M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 259, présenté par M. Guillaume, Mme Bricq, MM. Bigot, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 631-19-1, il est inséré un article L. 631-19-… ainsi rédigé :
« Art. L. 631-19-... – Lorsque la cessation d’activité d’une entreprise d’au moins cent cinquante salariés ou constituant, au sens de l’article L. 2331-1 du code du travail, une entreprise dominante d’une ou de plusieurs entreprises dont l’effectif total est d’au moins cent cinquante salariés est de nature à causer un trouble grave à l’économie nationale ou régionale et au bassin d’emploi et si la modification du capital apparaît comme la seule solution sérieuse permettant d’éviter ce trouble et de permettre la poursuite de l’activité, après examen des possibilités de cession totale ou partielle de l’entreprise, le tribunal peut, à la demande de l’administrateur judiciaire ou du ministère public et à l’issue d’un délai de trois mois après le jugement d’ouverture, en cas de refus par les assemblées mentionnées au I de l’article L. 631-19 d’adopter la modification du capital prévue par le projet de plan de redressement en faveur d’une ou plusieurs personnes qui se sont engagées à exécuter celui-ci :
« 1° Désigner un mandataire chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter l’augmentation de capital en lieu et place des associés ou actionnaires ayant refusé la modification de capital, à hauteur du montant prévu par le plan.
« L’augmentation de capital doit être réalisée dans le délai maximal de trente jours à compter de la délibération. Elle peut être libérée par les personnes qui se sont engagées à exécuter le plan de redressement, par compensation à raison du montant des créances sur la société qui ont été admises et dans la limite de la réduction dont elles sont l’objet dans le plan.
« Si l’augmentation de capital est souscrite par apports en numéraires, les actions émises sont offertes par préférence aux actionnaires, proportionnellement à la partie du capital représentée par leurs actions ;
« 2° Ou ordonner, au profit des personnes qui se sont engagées à exécuter le projet de plan, la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital par les associés ou actionnaires ayant refusé la modification de capital et qui détiennent, directement ou indirectement, une fraction du capital leur conférant une majorité des droits de vote ou une minorité de blocage dans les assemblées générales de cette société ou qui disposent seuls de la majorité des droits de vote dans cette société en application d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires, non contraire à l’intérêt de la société. Toute clause d’agrément est réputée non écrite.
« Les associés ou actionnaires autres que ceux mentionnés au 2° disposent du droit de se retirer de la société et de demander simultanément le rachat de leurs droits sociaux par les cessionnaires.
« Lorsque le tribunal est saisi de la demande de cession, en l’absence d’accord entre les intéressés sur la valeur des droits des associés ou actionnaires cédants et de ceux qui ont fait valoir leur volonté de se retirer de la société, cette valeur est déterminée à la date la plus proche de la cession par un expert désigné, à la demande de la partie la plus diligente, de l’administrateur ou du ministère public, par le président du tribunal. Le président statue en la forme des référés. L’ordonnance de désignation de l’expert n’est pas susceptible de recours. L’expert est tenu de respecter le principe du contradictoire.
« Lorsque le tribunal statue sur la demande prévue aux 1° ou 2°, les débats ont lieu en présence du ministère public. Le tribunal entend les associés ou actionnaires concernés, les associés ou actionnaires dirigeants, les créanciers ou tiers qui se sont engagés à exécuter le plan et les représentants du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. À défaut de délégués du personnel, le tribunal entend le représentant des salariés élu mentionné à l’article L. 621-4.
« Le tribunal ne peut statuer sur la demande tendant à la cession qu’après avoir consulté l’Autorité des marchés financiers si les titres concernés sont cotés sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation organisé. Il est fait application, pour les actionnaires, des articles L. 433-1 et suivants du code monétaire et financier.
