M. Alain Néri. Absolument !
M. Jean-Jacques Lozach. Chaque fois que l’on demande aux collectivités locales de mettre en place, sur leur propre initiative et sous leur propre responsabilité, des dispositifs de péréquation horizontale, on se rend compte qu’il y a beaucoup plus de croyants que de pratiquants… C’est à l’État qu’il appartient d’imposer la discrimination positive. L’affirmation de ce type de principes, c’est bien, mais c’est surtout leur mise en œuvre qui est absolument essentielle.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 100.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Mes chers collègues, Mmes et MM. les secrétaires m’informent qu’il y a lieu de procéder au pointage des votes.
En attendant le résultat définitif, je vous propose de poursuivre la discussion des articles.
L’amendement n° 101, présenté par MM. Favier et Le Cam, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le cadre du processus de décentralisation engagé depuis 1982, faisant de notre pays une République indivisible dont l’organisation est décentralisée, toute réforme de nos institutions territoriales, toute nouvelle répartition des compétences visent un double objectif, celui de rendre aux citoyens les meilleurs services publics dans la solidarité entre les personnes et les territoires et d’autre part d’améliorer l’exercice de notre démocratie locale en favorisant toujours plus la participation des citoyens aux décisions et au contrôle de leur mise en œuvre, dans le respect des instances élues et du pluralisme des courants de pensée qui traversent notre pays.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. L’amendement que nous vous soumettons vise également à introduire un article additionnel avant l’article 1er afin de rappeler au Gouvernement et aux législateurs les objectifs qui doivent fonder, à notre avis, toute réforme de nos institutions locales dans le cadre du processus de décentralisation engagé depuis trois décennies, que personne, jusqu’à présent, n’a déclaré vouloir remettre en cause.
Les buts initiaux de notre décentralisation étant, nous semble-t-il, trop souvent oubliés, il nous paraît nécessaire de les rappeler en ouverture de ce débat sur un texte de loi qui, s’il était adopté, ébranlerait fortement notre organisation territoriale.
Le séisme qu’il pourrait provoquer serait aggravé, amplifié, par les prochains textes déposés et annoncés. Les lois de décentralisation – faut-il le rappeler ? – visaient à donner plus de liberté et de responsabilités à nos institutions locales. Nous avons inscrit dans notre Constitution le principe de leur libre administration fondée, non seulement sur une responsabilité fiscale et une autonomie financière, mais aussi sur l’affirmation d’une compétence générale leur permettant d’intervenir en tout domaine pour répondre aux besoins et aux attentes de leurs concitoyens, et pour défendre les intérêts de leur territoire.
Il ne s’agissait pas alors simplement de réformer les institutions. Les promoteurs de ces textes avaient surtout dans l’idée d’affronter un double défi : la réponse aux besoins et le développement de notre démocratie.
En renforçant le rôle des assemblées locales élues, le gouvernement de l’époque et sa majorité souhaitaient donner plus de pouvoirs d’intervention au peuple, plus de pouvoirs de contrôle sur les décisions prises par les administrations locales, plus de moyens pour répondre aux besoins de la vie quotidienne. Tout le monde s’accordait alors pour dire qu’en application du principe de subsidiarité il serait plus aisé et plus assuré de répondre aux attentes.
Rappeler ces objectifs nous semble tout particulièrement pertinent aujourd’hui quand, dans ce projet de loi, il n’est question que de réduction de la dépense publique et du nombre d’élus.
Chacun l’aura bien compris, nous sommes conscients de la faiblesse de la portée normative de la série d’articles additionnels que nous avons souhaité introduire. Pourtant, tout le monde sait aussi que, dans une loi, il y a non seulement la règle écrite, mais aussi l’esprit. C’est la raison pour laquelle je vous propose d’adopter l’amendement ainsi présenté.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Delebarre, rapporteur. Il s’agit de la troisième tentative du même type, mais, pour une fois, la commission spéciale a suivi l’avis de son rapporteur et donné un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la sénatrice, j’ai indiqué tout à l’heure au sujet d’autres amendements n’ayant pas de portée normative qu’il n’était pas souhaitable que nous les adoptions, car nous ne souhaitons pas que soient introduits dans des articles de loi des éléments relevant davantage du préambule ou de considérations d’ordre général.
