’une maladie gouvernementale (Mme la garde des sceaux sourit.), sur laquelle nous reviendrons dans quelques jours de manière plus sévère.
Je ferai plusieurs remarques sur le sujet qui nous occupe.
Tout d’abord, je vous pose la question, mes chers collègues : est-il raisonnable d’entasser toujours davantage de prévenus et de condamnés dans nos prisons ? La réponse, simple, de bon sens, ne peut qu’être négative. La situation de la population pénitentiaire, dont nous avons vu l’évolution au cours des dernières années, est devenue strictement intolérable. La solution n’est pas de construire de nouvelles prisons, même si, pour un traitement normal des condamnés, ce serait une bonne chose. D’autres réponses doivent donc être apportées.
Je suis souvent intervenu, avec Anne-Marie Escoffier et d’autres orateurs, pour souligner que les lois adoptées durant le quinquennat précédent nous avaient fait entrer dans un système de « noria », qui exigeait l’entrée d’un nombre toujours plus grand de condamnés en prison afin de les en faire sortir de plus en plus rapidement. C’était une aberration, dans tous les sens du terme !
En réalité, la création législative française en matière de droit pénal a été tout autant prolixe que brouillonne. Elle a laissé les praticiens de la justice aux prises avec les questions de l’utilisation judiciaire des lois adoptées comme des modalités concrètes de leur exécution, et avec des problèmes de structure et de personnel. Ce brouillage des pistes a entraîné un véritable épuisement professionnel des acteurs.
Ensuite, nous le savons, c’est une réalité humaine, la population pénale est socialement démunie. Seulement un tiers de la population pénale a un emploi avant l’entrée en prison, 70 % des personnes concernées ont un niveau scolaire inférieur au BEPC, et plus de 13 % d’entre elles sont illettrées, même si ce taux n’est que légèrement supérieur à la moyenne nationale.
La conférence de consensus a souligné les contradictions d’une politique pénale à la fois tournée vers la sanction et se donnant pour objectif de prévenir la récidive. Il n’y a pas – nous le savons tous, qui avons l’expérience de ces dossiers – de véritable corrélation entre la sévérité de la peine et le taux de récidive. C’est une réalité technique, démontrée par toutes les études, par toutes les données.
Nous savons également que, en cas de suivi, la récidive est 1,6 fois moindre que pour les sorties sèches. Or 80 % des personnes sortant de prison n’en font pas l’objet.
Il n’y a pas de risque zéro. Le crime, malheureusement, est inhérent à la nature humaine. L’objet d’une politique pénale est de réduire ce phénomène. Or je constate que celle qui a été menée depuis une dizaine d’années n’est pas une réussite ; on peut même considérer que c’est un échec.
Le traitement de la récidive a donné lieu à l’adoption d’une législation trop souvent foisonnante, privilégiant une sévérité accrue comme moyen de prévention de la récidive et plaçant l’emprisonnement comme peine de référence. Or, pour citer les mots de Jean-Marie Delarue, pour nous une référence, « l’efficacité de la prison réside moins dans le jour de l’entrée que dans le jour de sortie du condamné ».
L’indicateur le plus parlant de l’échec de cette politique est sans doute le taux d’incarcération, qui a atteint un niveau considérable, identique à celui qui prévalait à la fin du XIXe siècle. La France, en effet, compte aujourd’hui 68 600 détenus.
La révision de la politique pénale est donc nécessaire. Mais, madame le garde des sceaux, vous le savez mieux que nous tous, les moyens financiers et humains manquent ; ils ne sont pas au rendez-vous. Si une volonté politique forte n’y est pas associée, ce projet de loi pourrait se transformer, une nouvelle fois, en un pansement sur une jambe de bois.
La question des moyens est centrale. Nous l’avons tous dit en ces lieux, la loi pénitentiaire de 2009 était porteuse de nombreux espoirs, à contre-courant, d’ailleurs, du climat ultrasécuritaire qui prévalait alors. Le Parlement y avait travaillé dans un esprit consensuel. Malheureusement, cette loi est difficile à appliquer, pour ne pas dire davantage. Or la lutte contre la récidive passe aussi par l’amélioration des conditions de détention.
Je tiens, enfin, à vous faire part d’une observation, madame le garde des sceaux, qui me paraît fondamentale, même si je ne suis pas le premier – et encore moins le dernier – à la faire : la politique pénale laisse trop souvent de côté la question de l’exécution des peines. (M. le président de la commission des lois opine.) C’est très bien de vouloir constamment faire de nouvelles lois, mais si un État n’est pas en mesure d’appliquer les peines que la justice prononce, cela ne sert pas à grand-chose !
M. Jean-Claude Requier. Exactement !
M. Jacques Mézard. Nous le savons, les peines sont souvent inappliquées, inutilisées par le juge ou exécutées de manière tellement tardive qu’elles perdent alors tout leur sens. Il y a un an, j’ai visité une maison d’arrêt, comme cela peut m’arriver de temps en temps. Dans la première cellule que l’on m’a ouverte, j’ai rencontré un détenu qui m’a indiqué purger une peine datant de 2001. Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’un bon moyen de faire avancer la justice pénale !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est évident !