« Le tribunal statue par un seul et même jugement sur la cession et sur la valeur des droits sociaux cédés. Il désigne, dans ce jugement, un mandataire de justice chargé de passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession ordonnée et d’en verser le prix aux associés ou actionnaires cédants.
« Le tribunal subordonne l’adoption du plan à l’engagement du souscripteur ou du cessionnaire des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital de conserver ses droits pendant une durée qui ne peut excéder celle du plan.
« Le tribunal peut subordonner l’adoption du plan à la présentation, par les associés ou actionnaires souscripteurs ou cessionnaires, d’une garantie par un organisme de crédit, d’un montant égal à leurs engagements financiers, figurant dans le plan de redressement. Il peut également subordonner cette conversion de créances en parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital de l’entreprise.
« Le plan est arrêté sous la condition du paiement comptant du prix par les associés ou actionnaires souscripteurs ou cessionnaires. À défaut, le tribunal prononce, à la demande d’un associé cédant, du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du mandataire de justice ou du ministère public, la résolution de la souscription ou de la cession des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital.
« Le commissaire à l’exécution du plan vérifie que les associés ou actionnaires souscripteurs ou cessionnaires respectent leurs obligations. Il a qualité pour agir à l’encontre des souscripteurs ou cessionnaires pour obtenir l’exécution de leurs engagements financiers. Il informe le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de l’exécution du plan de redressement, ainsi que du respect de leurs engagements par les associés souscripteurs ou cessionnaires.
« Le tribunal peut modifier le plan en application de l’article L. 626-26 et du dernier alinéa de l’article L. 626-31.
« En cas de défaillance d’un associé ou actionnaire souscripteur ou cessionnaire, le tribunal, saisi par le commissaire à l’exécution du plan ou par le ministère public, par le comité d’entreprise ou, à défaut, par les délégués du personnel, peut prononcer la résolution du plan de redressement, sans préjudice de la réparation du préjudice subi. Il statue en présence du ministère public.
« Le prix payé par le souscripteur ou le cessionnaire reste acquis. »
2° Après le 6° du I de l’article L. 661-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les décisions statuant sur la désignation d’un mandataire prévue au 1° de l’article L. 631-19-2 et sur la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital prévue au 2° du même article, de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, à défaut, du représentant des salariés mentionné à l’article L. 621-4, des associés ou actionnaires parties à la cession ou qui ont refusé la modification du capital prévue par le projet de plan et des cessionnaires ainsi que du ministère public ; ».
3° L’article L. 631-19-2 et l’article L. 661-1, dans sa rédaction résultant du présent article, sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. M. le corapporteur, suivi par la majorité de la commission spéciale, a récrit entièrement l’article 70, en en changeant le sens, puisque l’on est passé d’un dispositif, présenté par le Gouvernement, de dilution forcée à un mécanisme de cession forcée, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Une question extrêmement intéressante se pose : à qui appartient finalement l’entreprise ? C’est le débat de doctrine sur la légitimité du droit de propriété, notamment des actionnaires ou des porteurs de parts, au regard de l’intérêt général que peut représenter le sauvetage d’une entreprise en difficulté.
Le Conseil d’État, saisi de cette question, avait reconnu, en décembre dernier, que l’objectif visé pouvait justifier l’atteinte portée au droit de propriété des actionnaires. Deux légitimités s’affrontent, mais le droit de propriété, que personne ne remet en cause, ne prime pas de façon absolue lorsque l’intérêt général, en l’espèce le maintien de l’emploi et de l’outil industriel, est en jeu. Cela ne vaut, bien entendu, que dans les cas où l’expropriation peut permettre d’aboutir à des solutions de reprise crédibles portées par des tiers, souvent créanciers de l’entreprise.
En réécrivant l’article, la commission en a changé le sens et la portée. Ce débat n’est pas que doctrinal : il concerne l’économie locale et l’avenir des entreprises en difficulté susceptibles d’être reprises.
En conclusion, cet amendement tend à revenir à la rédaction initiale du Gouvernement.