En vertu de la même doctrine, je ne peux accepter votre amendement qui relève de la même logique. N’ayant pas de portée normative, il n’a pas, selon nous, à figurer dans la loi.
Par ailleurs, pour répondre sur le fond, je me dois de vous dire que l’objectif de la réforme territoriale ne peut pas se limiter, même s’il s’agit d’une préoccupation très forte du Gouvernement, au développement des services publics et de la démocratie locale. Le projet de loi doit avoir cette dimension, et il l’a, mais il doit aller au-delà. Ainsi, nous devons également tenir compte du contexte économique et de la complexité de notre organisation territoriale, laquelle est devenue un frein au développement économique et à l’emploi.
C’est la raison pour laquelle le Président de la République a rappelé les objectifs de la loi : simplifier et clarifier le rôle des collectivités locales ; faire des territoires les moteurs du redressement économique du pays ; renforcer les solidarités territoriales et humaines.
Cet amendement n’ayant pas de portée normative, et les sujets qu’il évoque étant trop restrictifs par rapport aux objectifs que nous souhaitons atteindre, je ne peux lui réserver une suite favorable.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Les écologistes voteront résolument contre cet amendement. À mon sens, madame Cukierman, vous détricotez le principe même des deux projets de loi qui nous sont soumis successivement, avec le projet de loi Lebranchu.
Si nous soutenons fortement le présent texte, c’est bien parce qu’il nous permettra de sortir de cet empilement de collectivités – communes, départements, régions – qui, au nom de la libre administration, s’occupent aujourd’hui de tout, avec des compétences de plus en plus croisées, ce qui fait que les Français ne s’y retrouvent plus. Nos compatriotes sont d’accord pour que tout soit remis à plat.
Il y a notamment une avancée majeure dans le projet de loi Lebranchu avec la mise en place des schémas prescriptifs. Je crois ne pas me tromper en disant que votre amendement remet en cause ces schémas, et donc la planification régionale,…
Mme Éliane Assassi. Non !
M. Ronan Dantec. … laquelle, après débat entre l’ensemble des collectivités concernées dans le cadre de la conférence territoriale, a vocation à s’imposer à tous.
Il s’agit d’une avancée majeure. Il faut savoir que nous réclamons de l’aménagement du territoire prescriptif à l’échelle régionale depuis longtemps. Or force est de constater que de cette idée découle logiquement la fusion des régions, même si je ne souhaite pas relancer le débat sur le calendrier proposé.
Nous sommes convaincus qu’il faut des régions plus grandes pour assumer ces schémas prescriptifs et une véritable planification régionale. À mon sens, cet amendement tend à remettre en cause l’ensemble d’une architecture voulue par les Français, qui comprennent mieux que certains d’entre nous, je crois, le texte dont nous débattons.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. On peut toujours faire dire aux gens ce qu’ils ne disent pas et continuer ce dialogue de sourds pendant plusieurs jours !
Depuis les débats sur la loi Lebranchu de modernisation de l’action publique, nous n’avons de cesse de dire que nous sommes des décentralisateurs, que cela vous plaise ou non. Peut-être n’avons-nous pas la même vision de la décentralisation, mais nous pensons que le but de celle-ci est de donner les moyens aux collectivités locales de s’organiser entre elles pour définir la répartition de leurs compétences et les politiques à mener sur leurs territoires, dans le cadre d’un État fort garantissant l’égalité entre tous nos concitoyens, quels que soient leurs conditions sociales et leur lieu de vie.