M. Jacques Mézard. Nous sommes donc très en retard sur ce point.
Lorsque les peines sont très éloignées de l’infraction, leur sens s’évapore. Or 70 % des peines d’emprisonnement connaissent un délai de mise à exécution, et une peine sur deux est mise à exécution entre 3,7 et 60 mois, soit cinq ans, ce qui correspond au délai de prescription de la peine en matière correctionnelle. Si l’on exclut les peines exécutoires sans délai, la moitié des peines d’emprisonnement sont mises à exécution après plus de 225 jours.
J’ai le sentiment que le présent projet de loi, même s’il est une amélioration, se résigne face à ce phénomène, voire l’entérine, puisqu’il va jusqu’à prévoir que les personnes dont la peine, prononcée plus de trois ans auparavant, doit être mise à exécution doivent être préalablement convoquées par le juge de l’application des peines. Je crains que l’exécution tardive n’ait encore de belles années devant elle !
Le changement, néanmoins, c’est que ce projet de loi s’interroge sur le sens de l’emprisonnement et rompt avec la politique pénale de ces dernières années, laquelle a conforté la peine privative de liberté comme peine de référence de notre droit pénal. L’individualisation des peines doit contribuer à faire baisser le taux d’incarcération.
L’action de la justice est souvent critiquée. Je suis pourtant un de ceux qui affirment qu’il faut faire confiance aux magistrats. Ce n’était pas le cas avec les peines planchers.
M. Jacques Mézard. J’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi pour les supprimer, et une autre pour supprimer la peine de rétention de sûreté.
De ce point de vue, le texte déposé à l’Assemblée nationale contenait une régression. Il revenait en effet sur la loi pénitentiaire de 2009, en prévoyant l’abaissement des seuils d’aménagement de peine de deux ans à un an pour les primo-délinquants et d’un an à six mois pour les récidivistes. La commission des lois est heureusement revenue à la rédaction de la loi pénitentiaire de 2009.
J’en termine en disant un mot sur l’instauration de la contrainte pénale. Je ne crois qu’il s’agisse là de la panacée ; c’est plutôt un moyen. À ce titre, elle ne justifie pas les débats passionnés dont la presse, notamment parisienne – elle en a l’habitude –, s’est fait l’écho. Cette mesure, néanmoins, peut être un pas vers la réinsertion de certains délinquants. Dès lors, elle peut constituer un progrès.
Il est temps, madame le garde des sceaux, de mettre fin au populisme pénal ! L’ancien garde des sceaux et sénateur Robert Badinter l’a rappelé récemment, le moment est venu de savoir ce que l’on veut faire : une énième loi se fondant dans le foisonnement législatif ou bien une loi redéfinissant notre droit pour les années à venir ?
Ce texte, c’est notre sentiment, constitue non pas une révolution, mais bien plutôt une évolution, rendue nécessaire par les réalités. C’est la raison pour laquelle le groupe RDSE le votera dans sa grande majorité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’ouvrirai mon intervention par un mot de Paul Ricœur, philosophe chrétien. Dans Soi-même comme un autre, il écrit : « La sagesse pratique consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle. »
Pour Ricœur, une justice seulement rétributive reste en deçà du juste. Le jugement doit avant tout contribuer à la paix sociale, en rapprochant les points de vue et en repartageant entre eux le soin de l’apaisement et du renouvellement du lien social. Dans la continuité d’Aristote, Ricœur appelle à un effort renouvelé pour ne jamais séparer l’aspect déontologique de la justice, qui est l’affirmation de règles et d’obligations, de son aspect téléologique, dont la visée consiste en un bien-vivre en commun.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et Aristote avait raison !
Mme Esther Benbassa. Madame la garde des sceaux, le texte que vous avez initié constitue un tournant au regard d’une philosophie de la justice aspirant à préserver la touche d’humanité tout en palliant l’indifférence aux oubliés de l’histoire, une philosophie qui est aussi indignation et exigence de défendre les droits des plus démunis, avec et pour eux.
Si le projet de loi dont nous débattons réussit à traverser dignement une atmosphère politique qui est plus à la polémique qu’à la reconstruction sociale positive, il contribuera à faire de la compassion, comme le soulignait Rousseau dans Émile, non pas une faible commisération, mais une force susceptible d’irriguer les liens sociaux. Aussi bien Rousseau que Ricœur réhabilitent en effet la compassion comme composante du lien social, démontrant la force de ce sentiment, loin de tout éphémère sentimentalisme comme de tout stérile apitoiement.
