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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis heureuse de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Parlement du Ghana (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.), conduite par son président, M. Edward Doe Ajaho, lequel est accompagné, notamment, des chefs de la majorité et de l’opposition de cette assemblée.

La délégation a été reçue par le président du Sénat. Elle a également rencontré M. Jacques Legendre, président du groupe d’amitié France-Afrique de l’ouest, que je salue, et plusieurs autres membres dudit groupe d’amitié.

Au nom du Sénat tout entier, je me réjouis de la création, par le Parlement du Ghana, d’un groupe Ghana-France, qui contribuera au renforcement des relations entre nos deux assemblées. Je souhaite naturellement à la délégation la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements prolongés.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations
Discussion générale (suite)

Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie

Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations
Article 1er

Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, s’agit-il d’un paradoxe ou d’un hasard du calendrier ? Comme l’a relevé le réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’homme, le RAIDH, le président des États-Unis, Barack Obama, conscient de l’effet délétère, vis-à-vis de la population, du surarmement des forces de police, vient d’interdire la dotation des forces de l’ordre américaines en équipements militaires. C’est là une première leçon tirée des récentes émeutes de Ferguson.

Quand elle porte ses regards de l’autre côté de l’Atlantique, la France préfère-t-elle s’inspirer des erreurs commises ou des corrections qui leur sont apportées ?

Bien sûr, notre pays n’a pas connu de drames comparables à celui de Ferguson, ni d’actes racistes commis par les forces de l’ordre assimilables à ceux qui ont, il y a peu de temps encore, frappé les États-Unis. Toutefois, de telles situations ne peuvent manquer de nous interpeller.

Les armes dont nous débattons aujourd’hui ont officiellement pour fonction de tenir à distance un attroupement devenu source de violence ou de neutraliser une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui, en minimisant les risques et en évitant le recours, incomparablement plus dangereux, aux armes à feu.

À condition d’être convenablement utilisées, ces armes seraient conçues pour que la cible visée ne soit ni tuée ni blessée grièvement, mais « impressionnée » – c’est là le terme employé par le ministère de l’intérieur, qui, en 2002, a généralisé l’usage de ces dispositifs. Pourtant, la multiplication des incidents met au jour la dangerosité de ces armes. Ma collègue Éliane Assassi a exposé en détail ce risque sanitaire, et je n’y reviendrai pas.

Ces armes servent de plus en plus souvent comme moyens offensifs, pour la dispersion des attroupements et des manifestations.

En principe, la police ne peut les employer qu’en cas de légitime défense ou en « état de nécessité », à une distance définie selon leur type. Or force est de constater que, dans l’écrasante majorité des cas, les forces de l’ordre n’emploient ces armes ni en position de légitime défense ni dans cet état de nécessité que considèrent prioritairement les procédures internes.

Depuis plusieurs années, l’armée, la police et la gendarmerie nationales disposent de ces équipements. Depuis 2008, les polices municipales sont également habilitées à employer ces armes, au rang desquelles figurent le lanceur de balles de défense et les pistolets à impulsion électrique. Ces armes sont devenues une source permanente de dérapages, voire de bavures.

Il nous semble donc absolument nécessaire d’encadrer strictement toutes les formes d’utilisation de ces armes non létales, afin de prévenir les dérives et les risques sanitaires auxquels leur utilisation donne lieu. Il s’agit notamment de retisser et de renforcer le contrat de confiance, indispensable en République, entre la population et la police, la seconde étant présente avant tout pour protéger la première. Un autre texte de loi nous donnera bientôt l’occasion de revenir sur ce sujet.

Cet impératif est d’autant plus fort qu’il faut protéger le droit imprescriptible de manifester et le droit d’expression des mouvements sociaux, qui ne sauraient être soumis à une pression policière tendant à les marginaliser, voire à les criminaliser. On a pu constater cette tentation en diverses circonstances. En tant que sénatrice de la Loire, j’ai bien entendu à l’esprit la bataille des « cinq » de Roanne.