M. le président. L'amendement n° 1407, présenté par M. Bosino, Mme David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 631-19-1, il est inséré un article L. 631-19-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 631-19-2. – Lorsque la cessation d’activité d’une entreprise d’au moins cent cinquante salariés ou constituant, au sens de l’article L. 2331-1 du code du travail, une entreprise dominante d’une ou plusieurs entreprises dont l’effectif total est d’au moins cent cinquante salariés est de nature à causer un trouble grave à l’économie nationale ou régionale et au bassin d’emploi et si la modification du capital apparaît comme la seule solution sérieuse permettant d’éviter ce trouble et de permettre la poursuite de l’activité, après examen des possibilités de cession totale ou partielle de l’entreprise, le tribunal peut, à la demande de l’administrateur judiciaire ou du ministère public et à l’issue d’un délai de trois mois après le jugement d’ouverture, en cas de refus par les assemblées mentionnées au I de l’article L. 631-19 d’adopter la modification du capital prévue par le projet de plan de redressement en faveur d’une ou plusieurs personnes qui se sont engagées à exécuter celui-ci :
« 1° Désigner un mandataire chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter l’augmentation de capital en lieu et place des associés ou actionnaires ayant refusé la modification de capital, à hauteur du montant prévu par le plan.
« L’augmentation de capital doit être réalisée dans le délai maximal de trente jours à compter de la délibération. Elle peut être libérée par les personnes qui se sont engagées à exécuter le plan de redressement, par compensation à raison du montant des créances sur la société qui ont été admises et dans la limite de la réduction dont elles sont l’objet dans le plan sous forme de remises ou de délais.
« Si l’augmentation de capital est souscrite par apports en numéraires, les actions émises sont offertes par préférence aux actionnaires, proportionnellement à la partie du capital représentée par leurs actions ;
« 2° Ou ordonner, au profit des personnes qui se sont engagées à exécuter le projet de plan, la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital par les associés ou actionnaires ayant refusé la modification de capital et qui détiennent, directement ou indirectement, une fraction du capital leur conférant une majorité des droits de vote ou une minorité de blocage dans les assemblées générales de cette société ou qui disposent seuls de la majorité des droits de vote dans cette société en application d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires, non contraire à l’intérêt de la société. Toute clause d’agrément est réputée non écrite.
« Les associés ou actionnaires autres que ceux mentionnés au 2° disposent du droit de se retirer de la société et de demander simultanément le rachat de leurs droits sociaux par les cessionnaires.
« Lorsque le tribunal est saisi de la demande de cession, en l’absence d’accord entre les intéressés sur la valeur des droits des associés ou actionnaires cédants et de ceux qui ont fait valoir leur volonté de se retirer de la société, cette valeur est déterminée à la date la plus proche de la cession par un expert désigné, à la demande de la partie la plus diligente, de l’administrateur ou du ministère public, par le président du tribunal. Le président statue en la forme des référés. L’ordonnance de désignation de l’expert n’est pas susceptible de recours. L’expert est tenu de respecter le principe du contradictoire.
« Lorsque le tribunal statue sur la demande prévue aux 1° ou 2°, les débats ont lieu en présence du ministère public. Le tribunal entend les associés ou actionnaires concernés, les associés ou actionnaires dirigeants, les créanciers ou tiers qui se sont engagés à exécuter le plan et les représentants du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. À défaut de délégués du personnel, le tribunal entend le représentant des salariés élu mentionné à l’article L. 621-4.
« Le tribunal ne peut statuer sur la demande tendant à la cession qu’après avoir consulté l’Autorité des marchés financiers si les titres concernés sont cotés sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation organisé. Il est fait application, pour les actionnaires, des articles L. 433-1 et suivants du code monétaire et financier.