Madame la garde des sceaux, votre texte, même incomplet, porte haut l’humanisme qui a longtemps été celui de notre pays, mais que certains de ses dirigeants tendent parfois à oublier, soumis à la course aux informations rapides et sensationnelles des médias, adeptes d’une philosophie du smartphone et du tweet qui serait, selon le flot du jour, à même de dicter décisions importantes et mesures prêtes à l’emploi ; telle cette utopie de la « tolérance zéro » à l’insécurité, dans un monde d’humains vulnérables et faillibles !
Avec ce texte, nous nous ouvrons aussi au care anglo-américain, tel qu’analysé par Joan Tronto. Selon elle, le care permet la « transformation de la pensée sociale et politique, en particulier de la façon que nous avons de traiter les "autres" ». C’est à partir de sa pratique que se révèlent le mieux les ressources de la compassion pour tisser des liens sociaux plus soucieux des besoins des plus démunis et plus ambitieux dans la défense de leurs droits. C’est en prenant au sérieux les pratiques du care et en les considérant dans toute leur envergure que s’en manifeste la puissance intégrative. À cet égard, votre texte est parfaitement réaliste, madame la garde des sceaux.
Nous, écologistes, sommes heureux et honorés d’examiner avec vous toutes et tous ce projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive, qui nous permet d’être les acteurs d’un tournant décisif. Il était temps de mettre fin à l’aberration des peines planchers, ainsi qu’à la révocation automatique du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve.
La contrainte pénale, l’une des mesures phares de ce projet de loi, a certes réveillé les démons les plus puissants de notre imaginaire pénal. Pourtant, au printemps, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive a démontré, chiffres à l’appui, que, pour les petites infractions, la récidive était plus faible après une peine de probation en liberté qu’après un séjour en prison.
L’enfermement à tout prix serait-il donc le seul horizon possible de la peine ? Et pourquoi la peine de probation serait-elle un cadeau fait aux délinquants ? Pourtant, Nicole Maestracci, magistrate, présidente du comité d’organisation de la conférence de consensus, a insisté sur le fait que la peine de probation était « une peine à part entière », ajoutant qu’il convenait de sortir de l’idée selon laquelle les peines en milieu ouvert seraient plus douces que l’enfermement.
Et comme l’écrit Denis Salas : « Cette peine s’inscrit complètement dans la philosophie de la réhabilitation. » Punir, c’est d’abord réinjecter dans l’individu coupable des normes sociales et non morales. La psychanalyse nous a appris que l’on ne pouvait pas éradiquer le désir du mal et qu’il était vain d’espérer rendre le délinquant plus vertueux, mais qu’il était possible d’essayer de l’insérer dans la société et de l’empêcher de devenir pire, comme c’est le cas, justement, dans ces prisons où les petits délinquants fréquentent des bandits d’envergure ou des djihadistes, dans une promiscuité extrême et dans l’abandon à soi-même.
Il s’agit non plus d’entretenir une société sondagière et vengeresse de l’utopie sécuritaire et du populisme pénal, mais de travailler à l’avènement d’une société apaisée qui participe activement à la mise en œuvre de la sanction. En fait, selon Denis Salas, le droit à la probation dit au coupable : « Tu seras puni, mais tu gardes ta place parmi nous. »
M. Philippe Bas. Une utopie en remplace une autre !
Mme Esther Benbassa. Merci d’intervenir et de compléter ma culture ! (Sourires.)
Selon Paul Ricœur, ce droit à la probation dit : « Tu vaux mieux que tes actes. »
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Il nous faut choisir entre deux options : soit construire de plus en plus de prisons, soit renforcer les actions éducatives, d’insertion et de solidarité à l’endroit des délinquants pour moins de récidive et plus de sécurité.
L’autre grande question est évidemment de savoir si l’on se donnera les moyens de faire aboutir cette réforme, notamment s’agissant de l’instauration d’un examen systématique de la situation des condamnés à une peine de plus de cinq en vue de l’éventuel octroi d’une mesure de libération sous contrainte, mécanisme qui devrait permettre de lutter efficacement contre les sorties sèches, véritable terreau de la récidive.
Il s’agit ici non pas de lâcher des criminels dans la nature, comme certains le prétendent, mais, au contraire, d’éviter l’environnement carcéral souvent criminogène à certains auteurs d’infractions, qui se verront contraints par de nombreuses obligations et interdictions adaptées à leur situation.
N’oublions pas non plus que l’insertion commence en milieu fermé. Aucune mesure n’a été jusqu’à présent véritablement efficace pour lutter contre les sorties sèches, puisque 78 % des personnes incarcérées sortent sans aucun contrôle, ce chiffre atteignant 98 % pour les personnes condamnées à moins de six mois.
Il faudrait préalablement à la sortie obtenir un logement, entamer des procédures difficiles pour obtenir un RSA, une carte Vitale, et ainsi articuler la politique pénitentiaire et les politiques sociales. Car, comme le dit Denis Salas, le récidiviste est non pas une figure de l’incorrigible, mais celui qui attend qu’on l’aide dans sa vulnérabilité et qu’on le reconnaisse dans sa demande de droits sociaux.