Monsieur Dantec, les jours passent, mais les mêmes faux débats perdurent ! En effet, nous n’avons jamais dit que nous étions, a priori, contre les schémas prescriptifs.
La question est la suivante : sommes-nous des décentralisateurs, ici, au Sénat ?
Si tel est le cas, nous devons poser en principe que les schémas prescriptifs doivent être discutés dans le cadre des conférences territoriales, des conférences des exécutifs, lesquelles doivent pouvoir permettre aux élus de décider de la répartition des compétences, des moyens à répartir et, si besoin est, d’un schéma prescriptif pour mettre en œuvre les politiques définies ensemble.
Si tel n’est pas le cas, c’est alors un texte « venu d’en haut » qui doit dire de façon autoritaire – je n’emploierai pas le qualificatif « jacobin », auquel je tiens et que je ne souhaite pas galvauder – que telle collectivité exerce telle compétence, et que le schéma qu’elle élaborera sera prescriptif et s’imposera à tous, quelle que soit la réalité des territoires et des collectivités locales.
Nous ne sommes peut-être pas d’accord, monsieur Dantec, mais n’utilisez pas de faux arguments visant à simplifier notre pensée. Nous n’en sommes d’ailleurs pas surpris, car cela a déjà été le cas lors de la discussion du précédent texte. Les communistes ne sont pas pour l’immobilisme : nous voulons au contraire renforcer le pouvoir local dans une République qui assure l’égalité entre toutes et tous. Nous n’en démordrons pas et, s’il le faut, nous le répéterons à l’occasion de chaque amendement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la sénatrice, je ne comprends pas pourquoi vous vous mettez en colère lorsque nous faisons ce que vous demandez. (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
Si nous faisions le contraire de ce que vous souhaitez, je comprendrais que, avec passion et talent, vous nous morigéniez de belle manière, comme l’on dit dans les pièces de Molière. En l’occurrence, le texte de Marylise Lebranchu prévoit exactement ce que vous préconisez,…
Mme Cécile Cukierman. D’ailleurs, nous l’avons soutenu !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous n’avez pas pu le soutenir, puisque le texte vient d’être adopté par le conseil des ministres et n’a pas encore été discuté au Sénat !
Mme Éliane Assassi. C’est dommage que l’on n’en ait pas débattu en premier !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le texte dont je parle est celui qui a été débattu en conseil des ministres le 18 juin dernier et qui doit prochainement venir en discussion devant le Sénat.
Je vous précise ce qui figure dans ce texte pour que vous puissiez immédiatement, avec autant de passion, reprendre la parole pour dire que le Gouvernement a raison et que vous allez soutenir ce texte, car c’est exactement ce que vous demandez (Sourires.)…
Nous allons mettre en place des schémas prescriptifs, lesquels seront élaborés par les territoires, sans qu’il y ait aucune forme d’injonction de la part du Gouvernement, parce que nous considérons, comme vous, qu’il revient aux territoires de déterminer le chemin de leur développement économique. Les régions pourront le faire en lien avec les départements et ces schémas seront prescriptifs, car ils émaneront des territoires eux-mêmes.
Madame la sénatrice, ce que nous avons l’intention de faire est donc exactement ce que vous venez de demander. Aussi, ne soyez pas en colère lorsque nous nous conformons à vos souhaits, car, alors, nous ne saurons plus comment vous satisfaire ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Delebarre, rapporteur. Mais elle n’est pas en colère !