« Le tribunal statue par un seul et même jugement sur la cession et sur la valeur des droits sociaux cédés. Il désigne, dans ce jugement, un mandataire de justice chargé de passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession ordonnée et d’en verser le prix aux associés ou actionnaires cédants.
« Le tribunal subordonne l’adoption du plan à l’engagement du souscripteur ou du cessionnaire des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital de conserver ses droits pendant une durée qui ne peut excéder celle du plan.
« Le tribunal peut subordonner l’adoption du plan à la présentation, par les associés ou actionnaires souscripteurs ou cessionnaires, d’une garantie par un organisme de crédit, d’un montant égal à leurs engagements financiers, figurant dans le plan de redressement. Il peut également subordonner cette conversion de créances en parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital de l’entreprise.
« Le plan est arrêté sous la condition du paiement comptant du prix par les associés ou actionnaires souscripteurs ou cessionnaires. À défaut, le tribunal prononce, à la demande d’un associé cédant, du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du mandataire de justice ou du ministère public, la résolution de la souscription ou de la cession des parts sociales, titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital.
« Le commissaire à l’exécution du plan vérifie que les associés ou actionnaires souscripteurs ou cessionnaires respectent leurs obligations. Il a qualité pour agir à l’encontre des souscripteurs ou cessionnaires pour obtenir l’exécution de leurs engagements financiers. Il informe le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel de l’exécution du plan de redressement, ainsi que du respect de leurs engagements par les associés souscripteurs ou cessionnaires.
« Le tribunal peut modifier le plan en application de l’article L. 626-26 et du dernier alinéa de l’article L. 626-31.
« En cas de défaillance d’un associé ou actionnaire souscripteur ou cessionnaire, le tribunal, saisi par le commissaire à l’exécution du plan ou le ministère public, le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, peut prononcer la résolution du plan de redressement, sans préjudice de la réparation du préjudice subi. Il statue en présence du ministère public.
« Le prix payé par le souscripteur ou le cessionnaire reste acquis. » ;
2° Après le 6° du I de l’article L. 661-1, il est inséré un 6° bis ainsi rédigé :
« 6° bis Les décisions statuant sur la désignation d’un mandataire prévue au 1° de l’article L. 631-19-2 et sur la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital prévue au 2° du même article, de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, à défaut, du représentant des salariés mentionné à l’article L. 621-4, des associés ou actionnaires parties à la cession ou qui ont refusé la modification du capital prévue par le projet de plan et des cessionnaires ainsi que du ministère public ; »
3° L’article L. 631-19-2 et l’article L. 661-1, dans sa rédaction résultant du présent article, sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. C’est un débat de fond. Certes, monsieur le rapporteur, vous ne supprimez pas l’article, mais vous le videz tout de même d’une bonne partie de sa substance. La cession forcée et la dilution forcée constituent effectivement des atteintes au droit de propriété, mais celui-ci, comme d’autres droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution, n’est pas sans limite. À nos yeux, le droit de propriété est clairement borné par l’intérêt général.
M. Bruno Sido. Ce n’est écrit nulle part !
M. Patrick Abate. L’entreprise appartient certes à celui qui a investi, mais le capital prospère grâce à la force de travail et son détenteur ne saurait se comporter de façon complètement ingrate à l’égard des salariés.
Sans vous infliger un cours d’initiation à l’économie, je rappellerai qu’il n’est de création de richesse sans la combinaison des facteurs de production que sont le travail et le capital. L’intérêt des salariés peut donc légitimement être opposé au droit de propriété.
Quand une entreprise est placée en redressement judiciaire, nous considérons que la responsabilité sociale impose de rechercher autant que possible toutes solutions permettant le maintien de l’activité, y compris en cédant des parts, fût-ce avec une moins-value par rapport au prix d’origine, sachant que celle-ci sera prise en compte dans le calcul du revenu global et viendra en déduction des éventuelles plus-values constatées par ailleurs.