Mme Éliane Assassi. Bon exemple !

Mme Cécile Cukierman. À cet égard, nous regrettons que la commission n’ait pas auditionné des représentants d’associations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty international, la ligue des droits de l’homme ou encore le RAIDH, que j’ai cité en ouvrant mon propos.

Tout au long de ces dernières années, ces acteurs ont émis des critiques au sujet de ces armes et pointé du doigt les dangers qui leur sont propres. Ils ont alerté les parlementaires et, plus largement, la population, quant à l’usage qui doit en être fait et quant aux dérives observées. Ces débats ne concernent donc pas seulement les forces de l’ordre, mais bien toute la société.

Je relève d’ailleurs, monsieur le rapporteur, un point intéressant : vous vous faites, dans votre rapport, le relais des syndicats de policiers et des représentants du ministère de l’intérieur – il est important qu’ils soient entendus – quand vous affirmez que le bilan de ces armes est plus que satisfaisant. Pourtant, quelques lignes plus loin, vous invitez également les forces de l’ordre à communiquer « le bilan des armes de force intermédiaire permettant d’établir un ratio d’accidents en fonction du nombre de tirs ». N’y a-t-il pas là une légère contradiction, et surtout la preuve que les choses sont loin d’être aussi claires que vous voulez le laisser croire ?

On voit bien en tout cas que cette problématique requiert davantage de transparence, plutôt que des affirmations qui dépeignent celles et ceux qui voudraient interdire l’utilisation de ces armes comme de gentils rêveurs inconscients des menaces qui existent dans notre société…

Pour toutes ces raisons, nous pensons que notre proposition de loi reste valable, même si elle mérite bien évidemment d’être mise à jour. C’est le propre de toute proposition de loi ou de tout projet de loi : on acte à un moment donné des principes et des engagements, quitte à ce que, dans les mois ou les années qui suivent, le texte puisse évoluer pour rester à jour et toujours répondre aux besoins de sécurité collective et individuelle de notre société.

Enfin, je ferai remarquer que les catégories d’armes définies à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure sont désormais désignées par des lettres et non plus par des chiffres. Nous avons voulu tenir compte de cette évolution et apporter la preuve qu’une proposition de loi peut être adaptée avant même d’être débattue ; elle pourrait donc, une fois adoptée, faire l’objet d’autres adaptations. Nous déposerons des amendements en ce sens, que nous vous proposerons bien évidemment d’adopter, dans la logique de notre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de l’autre côté de l’Atlantique, les policiers américains ont jusqu’à présent accès à des équipements militaires tels que des véhicules blindés à chenilles, des armes à feu de très gros calibre, des armes d’assaut ou encore des uniformes de camouflage. Le mélange des genres entre l’armée et la police a brouillé le message pour les citoyens et a causé un véritable schisme entre la population et les forces de police, qui sont pourtant censées être gardiennes de la paix. Nous connaissons les débordements qui en ont découlé.

En France, nous sommes évidemment bien loin de cette situation. Nos forces de l’ordre sont elles aussi armées, afin de mener à bien leurs missions essentielles. Toutefois, leurs moyens restent proportionnés aux objectifs visés.

Être armé est loin d’être anodin, nous le savons. Lors de rassemblements, comme il y en a eu récemment encore, les forces de l’ordre sont amenées à intervenir de manière d’abord préventive, et parfois plus active, contre des individus qui peuvent se révéler violents ou constituer une menace sérieuse pour les biens et les personnes.

Malheureusement, cela peut parfois avoir des conséquences dramatiques, tant il est difficile de répondre avec la bonne mesure et de façon parfaitement adaptée à la violence des manifestants, tout particulièrement dans des situations d’extrême confusion. Il semblerait par ailleurs que la violence envers les forces de l’ordre s’accentue, notamment dans un certain nombre de quartiers de nos zones urbaines.

Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen soulèvent par cette proposition de loi des difficultés bien réelles quant au degré d’armement des forces de l’ordre en cas d’attroupement sur la voie publique. Ils nous proposent d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de catégorie B et d’interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.