M. le président. Voici le résultat, après pointage, du scrutin n° 208 portant sur l’amendement n° 100 :
Nombre de votants | 81 |
Nombre de suffrages exprimés | 80 |
Pour l’adoption | 39 |
Contre | 41 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 102, présenté par MM. Favier et Le Cam, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Par l’article 72 de notre Constitution, les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus et aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. À ce titre, elles doivent pouvoir en permanence intervenir pour assurer la sauvegarde des intérêts de leur population et de leur territoire en application du principe de subsidiarité, et en utilisant leur compétence générale qui est consubstantielle à leur libre administration. Elles ne peuvent, par ailleurs, se voir contraintes d’agir ni entraver leur action par des décisions relevant d’une autre collectivité territoriale.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Pour devancer vos remarques, j’annonce tout de suite que la portée normative de cet amendement vous paraîtra sans doute faible (M. le ministre sourit)…
M. Philippe Kaltenbach. Elle est inexistante !
Mme Éliane Assassi. Cet amendement s’attache à une question fondamentale à nos yeux, celle de la clause de compétence générale. Il a longuement été question du prochain projet de loi – on nous a expliqué que nous aurions dû en débattre avant celui-ci –, dans lequel, nous le savons, il est proposé de supprimer cette clause. Cela commence à ressembler à du harcèlement ! (Sourires.)
D’aucuns disent que les élus n’utilisent pas cette faculté de la bonne manière. Je récuse cette idée, qui met en cause les élus et méconnaît les lois. Cette compétence générale ne peut en effet s’exercer que dans des domaines dont la responsabilité n’a pas été confiée à une collectivité territoriale particulière.
Le raisonnement dominant favorise de plus en plus les compétences exclusives, et cette compétence générale est donc de plus en plus résiduelle. Or elle est pourtant essentielle, selon nous, car elle offre un espace de liberté permettant de répondre à des problèmes dont les solutions ne sont pas envisagées dans les textes. Elle permet d’inventer et constitue une source de progrès, d’innovation sociale.
Telles sont les raisons qui nous conduisent à vous soumettre cet amendement.
Vous remarquerez que, contrairement à nos collègues du groupe socialiste, nous n’avons pas changé d’avis. Nous avions déjà longuement débattu de ce sujet durant l’examen de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPAM, et, malgré quelques divergences, nous nous étions alors accordés sur son rétablissement.
Nombre d’entre vous reconnaissent notre cohérence dans ce débat, et je vous la confirme !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Delebarre, rapporteur. La commission a bien entendu les propos de Mme Assassi concernant la faible portée normative de cet amendement. En conséquence, elle a émis un avis défavorable ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’aurais beaucoup aimé donner un avis favorable sur cet amendement, mais son manque de portée normative me contraint, par souci de cohérence, à le traiter comme les précédents.
L’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
M. André Reichardt. On ne s’énerve pas !
Mme Cécile Cukierman. Je tenais à vous rassurer, monsieur le ministre, l’énervement, voire l’agacement, n’est pas la colère !
Je ne sais pas si nous en arriverons à exprimer de la colère au sujet de ce texte ou d’un autre, mais, en l’occurrence, je voulais simplement faire part de notre agacement face à la tendance qu’ont certains à déformer nos propos et à caricaturer nos propositions. (M. le président de la commission spéciale fait un signe de dénégation.)
Vous n’étiez d’ailleurs pas en cause, monsieur le ministre ; ce n’est pas à vous que je m’adressais. Sachez toutefois que je n’exprimerai pas de soutien absolu au texte du Gouvernement qui nous sera soumis à l’automne, comme vous sembliez me le demander.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Ça viendra…
Mme Cécile Cukierman. Nous pourrons peut-être nous accorder sur certains passages, mais le véritable point d’achoppement, qui expliquera notre désaccord, sera la disparition, inscrite dans ce texte, de la clause de compétence générale. Tout ce que nous disons sur la libre administration des collectivités entre elles n’aurait plus de sens si cette clause était supprimée.
M. Philippe Kaltenbach. Elle ne le sera pas pour les communes !
Mme Cécile Cukierman. Mais le texte dont il est question touche aux départements et aux régions, monsieur Kaltenbach !
