Mme Éliane Assassi. Permettez-moi tout d’abord, mes chers collègues, d’utiliser exceptionnellement un anglicisme dans notre assemblée. En effet, pour simplifier mon propos, je ne vais pas reprendre la définition de l’article L. 752-3 du code de commerce en parlant des « points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique, organisés pour l’accès en automobile », mais je parlerai simplement de drives. (Sourires.)
Aujourd’hui, de nombreux élus se retrouvent dans leurs territoires confrontés au développement anarchique des drives.
Ce développement pose plusieurs questions : en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire, mais aussi en matière de concurrence avec les autres formes de commerce de proximité. Il soulève enfin une difficulté en matière de fiscalité locale.
En effet, ces équipements ne sont pas assujettis à la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, qui concerne les commerces exploitant une surface de vente au détail de plus de 400 mètres carrés et réalisant un chiffre d’affaires hors taxe de plus de 460 000 euros.
Or les drives constituent bien un équipement commercial qui concurrence les autres formes de commerce.
Cette absence de régulation des implantations de drives incite la grande distribution à développer rapidement ce format de distribution et à les multiplier de façon parfois aberrante d’un point de vue urbanistique, ce qui peut avoir une incidence réelle sur l’aménagement du territoire et le tissu économique.
Pour lutter contre cette prolifération désordonnée, notre amendement prévoit d’encadrer ces équipements commerciaux, au même titre que les surfaces commerciales qu’ils concurrencent.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi ALUR, les drives sont soumis à autorisation commerciale, et c’est une bonne chose. Toutefois, il semble logique d’aller plus loin, pour que les mêmes règles s’appliquent aux différentes surfaces commerciales et pour mieux encadrer la prolifération de ces drives.
Nous avons conscience que, en l’état de la législation, les drives sont dépourvus de surface commerciale et qu’ils ne peuvent être taxés. Cependant, nous ne pouvons pas demeurer dans cette situation indéfiniment sous prétexte que le droit serait techniquement inapplicable.
Les drives ne constituent pas de simples entrepôts ou des parkings ! Il est donc naturel de proposer des solutions pour encadrer l’activité réalisée le plus souvent par des grands groupes, qui trouvent là une occasion supplémentaire de s’exonérer de la contribution financière aux collectivités territoriales.
Pour cette raison, nous proposons, au moins dans un premier temps, d’assujettir les drives à la taxe sur les surfaces commerciales.
Mme la présidente. L'amendement n° 1059, présenté par Mmes Assassi, Didier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article L. 421-3 du code de la consommation est ainsi rédigé :
« Art. L. 421-3. – Une association de défense des consommateurs représentative au niveau national ou représentative au niveau national dans le domaine financier, et agréée en application de l’article L. 411-1 peut agir devant une juridiction civile, administrative ou pénale afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des personnes placées dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels, personne physique ou personne morale de droit privé, à leurs obligations légales ou contractuelles.
« 1° À l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ;
« 2° Lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
« 3° Lorsque ces préjudices résultent d’infractions boursières ou financières :
« L’action de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices résultant des dommages matériels, moraux ou écologiques, dès lors qu’ils résultent d’une des causes susvisées. »
La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Lors des débats sur le projet de loi relatif à la consommation défendu par M. Benoît Hamon, nous avons soutenu la création d’une action de groupe, bien que le champ d’application de cette dernière soit très limité. Nous avions défendu la création de cette procédure juridictionnelle tout en rappelant – ce constat vaut encore aujourd’hui – que le meilleur moyen de faire respecter les droits des consommateurs passe par le renforcement des moyens humains et financiers de la police économique.
Accroître la prévention des contentieux et, donc, la protection en amont des consommateurs passe inévitablement par un renforcement des moyens de la répression des fraudes, mais également par l’assurance d’une indépendance et d’une expertise publique, notamment dans le cadre des contrôles sanitaires ou de sécurité des produits.
Cela étant dit, l’action de groupe présente un intérêt certain dans un contexte de privatisation et de dérégulation d’un certain nombre de secteurs d’activité.