Ce moratoire concernerait notamment les Flash-Ball, dont les policiers municipaux aussi peuvent être équipés depuis 2008. Si ces armes sont considérées comme « sublétales », c’est-à-dire conçues pour ne pas tuer, elles restent potentiellement dangereuses et peuvent causer des blessures graves.

Cependant, on ne peut pas non plus exposer les forces de l’ordre à la vindicte parfois très violente des manifestants.

Rappelons qu’un fonctionnaire de police vient d’être condamné pour avoir gravement blessé un lycéen d’un tir de Flash-Ball au visage. Il s’agit d’une des premières condamnations depuis l’introduction, il a plus de dix ans, du lanceur de balles de défense. Ce fonctionnaire avait tiré, hors de toute légitime défense, sur un adolescent de seize ans lors d’une manifestation devant un lycée de Montreuil en 2010.

Le droit de se rassembler constitue une liberté fondamentale et constitutionnellement garantie des citoyens. Nous devons bien entendu nous attacher, quelles que soient nos sensibilités, à protéger ce droit. La liberté doit rester la règle ; la restriction, l’exception.

Toutefois, un rassemblement sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public constitue un attroupement. L’usage de la force devient de ce fait légitime afin d’opérer, si besoin est, sa dispersion.

Dans ce cas précis, le rétablissement de l’ordre public par les forces de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant dont les modalités sont proches de celles de la légitime défense : l’utilisation de la force doit être proportionnée et répondre à un critère d’absolue nécessité.

Nous ne pensons pas que l’instauration d’un moratoire sur les armes de force intermédiaire soit la solution à un problème qui relève à la fois de la bonne formation des agents de police et de leur déontologie, mais aussi de la responsabilité des manifestants.

Comme le soulignait M. le rapporteur, il semble paradoxal de continuer dans le même temps à permettre l’utilisation des armes létales de catégorie A.

De surcroît, cette mesure introduirait une rupture dans la gradation des moyens puisqu’elle obligerait les forces de l’ordre, en cas d’attroupement, soit à se retirer, ce qui est difficilement justifiable en termes d’ordre public, soit – bien pire solution – à aller au contact des manifestants. La stratégie française du maintien de l’ordre pour la police et la gendarmerie nationales, qui a fait ses preuves jusqu’à présent, repose sur un principe tout opposé : éviter le contact physique avec les manifestants par la mise à distance.

Le groupe RDSE se prononcera donc contre cette proposition de loi, qui aurait pour effet de fragiliser le maintien de l’ordre public, lequel nécessite encore et toujours que l’État conserve le « monopole de la violence physique légitime », pour reprendre la formule bien connue de Max Weber. Toutefois, à l’instar de M. le rapporteur, nous appelons le Gouvernement à renforcer la formation des personnes habilitées à utiliser des pistolets à impulsion électrique et à préciser la doctrine de leur emploi.

J’ajouterai enfin qu’il est normal que force reste à la loi. Il peut y avoir quelques débordements, qu’il faut éviter autant que possible. Toutefois, on ne peut quand même pas transformer les forces de police, qui ont une conception républicaine de l’ordre public, en chair à canon, ou du moins en chair à Flash-Ball. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la violence légitime dont peuvent faire usage les forces de l’ordre est, selon la devise qui était gravée sur les canons de Louis XIV, l’ultima ratio – en ces temps, un peu de latin ne fait pas de mal ! – que l’État peut utiliser dans sa puissance pour se protéger et protéger les citoyens.

On ne peut certes nier la notion de violence des forces de l’ordre, qui est intrinsèque à certaines de leurs missions. Cette violence n’est jamais sans conséquence, même si, heureusement, elle n’entraîne que rarement de très graves blessures ou la mort. Or cette violence légitime passe par différents vecteurs qui vont de l’ordre verbal au pistolet, en passant par la contravention, la matraque, ou encore la grenade lacrymogène.