S’il nous est demandé de permettre aux exécutifs de travailler ensemble dans des conférences territoriales, quitte à déboucher sur des schémas prescriptifs dès lors que la clause de compétence générale leur est retirée, alors nos points de vue sur ce texte divergeront. Je ne doute toutefois pas que le Gouvernement, à l’écoute des élus locaux et de l’opinion, évoluera pour nous permettre de concevoir ensemble, à l’automne, un texte répondant aux attentes des Françaises et des Français !
M. le président. L’amendement n° 104, présenté par MM. Favier et Le Cam, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Six mois après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’impact des mesures qu’elle contient en termes d’emplois publics.
La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Cet amendement est en cohérence avec notre démarche visant à contester la qualité de l’étude d’impact jointe à ce projet de loi.
En effet, le Conseil constitutionnel a reconnu, bien que de façon indirecte, qu’aucun élément relatif à l’emploi public n’était présent dans cette étude d’impact, tout en rejetant notre demande au motif que le projet de loi ne contient lui-même aucune mention de ce sujet.
Cet état de fait inquiète beaucoup les personnels territoriaux, en particulier les contractuels, qui risquent de faire les frais de ces réorganisations, regroupements et modifications. Rappelons que 20 % des personnels de la fonction publique territoriale sont contractuels. Nombre d’entre eux sont très inquiets des évolutions dont nous discutons aujourd’hui, et que nous contestons.
Chacun s’accorde pour dire que leurs conséquences seront nombreuses. À terme, nous soupçonnons la mise en place d’un véritable plan social, avec des contrats non renouvelés après leur échéance et le non-remplacement d’un très grand nombre de départs en retraite, sans compter les risques de déclassement et de ralentissement dans les évolutions de carrière. De plus, nous savons que des équipes vont disparaître, que les fonctions de la majorité des agents seront remises en cause et que les recrutements seront gelés.
Les propos, qui se veulent rassurants, de Marylise Lebranchu ne peuvent nous satisfaire, car ils restent très loin des réalités que nous côtoyons tous les jours et des inquiétudes qui montent. Dans mon département, j’ai réuni les personnels. Plus de deux mille d’entre eux sont venus exprimer avec force leurs préoccupations. Il en a été de même dans d’autres départements.
Il serait donc temps que l’on se penche sur les conséquences réelles des mesures que l’on nous demande d’adopter. Ne disposant pas des éléments nécessaires pour éclairer nos choix, car les études d’impact sont aujourd’hui manquantes, nous demandons qu’un rapport soit établi six mois après la promulgation de la loi, afin que nous soyons à même, à tout le moins, d’examiner les conditions de mise en œuvre des textes que nous votons.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Delebarre, rapporteur. Défavorable.
Mme Éliane Assassi. Pourquoi ?
M. Michel Delebarre, rapporteur. Car le contraire vous ferait trop plaisir, ma chère collègue ! (Rires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Monsieur Favier, le Gouvernement n’a pas fait de la réduction des emplois publics un objectif « en soi » de la nouvelle carte des régions. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs estimé, pour cette raison, que l’étude d’impact du projet de loi qui lui a été soumise n’avait pas à traiter de cette question.
Il n’y aura donc pas plus lieu de l’étudier six mois après la promulgation de la loi, c’est-à-dire avant même le regroupement des régions, qui ne sera effectif qu’au 1er janvier 2016. L’organisation et le fonctionnement des régions relève de leur responsabilité pleine et entière, et elles-mêmes devront tirer toutes les conséquences nécessaires, y compris en termes d’emplois, des regroupements opérés.
Pour autant, le Gouvernement n’a jamais caché, comme l’a rappelé hier après-midi le Premier ministre, que l’un des objectifs de sa politique était le redressement de notre pays, qui passe par celui de ses comptes publics. La réforme territoriale s’inscrit dans ce cadre général de maîtrise des finances publiques, tout autant que la réforme de l’administration territoriale.
Mme Éliane Assassi. Ils vont être contents, les fonctionnaires !