Comme vous le savez, les sénateurs du groupe CRC avaient déposé, avant même la loi Hamon, une proposition de loi reprenant le dispositif adopté par le Sénat en 2011, en l’élargissant aux domaines de la santé et de l’environnement, mais également aux domaines boursier et financier.
L’amendement qui vient d’être défendu vise à étendre cette procédure aux litiges intervenant dans le domaine financier.
Contrairement à la santé ou à l’environnement, domaines à propos desquels on nous avait opposé diverses difficultés pratiques tenant à la consolidation des dommages ou à la différence de degré selon les personnes, le dommage financier est tout à fait aisé à identifier et à quantifier.
Souvenons-nous des propos de Jean-Pierre Jouyet qui, en tant que président de l’Autorité des marchés financiers, avait défendu l’application de cette action aux champs bancaire et boursier. Il faisait valoir que « les personnes pénalisées par des infractions boursières ou financières sont des victimes comme les autres et méritent d’être indemnisées pour le préjudice subi ».
Dans le rapport qu’ils avaient présenté au Sénat en 2010, les sénateurs Laurent Béteille et Richard Yung notaient que « les mêmes raisons qui justifient l’introduction d’une action de groupe en matière de consommation ou de concurrence s’appliquent en matière bancaire et financière ».
Aujourd’hui, cinq ans après, rien ne saurait justifier que nous attendions encore. C’est pourquoi nous proposons cet amendement, qui peut permettre de protéger les droits de milliers de personnes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Je sollicite le retrait des amendements nos 549 rectifié bis et 830 rectifié ter, qui visent à rétablir l’article 11 quater A dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale, au profit de l’amendement n° 1560 du Gouvernement, qui transpose dans la loi le compromis récemment trouvé par le Comité consultatif du secteur financier.
La commission spéciale avait voté la suppression de cet article précisément en raison des discussions en cours au sein du CCSF. Nous avions toutefois précisé que, si un accord était trouvé, nous étions prêts à réexaminer en séance plénière la question de l’introduction dans le texte d’un dispositif visant à faciliter la mobilité bancaire.
J’attire toutefois l’attention de M. le ministre sur le sous-amendement qui a été déposé par notre collègue Philippe Dominati, mais qui n’a pas été soutenu. Il traitait d’un sujet de préoccupation majeure pour les établissements bancaires. Ces derniers craignent en effet de ne pas être en mesure de s’adapter à ce nouveau dispositif de mobilité bancaire si le principal décret d’application venait à être pris tardivement. Pourriez-vous, monsieur le ministre, rassurer les établissements bancaires sur ce point ?
Je demande à Éliane Assassi de bien vouloir retirer l’amendement n° 1058. Si je partage son souhait d’une adaptation de l’assiette de la TASCOM aux nouveaux modes de consommation, la définition qu’elle propose ne me semble pas opérante. L’assiette de la taxe sur les surfaces commerciales est inadaptée au développement de nouveaux modes de distribution et de consommation, en particulier le retrait d’achats par internet, le drive, et le e-commerce.
Quant à l’amendement n° 1059, il vise plus à affirmer une position qu’à présenter un dispositif opérationnel. Aussi ne parlerai-je pas des problèmes techniques qu’il pose ou des difficultés qu’il y aurait à appliquer à ce type d’action de groupe en matière boursière des règles prévues pour des litiges de consommation.
Une telle extension du périmètre de l’action de groupe est discutable, alors que nous n’avons pas encore dressé le bilan de l’action de groupe en matière de consommation.
En outre, on ne peut traiter sérieusement de cette question au détour d’un texte qui n’y est nullement consacré.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission spéciale sur l’ensemble de ces amendements.
Madame Estrosi Sassone, vous vous êtes fait l’écho l’inquiétude des établissements bancaires et vous m’avez interrogé sur leur souhait de synchroniser l’entrée en vigueur de la loi avec la prise du principal décret par l’administration.