En outre, il est facile de discuter de ces choses confortablement assis dans nos fauteuils moelleux, alors que les situations opérationnelles que vivent les forces de l’ordre sur le terrain sont souvent très complexes. Sans aller jusqu’à invoquer le brouillard de la guerre clausewitzien, il n’en reste pas moins que, bien souvent, les forces de l’ordre doivent prendre des décisions de façon extrêmement rapide pour mener à bien les missions qui leur ont été confiées par le pouvoir politique.

Pour que cette violence puisse s’exercer de façon juste, il est nécessaire qu’elle soit proportionnée à celle dont font preuve les personnes qui s’attaquent à l’État ou aux autres citoyens. Il est donc indispensable que les forces de l’ordre, auxquelles l’État a délégué sa mission régalienne d’assurer la sécurité, ce qui peut éventuellement passer par l’usage de la violence légitime, disposent d’un panel de moyens pour exercer de façon juste et proportionnée la violence en fonction de celle, souvent moins légitime, voire totalement illégitime, dont font montre certaines personnes ou groupes de personnes.

Les armes telles que le Flash-Ball ou le Taser participent pleinement à cet échelonnement de moyens. Entre la matraque et le pistolet automatique, ces armes non létales permettent une gradation de la violence. Certes, elles restent des armes et sont donc dangereuses ; elles ont donc également, ô surprise, des effets sur les personnes qui y sont confrontées… Cela tombe bien, c’est pour cela que les forces de l’ordre les emploient !

Nous ne voulons donc à l’évidence pas de ce moratoire, mais nous nous associons bien volontiers à M. le rapporteur pour demander davantage de formation pour les personnels. Malheureusement, qui dit « formation » dit « temps » et « moyens ». Or les gouvernements successifs de l’UMPS ont diminué les effectifs et les moyens ; il n’y a donc plus ni argent ni temps pour former les personnels ; entre Vigipirate ou la lutte contre les trafics de drogue, d’une part, et une formation supplémentaire sur le Flash-Ball, d’autre part, les responsables de forces de l’ordre ont donc vite fait leur choix, bien sûr.

Je souhaiterais par ailleurs rappeler à notre collègue auteur de cette proposition de loi qu’on ne l’a pas tellement entendue lorsque le Gouvernement a ordonné aux forces de l’ordre de réprimer sévèrement les manifestants pacifiques – aucun dégât n’a été à déplorer malgré l’ampleur des manifestations – qui sont descendus dans la rue pour demander le retrait de loi sur le mariage pour les personnes de même sexe. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Vous voulez la liste des violences policières ? Je vais vous la donner !

M. David Rachline. La France est d’ailleurs dans le collimateur du Conseil de l’Europe pour ces faits. Voyez-vous, utiliser des grenades lacrymogènes contre des poussettes et des jeunes enfants me semble légèrement plus grave que d’utiliser un Flash-Ball ou un Taser contre des individus qui menacent les forces de l’ordre ou s’en prennent aux biens !

Enfin, même si, pour certains membres du Gouvernement, le « sauvageon » doit être protégé contre la prétendue brutalité policière, permettez-moi de ne pas souscrire à ce discours.

Mme Éliane Assassi. Vous avez dépassé votre temps de parole !

M. David Rachline. Je veux plutôt profiter de cette tribune pour apporter notre soutien total aux forces de l’ordre dans leur diversité, aux gendarmes et aux policiers nationaux et municipaux, qui œuvrent chaque jour à la protection des Français dans des conditions très difficiles et, le plus souvent, pour ne pas dire presque tout le temps, de façon juste et proportionnée !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les orateurs précédents l’ont confirmé, le sujet traité par ce texte recouvre un enjeu important et particulier, entre souci de protection des populations et adéquation des moyens mis en œuvre face aux menaces identifiées.

L’équilibre n’est pas toujours aisé à trouver en ce qui concerne l’utilisation par les forces de l’ordre des Tasers et autres Flash-Ball.