Ainsi ce projet de loi tend-il à convertir la prison en chance pour la réinsertion. L’objectif est clair : réduire le risque de récidive. À nous de rappeler à l’opinion que l’inflation législative et l’enfermement comme réponse pénale dissuasive n’ont pas réussi à endiguer la récidive. Si l’incarcération apporte une sécurité provisoire, seule une réinsertion réussie renforce la sécurité à long terme.
Je veux ici rendre hommage au travail de nos collègues de l’Assemblée nationale, et notamment des députés écologistes, qui ont beaucoup amélioré le texte.
Parmi les nombreuses avancées, je mentionne la création à l’article 18 quinquies d’une procédure de demande de mise en liberté pour motif médical au bénéfice des personnes placées en détention provisoire. Cette disposition reprend les termes d’une proposition de loi écologiste déposée par notre ancienne collègue Hélène Lipietz et adoptée à l’unanimité par le Sénat au mois de février dernier, texte dont j’étais alors la rapporteur.
Le texte issu de la commission des lois du Sénat a montré que son rapporteur socialiste, Jean-Pierre Michel, dont je salue ici l’excellence de la contribution, et les écologistes, ainsi que les communistes, portent des combats communs et se retrouvent sur nombre d’amendements. Je pense ainsi à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs délinquants ou de la rétention de sûreté.
Nous voterons donc en faveur de ce projet de loi. Mais je vous exhorte, mes chers collègues, je nous exhorte, quand bien même certains de nos points de vue divergeraient, à nous rassembler autour de ce texte, un texte rompant avec l’imaginaire collectif binaire qui divise le monde entre, d’un côté, les coupables et, de l’autre, les victimes, ces dernières n’étant nullement oubliées dans le dispositif.
Gardons à l’esprit que « l’Autre », c’est encore nous-mêmes. Ne sacrifions donc pas ce texte à la fois humaniste et réaliste sur l’autel de nos clivages politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je rejoins notre collègue Yves Détraigne lorsqu’il salue le travail extrêmement important fourni par Jean-Pierre Michel. En revanche, je ne partage nullement ses conclusions, puisque j’approuve totalement les positions de notre rapporteur et le texte dans sa version amendée par la commission des lois.
Au mois de février 2004, un certain Monsieur B. a demandé un rendez-vous au maire de Châteaubourg que j’étais, afin de solliciter la possibilité d’utiliser des salles de sport. Lors de ce rendez-vous, qui a eu lieu une dizaine de jours plus tard, il m’a exposé les motifs de sa démarche. Il venait de sortir de prison après avoir purgé une peine d’environ deux ans à Nantes, sachant qu’il avait été transféré à Rennes quinze jours avant sa libération, car il a de la famille à Châteaubourg.
Ladite famille était d’ailleurs déjà connue des services sociaux, et le foyer, composé d’un couple vivant dans une promiscuité certaine, ne présentait pas vraiment les conditions de logement adaptées pour accueillir une personne de sexe masculin.
Aussi Monsieur B., qui avait été convaincu au cours de sa détention de l’importance de l’hygiène, souhaitait-il pouvoir utiliser les vestiaires des salles de sport, plutôt que de se laver devant sa belle-sœur dans la cuisine de son frère.
Lorsque je l’ai rencontré, sa situation s’était déjà dégradée en une dizaine de jours.
En effet, libéré de prison avec 200 euros en poche, et déterminé à s’en sortir, il avait commencé par s’inscrire dans une agence d’intérim, puis avait acheté un téléphone portable – il n’y a pas de téléphone chez son frère –, convaincu qu’il serait rapidement contacté par un employeur désireux de le recruter. En outre, comme il avait été sensibilisé en prison à l’importance de l’apparence extérieure, et notamment d’une bonne dentition, il était allé chez le dentiste. Et, après avoir payé la consultation, il s’était rendu compte qu’il n’avait plus d’argent.
Il avait alors décidé de solliciter sa tutrice. Mais, comme cette dernière habite à Nantes, elle ne pouvait lui fournir d’argent que par virement. Et Monsieur B. ne pouvait pas ouvrir de compte bancaire, puisque sa carte d’identité était périmée !
Sa seule possibilité était donc de se rendre jusqu’à Nantes. Sauf qu’il n’avait plus assez d’argent pour acheter un billet de train. Il a donc voyagé sans payer et s’est vu infliger une amende par le contrôleur. En plus, comme il n’avait pas téléphoné avant de venir, une fois arrivé sur place, il s’est rendu compte que sa tutrice n’était pas là. Il est donc revenu à Châteaubourg en train, là encore sans payer, ce qui lui a valu une deuxième amende. Ayant absolument besoin d’argent, ne serait-ce que pour se nourrir ou s’habiller, il est retourné à Nantes dans les mêmes conditions, et s’est encore fait contrôler. Au total, quand je l’ai rencontré, il devait payer six amendes de cinquante-quatre euros chacune, correspondant à trois allers-retours entre Châteaubourg et Nantes. Cela commençait à faire beaucoup.