Le sous-amendement relayant cette préoccupation n’a pas été défendu mais, s’il l’avait été, j’y aurais été plutôt opposé. En effet, dans l’ensemble, les établissements bancaires ne sont pas favorables à cette mesure de mobilité : si nous les avions dû les écouter, nous ne l’aurions jamais proposée ! Leur stratégie consiste donc à demander la suspension de l’entrée en vigueur de cette mesure à la parution du décret, dont la rédaction suppose leur accord. C’est la meilleure façon de continuer à attendre !
Nous préférons donc ne pas différer l’entrée en vigueur de cette disposition, ce qui incitera les établissements bancaires à trouver les voies et moyens dudit décret.
Je m’engage à ce que notre administration fasse preuve de diligence pour prendre ce décret, mais je ne veux pas faire de la parution du décret une condition suspensive de l’entrée en vigueur du dispositif.
Du reste, de manière générale, je souhaite que les décrets d’application de ce texte paraissent le plus rapidement possible. Trop souvent, l’exécutif laisse traîner la prise des décrets. Nos concitoyens souhaitent que les textes votés soient rapidement appliqués, et c’est pourquoi nous devons préparer en amont les décrets pour pouvoir très rapidement rendre le texte effectif une fois qu’il aura été voté.
Mme la présidente. Monsieur Requier, l'amendement n° 549 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, madame la présidente. Je suis très heureux de voir que les choses avancent.
Mme la présidente. L'amendement n° 549 rectifié bis est retiré.
M. Jacques Cornano. Je retire également l'amendement n° 830 rectifié ter, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 830 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 1560.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l’article 11 quater A est rétabli dans cette rédaction, et les amendements nos 1058 et 1059 n'ont plus d'objet.
Article 11 quater B
(Supprimé)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite formuler une observation et vous faire part d’une inquiétude.
La commission spéciale a supprimé l’article 11 quater B, qui visait à étendre aux produits d’optique-lunetterie l’obligation de fournir à l’assuré, « avant la conclusion du contrat de vente, un devis détaillé », au contenu fixé par voie réglementaire, comportant notamment « le prix de vente de chaque produit et de chaque prestation proposés ainsi que les modalités de prise en charge par les organismes de sécurité sociale ».
Si nous sommes favorables à la réécriture de cet article pour garantir une meilleure information de l’assuré social sur la qualité et le prix de l’équipement, nous sommes dubitatifs quant aux économies induites pour les patients. La difficulté, réelle et rappelée maintes fois dans cette assemblée, du coût de l’optique, ne sera pas résolue par la multiplication des devis. Les patients ne maîtrisent pas le choix des équipements. Le rapport qualité-prix de l’optique et le niveau de prise en charge des organismes complémentaires demeurent difficilement lisibles pour les individus.
Nous sommes persuadés que la solution serait la prise en charge à 100 % par la sécurité sociale des frais d’optique. Pour lever un verrou, nous pourrions autoriser les mutuelles à promouvoir les réseaux d’opticiens mutualistes avec une tarification encadrée des équipements.
Mme la présidente. L'amendement n° 1562, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 165-9 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Le professionnel de santé qui délivre au public un produit ou une prestation d’appareillage des déficients de l’ouïe ou d’optique-lunetterie inscrit sur la liste mentionnée au premier alinéa de l’article L. 165-1 remet à l’assuré social ou à son ayant droit, avant la conclusion du contrat de vente, un devis normalisé comportant le prix de vente de chaque produit et de chaque prestation proposés ainsi que les modalités de prise en charge par les organismes d’assurance-maladie obligatoire et, le cas échéant, complémentaires. » ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
- les mots : « l’audioprothésiste » sont remplacés les mots « Le professionnel de santé qui délivre au public un produit ou une prestation d’appareillage des déficients de l’ouïe ou d’optique-lunetterie » ;
- sont ajoutés les mots : « ainsi que les informations permettant d’assurer l’identification et la traçabilité des dispositifs médicaux fournis » ;
c) Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« La note et les informations d’identification et de traçabilité sont transmises à l’organisme de sécurité sociale auquel est affilié l’assuré. » ;
d) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le contenu et la présentation du devis et de la note sont fixés par un arrêté pris dans les conditions prévues à l’article L. 113-3 du code de la consommation.