Depuis que les forces de l’ordre ont accès à ces instruments, des faits divers font régulièrement l’actualité. Ces armes non létales n’en restent pas moins redoutables, et de nombreux incidents ont été recensés, qui ont même parfois une issue fatale.

Rappelons que, en 2013, le Défenseur des droits, M. Dominique Baudis, a rendu un rapport dans lequel il recommandait un meilleur encadrement de l’usage des armes dites « incapacitantes ».

À la suite de la publication de ce rapport, notre groupe avait d’ailleurs interpellé le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Manuel Valls, sur les suites qu’il comptait donner à ces propositions.

Le rapport étant resté lettre morte, cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe CRC a le mérite de remettre le débat sur la table, et nous mesurons tous ici la complexité du problème. Cette complexité est telle que, dans leur lucidité collective, les membres du groupe UDI-UC ne peuvent soutenir la solution proposée, tant elle est simpliste et inaboutie.

De fait, la présente proposition de loi nous semble d’une pertinence limitée, pour des raisons à la fois de forme et de fond.

Sur la forme, tout d’abord, la rédaction de ce texte est impropre. Elle fait référence à une nomenclature des armes qui est obsolète depuis trois ans. En effet, la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif a modifié de manière substantielle la classification des armes.

Cette nouvelle classification des armes est désormais fondée sur leur dangerosité : déclinée jusqu’à présent en huit catégories, la nouvelle nomenclature répartit les armes dans quatre catégories, de A à D. Or il n’y a pas de réelle correspondance entre la quatrième catégorie initialement visée et la nouvelle catégorie B.

Sur le fond, ensuite, ce texte manque de pondération. Il convient de trouver un juste équilibre entre, d’une part, la sécurité des citoyens, et, d’autre part, celle de nos forces de l’ordre. Or l’adoption de la proposition de nos collègues CRC conduirait à fragiliser de manière disproportionnée nos agents de police et de gendarmerie.

Rappelons que la vocation première du maintien de l’ordre consiste à permettre le plein exercice des libertés publiques dans des conditions optimales de sécurité, tant pour les personnes qui manifestent que pour les forces de l’ordre.

Les forces de sécurité de l’État ont donc pour mission de faciliter l’expression de ce droit. Elles le font dans un cadre juridique strict et en application des instructions ministérielles, c’est-à-dire dans le souci de l’apaisement, afin d’éviter autant que possible toute espèce d’affrontement. Ce n’est que dans l’hypothèse de situations extrêmes, celles du trouble grave à l’ordre public, de l’émeute, voire de l’insurrection, qu’il sera fait usage de la force, laquelle peut entraîner le recours à certaines armes.

La stratégie du maintien de l’ordre consiste à éviter autant que faire se peut le contact physique ; cette préoccupation s’est développée au fil des expériences et des événements. En effet, les manifestants, parfois très agressifs et radicalisés, sont tapis au sein de populations pacifiques.

Le principe qui gouverne l’action de nos forces de l’ordre est celui de la gradation des moyens mis en œuvre conformément au cadre juridique, en vue de permettre une adaptation permanente et une prise en compte différenciée des comportements au sein des attroupements.

Or la proposition de loi qui nous est proposée interdit des armes de force intermédiaire de catégorie B, mais maintient le recours d’armes létales de catégorie A. Où est donc la logique ?

Par ailleurs, et notre collègue Jean-Patrick Courtois le rappelle dans son rapport, « les armes de force intermédiaires, telles que le LBD 40 – un lanceur de balles de défense –, présentent l’avantage […] de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence des bombes lacrymogènes ». Les armes incapacitantes comportent donc des risques, mais elles ont aussi des avantages certains qu’il nous faut reconnaître.

Aussi malheureux ou tragiques que puissent être les faits divers que nous connaissons tous, il nous faut, mes chers collègues, rester très clairs et sérieux sur ce sujet. En la matière, nous le savons, le risque zéro n’existe pas. Les forces .de l’ordre ont pour mission de protéger nos concitoyens, et elles s’efforcent de le faire dans des situations très difficiles et complexes.