M. André Vallini, secrétaire d'État. J’ajoute, monsieur le sénateur, que je connais l’inquiétude des fonctionnaires territoriaux dans mon propre département. Comme vous, je vais les réunir très prochainement, avec le nouveau président du conseil général, afin de leur apporter toutes garanties et assurances quant à leur avenir.
Mme Éliane Assassi. Quelles garanties ? Avec ce que vous venez de dire, elles sont vaines !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Cet amendement nous interpelle, monsieur le ministre, car ce que vous proposez entraînera des mouvements de personnel au niveau régional, bien sûr, mais également dans toute l’organisation de l’État. Aujourd’hui, il existe vingt-deux chefs-lieux de région ; demain il en restera seulement quatorze !
Mécaniquement, un nombre très important d’agents des préfectures, mais aussi des régions de gendarmerie, des académies, des agences régionales de santé, seront affectés. Sans cela, il n’y aurait aucun intérêt à rassembler les régions dans une organisation différente !
L’impact au niveau des départements sera particulièrement important et c’est pourquoi, monsieur le ministre, je ne parviens pas à comprendre votre raisonnement par rapport au personnel.
Mme Éliane Assassi. Il n’y a pas de raisonnement !
M. René-Paul Savary. Lorsque vous placez les routes et les collèges sous la responsabilité des régions, cela signifie que des milliers de personnes vont changer d’employeur, avec des personnels TOS – techniciens, ouvriers et de service – bénéficiant de rémunérations différentes.
On sait, par exemple, combien ces personnels sont payés dans les départements et dans les régions, lorsqu’ils en dépendent déjà. Nous avons fait les comptes : nombre de régions les rémunéraient davantage. Cela va donc tirer les salaires vers le haut, et il faudra bien prendre en charge financièrement les masses de personnels transférées, alors même que les collectivités disposent de moins en moins de moyens.
Monsieur le ministre, pour prouver à nos concitoyens que des économies ont été réalisées, que cette réforme avait un intérêt, il nous faut bien définir un point de départ, un point zéro ! Je ne suis pas un adepte des rapports ; c’est pourquoi je ne voterai sans doute pas cet amendement. Mais nous devons la vérité aux gens : il faut bien savoir comment cela se mettra en œuvre sur le terrain.
Or les gens sont dans l’angoisse, et je le ressens lorsque je préside le comité technique paritaire du département. Savez-vous ce qu’ils me disent ? « Monsieur le président, défendez nos intérêts ! Nous sommes des routiers, des hommes de terrain, nous savons à qui nous avons affaire et comment tout s’organise, car nous pouvons vous parler ! » Pensez-vous qu’ils s’adresseront ainsi, demain, à leur nouvel employeur, président d’une région qui s’étendrait de l’Auvergne jusqu’à l’autre bout de Rhône-Alpes ?
Mme Cécile Cukierman. Du Cantal à la Suisse ! D’un fromage à l’autre ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. René-Paul Savary. Et puisque vous avez évoqué cette région Rhône-Alpes, vous verrez à quel point les gens de Clermont-Ferrand seront enchantés de perdre leur statut de chef-lieu de région. Certes, leurs rémunérations seront tirées vers le haut, mais on va aussi déplacer plus de 1 000 emplois avec ces dispositifs. (M. André Vallini, secrétaire d'État, fait un signe de dénégation.)
Si c’est faux, monsieur le ministre, expliquez-le-nous et donnez-nous les garanties nécessaires. Nous avancerons ainsi dans le débat ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Hervé Marseille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Je suis content que nous abordions le problème du personnel, et j’en remercie notre collègue Christian Favier.
Mme Éliane Assassi. Heureusement que nous sommes là !