« Les informations permettant d’assurer l’identification et la traçabilité sont fixées par un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé, de l’économie et de la sécurité sociale. » ;
2° Après l’article L. 165-9, il est inséré un article L. 165-9-… ainsi rédigé :
« Art. L. 165-9-... – Les manquements aux obligations prévues à l’article L. 165-9 sont passibles d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale. L’amende est prononcée dans les conditions prévues à l’article L. 141-1-2 du code de la consommation. »
II. – Le III de l’article L. 141-1 du code de la consommation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 16° De l’article L. 165-9 du code de la sécurité sociale. »
La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit de rétablir l’article 11 quater B, qui vise à compléter les dispositions de l'article L. 165-9 du code de la sécurité sociale, relatives à la délivrance de dispositifs médicaux, en précisant l'obligation faite aux audioprothésistes et aux opticiens de remettre un devis détaillé avant la vente.
À l’Assemblée nationale, le Gouvernement avait soutenu l’introduction de cet article, qui tend à clarifier et à renforcer les mesures d’information préalable du consommateur sur les prix des produits d’optique et des audioprothèses, en lui permettant de comparer au moyen d’éléments pertinents les offres proposées, en termes de prix mais également de rapport qualité-prix.
Cet amendement vise également à ajuster la rédaction initiale afin de préciser certains points, en prévoyant notamment que les nouvelles règles s’appliqueront aux seuls dispositifs figurant sur la liste des produits et prestations remboursables par l’assurance maladie, et que les modalités de prise en charge par les organismes d’assurance-maladie complémentaires figureront sur le devis. L’amendement assure enfin une coordination entre le code de la sécurité sociale et le code de la consommation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Je rappelle que la commission spéciale a supprimé l’article 11 quater B parce qu’elle a estimé qu’il était nécessaire d’organiser au préalable une concertation avec les professionnels concernés, afin d’éviter d’introduire dans notre droit une nouvelle usine à gaz.
Au demeurant, les opticiens sont favorables au principe de transparence des produits qu’ils vendent.
Une sénatrice du groupe socialiste. C’est bien le moins ! (Sourires.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Ils envisagent de prendre des mesures de traçabilité allant au-delà des obligations légales.
L’amendement ne vise à pas à rétablir cet article dans une rédaction strictement identique à celle qu’avait adoptée l’Assemblée nationale. Le Gouvernement s’est en effet efforcé de répondre à deux interrogations très concrètes figurant dans notre rapport. Nous avons salué cette attention portée à nos travaux en émettant un avis de sagesse.
Reste à savoir, monsieur le ministre, si la concertation a bien été organisée et si d’autres clarifications ne sont pas nécessaires. Pouvez-vous nous garantir que la concertation avec les professionnels a eu lieu ? Si tel n’était pas le cas, la commission émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Les modifications de la rédaction initiale font suite à plusieurs auditions et à des échanges entre, d'une part, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, et, d'autre part, les opticiens et les audioprothésistes. Ce sont ces auditions et ces échanges qui nous ont permis d’apporter les clarifications rédactionnelles et les ajustements que j’ai évoqués.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1562.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 137 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l’adoption | 149 |
Contre | 188 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, l'article 11 quater B demeure supprimé.
Article 11 quater C (nouveau)
Le premier alinéa de l’article L. 4362-10 du code de la santé publique est supprimé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, je me permets de faire d’abord observer que décidément, nous ne travaillons pas dans de bonnes conditions. L’heure gagnée ce soir sera reportée sur la prochaine séance. Par conséquent, l’amplitude horaire demeure.
Je souhaite relayer les inquiétudes des ophtalmologistes, qui craignent de voir leur activité disparaître. Au départ, l’ordonnance n’était nécessaire que pour l’obtention du remboursement par la sécurité sociale. Depuis la loi Hamon, elle est également obligatoire pour l’obtention d’une paire de lunettes de vue.