Oui, des changements sont nécessaires. Les différentes institutions sont d’ailleurs conscientes de cet enjeu et tentent d’y répondre. Aussi le ministère de l’intérieur a-t-il constitué un groupe de travail commun à la police et la gendarmerie sur les techniques du maintien de l’ordre et les évolutions envisageables. Dans la même veine, la direction générale de la police nationale a organisé un appel d’offres pour équiper le LBD 40 de courte portée, afin qu’il soit plus précis que le Flash-Ball superpro.

Plus globalement, nous devons nous interroger sur les formations dispensées aux agents habilités à l’utilisation des armes à létalité atténuée, et c’est l’un des mérites de cette proposition de loi. Une réflexion sur ce sujet se révèle indispensable au regard des incidents qui ont pu être observés au cours de ces dernières décennies.

Cependant, ce texte ne prévoit aucune solution de rechange. Nos collègues nous proposent simplement de déposséder nos forces de l’ordre de moyens de défense, ce qui est, bien entendu, inacceptable. C’est là toute la limite de cette proposition de loi.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, bien qu’il soulève des questions importantes sur l’usage des armes à létalité atténuée et, surtout, sur la formation nécessaire à leur utilisation, dont les syndicats de police eux-mêmes constatent les lacunes, les membres du groupe UDI-UC ne peuvent souscrire à ce texte, eu égard à sa rédaction. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Delebarre.

M. Michel Delebarre. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, présentée par notre collègue Éliane Assasi et les membres du groupe CRC, a pour objet d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et d’interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.

Cette proposition de loi est constituée de deux articles.

L’article 1er, « dans l’attente d’une nouvelle législation en la matière », vise à instaurer « un moratoire sur la commercialisation, la distribution et l’utilisation par toute personne des armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État. » Cet article renvoie à un décret le soin de préciser les conditions de son application.

L’article 2 interdit l’utilisation de telles armes par la police ou la gendarmerie contre des attroupements. Plus précisément, il complète l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, qui permet à un préfet, un maire ou un officier de police judiciaire, lors d’un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public, de procéder à des sommations de se disperser, sous la seule condition que celui-ci leur paraisse susceptible de troubler l’ordre public.

Dans ce cas, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper l’attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.

Dans ce cas, l’article 2 de proposition de loi limite l’emploi par les représentants de l’ordre des armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État et qui ne peuvent être utilisées « que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique. »

Ainsi qu’on peut le constater, l’article 1er relatif au moratoire rend l’article 2 relatif à l’encadrement de l’usage des armes précitées superflu. C’était d’ailleurs le sens de notre réflexion lors de la réunion de la commission des lois du 12 mai dernier, ainsi que l’a rappelé M. le rapporteur.

En outre, les deux articles composant la présente proposition de loi visent les armes de quatrième catégorie. Bien qu’elle ait été enregistrée à la présidence du Sénat le 1er octobre 2014, la présente proposition de toi ne tient pas compte de la réforme de la réglementation des armes intervenue lors de l’adoption de la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif et de son décret d’application du 30 juillet 2013. Depuis cette réforme, la nomenclature des armes repose sur quatre catégories d’armes – les catégories A, B, C et D –, au lieu de huit.

Les armes mentionnées dans le titre et les deux articles de la proposition de loi relèvent aujourd’hui de la catégorie B, « armes soumises à autorisation ».

À la lecture de leur exposé des motifs, les auteurs de ce texte entendent viser particulièrement trois types d’armes : le pistolet à impulsion électrique de marque Taser et deux lanceurs de balles de défense, le Flash-Ball superpro et le LBD. Ces armes appartiennent à la catégorie des moyens de force intermédiaire, également dénommés « armes non létales », « sublétales», « semi-létales » ou encore « à létalité réduite ».