Monsieur B., qui affirmait être déterminé à s’en sortir, demandait de l’aide. Sa tutrice décida de lui envoyer un mandat. Mais, à la poste, il ne pouvait pas récupérer l’argent envoyé, puisque sa carte d’identité était périmée. Et, n’ayant pas d’argent, il ne pouvait pas faire les photos d’identité indispensables pour l’obtention d’une nouvelle carte.
Au sein de la mairie, nous avons réussi à débloquer pour partie la situation, notamment en appelant la poste. Mais sa tutrice demeurait toujours à Nantes, et le suivi n’était pas réalisé. Comme nous n’avions pas accès au dossier et ne disposions pas de l’ensemble des éléments, il ne nous était pas possible de l’aider correctement.
Alors, il a récidivé. Au bout de plusieurs mois, il m’a écrit de prison, m’expliquant qu’il voulait toujours s’en sortir. Il voulait que nous le recevions, pour l’aider. J’ai dit que je ferais ce que je pourrais.
Il a de nouveau récidivé, après être sorti une deuxième fois de prison. Aujourd'hui, il y est retourné.
Vous me direz qu’il s’agit d’un cas particulier et que la gauche a tellement tempêté contre le fait de légiférer à partir de cas particuliers. Vous avez raison, on ne légifère pas à partir de cas particuliers quand il s’agit de faits divers exceptionnels, certes médiatiques et médiatisés. Mais le cas de Monsieur B. n’est pas un fait divers exceptionnel et médiatisé. Monsieur B. est un monsieur comme tant d’autres. À l’instar de 80 % de ceux qui sortent de prison, il n’a pas été accompagné une fois sa peine accomplie et n’avait donc aucune chance de réussir à se réinsérer.
Monsieur B. m’avait dit qu’il avait fait des erreurs, et qu’il les avait payées. Il ne voulait pas les réitérer, mais il n’a pas réussi.
Madame la garde des sceaux, nous vous suivrons bien évidemment sur ce texte, qui s’attaque au réel problème de la prison, sanction comprise… ou non comprise. Surtout, il s’agit de ne plus voir de Monsieur B., d’empêcher les sorties de prison non accompagnées, à l’origine de nombreuses récidives, malgré toute la volonté des personnes concernées.
Ce texte est très loin du laxisme dont on l’accuse.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Virginie Klès. Quand on n’accuse pas la loi de laxisme, on s’en prend aux juges ! C’est toujours le même discours qui revient quand le système ne fonctionne pas ! Où est le laxisme dans le cas de Monsieur B. ? Non, il s’agit non pas d’un texte laxiste, mais d’un texte lucide, qui se fonde sur un vrai diagnostic de la délinquance et de la récidive et s’attaque à la réelle cause des échecs.
C’est un projet de loi en cohérence, cela a été rappelé tout à l’heure, avec un certain nombre d’autres textes que nous avons adoptés ici, au Sénat, avec un certain nombre de positions que nous avons prises ici même, quelles que soient d’ailleurs les travées sur lesquelles nous siégeons.
Ce texte vise à prévoir un suivi efficace des détenus au moment de leur sortie de prison. C’est un texte de courage, parce qu’il faut du courage et de la pédagogie pour tenir un discours de vérité auprès du grand public. Il faut du courage pour expliquer que la dissuasion ne repose pas sur le quantum des peines, que tous les délinquants sont persuadés qu’ils ne seront pas pris. Chaque fois que Monsieur B. a pris le train, il pensait qu’il ne serait pas contrôlé.
Il faut du courage pour rappeler que toute peine, quelle qu’elle soit, a une fin. Il faut donc que les conditions soient réunies pour que la personne sanctionnée, une fois sa peine effectuée, puisse repartir sur ses deux jambes, sur un autre chemin.
Il faut du courage pour affirmer que la dissuasion ne suffit pas, aussi bien pensée soit-elle. Il faut aussi de la persuasion, pour convaincre qu’une autre voie, une autre vie que celle offerte par la délinquance est possible. Il faut du courage pour affirmer qu’il convient de chercher l’inclusion et non l’exclusion, même si l’enfermement peut être nécessaire dans certains cas, pendant un moment donné.
C’est un texte d’innovation et de confiance envers les professionnels de la justice, les magistrats et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Il se fonde sur les expériences déjà menées par certains de nos voisins.
C’est un texte d’innovation : il permet en effet de sortir du raisonnement ayant si longtemps prévalu, selon lequel l’augmentation des peines suffit à faire diminuer la délinquance. On l’a vu tout au long de la soirée, ce paradigme est aujourd'hui battu en brèche.