L’article 11 quater C vise à supprimer l’obligation d’ordonnance afin de préserver l’activité des opticiens des zones touristiques et frontalières, qui tient en partie au remplacement des montures cassées ou perdues par les touristes étrangers, ceux-ci ne pouvant attendre d’avoir rendez-vous chez un ophtalmologiste. D’aucuns agitent le chiffon rouge de la disparition de 2 4000 emplois d’opticiens, mais combien d’emplois d’ophtalmologistes risquent de disparaître du fait de la disparition des ordonnances ?
Ce sont surtout les risques pour les patients qui nous inquiètent. Je voudrais vous alerter à ce sujet. Nous savons que les Français renoncent déjà à se soigner. Ils renonceront donc à se rendre chez un ophtalmologiste s’ils n’y sont plus obligés. Cette obligation est pourtant nécessaire. La visite chez l’ophtalmologiste est le seul moyen de dépister des maladies asymptomatiques aux conséquences parfois irréversibles : glaucome, rétinopathie diabétique, tumeur cérébrale, etc. La suppression de cet acte de prévention ouvre la porte à de graves problèmes de santé publique.
L’autre problème crucial que cet article ne résout pas est celui des difficultés d’accès aux soins des patients du fait des délais nécessaires pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste. En France, le délai moyen est estimé à 77 jours. Parmi les dix plus grandes villes, Paris, Marseille et Bordeaux sont celles où l’attente est la moins longue, avec un délai moyen pour obtenir un rendez-vous inférieur à un mois : respectivement 24,7, 24,8 et 27,4 jours.
Nous pensons qu’une solution consisterait à supprimer le numerus clausus pour l’ophtalmologie et à en former massivement afin de couvrir le territoire. Il faudrait aussi interdire les dépassements d’honoraires.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cet article.
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements identiques.
L'amendement n° 99 est présenté par M. Navarro.
L'amendement n° 202 rectifié est présenté par MM. Barbier, Mézard, Arnell et Bertrand et Mmes Laborde et Malherbe.
L'amendement n° 231 rectifié ter est présenté par MM. Marseille, Guerriau et Pozzo di Borgo, Mme Morin-Desailly, M. Gabouty, Mme Loisier, M. Cadic, Mme Goy-Chavent, MM. Roche et Cigolotti, Mme Doineau et M. Kern.
L'amendement n° 513 est présenté par Mme Bouchart.
L'amendement n° 767 est présenté par MM. Ravier et Rachline.
L'amendement n° 979 rectifié est présenté par MM. J. Gillot et Vaugrenard, Mmes Tasca et Monier, M. Antiste, Mme Bataille, MM. M. Bourquin et Cabanel, Mmes Campion et Claireaux, MM. Desplan et Duran, Mme Guillemot et MM. S. Larcher, Patient et Roux.
Ces six amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
Les amendements nos 99 et 202 rectifié ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Hervé Marseille, pour présenter l'amendement n° 231 rectifié ter.
M. Hervé Marseille. Notre commission spéciale a pris le parti de supprimer l’alinéa 1 de l’article L. 4362-10 du code de la santé publique, au motif que cet alinéa serait susceptible de limiter l’activité des opticiens lunetiers. Le rapport de la commission spéciale ajoute que « l’ambiguïté juridique de cette nouvelle norme, sa singularité dans l’Union européenne et la certitude de ses effets économiques néfastes justifient sa suppression sans remettre en cause l’utilité de la prescription médicale préalable ».
Or, si l’article L.4362-10 du code de la santé publique dispose que « la délivrance de verres correcteurs est subordonnée à l’existence d’une prescription médicale en cours de validité », il n’oblige aucunement le patient-client à consulter un ophtalmologue durant la période de validité de l’ordonnance, qui est de trois ans.
Ajoutons que l’opticien-lunetier, s’il est en capacité d’effectuer des mesures afin de proposer la meilleure correction possible en fonction de l’évolution de la vue du patient durant la période de validité de la prescription, n’est en revanche pas en capacité d’effectuer une démarche de prévention des pathologies.