Seuls sont concernés ici les principaux actionnaires. Pour les plus petits – le dispositif de la commission les évoque en les prenant quelque peu en otages –, qui ne sont associés au capital que par la grâce des règles de la participation et dont le principal apport à l’entreprise, comme la principale source de revenu, est constitué par leur travail, l’essentiel est bien de sauvegarder l’emploi.
Les dispositifs de cession forcée et de dilution forcée visent les cas les plus épineux, quand les désaccords entre actionnaires ou les difficultés sont tels qu’aucune autre solution ne saurait être trouvée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, corapporteur. Ces deux amendements, quasiment identiques, tendent à rétablir le texte issu de l’Assemblée nationale.
Le débat est purement juridique ; je vais essayer de vous convaincre que le texte proposé par la commission spéciale répond tout à fait aux objectifs visés.
En l’état actuel du droit, en cas de redressement judiciaire – sauf cession –, un plan de redressement doit être élaboré, en principe, par les dirigeants de l’entreprise et l’administrateur judiciaire. Toutefois, lorsque la procédure de redressement comporte des comités de créanciers, ceux-ci peuvent présenter un plan alternatif, souvent en vue de prendre le contrôle de l’entreprise afin de se dédommager de leurs créances.
Dans certains droits étrangers, les créanciers d’une entreprise en difficulté jouissent de plus de pouvoir qu’en droit français. Celui-ci évolue d’ailleurs progressivement sur ce point : l’avenir nous dira si c’est une bonne chose.
Les comités de créanciers doivent statuer sur les différents plans de redressement proposés, avant que le tribunal statue lui-même pour déterminer lequel devra être mis en œuvre en vue d’assurer au mieux la continuité de l’activité de l’entreprise, de préserver l’intérêt général et de sauvegarder l’emploi.
Qu’il soit proposé par les dirigeants de l’entreprise ou par des créanciers, le plan de redressement peut comporter une modification de capital, avec l’arrivée de nouveaux actionnaires. Ce sera a priori le cas si le plan émane de créanciers désireux de prendre le contrôle de l’entreprise à la place des actionnaires déjà présents.
Dans cette hypothèse de modification de capital, l’assemblée des actionnaires est convoquée pour statuer sur le plan, auquel les actionnaires en place peuvent s’opposer. En pratique, cette situation est extrêmement rare : quel serait l’intérêt des actionnaires en place à empêcher l’adoption d’un plan comportant une évolution de l’actionnariat ? Parfois, cependant, l’actionnaire, buté, refuse !
Le projet de loi ne vise donc qu’à surmonter les situations de blocage dans lesquelles certains actionnaires font échec à l’adoption d’un plan de redressement prévoyant l’arrivée de nouveaux actionnaires.
Deux mécanismes étaient prévus dans le texte initial : premièrement, la dilution du capital, qui consiste en une augmentation de capital ordonnée par le tribunal au profit de nouveaux actionnaires prévus par le plan, l’objectif étant d’ôter le pouvoir aux actionnaires en place récalcitrants ; deuxièmement, la cession forcée par les actionnaires récalcitrants, sur décision judiciaire, de tout ou partie de leur capital.
Compte tenu de l’impact de ces mécanismes sur le droit de propriété des actionnaires, le projet de loi prévoit des critères stricts d’engagement de la procédure, dont le respect devra être vérifié par le tribunal. Celle-ci ne pourra être enclenchée que sur demande de l’administrateur judiciaire ou du parquet. Elle ne pourra concerner que les entreprises d’une certaine taille, dont la cessation d’activité créerait un trouble grave à l’économie nationale ou régionale. Sur ce point, la commission n’a pas modifié le texte.
Le projet de loi prévoit en outre que les actionnaires évincés par cession forcée recevront le paiement de leurs titres cédés sur décision du tribunal, sur la base, si nécessaire, d’une évaluation à dire d’expert. Cette seconde innovation est très importante au regard du droit des sociétés et nécessaire à la réussite du redressement.