Bien sûr, on peut affirmer que ce texte est destiné à faire sortir les gens de prison. Tel n’est pourtant pas le cas ! Aux yeux de mon groupe, un projet politique ne se contente pas de chiffres, et ne traite pas les êtres humains comme des numéros. Un projet politique, c’est un vrai projet, qui vise à faire diminuer la délinquance, à lutter contre la récidive, à réinclure et à réinsérer des personnes qui, à un moment donné, ont enfreint la loi.
Bien évidemment, si l’adoption de ce texte avait pour conséquence de vider les prisons, ce serait une saine conséquence, ne serait-ce que parce qu’elles seraient ainsi rendues plus dignes, plus efficaces, plus utiles à la société. Selon moi, les prisons françaises sont aujourd'hui la honte de notre République.
Ce projet de loi ne nie pas les évidences. Oui, la récidive existe et existera. Non, nous ne parviendrons jamais à un taux de récidive ni à un taux de délinquance de 0 %. La récidive est une rechute qui ne signifie pas la perte de tout espoir. Voyez, sur ce sujet, le parcours de Yazid Kherfi, qu’il décrit lui-même dans ses livres. Il a récidivé plusieurs fois avant de se sortir définitivement de la délinquance et de devenir éducateur en milieu carcéral, afin d’aider des jeunes à sortir eux aussi de la délinquance.
Quant à nos prisons, elles sont aujourd'hui une école de l’humiliation. Or l’humiliation n’a jamais été la bonne porte de sortie de la délinquance.
Ce projet de loi, qui comporte quatre grands points, vise à créer une nouvelle peine, la contrainte pénale. Ne mentons pas en y associant le terme de crime, qui est si mal compris par nos concitoyens. Un crime n’est pas un homicide ! Un crime, dans notre code pénal, c’est une certaine catégorie d’infractions. L’existence de la contrainte pénale ne signifiera pas que les personnes ayant commis un homicide n’iront pas en prison ! Tenons ce discours de vérité.
Pour résumer, ce texte tend à créer une nouvelle peine, à proscrire toute sortie sèche et à prendre en compte la place des victimes, même si celles-ci ne doivent pas être au centre du procès pénal. Parce que des moyens sont prévus – le Gouvernement s’y est engagé, et je lui fais confiance –, ainsi qu’une évaluation de la loi, qui fera office de juge de paix en 2017, la prévention de la récidive connaîtra des victoires, j’en suis intimement persuadée.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste soutiendra ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf. (M. Philippe Bas applaudit.)
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, dont l’intitulé a changé, puisqu’il s’agit désormais de « renforcer l’efficacité des sanctions pénales », constitue la première réforme de politique pénale d’importance depuis l’alternance des dernières élections présidentielle et législatives.
En montant à cette tribune me revient en mémoire le rôle que j’ai eu l’honneur de jouer, en tant que rapporteur de la commission des lois, lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire. Le regard que nous portions sur l’univers carcéral était alors largement partagé, de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, présidée par Louis Mermaz, qui avait notamment exprimé le souhait de rompre le cercle vicieux liant l’accroissement du nombre de détenus et l’augmentation des capacités d’accueil en prison, à la commission d’enquête du Sénat, présidée par Jean-Jacques Hyest, dont le titre, Prisons : une humiliation pour la République, claque encore et toujours à nos oreilles (Mme la garde des sceaux opine.), jusqu’à l’implacable réquisitoire de Nicolas Sarkozy devant le Congrès du Parlement en juin 2009 : « Comment accepter que la situation dans nos prisons soit aussi contraire à nos valeurs de respect de la personne humaine ? Comment espérer réinsérer dans la société ceux qu’on aura privés pendant des années de toute dignité ? »
Bien sûr, la discussion de la loi pénitentiaire n’a pas totalement échappé aux querelles convenues entre majorité et opposition. Tout de même, surtout au Sénat, nous étions souvent parvenus à dépasser nos divergences, pour élaborer ensemble un texte de rupture avec un passé qui n’honore pas toujours notre pays. Car si, comme le pensait Albert Camus, une société se juge à l’état de ses prisons, la nôtre ne méritait guère l’acquittement.
C’est le Sénat, mes chers collègues, qui a marqué de son empreinte la loi pénitentiaire, de l’obligation d’activité à la sauvegarde du principe de l’encellulement individuel, de la réforme du régime des fouilles au choix du développement des aménagements de peines et des alternatives à l’incarcération, de la définition du sens de la peine à la refonte des conditions de détention. C’est le Sénat qui a convaincu nos collègues députés de se rallier à ces choix essentiels lors de la commission mixte paritaire, et qui a largement forcé la main du Gouvernement et des gardes des sceaux de l’époque.
Plus récemment, avec notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, dont je n’ai pas oublié que nous n’appartenions pas au même groupe (Sourires sur les travées du groupe CRC.), nous avons commis un rapport sur l’exécution, qui laissait encore beaucoup à désirer, de la loi pénitentiaire. Nous en avons partagé tous les deux, elle présidente du groupe communiste et moi sénateur de l’UMP, l’intégralité des conclusions. Et si l’on me taxait sur ce dossier d’UMPC, je prendrais cela comme un compliment. (Même mouvement.)