Seul un rendez-vous chez un ophtalmologue permet de détecter l'émergence d'une pathologie. Faire l'économie de ces rendez-vous de contrôle mettrait donc gravement en cause la santé publique.
Le délai de trois ans constitue un bon équilibre entre avantage économique, liberté des opticiens lunetiers et santé publique. Aller dans le sens de la commission revient à supprimer le critère de santé publique, ce qui constituerait un danger important pour les Français, ainsi que pour les caisses de la sécurité sociale, puisque le traitement tardif d'un glaucome, seconde cause de cécité en France, de la DMLA, de tumeurs oculaires, de mélanomes choroïdiens, implique des interventions lourdes et d'autant plus coûteuses que la pathologie est installée depuis longtemps. De plus, ces examens de routine permettent également de dépister l'hypertension artérielle ou encore le diabète.
Enfin, l'argument du délai d'attente pour obtenir une consultation ne tient pas non plus, dans la mesure où l'expérimentation en cours dans les Pays de la Loire montre qu'une filière visuelle où les ophtalmologues travaillent avec des orthoptistes permet de réduire ce délai de sept mois à deux ou trois semaines.
Mme la présidente. Les amendements nos 513 et 767 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour présenter l’amendement n° 979 rectifié.
M. Yannick Vaugrenard. La commission spéciale a donc supprimé le premier alinéa de l’article L. 4362-10 du code de la santé publique, qui prévoit que la délivrance de verres correcteurs est subordonnée à l’existence d’une prescription médicale en cours de validité. Cette mesure avait été portée par la gauche dans le cadre de la loi sur la consommation de 2014. De mémoire, il me semble que M. Fauconnier était à l’origine de cet amendement.
Six amendements ont pour objet de supprimer cet article 11 quater C, dont un signé par plusieurs sénateurs du groupe socialiste ; je vous invite à les voter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Je crois que la portée de cet article a été mal évaluée, ce qui justifie une clarification de ma part. Cet article concerne la délivrance de verres correcteurs : il supprime l’exigence absolue de prescription préalable introduite dans le code de la santé publique par la loi du 17 mars 2014, dite « loi Hamon ».
Les auteurs de ces amendements s’inquiètent des conséquences sur la santé de nos concitoyens de cette initiative de la commission spéciale, qui n’a fait que revenir au droit en vigueur avant 2014. Je pense sincèrement que nous pouvons les rassurer, puisque cet article se limite à supprimer une phrase ambiguë qui n’existait pas dans notre droit de 1945 à 2014. Or, au cours de cette période, les patients ont massivement consulté les ophtalmologues, si bien que les carnets de rendez-vous de ces 5 800 spécialistes sont pleins. Nous disposons donc là de la meilleure étude d’impact qui soit, c’est-à-dire soixante-dix années d’expérimentation, qui démontrent que le texte de la commission spéciale ne menace en rien la santé de nos concitoyens.
Juridiquement, nous ne savons pas bien ce que signifie cette nouvelle obligation absolue de prescription en toutes circonstances. Le doute est permis : s’applique-t-elle, notamment, aux ressortissants non communautaires ? Si oui, il faudra alors, par exemple, refuser de venir en aide au touriste chinois ou américain qui a cassé ses lunettes, alors que, partout ailleurs en Europe, on répondra à sa demande.
De plus, sur le plan économique, il faut savoir que l’on recense 29 000 opticiens-lunetiers qui vendent, en moyenne, deux à trois paires de lunettes par jour, et le secteur est en relative surcapacité : est-ce bien le moment de leur infliger une amende de 3 750 euros si un client se présente en ayant besoin d’un secours exceptionnel et urgent ?
Pour le reste, depuis plusieurs dizaines d’années, la quasi-totalité des achats de lunettes par nos concitoyens sont précédés d’une visite chez l’ophtalmologue, car, depuis 1945, la prescription médicale est nécessaire pour déclencher le remboursement.
Constatant l’ambiguïté de cette norme, sa singularité et ses effets économiques restrictifs, la commission spéciale a décidé de la supprimer.
La commission spéciale émet donc un avis défavorable sur les amendements de suppression de l’article 11 quater C.