Ces armes peuvent être définies comme des équipements spécifiquement conçus et mis au point afin d’améliorer la capacité opérationnelle des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie, en leur permettant de faire face de façon graduée à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est insuffisante. Elles viennent compléter les matériels usuels en dotation dans les forces de l’ordre, tels que les menottes, les bâtons de défense, les gaz lacrymogènes, les dispositifs manuels de protection et les armes de poing.

Je tenais à rappeler ces précisions, qui sont importantes pour éclairer nos débats sur ce sujet complexe.

En premier lieu, je tiens à souligner que la proposition de loi de nos collègues a le mérite de soulever une question primordiale : comment assurer au mieux l’ordre public et garantir l’autorité de l’État, tout en limitant autant que possible les risques induits par l’utilisation des armes de la police et de la gendarmerie lors des manifestations et rassemblements ?

C’est là que réside la question centrale posée par le texte de nos collègues, qui estiment que la gravité des dommages corporels parfois occasionnés par l’utilisation de ces armes justifie l’adoption de celui-ci.

Le Parlement doit être à l’écoute des victimes de ces accidents, qui subissent des traumatismes importants dans leur chair. Tous ces accidents, sans exception, sont regrettables, et tout doit être fait pour les éviter. Toutefois, malheureusement, le maintien de l’ordre public n’a jamais été et n’est pas une science exacte. Quelle que soit l’arme utilisée, les opérations de maintien de l’ordre comporteront toujours des risques.

Par ailleurs, chaque année, plus de douze mille policiers et gendarmes sont blessés et plusieurs d’entre eux trouvent la mort dans l’accomplissement de leur devoir. La protection des policiers et des gendarmes est donc un souci constant pour les autorités publiques. L’introduction de ces moyens de force intermédiaire au sein des forces de l’ordre a donc été rendue nécessaire pour protéger le droit à la vie lors de leurs interventions.

Je rappelle que le modèle français repose sur la dissuasion, donc la volonté d’éviter le contact physique, qui risque davantage de provoquer des accidents. Ce modèle semble le plus pertinent, mais, je le dis une nouvelle fois, aucune technique n’est exempte de risque.

En second lieu, cette proposition de loi répond également à une obligation conventionnelle. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour violation du droit à la vie, posé par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux motifs que ce pays n’avait pas doté ses forces de police d’autres armes que les armes à feu et, par conséquent, n’avait pas laissé aux policiers d’autre choix que de tirer lors d’une manifestation au cours de laquelle ils avaient subi des violences.

En outre, le ministère de l’intérieur a eu l’occasion de le rappeler, si l’usage des Flash-Ball superpro et lanceurs de calibre 40 mm a augmenté en 2013 par rapport à 2012 au sein de la police nationale, il a diminué de 28,2 % dans la gendarmerie. Ces chiffres sont également à mettre en perspective avec la baisse de l’usage de l’arme à feu dans la police nationale et la gendarmerie nationale.

Dès lors, comment concilier les impératifs de sécurité publique et la protection des manifestants lorsque les forces de police ou de gendarmerie sont contraintes d’utiliser ces armes ?

Je souhaite rappeler ici avec force que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, est très attentif à la prévention et aux conditions d’utilisation de ces armes. Après le drame de Sivens, les grenades offensives utilisées par la gendarmerie ont été interdites. Les grenades lacrymogènes à effet de souffle, utilisées dans le cadre du maintien à distance, pourront être utilisées non plus par un gendarme seul, mais en binôme – un superviseur et un lanceur –, afin de renforcer la précision du tir.

Enfin, toutes les opérations de maintien de l’ordre à risque seront filmées.

En septembre dernier, une instruction commune des directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales a limité le recours à l’utilisation des armes visées par la proposition de loi de nos collègues. Le Gouvernement a donc pris toute la mesure du problème qui nous occupe aujourd’hui et a adopté toutes les précautions nécessaires pour parvenir à la situation la plus équilibrée possible.

Sans nul doute, les décisions du ministre participent de l’amélioration des relations entre la population et les forces de l’ordre. Car c’est bien là le problème : on ne peut pas démunir la police et la gendarmerie des armes dénoncées par nos collègues.