Je pensais, j’espérais, je croyais donc que, sur ces questions si difficiles mais si essentielles, dans le respect le plus absolu de la souffrance des victimes et de leurs familles et la volonté de réparer autant que faire se peut les torts qu’elles ont subis, dans la recherche des moyens les plus performants pour lutter contre la récidive, dans la prise en compte aussi de la désespérance de bon nombre de condamnés, nous pourrions nous retrouver, de droite, de gauche, du centre ou d’ailleurs, côte à côte et non frontalement opposés.
La lecture du compte rendu des débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale n’a guère répondu à mes attentes. J’y ai retrouvé un manichéisme que je croyais dépassé, une opposition paraissant irréductible entre deux camps, aussi convaincus l’un que l’autre de détenir le monopole de la vérité et parfois, pour ne pas dire souvent, méprisants à l’égard de ceux qui ne partageaient pas leurs convictions.
D’un côté de l’hémicycle, j’ai cru comprendre qu’il fallait arrêter tout travail de réinsertion, de peur d’inciter les personnes à passer par la case prison pour devenir prioritaire pour en bénéficier... De l’autre côté, une collègue s’adressait à ses « camarades, et seulement à eux » dans une appréhension pour le moins cloisonnée de la démocratie.
Enfin, j’ai quelques difficultés à comprendre qu’une loi de la République portant sur la rétention de sûreté puisse être à de multiples reprises disqualifiée et traitée de loi honteuse. J’entends et respecte les arguments de ceux qui veulent son abrogation, mais en quoi est-il honteux, mes chers collègues, de voter une législation dont on attend qu’elle puisse éviter un certain nombre, même limité, de crimes, et épargner un nombre, même limité, de victimes potentielles ? On ne peut condamner cette loi pour son manque d’application puisque, comme toute loi pénale plus sévère, elle ne pouvait être rétroactive. N’ayant pas été suivi sur ce point en tant que rapporteur du Sénat, j’avais dit que le Conseil constitutionnel me donnerait raison, c’est ce qui s’est passé, et je n’entrerai pas ici dans le débat entre peine et mesure de sûreté.
Je me permets simplement de rappeler une audition qui m’a profondément marqué, celle d’une jeune femme responsable d’une association de victimes, elle-même victime d’un violeur en série. Elle était allée trouver le garde des sceaux de l’époque, à la veille de la libération de l’homme qui l’avait violée, lui demandant de ne pas le laisser sortir, tant elle était certaine de l’immédiateté de sa récidive, ce qu’il affirmait d’ailleurs lui-même. La rétention de sûreté n’existait pas, la peine avait été purgée, le délinquant fut libéré et il a récidivé comme il l’avait annoncé. Elle me disait encore, sans l’ombre d’une volonté de vengeance, que ce qu’elle ne supportait pas c’est que, pendant son incarcération, « il avait simplement fait de la fonte », c'est-à-dire de la musculation – c’est en effet ce qu’on arrive à faire le plus facilement en prison – mais n’avait suivi aucun traitement, participé à aucun groupe de parole, ni bénéficié d’aucun soin de nature à éviter ou même à limiter le risque de récidive.
Je veux aussi dire ici combien les associations de victimes savent faire preuve de réflexion, de modération et de proposition, bien davantage que les associations qui s’expriment à la place des victimes, prétendant parler en leur nom.
Je connais ainsi bien des familles de victimes qui s’impliquent dans la justice restaurative et qui pourraient être bien inutilement blessées par certains commentaires pour le moins hâtifs, évoquant des séances de « câlinothérapie » destinées à faire se rencontrer auteurs et victimes. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Je n’invente rien, ces propos ont été tenus à l’Assemblée nationale.
M. Jean-René Lecerf. Enfin, et j’en termine sur la rétention de sûreté, ne pensez-vous pas que sa suppression pourrait entraîner ou entraînera peut-être inéluctablement l’allongement des peines par les jurys populaires, puisque ces derniers sauront qu’à l’issue d’une peine plus modérée aucun examen de dangerosité, réalisé sur de longues durées par des équipes pluridisciplinaires dans un centre national d’évaluation ne pourrait plus conforter ou infirmer la mise à l’écart de la société ?
Mais sur le projet de loi lui-même, j’ai d’autant moins de critiques à formuler qu’il s’inscrit, on l’a dit, dans l’étroite continuité de la loi pénitentiaire de 2009. Il en va ainsi du sens de la peine, qui concilie la sanction du condamné, la protection de la société, les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue pour lui permettre, disait-on en 2009, de mener une vie responsable et exempte d’infractions. Il n’avait d’ailleurs pas été facile, en 2009, d’introduire le sens de la peine. On nous avait reproché d’être bavards et moralisateurs. Je me réjouis que les opinions aient évolué.