M. Éric Doligé. Je me suis permis d’en parler hier, ce qui a suscité du brouhaha sur les travées du parti socialiste. « Le personnel n’a pas à s’inquiéter ! », « nous allons nous en occuper ! », « toutes les réponses sont apportées ! », avons-nous entendu…
Nous avons en effet reçu un document de Mme Lebranchu nous expliquant qu’aux questions du personnel, nous devions répondre qu’il n’y a pas d’inquiétudes à avoir, car des solutions seront trouvées.
M. François Grosdidier. Depuis, nous sommes rassurés ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Éric Doligé. C’est une réponse plutôt simple, et quelque peu énigmatique.
Mme Isabelle Debré. Ce n’est même pas une réponse !
M. Éric Doligé. Je suis étonné, en outre, de vos propos concernant le Conseil constitutionnel. Selon vous, il aurait affirmé qu’il était inutile de parler du personnel dans l’étude d’impact, car ce problème serait de la responsabilité des futures régions.
Mais enfin on peut tout de même se demander, en amont, ce qui va se passer.
Quand je vous dis que les personnels sont inquiets – je remercie mes collègues communistes d’avoir évoqué cette question, car, sur ces sujets-là, on les écoute plus que nous –, je peux vous assurer que c’est la réalité ! Les nombreux contractuels que nous avons dans nos collectivités pour diverses raisons sont, eux aussi, inquiets. Ils se demandent ce qu’ils vont devenir à la fin de leur contrat.
On nous dit que cette question n’est pas grave, qu’on la traitera plus tard. Je suis désolé de vous le dire, mais chaque personnel est, avec sa propre vie, ses propres problématiques, un individu qui se pose des questions sur son avenir, l’évolution de sa carrière. Or que répondons-nous à ces personnels qui nous posent tous les jours les mêmes questions ? Ne vous inquiétez pas, le Gouvernement veille sur vous, vous n’aurez pas de problèmes !
Monsieur le secrétaire d’État, dites-nous les choses clairement ! Si telle collectivité doit réduire ses effectifs de 2 000 à 1 500, annoncez-le ! Mais ne nous dites pas que tout cela n’est pas grave, qu’on verra plus tard et que les choses s’organiseront.
Concernant les routes et les collèges, les personnels sont tout aussi inquiets. Mais ils savent bien qu’il y aura toujours des routes et des collèges, que tout cela sera géré différemment, qu’ils auront un autre employeur, avec de nouvelles règles. En revanche, les personnels des services supports ont le droit de se poser des questions.
D’ailleurs, dans le texte sur les compétences que l’on nous demande de prendre en considération, mais dont on ne dispose pas – même s’il n’est pas encore adopté, il est sous-jacent, nous dit-on, au texte présent, car il a été présenté en même temps ! –, l’article 35, me semble-t-il, indique clairement que, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, les collectivités pourront non pas licencier – cela n’est peut-être pas possible dans un tel contexte – mais se séparer immédiatement, et sans aucune compensation, des contractuels qui travaillent dans les deux directions. (M. le secrétaire d’État s’étonne.) Vous pourrez vérifier, monsieur le secrétaire d'État, c’est inscrit dans le texte. Voilà qui est plutôt surprenant !
De toute façon, on n’a vraiment pas le sentiment que vous vous préoccupiez du personnel. Il s’agit, pour vous, d’un problème secondaire, alors que nous considérons qu’il est majeur. Excusez-moi de vous le dire, mais les collectivités sont, au quotidien, des sociétés de services : nous apportons des réponses aux habitants du département en leur proposant, grâce à nos personnels, qui sont notre principale force de frappe, des services.
Aussi, j’aimerais que vous nous répondiez clairement sur ce point, monsieur le secrétaire d’État, que vous preniez des engagements vis-à-vis de ces personnels ou que vous nous donniez la direction dans laquelle vous voulez que nous allions. Nous verrons alors si nous vous suivons dans vos orientations. Eu égard aux 290 000 fonctionnaires des collectivités, principalement des départements, on n’a pas le droit de laisser cette question dans l’ombre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)