Qu’a fait la commission ? Elle a supprimé le mécanisme de dilution forcée au profit du maintien de la seule cession forcée, considérant que le risque constitutionnel et conventionnel au regard du droit européen encouru par la dilution forcée était très important, alors que les deux mécanismes – c’est le point essentiel du raisonnement – permettent d’aboutir exactement au même résultat, à savoir l’éviction des actionnaires récalcitrants. Ils constituent deux armes de même calibre, susceptibles d’atteindre la même cible. Dès lors, il est possible de se passer de l’une des deux.
La commission spéciale a retenu cette solution pour éviter le risque constitutionnel et conventionnel que j’ai évoqué.
Du point de vue constitutionnel, la dilution forcée s’analyse comme une privation, sans aucune contrepartie, d’un attribut essentiel du droit de propriété des actionnaires : le droit de vote. Une fois privés de leur droit de vote pour statuer sur l’augmentation de capital, ils n’ont plus que le droit de se retirer de la société, sans bénéficier d’une indemnisation.
Outre la suppression de ce mécanisme, la commission spéciale a également clarifié la procédure afin de la rendre plus simple et plus lisible, ce qui ne paraissait pas inutile. Par souci de cohérence juridique, elle a aussi repris les notions connues du droit des entreprises en difficulté. Ce n’était pas tout à fait le cas dans le texte initial.
Au nom du principe de proportionnalité et par cohérence avec le relèvement du seuil de compétence automatique des tribunaux de commerce spécialisés, la commission a en outre prévu que seules soient concernées les entreprises appartenant au moins à la catégorie des entreprises de taille intermédiaire, c’est-à-dire comptant 250 salariés ou plus.
La commission a également renforcé les garanties susceptibles d’être exigées des nouveaux actionnaires par le tribunal, et a apporté diverses précisions dans l’application et le déroulement de la procédure.
Même si, cet après-midi, je ne parviens guère à convaincre, je veux insister fortement sur le fait que les modifications apportées par la commission n’affaiblissent en rien la portée du dispositif. En effet, les deux mécanismes de la dilution forcée et de la cession forcée permettent d’atteindre le même objectif : modifier la composition de l’actionnariat en vue de permettre la prise de contrôle de la société par les personnes qui se sont engagées, en contrepartie, à mettre en œuvre un plan de redressement. La clarification et la simplification du dispositif apportées par la commission pourraient, au contraire, donner plus de force à celui-ci.
Enfin, sans déchaîner la colère de Mme Bricq, je voudrais me réjouir que le groupe socialiste, comme l’indique l’objet de l’amendement n° 259, ait eu accès à l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi, alors que celui-ci n’est pas public !
Mme Nicole Bricq. Eh oui.
M. François Pillet, corapporteur. Pour autant, cet avis vaut-il brevet absolu de constitutionnalité et de conventionalité, madame Bricq ? Nous avons déjà été témoins, par le passé, de la censure par le Conseil constitutionnel de dispositions ayant pourtant été validées par le Conseil d’État…
M. Bruno Sido. Absolument !
M. François Pillet, corapporteur. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur ces amendements, en me fondant, je le répète, sur des considérations purement juridiques, qui, je l’espère, vous convaincront de ce que la commission n’a absolument pas voulu porter atteinte à l’efficacité du système, mais au contraire vous empêcher de l’affaiblir par une inconstitutionnalité ou une inconventionalité.
M. Marc Daunis. Quelle sollicitude !
Mme Nicole Bricq. N’en faites pas trop !
M. Bruno Sido. Vous devriez le remercier !
M. François Pillet, corapporteur. Vous pouvez croire en ma totale sincérité en l’espèce : il ne s’agit que de droit !
L’amendement n° 1788 rectifié que nous examinerons ensuite n’apportera que des précisions rédactionnelles, permettant d’assurer la parfaite cohérence du dispositif avec le code de commerce.