Il en va de même de la volonté, en matière délictuelle, de faire de la prison l’exception et de l’aménagement de peine la règle. Grâce à notre rapporteur, nous en revenons même aux dispositions de la loi pénitentiaire s’agissant du seuil permettant un aménagement de peine. Jean-Jacques Hyest a évoqué précédemment le nombre de fois où il a fallu ferrailler pour éviter la remise en cause de cette disposition d’une loi dont l’encre était à peine sèche.
En outre, je suis convaincu de l’absolue nécessité de rétablir ou de confirmer – peu importe – la confiance à l’égard des magistrats et de leur donner la plus grande liberté d’appréciation. La suppression des peines planchers comme l’absence de toute libération anticipée automatique vont dans ce sens, tandis que la contrainte pénale devrait offrir une nouvelle opportunité de sanctionner et de réinsérer, détachée, du moins dans un premier temps, de l’univers carcéral.
Mais – car il y a un « mais », madame le ministre ! – ce sont d’abord les moyens financiers, et donc les capacités d’accompagnement de ces politiques, essentiellement par des personnels d’insertion et de probation, mais aussi par des associations spécialisées, qui décideront du succès ou de l’échec de cette réforme.
Une fois encore, je me souviens de la loi pénitentiaire. L’étude d’impact qui y était jointe prévoyait le recrutement de 1 000 conseillers d’insertion et de probation pour faire face aux enjeux de la réforme. Ils ne furent pas assez nombreux au rendez-vous, sans doute parce que nous étions engagés dans la suite du programme Perben de construction de 12 000 nouvelles places de prison, qu’une place de prison coûte aujourd’hui entre 120 000 et 150 000 euros et que, bien entendu, ces établissements nouveaux ne peuvent fonctionner sans les personnels de surveillance nécessaires.
Or, en l’état de nos budgets, et gouvernement après gouvernement, notre budget de la justice fait quelque peu figure de parent pauvre des budgets européens. Il serait bien aventureux de vouloir intervenir significativement à la fois dans l’extension du parc pénitentiaire et dans le recrutement d’agents d’insertion et de probation.
Les programmes Chalandon, Méhaignerie, Perben ont permis la mise à disposition d’environ 30 000 places supplémentaires, qui étaient indispensables.
Le ratio d’incarcération de notre pays ne peut, certes, se comparer à celui des États-Unis ou de la Russie, mais serait-ce bien raisonnable ? Il est certes inférieur à celui de la Grande-Bretagne, mais supérieur à celui de l’Allemagne ou des pays nordiques.
L’urgence aujourd’hui c’est bien de se donner les moyens de la réussite dans les aménagements de peines et la contrainte pénale, tout en cherchant à lutter contre la surpopulation carcérale, source de tous les maux dans nos prisons, tant pour les personnes détenues que pour le personnel pénitentiaire, et notamment le personnel de surveillance dont le nombre n’évolue guère en fonction de cette surpopulation.
Je rappelle aussi la présence envahissante, dans nos prisons, de la maladie mentale.
Un rapport sénatorial réalisé par les commissions des lois et des affaires sociales estimait à 10 % de la population carcérale les personnes souffrant de problèmes psychiatriques tels que la peine n’a aucun sens à leur égard. Cette proportion demeure importante.
S’il est difficile de sortir ces personnes de l’univers carcéral – et la création des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, permet de prendre acte de cette situation anormale –, peut-être pourrait-on au moins faire en sorte, par une grande loi sur la santé mentale et le rétablissement de lits psychiatriques en milieu fermé, de ne plus les y faire entrer. Dans une démocratie aussi avancée que la nôtre, la prison ne doit pas se transformer en asile du XXIe siècle.
Enfin, qu’il me soit permis de remercier notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, d’avoir introduit dans le projet de loi le dispositif de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, déposée par Christiane Demontès, Gilbert Barbier et moi-même, texte dont il était le rapporteur, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’en était pas cosignataire. L’altération du discernement cessera ainsi d’être une circonstance aggravante pour devenir une circonstance atténuante, et les garanties concernant l’obligation de soins seront renforcées pendant et après la détention.
Bien qu’elle ait été adoptée à l’unanimité au Sénat, contre l’avis du Gouvernement, le 25 janvier 2011, cette proposition de loi jouait la belle au bois dormant entre le palais du Luxembourg et le Palais-Bourbon ; une situation d’ailleurs assez fréquente... Merci de l’avoir réveillée !
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, même si ce n’est pas le plus important, je crois aussi que la discussion de ce projet de loi représentera pour le Sénat, dont les pouvoirs et l’utilité sont parfois aujourd’hui, çà et là, contestés, l’opportunité de montrer son rôle irremplaçable dans notre démocratie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 25 juin 2014, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales (n° 596, 2013-2014) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 641, tomes I et II, 2013-2014) ;
Texte de la commission (n° 642, 2013-2014).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 25 juin 2014, à zéro heure vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART