Sommaire
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
Secrétaires :
M. François Fortassin, Mme Valérie Létard.
2. Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie. – Discussion d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois
3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
4. Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie. – Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi
Discussion générale (suite) :
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Rejet de l’article.
Amendement n° 2 de Mme Éliane Assassi. – Rejet de l’amendement.
Rejet de l’article.
Tous les articles ayant été supprimés, la proposition de loi n'est pas adoptée.
5. Débat sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite
M. Dominique Watrin, au nom du groupe CRC
MM. François Fortassin, Jean-Marc Gabouty, Mme Brigitte Micouleau, MM. Martial Bourquin, Jean Desessard, Michel Le Scouarnec, Mme Nicole Duranton
7. Candidature à une délégation sénatoriale
8. Communication d’un avis sur un projet de nomination
Suspension et reprise de la séance
9. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi
10. Conditions de saisine du Conseil national d'évaluation des normes. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 rectifié bis de M. Rémy Pointereau. – Adoption.
Amendement n° 1 rectifié de M. Rémy Pointereau. – Retrait.
Amendement n° 3 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
11. Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
12. Protection des installations civiles abritant des matières nucléaires. – Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 2 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 3 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 5 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 4 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 6 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 1er
Amendement n° 7 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 8 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Amendement n° 9 de Mme Leila Aïchi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont
Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Fortassin,
Mme Valérie Létard.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 2, résultat des travaux de la commission n° 432, rapport n° 431).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi.
Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les problèmes soulevés par l’utilisation d’armes comme le Flash-Ball et le Taser par les forces de l’ordre sont de plus en plus évidents. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons demandé l’examen de cette proposition de loi dans le cadre de notre « niche ».
Ces armes dites « sublétales » sont dangereuses. Leur tir a souvent des conséquences dramatiques. Notre groupe, notamment par la voix de Nicole Borvo Cohen-Seat, qui m’a précédée à la présidence du groupe communiste, républicain et citoyen, a interpellé à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années les différents gouvernements à ce sujet.
Dans la continuité de ces interventions et ce cet engagement, le groupe CRC et le groupe écologiste ont déposé la première version de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.
Cette proposition de loi vise, comme son intitulé l’indique, à mettre un terme à la multiplication des incidents qui révèlent la dangerosité et la banalisation des armes incorrectement qualifiées de « non létales ».
Trop souvent, ces armes sont utilisées comme moyen offensif pour la dispersion des attroupements et des manifestations.
Ce constat de la dangerosité de ces armes, nous ne sommes pas les seuls à le dresser : de nombreuses associations de défense des droits de l’homme, en particulier, le dressent également.
Concernant le Flash-Ball, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, avant d’être dissoute, avait elle aussi souligné la dangerosité totalement disproportionnée de cette arme en regard des usages pour lesquels elle a été conçue. La CNDS recommandait « de ne pas utiliser cette arme lors de manifestations sur la voie publique, hors les cas très exceptionnels qu’il conviendrait de définir très strictement ». Elle mettait par ailleurs en cause « l’imprécision des trajectoires des tirs de Flash-Ball, qui rendent inutiles les conseils d’utilisation théoriques, et la gravité comme l’irréversibilité des dommages collatéraux manifestement inévitables qu’ils occasionnent ».
Le Défenseur des droits propose quant à lui, notamment, de restreindre l’usage du Flash-Ball en mode contact, c’est-à-dire à bout touchant, et d’étendre aux policiers l’interdiction d’utilisation pour des opérations de maintien de l’ordre qui vaut déjà pour les militaires de la gendarmerie.
Concernant le Taser, la CNDS écrit, dans son rapport concernant les événements des 11 et 12 février 2008 au centre de rétention de Vincennes, qu’« il est permis de s’interroger très sérieusement sur l’utilité du dispositif d’enregistrement vidéo, qui ne permettrait en aucun cas de vérifier a posteriori les circonstances dans lesquelles le pistolet à impulsion électrique a été utilisé ».
Dès 2007, le Comité contre la torture de l’ONU, dans son rapport sur le Portugal, rendait une décision sans appel sur le Taser, qui équipe les polices de ce pays : « Le Comité s’inquiète de ce que l’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture, et que dans certains cas il peut même causer la mort, ainsi que l’ont révélé des études fiables et des faits récents survenus dans la pratique. »
Dans une note interne datant de 2008, la préfecture de police de Paris rappelle la vulnérabilité particulière au Taser des personnes aux vêtements imprégnés de « liquides ou de vapeurs inflammables », des « femmes enceintes et [des] malades cardiaques ».
Le Conseil d’État confirme, lui aussi, le 2 septembre 2009, que leur « emploi […] comporte des dangers sérieux pour la santé, résultant notamment des risques de trouble du rythme cardiaque, de syndrome d’hyperexcitation, augmentés pour les personnes ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool, et des possibles complications mécaniques liées à l’impact des sondes et aux traumatismes physiques résultant de la perte de contrôle neuromusculaire ; que ces dangers sont susceptibles, dans certaines conditions, de provoquer directement ou indirectement la mort des personnes visées ».
Le groupe Taser lui-même, dans un guide d’utilisation publié le 12 octobre 2009, reconnaît que l’usage de cette arme fait courir un risque cardiaque à la personne visée.
En 2007 également, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, institution indépendante du Conseil de l’Europe, dans son rapport sur la France, indique qu’il est plus que réticent à l’introduction d’une telle arme en détention, vu la nature particulière des fonctions assumées par le personnel pénitentiaire.
En outre, des négligences et des manquements professionnels graves ont été constatés à maintes reprises quant à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ».
Pas plus tard que le 2 avril dernier, le tribunal de grande instance de Bobigny a condamné un policier qui, en tirant avec son Flash-Ball, avait blessé un adolescent de 17 ans pour usage disproportionné de la force, hors de toute légitime défense.
Après ces rappels qui me paraissaient importants, j’en viens à la question de l’efficacité de ces armes en matière de maintien de l’ordre.
Voyons d’abord ce qu’en dit l’autorité de tutelle.
Le ministre de l’intérieur, en réponse à une question écrite concernant le Taser et le Flash-Ball, indiquait le 17 octobre 2013 que « d’autres voies doivent être étudiées […] pour améliorer la sécurité des forces de l’ordre ». Il va de soi que nous sommes, nous aussi, très attentifs à la sécurité des forces de l’ordre. Dans la même réponse, le ministre indiquait qu’il s’agissait « d’être plus efficace dans la prévention de la délinquance et dans la lutte contre les violences, pour éviter chaque fois que possible les situations justifiant le recours aux armes de force intermédiaire » et faisait le lien entre le nécessaire renforcement des « effectifs de police et de gendarmerie et leur présence sur le terrain » et les actions engagées pour « améliorer le lien de confiance entre les forces de l’ordre et la population », afin de ne pas avoir besoin d’employer ces armes.
Si l’on ne peut qu’adhérer à ces déclarations d’intention, force est de constater qu’elles ne se traduisent pas en actes et qu’il y a une inflation dans l’utilisation des armes par la police et la gendarmerie. Selon les dernières données rendues publiques par le Défenseur des droits, le nombre de tirs a augmenté de 65 % en trois ans chez les policiers.
L’inflation de cette utilisation et de la dotation des personnels – 5 000 en 2013 – nécessiterait d’être mise en perspective avec l’insuffisance des moyens mis à disposition d’une police de proximité.
En la matière, la responsabilité de la droite est écrasante : 12 000 postes de policier et de gendarme ont été supprimés par elle à partir de 2007.
À défaut d’une police de proximité pourvue de moyens suffisants, la possibilité offerte par les armes dites « non létales » de neutraliser un individu plus facilement et moins dangereusement qu’en employant les méthodes conventionnelles favorise, de fait, un recours plus fréquent à la force et radicalise la confrontation entre les protagonistes au détriment de la négociation et du dialogue.
Mais force est de constater aussi que, au lieu d’inverser radicalement cette tendance, l’actuel gouvernement, malgré ses déclarations d’intention et bien qu’il ait rétabli, nous en convenons, quelques moyens, qui demeurent néanmoins très insuffisants, participe à cette escalade et tente de se reposer de plus en plus sur les collectivités territoriales et le privé en matière de sécurité.
Nous sommes dans un engrenage dangereux, et l’on assiste à un surarmement, y compris des polices municipales, dont l’équipement en armes sublétales n’est qu’une étape.
Ainsi, près de 8 000 des 20 000 policiers municipaux sont aujourd’hui dotés d’armes à feu, et un décret signé le 29 avril dernier par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur vient d’autoriser par dérogation les polices municipales à porter un revolver chambré pour le calibre 357 Magnum à titre expérimental durant cinq ans, avec des munitions de calibre 38 Spécial. Excusez du peu !
Selon nous, la sécurité doit rester une mission régalienne de l’État et nous pensons même, avec d’ailleurs les policiers municipaux et un certain nombre de leurs syndicats, qu’il faudrait au contraire une renationalisation des polices municipales, assortie d’une harmonisation des statuts, des formations et des salaires par rapport à ceux des policiers nationaux.
Pour l’heure, ne faudrait-il pas réactiver la police de proximité plutôt que d’envoyer les CRS, les brigades anticriminalité et les groupes d’intervention régionaux dans les quartiers dits « sensibles », armés de Taser, de Flash-Ball et de je ne sais quelle arme dernier cri ?
Une lutte efficace contre, par exemple, les phénomènes de bandes, qui hélas ! se développent, y compris dans des territoires qui étaient jusqu’alors épargnés, suppose en amont que soient menés des actions de prévention et un travail de police de proximité afin de mieux connaître ces bandes et d’identifier leurs membres, puis que des mesures soient prises pour assurer la sécurité dans les établissements scolaires et, enfin, que des actions pédagogiques soient menées.
Il est plus que temps de retisser et de renforcer le lien de confiance entre le citoyen et la police, sa police, oserai-je dire. C’est une question à la fois d’éthique et d’efficacité.
En ce sens, la mise en place d’une police de proximité et le rétablissement des commissariats au cœur des quartiers – et l’élue séquano-dionysienne que je suis est bien placée pour en parler, croyez-m’en ! –, avec des policiers bien formés, bien encadrés, est une urgence absolue.
Il est également plus que temps de ne plus asphyxier budgétairement les dispositifs de prévention et de réparation de la délinquance tout en surpeuplant les prisons, ce qui tend à les transformer en véritables écoles du crime.
Le rapporteur de la commission des lois va vous demander, mes chers collègues, de ne pas adopter cette proposition de loi.
Il est vrai que, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, les armes qui nous intéressent sont classées en catégorie B pour l’essentiel, catégorie qui comprend certaines armes à feu. De ce point de vue, le texte de la proposition de loi doit être modifié.
Je pense toutefois qu’il serait coupable d’en rester au statu quo, comme le propose la commission, qui reconnaît pourtant qu’il s’agit d’une vraie problématique. Je remercie M. le rapporteur, qui s’est montré très attentif à certaines de nos propositions, même s’il a plaidé pour le rejet de notre texte.
Le groupe de travail commun à la police et à la gendarmerie sur les techniques du maintien de l’ordre et leur évolution envisageable, lancé par le ministre de l’intérieur à la suite des événements du barrage de Sivens, confirme, s’il en était besoin, l’importance de cette question.
Monsieur le rapporteur, même si vous ne partagez pas notre point de vue, vous avez pu vous-même constater que « la formation habilitant au port de cette arme demeure insuffisante », qu’ainsi « un fonctionnaire de police ou de gendarmerie peut ne pas s’être formé à cette arme pendant une période allant jusqu’à vingt-six moi » et que « par ailleurs, comme l’ont souligné les syndicats, la formation s’avère essentiellement théorique, les tirs étant réalisés sur des cibles statiques ».
Vous avez également souhaité, et nous nous en réjouissons, qu’un nombre maximal d’utilisations du Taser X 26 sur la même personne soit établi sur le fondement d’analyses provenant du corps médical.
Toutefois, ces armes posent de nombreux autres problèmes.
Souvenons-nous que, à la fin de 2010, lorsqu’un homme de 38 ans est décédé à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, après avoir reçu plusieurs décharges de Taser lors d’une intervention de la police nationale, les associations des droits de l’homme n’ont pas été les seules à réagir et à demander un moratoire.
En effet, cet événement avait aussi fait réagir le Syndicat national des policiers municipaux qui demandait, comme nous le réclamons aujourd’hui au travers de cette proposition de loi, l’instauration d’un moratoire sur l’utilisation du Taser chez les fonctionnaires de police municipale et avait estimé qu’il s’agissait d’un outil de plus qui défavorisait les forces de l’ordre. Je me permets de citer le représentant de ce syndicat qui, en réponse à des questions de la chaîne Toulouse Infos, tenait notamment les propos suivants : « Il faudrait se souvenir que les policiers travaillaient uniquement avec un bâton de défense et une arme à feu, et avec ça ils savaient se débrouiller. Aujourd’hui, on nous donne beaucoup, et avec ce beaucoup, on s’aperçoit qu’on fait de moins en moins, ou alors de moins en moins bien. »
Ces propos d’un homme de métier résument assez bien nombre de nos préoccupations concernant ces armes.
J’espère que nous aurons, sur ce sujet, un débat serein et constructif. Quoi qu'il en soit, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, il me semble que notre proposition de loi, modifiée pour tenir compte des changements législatifs qui sont intervenus, est tout à fait opportune et, en particulier parce qu’elle permettrait d’instituer un moratoire sur l’utilisation du Taser, mérite d’être adoptée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la vice-présidente de la commission des lois, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues.
Selon les auteurs de cette proposition de loi, les incidents engendrés par l’usage de ces armes, notamment le Flash-Ball superpro, appellent leur évaluation approfondie, et donc la suspension de leur utilisation.
Leur argumentation se fonde en particulier sur un incident survenu le 8 juillet 2009, au cours duquel une personne a perdu l’usage d’un œil à la suite d’un tir provenant d’un Flash-Ball superpro.
Le texte de cette proposition de loi se compose de deux articles.
L’article 1er vise à suspendre la commercialisation, la distribution et l’utilisation des armes de quatrième catégorie.
L’article 2 tend à modifier l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure afin de restreindre les circonstances dans lesquelles ces armes peuvent être utilisées par les forces de l’ordre.
Cette proposition de loi pose plusieurs difficultés formelles, mais qui n’en sont pas moins substantielles.
D’une part, elle se réfère à une classification des armes obsolète. En effet, depuis la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif, l’ancienne classification en huit catégories, de 1 à 8, a été remplacée par une nouvelle classification plus lisible de quatre catégories, de A à D, fondée sur la dangerosité des armes.
Les armes de quatrième catégorie, dont la suspension de la commercialisation, de l’utilisation et de la distribution est proposée, ont été essentiellement requalifiées en catégorie B, dont le régime de détention est soumis à autorisation préalable. Néanmoins, il n’existe pas de correspondance stricte entre l’ancienne quatrième catégorie et la nouvelle catégorie B.
Deux amendements ont été déposés qui tendent à modifier le texte de manière qu’il ne se réfère plus à la classification devenue obsolète.
D’autre part, il convient de relever une certaine contradiction entre les deux articles de la présente proposition de loi. En effet, si un moratoire est décidé à l’article 1er, ce qui est conforme avec le titre de la proposition de loi comme avec son exposé des motifs, cela semble rendre caduc, ou du moins contradictoire, l’objet de l’article 2, qui est de restreindre les possibilités d’utilisation de ces armes par les forces de sécurité en situation du maintien de l’ordre.
La commission des lois s’est par ailleurs interrogée sur les conséquences juridiques et opérationnelles de ce texte.
Tout d’abord, je souhaite rappeler que, en l’état actuel du droit français, le rétablissement de l’ordre public par les forces de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant : le recours à la force doit répondre à un double critère d’absolue nécessité et de proportionnalité, l’emploi de la force étant toujours conditionné à une stricte gradation dans les moyens utilisés.
L’utilisation des armes, qui n’est qu’une des modalités de l’emploi de la force, est seulement autorisée pour disperser un attroupement à la suite d’au moins deux sommations.
Par exception, l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure prévoit que les représentants de la force publique peuvent faire directement usage de la force, sans sommation ni ordre exprès des autorités habilitées, uniquement lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.
C’est exclusivement dans ce cadre et à titre exceptionnel que peut être autorisée l’utilisation de lanceurs de balles de défense et de leurs munitions.
En dehors du cadre du maintien de l’ordre, les armes de force intermédiaire telles que le Flash-Ball superpro ou le Taser peuvent être utilisées dans des circonstances où l’usage de l’arme individuelle serait légalement justifié, c’est-à-dire lorsque l’emploi d’une arme s’avère nécessaire afin de dissuader ou neutraliser une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui. L’usage de ces armes relève alors des dispositions pénales de droit commun relatives à la légitime défense – l’article L. 122-5 du code pénal – et à l’état de nécessité – article L. 122-7 du même code – et permet d’éviter le recours à des armes létales, plus dangereuses.
Aussi l’adoption de l’article 1er, qui vise à interdire un grand nombre d’armes sans pour autant proposer d’armes de substitution, aurait-elle deux conséquences opérationnelles pour les forces chargées du maintien de l’ordre. Ces dernières n’auraient plus d’autre choix que de se retirer et de laisser le terrain, ce qui n’est pas sans effet la crédibilité de l’autorité de l’État, ou au contraire d’aller au contact, ce qui pourrait entraîner de très lourdes conséquences tant pour les forces de l’ordre que pour les manifestants.
Pour ma part, j’estime qu’il est nécessaire de conserver une capacité de riposte mais aussi de dissuasion à la hauteur de la gravité des troubles à l’ordre public provoqués par des attroupements.
De plus, les armes telles que le lanceur de balles de défense présentent l’avantage d’être discriminantes en permettant de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence des gaz lacrymogènes par exemple.
Par ailleurs, il semble paradoxal d’interdire des armes de force intermédiaire de catégorie B tout en maintenant l’utilisation d’armes létales de catégorie A.
Je rappelle que le ministère de l’intérieur organise de manière permanente et régulière une évaluation de l’utilisation de ces armes, mais aussi une veille concernant les nouvelles technologies qui pourraient les améliorer, voire les remplacer. Ainsi, la direction générale de la police nationale a lancé un appel d’offres afin de permettre l’utilisation par le lanceur de balles de défense dit LBD 40 de munitions de courte portée permettant un emploi dans des distances similaires au Flash-Ball superpro.
J’en viens aux remarques concernant spécifiquement l’article 2 de cette proposition de loi.
Actuellement, l’alinéa 6 de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure restreint l’usage direct de la force à des circonstances où des violences ou voies de fait sont exercées contre les forces de l’ordre ou lorsque celles-ci ne peuvent défendre autrement le terrain qu’elles occupent.
L’article 2 de cette proposition de loi vise à compléter cet alinéa afin de préciser que des armes telles que le Flash-Ball superpro ne pourront être utilisées « à cette fin […] que dans des circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique ».
Je m’interroge sur l’interprétation de ces dispositions. En particulier, la notion peu précise de « violences d’une particulière gravité » présente un risque d’insécurité juridique en ce qu’elle relève d’une interprétation subjective de la situation a posteriori. Il semble très difficile, voire impossible, pour les forces de l’ordre d’anticiper les conséquences des violences qu’elles subissent afin de déterminer les armes susceptibles d’être utilisées.
Je rappelle enfin que l’emploi des armes, y compris en légitime défense, reste soumis à un principe d’absolue nécessité, de proportionnalité et de gradation dans l’emploi des armes.
Complexifier le cadre de l’emploi de la force en légitime défense pour soi ou pour autrui présente un risque certain, tant pour la sécurité des forces de police et de gendarmerie que pour les citoyens.
Telles sont les différentes raisons pour lesquelles la commission n’a pas adopté la proposition de loi.
Elle a néanmoins fait siennes les légitimes interrogations soulevées par ce texte. Elle a notamment insisté sur la nécessité d’une meilleure formation des personnels habilités au port du Flash-Ball superpro et souhaité – personnellement, j’y tiens beaucoup – que les lanceurs de balles de défense LBD 40 soient équipés dans les meilleurs délais de munitions de courte portée pour remplacer le Flash-Ball superpro, trop imprécis et par là même trop dangereux.
Sous le bénéfice de ces observations et au regard des difficultés posées par ce texte, je vous invite donc, mes chers collègues, à ne pas adopter la présente proposition de loi, même si celle-ci a le mérite de soulever de vraies questions. (Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois, applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre de l’intérieur.
La proposition de loi relative à l’usage et à la commercialisation des armes de catégorie B, présentée par la présidente Éliane Assassi et les membres du groupe CRC, porte sur un sujet sensible, qui mérite donc d’être traité avec une grande rigueur.
Ces dernières années, quelques polémiques médiatiques ont pu naître à la suite d’accidents impliquant l’usage de telles armes. Or le rôle des dirigeants politiques, au Gouvernement comme au Parlement, n’est point de céder à l’esprit de polémique, mais bien de faire preuve de responsabilité.
La proposition de loi présentée par les élus du groupe CRC vise, d’une part, à instituer un moratoire sur la commercialisation et l’utilisation des armes de catégorie B, autrement dit des armes intermédiaires telles que les lanceurs de balles de défense, dont les Flash-Ball font partie, ou les pistolets à impulsion électrique, souvent appelés Taser, du nom de leur principal fabricant.
D’autre part, cette proposition vise à compléter l’avant-dernier alinéa de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure en précisant que lesdites armes de catégorie B ne peuvent être utilisées par les forces de l’ordre « que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique ».
Je tiens d’abord à vous dire, mesdames, messieurs les membres du groupe CRC, que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, partage naturellement votre souci d’encadrer avec la plus grande rigueur l’usage des armes auxquelles ont recours les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs missions.
Chaque jour, policiers et gendarmes risquent leur vie pour protéger nos concitoyens et faire respecter les lois de la République. Nous connaissons tous le prix que, trop souvent, ils paient dans l’accomplissement de leurs missions.
Ainsi, l’année dernière, quatre policiers ont été tués en opération, et près de 9 000 ont été blessés. Depuis le début de l’année 2015, la police nationale déplore la perte de deux agents en mission, tandis que plus de 850 ont été blessés.
La gendarmerie nationale, quant à elle, a perdu en 2014 trois des siens en opération ; cette même année, plus de 1 750 gendarmes ont par ailleurs été blessés au cours d’interventions, et déjà plus de 360 l’ont été depuis le début de cette année.
Depuis plusieurs mois, de nombreux faits de percussions volontaires des policiers et gendarmes sont constatés sur la voie publique, leur causant des blessures graves, parfois même leur décès comme ce fut le cas, voilà quelques semaines, d’un policier de Decazeville. Je peux évoquer aussi les nombreuses embuscades tendues aux forces de l’ordre ou encore les agressions dont les patrouilles font l’objet.
Nous devons tous avoir cette réalité à l’esprit lorsque nous posons la question de l’armement des forces de l’ordre, confrontées à plusieurs formes de délinquance et de criminalité, de plus en plus violentes d’ailleurs. Il nous faut être prudents chaque fois qu’il est question de modifier le cadre juridique qui leur permet d’en faire usage, qu’il s’agisse des armes à feu ou bien, comme c’est le cas aujourd’hui, des armes intermédiaires.
Le Gouvernement, le ministre de l’intérieur au premier chef, comprend la préoccupation qui est celle des auteurs de cette proposition de loi. Comme je l’ai dit, l’utilisation de certaines armes de force intermédiaires a pu, par le passé, provoquer des accidents. Il ne nous semble donc pas anormal que nous posions la question de leur usage.
Pour autant, le Gouvernement ne peut soutenir une telle proposition de loi, qui pose plusieurs problèmes de fond.
Je voudrais dire quelques mots de l’actuelle réglementation en la matière.
Celle-ci encadre déjà très strictement la commercialisation, la distribution et l’utilisation des armes de catégorie B, qui comprend aussi bien des armes à feu de poing et des armes d’épaule – à l’exception des fusils de chasse – que des lanceurs de balles de défense, des armes à impulsion électrique et des aérosols lacrymogènes.
En effet, l’article L. 2332-1 du code de la défense dispose que les entreprises de fabrication et de distribution de telles armes sont soumises à l’autorisation de l’État et placées sous son contrôle.
De même, l’article L. 311-1 du code de sécurité intérieure indique que l’acquisition et la détention des armes de catégorie B sont soumises à autorisation.
Les articles L. 312-3 et L. 312-4 du même code précisent les conditions dans lesquelles peuvent être délivrées les autorisations d’acquisition et de détention de ces armes. Outre les forces de l’ordre, seuls les tireurs sportifs, les entreprises du secteur des activités privées de sécurité et toute personne qui, en raison de ses activités professionnelles, voit sa vie exposée à des risques sérieux, peuvent être autorisés à recourir à ces armes de catégorie B.
Vous le constatez, l’État exerce un contrôle très rigoureux et très poussé sur ces armes, et cela de leur production à leur utilisation. De ce fait, aucune autorisation de détention de pistolets à impulsion électrique, ou Tasers, ou de lanceurs de balles de défense de type Flash-Ball n’a jamais été délivrée à des particuliers.
En conséquence, en vertu de la réglementation actuellement en vigueur, n’importe qui ne peut vendre, acheter, fabriquer ou détenir des armes de catégorie B.
Pourtant, via cette proposition de loi, les sénateurs du groupe CRC entendent interdire la commercialisation et l’utilisation de ces armes « par toute personne », ce qui est déjà le cas ! J’ajoute que, en aucune circonstance, les particuliers ne peuvent détenir des armes de type Taser ou Flash-Ball. À cet égard, le présent texte apparaît donc, en réalité, superfétatoire.
J’en viens à l’usage spécifique que font les forces de l’ordre de ces armes intermédiaires. Sur ce point également, la réglementation en vigueur est très claire.
Je rappelle que les articles D. 211-19 et suivants du code de la sécurité intérieure indiquent notamment que les forces de l’ordre peuvent utiliser, lors d’une opération de maintien de l’ordre public, des lanceurs de balles de défense de type Flash-Ball.
Les forces de l’ordre peuvent également avoir recours à des pistolets à impulsion électrique agissant à distance pour neutraliser des personnes violentes et menaçantes.
Au demeurant, l’usage des pistolets de type Taser est interdit dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre public, par instruction commune des directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale.
Certes, les forces de l’ordre sont autorisées à employer le Flash-Ball en vue du maintien de l’ordre. Toutefois, les compagnies républicaines de sécurité, les CRS, et les unités de gendarmerie mobile ne sont pas pourvues de tels équipements. (M. le rapporteur acquiesce.)
Vous observez que l’usage des armes de catégorie B par les forces de l’ordre est, lui aussi, rigoureusement encadré. Or ces forces, si la présente proposition de loi était adoptée par le Parlement, se trouveraient privées du recours à ces armes intermédiaires, qui, je le répète, sont non létales. De ce fait, toute gradation dans l’usage qu’elles font de la force deviendrait impossible.
L’article 1er du présent texte priverait ainsi, de droit, l’ensemble des forces de sécurité intérieure de toute arme de ce type, quel que soit le cadre juridique de leur utilisation. C’est donc tout un éventail de réponses graduées et proportionnées que les forces de l’ordre n’auraient plus à leur disposition. Or celles-ci peuvent être placées dans des situations impliquant qu’elles fassent usage de la force : l’emploi de cette dernière peut être légitime et nécessaire pour dissuader ou neutraliser une personne violente et dangereuse, tout en évitant de recourir à une arme à feu.
En conséquence, une telle disposition législative laisserait les agents des forces de l’ordre, dans des situations de violence où leur vie même serait menacée, face à l’alternative suivante : ou bien recourir à une arme à feu, c’est-à-dire à une arme létale ; ou bien être dans l’impossibilité de riposter, de se protéger ou de protéger les tiers. Une telle alternative n’est pas acceptable.
De surcroît, s’il était adopté, ce texte remettrait en cause la doctrine française de maintien de l’ordre, laquelle repose sur le refus du contact entre les forces de l’ordre et les personnes menaçant l’ordre public.
Je rappelle que, dans le cadre de cette doctrine, l’usage des armes intermédiaires permet de lutter avec efficacité contre les débordements violents qui accompagnent certains rassemblements organisés ou spontanés sur la voie publique.
Dès lors, adopter cette proposition de loi conduirait à priver les forces de l’ordre des moyens adaptés aux missions de maintien de l’ordre qu’elles doivent assumer. Ce faisant, nous les contraindrions à employer des moyens moins discriminants. Une telle situation ne manquerait pas de nuire à leur capacité de neutraliser et d’interpeller les fauteurs de troubles. J’ajoute que la sécurité d’autres manifestants ou du public s’en trouverait menacée.
Non seulement nous exposerions les forces de l’ordre à des situations de violence pouvant menacer leur intégrité physique, mais nous les placerions dans une position impossible, les contraignant, là encore, à faire usage d’armes létales pour se défendre.
En réalité, au regard du but visé, cette proposition de loi paraît contreproductive. En effet, interdire les armes intermédiaires revient à autoriser l’usage des armes à feu, donc des armes létales.
Depuis une quinzaine d’années, on constate que l’utilisation par les forces de l’ordre des armes non létales a entraîné une nette diminution, un recul continu de l’usage des armes létales. Et l’on prendrait le risque d’inverser une telle tendance, de revenir sur un tel progrès ? Je ne peux l’imaginer. En tout cas, ce n’est pas la volonté du Gouvernement.
Le risque serait d’autant plus élevé que l’on constate parallèlement – je l’ai dit au début de mon intervention – une augmentation des agressions dirigées contre les forces de l’ordre au cours des dernières années. Dans un tel contexte, il n’est pas opportun de réduire les moyens dont celles-ci disposent pour y faire face.
Nous devons donc faire confiance aux femmes et aux hommes qui composent nos forces de l’ordre, ces femmes et ces hommes qui nous protègent au quotidien contre toutes les menaces et toutes les violences susceptibles de miner la société. Confrontés à des situations de plus en plus difficiles, ils font preuve d’un grand sang-froid dans l’exercice de leurs missions.
En effet, les conditions juridiques de l’usage des armes, qu’il s’agisse d’ailleurs des armes à feu ou des armes intermédiaires, ont été parfaitement intériorisées par les agents des forces de l’ordre, selon trois principes cardinaux. Premièrement, le danger doit être réel et actuel. Deuxièmement, la riposte doit relever d’une absolue nécessité. Troisièmement, elle doit être proportionnée à la menace.
Je ne puis manquer d’évoquer les accidents provoqués par les armes intermédiaires, notamment les Flash-Balls et les pistolets de type Taser, lesquels sont à l’origine de cette proposition de loi.
Il est inutile de le nier, il y a eu des accidents, mais, en réalité, ils sont rares : leur nombre est très faible. En 2013, l’Inspection générale de la police nationale, l’IGPN, a ainsi été saisie de neuf faits, trois concernant l’usage d’un Taser et les six autres concernant des lanceurs de balles de défense.
En outre, l’année dernière, dix-sept procédures judiciaires ont été diligentées par l’IGPN. Parmi elles, dix concernent l’usage d’un lanceur de balles de défense et les sept autres l’usage d’un pistolet de type Taser. Enfin, depuis le début de l’année 2015, trois procédures judiciaires ont été ouvertes par l’IGPN. Toutes ont pour objet l’usage du pistolet de type Taser. Le nombre d’accidents reste donc faible. Toutefois, si les armes intermédiaires sont non létales, c’est-à-dire non destinées à tuer, elles n’en sont pas moins des armes. Leurs effets ne doivent pas être sous-estimés.
Madame Assassi, je le répète, le Gouvernement comprend l’esprit dans lequel vous avez déposé votre proposition de loi.
C’est ce même esprit qui a conduit le ministre de l’intérieur à engager une réforme de l’armement intermédiaire dont disposent les forces de l’ordre. Vous l’avez souligné vous-même, les lanceurs de 44 millimètres de type Flash-Ball manquent de précision, ce qui a parfois pu provoquer des accidents. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement procède à leur remplacement progressif par des lanceurs de 40 millimètres à visée laser, qui permettent à nos agents de gagner en précision lorsqu’ils procèdent à un tir de balle de défense.
La réforme est donc en cours : dans des délais réduits, le Flash-Ball ne sera plus du tout utilisé. Pour autant, dans l’intervalle, un moratoire sur les armes intermédiaires serait contre-productif et pourrait avoir des conséquences extrêmement dangereuses : nous ne pouvons pas nous permettre de désarmer nos forces de l’ordre.
Enfin, je tiens à vous apporter quelques précisions quant au dossier du rapprochement entre la police et la population. En tant que secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, je me consacre à ce travail depuis plusieurs mois, ainsi que Bernard Cazeneuve.
À ce titre, MM. Cazeneuve et Kanner et moi-même avons cosigné une circulaire le 25 mars dernier et lancé un appel à projets de plus d’un million d’euros en direction des territoires, pour faire remonter des propositions de rapprochement entre la police et la population, notamment de la part du tissu associatif.
Parallèlement, nous avons décidé la création d’une cellule nationale. Cette structure, inédite, permettra de réunir des représentants des associations et des forces de l’ordre, afin d’étudier toutes les problématiques émergeant des territoires et de valoriser au mieux les initiatives qui portent leurs fruits – je songe notamment aux délégués police-population, que nous avons déployés dans plusieurs commissariats. Ces personnels viendront en appui des fonctionnaires de police, dons nous renforçons actuellement les effectifs par la voie de nouveaux recrutements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
3
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis heureuse de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Parlement du Ghana (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.), conduite par son président, M. Edward Doe Ajaho, lequel est accompagné, notamment, des chefs de la majorité et de l’opposition de cette assemblée.
La délégation a été reçue par le président du Sénat. Elle a également rencontré M. Jacques Legendre, président du groupe d’amitié France-Afrique de l’ouest, que je salue, et plusieurs autres membres dudit groupe d’amitié.
Au nom du Sénat tout entier, je me réjouis de la création, par le Parlement du Ghana, d’un groupe Ghana-France, qui contribuera au renforcement des relations entre nos deux assemblées. Je souhaite naturellement à la délégation la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements prolongés.)
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Moratoire sur l’utilisation des armes de quatrième catégorie
Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, s’agit-il d’un paradoxe ou d’un hasard du calendrier ? Comme l’a relevé le réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’homme, le RAIDH, le président des États-Unis, Barack Obama, conscient de l’effet délétère, vis-à-vis de la population, du surarmement des forces de police, vient d’interdire la dotation des forces de l’ordre américaines en équipements militaires. C’est là une première leçon tirée des récentes émeutes de Ferguson.
Quand elle porte ses regards de l’autre côté de l’Atlantique, la France préfère-t-elle s’inspirer des erreurs commises ou des corrections qui leur sont apportées ?
Bien sûr, notre pays n’a pas connu de drames comparables à celui de Ferguson, ni d’actes racistes commis par les forces de l’ordre assimilables à ceux qui ont, il y a peu de temps encore, frappé les États-Unis. Toutefois, de telles situations ne peuvent manquer de nous interpeller.
Les armes dont nous débattons aujourd’hui ont officiellement pour fonction de tenir à distance un attroupement devenu source de violence ou de neutraliser une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui, en minimisant les risques et en évitant le recours, incomparablement plus dangereux, aux armes à feu.
À condition d’être convenablement utilisées, ces armes seraient conçues pour que la cible visée ne soit ni tuée ni blessée grièvement, mais « impressionnée » – c’est là le terme employé par le ministère de l’intérieur, qui, en 2002, a généralisé l’usage de ces dispositifs. Pourtant, la multiplication des incidents met au jour la dangerosité de ces armes. Ma collègue Éliane Assassi a exposé en détail ce risque sanitaire, et je n’y reviendrai pas.
Ces armes servent de plus en plus souvent comme moyens offensifs, pour la dispersion des attroupements et des manifestations.
En principe, la police ne peut les employer qu’en cas de légitime défense ou en « état de nécessité », à une distance définie selon leur type. Or force est de constater que, dans l’écrasante majorité des cas, les forces de l’ordre n’emploient ces armes ni en position de légitime défense ni dans cet état de nécessité que considèrent prioritairement les procédures internes.
Depuis plusieurs années, l’armée, la police et la gendarmerie nationales disposent de ces équipements. Depuis 2008, les polices municipales sont également habilitées à employer ces armes, au rang desquelles figurent le lanceur de balles de défense et les pistolets à impulsion électrique. Ces armes sont devenues une source permanente de dérapages, voire de bavures.
Il nous semble donc absolument nécessaire d’encadrer strictement toutes les formes d’utilisation de ces armes non létales, afin de prévenir les dérives et les risques sanitaires auxquels leur utilisation donne lieu. Il s’agit notamment de retisser et de renforcer le contrat de confiance, indispensable en République, entre la population et la police, la seconde étant présente avant tout pour protéger la première. Un autre texte de loi nous donnera bientôt l’occasion de revenir sur ce sujet.
Cet impératif est d’autant plus fort qu’il faut protéger le droit imprescriptible de manifester et le droit d’expression des mouvements sociaux, qui ne sauraient être soumis à une pression policière tendant à les marginaliser, voire à les criminaliser. On a pu constater cette tentation en diverses circonstances. En tant que sénatrice de la Loire, j’ai bien entendu à l’esprit la bataille des « cinq » de Roanne.
Mme Éliane Assassi. Bon exemple !
Mme Cécile Cukierman. À cet égard, nous regrettons que la commission n’ait pas auditionné des représentants d’associations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty international, la ligue des droits de l’homme ou encore le RAIDH, que j’ai cité en ouvrant mon propos.
Tout au long de ces dernières années, ces acteurs ont émis des critiques au sujet de ces armes et pointé du doigt les dangers qui leur sont propres. Ils ont alerté les parlementaires et, plus largement, la population, quant à l’usage qui doit en être fait et quant aux dérives observées. Ces débats ne concernent donc pas seulement les forces de l’ordre, mais bien toute la société.
Je relève d’ailleurs, monsieur le rapporteur, un point intéressant : vous vous faites, dans votre rapport, le relais des syndicats de policiers et des représentants du ministère de l’intérieur – il est important qu’ils soient entendus – quand vous affirmez que le bilan de ces armes est plus que satisfaisant. Pourtant, quelques lignes plus loin, vous invitez également les forces de l’ordre à communiquer « le bilan des armes de force intermédiaire permettant d’établir un ratio d’accidents en fonction du nombre de tirs ». N’y a-t-il pas là une légère contradiction, et surtout la preuve que les choses sont loin d’être aussi claires que vous voulez le laisser croire ?
On voit bien en tout cas que cette problématique requiert davantage de transparence, plutôt que des affirmations qui dépeignent celles et ceux qui voudraient interdire l’utilisation de ces armes comme de gentils rêveurs inconscients des menaces qui existent dans notre société…
Pour toutes ces raisons, nous pensons que notre proposition de loi reste valable, même si elle mérite bien évidemment d’être mise à jour. C’est le propre de toute proposition de loi ou de tout projet de loi : on acte à un moment donné des principes et des engagements, quitte à ce que, dans les mois ou les années qui suivent, le texte puisse évoluer pour rester à jour et toujours répondre aux besoins de sécurité collective et individuelle de notre société.
Enfin, je ferai remarquer que les catégories d’armes définies à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure sont désormais désignées par des lettres et non plus par des chiffres. Nous avons voulu tenir compte de cette évolution et apporter la preuve qu’une proposition de loi peut être adaptée avant même d’être débattue ; elle pourrait donc, une fois adoptée, faire l’objet d’autres adaptations. Nous déposerons des amendements en ce sens, que nous vous proposerons bien évidemment d’adopter, dans la logique de notre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de l’autre côté de l’Atlantique, les policiers américains ont jusqu’à présent accès à des équipements militaires tels que des véhicules blindés à chenilles, des armes à feu de très gros calibre, des armes d’assaut ou encore des uniformes de camouflage. Le mélange des genres entre l’armée et la police a brouillé le message pour les citoyens et a causé un véritable schisme entre la population et les forces de police, qui sont pourtant censées être gardiennes de la paix. Nous connaissons les débordements qui en ont découlé.
En France, nous sommes évidemment bien loin de cette situation. Nos forces de l’ordre sont elles aussi armées, afin de mener à bien leurs missions essentielles. Toutefois, leurs moyens restent proportionnés aux objectifs visés.
Être armé est loin d’être anodin, nous le savons. Lors de rassemblements, comme il y en a eu récemment encore, les forces de l’ordre sont amenées à intervenir de manière d’abord préventive, et parfois plus active, contre des individus qui peuvent se révéler violents ou constituer une menace sérieuse pour les biens et les personnes.
Malheureusement, cela peut parfois avoir des conséquences dramatiques, tant il est difficile de répondre avec la bonne mesure et de façon parfaitement adaptée à la violence des manifestants, tout particulièrement dans des situations d’extrême confusion. Il semblerait par ailleurs que la violence envers les forces de l’ordre s’accentue, notamment dans un certain nombre de quartiers de nos zones urbaines.
Nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen soulèvent par cette proposition de loi des difficultés bien réelles quant au degré d’armement des forces de l’ordre en cas d’attroupement sur la voie publique. Ils nous proposent d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de catégorie B et d’interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.
Ce moratoire concernerait notamment les Flash-Ball, dont les policiers municipaux aussi peuvent être équipés depuis 2008. Si ces armes sont considérées comme « sublétales », c’est-à-dire conçues pour ne pas tuer, elles restent potentiellement dangereuses et peuvent causer des blessures graves.
Cependant, on ne peut pas non plus exposer les forces de l’ordre à la vindicte parfois très violente des manifestants.
Rappelons qu’un fonctionnaire de police vient d’être condamné pour avoir gravement blessé un lycéen d’un tir de Flash-Ball au visage. Il s’agit d’une des premières condamnations depuis l’introduction, il a plus de dix ans, du lanceur de balles de défense. Ce fonctionnaire avait tiré, hors de toute légitime défense, sur un adolescent de seize ans lors d’une manifestation devant un lycée de Montreuil en 2010.
Le droit de se rassembler constitue une liberté fondamentale et constitutionnellement garantie des citoyens. Nous devons bien entendu nous attacher, quelles que soient nos sensibilités, à protéger ce droit. La liberté doit rester la règle ; la restriction, l’exception.
Toutefois, un rassemblement sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public constitue un attroupement. L’usage de la force devient de ce fait légitime afin d’opérer, si besoin est, sa dispersion.
Dans ce cas précis, le rétablissement de l’ordre public par les forces de l’ordre s’inscrit dans un régime très contraignant dont les modalités sont proches de celles de la légitime défense : l’utilisation de la force doit être proportionnée et répondre à un critère d’absolue nécessité.
Nous ne pensons pas que l’instauration d’un moratoire sur les armes de force intermédiaire soit la solution à un problème qui relève à la fois de la bonne formation des agents de police et de leur déontologie, mais aussi de la responsabilité des manifestants.
Comme le soulignait M. le rapporteur, il semble paradoxal de continuer dans le même temps à permettre l’utilisation des armes létales de catégorie A.
De surcroît, cette mesure introduirait une rupture dans la gradation des moyens puisqu’elle obligerait les forces de l’ordre, en cas d’attroupement, soit à se retirer, ce qui est difficilement justifiable en termes d’ordre public, soit – bien pire solution – à aller au contact des manifestants. La stratégie française du maintien de l’ordre pour la police et la gendarmerie nationales, qui a fait ses preuves jusqu’à présent, repose sur un principe tout opposé : éviter le contact physique avec les manifestants par la mise à distance.
Le groupe RDSE se prononcera donc contre cette proposition de loi, qui aurait pour effet de fragiliser le maintien de l’ordre public, lequel nécessite encore et toujours que l’État conserve le « monopole de la violence physique légitime », pour reprendre la formule bien connue de Max Weber. Toutefois, à l’instar de M. le rapporteur, nous appelons le Gouvernement à renforcer la formation des personnes habilitées à utiliser des pistolets à impulsion électrique et à préciser la doctrine de leur emploi.
J’ajouterai enfin qu’il est normal que force reste à la loi. Il peut y avoir quelques débordements, qu’il faut éviter autant que possible. Toutefois, on ne peut quand même pas transformer les forces de police, qui ont une conception républicaine de l’ordre public, en chair à canon, ou du moins en chair à Flash-Ball. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la violence légitime dont peuvent faire usage les forces de l’ordre est, selon la devise qui était gravée sur les canons de Louis XIV, l’ultima ratio – en ces temps, un peu de latin ne fait pas de mal ! – que l’État peut utiliser dans sa puissance pour se protéger et protéger les citoyens.
On ne peut certes nier la notion de violence des forces de l’ordre, qui est intrinsèque à certaines de leurs missions. Cette violence n’est jamais sans conséquence, même si, heureusement, elle n’entraîne que rarement de très graves blessures ou la mort. Or cette violence légitime passe par différents vecteurs qui vont de l’ordre verbal au pistolet, en passant par la contravention, la matraque, ou encore la grenade lacrymogène.
En outre, il est facile de discuter de ces choses confortablement assis dans nos fauteuils moelleux, alors que les situations opérationnelles que vivent les forces de l’ordre sur le terrain sont souvent très complexes. Sans aller jusqu’à invoquer le brouillard de la guerre clausewitzien, il n’en reste pas moins que, bien souvent, les forces de l’ordre doivent prendre des décisions de façon extrêmement rapide pour mener à bien les missions qui leur ont été confiées par le pouvoir politique.
Pour que cette violence puisse s’exercer de façon juste, il est nécessaire qu’elle soit proportionnée à celle dont font preuve les personnes qui s’attaquent à l’État ou aux autres citoyens. Il est donc indispensable que les forces de l’ordre, auxquelles l’État a délégué sa mission régalienne d’assurer la sécurité, ce qui peut éventuellement passer par l’usage de la violence légitime, disposent d’un panel de moyens pour exercer de façon juste et proportionnée la violence en fonction de celle, souvent moins légitime, voire totalement illégitime, dont font montre certaines personnes ou groupes de personnes.
Les armes telles que le Flash-Ball ou le Taser participent pleinement à cet échelonnement de moyens. Entre la matraque et le pistolet automatique, ces armes non létales permettent une gradation de la violence. Certes, elles restent des armes et sont donc dangereuses ; elles ont donc également, ô surprise, des effets sur les personnes qui y sont confrontées… Cela tombe bien, c’est pour cela que les forces de l’ordre les emploient !
Nous ne voulons donc à l’évidence pas de ce moratoire, mais nous nous associons bien volontiers à M. le rapporteur pour demander davantage de formation pour les personnels. Malheureusement, qui dit « formation » dit « temps » et « moyens ». Or les gouvernements successifs de l’UMPS ont diminué les effectifs et les moyens ; il n’y a donc plus ni argent ni temps pour former les personnels ; entre Vigipirate ou la lutte contre les trafics de drogue, d’une part, et une formation supplémentaire sur le Flash-Ball, d’autre part, les responsables de forces de l’ordre ont donc vite fait leur choix, bien sûr.
Je souhaiterais par ailleurs rappeler à notre collègue auteur de cette proposition de loi qu’on ne l’a pas tellement entendue lorsque le Gouvernement a ordonné aux forces de l’ordre de réprimer sévèrement les manifestants pacifiques – aucun dégât n’a été à déplorer malgré l’ampleur des manifestations – qui sont descendus dans la rue pour demander le retrait de loi sur le mariage pour les personnes de même sexe. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Vous voulez la liste des violences policières ? Je vais vous la donner !
M. David Rachline. La France est d’ailleurs dans le collimateur du Conseil de l’Europe pour ces faits. Voyez-vous, utiliser des grenades lacrymogènes contre des poussettes et des jeunes enfants me semble légèrement plus grave que d’utiliser un Flash-Ball ou un Taser contre des individus qui menacent les forces de l’ordre ou s’en prennent aux biens !
Enfin, même si, pour certains membres du Gouvernement, le « sauvageon » doit être protégé contre la prétendue brutalité policière, permettez-moi de ne pas souscrire à ce discours.
Mme Éliane Assassi. Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. David Rachline. Je veux plutôt profiter de cette tribune pour apporter notre soutien total aux forces de l’ordre dans leur diversité, aux gendarmes et aux policiers nationaux et municipaux, qui œuvrent chaque jour à la protection des Français dans des conditions très difficiles et, le plus souvent, pour ne pas dire presque tout le temps, de façon juste et proportionnée !
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les orateurs précédents l’ont confirmé, le sujet traité par ce texte recouvre un enjeu important et particulier, entre souci de protection des populations et adéquation des moyens mis en œuvre face aux menaces identifiées.
L’équilibre n’est pas toujours aisé à trouver en ce qui concerne l’utilisation par les forces de l’ordre des Tasers et autres Flash-Ball.
Depuis que les forces de l’ordre ont accès à ces instruments, des faits divers font régulièrement l’actualité. Ces armes non létales n’en restent pas moins redoutables, et de nombreux incidents ont été recensés, qui ont même parfois une issue fatale.
Rappelons que, en 2013, le Défenseur des droits, M. Dominique Baudis, a rendu un rapport dans lequel il recommandait un meilleur encadrement de l’usage des armes dites « incapacitantes ».
À la suite de la publication de ce rapport, notre groupe avait d’ailleurs interpellé le ministre de l’intérieur de l’époque, M. Manuel Valls, sur les suites qu’il comptait donner à ces propositions.
Le rapport étant resté lettre morte, cette proposition de loi déposée par nos collègues du groupe CRC a le mérite de remettre le débat sur la table, et nous mesurons tous ici la complexité du problème. Cette complexité est telle que, dans leur lucidité collective, les membres du groupe UDI-UC ne peuvent soutenir la solution proposée, tant elle est simpliste et inaboutie.
De fait, la présente proposition de loi nous semble d’une pertinence limitée, pour des raisons à la fois de forme et de fond.
Sur la forme, tout d’abord, la rédaction de ce texte est impropre. Elle fait référence à une nomenclature des armes qui est obsolète depuis trois ans. En effet, la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif a modifié de manière substantielle la classification des armes.
Cette nouvelle classification des armes est désormais fondée sur leur dangerosité : déclinée jusqu’à présent en huit catégories, la nouvelle nomenclature répartit les armes dans quatre catégories, de A à D. Or il n’y a pas de réelle correspondance entre la quatrième catégorie initialement visée et la nouvelle catégorie B.
Sur le fond, ensuite, ce texte manque de pondération. Il convient de trouver un juste équilibre entre, d’une part, la sécurité des citoyens, et, d’autre part, celle de nos forces de l’ordre. Or l’adoption de la proposition de nos collègues CRC conduirait à fragiliser de manière disproportionnée nos agents de police et de gendarmerie.
Rappelons que la vocation première du maintien de l’ordre consiste à permettre le plein exercice des libertés publiques dans des conditions optimales de sécurité, tant pour les personnes qui manifestent que pour les forces de l’ordre.
Les forces de sécurité de l’État ont donc pour mission de faciliter l’expression de ce droit. Elles le font dans un cadre juridique strict et en application des instructions ministérielles, c’est-à-dire dans le souci de l’apaisement, afin d’éviter autant que possible toute espèce d’affrontement. Ce n’est que dans l’hypothèse de situations extrêmes, celles du trouble grave à l’ordre public, de l’émeute, voire de l’insurrection, qu’il sera fait usage de la force, laquelle peut entraîner le recours à certaines armes.
La stratégie du maintien de l’ordre consiste à éviter autant que faire se peut le contact physique ; cette préoccupation s’est développée au fil des expériences et des événements. En effet, les manifestants, parfois très agressifs et radicalisés, sont tapis au sein de populations pacifiques.
Le principe qui gouverne l’action de nos forces de l’ordre est celui de la gradation des moyens mis en œuvre conformément au cadre juridique, en vue de permettre une adaptation permanente et une prise en compte différenciée des comportements au sein des attroupements.
Or la proposition de loi qui nous est proposée interdit des armes de force intermédiaire de catégorie B, mais maintient le recours d’armes létales de catégorie A. Où est donc la logique ?
Par ailleurs, et notre collègue Jean-Patrick Courtois le rappelle dans son rapport, « les armes de force intermédiaires, telles que le LBD 40 – un lanceur de balles de défense –, présentent l’avantage […] de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles, à la différence des bombes lacrymogènes ». Les armes incapacitantes comportent donc des risques, mais elles ont aussi des avantages certains qu’il nous faut reconnaître.
Aussi malheureux ou tragiques que puissent être les faits divers que nous connaissons tous, il nous faut, mes chers collègues, rester très clairs et sérieux sur ce sujet. En la matière, nous le savons, le risque zéro n’existe pas. Les forces .de l’ordre ont pour mission de protéger nos concitoyens, et elles s’efforcent de le faire dans des situations très difficiles et complexes.
Oui, des changements sont nécessaires. Les différentes institutions sont d’ailleurs conscientes de cet enjeu et tentent d’y répondre. Aussi le ministère de l’intérieur a-t-il constitué un groupe de travail commun à la police et la gendarmerie sur les techniques du maintien de l’ordre et les évolutions envisageables. Dans la même veine, la direction générale de la police nationale a organisé un appel d’offres pour équiper le LBD 40 de courte portée, afin qu’il soit plus précis que le Flash-Ball superpro.
Plus globalement, nous devons nous interroger sur les formations dispensées aux agents habilités à l’utilisation des armes à létalité atténuée, et c’est l’un des mérites de cette proposition de loi. Une réflexion sur ce sujet se révèle indispensable au regard des incidents qui ont pu être observés au cours de ces dernières décennies.
Cependant, ce texte ne prévoit aucune solution de rechange. Nos collègues nous proposent simplement de déposséder nos forces de l’ordre de moyens de défense, ce qui est, bien entendu, inacceptable. C’est là toute la limite de cette proposition de loi.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, bien qu’il soulève des questions importantes sur l’usage des armes à létalité atténuée et, surtout, sur la formation nécessaire à leur utilisation, dont les syndicats de police eux-mêmes constatent les lacunes, les membres du groupe UDI-UC ne peuvent souscrire à ce texte, eu égard à sa rédaction. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Delebarre.
M. Michel Delebarre. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, présentée par notre collègue Éliane Assasi et les membres du groupe CRC, a pour objet d’instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et d’interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.
Cette proposition de loi est constituée de deux articles.
L’article 1er, « dans l’attente d’une nouvelle législation en la matière », vise à instaurer « un moratoire sur la commercialisation, la distribution et l’utilisation par toute personne des armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État. » Cet article renvoie à un décret le soin de préciser les conditions de son application.
L’article 2 interdit l’utilisation de telles armes par la police ou la gendarmerie contre des attroupements. Plus précisément, il complète l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, qui permet à un préfet, un maire ou un officier de police judiciaire, lors d’un rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public, de procéder à des sommations de se disperser, sous la seule condition que celui-ci leur paraisse susceptible de troubler l’ordre public.
Dans ce cas, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper l’attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.
Dans ce cas, l’article 2 de proposition de loi limite l’emploi par les représentants de l’ordre des armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en Conseil d’État et qui ne peuvent être utilisées « que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique. »
Ainsi qu’on peut le constater, l’article 1er relatif au moratoire rend l’article 2 relatif à l’encadrement de l’usage des armes précitées superflu. C’était d’ailleurs le sens de notre réflexion lors de la réunion de la commission des lois du 12 mai dernier, ainsi que l’a rappelé M. le rapporteur.
En outre, les deux articles composant la présente proposition de loi visent les armes de quatrième catégorie. Bien qu’elle ait été enregistrée à la présidence du Sénat le 1er octobre 2014, la présente proposition de toi ne tient pas compte de la réforme de la réglementation des armes intervenue lors de l’adoption de la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif et de son décret d’application du 30 juillet 2013. Depuis cette réforme, la nomenclature des armes repose sur quatre catégories d’armes – les catégories A, B, C et D –, au lieu de huit.
Les armes mentionnées dans le titre et les deux articles de la proposition de loi relèvent aujourd’hui de la catégorie B, « armes soumises à autorisation ».
À la lecture de leur exposé des motifs, les auteurs de ce texte entendent viser particulièrement trois types d’armes : le pistolet à impulsion électrique de marque Taser et deux lanceurs de balles de défense, le Flash-Ball superpro et le LBD. Ces armes appartiennent à la catégorie des moyens de force intermédiaire, également dénommés « armes non létales », « sublétales», « semi-létales » ou encore « à létalité réduite ».
Ces armes peuvent être définies comme des équipements spécifiquement conçus et mis au point afin d’améliorer la capacité opérationnelle des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie, en leur permettant de faire face de façon graduée à des situations dégradées pour lesquelles la coercition physique est insuffisante. Elles viennent compléter les matériels usuels en dotation dans les forces de l’ordre, tels que les menottes, les bâtons de défense, les gaz lacrymogènes, les dispositifs manuels de protection et les armes de poing.
Je tenais à rappeler ces précisions, qui sont importantes pour éclairer nos débats sur ce sujet complexe.
En premier lieu, je tiens à souligner que la proposition de loi de nos collègues a le mérite de soulever une question primordiale : comment assurer au mieux l’ordre public et garantir l’autorité de l’État, tout en limitant autant que possible les risques induits par l’utilisation des armes de la police et de la gendarmerie lors des manifestations et rassemblements ?
C’est là que réside la question centrale posée par le texte de nos collègues, qui estiment que la gravité des dommages corporels parfois occasionnés par l’utilisation de ces armes justifie l’adoption de celui-ci.
Le Parlement doit être à l’écoute des victimes de ces accidents, qui subissent des traumatismes importants dans leur chair. Tous ces accidents, sans exception, sont regrettables, et tout doit être fait pour les éviter. Toutefois, malheureusement, le maintien de l’ordre public n’a jamais été et n’est pas une science exacte. Quelle que soit l’arme utilisée, les opérations de maintien de l’ordre comporteront toujours des risques.
Par ailleurs, chaque année, plus de douze mille policiers et gendarmes sont blessés et plusieurs d’entre eux trouvent la mort dans l’accomplissement de leur devoir. La protection des policiers et des gendarmes est donc un souci constant pour les autorités publiques. L’introduction de ces moyens de force intermédiaire au sein des forces de l’ordre a donc été rendue nécessaire pour protéger le droit à la vie lors de leurs interventions.
Je rappelle que le modèle français repose sur la dissuasion, donc la volonté d’éviter le contact physique, qui risque davantage de provoquer des accidents. Ce modèle semble le plus pertinent, mais, je le dis une nouvelle fois, aucune technique n’est exempte de risque.
En second lieu, cette proposition de loi répond également à une obligation conventionnelle. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour violation du droit à la vie, posé par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux motifs que ce pays n’avait pas doté ses forces de police d’autres armes que les armes à feu et, par conséquent, n’avait pas laissé aux policiers d’autre choix que de tirer lors d’une manifestation au cours de laquelle ils avaient subi des violences.
En outre, le ministère de l’intérieur a eu l’occasion de le rappeler, si l’usage des Flash-Ball superpro et lanceurs de calibre 40 mm a augmenté en 2013 par rapport à 2012 au sein de la police nationale, il a diminué de 28,2 % dans la gendarmerie. Ces chiffres sont également à mettre en perspective avec la baisse de l’usage de l’arme à feu dans la police nationale et la gendarmerie nationale.
Dès lors, comment concilier les impératifs de sécurité publique et la protection des manifestants lorsque les forces de police ou de gendarmerie sont contraintes d’utiliser ces armes ?
Je souhaite rappeler ici avec force que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, est très attentif à la prévention et aux conditions d’utilisation de ces armes. Après le drame de Sivens, les grenades offensives utilisées par la gendarmerie ont été interdites. Les grenades lacrymogènes à effet de souffle, utilisées dans le cadre du maintien à distance, pourront être utilisées non plus par un gendarme seul, mais en binôme – un superviseur et un lanceur –, afin de renforcer la précision du tir.
Enfin, toutes les opérations de maintien de l’ordre à risque seront filmées.
En septembre dernier, une instruction commune des directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales a limité le recours à l’utilisation des armes visées par la proposition de loi de nos collègues. Le Gouvernement a donc pris toute la mesure du problème qui nous occupe aujourd’hui et a adopté toutes les précautions nécessaires pour parvenir à la situation la plus équilibrée possible.
Sans nul doute, les décisions du ministre participent de l’amélioration des relations entre la population et les forces de l’ordre. Car c’est bien là le problème : on ne peut pas démunir la police et la gendarmerie des armes dénoncées par nos collègues.
M. Alain Fouché. Tout à fait !
M. Michel Delebarre. Pour autant, je le répète, leur utilisation doit être encadrée au maximum, afin de prévenir les drames qui, immanquablement, détruisent la vie des victimes.
Il nous faut affronter le dilemme entre le respect de l’ordre public et la garantie du droit de s’exprimer, de protester ou de manifester qui, s’il n’est pas explicitement consacré par le constituant, n’en est pas moins essentiel dans une démocratie. J’insiste sur ce point, car il s’agit au fond de la motivation essentielle des auteurs de cette proposition de loi. L’intention véritable et supérieure qui sous-tend ce texte suscite de la part de la représentation nationale une réaction de principe, pour que ne soit pas portée une atteinte excessive à la liberté de manifestation et à la liberté individuelle.
La solution réside dans la poursuite d’une formation plus soutenue des policiers et des gendarmes, afin que le recours à de telles armes et à la force ne s’exerce que dans le cadre de leurs missions, et seulement en cas de nécessité, en respectant une attitude humaine, même durant les affrontements. Sans doute conviendrait-il de réduire l’écart entre deux séances de formation, actuellement fixé à trois ans pour le pistolet à impulsion électrique et à deux ans pour le LBD.
Insister dans la formation des agents sur la nécessité de viser uniquement le bas du corps avec ces armes constituerait également un progrès. Poursuivre le renouvellement de l’équipement, avec un matériel plus moderne et plus précis, est tout autant nécessaire. Ce sont là, je crois, des pistes de réflexion intéressantes pour le Gouvernement.
En conclusion, je tiens à remercier une fois encore nos collègues d’avoir ouvert le débat. Toutefois, pour l’ensemble des raisons que j’ai développées, le groupe socialiste s’abstiendra sur cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Éliane Assassi, visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations.
Depuis plusieurs années, les écologistes souhaitent encadrer, voire interdire, toutes les formes d’utilisation de ces armes. À cet égard, je salue le travail des députés Noël Mamère, Yves Cochet et François de Rugy, d’une part, et de notre ancienne collègue sénatrice Dominique Voynet, d’autre part, qui ont déjà engagé cette réflexion en déposant deux propositions de loi similaires, respectivement en 2009 et en 2010, qui sont désormais caduques.
Mes chers collègues, le groupe écologiste se réjouit que nous soit donnée l’occasion de débattre de ce sujet grave. En effet, ces dernières années, de nombreux incidents ont mis en lumière la dangerosité des armes de catégorie B dont nos forces de police sont équipées – depuis 2002 pour le Flash-Ball et depuis 2006 pour le Taser. Il est temps que la représentation nationale se saisisse d’un problème devenu récurrent.
Depuis que le Flash-Ball est utilisé pour disperser des manifestants, plus d’une dizaine de personnes ont été grièvement blessées à l’œil, et ce malgré l’interdiction des tirs au-dessus de la ligne d’épaule. À Marseille, un homme est mort par arrêt cardiaque après avoir été touché au thorax. La gravité des blessures et des handicaps causés met ainsi en évidence un recours disproportionné à cet armement.
Compte tenu de l’imprécision des trajectoires des tirs, ainsi que de la gravité et de l’irréversibilité des dommages collatéraux manifestement inévitables que ces armes provoquent, il convient, selon les termes du Défenseur des droits, de « proscrire ou limiter très strictement l’usage du Flash-Ball dans le cadre de manifestations ».
Plus généralement, la commercialisation et l’usage de telles armes doivent être suspendus, de sorte que soient redéfinies les conditions de leur utilisation par rapport à leurs spécificités. En effet, d’une part, plus les tirs sont rapprochés, plus ils sont dangereux, et, d’autre part, plus ils sont éloignés, moins ils sont précis.
Il en est de même du pistolet à impulsion électrique, le Taser, employé en France par la police nationale et la gendarmerie depuis 2006 et par la police municipale depuis 2010. Les risques et les accidents liés à son utilisation sont nombreux.
Le premier risque est celui d’un usage abusif de l’arme. Le comité contre la torture des Nations unies a ainsi rappelé en 2010 que « l’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture ». Or l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales énonce que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Le second risque est lié aux conséquences de l’usage de cette arme sur la santé des personnes. Selon les données recueillies par Amnesty International et figurant dans un rapport publié en décembre 2008, quelque 334 personnes seraient mortes, depuis 2001, au cours de leur arrestation ou en détention aux États-Unis, à la suite de décharges infligées par des pistolets paralysants, un chiffre qui aurait augmenté pour atteindre les 500 morts en 2012.
En raison de ces risques, du manque de formation des agents et des conséquences que peut entraîner l’emploi d’un tel armement, il convient non seulement de suspendre l’utilisation de ces armes dangereuses et de réaliser un état des lieux, mais aussi de protéger le droit imprescriptible de manifester en interdisant l’utilisation de ces armes par la police et la gendarmerie nationales contre des attroupements et des manifestations.
Le tragique décès de Rémi Fraisse, venu manifester contre le barrage de Sivens, est la triste illustration de la disproportion des moyens parfois engagés par les forces de police – en l’occurrence, il s’agissait d’une grenade offensive – et nous oblige à prendre des mesures restrictives, sinon prohibitives ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par notre collègue Éliane Assassi, nous invite à nous interroger sur la question de l’emploi de la force, mais également sur la confiance que nous plaçons en celles et ceux qui sont en première ligne pour faire respecter l’ordre républicain.
Je tiens avant tout à rendre hommage au remarquable travail accompli par M. le rapporteur de la commission des lois, Jean-Patrick Courtois, qui nous permet d’en appréhender tous les effets juridiques et pratiques.
M. Alain Fouché. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. Tout d’abord, je crois qu’il faut savoir reconnaître la bonne foi qui a présidé à l’élaboration de ce texte et la volonté de ses auteurs d’éviter les drames qui ont suscité une émotion légitime. Toutefois, nous ne vivons pas, tant s’en faut, dans un pays de non-droit où les policiers agiraient – pardonnez-moi l’expression – comme des cow-boys !
Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas dit cela !
M. Mathieu Darnaud. Au contraire, comme l’indiquait notre rapporteur, les règles d’utilisation des armes de catégorie B sont strictement encadrées par le code de la sécurité intérieure ou le code pénal.
Adopter cette proposition de loi constituerait une première difficulté. En effet, cela remettrait en cause toute la doctrine et la pratique françaises en matière de maintien de l’ordre. Or, s’il reste toujours des progrès à accomplir et des drames à déplorer, nous ne devons rougir ni de nos pratiques en la matière ni du professionnalisme des forces de l’ordre. Dans son rapport, Jean-Patrick Courtois a opportunément rappelé que la « doctrine Grimaud », en vigueur depuis les années soixante, a permis à la France de ne déplorer que de rarissimes décès lors d’affrontements entre émeutiers et forces de l’ordre.
L’article 1er de la proposition de loi, qui institue un moratoire sur l’utilisation des armes de catégorie B, pose problème, car il ôte aux policiers et gendarmes les armes non létales dont ils ont besoin pour répondre de façon graduée et proportionnée à une menace immédiate. Sans ces équipements, il ne leur resterait que le choix entre la passivité totale, qui n’entre pas dans la mission des gardiens de la paix civile, et l’engagement disproportionné avec des armes de catégorie supérieure, ce que personne ne souhaite.
L’article 2 de la proposition de loi n’est pas davantage satisfaisant, puisqu’il prévoit que ces armes ne pourront être utilisées qu’en des « circonstances exceptionnelles ». Non seulement ces dispositions donneront lieu aux interprétations très incertaines que M. le rapporteur a évoquées, mais, de fait, elles commandent aux forces de l’ordre de rester attentistes, jusqu’au moment où la situation deviendra tout à fait incontrôlable.
Enfin, à l’aune des auditions menées, nous ne pouvons qu’approuver les préconisations de M. le rapporteur : si le Taser X26 et le Flash-Ball superpro sont des équipements performants et utiles, le ministère de l’intérieur doit proposer aux fonctionnaires amenés à les utiliser des sessions de formation plus fréquentes et qui se rapprochent davantage des conditions réelles d’engagement.
Il est donc nécessaire, à mon sens, d’aider nos forces de police et de gendarmerie à assurer leurs missions, dans des conditions qui leur permettent de protéger les biens et les personnes, et de se protéger elles-mêmes, afin de les prémunir contre des situations qui se révéleraient de véritables « guets-apens juridiques ».
Par conséquent, le législateur doit avoir comme priorité, non pas d’exprimer sa défiance à leur encontre, mais, au contraire, de leur fournir un accompagnement dans leurs difficiles missions et de leur assurer le soutien de la République ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, questionner l’usage des armes dans notre société résonne de manière particulière dans les temps que nous connaissons.
Aujourd’hui, des conflits armés, dont certains se déroulent sur notre continent, sévissent dans de nombreux pays. Ensuite, le terrorisme menace directement les pays occidentaux, notre pays en ayant profondément souffert en ce début d’année. Enfin, la commercialisation des armes est réglementée dans notre pays, alors qu’elle est libre dans certains autres, ce que l’actualité vient d’illustrer tragiquement outre-Atlantique.
Ces problématiques qui concernent le législateur, bien qu’à des échelons très distincts, me semblent néanmoins les préalables indispensables à la mise en perspective de notre débat. De quoi discutons-nous en réalité dans la proposition de loi examinée aujourd’hui ?
Nous débattons de l’usage par nos forces de l’ordre d’armes de dissuasion, qui a été généralisé par la loi en 2002 et dont la classification ne correspond plus désormais à celle qui figure dans le présent texte.
Les armes évoquées, qu’il s’agisse de lanceurs à balles de défense ou de pistolets à impulsion électrique, sont aujourd’hui regroupées sous les catégories B et D, en fonction de leur composition – mécanique ou plastique, par exemple, pour les Flash-Ball.
Qu’en est-il, aujourd’hui, de l’utilisation de ces armes de dissuasion par les forces de l’ordre ? En France, tous les policiers ne sont pas armés. En 2013, sur près de 20 000 policiers municipaux que compte notre pays, quelque 82 % sont armés et seuls 39 % sont équipés d’une arme à feu.
N’oublions pas, par ailleurs, que l’ensemble des équipements est attribué nominativement, à la demande de chaque maire, et après validation des services de la préfecture. Les critères d’attribution d’armes sont stricts et définis par le code de la sécurité intérieure. Toute arme détenue par un policier est donc soumise à autorisation.
Mes chers collègues, s’il nous prenait l’envie de vouloir acheter une arme de catégorie D en vente libre, rien ne nous en empêcherait et nous pourrions quitter l’armurerie avec, par exemple, une bombe lacrymogène en poche ! Rien de tel pour un policier, qui, pour la détention du même type d’armes, sera soumis – il le faut, dans l’intérêt de tous ! – à une autorisation en préfecture, accompagnée d’un certificat médical d’aptitude de moins de deux semaines.
Croyons-nous, enfin, que l’usage de ces armes par les forces de l’ordre soit hasardeux ?
Malgré, d’une part, les conditions de formation spécifiques aux armes utilisées – seuls ceux ayant obtenu la formation ad hoc sont ainsi autorisés à faire usage d’un Flash-Ball par exemple –, et, d’autre part, les conditions de formation continue obligatoire annuelle pour les armes des catégories B et D, il semblerait que les auteurs de la proposition de loi aient oublié que les policiers sont strictement limités dans l’usage de leurs armes aux cas de légitime défense.
En employant ces mots, je ne peux m’empêcher de saluer la mémoire des policiers lâchement assassinés lors des attentats de janvier dernier. Aurait-il pu en être autrement s’ils avaient eu les moyens de se protéger et d’assurer leur défense ? J’évoque ainsi la question de la protection que nous accordons à nos forces de l’ordre, absente du texte dont nous discutons, et pourtant fondamentale. Selon les secteurs, et à la discrétion du maire, il conviendrait, à mon sens, d’armer notre police pour qu’elle assure tant notre protection que la sienne.
Les responsables publics doivent donc s’interroger en conscience sur les moyens qu’ils décident de consacrer à la protection de leurs agents, alors que le coût d’un gilet pare-balles oscille entre 700 euros et 1 000 euros.
Si la « protection de la liberté de manifestation et d’expression des mouvements sociaux », telle qu’elle est rappelée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi dont nous débattons, me semble primordiale, elle est néanmoins garantie en l’état actuel de la législation. En revanche, c’est peut-être moins le cas pour la protection effective de nos forces de l’ordre !
Je souhaiterais évoquer le cas de la ville d’Évreux, dont je suis élue. La protection de la population, qui avoisine 50 000 habitants, y est assurée par une police municipale, composée seulement de vingt-deux policiers municipaux, de sept agents de surveillance de la voie publique, de deux agents affectés à la vidéosurveillance et de quatre agents administratifs.
Pour l’ensemble de ces agents, la police municipale d’Évreux dispose de six Flash-Ball de catégorie B, ainsi que de diverses armes de catégorie D, en particulier des aérosols lacrymogènes et des bâtons de défense. Aucune de ces armes n’a été utilisée depuis le début de l’année.
Mes chers collègues, vous ne serez pas surpris que, au terme de ce propos, je me prononce en défaveur de tout moratoire qui reviendrait à interdire aux forces de l’ordre de faire usage des armes que la loi leur permet d’utiliser, y compris contre des attroupements ou manifestations. À mes yeux, c’est la protection qui prime : celle de la population, mais également celle des hommes et des femmes chargés de veiller sur elle, lorsqu’eux-mêmes se sentent en danger.
S’il est une question dont la Haute Assemblée devrait se saisir, me semble-t-il, c’est celle du contrôle de la commercialisation, de la détention et de la circulation des armes dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville. Je remercie le groupe CRC du Sénat d’avoir provoqué ce débat important et je me félicite de l’esprit serein et apaisé dans lequel celui-ci s’est tenu. L’enjeu est de concilier la protection des forces de l’ordre, mais aussi celle du public, avec la liberté de manifester.
Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque nombre d’orateurs ont soulevé la question de la formation, permettez-moi de vous apporter à cet égard quelques précisions qui dessinent une piste d’amélioration.
Seuls les policiers habilités ayant suivi une formation spécifique sont autorisés à faire usage d’un Flash-Ball. La formation initiale, qualifiante, s’étend sur plusieurs jours ; elle est complétée par des stages de qualification périodiques, dits « stages de recyclage », qui doivent être suivis tous les deux ans. Faute de suivre ces stages, les fonctionnaires perdent leur habilitation.
Par ailleurs, l’utilisation du Flash-Ball est très encadrée : chacune de ses utilisations fait l’objet de déclarations spécifiques par les fonctionnaires, qui doivent expliquer les conditions dans lesquelles ils s’en sont servis. Les mêmes principes valent pour le Taser : les fonctionnaires doivent avoir suivi une formation qualifiante, être habilités et suivre tous les trois ans un stage de recyclage.
Certains orateurs ont déploré que les formations soient trop théoriques. Soyez certains que le ministre de l’intérieur sera très sensible aux propositions d’amélioration qui ont été avancées. En particulier, il est prêt à lancer un travail pour rendre les formations aussi proches que possible des conditions réelles, en prenant davantage en compte les contextes de tir et les cibles mouvantes. Sans doute faut-il aussi que les stages de recyclage soient plus réguliers.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous assurer que le Gouvernement est parfaitement conscient de la nécessité, soulignée par tous les orateurs, d’améliorer la formation des fonctionnaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations
Article 1er
Dans l’attente d’une nouvelle législation en la matière, il est institué un moratoire sur la commercialisation, la distribution, et l’utilisation par toute personne des armes de quatrième catégorie, dont la liste est définie par décret en conseil d’État.
Un décret précisera les conditions d’application de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, sur l'article.
M. Antoine Lefèvre. Ayant été le rapporteur de la proposition de loi dont est issue la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle moderne, simplifié et préventif des armes, je tiens à présenter plusieurs observations au sujet du présent article, qui vise les armes communément appelées Flash-Ball et Taser, d’après les noms de leurs fabricants, en se référant à une classification obsolète depuis plus de trois ans. Ces armes à létalité atténuée ou « sublétales » suscitent des interrogations depuis leur apparition.
En janvier 2011, au cours d’une séance de questions cribles thématiques consacrée à l’utilisation du Flash-Ball et du Taser par les forces de police, j’ai appelé l’attention du gouvernement de l’époque sur les règles en vigueur encadrant l’emploi de ces équipements de substitution aux armes à feu.
En effet, de récents événements ayant ému nos concitoyens, des précisions sur les procédures de contrôle, en amont et en aval de l’utilisation de ces équipements, s’avéraient nécessaires. J’ai insisté notamment sur la nécessité d’assurer la traçabilité de chaque utilisation, au moyen de puces et de caméras intégrées, afin de prévenir les litiges.
Je rappelle que ces armes de force intermédiaire relèvent du cadre juridique général de l’usage de la force, qui repose, entre autres principes, sur la légitime défense et l’état de nécessité, et qu’elles sont soumises aux principes de nécessité et de proportionnalité.
Les auteurs de la proposition de loi se sont notamment inspirés de recommandations formulées par le Défenseur des droits en 2013. Or celles-ci ont été soit satisfaites, soit jugées trop restrictives de l’usage des armes en cause, qui serait devenu trop limité, voire impossible, en sorte que les forces de l’ordre auraient été désarmées de fait. Le rapport établi par notre collègue Jean-Patrick Courtois fait apparaître que l’application de l’article 1er de la proposition de loi aurait le même résultat.
Outre que cet article fait référence à l’ancienne classification des armes, il n’apporte pas les solutions auxquelles les auteurs de la proposition de loi aspirent : ceux-ci réclament un moratoire, mais ils ne font pas de propositions !
Reste que, comme le ministre de l’intérieur d’il y a quatre ans l’avait reconnu en réponse à ma question, la communication sur la réglementation relative à l’usage de ce type d’armes est encore trop en deçà des attentes du public, ce qui entraîne une méfiance grandissante, alimentée par les événements tragiques que plusieurs collègues ont rappelés.
Il faut donc améliorer la transparence de l’utilisation de ces armes, mais non l’interdire, ce qui reviendrait quasiment à désarmer nos forces de maintien de l’ordre, alors même qu’elles sont de plus en plus victimes d’agressions mortelles, commises de plus en plus avec des armes de guerre. Ces armes intermédiaires sont d’autant plus utiles qu’elles évitent le recours aux armes à feu, ô combien plus dangereuses.
Parce qu’il faut protéger nos forces de l’ordre au même titre que tous nos concitoyens, je ne voterai pas l’article 1er de cette proposition de loi, non plus d’ailleurs que son article 2.
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
quatrième catégorie
par les mots :
catégorie B
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi, auteur de la proposition de loi. Cet amendement vise à opérer une rectification dont il a déjà été largement question, afin de tenir compte de l’évolution législative. Je signale d’ores et déjà que l’amendement n° 2, portant sur l’article 2, a pour objet une modification du même ordre. Je l’ai donc d'ores et déjà défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Comme Mme Assassi vient de le souligner, les amendements nos 1 et 2 tendent à opérer des corrections formelles.
La commission des lois étant hostile à la proposition de loi, elle ne peut qu’être défavorable à ces deux amendements. J’espère, ma chère collègue, que vous vous en remettrez !
Mme Éliane Assassi. Ne vous inquiétez pas, je suis résistante ! (Sourires.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Le Gouvernement a la même position que M. le rapporteur : étant opposé à la proposition de loi, il est défavorable aux deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand, pour explication de vote.
M. Alain Bertrand. Les propos que viennent de tenir Mme la secrétaire d’État et M. Antoine Lefèvre m’inspirent plusieurs observations.
Madame El Khomri, vous êtes secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, mais, cet après-midi, vous êtes chargée tout autant de la campagne, car la question de l’utilisation des armes de quatrième catégorie se pose partout.
En effet, les territoires ruraux ont aussi leurs petites villes, leurs quartiers sensibles et leurs problèmes d’ordre public et de délinquance. J’y insiste, car il semble que, gouvernement après gouvernement, on oublie un peu la campagne ; je me permets de le souligner, quoique je soutienne le gouvernement de Manuel Valls. Qu’il s’agisse de sécurité ou de politiques sociales, la campagne est tout autant concernée que la ville !
Il faut rendre hommage à notre police républicaine, notre gendarmerie et nos forces armées, qui sont d’un très haut niveau, pénétrées des principes républicains et soucieuses des droits de nos concitoyens.
Dans nos campagnes, un rôle irremplaçable est joué par les petites polices municipales – dans ma ville, on parle de « police de tranquillité » –, qui sont conduites à remplir tout un éventail de missions. Par exemple, dans le cadre des opérations « tranquillité vacances », elles font le tour des quartiers pour surveiller les villas dont les occupants sont partis et, lorsqu’elles aperçoivent une fenêtre ou une porte ouverte, vont voir les choses de plus près. Ce travail ne peut pas être accompli par des policiers désarmés, ne portant rien d’autre qu’une chemisette bleue marquée « Police municipale » et des rangers. (Sourires.) Il faut que les fonctionnaires soient armés !
Quand un gouvernement précédent a supprimé la police de proximité, nous, les maires, préoccupés par cette décision, sommes allés voir nos commissaires divisionnaires de police, notre directeur départemental de la sécurité publique ou notre préfet. Ils nous ont demandé de les aider en faisant un effort pour nos polices municipales, afin qu’elles puissent, par exemple, faire des rondes à onze heures du soir, à minuit ou à une heure du matin. Or, lorsqu’ils servent la nuit, pour des rondes ou des contrôles sur les ronds-points, nos policiers municipaux peuvent tomber sur des délinquants dangereux.
Bien entendu, on peut rêver d’un monde de bisounours, comme disent les jeunes ; mais, dans le monde réel, il faut que toutes nos polices soient convenablement armées. Toutes les missions que nos forces de l’ordre assurent, au service de nos concitoyens, requièrent des armes et des techniques régulièrement améliorées et des fonctionnaires bien formés.
Mes chers collègues, je sais que nos collègues du groupe CRC sont animés des meilleurs sentiments – il m’arrive d’ailleurs souvent de souscrire à leurs initiatives –, mais nous devons être très vigilants : ne laissons pas penser qu’il y aurait, d’un côté, les méchants policiers, et, de l’autre, les gentils manifestants.
M. Patrick Abate. Ce n’est pas du tout notre propos !
M. Alain Bertrand. Le droit de manifester – Dieu sait si j’ai manifesté dans ma vie ! – est le droit de défiler calmement, dans l’ordre et sans violence, dans un esprit citoyen.
L’équilibre qu’il convient de trouver n’est pas celui sur lequel repose la présente proposition de loi. Les sénateurs du groupe RDSE, hostiles à celle-ci, ne voteront pas l’amendement n° 1, non plus que l’amendement n° 2.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. S’il est évident que les polices doivent être armées comme il convient, il l’est tout autant que les armes doivent être bien utilisées. C’est pourquoi des efforts doivent être réalisés en matière de formation à l’utilisation des armes. Désarmer la police pourrait avoir des conséquences terribles, mais il est indispensable d’améliorer sa formation, et je soutiens le Gouvernement dans ce domaine.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er n'est pas adopté.)
Article 2
L’avant-dernier alinéa de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils ne peuvent utiliser à cette fin les armes de quatrième catégorie, définies par décret pris en Conseil d’État, que dans les circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d’une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique. »
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
quatrième catégorie
par les mots :
catégorie B
Cet amendement a déjà été défendu.
La commission et le Gouvernement ont déjà émis leur avis, qui est défavorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 2, je vous rappelle que, si ce dernier n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les deux articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Je voulais avant toutes choses remercier Mme la secrétaire d’État de la modération de ses propos et de sa volonté de laisser le débat prospérer. Je voudrais également remercier tous les sénateurs étant intervenus dans ce débat, à l’exception d’un orateur, dont je ne citerai même pas le nom.
M. David Rachline. C’est moi !
Mme Éliane Assassi. Je regrette seulement le manque de rigueur intellectuelle de quelques-uns d’entre eux, qui tend à leur faire confondre moratoire et interdiction. Que je sache, mes chers collègues, ces deux mots ne sont pourtant pas synonymes.
D’autres orateurs ont également tenté de faire croire que les élus du groupe CRC n’ont pas confiance dans les forces de police. C’est tout le contraire, évidemment ; notre formation politique est très proche des forces de police et des syndicats de policiers, qu’ils soient municipaux ou nationaux. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. François Bonhomme. Point trop n’en faut !
Mme Éliane Assassi. Monsieur Gournac, je vous rappelle que, sous l’ancienne majorité sénatoriale, j’avais l’honneur d’être le rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, des crédits de la mission « Sécurité » !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Je tenais alors à auditionner rigoureusement toutes les personnes compétentes, à travailler avec toutes les associations et toutes les organisations de policiers, nationaux ou municipaux. J’ai toujours défendu l’idée selon laquelle nos policiers devaient avoir les moyens nécessaires pour assumer leurs fonctions et assurer, notamment, leur propre sécurité. Il y a donc, mes chers collègues, des propos que je ne peux pas accepter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Cela dit, je me félicite du débat qui s’est instauré cet après-midi ; le dépôt de cette proposition de loi avait aussi cette ambition. Ce débat, d’ailleurs, se poursuivra sous d’autres formes, sans doute à l’occasion de l’examen au Sénat d’un prochain projet de loi sur le sujet.
Pour toutes ces raisons, je tenais donc à remercier les différents orateurs, sauf l’un d’entre eux, de leurs propos
M. David Rachline. Moi aussi, je vous aime !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Divers élus écologistes – à l’époque, ce n’était pas encore un groupe –, députés et sénateurs, avaient déposé il y a quelque temps un texte similaire à celui dont nous discutons aujourd’hui. Ainsi que l’a souligné Éliane Assassi, la présente proposition de loi a ouvert le débat, ce qui semble une nécessité. Nous devons en effet nous intéresser davantage à l’encadrement des policiers, aux armes qu’ils utilisent et à leur formation, cela afin qu’ils ne tirent pas à mauvais escient.
Ces questions intéressent nos concitoyens. Dès lors, même si cette proposition de loi ne sera pas adoptée aujourd’hui, il me semble que l’on ne peut pas ne pas en débattre. Mieux vaut cela que d’occulter les problèmes, comme nous en avons trop souvent l’habitude.
Notre idée, qui est aussi celle du groupe CRC, n’est pas d’abolir le port d’armes ; nous partons seulement du même constat, me semble-t-il. Divers incidents récents, ainsi que plusieurs rapports sur le sujet, l’ont d’ailleurs montré : il s’agit bien d’une question de société, qui mérite débat. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Au moment où nos policiers et nos gendarmes sont partout, dans les rues, pour nous protéger, je voudrais leur rendre hommage. Le plan Vigipirate, maintenu à son niveau le plus élevé, implique des cadences de travail absolument incroyables, dont témoignaient d’ailleurs ce matin sur les ondes plusieurs représentants des CRS, notamment.
Je ne discute pas du tout, chers collègues du groupe CRC, de la légitimité de débattre de ce sujet ; c’est le propre des discussions que nous pouvons avoir dans cet hémicycle. En revanche, je suis en désaccord total avec la position que vous avez exprimée. Moi, j’aime la police ; j’aime la gendarmerie !
Mme Éliane Assassi. Moi aussi !
M. Alain Gournac. Je suis moi-même gendarme !
Mme Éliane Assassi. Et moi, je voulais être commissaire de police !
M. Alain Gournac. Qu’arrivera-t-il si on ne donne pas aux policiers et aux gendarmes la possibilité de se défendre ? Voyez ce qui s’est passé sur les terrains d’un fameux aéroport, celui dont on ne sait s’il verra le jour ; voyez la violence, tout à fait phénoménale, de l’attaque – j’ai visionné les trois vidéos – dont ont été victimes nos forces de police et de gendarmerie !
Mme Esther Benbassa. Un jeune homme est mort !
M. Alain Gournac. Certes, il y a eu un accident, ce que je regrette vivement. Néanmoins, moi, quand j’aime, je soutiens.
Mme Éliane Assassi. Qui vous a dit que nous ne soutenions pas les forces de police ?
M. Alain Gournac. J’apporte donc mon soutien le plus total à la police et à la gendarmerie ; je leur fais entière confiance.
Mme la secrétaire d’État a néanmoins raison de dire que des dispositions doivent être prises quand du matériel dangereux est distribué. Cela, nous en sommes parfaitement conscients. Cependant, instaurer un moratoire, dans ce moment si particulier que nous vivons, et quand on connaît les menaces auxquelles doit faire face notre pays, serait terrible.
Je le répète, je soutiens la police et la gendarmerie ; c’est donc sans aucune hésitation que je voterai contre le présent texte. (M. David Rachline applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Les dernières interventions m’incitent à réagir.
Je puis comprendre l’avis défavorable émis par la commission comme par le Gouvernement sur les deux amendements présentés. Néanmoins, cette proposition de loi a le mérite d’installer le débat sur ce problème de société : la sécurité, notamment intérieure.
Un orateur nous a éclairés sur la situation prévalant dans les communes rurales. Il est vrai que les problèmes d’insécurité existent partout. On parle beaucoup des villes, des quartiers difficiles, sensibles, au sein des grandes villes. Toutefois, nous ne sommes nulle part, même dans le plus petit village, vraiment à l’abri du danger.
Alain Gournac a fait part de son soutien aux forces de sécurité. Il me semble que tous les membres de cette assemblée sont unanimes pour défendre les notions de respect et de reconnaissance à l’égard des gendarmes, dans le monde rural, mais aussi des policiers nationaux et municipaux. Tous ici respectent ceux qui font face au danger : l’ensemble des forces de sécurité, à tous les niveaux, les pompiers, et ceux qui œuvrent à la sécurité des personnes et des biens.
Chaque année, nous sommes associés en tant qu’élus à la journée d’hommage rendu aux gendarmes, policiers et pompiers victimes du devoir.
La sécurité des personnes et des biens est donc une priorité en tous lieux. Dès lors, si je rejoins les positions exprimées par la commission et le Gouvernement, la présente proposition de loi a au moins le mérite, selon moi, de nous interpeller sur les problèmes existants en la matière. (M. Alain Gournac applaudit.)
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je ne voudrais pas abuser du temps imparti à l’ordre du jour réservé du groupe CRC, mais je ne peux que réagir à l’intervention d’Alain Gournac, qui a lancé le thème des amours : il aime les gendarmes, les policiers, les pompiers !
M. Alain Gournac. Et alors ? J’assume !
M. Jean Desessard. Moi aussi, j’aime les postiers, les cheminots et les infirmières ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
La question ne se pose pas ainsi, cher collègue ! Nous tenons tous en effet à ce que la police et la gendarmerie garantissent notre sécurité.
M. Alain Gournac. J’ai le droit d’avoir ce point de vue !
M. Jean Desessard. Oui, et moi j’ai le droit de vous répondre !
Mme Cécile Cukierman. Et nous de ne pas être d’accord !
M. Jean Desessard. La vraie question est de savoir si, dans certaines circonstances, les forces de l’ordre n’utilisent pas leur arme au détriment de la sérénité et de la sécurité publiques.
Dominique Voynet a donné l’exemple, à ce sujet, d’une grève des lycéens qui s’est déroulée à Montreuil. Un jeune, sorti de son établissement pour aller manifester, et n’ayant rien fait d’autre que de remuer une poubelle, de la déplacer, sans attaquer personne donc, a reçu un projectile de Flash-Ball dans l’œil, et l’a ainsi perdu.
Ce n’est qu’un exemple, me direz-vous, mais on pourrait en citer d’autres. Convenez que, dans ce cas, l’arme a été utilisée de façon manifestement abusive. Il convient donc de se demander pourquoi. Or c’est bien l’ambition de la présente proposition de loi que de nous interpeler sur ce point : l’arme est-elle toujours utile ?
M. Alain Fouché. Oui, elle est utile !
M. Jean Desessard. En l’espèce, mal utilisée, elle a causé un dommage grave au lycéen. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Dès lors, devait-elle être utilisée ? Comment ? Telles sont les questions qui nous sont posées.
M. Alain Bertrand. C’était un accident !
M. Jean Desessard. Attention au « tout sécuritaire », mes chers collègues ! Il n’est pas réaliste de penser que c’est en armant toujours plus les forces de l’ordre que nous réglerons les problèmes de violence et de banditisme.
M. Alain Fouché. Personne ne dit cela !
M. Jean Desessard. Le groupe CRC et le groupe écologiste, qui voteront cette proposition de loi, ont une autre conception des choses : la sérénité et la sécurité publiques passent d’abord par une plus grande justice sociale. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) La tranquillité dans les quartiers ne peut pas être uniquement le fait de la police : elle vient de la justice sociale ; elle implique que chacun soit reconnu à sa juste valeur et puisse trouver un emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Et le problème est réglé !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je tiens à souligner, à la suite d’Éliane Assassi notamment, la qualité du débat que nous avons eu sur ce texte lors de son examen en commission des lois et de la discussion générale, ainsi que le respect ayant prévalu à nos échanges avec M. le rapporteur et les sénateurs des différents groupes. Cela tranche nettement avec l’emportement auquel nous assistons depuis quelques instants. Finalement, j’en suis presque rassurée : il suffit de gratter un peu pour que, chez certains, le vernis s’écaille. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Je m’associe aux propos de Jean Desessard : si, au cours des dix dernières années, le Parlement avait autant débattu du bien-être social qu’il l’a fait des problèmes de sécurité, il aurait certainement pris des dispositions allant dans la bonne direction, pour notre pays, d’abord, mais aussi pour la sécurité de tous.
Mme Esther Benbassa. Tout à fait !
Mme Cécile Cukierman. La reconnaissance du travail des policiers, personne n’en a le monopole. Il est évident pour tout le monde que les policiers sont nécessaires. Au groupe CRC, nous sommes attachés à la présence de la police sur nos territoires ; nous sommes attachés à la police de proximité, qui travaille avec les populations, cette police – vous la connaissez, mes chers collègues – qui a été supprimée par la droite il y a quelques années.
M. Alain Fouché. Il fallait la recréer, alors !
Mme Cécile Cukierman. Or la police, au travers de ses représentants, nous interpelle aujourd’hui. Certains de ses agents, ceux à qui vous avez déclaré votre amour, monsieur Gournac – soit dit en passant, j’espère que vous ferez de même quand nous débattrons d’autres catégories de fonctionnaires ! –, nous font part de leur usure et de leur fatigue, qui ont été amplifiées par la mise en œuvre du plan Vigipirate. Ils nous font part de leur exaspération à l’égard de la politique du chiffre, à laquelle, malheureusement, il n’a pas été mis fin, et qui ajoute encore de la pression à leur métier.
C’est dans ce cadre précis que nous avons déposé la présente proposition de loi ; ce sont aussi les conditions de travail qui poussent à la bavure, au manque de discernement, au manque de recul. L’exemple cité par Jean Desessard n’est pas isolé ; les personnels de police et de gendarmerie sont en effet amenés à réagir beaucoup plus rapidement qu’il ne le faudrait au vu de la situation.
Peut-être l’objectif est-il de satisfaire l’idéal de bien-être dont certains rêvent devant le journal télévisé, celui d’une société sécuritaire ? Nous vivrions, paraît-il, dans un monde où l’insécurité est présente partout.
Nous en parlions avec ma collègue Évelyne Didier : chaque vie compte (M. René Danesi opine.), qu’il s’agisse d’un policier, d’un gendarme ou d’un manifestant, jeune ou moins jeune ! Une vie détruite est une vie détruite.
M. Alain Fouché. Les policiers aussi perdent la vie !
Mme Éliane Assassi. Elle l’a dit ! Il faut écouter !
Mme Cécile Cukierman. Dans une bavure, il y a deux vies brisées : celle de la victime et celle du policier, qui aura toujours un mort sur la conscience ! N’opposons donc pas les uns aux autres !
Notre proposition de loi visait à soulever des interrogations sur la pertinence et l’efficacité du recours aux armes concernées.
Comme nous l’avons indiqué, ces armes ne répondent pas à l’objectif. Leur présence rassure peut-être certains, mais elles sont parfois à l’origine d’événements pour le moins malencontreux !
Peut-être notre proposition de loi ne sera-t-elle pas adoptée.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En effet !
Mme Cécile Cukierman. Mais elle aura au moins eu le mérite de susciter un débat sur la pertinence et l’efficacité du recours à de telles armes.
Il faudrait également disposer d’éléments, notamment statistiques, sur l’utilisation de ces armes, ainsi que sur les conséquences sur la population, madame la secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Mes propos seront très modérés. En France, contrairement à d’autres pays, les policiers et les gendarmes sont souvent présentés comme les « méchants » dans les médias, qui cherchent régulièrement à les prendre en défaut. Je trouve cette attitude regrettable.
Monsieur Jean Desessard, nous sommes tous d'accord sur la justice sociale ; les Verts n’en ont pas le monopole ! Mais vous oubliez de parler des violences que les policiers subissent parfois de la part de manifestants. Lors des manifestations, le préfet donne des consignes de modération aux forces de l’ordre, afin d’éviter d’éventuels incidents. Mais les policiers sont quand même bien obligés d’intervenir en cas de violences !
Un de nos collègues faisait tout à l’heure référence aux risques dans notre pays. Chaque jour, il y a des meurtres à la kalachnikov !
Par conséquent, nous avons besoin d’une police, certes bien formée, mais aussi bien armée ! C’est essentiel. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP. – M. Claude Kern applaudit également.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline, pour explication de vote.
M. David Rachline. Je comprends mieux pourquoi le Parti communiste fait moins de 3 % aux élections ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Cécile Cukierman. Je signale juste qu’il y a deux sénateurs d’un côté et dix-huit de l’autre !
M. David Rachline. Le Parti communiste est totalement déconnecté des réalités de ce pays !
Notre pays traverse des difficultés sans précédent, en matière non seulement économique et sociale, mais aussi sécuritaire ; nous connaissons la situation ! Et c’est ce moment particulièrement douloureux pour les Français et notre République que le Parti communiste choisit pour s’attaquer, de manière totalement idéologique, une fois de plus, aux forces de l’ordre ! Par le passé, il prétendait déjà que nous vivions dans un État policier, sous prétexte que la justice était sans doute un peu plus dure à l’égard des délinquants !
Vous allez devoir accepter que certaines personnes soient du côté de la police, et non pas, comme vous, du côté des délinquants ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Acceptez que nous soyons favorables à un renforcement des dispositifs permettant de condamner ceux qui contreviennent à la loi et troublent l’ordre !
Malheureusement, vous avez pris depuis plusieurs dizaines d’années le chemin inverse, celui qui consiste à défendre les délinquants ! Nous voyons aujourd'hui le résultat de cette politique démagogique et laxiste. La délinquance est endémique. Il y a des quartiers où les Français sont obligés de baisser la tête. Certains de nos concitoyens sont agressés seulement parce qu’ils sont Français, blancs et catholiques ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Oh là là !
Mme Cécile Cukierman. D’autres sont agressés seulement parce qu’ils sont homosexuels ou étrangers !
M. David Rachline. Il faut le dire ! Je sais bien que ce n’est pas le Parti communiste qui va en parler ! (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
Nous nous faisons les avocats de cette majorité silencieuse, de ces Français qui se taisent et qui doivent subir vos déclarations et vos propositions scandaleuses !
À titre personnel, je me félicite du rejet de cette proposition de loi !
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. J’écoute le débat avec attention. Ne sombrons pas dans la caricature. Il n’y a pas, d’un côté, les soutiens de la police et, de l’autre, les amis des manifestants. Cela ne se passe pas ainsi.
Je suis maire d’une ville de 15 000 habitants. Une politique solide repose sur le triptyque éducation/prévention/sécurité. Quand on néglige l’un de ces trois volets, cela ne fonctionne pas !
Les efforts en faveur de la cohésion sociale sont donc indispensables. Ne baissons pas la garde ! Les problèmes risqueraient de ressurgir avec acuité. Croire que l’on pourra tout régler seulement avec des réponses sécuritaires, c’est une impasse ! (M. David Rachline s’exclame.)
MM. Alain Fouché et François Bonhomme. Personne n’a prôné cela !
M. Martial Bourquin. Pour être efficace, une politique doit trouver l’équilibre entre éducation, prévention et sécurité.
En tant que maire, j’observe l’importance des problèmes de sécurité. Certaines nuits, avec les forces de l’ordre, nous sommes confrontés à des situations de violence extrêmement aiguë.
M. Alain Fouché. À cause de la misère, souvent !
M. Martial Bourquin. L’État de droit doit avoir une police capable d’y faire face.
M. Alain Fouché. Nous sommes d'accord !
M. François Bonhomme. Pas de naïveté !
M. Martial Bourquin. Notre groupe aura donc une position équilibrée sur cette proposition de loi.
À nos yeux, l’utilisation de ces nouvelles armes par les forces de l’ordre est déjà bien encadrée et réservée à des circonstances exceptionnelles. J’ai assisté à des situations de violence extrême où la police a dû avoir recours au Flash-Ball ; elle est tenue de respecter un règlement extrêmement strict. (M. François Bonhomme opine.) Si des forces de police doivent parfois se servir de telles armes, c’est parce qu’elles sont en difficulté !
L’équilibre consiste à combiner le renforcement de la cohésion sociale et les politiques de prévention et d’éducation. Mais évitons tout angélisme ! Dans certains quartiers, nos forces de l’ordre sont soumises à rude épreuve ! Nous ne suivrons donc pas nos collègues dans leur volonté de modifier le code de la sécurité intérieure.
J’ai refusé d’armer la police municipale de ma commune ; selon moi, cette option n’est pas à l’ordre du jour. Dans les situations extrêmement tendues, je préfère que la police nationale et la gendarmerie viennent en aide à nos policiers municipaux !
M. Alain Fouché. Très bien !
M. Martial Bourquin. Faisons attention à ne pas adresser de signaux négatifs aux policiers, qui sont déjà soumis à rude épreuve ! Veillons à ne pas les démotiver !
Nous ne voterons donc pas la présente proposition de loi.
Certains collègues ont fait référence à des incidents liés à l’utilisation de ces armes. J’y ai moi-même été confronté dans ma ville. De tels événements sont regrettables. Mais il existe des recours juridiques – ils sont par exemple mis en place dans ma commune –, y compris dans les cas d’utilisation abusive de certaines armes. Les procureurs de la République y font très attention.
Sachez qu’il est parfois très difficile d’être policier aujourd'hui. Je suis heureux d’avoir retrouvé des effectifs de police à la hauteur des besoins dans notre ville et notre agglomération, après des années de baisse. Mais soyons vigilants ! Veillons à ne pas mettre en accusation les policiers quand ils font leur travail, parfois dans des conditions très difficiles.
Un État de droit a besoin d’une police, une police formée, qui puisse exercer ses prérogatives et faire son devoir. (Mme Evelyne Yonnet applaudit.)
M. Alain Fouché. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Forissier, pour explication de vote.
M. Michel Forissier. Je suis maire d’une ville de 32 000 habitants depuis 2001, que j’ai conquise dans le cadre d’une alternance démocratique. Nous avons travaillé dans la commune, et le taux de délinquance a été ramené de 74 pour mille à 45 pour mille. Pour une ville de banlieue, ce n’est pas mal du tout !
Nous avons aussi développé une politique de prévention. Vous le voyez, cher collègue socialiste, il n’y a pas que la gauche qui prône la prévention ; tout élu responsable est convaincu de cette nécessité !
Je suis en désaccord avec M. Bourquin sur l’armement des polices municipales. Chez nous, la police municipale travaille parfois jusqu’à minuit, voire au-delà, et doit mener des personnes en garde à vue. Il est donc indispensable qu’elle soit armée.
En réalité, les auteurs de la présente proposition de loi posent mal le problème. La vraie question, ce n’est pas l’armement des policiers municipaux, c’est l’usage qui est fait des armes !
Mme Évelyne Didier. Les deux se recoupent !
M. Michel Forissier. L’armement doit être diversifié. Les agents doivent disposer de toutes les armes légales, afin de pouvoir effectuer leur travail dans les meilleures conditions.
Certaines situations sont effectivement très difficiles. Comme cela a été rappelé, nous sommes au plus haut niveau du plan Vigipirate.
Le véritable sujet, et je rejoins Mme la secrétaire d’État, c’est bien celui de la formation et de l’entraînement des policiers, ainsi que celui du contrôle qui est fait de l’usage des armes.
Aussi, je ne voterai pas la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bertrand, pour explication de vote.
M. Alain Bertrand. Le débat a un peu dérapé. La mise en cause de nos amis du groupe CRC n’a pas lieu d’être. Nos collègues agissent selon leur sensibilité, et je n’ai aucun doute quant à leur attachement aux valeurs républicaines.
Mme Éliane Assassi. Merci !
M. Alain Bertrand. Notre collègue Martial Bourquin a insisté sur la nécessité d’avoir une position équilibrée.
Je n’ai guère ressenti ce souci dans les propos de Jean Desessard lorsqu’il a évoqué le cas d’un individu blessé par un tir de Flash-ball.
M. Jean Desessard. Qui a perdu un œil !
M. Alain Bertrand. Mon cher collègue, il n’y a pas, d’un côté, les « salauds » insensibles et, de l’autre, les humanistes qui se soucient du malheur d’autrui !
Même avec une simple matraque en plastique, un accident est toujours possible ! Cela peut toujours arriver, même si personne ne le souhaite sur ces travées.
Le risque d’accident est toujours présent lorsque les forces de l’ordre font leur travail. À nous de faire en sorte qu’il soit le plus faible possible !
Quoi qu’il en soit, nous avons fait le tour du débat. Il n’y a pas dans l’hémicycle les méchants d’un côté et les gentils de l’autre. (M. Martial Bourquin opine.)
J’évoquerai un dernier point. Pour ma part, j’ai été scandalisé par des images vues à la télévision à l’occasion de manifestations récentes visant à défendre, dans un département du Sud-Ouest, une zone humide. Je suis président d’une fédération départementale agréée de pêche et de pisciculture. Je défends donc à ce titre les zones humides. Certes, il est légitime de manifester. Ma fédération de pêche a d’ailleurs intenté 200 procès devant les tribunaux contre des pollueurs de tout crin, y compris d’importantes sociétés de l’industrie chimique. Mais là, il s’agissait uniquement de redoutables casseurs, mélangés avec des gens de bonne foi voulant défendre un dossier qui leur paraissait défendable. Joël Labbé, également sensible à la problématique « eau, rivière et territoire », comprend de quoi je parle…
Tous ces débordements ne sont pas acceptables. Il convient donc que les forces de police et de gendarmerie puissent les réprimer avec une grande fermeté. On peut être très républicain tout en défendant une République de droits et de devoirs !
Mme la présidente. Mes chers collègues, les deux articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation d’armes de quatrième catégorie, et à interdire leur utilisation par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations n’est pas adoptée.
5
Débat sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite, organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à M. Dominique Watrin, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Dominique Watrin, au nom du groupe CRC. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 6 novembre dernier, le Président de la République a déclaré refuser « qu’une personne de soixante ans vive avec moins de 500 euros par mois. Pour les seniors qui ont toutes leurs annuités et qui ont plus de soixante ans il sera mis en place une allocation leur permettant d’aller jusqu’à la retraite dans de bonnes conditions. Pour ceux qui n’ont pas toutes leurs cotisations, un contrat aidé ».
Ces propos tenus devant 8 millions de téléspectateurs nous avaient alors donné bon espoir que le Gouvernement décide de rétablir l’allocation équivalent retraite, l’AER, supprimée par Nicolas Sarkozy en 2011.
L’allocation équivalent retraite était le minimum social majoré versé aux demandeurs d’emploi ayant la durée requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein, mais n’ayant pas encore l’âge d’ouverture des droits pour la liquidation de leur retraite.
Or la création en urgence de l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, et son extension en 2013 par décret n’a pas permis de remplacer le dispositif antérieur.
En effet, l’ATS est censée bénéficier à tous nos concitoyens nés en 1952 ou en 1953, inscrits à Pôle emploi au 31 décembre 2010 et justifiant de 165 trimestres d’assurance.
Cependant, de nombreuses Françaises et de nombreux Français, nés en 1952 ou en 1953, inscrits à Pôle emploi au 31 décembre 2010 et justifiant des 165 trimestres nécessaires ont été exclus du dispositif, car les trimestres validés au titre du bénéfice de l’allocation de solidarité spécifique ne sont pas pris en compte.
C’est d’ailleurs un comble puisque ce sont précisément ces publics en fin de droits qui ont besoin du dispositif et que l’on pénalise par cette règle. Ce constat aurait dû conduire le Gouvernement à une refonte du système pour revenir à l’ancienne allocation équivalent retraite ou à tout autre système produisant les mêmes effets.
Lors d’une question orale sur le sujet le 14 octobre 2014, M. le ministre du travail m’avait répondu, en se fondant sur un rapport du Gouvernement, qu’il était plus juste et efficace d’étendre davantage l’allocation transitoire de solidarité plutôt que de rétablir l’allocation équivalent retraite.
Je voudrais signaler que ce rapport dont M. le ministre du travail faisait état dans sa réponse, qui devait être rendu public, selon lui « dans la semaine », est, sept mois après, toujours introuvable sur le site du ministère et n’a jamais été présenté à la commission des affaires sociales du Sénat.
Le 26 mars 2015, M. le ministre déclarait que pour les années 1954, 1955 et 1956 le Premier ministre annoncerait « dans les jours à venir » la mise en place de l’extension de l’ATS. Or, à ce jour, elle ne bénéficie toujours qu’aux chômeurs nés entre 1952 et 1953, et sous les conditions restrictives que j’ai expliquées.
En attendant, nous sommes en mai 2015 et malgré le million de chômeurs âgés en France, le Gouvernement n’a toujours pas décidé de rétablir l’AER, qui leur permettrait de vivre décemment jusqu’à la liquidation de leur pension. Un pays aussi riche que la France, qui sait dégager des dizaines de milliards d’euros pour exonérer de cotisations sociales les entreprises, en premier lieu celles du CAC 40, serait-il donc incapable d’assurer un revenu décent à ceux qui ont créé durant des années cette richesse ?
Comme nous l’a écrit le collectif AER-ATS « des seniors au chômage de longue durée et arrivés en fin de droit d’indemnisations se trouvent en situation de grande précarité avec seulement l’allocation spécifique de solidarité, soit 477 euros par mois pour se loger, assumer leurs charges et se nourrir ».
C’est le cas, par exemple, de Florence, citée dans le journal l’Humanité du 13 mars 2015, qui percevait 900 euros par mois d’assurance chômage. Aujourd’hui, la chômeuse doit se contenter de 477 euros d’allocation spécifique de solidarité. Alors l’été, pendant la période des récoltes, Florence retrousse ses manches et trie les grains de maïs à la chaîne huit heures par jour.
Je suis moi-même saisi dans ma circonscription, le Pas-de-Calais, de situations dramatiques tels ces salariés licenciés en février 2013 par la société Meca stamp international à Hénin-Beaumont. Une douzaine de personnes ayant travaillé à la forge dans des conditions très difficiles, soumises pendant plus de vingt ans au bruit, à la chaleur, à la poussière, aux travaux répétitifs, aux vibrations, aux postes en 3x8, aux postes de nuit, se retrouvent au Secours populaire ou aux Restos du cœur. Voilà l’avenir que promet la France à des familles qui ont cotisé plus de trente-sept ans ! Cela ne peut plus durer !
Cette illustration du quotidien de milliers de Françaises et de Français devrait conduire le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'État, à prendre enfin les décisions nécessaires.
Alors oui, j’ai bien compris ce que m’a répondu M. le ministre du travail le 14 octobre 2014 : il renvoyait aussi cette question à l’amélioration de l’emploi des plus de cinquante ans et à la lutte contre le chômage de longue durée. Il parlait de cibler les contrats aidés dans le secteur marchand sur ce public. Il parlait de combattre les discriminations dont sont victimes, dans le maintien à l’emploi, les salariés au-delà de quarante-cinq ans. Il parlait du développement des contrats de génération et de l’amélioration de la formation de ces seniors via 100 000 formations prioritaires à Pôle emploi.
Mais quelle est la réalité aujourd’hui ?
Les contrats de génération ont toujours du mal à être signés malgré le doublement des aides accordées aux entreprises. Ces contrats de génération étaient censés permettre aux entreprises de moins de 300 salariés qui embauchent un jeune de moins de vingt-six ans en CDI tout en maintenant un senior de plus de cinquante-sept ans dans l’emploi de toucher une aide annuelle de 4 000 euros pendant trois ans. Malgré le doublement de l’aide depuis septembre, seuls 33 000 contrats ont été enregistrés depuis deux ans, loin de l’objectif initial de 75 000 contrats signés.
Selon une étude récente de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le nombre de contrats aidés dans le secteur marchand a certes progressé. Mais les contrats uniques d’insertion, qui représentent la majeure partie des contrats aidés, et qui sont censés bénéficier aux plus éloignés de l’emploi, ont reculé de 8,1 % tandis que les signatures d’emploi d’avenir ont, elles, nettement progressé.
Quant aux formations assurées par Pôle emploi pour la reconversion des seniors, il n’en est fait mention dans aucune des communications récentes du Gouvernement. Faut-il en conclure qu’il s’agit d’un renoncement supplémentaire ? Nous attendons des précisions de votre part, monsieur le secrétaire d'État. Car, enfin, le taux d’emploi des seniors en France était en 2014 de 44,5 %, alors que la moyenne dans l’OCDE est de 54 %. Ainsi, le nombre d’inscrits à Pôle emploi de plus de cinquante ans et sans aucune activité a augmenté de 12,3 % entre décembre 2012 et décembre 2013.
Le groupe communiste républicain et citoyen, je le dis très solennellement, refuse de laisser les personnes ayant travaillé et cotisé toute leur vie continuer à se retrouver dans une situation de grande précarité, contraintes de vivre avec l’allocation de solidarité spécifique ou le revenu de solidarité active, dont le montant est, faut-il le rappeler, largement inférieur au seuil de pauvreté.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les seniors concernés ne réclament pas l’aumône. Ils réclament tout simplement leurs droits, notamment celui du départ à la retraite anticipé pour carrières longues ou travaux pénibles.
On voit ici tous les dégâts des lois de réforme des retraites de 2010 et 2013 que les parlementaires communistes ont combattu toutes deux, et qui se traduisent par un report de l’âge de départ en retraite particulièrement injuste pour ceux qui ont travaillé le plus dur.
Certes, des dispositifs existent pour les personnes ayant commencé à travailler avant seize ans et justifiant de longues carrières. Il y a aussi les départs anticipés en cas d’inaptitude ou d’invalidité. Dans la fonction publique, des règles particulières s’appliquent.
Je voudrais tout de même souligner, quant à la pénibilité, les informations qui nous reviennent des salariés. Depuis la mise en place du compte pénibilité, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, n’auraient plus de textes sur lesquels s’appuyer afin de traiter les retraites anticipées à soixante ans pour pénibilité. Elles sont ainsi contraintes de refuser tous les dossiers, prolongeant de deux ans les difficultés des chômeurs seniors.
Il y a donc urgence, monsieur le secrétaire d'État, à régler les problèmes dans leur ensemble, à faire en sorte que des salariés qui ont tant donné pour leur pays ne soient plus victimes d’une injustice sociale.
C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen vous demande de rétablir l’allocation équivalent retraite ou de nous expliquer quelles mesures vous comptez prendre pour arriver au même résultat et, a minima, tenir les engagements pris publiquement par le Président de la République, et restés à ce jour sans effets. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la suppression de l’allocation équivalent retraite, ou AER, survenue le 1er janvier 2011 a engendré une grande précarité pour de nombreux seniors, épargnant seulement ceux dont les droits à cette allocation avaient été ouverts avant cette date.
Revenons aux racines de l’histoire : pourquoi l’AER a-t-elle été créée ? Mise en œuvre en 2002, elle visait initialement à rétablir davantage de justice sociale pour les seniors ayant cotisé suffisamment de trimestres pour toucher leur pension de retraite mais n’ayant pas acquis l’âge minimum pour y avoir droit, se trouvant ainsi dans une situation de grande précarité.
Cette allocation permettait de pallier les injustices en matière d’emploi des seniors, souvent considérés à tort comme des « poids » et non comme de réels atouts par les entreprises, les rendant ainsi davantage exposés aux licenciements économiques et aux ruptures conventionnelles.
Souhaitant supprimer l’AER dès 2009, Nicolas Sarkozy avait été contraint de la reconduire exceptionnellement en 2009 et en 2010 en raison de la « détérioration du contexte économique ». En 2011, il l’a en quelque sorte rétablie de façon partielle et pour un nombre très limité de bénéficiaires en créant l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS.
En 2011, l’AER concernait près de 800 000 seniors. Selon un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale par le député Jean-Patrick Gille, en 2012, le coût annuel de l’AER pour l’État était d’environ 229 millions d’euros, somme qui aurait fortement augmenté si le dispositif était resté ouvert.
On ne peut nier qu’il s’agit d’une charge importante pour l’État. En comparaison, l’ATS représentait en 2012 environ 10 millions d’euros. L’État a donc réalisé une économie importante.
Cependant, cette économie n’a pas été sans incidence pour de nombreux seniors, comme je le rappelais au début de mon intervention, qui se sont trouvés dans une grande précarité. Pour la seule année 2010, on estime qu’environ 45 000 anciens salariés supplémentaires auraient pu bénéficier de l’AER si le dispositif n’avait pas été supprimé. Nous ne pouvons pas laisser ces personnes dans la précarité. Dans ces conditions, le rétablissement de l’AER se pose.
Dès novembre 2012, le Gouvernement, par la voix notamment de Michel Sapin, s’y était opposé, considérant ce dispositif comme une mesure « passive » très coûteuse, ne favorisant pas un réel retour à l’emploi pour les seniors. L’objectif du Gouvernement est ainsi de restaurer l’employabilité des personnes, notamment des seniors, via la formation, l’accompagnement des projets et la sécurisation des parcours professionnels.
Un certain nombre de mesures concrètes ont d’ailleurs été prises, parmi lesquelles on peut citer la création de contrats aidés dans le secteur marchand pour ce type de salariés, la création de 100 000 formations prioritaires de Pôle emploi destinées aux seniors, le doublement en 2015 de la prime de contrat de génération en cas d’embauche d’un senior et d’un jeune, incitant au maintien et à l’embauche des seniors.
La politique du gouvernement actuel en matière de précarité des seniors est donc davantage tournée vers la lutte contre le chômage de longue durée et vers un réel retour à l’emploi, « qui reste le meilleur rempart contre les difficultés financières et la précarité ». Je partage bien évidemment cet objectif.
Toujours d’après le rapport de Jean-Patrick Gille, le rétablissement de l’AER serait estimé à 500 millions d’euros par an. Il est clair que nous ne pouvons pas prévoir de telles dépenses en période de restrictions budgétaires, à moins qu’elles ne soient directement tournées vers la création d’emplois. Néanmoins, nous devons agir pour nos seniors au chômage, le temps que les dispositifs mis en place par le Gouvernement fassent leurs preuves et qu’ils provoquent un réel regain d’employabilité.
Le 11 mars dernier, l’allocation transitoire de solidarité a été étendue aux demandeurs d’emplois nés en 1954, en 1955 et en 1956 n’ayant pas atteint l’âge légal de départ à la retraite mais justifiant des trimestres requis ; concrètement, cela signifie que les personnes âgées de 58 ans ou plus susceptibles de bénéficier d’une retraite à taux plein peuvent percevoir cette aide.
Cette situation me semble loin d’être inacceptable. Bien entendu, on peut encore assouplir les critères, afin qu’un nombre plus important de citoyens de plus de 55 ans puissent bénéficier de ces mesures.
Si je suis contre le fait de prévoir structurellement une allocation pour pallier le défaut d’employabilité des seniors, il m’apparaît indispensable de la maintenir en période de conjoncture économique difficile ; aussi l’ATS est-elle à mon sens un outil en adéquation avec la situation et doit être renouvelée tant que la situation du marché de l’emploi ne sera pas meilleure.
M. Alain Néri. Très bien !
M. François Fortassin. J’ajoute que c’est un honneur pour nous, gens de gauche, de ne pas laisser trop de nos concitoyens au bord du chemin. Nous devons faire en sorte que la solidarité sociale s’exerce dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le chômage des 50 ans et plus affecte plus de 800 000 personnes dans notre pays. Selon les derniers chiffres de Pôle emploi, il est, avec le chômage des jeunes, celui qui a le plus augmenté sur la dernière période : 8,6 % par rapport à mars 2014.
Les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans mettent en moyenne deux fois plus de temps à retrouver un emploi que les 25-49 ans. Notons qu’ils sont dans des situations différentes en termes de nature d’emplois, de niveaux de compétences et de conditions salariales. Les plus de 50 ans sont les principales victimes de la conjoncture économique et du chômage de longue durée, et beaucoup voient leur situation se dégrader lorsqu’ils arrivent en fin de droits. C’est ce constat qui avait conduit à la création, en 2002, de l’allocation équivalent retraite, ou AER, dont nous débattons ce jour le rétablissement éventuel.
Pour mémoire, l’allocation équivalent retraite assurait un revenu minimum aux demandeurs d’emploi de plus de 55 ans ayant commencé tôt leur carrière professionnelle. Versée sous conditions de ressources, elle bénéficiait aux demandeurs d’emploi ayant validé l’ensemble des trimestres requis au titre de l’assurance vieillesse, sans toutefois pouvoir liquider leur pension de retraite faute d’avoir atteint l’âge légal de départ en retraite. Elle pouvait être versée aux allocataires du régime d’assurance chômage percevant une allocation d’un montant modeste ; le plafond de ressources pour prétendre à l’AER était plus élevé que celui de l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS, et la plupart des bénéficiaires de l’AER n’étaient pas astreints à une recherche active d’emploi.
Cette allocation équivalent retraite a été mise en extinction à partir de la loi de finances pour 2008 et a totalement disparu le 1er janvier 2011.
M. Alain Néri. Sous quelle majorité ?
M. Jean-Marc Gabouty. À l’époque, compte tenu d’un contexte économique différent, notre groupe avait accepté cette suppression. En effet, le dispositif de l’AER ne semblait ni pertinent ni cohérent avec les politiques menées en faveur de l’emploi des personnes âgées de 50 ans et plus.
Aujourd’hui, le taux d’emploi des 55-64 ans est en passe d’atteindre 50 %, remplissant les objectifs du plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors de 2006. Ce taux d’emploi a en effet progressé de plus de 15 points entre 2000 et 2013, de manière continue et supérieure à l’ensemble des autres catégories de demandeurs d’emploi. Un rapport du Gouvernement remis au Parlement en octobre 2014 attribue ce bond à l’impulsion des politiques gouvernementales successives en faveur du maintien et du retour à l’emploi des seniors.
Pour autant, les seniors en fin d’indemnisation au régime d’assurance chômage et ne pouvant liquider leurs droits à la retraite n’ont pas été totalement oubliés. Afin qu’ils ne soient pas piégés par la suppression de l’AER et la réforme des retraites, un décret du 3 novembre 2011 a institué à titre exceptionnel une allocation transitoire de solidarité pour certains demandeurs d’emploi. Il s’agissait de prendre en compte la situation des personnes immédiatement affectées par la réforme des retraites et licenciées avant le 31 décembre 2010 et qui, ayant validé le nombre de trimestres nécessaires, pensaient pouvoir percevoir l’AER entre la date d’expiration de leurs droits à l’assurance chômage et celle de leur départ à la retraite parce que le dispositif existait lors de la rupture de leur contrat de travail.
Même s’il a été assoupli par le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d’État,…
M. Alain Néri. C’était une bonne chose !
M. Jean-Marc Gabouty. … ce dispositif est plus restrictif que ne l’était l’AER. Par exemple, les trimestres d’allocation de solidarité spécifique ne sont pas comptabilisés comme des trimestres cotisés pour pouvoir bénéficier de l’ATS, alors qu’ils l’étaient pour l’AER.
La question qui se pose est de savoir combien de chômeurs ont été concernés par ce resserrement des critères de l’ATS comparativement à ceux de l’AER. Le Gouvernement a remis au Parlement, en octobre 2014, un rapport faisant état des personnes exclues du bénéfice de l’ATS en 2013. Ainsi, environ 25 % des 11 232 demandeurs d’ATS ont été exclus du dispositif au motif qu’ils ne remplissaient pas la condition de ressources ou la condition de trimestres nécessaires. Plus spécifiquement, le nombre de personnes qui auraient pu potentiellement bénéficier de l’ATS en 2013 si leurs trimestres d’ASS avaient été pris en compte approche le millier. Même si on double ce chiffre avec l’adjonction d’autres critères, le chiffre global demeure modeste.
Dans le cadre d’une politique de l’emploi pour les seniors, un tel dispositif de perfusion se trouve il est vrai un peu décalé et parfois peu valorisant pour les personnes concernées en termes de transmission d’expérience ou tout simplement de dignité. Il convient néanmoins de tenir compte du contexte économique et de la situation de l’emploi à court et à moyen terme, qui diminue fortement les chances de certains seniors de retrouver un emploi dans des conditions acceptables, comme l’illustre d’ailleurs, pour coller à l’actualité, le film de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon, La Loi du marché, présenté hier soir au Festival de Cannes.
Il faut, pour cette raison, écarter l’analyse de l’ex-ministre du travail Michel Sapin, qui déclarait en octobre 2012 : « La situation est effroyable pour un certain nombre de personnes qui tombent dans la trappe ». Il ajoutait cependant : « mettre 800 millions, 900 millions, 1 milliard d’euros dans des dispositifs de cette nature qui sont, comme on dit dans le jargon, "passifs" par rapport à des dispositifs d’encouragement à l’emploi "actifs", il y a quelque chose d’un peu rageant du point de vue de l’action gouvernementale ». Et le ministre de renvoyer le sujet à la concertation prévue en 2013 sur les retraites.
Dans un article du 7 novembre 2014, il était mentionné que le Président de la République avait déclaré la veille, dans une émission sur TF1 : « J’ai décidé pour les personnes qui ont toutes leurs annuités, qui ont plus de 60 ans, et qui ne trouveront plus d’emploi jusqu’à 62 ans [...] pour ces personnes, on pourra avoir cette prestation » afin de « les conduire à la retraite ».
S’agit-il d’un retour partiel à l’AER ? Si telle est l’intention du Président de la République et du Gouvernement, pourriez-vous nous communiquer, monsieur le secrétaire d’État, des éléments sur les conditions d’éligibilité à ce dispositif en projet, son coût et les modalités de son financement ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Brigitte Micouleau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un monde idéal ou tout du moins dans une France sur la voie du redressement, ce débat, à l’initiative de nos collègues du groupe CRC, sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite n’aurait aucune raison d’être.
Car, de quoi parlons-nous ? Nous parlons d’une allocation créée en 2002 et attribuée aux demandeurs d’emploi en fin de droits justifiant de tous leurs trimestres de cotisation retraite, mais n’ayant pas atteint l’âge légal de cessation d’activité. Autrement dit, nous parlons d’un mécanisme de protection sociale venant pallier le difficile, ou plutôt l’impossible retour à l’emploi des plus de 50 ans dans notre pays.
Finalement, poser de nouveau la question de l’allocation équivalent retraite, c’est une nouvelle fois reconnaître l’échec de notre société et de nos politiques dans la lutte contre le chômage des seniors.
M. Charles Revet. C’est une certitude !
Mme Brigitte Micouleau. Les chiffres sont accablants ! À la fin du mois dernier, le nombre des plus de 50 ans en quête d’un emploi avait progressé de 8,6 % en un an. Une augmentation, hélas, dans la lignée des 70 % de hausse les quatre années précédentes !
M. Alain Néri. Et avant ?
Mme Brigitte Micouleau. Certes, l’allongement de la durée d’activité, indispensable, je vous le rappelle, pour préserver notre système de retraite par répartition, n’a pas été sans conséquence sur cette envolée, mais il ne suffit pas à masquer la principale caractéristique du chômage des seniors : celui d’être un chômage de longue durée.
Ainsi, quand une entreprise ferme, nous savons très bien que les salariés âgés de plus de 55 ans n’ont, aujourd’hui, quasiment aucune chance de retrouver un emploi.
Qu’avez-vous proposé ? Les contrats de génération, dont on connaît le triste bilan, en matière tant de création d’emplois pour les jeunes que de maintien dans l’emploi ou de recrutement pour les seniors. En réalité, le dispositif est trop complexe à mettre en œuvre, et les 20 000 emplois conclus avec des jeunes, au lieu des 75 000 prévus, ont surtout répondu à des effets d’aubaine.
Si notre société est incapable de permettre à ses jeunes seniors, comme le souhaitent d’ailleurs la plupart d’entre eux, de retravailler, elle ne peut pas, en plus, les priver d’un revenu décent lorsqu’ils n’ont plus le droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi.
Ce ne serait là qu’une injustice, voire une double peine.
Signe de votre impuissance en matière d’emploi, vous avez alors fait le choix, en 2013, d’étendre le dispositif de l’allocation transitoire de solidarité destinée aux demandeurs d’emploi nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1953.
Tout le monde se souvient que, en novembre dernier, devant les caméras, le Président de la République avait annoncé une nouvelle extension de l’ATS. Le ministre du travail, M. François Rebsamen, avait même précisé le lendemain qu’elle concernerait les générations nées en 1954, 1955 et 1956.
Depuis, il ne s’est rien passé, si ce n’est une indiscrétion de RTL laissant entendre, à la fin du mois de mars, que cette promesse n’était pas, comme tant d’autres, définitivement tombée dans l’oubli... J’aimerais tellement le croire, monsieur le secrétaire d'État, oui, tellement le croire, tant il me semble essentiel de ne pas oublier les potentiels bénéficiaires de cette disposition, qui sont, encore et toujours, aujourd'hui dans l’attente !
Ces personnes ont, durant toute leur vie, contribué au développement économique de notre pays ; aujourd'hui, faute de mieux, faute d’un emploi pérenne, elles doivent pouvoir bénéficier d’un traitement leur permettant de vivre décemment en attendant leur retraite.
M. Alain Néri. Il ne fallait pas que Sarkozy supprime le dispositif !
M. Jackie Pierre. Et après ?
Mme Brigitte Micouleau. Élue à Toulouse et étant chargée des seniors, je suis confrontée à des situations difficiles, souvent même catastrophiques. Monsieur le secrétaire d'État, nous ne pouvons pas laisser les seniors sur le bord de la route : ils comptent sur vous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Martial Bourquin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis malheureusement un habitué des débats concernant l’allocation équivalent retraite. J’ai en mémoire cette fameuse soirée où le Sénat avait voté, à la quasi-unanimité, le rétablissement de cette allocation.
Depuis sept ans, depuis la suppression de l’AER par le gouvernement Fillon, des dizaines de milliers de salariés – dont des femmes –, qui avaient parfois eu des emplois extrêmement pénibles dans le secteur industriel et qui disposaient de toutes leurs annuités de cotisations pour partir à la retraite, sont devenus sans statut, sans revenus et ont été plongés dans la misère et la précarité la plus absolue.
M. Alain Néri. C'est bien de le rappeler !
M. Martial Bourquin. Effectivement, et je voudrais rappeler comment ces personnes ont quitté leurs entreprises. Des compressions d’emplois avaient été décidées, et on a alors dit à ces salariés qui étaient à quelques années de la retraite qu’ils pouvaient partir car ils toucheraient l’allocation équivalent retraite. Ils ont même quelquefois quitté leur emploi avec un document de Pôle emploi – avant, c'était l’ANPE – leur assurant qu’ils bénéficieraient de cette allocation. Et, tout d’un coup, le gouvernement Fillon supprime l’AER de façon arbitraire !
M. Alain Néri. C'est une trahison sociale !
M. Alain Gournac. Pourquoi n’avez-vous pas rétabli l’AER ?
M. Alain Néri. Il valait mieux ne pas la supprimer !
M. Alain Gournac. Pourquoi ne l’avez-vous pas rétablie ? C’est dingue !
M. Martial Bourquin. Dans quelle situation sommes-nous aujourd’hui ? L’AER avait été instituée par un amendement socialiste à l’Assemblée nationale en 2001, supprimée en 2008, prolongée pendant une année, et remplacée par l’allocation spécifique de solidarité, puis par l’allocation de transition de solidarité.
Un autre événement est intervenu : l’âge de la retraite a été reporté de deux ans, soit 62 ans, sans que la situation de ces personnes ait été prise en compte.
M. Jackie Pierre. Cela fait trois ans que vous êtes là !
M. Alain Néri. Vous avez été au pouvoir pendant dix ans !
M. Jackie Pierre. Trois ans : rien !
Mme la présidente. Poursuivez, mon cher collègue.
M. Martial Bourquin. Il y a des vérités qui ne sont pas faciles à entendre, et pourtant il faut bien les entendre !
M. Jackie Pierre. Il y a trois ans que vous êtes là : vous n’avez rien fait !
M. Martial Bourquin. Vous avez supprimé cette allocation, et c'est le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, notre majorité, qui a rétabli l’allocation équivalent retraite sous la forme de l’ATS. Il faut le dire !
M. Alain Néri. Eh oui !
M. Martial Bourquin. Cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises, les personnes de plus de 60 ans disposant de leurs annuités ne trouvent pas de travail. Aujourd’hui, dans l’économie telle qu’elle fonctionne, lorsque l’on a 55, 57 ou 58 ans et que l’on vit dans des bassins d’emploi défavorisés, trouver un emploi est une gageure, un exercice quasi impossible. Alors qu’elles avaient souvent beaucoup travaillé, eu des carrières longues, ces personnes se sont retrouvées dans une situation de grande pauvreté.
Par un amendement voté en 2013, nous avons trouvé les ressources nécessaires – il le fallait bien ! –, en créant une taxe sur l’hôtellerie de luxe, afin de l’affecter à ces allocataires potentiels.
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a rétabli l’AER sous la forme de l’ATS par un décret. Restent aujourd’hui environ 38 000 personnes, nées en 1954, 1955 et 1956, qui se trouvent toujours dans un triangle des Bermudes juridique et social : elles ne sont pas bénéficiaires de l’ATS et attendent un dispositif qui leur soit spécifique.
Cela a été rappelé par les orateurs précédents, le 6 novembre dernier, le Président de la République a pris un engagement fort dans cette direction. Il a annoncé la création d’une prestation destinée « aux personnes qui ont droit à leur retraite, pour aller jusqu’à la retraite ». Le Président de la République tiendra cet engagement. Comme nos collègues du groupe CRC, nous aimerions accélérer le tempo tant l’urgence sociale est grande.
Avec des collègues sénateurs, comme Alain Néri, ou ancien sénateur, Ronan Kerdraon, et des députés – Christine Pires Beaune, Christophe Sirugue, Christophe Castaner, Michel Issindou, Frédéric Barbier et Olivier Faure –, nous nous sommes rendus à plusieurs reprises à Matignon non seulement pour manifester notre souci de voir ce dossier avancer, mais également pour faire des propositions.
Je vous en livre ici certaines. Nous avons tout d’abord plaidé en faveur de l’instauration d’une nouvelle prestation seniors. En effet, les carrières longues vont malheureusement disparaître au fil des années. La question aujourd’hui est donc non plus de garder l’AER ou l’ATR, mais d’avoir une prestation nouvelle pour une situation nouvelle.
Nous avons bien évidemment manifesté notre volonté que la prestation proposée soit d’un montant décent ou qu’elle puisse être cumulée avec d’autres allocations. Le Président de la République l’avait lui-même dit lors de l’émission télévisée, « Je ne peux pas accepter qu’une personne de 60 ans vive avec 500 euros par mois. » C’est peut-être l’objectif de certains, mais ce n’est pas le nôtre. Nous avons proposé une prestation médiane entre l’ASS et l’AER, dont le montant devrait être à peu près celui du minimum vieillesse, soit avec le cumul des autres prestations.
Par ailleurs, nous avons veillé à ce que la prestation seniors n’oppose pas les allocataires potentiels entre eux. Nous sommes pour la rétroactivité aux allocataires nés en 1954 et la prise en charge des allocataires nés en 1956 également.
Nous sommes aussi favorables à ce que les cotisations à l’ASS soient prises en compte – c'est une question très importante – dans le calcul des droits à la retraite.
Pour bien connaître le monde de l’entreprise – j’ai été syndicaliste dans une entreprise pendant de longues années –, je sais que ces personnes ont beaucoup travaillé et ont beaucoup donné à notre pays, à notre économie. Un jour, on leur a demandé de partir pour que des salariés plus jeunes ne soient pas touchés par des suppressions d’emplois. Lorsqu’elles ont accepté, elles avaient la garantie non seulement qu’elles toucheraient l’allocation équivalent retraite, mais aussi que les cotisations à l’AER, et ensuite à l’ASS, seraient comptabilisées dans le calcul de leurs droits à la retraite.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un phénomène particulier, celui de la multiplication du nombre de retraités pauvres. Ces personnes sont parfois obligées d’aller aux Restos du cœur parce que leur retraite n’est pas suffisante, en raison de maladies ou d’interruptions importantes dans leur parcours professionnel. (M. Alain Néri opine.)
Monsieur le secrétaire d'État, il est important que nous ayons une discussion sur ces questions. Nous devons faire en sorte que l’ASS soit prise en compte pour le calcul des droits à la retraite. Cela n’avait pas été prévu dans le décret de 2013. Or il est très difficile d’avoir des retraites décentes avec des parcours hachés.
Nous souhaitons également que soit éclaircie la situation des personnes dont la fin de l’indemnisation est intervenue avant le 31 décembre 2012.
Dernier point, et non des moindres, je veux évoquer l’art et la manière. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, il s’agit d’assurer – c’est une grande décision – un revenu à près de 38 000 personnes et de leur redonner un statut social.
Ces 38 000 personnes ne sont actuellement ni véritablement demandeurs d’emploi ni pleinement retraités. Vous le savez très bien, dans notre société, quand on est dans le ni-ni, on est souvent dans le rien ! Elles subissent une situation intolérable. Pour avoir rencontré, depuis plusieurs années, les représentants des comités AER, qui ont été évoqués précédemment, je peux vous dire qu’ils ont l’impression d’avoir été injustement frappés, abandonnés et humiliés.
M. Alain Néri. Il faut leur rendre leur dignité !
M. Martial Bourquin. Comme le disait très justement Jean-Paul Delevoye, le président du Conseil économique, social et environnemental, « Quand c’est la révolte des affamés ou des humiliés, […] c’est beaucoup plus violent et imprévisible parce qu’elle n’est portée par aucune espérance ». L’intervention du Président de la République leur a redonné de l’espoir.
À ce titre, je propose, avec mes collègues, que les nouveaux prestataires seniors ne soient plus comptabilisés comme des chômeurs. (M. Alain Néri opine.) Il faut sortir de l’hypocrisie. Ils ne retrouveront plus de travail, car ils sont dans cette situation depuis des années.
De la même manière, il me paraît tout aussi nécessaire de leur proposer de dispenser leur savoir-faire auprès des plus jeunes par des dispositifs de tuilage, qui peuvent permettre à des entreprises de bénéficier de l’accompagnement de ces seniors.
Je crois enfin indispensable que des agents de l’État, dûment mandatés, interviennent directement pour aider certaines personnes à régler leurs problèmes de banque ou de crédits, qui les conduisent parfois devant des commissions de surendettement.
Monsieur le secrétaire d'État, nous avons un devoir de clarté et de précision sur cette question. Nous avons des leçons à tirer de l’application du décret du 4 mars 2013. L’imprécision de ce texte avait conduit à des interprétations différentes selon les agences de Pôle emploi.
Il faut faire en sorte d’éviter que ne se reproduise une telle situation, en diffusant rapidement des instructions nationales claires et dénuées d’ambiguïté, de sorte qu’elles ne donnent pas lieu à interprétation.
M. Alain Néri. Très bien !
M. Martial Bourquin. De la même manière, je demande que dès la publication du décret, un document très simple soit adressé aux personnes concernées afin de leur fournir des informations pratiques répondant précisément aux questions qu’elles se posent : qui sera éligible ? Quelles seront les pièces à fournir ? Qui sera leur interlocuteur ? Quel montant toucheront-elles ? Quand ? Quelles en seront les conséquences fiscales ? Y aura-t-il des cas dérogatoires ? L’ASS sera-t-elle prise en considération ? Quelles dispositions couvriront le cas des frontaliers ?
J’estime, en outre, que si nous voyons enfin le bout du tunnel sur ce sujet, un courrier personnalisé d’accompagnement d’un ministre, voire du chef du Gouvernement, constituerait un beau geste afin de remercier ces travailleurs pour tout ce qu’ils ont donné à l’économie, à notre pays ; pour leur dire que nous rétablissons leurs droits, et qu’ils sortiront de la précarité et de la pauvreté ; en quelque sorte, pour leur annoncer que nous leur redonnons une dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. Alain Néri. ... et l’espoir !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’allocation équivalent retraite, ou AER, instaurée par le gouvernement de Lionel Jospin en avril 2002, garantissait un minimum de ressources aux demandeurs d’emploi n’ayant pas atteint l’âge de la retraite mais justifiant des trimestres requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Cette mesure partait d’un constat : le système d’assurance chômage ne protège pas suffisamment les personnes âgées, dont le retour à l’emploi est difficile. Il est donc nécessaire de mettre en place un soutien plus important en leur faveur.
En effet, plus les demandeurs d’emploi sont âgés, plus il leur est difficile de trouver un emploi. L’âge est, de loin, le premier critère de discrimination à l’embauche et les plus de 50 ans représentent 31,6 % des chômeurs de longue durée. Dès lors, la logique assurantielle pure du chômage ne suffit plus pour ces personnes, puisqu’elles sont insuffisamment indemnisées.
La solidarité nationale doit entrer en jeu pour garantir un minimum de ressources. C’est précisément ce que permettait l’allocation équivalent retraite. Cependant, lors de l’examen de la loi de finances pour 2008, le gouvernement de l’époque a fait voter la suppression de ce dispositif dont le coût, 500 millions d’euros par an, était jugé trop élevé.
Face à la dureté de la crise économique et à son impact sur le marché de l’emploi, le gouvernement a choisi toutefois de prolonger le versement de cette allocation, à titre exceptionnel, en 2009, puis en 2010, avant de la supprimer définitivement le 1er janvier 2011.
Pour atténuer les effets sociaux de cette suppression, l’AER a été remplacée depuis le 1er juillet 2011 par l’allocation transitoire de solidarité, ou ATS. Celle-ci vise uniquement les ayants droit de l’AER avant sa suppression, c’est-à-dire les personnes nées en 1952 et 1953, afin de limiter les conséquences sur leurs ressources.
Disons-le clairement, ce statu quo n’est pas satisfaisant. Il induit une discrimination fondée uniquement sur l’année de naissance entre les ayants droit de l’ATS et les autres, ces derniers devant se contenter de l’assurance chômage et de ses carences.
Comme beaucoup ici, j’ai noté que le Président de la République, lors d’une interview télévisée du 6 novembre 2014, a reconnu qu’il fallait agir dans ce domaine et a annoncé le retour d’une allocation pour les chômeurs ayant suffisamment cotisé mais n’ayant pas encore atteint l’âge légal de départ à la retraite.
Les écologistes profitent donc de ce débat pour affirmer leur soutien à cette proposition et pour appeler à sa mise en œuvre rapide afin de soutenir les chômeurs seniors.
Néanmoins, même sous sa forme initiale, l’allocation équivalent retraite n’est pas exempte de défauts. Le fait que tous les revenus de la personne au-dessus de 631,62 euros par mois soient déduits de l’allocation peut freiner la recherche d’emploi. La prise en compte de la situation du conjoint est également problématique et renforce la dépendance financière des personnes envers leur conjoint. Enfin, la concentration de l’aide financière sur les seules personnes âgées occulte la situation des autres chômeurs de longue durée, qui ont, eux aussi, besoin de solutions nouvelles et pérennes.
Voilà pourquoi je profite de ce débat pour défendre, de façon plus globale, le revenu de base, universel, inconditionnel et individualisé permettant de donner les ressources financières suffisantes à tous les citoyens pour vivre dignement, quelle que soit leur situation.
Plutôt que de morceler les soutiens, de saupoudrer les aides et de catégoriser les publics visés, il est temps, au contraire, d’adopter une démarche universelle de solidarité en unifiant tous les minima sociaux et les aides d’État.
Les écologistes, mais aussi d’autres formations politiques de gauche comme de droite, des chercheurs, des universitaires, des économistes, demandent la mise en place de ce revenu universel, comme en témoigne un colloque organisé hier au Sénat et qui a connu une certaine affluence.
Un tel dispositif offrira aussi une plus grande clarté et une simplicité de gestion incomparable pour les services publics. Plus besoin d’autant de moyens humains et techniques pour traiter les demandes, vérifier les dossiers et rechercher les fraudes : le versement sera automatique.
Ainsi, le revenu de base se définit comme un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur une base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement.
Pour autant, dans l’attente d’une mise en œuvre de ce revenu de base, les écologistes sont favorables au rétablissement de l’allocation équivalent retraite et remercient le groupe CRC d’avoir attiré, par ce débat, l’attention du Sénat sur cette question.
Et puisque nous sommes tous d’accord (Sourires.), nous attendons avec impatience, monsieur le secrétaire d’État, non pas un accord sur le principe, mais les modalités de mise en œuvre de cette mesure. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’allocation équivalent retraite, dont mon groupe a demandé que nous débattions aujourd’hui, est un dispositif qui a été créé en 2002 par le gouvernement Jospin.
M. Alain Néri. C’est bien de le rappeler !
M. Michel Le Scouarnec. Son objectif était alors simple : garantir aux seniors au chômage un niveau de vie décent à partir du moment où ils arrivaient en fin de droits et le moment où ils pouvaient bénéficier de leur pension de retraite. L’AER s’établissait autour de 1 000 euros par mois. Or, lors du vote du projet de loi de finances pour 2008, la nouvelle majorité a choisi de supprimer ce dispositif.
Toutefois, au vu de la crise économique et sociale que connaissait alors le pays, l’AER a été maintenue en 2009 et 2010, avant d’être définitivement supprimée le 1er janvier 2011.
Depuis cette date, nous n’avons cessé, avec nos collègues socialistes d’ailleurs, d’interpeller le gouvernement par des courriers ou des questions écrites, afin de permettre sa restauration. Nous avons même déposé une proposition de loi visant à rétablir l’AER dans sa forme antérieure à 2011.
En effet, la suppression de cette allocation, qui bénéficiait à environ 50 000 personnes, a engendré de graves conséquences sur le plan social. Des personnes ayant cotisé toute leur vie se sont ainsi retrouvées à vivre, ou plutôt à survivre, avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, de l’ordre de 500 euros, par exemple, pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique, l’ASS.
Elles ont en outre été victimes d’une réelle injustice. Certaines d’entre elles avaient en effet accepté un départ volontaire dans le cadre d’un plan social, avec la garantie du maintien de leur revenu jusqu’à la retraite grâce à l’AER. Cet élément avait d’ailleurs été pris en compte dans le calcul de leur indemnité de départ. Or la suppression de l’AER et le report de l’âge légal de départ à la retraite leur a infligé une double peine, les contraignant à vivre plusieurs mois avec les minima sociaux pour seuls revenus.
L’urgence sociale a conduit le gouvernement Fillon, et son ministre du travail, M. Xavier Bertrand, à introduire, six mois après la suppression de l’AER, l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS. Or cette allocation est beaucoup plus restrictive : elle ne s’adresse qu’aux salariés privés d’emploi de plus de 60 ans, soit quelque 11 000 personnes, au lieu de près de 50 000. Pour les autres, le gouvernement d’alors ne proposait que la plongée dans la précarité, ou un hypothétique retour à l’emploi, sans lendemain.
Trop restrictive, et entraînant des situations d’urgence sociale préoccupantes, l’ATS a été revue par le gouvernement Ayrault dès janvier 2013, et élargie aux seniors nés en 1952 et en 1953.
Si le décret de mars 2013 constitue une avancée, le dispositif continue d’exclure les seniors nés entre 1953 et 1957. Ainsi, au lieu de réintroduire l’allocation équivalent retraite dans sa forme antérieure, le gouvernement a préféré aménager le dispositif créé par la majorité précédente et fortement critiqué, à l’époque, par le parti socialiste.
En novembre 2014, le Président de la République et son ministre du travail ont finalement annoncé que l’ATS serait élargie aux personnes nées en 1954, 1955 et 1956, soit entre 10 000 et 30 000 bénéficiaires. A été évoquée alors l’idée de mettre en place une allocation spécifique aux chômeurs seniors, dont les contours seraient précisés par décret d’ici au mois de février 2015, date qui me semble maintenant dépassée. Or, depuis cette annonce, sauf erreur de notre part, aucun décret n’a malheureusement été publié.
Nous restons dans l’attente de précision sur le périmètre retenu, ou encore sur le montant de l’allocation qui sera versée. De même, nous ne savons pas si cette mesure est appelée à être pérenne ou si le décret précisera les années de naissance des allocataires, comme cela a été le cas pour le décret pris en 2013.
Ces questions ont leur importance. Depuis 2008, le taux de chômage des seniors n’a cessé d’augmenter, passant de 4 % en 2008 à 7 % en 2014. Ainsi, la mise en place d’une mesure dynamique, et non pas d’un simple correctif de l’AER, paraît nécessaire.
D’autant plus, lorsque l’on sait que le coût du rétablissement d’une allocation pour les chômeurs seniors serait de l’ordre de 100 millions à 200 millions d’euros par an. C’est très peu, comparé aux milliards d’euros d’exonérations accordées aux entreprises au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi – CICE – ou du pacte de responsabilité !
C’est également une somme faible au regard de l’enjeu, qui est important : il s’agit de ne pas laisser sombrer dans la pauvreté et la précarité des personnes qui ont travaillé toute leur vie, souvent depuis leur plus jeune âge.
Il s’agit, tandis que leur entreprise les a remerciés après des années de bons et loyaux services, de faire vivre la solidarité dans notre société. Il ne s’agit pas de garantir un revenu de survie, de subsistance ou d’aumône, mais bien de reconnaître la contribution de ces personnes à notre économie nationale, pendant, souvent, près de quarante ans. Il s’agit tout simplement de leur garantir un niveau de vie digne, et mérité, preuve de notre attachement à la justice.
L’allocation équivalent retraite a été créée par un gouvernement de gauche, pour répondre à un devoir de solidarité avec les plus faibles. Ensemble, nous avions ensuite combattu pour son maintien. Nous attendons avec impatience et insistance que cette allocation soit rétablie par votre gouvernement, dans le respect de vos engagements récents.
En effet, en cette période de crise économique et sociale il est primordial de maintenir les garde-fous à l’extrême pauvreté afin de protéger au maximum nos concitoyens.
D’abord, parce que, étant dans le camp du progrès, nous défendons les acquis sociaux obtenus au fil des années, tout au long des combats menés par nos prédécesseurs pour ne laisser personne sur le carreau, car c’est bien là le sujet : nous voulons obtenir de nouveaux droits sociaux qui répondent à l’intérêt des plus fragiles.
Ensuite, parce que notre pays a les moyens de se doter de ce filet de sécurité et nous ne cessons de proposer en ce sens des sources de recettes supplémentaires, comme la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Enfin, parce qu’il est dans l’intérêt de notre économie et de notre société de maintenir le pouvoir d’achat des ménages et de réduire les inégalités sociales.
Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons la décision du Gouvernement et nous serons vigilants. En effet, d’une part, le Gouvernement doit respecter ses engagements et, d’autre part, l’allocation proposée ne saurait être inférieure à l’AER de 2002. Rien ne justifiait sa suppression, tout appelle donc à son rétablissement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer cette initiative sénatoriale qui nous permet de débattre aujourd’hui du rétablissement de l’allocation équivalent retraite annoncé par le Président de la République. Malheureusement, je crains que cette annonce ne soit effectivement qu’une annonce de plus et non un acte concret.
L’AER permettait aux personnes privées d’emploi et ayant suffisamment cotisé pour percevoir une retraite à taux plein de bénéficier d’un revenu en attendant d’atteindre l’âge légal de départ en retraite. Elle a été supprimée par la majorité précédente (M. Alain Néri opine.), mais cette suppression a été accompagnée de véritables mesures favorisant le retour à l’emploi des seniors, tout en tâchant d’éviter les retraites anticipées. Ces mesures avaient porté leurs fruits puisque le taux d’emploi des seniors en France avait augmenté de plus de cinq points entre 2007 et la fin de l’année 2011.
Au fond, mes chers collègues, la vraie question ne serait-elle pas plutôt de réduire le chômage des seniors qui ne cesse d’augmenter ? Plus de 830 000 seniors sont aujourd'hui au chômage, après une augmentation de 9,1 % en un an, et les plus de 50 ans représentent un quart des inscrits à Pôle emploi. Alors que nous devons faire face à une crise sans précédent, alors que nous devons faire face au problème majeur et spécifique du chômage des seniors, le Gouvernement a rétabli partiellement cette allocation, avec l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, et il envisage son extension, qui pèserait encore sur le budget.
À mon sens, on se trompe d’objectif : notre débat porte ici sur la forme du problème alors que nous devrions en traiter le fond. Oui, nous devons faire face à un problème spécifique, puisque la durée moyenne du chômage s’élève pour les seniors à 459 jours, soit près d’un an et demi, contre 158 jours pour les moins de 25 ans. Voilà le véritable problème ! Aussi, rétablir une allocation n’est pas la solution.
Il y a bien eu les contrats de génération, qui visaient un triple objectif : favoriser l’accès des jeunes à un emploi en CDI, faciliter la transmission des savoirs et des compétences et mettre en place des actions concrètes en faveur du maintien en emploi des seniors. François Hollande avait annoncé 75 000 contrats de génération. Qu’en est-il réellement ? À peine 20 000 contrats ont vu le jour, et ils sont, à l’évidence, le pur fruit d’un effet d’aubaine.
Dès le départ, il était évident que ce contrat manquerait sa cible. Il s’appuyait en effet, d’une part, sur l’idée, très théorique, selon laquelle on pouvait institutionnaliser le remplacement des seniors par des juniors et, d’autre part, sur l’idée, fausse, selon laquelle la transmission des savoirs et des compétences dans les entreprises ne se faisait pas, ou se faisait mal. Quant au maintien des plus de 57 ans dans l’emploi jusqu’à leur retraite, ce n’est pas une carotte de 4 000 euros qui peut constituer un élément déterminant.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
Mme Nicole Duranton. Le contrat de génération, qui devait résoudre le problème du chômage des seniors – le sujet de fond dont nous devrions débattre aujourd’hui –, est un véritable échec. Aussi, de grâce, monsieur le secrétaire d’État, ayez du courage face à ce défi majeur (M. Jean-Claude Gaudin opine.) et ne vous contentez pas de rétablir une mesure, pour la simple raison qu’elle fut supprimée par la droite ! Pis encore, il ne s’agit pas là de l’annonce d’une nouvelle mesure mais d’un recyclage ! Ce n’est pas ainsi que s’administre dignement et efficacement un pays qui a besoin de mesures courageuses pour lutter contre le chômage, en particulier celui des seniors !
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
Mme Nicole Duranton. Ainsi, après le véritable échec des contrats de génération, monsieur le secrétaire d’État, le Président de la République annonce le rétablissement de l’allocation équivalent retraite ! On se demande vraiment où va le Gouvernement. Par ailleurs, aux chômeurs seniors qui n’auront pas droit à l’allocation équivalent retraite faute d’avoir suffisamment cotisé, le Président de la République avait proposé un contrat aidé ciblant les plus de 50 ans. Qu’en est-il ? Quelle est la concrétisation de ce mécanisme ? Nous n’avons aucune précision sur le comment et sur le financement de cette mesure.
Toujours est-il que ce recours aux contrats aidés coûte, lui aussi, très cher à l’État : plus de 3,2 milliards d’euros en 2015.
Dans tout ce flou, mes chers collègues, nous avons beaucoup de mal à percevoir la cohérence du Gouvernement. Existe-t-elle ? D’abord, des contrats de génération, mal pensés, et une promesse de 75 000 contrats signés, alors que nous n’en comptons timidement que 20 000. Ensuite, des contrats aidés, sans précision quant aux moyens alloués ni aux modalités du ciblage prévu des plus de 50 ans. Enfin, ce débat sur le possible rétablissement de l’allocation équivalent retraite, faisant ainsi suite à une énième annonce du Président de la République.
Des annonces et des promesses en faveur de l’emploi des seniors, nous en entendons depuis le débat présidentiel de 2012.
M. Alain Néri. Et même avant !
Mme Nicole Duranton. Des actes, des mesures phares et du courage pour réformer notre pays en crise, nous en attendons depuis plus de trois ans maintenant.
« Un bon ouvrier a de bons outils », affirme un dicton populaire. Je crains que la boîte à outils gouvernementale ne soit remplie de mauvais outils. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean Desessard. Des sous !
M. Jean-Claude Gaudin. Il n’y en a pas !
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie, tout d’abord, d’excuser l’absence de M. François Rebsamen, ministre du travail, retenu à l’Assemblée nationale pour l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi.
Je remercie, ensuite, le groupe CRC d’avoir proposé un débat sur le rétablissement de l’AER, débat qui permet de revenir sur les différents dispositifs visant à accompagner les demandeurs d’emploi qui sont à la veille de leur retraite.
Avant sa suppression, l’AER, instaurée en 2002, visait à garantir la solidarité de la nation envers les demandeurs d’emploi seniors. Elle visait à garantir un niveau de ressources aux demandeurs d’emploi se trouvant dans une situation très particulière : ils avaient validé le nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein mais sans avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite. Très concrètement, cette situation pouvait concerner des salariés ayant commencé leur carrière professionnelle très tôt dans leur vie.
Cependant, la précédente majorité a décidé – comme cela a été rappelé précédemment – de supprimer le dispositif à la fin de l’année 2010 et, concomitamment, elle a conduit une réforme des retraites qui a relevé l’âge légal de départ à la retraite.
M. Alain Néri. Eh oui !
M. Alain Néri. Eh oui !
M. André Vallini, secrétaire d'État. … celle de ne plus pouvoir bénéficier de l’AER, puisqu’elle était supprimée, et de ne pouvoir non plus partir à la retraite, l’âge légal ayant été relevé.
Face à ce constat, l’allocation transitoire de solidarité, l’ATS, a été mise en place afin de lisser les effets de la réforme des retraites. Elle a été instaurée en novembre 2011, avec un effet rétroactif au 1er juillet 2011, pour atténuer les effets du relèvement de l’âge légal de départ en retraite décidé par la réforme de novembre 2010. Il s’agissait d’assurer un revenu ou un complément de revenu aux demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans qui avaient validé tous leurs trimestres mais qui ne pouvaient liquider leur retraite faute d’avoir atteint l’âge légal.
L’ATS se distinguait ainsi de l’AER par le ciblage des demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans, c'est-à-dire nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1953. Ces personnes étaient en effet indemnisées au titre du chômage au moment du vote de la réforme des retraites, et elles auraient pu liquider directement leur pension à l’extinction de leur indemnisation chômage si l’âge légal de départ n’avait pas été relevé.
Le gouvernement Ayrault a ensuite assoupli les conditions nécessaires pour bénéficier de l’ATS : à compter du 1er mars 2013, il a supprimé la condition de détention de droits à l’assurance chômage après 60 ans.
Pour bénéficier de l’ATS ainsi réformée, et qui s’élevait à 1 029 euros par mois, il fallait remplir quatre conditions : premièrement, être né entre le 1er janvier 1952 et le 31 décembre 1953, la génération née en 1951 ayant déjà atteint l’âge légal de retraite en 2013 ; deuxièmement, être éligible aux indemnités de l’assurance chômage au 31 décembre 2010 ; troisièmement, avoir validé le nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein à l’extinction de ses droits à l’allocation d’assurance chômage ; enfin, quatrièmement, n’avoir pas atteint le nouvel âge légal de départ à la retraite.
La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites prévoyait qu’un rapport sur la situation des générations nées en 1952 et 1953 serait remis au Parlement. Ce rapport a été remis en octobre 2014 ; il explique que l’élargissement de mars 2013 mis en œuvre par le gouvernement a permis d’inclure dans le bénéfice de l’ATS la quasi-totalité des chômeurs nés en 1952 ou en 1953 et pouvant y prétendre. (MM. Martial Bourquin et Alain Néri opinent.)
Je tiens toutefois à le rappeler : l’objectif de l’ATS était bien d’apporter une réponse aux difficultés rencontrées par les personnes affectées par la réforme des retraites de 2010. Cette mesure revêtait un caractère exceptionnel. Puisque les personnes en bénéficiant sont aujourd’hui à la retraite, il n’y a plus de dépense associée à l’ATS.
Plus généralement, la question des fins de carrières et de la transition entre emploi et retraite est au cœur des préoccupations du Gouvernement.
Au-delà de la mise en œuvre de l’ATS, je veux souligner l’engagement de Manuel Valls d’assurer une fin de carrière décente aux actifs seniors. La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites contient ainsi plusieurs mesures favorables aux seniors, notamment l’élargissement des critères d’accès au départ anticipé pour carrière longue et la mise en place d’un compte personnel de prévention de la pénibilité.
Le plan d’actions qui figure dans la feuille de route de la grande conférence sociale de 2014 fait également une large place aux difficultés que rencontrent les seniors sur le marché du travail.
Par ailleurs, près d’un tiers des emplois aidés, qu’il s’agisse des contrats initiative emploi, les CIE, ou des contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CAE, ont bénéficié à des demandeurs d’emploi seniors en 2014, les objectifs que nous nous étions fixés ayant même été dépassés, et plus de 45 000 demandes d’aides – et non 20 000, madame Duranton – ont été enregistrées dans le cadre des contrats de génération depuis leur création.
Ainsi que beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, lors de son entretien télévisé du 6 novembre 2014, le Président de la République a annoncé, à propos des personnes « qui ont toutes leurs annuités et plus de 60 ans », qu’« une prestation permettra de les conduire à la retraite dans de bonnes conditions ».
La mise en œuvre d’une telle mesure s’inscrit, vous le savez, dans un contexte particulièrement contraint sur le plan des finances publiques. En effet, la mesure doit être financée sur un budget de l’emploi qui, par ailleurs, finance aussi les mesures d’activation des demandeurs d’emploi, telles que les contrats aidés ou la garantie jeunes.
Par conséquent, un équilibre difficile, délicat doit être trouvé entre, premièrement, la protection de certains demandeurs d’emploi seniors, deuxièmement, les contraintes financières dont je viens de parler et, troisièmement, la cohérence d’ensemble des politiques de l’emploi en faveur des seniors.
Le Gouvernement a donc souhaité prendre en compte les situations individuelles les plus difficiles, tout en menant parallèlement une politique de l’emploi très active en faveur des seniors. Il souhaite tenir un discours de vérité : le rétablissement d’un équivalent de l’AER est, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe CRC, financièrement inenvisageable.
M. Dominique Watrin. Cela ne représente pas des sommes importantes !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Il coûterait 500 millions d’euros si l’on retient les personnes des générations 1954 et 1955 indemnisables entre janvier 2011 et décembre 2014, et 865 millions d’euros si l’on inclut la génération de 1956. Cette dépense supplémentaire serait impossible à financer dans le contexte actuel des finances publiques. (M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.)
Le Gouvernement s’est donc attaché à proposer un dispositif ciblé qui permet de résoudre les situations individuelles les plus difficiles sur le plan du retour à l’emploi tout en n’apparaissant pas contradictoire avec les mesures de soutien à l’emploi des seniors.
Le scénario retenu consiste ainsi à verser une prime mensuelle de 300 euros aux bénéficiaires de l’ASS ou du RSA socle qui satisfont cumulativement aux quatre conditions suivantes : être demandeur d’emploi âgé d’au moins 60 ans né en 1954 ou 1955 ; avoir validé le nombre de trimestres permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein avant la fin de droit à l’assurance chômage ; avoir été indemnisable par l’assurance chômage – au titre de l’allocation d'aide au retour à l'emploi, l’ARE, de l’allocation spécifique de reclassement, l’ASR, de l’allocation de transition professionnelle, l’ATP, ou de l’allocation de sécurisation professionnelle, l’ASP – au moins un jour sur la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014 ; ne pas avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite.
Cette prime va concerner 37 900 personnes, pour un coût estimé à 185,7 millions d’euros sur la période 2015–2017.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a très bien expliqué Martial Bourquin, le Gouvernement a bien conscience des grandes difficultés dans lesquelles se trouvent certains demandeurs d’emploi seniors, voire de l’injustice qui les frappe. Comment accepter qu’une personne ayant travaillé pendant de nombreuses années et ayant validé tous ses trimestres ne bénéficie que d’allocations de solidarité, parce qu’elle se retrouve au chômage et dans l’impossibilité de liquider sa retraite, faute d’avoir atteint l’âge légal ?
Nous avons pris nos responsabilités, en proposant un dispositif juste, tout en maîtrisant la dépense publique. Je le répète, ce sont près de 40 000 personnes, nées en 1954 et 1955 et allocataires du RSA ou de l’ASS qui bénéficieront d’une prime mensuelle de 300 euros.
Un décret en ce sens sera signé dans les tout prochains jours, après avis du Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles.
Cette mesure résume la politique du Président de la République, que met en œuvre le Gouvernement et qui consiste à rétablir la situation financière de notre pays, sans oublier la justice sociale et la solidarité, lesquelles restent au cœur de nos préoccupations et de l’action gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le rétablissement de l’allocation équivalent retraite.
6
Dépôt de documents
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :
- d’une part, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2014–1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ;
- d’autre part, la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de modernisation et mise en sécurité du CHU de Limoges, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été respectivement transmis à la commission des affaires économiques et à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires sociales.
7
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation à la prospective, en remplacement de Mme Natacha Bouchart, démissionnaire.
Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
8
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. Conformément aux dispositions de l’article 19 de la loi n° 2013–907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, la commission des lois, lors de sa réunion du 19 mai 2015, n’a pas émis, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, un avis conforme – 22 voix pour, 15 voix contre – sur le projet de nomination, par M. le président du Sénat, de M. Jean-Michel Lemoyne de Forges aux fonctions de membre de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-huit heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi
Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense ainsi que pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part.
Ces deux projets de loi ont été déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale le 20 mai 2015.
10
Conditions de saisine du Conseil national d'évaluation des normes
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande des groupes UMP et UDI-UC, de la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d’évaluation des normes, présentée par MM. Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau (proposition n° 120, texte de la commission n° 436, rapport n° 435).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-Marie Bockel, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, adoptée sur l’initiative de Jacqueline Gourault et de Jean-Pierre Sueur, la loi du 17 octobre 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics a destiné cette instance à prendre la succession de la Commission consultative d’évaluation des normes dans la foulée des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat en octobre 2012. De très nombreux élus locaux avaient saisi l’occasion de ce rassemblement pour exprimer leur exaspération à l’égard de la prolifération normative. Il faut rappeler que le remplacement de la CCEN par le CNEN a marqué une étape importante dans la prise de conscience des défis que posait la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Le problème, en soi, est identifié depuis longtemps, et ce n’est pas d’hier que le Sénat, attentif aux remontées des élus locaux signalant l’impact de plus en plus lourd des normes et procédures de toutes sortes, se préoccupe de mettre en place les moyens de desserrer l’étau normatif qui enserre l’action des élus locaux dans d’innombrables contraintes. Celles et ceux qui sont chaque semaine sur le terrain ou qui l’étaient l’année dernière, dans le cadre du renouvellement sénatorial – et j’en fus –, peuvent témoigner qu’il s’agit de l’une des interpellations récurrentes que nous adressent nos collègues élus locaux. On peut même parler d’une véritable complainte.
Le stock des normes en vigueur représente une masse énorme que l’on ne sait trop comment aborder. Est-il seulement besoin de rappeler que 400 000 normes – je me réfère au rapport d’Alain Richard fait au nom de la commission des lois – s’appliquent aux collectivités territoriales, pour un coût annuel de 3 points de produit intérieur brut ? La France se positionne ainsi à la 121e place sur 144 en termes de compétitivité administrative.
Pour l’essentiel, la CCEN avait reçu la mission d’examiner les textes réglementaires créant de nouvelles normes applicables aux collectivités ou modifiant ces normes. Aucune instance n’était chargée de la simplification du stock de normes. Il n’existait aucune procédure pérenne de simplification d’un stock que, du reste, personne n’avait entrepris d’aborder de manière systématique. Le CNEN a poursuivi, avec l’aide des associations d’élus locaux, en particulier celle de l’Association des maires de France dont il faut souligner l’implication active dans les travaux d’évaluation des normes, un vrai travail d’analyse, de critique et de proposition.
Cependant, l’évaluation du flux des normes nouvelles au regard du principe de simplicité, si essentielle soit-elle, ne peut répondre pleinement aux attentes des élus locaux quotidiennement confrontés à la complexité du droit en vigueur. Aussi des initiatives ont-elles été prises au sein du Sénat pour s’attaquer au stock des normes applicables aux collectivités territoriales. En 2011, notre collègue Éric Doligé a déposé une proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Elle traduisait certaines propositions du rapport consacré au poids des normes sur l’activité quotidienne des collectivités territoriales qu’il avait élaboré dans le cadre de la mission que lui avait confiée, la même année, le Président de la République de l’époque. Je sais que notre collègue Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales, chargé de la simplification, saura s’inspirer du rapport Doligé ; il en parlera sans doute dans quelques instants.
M. Rémy Pointereau. Tout à fait !
M. Jean-Marie Bockel. Les initiatives issues de cette démarche, comme d’autres démarches sénatoriales, ont eu entre autres mérites d’accentuer la prise de conscience de la gravité du problème des normes. Elles n’ont pas eu les suites espérées, d’où la création du CNEN, dont nous essayons aujourd’hui de parfaire l’efficacité. Ce ne sont sans doute ni Mme Gourault ni M. Sueur, lesquels ont réalisé un gros travail sur le sujet à l’époque, qui s’en plaindront.
À l’origine de la création du CNEN par la loi du 17 octobre 2013 se trouve la nécessité de prendre en compte l’ensemble des demandes des élus locaux et de leur donner une réponse complète, concrète et efficace. C’est pourquoi il a reçu deux missions, l’une portant sur le flux, l’autre sur le stock de normes. Ce dernier point est le plus innovant et peut-être le plus prometteur de la loi d’octobre 2013. En effet, l’évaluation du flux des normes nouvelles est en principe permanente tout au long du processus d’élaboration de chaque norme.
En principe, la question du flux des normes nouvelles devrait être de mieux en mieux prise en main. Le CNEN fait, dans ce domaine, de son mieux. Son président, Alain Lambert, qui fut par le passé le premier président de notre délégation aux collectivités territoriales et avec lequel nous sommes en dialogue permanent, fait un travail tout à fait remarquable. De son côté, le Gouvernement nous dit être plus attentif – je n’ai pas de raison, monsieur le secrétaire d’État, de douter de l’attention du Gouvernement sur ces questions. Il se serait doté de moyens dédiés, dont vous nous parlerez certainement. En un mot, une nouvelle culture de la norme est en train d’apparaître. Ses effets commencent à se faire sentir, même si les prescripteurs de normes, dont nous autres, parlementaires, ne sommes pas les moins entreprenants, restent souvent plus attentifs à leur nécessité qu’à leurs effets pervers.
Sur ces questions, tout le monde doit balayer devant sa porte, nous y compris, même si la loi est parfois prise de court par des décrets qui ne correspondent pas complètement à son esprit…
M. Charles Revet. Ça arrive quelquefois…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est un euphémisme ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Bockel. Je le dis tout en soulignant bien que chacun doit balayer devant sa porte, nous y compris, sur quelque travée que ce soit. Il s’agit d’une œuvre commune à laquelle nous devons tous nous atteler.
On ne peut dire que la question du stock soit ignorée : la délégation aux collectivités territoriales en a été saisie à la fin de 2014 ; le Gouvernement y consacre des moyens. Nous avons à cet égard noué des contacts aussi bien avec vous, monsieur le secrétaire d’État, qui êtes spécialement chargé de la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, qu’avec Thierry Mandon, secrétaire d’État à la réforme de l’État et à la simplification, que nous avons reçu et que nous reverrons. Nous savons que des initiatives sont en cours de lancement, et nous sommes désireux de nous y associer, tant il est vrai que la simplification est une ambition partagée qui nécessite l’engagement de chacun.
Au sein du Conseil national d’évaluation des normes se déroule un échange permanent entre les représentants du Sénat et de l’Assemblée nationale et ceux des administrations et des collectivités territoriales, au fil des saisines obligatoires ou facultatives. Le CNEN reste ainsi un outil stratégique de la simplification du stock. C’est d’ailleurs pour cette raison que la décision du bureau du Sénat, confiant en novembre dernier à la délégation aux collectivités territoriales – je l’ai déjà souligné – une mission d’évaluation et de simplification des normes, a prévu que ce travail se ferait en liaison avec le CNEN, raison pour laquelle ont été noués les contacts de qualité que j’évoquais voilà quelques instants avec le Conseil national d’évaluation des normes et son président.
Pour donner toute sa portée à cette compétence éminente sur le stock de normes, les conditions de saisine du CNEN sont essentielles. En effet, l’une des principales difficultés en la matière est de déterminer les priorités. C’est pourquoi la démarche de simplification ne peut être efficacement lancée que sous l’impulsion des collectivités territoriales, mieux placées pour identifier les normes les plus invalidantes et nous les faire connaître. Sans leur participation au processus, sous une forme ou une autre, nous n’arriverons pas à construire un programme opérant. La simplification risque alors de tourner en une discussion académique roulant sur le pourquoi et le comment sans déboucher sur des résultats concrets. Je crois que, là aussi, Rémy Pointereau, à travers des amendements que j’ai cosignés avec d’autres collègues, nous dira des choses intéressantes.
La loi prévoit que le CNEN peut être saisi d’une demande d’évaluation des normes en vigueur par le Gouvernement, les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Cette énumération fait à peu près le tour de l’ensemble des instances intéressées par la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Pour autant, ces dernières restent en réalité à l’écart du processus en raison des conditions très restrictives encadrant leur pouvoir de saisine. La faute n’en est pas à la loi – j’y faisais allusion à l’instant –, mais à son décret d’application : le décret du 30 avril 2014 portant application de la loi du 17 octobre 2013 illustre en effet de manière emblématique le processus d’amplification et de paralysie de la norme par les dispositions d’application d’une loi.
Alors que la loi du 17 octobre 2013 prévoit que les collectivités territoriales pourront saisir le CNEN d’une demande de révision portant sur le stock en vigueur sans soumettre cette prérogative à des exigences particulières, le décret d’application fixe des conditions qui sont autant d’obstacles à sa concrétisation. C’est ainsi que l’article 3 du décret exige que la demande d’évaluation d’une norme réglementaire en vigueur soit présentée par au moins cent maires et présidents d’EPCI, ou dix présidents de conseil général ou deux présidents de conseil régional – on peut d’ailleurs s’interroger sur le poids d’un président de conseil général par rapport à un président de conseil régional… L’exigence irréaliste et non prévue par la loi d’une démarche concertée de cent maires rend tout à fait improbable le fonctionnement effectif de cette modalité de saisine. Le décret exige également que la demande d’évaluation comprenne une fiche d’impact présentant, entre autres éléments, « ses motifs précisément étayés », ce qui revient à faire peser sur les collectivités – qui peuvent être des communes petites ou de taille moyenne, dépourvues de tout moyen d’expertiser les normes – une obligation de pré-instruction du dossier coûteuse et non prévue par le texte.
La proposition de loi que j’ai cosignée avec Rémy Pointereau a pour objet d’écarter ces obstacles. Je laisse à ce dernier le soin de détailler le dispositif de notre texte, de le préciser. Je rappellerai simplement, pour conclure mon propos, que l’efficacité de l’action du Conseil national d’évaluation des normes sur le stock de normes dépend très largement de l’impulsion que pourront lui donner les collectivités territoriales, qu’elle soit directe ou qu’elle s’exerce par l’intermédiaire des associations d’élus. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, je veux remercier Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau. Il peut arriver qu’un décret s’écarte de la lettre ou de l’esprit de la loi. Il peut même arriver qu’il les trahisse. C’est le cas de celui du 30 avril 2014. Il est par conséquent salutaire que nos collègues aient pris l’initiative de protester et de nous proposer un texte pour réformer cet état de choses. M. Jean-Marie Bockel a excellemment expliqué la situation.
Le Sénat, depuis maintenant des années et de manière souvent unanime, est aux côtés des élus locaux pour lutter contre la prolifération des normes inutiles. Soyons clairs, il y a des normes indispensables, et nous faisons notre travail lorsque nous en adoptons en matière de sécurité publique, de santé ou de protection de l’environnement. Cependant, il en va des normes comme des lois, celles qui sont inutiles font du tort à celles qui sont nécessaires.
À cet égard, je salue à mon tour, comme je le fais dans mon rapport, les travaux de notre collègue Éric Doligé, qui est l’auteur d’un rapport sur ce sujet, au sein duquel sont présentées des propositions concrètes.
M. Éric Doligé. Merci, monsieur le rapporteur !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je salue également les états généraux de la démocratie territoriale, organisés sur l’initiative de Jean-Pierre Bel, notre ancien président, qui a confié à Jacqueline Gourault et à moi-même le soin d’élaborer deux propositions de loi : l’une visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, qui a enfin été promulguée, après avoir attendu quelque temps son examen par l’Assemblée nationale, l’autre relative aux normes, que vous avez bien voulu adopter à l’unanimité, mes chers collègues, et qui prévoyait de créer une instance – elle existe aujourd'hui –, à savoir le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.
Le CNEN est doté de pouvoirs beaucoup plus étendus que l’organisme qui l’a précédé. En effet, il peut se saisir en amont de tout projet de loi, projet de décret ou texte réglementaire. Avant que la norme n’existe, posons-nous la question de savoir si elle est nécessaire et si elle n’est pas trop coûteuse ou trop contraignante pour les collectivités locales. En outre, ce conseil national peut se saisir non seulement des nouveaux projets, mais aussi du stock des normes existantes.
Nous avions très clairement prévu – je parle sous le contrôle de Mme la présidente de séance Jacqueline Gourault – que toute collectivité pourrait saisir ce conseil national. Que s’est-il donc passé ? Monsieur le secrétaire d’État, bien que vous n’ayez pas signé ce décret – au demeurant, j’ai beaucoup de respect et d’amitié pour ceux qui l’ont signé –, vous savez que la lettre et l’esprit du législateur n’y ont pas été respectés. En effet, alors que nous avions souhaité que toute collectivité locale pût saisir le Conseil national d’évaluation des normes, nous nous trouvons, comme l’a dit M. Bockel et l’a écrit M. Pointereau, devant un dispositif prévoyant qu’une même saisine doit être signée par cent communes. Ce n’est pas conforme à la loi ! J’ajouterai même quelque chose que vous pourrez aisément vérifier : au cours des débats parlementaires, aucun sénateur, aucun député, n’a imaginé ni proposé cela. Il faut donc revoir ce dispositif.
Nous avons reçu M. Alain Lambert, qui, avec sa sagacité, sa compétence et sa grande courtoisie, préside ce conseil national. Je veux d’ailleurs saluer tous les élus qui y participent et y accomplissent un lourd travail.
M. Charles Revet. Ils font un très bon travail !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Tout à fait, mon cher collègue !
M. Lambert nous a dit : pourquoi, plutôt que de faire une loi, n’écrivez-vous pas tout simplement à M. le secrétaire d’État ? Je m’adresse donc à vous très directement, monsieur le secrétaire d’État, pour vous demander de publier un nouveau décret. Finalement, vous pourriez très vite, sans même que les députés aient à examiner notre proposition de loi – mais nous voulons tout de même qu’ils en soient saisis, j’expliquerai tout à l’heure pour quelles raisons –, changer ce décret, de manière à écrire que toute commune, tout département, toute région et toute institution intercommunale à fiscalité propre pourra saisir le Conseil national d’évaluation des normes.
M. François Bonhomme. Chiche !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est simple, pratique et tout à fait faisable. En outre, vous réparerez ainsi une erreur et respecterez la lettre et l’esprit de la loi.
La commission des lois s’est saisie de l’opportunité représentée par ce texte pour proposer quelques autres modifications à la loi elle-même.
Premièrement, il avait été prévu que le Conseil national d’évaluation des normes serait saisi de l’ensemble des textes réglementaires applicables aux collectivités locales. Est-ce nécessaire ? La commission des lois a répondu « non ». Dans la mesure où nombre de textes réglementaires concernent les collectivités locales, il nous paraît plus simple et plus réaliste que le Conseil national d’évaluation des normes ne soit saisi que des textes ou des projets de texte ayant un effet en matière de normes.
Deuxièmement, nous avons pensé que la saisine par une collectivité, qui pourra être une commune de petite taille, peu importe le nombre de ses habitants, devait être motivée. Pour répondre à M. Pointereau, qui a déposé un amendement sur ce point, je précise que la motivation de la saisine pourra se limiter à quelques lignes ; il ne sera pas nécessaire qu’elle soit exhaustive.
Enfin, nous nous sommes penchés – je me permets d’appeler particulièrement votre attention sur ce point, monsieur le secrétaire d’État – sur la question des délais. En effet, la loi prévoit qu’il peut y avoir des situations d’urgence, dans lesquelles le Premier ministre peut demander, sur la base d’une justification précise, au Conseil national d’évaluation des normes de rendre sa décision dans un délai de quinze jours. Et en cas d’extrême urgence, le Premier ministre peut même demander au Conseil national d’évaluation des normes de statuer dans un délai de soixante-douze heures ! C’est cette dernière disposition qui pose problème.
M. Alain Lambert, président du Conseil national d’évaluation des normes, nous a ainsi expliqué qu’il avait reçu une saisine émanant du Premier ministre un vendredi soir, l’analyse exhaustive du Conseil national d’évaluation des normes devant être fournie dans les soixante-douze heures. Chacun le voit bien, c’était absurde et impossible ! Le président ne pouvait pas demander aux membres du CNEN de venir toutes affaires cessantes à Paris. De surcroît, il s’agissait en l’occurrence du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, qui – vous en conviendrez – n’est pas un petit texte.
La commission des lois a donc prévu que, en cas d’extrême urgence, le Conseil national d’évaluation des normes devrait statuer au cours des quatre jours ouvrables suivant la saisine. Cela signifie que, si le Premier ministre saisit le Conseil national d’évaluation des normes le lundi soir, celui-ci aura jusqu’au vendredi pour rendre son avis. Il statuera ainsi dans des conditions certes difficiles – il faudra organiser une réunion exceptionnelle –, mais faisables. J’espère que le Gouvernement comprendra la nécessité de ce délai de quatre jours ouvrables. D’ailleurs, quand on y réfléchit bien, il n’est pas exorbitant. Quand on sait qu’il a fallu de nombreux mois au Parlement pour examiner le texte relatif à la transition énergétique, on voit bien qu’on n’est pas à quelques heures près…
Deux autres sujets ont été proposés par notre collègue Rémy Pointereau.
Le premier concerne les questions sportives. Avec Mme Jacqueline Gourault, nous avions été prudents sur ce sujet, après avoir pris contact avec les fédérations sportives et le secrétariat d’État chargé des sports. Vous savez qu’il existe une instance appelée la CERFRES, la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs, qui donne des avis sur les normes applicables aux collectivités locales.
Au départ, je n’étais pas favorable à l’amendement déposé par notre collègue, car je pensais qu’il fallait poursuivre le dialogue. Toutefois, très impressionné par certaines réalités dont les élus ont été témoins, la commission a décidé de suivre M. Pointereau, après avoir été convaincue par plusieurs de ses arguments. Je prendrai l’exemple d’une fédération sportive, que je ne citerai pas, mais qui se reconnaîtra, ayant décidé un beau jour que les panneaux permettant d’indiquer le score de chaque équipe devaient être modifiés et que, si cela n’était pas fait, le terrain ne serait plus homologué.
M. Charles Revet. J’ai vécu une situation comparable !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Une telle décision, vous le savez, M. Doligé en a parlé, a un coût. Dans un monde idéal, il serait sans doute souhaitable que les panneaux d’affichage fussent modifiés. Toutefois, dans la situation financière à laquelle nos collectivités font face, on peut considérer qu’une telle dépense n’est pas urgente et préférer faire d’autres choix. Tel est l’avis de la commission, que je rapporte, je crois, fidèlement.
Le deuxième sujet a trait à l’expertise nécessaire pour étudier les saisines dont le Conseil national d’évaluation des normes est l’objet. À cet égard, M. Alain Lambert nous a expliqué qu’il ne disposait pas de services.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Par conséquent, nous avons prévu dans la proposition de loi, et je crois que c’est très judicieux, que les administrations de l’État apporteront leur concours pour expertiser ces saisines.
J’achèverai mon propos en évoquant la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat à l’unanimité, tendant à joindre les avis rendus par le Conseil national d’évaluation des normes, qui est constitué d’élus locaux et qui les représente parfaitement, aux projets de loi comme c’est le cas pour les études d’impact. Je pense que c’est une bonne idée, que nous partageons d’ailleurs toutes et tous.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Or ce texte n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous, grâce aux grandes qualités de persuasion qui sont les vôtres, y contribuer. En tout cas, je formule le vœu qu’il puisse être voté par nos collègues députés.
Mes chers collègues, je remercie encore une fois les auteurs de la proposition de loi, qui est une étape de plus, et tous nos collègues qui se sont penchés sur la question. Continuons à être sur ce sujet au côté des élus locaux ! Les normes nécessaires doivent être mises en œuvre, mais évitons celles qui ne le sont pas, car elles ont un coût et induisent des contraintes excessives pour nos collectivités locales. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des lois, Jean-Patrick Courtois, monsieur le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jean-Marie Bockel, monsieur le premier vice-président de cette délégation, plus spécifiquement chargé des normes, Rémy Pointereau, monsieur le rapporteur, Jean-Pierre Sueur, mesdames, messieurs les sénateurs, dès 2012, le Président de la République le disait : « 400 000 normes seraient applicables [aux collectivités territoriales] et on mesure, à évoquer ce chiffre, combien la décentralisation est finalement contournée, détournée, dès lors qu’il y a autant de contraintes qui pèsent sur les collectivités. »
Cette question des normes – ou plutôt de cet excès de normes – qui pèsent sur les collectivités locales est un sujet d’incompréhension et de plus en plus souvent d’irritation des élus locaux, d’autant que cette inflation normative est source non seulement de complexité pour les élus, mais aussi de coûts supplémentaires pour les finances locales. Cela a été clairement démontré par plusieurs rapports. J’en citerai deux : celui d’Éric Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales, remis en 2011, et celui de la mission de lutte contre l’inflation normative de Jean-Claude Boulard et Alain Lambert, remis au Premier ministre en mars 2013.
Pour autant, les politiques mises en œuvre depuis quelques années contre cette inflation normative n’ont pas obtenu, il faut le reconnaître, les résultats escomptés, au contraire ; de 2008 à 2013, le coût brut des normes nouvelles mises à la charge des collectivités territoriales a été estimé à 5,8 milliards d’euros.
M. Charles Revet. Incroyable !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Le Gouvernement a donc fait de la maîtrise des normes une priorité de son action. C’est vrai pour les entreprises, avec Thierry Mandon ; c’est vrai aussi pour les collectivités territoriales, et cela doit l’être encore plus à l’heure où le Gouvernement leur demande un effort important dans le cadre du redressement de nos finances publiques.
Un dispositif opérationnel de maîtrise des normes a donc été mis en place en 2014 pour agir sur le stock comme sur le flux. Il repose notamment sur le Conseil national d’évaluation des normes, installé le 3 juillet 2014 à la suite de l’adoption de la proposition de loi déposée par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur.
Le Gouvernement est pleinement engagé dans une politique de réduction du stock des normes existantes. Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « projet de loi NOTRe », que le Sénat examinera en deuxième lecture la semaine prochaine, intègre ainsi quatorze mesures issues de la proposition de loi de M. Doligé, dont je salue à mon tour le travail.
Même si cela peut paraître rébarbatif, je veux citer ces quatorze mesures : assouplissement de la législation relative aux centres communaux d’action sociale, instauration d’une règle de quorum pour les réunions des commissions compétentes en matière d’ouverture des plis pour les délégations de service au public, simplification des modalités de mise à disposition du public des documents relatifs à l’exploitation des services publics délégués, uniformisation des délais d’adoption du règlement intérieur des collectivités locales, dématérialisation des recueils des actes administratifs, transmission du compte de gestion au préfet par le directeur départemental ou régional des finances publiques, alignement du régime des accords-cadres sur celui des marchés publics, possibilité de délégation aux exécutifs de la capacité de modifier ou de supprimer des régies comptables, possibilité de délégation aux exécutifs locaux des demandes de subvention, dématérialisation de la publication des actes administratifs, délai porté à neuf mois pour la présentation du rapport annuel sur le prix et la qualité des services d’eau, d’assainissement et de traitement des ordures ménagères, suppression de la délibération préalable au déclenchement de la procédure d’abandon manifeste d’une parcelle, délai minimum pour la transmission des documents en amont des commissions permanentes, clarification de la procédure de dissolution d’un EPCI.
M. Éric Doligé. Cela fait plaisir à entendre !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Par ailleurs, une mission regroupant plusieurs inspections – l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des affaires sociales, le contrôle général économique et financier – a été mandatée pour proposer des allégements de normes dont les coûts sont particulièrement élevés. Nous disposerons de ses conclusions probablement en juin.
Enfin, des ateliers thématiques ont été mis en place conjointement par mon cabinet et celui de M. Mandon, en lien avec les associations d’élus et les associations de cadres territoriaux. Il s’agit d’identifier par thèmes des propositions opérationnelles, à partir des observations des acteurs locaux, notamment les directeurs de collectivité territoriale.
Après vous avoir rappelé combien le Gouvernement est engagé dans la lutte contre l’inflation des normes, j’en viens à la proposition de loi que nous examinons cet après-midi.
La loi du 17 octobre 2013 a prévu que le CNEN pouvait évaluer des normes en vigueur, de manière volontaire ou sur demande du Gouvernement, des commissions permanentes des assemblées, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Le décret du 30 avril 2014 encadre cependant strictement les demandes émanant des collectivités territoriales par des conditions de recevabilité. Cela a été rappelé par Jean-Pierre Sueur, notamment.
Votre proposition de loi vise à renforcer l’action du CNEN de différentes façons : d’abord, en supprimant les conditions de recevabilité de la saisine des collectivités prévues par le décret ; ensuite, en élargissant la saisine à tout parlementaire ; enfin, en prévoyant que l’évaluation d’une norme par le CNEN s’effectuera sur la base d’une analyse réalisée par l’administration compétente, dans un délai fixé à trois mois.
Le Gouvernement partage ces préoccupations : il faut permettre un accès plus facile des élus au CNEN et créer les conditions d’un examen approfondi des propositions. Il convient toutefois d’éviter un engorgement qui nuirait à l’efficacité du dispositif.
Je le dis à nouveau : le décret du 30 avril 2014 portant application de la loi a organisé les conditions de recevabilité pour la saisine du CNEN en encadrant strictement les demandes, qui doivent porter sur des dispositions clairement identifiées d’une norme, avec des motifs précisément étayés et une présentation par un nombre d’élus minimum – présidents de conseil régional, présidents de conseil départemental, maires, etc. Les raisons de ces nombreuses conditions étaient d’éviter un engorgement du CNEN, qui ne pourrait répondre à un afflux de demandes. À l’usage, ces conditions apparaissent trop restrictives et de nature à restreindre l’accès des collectivités au CNEN, ce qui est contraire à notre objectif que je viens de rappeler d’un accès facilité des élus à ce conseil national afin que des normes jugées inutiles, mal calibrées ou trop coûteuses puissent être évaluées par celui-ci.
La proposition de loi que nous examinons cet après-midi vise notamment à supprimer les conditions de recevabilité de la saisine des collectivités prévues par le décret. La question de l’intervention du législateur dans le domaine réglementaire se pose par conséquent, et je sais qu’elle a donné lieu à des échanges nourris lors de l’examen de ce texte par votre commission.
Jean-Pierre Sueur vient d’évoquer la possibilité pour le Gouvernement de modifier ce décret. Eh bien, je vous annonce que je suis prêt à aller dans ce sens,…
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Merci !
M. André Vallini, secrétaire d'État. … avec l’accord du Premier ministre, et je m’engage à ce que cette modification intervienne le plus rapidement possible, après un travail mené avec le CNEN – je m’en suis entretenu la semaine dernière avec Alain Lambert – et en prenant en compte nos débats de ce jour.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Notre débat aura au moins servi à quelque chose !
M. André Vallini, secrétaire d'État. J’en viens à la question des flux.
La proposition de loi fait écho à la volonté du Gouvernement d’affirmer le rôle central du Conseil national d’évaluation des normes dans la maîtrise des flux des normes applicables aux collectivités locales. Je veux vous indiquer à cet égard que cette maîtrise est encore renforcée depuis la circulaire du Premier ministre du 9 octobre dernier, qui fixe un objectif très clair : zéro euro de charge supplémentaire pour les collectivités territoriales du fait des normes nouvelles, à compter du 1er janvier 2015.
Votre proposition de loi vise à apporter trois modifications à la loi du 17 octobre 2013, qui a étendu le champ d’action du CNEN.
Premièrement, vous souhaitez préciser que le contrôle du CNEN se fera uniquement sur les projets de textes réglementaires ayant un impact technique et financier pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Cela devrait permettre effectivement de réduire le nombre de textes qui lui sont soumis.
Deuxièmement, vous souhaitez encadrer la procédure d’urgence pour l’examen du CNEN. Plutôt qu’une modification législative de cette procédure, nous souhaitons poursuivre les échanges avec celui-ci pour que l’examen des projets de loi se fasse dans de bonnes conditions.
Troisièmement, vous souhaitez rendre obligatoire son avis sur les projets de règlements des fédérations sportives soumis à la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Les règlements des fédérations sportives sont en effet une source non négligeable de normes nouvelles pour les collectivités locales, qui sont les premiers financeurs publics du sport en France. Il faut maîtriser ce flux. Néanmoins, le dispositif a été modifié en 2013, notamment avec l’attribution de la présidence de la CERFRES à un élu local. Par ailleurs, le dispositif actuel permet au CNEN d’intervenir sur une instruction détaillée et une appréciation motivée des élus de la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Inverser l’ordre des saisines aurait donc des inconvénients.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je conclurai sur une note positive. Les résultats pour 2014 et ceux du début de l’année 2015 en matière de maîtrise des flux sont encourageants : 1,6 milliard d’euros de charges nouvelles en 2013 – c’était beaucoup –, 800 millions d’euros en 2014 et seulement, si j’ose dire, 19 millions d’euros au 22 avril 2015. C’est dire si la décroissance est forte, mais nous devons aller plus loin, plus vite, plus fort.
La proposition de loi que vous examinez participe de cette mobilisation nécessaire pour réduire l’inflation normative, et le Gouvernement, qui en fait une priorité, se réjouit de votre démarche. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par MM. Bockel et Pointereau s’empare fort judicieusement de l’inflation normative qui paralyse l’action dans notre pays. Je les en remercie très sincèrement, ainsi que le rapporteur Jean-Pierre Sueur.
Jean-Étienne-Marie Portalis, père du code civil, qui veille sur nous, disait déjà en son temps que les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois. Il nous faudrait ériger ces propos en précepte absolu. Car, si des règles sont évidemment indispensables pour assurer la sécurité et réguler la vie en société, force est de constater que leur accumulation finit par en détraquer le fonctionnement !
Notre époque nécessite souplesse, réactivité, inventivité, adaptabilité, tandis que l’accumulation de règles constitue des freins à l’action et génère complexité, lenteur et surcoût. Beaucoup d’exemples le montrent : des normes sur les vestiaires de foot entraînent dans une ville un déclassement d’un stade de foot, interdit aux matches de CFA parce qu’il faut deux vestiaires d’arbitre de 8 mètres carrés chacun, alors que ce stade dispose de deux vestiaires, l’un de 9,5 mètres carrés et l’autre de 7 mètres carrés.
M. Charles Revet. Incroyable ! C’est d’une totale absurdité !
Mme Françoise Gatel. Ou encore, comble du comble, un décret de 2011 signé par quinze ministres sur les normes nutritionnelles de restauration scolaire définit notamment la quantité hebdomadaire d’œufs durs selon l’âge de l’enfant ou la température à laquelle doit être servie la macédoine.
Cette inflation de normes touche aussi les entreprises. Je citerai un seul exemple : la nécessité de solliciter l’autorisation de quinze administrations pour ouvrir une simple carrière de pierres.
Cette surenchère normative est un obstacle à l’initiative, à l’efficacité de l’action publique, a fortiori, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d'État, dans un contexte de crise économique et de baisse des ressources des collectivités. Cette surenchère normative est aussi source de perplexité et de risque pour les élus. En effet, comment hiérarchiser deux normes incompatibles, par exemple en matière de sécurité incendie dans les crèches ou les unités Alzheimer, où il faut s’assurer de l’impossibilité de sortie intempestive des enfants ou des résidents alors même qu’il est nécessaire de disposer d’issues de secours ouvrables à tout moment ?
Aujourd’hui, 400 000 normes réglementaires s’imposent aux collectivités locales et les enferment dans un coûteux carcan juridique. En quatre ans, de 2011 à 2015, le coût induit par les normes nouvelles serait évalué à plus de 1 milliard d’euros.
Je veux saluer ici l’excellent travail de nos collègues Mme Gourault et M. Sueur à l’initiative de la loi de 2013 portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes, qui a pour mission, cela a été rappelé, d’intervenir sur le flux et le stock des normes. Il convient aussi de rappeler l’excellent rapport de MM. Lambert et Boulard, rédigé en 2013, qui décrit l’absurdité de ce qu’ils appellent « l’incontinence normative » – ce terme me semble assez juste –, ainsi que le travail de notre collègue Éric Doligé sur ce sujet en 2011.
Oui, mes chers collègues, votre proposition de loi satisfera certainement de nombreux élus locaux confrontés au maquis d’une réglementation qui les désespère trop souvent et les dépasse parfois ! Elle contient quatre mesures significatives.
La première vise à simplifier et à élargir les possibilités de saisine du Conseil national d’évaluation des normes. En ce sens, elle restitue l’esprit initial du législateur. Les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre, mais aussi les parlementaires pourront saisir ce conseil national sans condition de nombre et sur simple motivation, alors que le décret d’application de la loi exige une saisine émanant d’au moins cent maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.
La deuxième mesure positive consiste à renvoyer à l’administration la charge de la preuve de la pertinence de la norme qui pesait sur l’auteur de la saisine. Sur ce point, je ne peux m’abstenir de vous faire part de mon étonnement de jeune sénatrice sur la nécessité de devoir corriger par une proposition de loi un décret d’application contraire à l’esprit du législateur. Disons-le franchement, le décret du 30 avril 2014 a totalement détourné les conditions de saisine voulues par le législateur,…
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
Mme Françoise Gatel. … mais peut-être manque-t-il dans l’arsenal normatif français une norme sur la rédaction des décrets d’application... (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien !
Mme Françoise Gatel. La troisième mesure positive vise à améliorer les conditions de fonctionnement du Conseil national d’évaluation des normes en encadrant la procédure d’urgence ; M. le rapporteur l’a déjà évoquée.
Enfin, la quatrième mesure – un vrai bonheur ! – porte sur les normes sportives.
L’agacement des élus locaux est extrême par rapport à ce pouvoir normatif des fédérations, qui confère à celles-ci des prérogatives de puissance publique inacceptables. Le texte que nous examinons va permettre de transformer une exception en règle, à savoir la consultation du Conseil national d’évaluation des normes sur tous projets de règlements fédéraux relatifs à des équipements sportifs, préalablement à la consultation de la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Nos collectivités ne peuvent en effet être condamnées à rester de simples exécutantes de prescripteurs qui ne sont pas les financeurs de leurs prescriptions.
En conclusion, au nom de l’adage « un homme averti en vaut deux », je saluerai la grande sagesse de la commission des lois, qui a supprimé la mention de la nécessité de décrets d’application, nous mettant ainsi à l’abri de nouvelles déconvenues.
Par cette proposition de loi, le Sénat confirme son rôle de représentant des collectivités. Il fait de la chasse à l’inflation normative un combat utile pour la qualité et l’efficacité de l’action publique. Cette proposition de loi salue aussi à juste titre l’excellent travail du Conseil national d’évaluation des normes en facilitant l’exercice de sa mission.
Vous l’aurez deviné, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera avec enthousiasme en faveur de ce texte, bel exemple de simplification que nous ne cessons tous d’appeler de nos vœux. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue Jean-Marie Bockel, a reçu compétence, par une décision du bureau du Sénat de novembre dernier, d’évaluer et de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales. En tant que vice-président de cette délégation, chargé de la simplification des normes, j’ai souhaité constituer un groupe de travail qui, depuis bientôt quatre mois, s’attelle à la maîtrise de la prolifération normative.
L’effort de simplification engagé par le groupe de travail ne pouvant aboutir sans l’appui des acteurs de terrain, la délégation aux collectivités territoriales a souhaité inaugurer sa nouvelle mission en invitant les élus locaux à répondre à une consultation en ligne à ce sujet à l’occasion de la dernière édition du congrès des maires. Quelque 4 200 contributions ont été recueillies, les trois quarts émanant de maires. Elles ont permis d’identifier les secteurs dont la simplification est jugée prioritaire par les élus locaux : l’urbanisme, pour plus de 60 % d’entre eux ; l’accessibilité, à hauteur de plus de 30 % ; l’achat public et l’environnement, autour de 20 % chacun. En outre, 900 commentaires ont été apportés. Ils sont riches d’enseignements sur l’état d’exaspération des élus face à des normes qui freinent l’action et grèvent les finances des collectivités territoriales.
Fort de ce constat, la délégation aux collectivités territoriales a entendu agir sur le flux de normes ; le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a constitué pour elle une parfaite entrée en matière. Aussi la délégation a-t-elle confié à mon collègue Philippe Mouiller et à moi-même la rédaction d’un rapport sur les dispositions de ce projet de loi applicables aux collectivités territoriales. Au total, huit propositions avaient été satisfaites à l’issue des travaux des commissions saisies au fond, deux amendements ont en outre été adoptés en séance publique. Si ces résultats encore modestes ne sont pas à la hauteur de nos espérances, notre intervention aura au moins permis de faire de la complexité normative un élément incontournable du débat législatif.
Parce qu’il est essentiel de poursuivre cet effort, j’entends défendre quelques propositions de simplification à l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Mais il importe aujourd’hui d’aller plus loin, en se penchant non sur le flux, mais sur le stock de normes. La délégation aux collectivités territoriales prendra toute sa part dans ce travail de simplification du droit en vigueur. Je souhaite d’ailleurs présenter à l’automne prochain quelques pistes de simplification en matière d’urbanisme et d’aménagement, afin de répondre de manière concrète et ciblée aux préoccupations qui ont été exprimées par les élus locaux. Pour ce faire, je m’appuierai sur l’excellent travail de notre collègue Éric Doligé en ce domaine.
La délégation aux collectivités territoriales ne peut, à elle seule, faire avancer le chantier de la simplification du stock de normes ; le Conseil national d’évaluation des normes doit également pouvoir y contribuer pleinement, à condition – j’y insiste – qu’on lui donne des moyens humains et financiers plus importants pour exercer sa mission. Or, comme cela a été rappelé, le décret du 30 avril 2014 pris en application de la loi du 17 octobre 2013 est venu encadrer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent demander au Conseil national d’évaluation des normes d’évaluer une norme réglementaire en vigueur et a rendu impraticable la saisine du CNEN par ces dernières. En résulte une situation paradoxale : les élus locaux sont largement exclus d’un outil que le législateur avait pourtant créé à leur attention, à la suite des états généraux de la démocratie territoriale de 2012. À l’époque, on parlait du « choc de simplification » !
Il est regrettable que la proposition de loi de nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, qui, rappelons-le, fut adoptée dans un fort esprit de consensus au Sénat et dont la lettre est pourtant claire – elle tient en deux articles –, ait vu sa portée ainsi amoindrie. C’est pour remédier à cette situation que nous avons souhaité avec le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Jean-Marie Bockel, présenter la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du CNEN dont nous débattons aujourd’hui.
Le texte qui résulte des travaux de la commission des lois améliore indéniablement la proposition de loi initiale. Il résout en particulier de façon plus efficace la difficulté résultant de l’exigence, imposée par le décret du 30 avril 2014 à l’auteur d’une saisine, de produire une fiche d’impact de la norme contestée. Si l’on admet volontiers que l’auteur d’une saisine ait l’obligation de la motiver, il incombe en revanche à l’administration à l’origine de la norme, et non à l’auteur de la saisine, d’apporter au CNEN les éléments techniques et financiers nécessaires à la conduite de l’évaluation. Dans la mesure où l’administration a réalisé une étude d’impact avant l’édiction de la norme, il est logique qu’elle en mesure également les conséquences a posteriori.
Cette modification de bon sens est de nature à simplifier la faculté pour les collectivités territoriales de saisir le CNEN, les plus petites communes ne disposant souvent pas des moyens humains et des ressources juridiques suffisants pour produire une fiche d’impact étayée. Elle est également susceptible de faciliter l’exercice par le CNEN de sa mission d’évaluation des normes réglementaires, puisque les rapporteurs qu’il désigne afin d’instruire les demandes et d’élaborer un projet d’avis ne bénéficient pas toujours d’une information complète et de qualité. C’est pourquoi il est légitime d’attribuer à l’administration, dans le déroulement de la procédure d’évaluation, une « charge de la preuve » de la qualité et de l’efficacité de la norme. On ne peut donc qu’approuver la formulation adoptée sur ce point par la commission des lois visant à inverser la charge de la preuve vers l’administration.
Le texte issu des travaux de la commission des lois complète également la proposition de loi initiale en matière de normes relatives aux équipements sportifs, à la suite de l’adoption de l’un de mes amendements. Ces dispositions, dont l’incidence financière est souvent élevée, sont une source d’inflation normative bien connue des élus locaux.
Alors que la gestion des équipements sportifs est assurée à hauteur de 85 % par les collectivités territoriales – cette participation financière est donc très importante –, ces normes sont soumises non à l’avis du CNEN, mais à celui d’une structure dédiée que vous avez évoquée, monsieur le secrétaire d’État, à savoir la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Un lien existe tout de même entre ces deux instances, puisque la CERFRES peut soumettre, sur décision de son président ou à la demande d’un tiers de ses membres, certains projets de normes à l’avis préalable du CNEN. Mais c’est rarement le cas ! Aussi est-il justifié que la remise d’un avis par le CNEN, préalablement à celui de la CERFRES, ne soit plus l’exception mais devienne la règle. On ne peut que souscrire à la disposition adoptée sur ce sujet par la commission des lois. Il y aura donc désormais un double avis.
Si ces deux avancées sont appréciables et compléteront utilement la procédure d’instruction et le champ de compétences du CNEN, le texte proposé par la commission de lois pourrait néanmoins être amélioré sur deux points précis, sur lesquels j’ai déposé des amendements.
Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi introduisait la possibilité de confier aux associations d’élus locaux le droit de saisir le CNEN sur le stock de normes. La possibilité d’une saisine par les associations d’élus me paraît indispensable, puisque celles-ci disposent d’une connaissance des problématiques locales et de moyens d’expertise juridique qui font d’elles des acteurs incontournables de la lutte contre l’inflation normative. Cette saisine aidera le Conseil national d’évaluation des normes à gérer rationnellement l’afflux éventuel de saisines dispersées. C’est pourquoi j’ai souhaité déposer un amendement au texte de la commission, afin de rétablir pour les associations nationales la possibilité d’adresser une demande d’évaluation au CNEN.
Un autre changement intervenu à l’occasion de l’examen du texte en commission est l’inscription, dans le code général des collectivités territoriales, d’un alinéa indiquant que « les demandes d’évaluation sont motivées ». Bien que la codification de cette obligation de motivation ne pose pas problème en soi, elle ne doit pas être perçue pour autant comme un obstacle à la saisine du CNEN par les collectivités territoriales. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à préciser que cette motivation est « succincte », pour éviter qu’elle ne devienne un pensum.
Je forme le vœu que ces deux amendements aient une issue favorable. Les collectivités territoriales attendent que l’effort de simplification, dont tout le monde reconnaît la nécessité, aboutisse à des résultats concrets et visibles sur le terrain. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, pour vous avoir auditionné, que vous souhaitez ardemment avancer dans cette voie. Faisons donc du Sénat le moteur de la simplification des normes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est souvent reproché aux écologistes d’avoir un goût immodéré pour la norme. Force est de l’admettre, il s’agit fréquemment du seul outil dont on dispose pour protéger ce bien commun qu’est l’environnement. Parce que tout le monde peut utiliser ce bien commun pour son profit individuel, il est indispensable que des règles collectives, en l’occurrence souvent des normes, en régulent l’exploitation afin d’en préserver la qualité.
Ce rappel étant fait, je souligne que les normes dont nous débattons aujourd’hui ne s’inscrivent pas réellement dans ce cadre. Elles s’appliquent non pas directement à l’environnement mais aux collectivités territoriales en général. En outre, elles procèdent moins d’une régulation collective que d’une mécanique de gestion administrative et juridique de plus en plus complexe. Y compris dans ce contexte, la norme n’est pas, par principe, un mal à bannir. Elle peut permettre de rationaliser certaines procédures, d’uniformiser des pratiques trop discordantes, de mieux assurer la sécurité de nos concitoyens, voire de protéger les élus locaux dans l’exercice de certaines responsabilités juridiques délicates.
Cela étant, le constat est, aujourd’hui, assez largement partagé : l’usage des normes applicables aux collectivités territoriales est, hélas ! devenu déraisonnable. Certaines normes sont superfétatoires, d’autres sont disproportionnées, et leur volume incontrôlé entrave le respect du principe de subsidiarité, selon lequel toute décision publique doit être prise à l’échelon le plus bas possible. Je ne vous cache pas que les écologistes sont également très attachés à ce principe.
Les précédents orateurs l’ont rappelé, les travaux du Sénat ont, depuis longtemps, fort utilement documenté ce problème. Ils ont également contribué à le résoudre, par la création, en 2008, de la Commission consultative d’évaluation des normes. Toujours sur l’initiative du Sénat, la CCEN a été transformée, via une proposition de loi de 2013, en une instance à l’ambition et aux pouvoirs élargis : le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.
En portant le regard extérieur qui le caractérise sur l’impact et l’intérêt des normes applicables aux collectivités, le CNEN permet d’amorcer un tri entre le bon grain et l’ivraie, non seulement dans les projets de normes mais aussi dans le foisonnement de normes déjà instaurées. Mais, car il y a un « mais », le décret auquel renvoyait la proposition de loi de 2013 a fixé des modalités de saisine restrictives.
Premièrement, les collectivités requérantes ont pour obligation d’asseoir leur saisine sur des « motifs précisément étayés », qu’elles n’ont pas forcément les moyens et l’expertise d’établir.
Deuxièmement, et surtout, elles sont tenues de réunir pour toute saisine au moins cent maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale, ou dix présidents de conseil général, ou deux présidents de conseil régional – en tant que telles, les équivalences établies entre les différents niveaux de représentation ne manquent pas d’intérêt…
Or ces limites à la saisine du CNEN ont été introduites dans le décret d’application sans aucune référence à l’esprit qui avait présidé aux travaux du législateur. On se heurte, de ce fait, à une difficulté de principe à laquelle nous nous trouvons très souvent confrontés. Les limites respectives des domaines de la loi et du règlement, définis par les articles 34 et 37 de la Constitution, sont de fait assez floues. Ainsi, l’exécutif a beau jeu, au cours des débats parlementaires, d’exciper de l’exclusivité de son pouvoir réglementaire pour conserver une marge de manœuvre, dont cette discussion permet de constater qu’elle peut être utilisée à mauvais escient. Il me semble donc important que le Parlement ose affirmer son pouvoir de législateur, même lorsque sa volonté trouve sa concrétisation dans des mesures situées au confluent des domaines de la loi et du règlement.
J’en reviens au fond des dispositions qui nous sont soumises.
La présente proposition de loi vise à revenir sur ces limitations, fixées par décret, à la saisine du CNEN. Toutefois, comme l’a fait remarquer le président de cette instance, Alain Lambert, il convient de veiller à ce que l’assouplissement des conditions de saisine du CNEN ne conduise pas à son engorgement rapide. Plusieurs mesures allant en ce sens ont donc été introduites en commission, cette fois par le législateur.
Tout d’abord, le champ de saisine du Conseil national d’évaluation des normes a été limité aux textes réglementaires ayant un impact technique et financier sur les collectivités locales.
Ensuite, une motivation « simple », et non plus « précisément étayée », a été préservée pour toute saisine.
En outre, une analyse peut désormais être commandée par le CNEN à l’administration qui est l’origine de la norme, de telle sorte que sa création, et non plus sa suppression, soit justifiée.
Enfin, la proposition de loi limite le recours aux saisines en urgence du Conseil national d’évaluation des normes et, même pour ces procédures d’urgence, elle impose des délais incompressibles plus raisonnables que ceux actuellement en vigueur. Osons le dire : le Parlement lui-même est malheureusement habitué à ces délais déraisonnables, qui lui sont bien souvent imposés pour délibérer sur des projets de loi, alors même qu’il y a très peu de véritables urgences législatives. J’ai encore à l’esprit l’exemple du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont la création engageait la bagatelle d’une vingtaine de milliards d’euros et qui fut introduit au Parlement par un amendement du Gouvernement, déposé séance tenante sur un projet de loi de finances rectificative...
Les membres du groupe écologiste voteront naturellement la proposition de loi émanant des groupes UDI-UC et UMP, pour la simple et bonne raison qu’elle contient des mesures positives. Reste que j’ai entendu les propos de M. le secrétaire d’État, et je note son intention de nous aider à aller plus vite, en rectifiant le décret. L’unanimité qui semble se dessiner dans cet hémicycle en faveur de cette proposition de loi permettra au Gouvernement, lors de la réécriture de ce décret, de ne plus oublier ce qu’est l’esprit d’un texte voté par le législateur. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Très bien !
M. Joël Labbé. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis des années, les conséquences de la prolifération normative et de l’insécurité juridique qui en résulte nourrissent un flot croissant de critiques. Nous dressions déjà ce constat en 2013. Aujourd’hui, nous observons que les textes qui nous sont soumis ont de plus en plus d’articles. Le projet de loi Macron, dont nous venons d’achever l’examen, en compte près de 300. Le projet de loi NOTRe, qui, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, reviendra mardi prochain en deuxième lecture dans cet hémicycle, n’échappe pas à la règle, même s’il ne tombe pas dans cet excès. N’oublions pas non plus les projets de loi de simplification du droit. Ces textes, qui visent à mettre un terme à l’inflation législative, pourraient être résumés par cette formule : pour faire moins de normes, faisons plus de normes !
Ces législations infligent aux collectivités territoriales des obligations toujours plus nombreuses. Ces dernières se traduisent par autant de coûts supplémentaires ou d’allongements des délais de procédure. Néanmoins, cette inflation normative ne nous semble pas due, comme l’indique le rapport, au seul « zèle normatif » des administrations centrales et déconcentrées de l’État, un zèle qui serait fondé sur une « croyance inconditionnelle » dans la capacité des normes à « améliorer l’intérêt général ». Cette vision caricaturale minimise l’exigence de clarté du droit figurant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il n’y a pas de « volonté perverse de quelques administrateurs » mais une volonté de l’ensemble des fonctionnaires, quel que soit le service auquel ils appartiennent, de bien faire, de produire la norme la meilleure, et ce au service de la sécurité juridique.
Nous approuvons la création du CNEN. Toutefois, même si sa saisine est élargie, cette instance ne suffira pas à desserrer l’étau normatif dans lequel les collectivités territoriales sont prises.
Nous l’avons déjà dit lors des débats de 2013 : nos concitoyens exigent toujours plus de sécurité, au sens large du terme. Ces attentes sont elles-mêmes alimentées par des peurs, lesquelles sont entretenues par des discours alarmistes et catastrophistes. Cette demande de sécurité émise par les citoyens est relayée par les pouvoirs publics, lesquels se font l’écho des inquiétudes de la population par l’adoption de nouvelles normes. J’ajoute que les médias ont, en la matière, leur part de responsabilité. Que ce soit dans la presse écrite ou dans les émissions télévisées, cette interrogation est omniprésente : « Mais que font les pouvoirs publics ? » À chaque instant, pour chaque incident de la vie, on exige que l’action publique garantisse davantage de sécurité, ce qui incite à aller toujours plus loin sans jamais revisiter l’existant.
Toutefois, les normes ne sont pas seules en cause dans la perte de liberté des autorités locales. Un autre facteur, ne relevant ni de la loi du 17 octobre 2013 ni de la présente proposition de loi, est la multiplication des cartes, des schémas et autres découpages du territoire.
M. Rémy Pointereau. C’est vrai !
Mme Cécile Cukierman. Nous évoquerons de nouveau cette question la semaine prochaine.
La multiplication des schémas, par exemple, a pour effet de renforcer les obligations et les interdictions, qui, même si elles sont sans incidences financières directes, accentuent la perte de liberté locale en imposant des contraintes dans tous les domaines.
M. Jean-Claude Requier. Exact !
Mme Cécile Cukierman. Enfin, comment assurer la simplification administrative attendue sans amoindrir la légitimité de l’action publique, placée « au service d’une société solidaire et de progrès » ?
Ne perdons jamais de vue que, si la norme peut être contraignante à l’égard des uns, elle peut protéger les autres à plus long terme. Parallèlement, nous devons garantir les moyens nécessaires à la mise en œuvre des normes : faute de quoi nous risquons d’aggraver les inégalités dans nos territoires.
Tel est le difficile équilibre qu’il nous faut systématiquement chercher à atteindre. Telle est la problématique à laquelle nous devons répondre.
Les difficultés auxquelles les élus locaux se heurtent au quotidien sont réelles, mais leur exacerbation est, en grande partie, liée à l’insuffisance des moyens financiers dont disposent les collectivités. De surcroît, comme nous l’avions indiqué lors de la création du CNEN, cette évolution est due au retrait de l’État et à la disparition de son soutien technique dans nos départements, depuis la mise en œuvre de la RGPP, la révision générale des politiques publique. En effet, si les collectivités sont en difficulté, ce n’est pas tant à cause de la prolifération législative que du fait du désengagement de l’État, lequel prend diverses formes : suppression de dotations et de subventions, transferts de compétences aux collectivités sans compensation financière pleine et entière, etc. De nombreuses communes sont confrontées à la complexité technique des projets qu’elles ont à mener. Alors que les fonctionnaires de l’État pouvaient jouer un rôle de conseil, de contrôle et d’orientation, les communes se sont retrouvées seules. Aujourd’hui, les directions territoriales de l’État ne peuvent plus répondre aux demandes des collectivités.
La présence de l’État s’est réduite, mais le besoin d’accompagnement et de conseil qu’éprouvent les maires n’a pas diminué pour autant. Ce retrait de l’État a été opéré au bénéfice de consultants, plus ou moins aguerris et formés, d’agences privées qui prolifèrent et facturent, bien entendu, tous les services qu’elles rendent. Le coût des projets s’en trouve renchéri, au titre de l’investissement comme des frais de fonctionnement, les temps d’études rallongés, favorisant la « réunionnite », et l’exacerbation des élus locaux accentuée.
C’est en rendant aux collectivités territoriales les moyens de faire face aux exigences législatives que nous ferons disparaître la principale source du problème – la principale mais non la seule, j’insiste sur ce point. La prolifération législative est réelle, et la concertation et l’alerte sont les meilleurs remèdes contre l’empilement des normes.
J’en reviens plus précisément à la proposition de loi dont nous débattons et qui porte, essentiellement, sur les modalités de saisine du CNEN.
Nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer, nous reconnaissons que des progrès significatifs ont été accomplis au cours des dernières années, notamment grâce au CNEN et à la commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs – je ne reviendrai pas sur la question des paniers de basket-ball, dont nous avons déjà longuement débattu… Ces instances ont permis de faire évoluer les méthodes de travail des administrations centrales. Désormais, ces dernières s’interrogent davantage sur l’utilité des textes qu’elles produisent et évaluent les conséquences techniques et budgétaires des prescriptions qu’elles énoncent.
Dès lors, nous souscrivons pleinement à la nécessité de rappeler la faculté de saisine du CNEN par toute collectivité territoriale et par tout EPCI. Nous soutenons l’élargissement de la saisine à l’ensemble des parlementaires et aux associations d’élus, de même que la suppression de toute mention d’un décret d’application, le décret ayant outrepassé l’intention du législateur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Tout à fait !
Mme Cécile Cukierman. De même, nous approuvons les précisions apportées quant à la motivation des avis du CNEN et à l’encadrement du recours à la procédure d’urgence. Ces dispositions permettront de renforcer le rôle d’expertise et d’alerte du Conseil national d’évaluation des normes.
Néanmoins – je l’ai indiqué en ouvrant mon intervention –, gardons à l’esprit que, derrière le rejet des normes par les élus, se cache la difficulté de mise en œuvre de l’action publique au sein des territoires. Comme en 2013, nous devrons veiller à ce que les recommandations du CNEN n’aboutissent pas à une forme de déréglementation ou de dérégulation, qui conduirait à reléguer les objectifs d’accessibilité ou de sécurité, les normes sanitaires ou de protection de l’environnement.
Ces réserves étant émises, j’indique que les membres du groupe CRC voteront la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une proposition de loi pour simplifier la saisine du Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, c’est le comble du comble. Voilà où nous mène l’édiction de décrets d’application qui vont au-delà de la loi et l’interprètent à leur façon !
Ces décrets, qui méconnaissent l’esprit de la loi, sinon sa lettre, s’apparentent à l’élaboration d’une véritable loi administrative. Ce genre de pratique de l’administration ne devrait pouvoir se répéter encore à l’infini. Aujourd’hui, notre assemblée est contrainte de se pencher de nouveau sur un sujet dont elle a déjà débattu, sur lequel le Parlement s’est prononcé et dont la lettre comme l’esprit avaient été fixés par les débats parlementaires. Si la Ve République a mis en place des mécanismes de parlementarisme rationalisé, peut-être faudra-t-il penser à mettre en œuvre des mécanismes d’administration rationalisée !
Nous avons déjà, lors des cinq lois de simplification qui se sont succédé depuis 2012, soulevé le fait que c’est le plus souvent le fonctionnement de l’administration qui est en cause, du fait de rigidités structurelles, de certains comportements ancrés dans la pratique et même, pourrait-on dire, d’un certain esprit administratif. Une grande majorité des 900 propositions de simplification contenues dans le programme pluriannuel qui met en œuvre le choc de simplification est d’ordre réglementaire. C’est, par exemple, largement le cas en matière d’environnement, d’urbanisme, de fiscalité et de déclarations des entreprises. Ces dernières doivent plusieurs fois par an communiquer leur chiffre d’affaires, leur respect des normes environnementales ou paritaires, tout cela du fait de l’administration !
Au même titre que les acteurs économiques, les collectivités territoriales sont affectées par le fléau de l’inflation normative. Le seul code général des collectivités territoriales compte 3 500 pages, et ce n’est pas, loin s’en faut, l’unique code applicable dans les collectivités locales : il faut y ajouter le code électoral, le code de l’urbanisme, le code de la construction et de l’habitation, le code de l’environnement, le code de la fonction publique… Selon le rapport de M. Belot, « les 163 projets de normes de l’État qui ont donné lieu à une évaluation en 2009 représentaient plus de 580 millions d’euros [...] ; pour 2010, le coût des 176 projets évalués représentait 577 millions ». Il faut aussi rappeler l’impact financier pour les collectivités territoriales des décrets d’application de la loi Grenelle 2, qui a nécessité plus de 250 décrets et arrêtés. Espérons que la future loi relative à la transition énergétique n’aura pas les mêmes effets dommageables. En tout cas, nous sommes sans illusion sur les effets sur nos collectivités de la « clarification » des compétences qu’opère l’actuelle réforme territoriale.
Le Conseil national d’évaluation des normes est issu d’une proposition de loi sénatoriale déposée en novembre 2012 sur l’initiative de nos excellents collègues Jacqueline Gourault, qui préside ce soir la séance, et Jean-Pierre Sueur, qui siège aujourd’hui au banc de la commission. De façon emblématique, comme le souligne l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, le décret portant application de la loi du 17 octobre 2013 méconnaît l’objectif de simplification que cette loi portait. A contrario de la volonté du législateur, ce décret multiplie les conditions de saisine. Il impose, pour qu’une demande d’évaluation soit examinée, la signature d’au moins cent maires et présidents d’établissement public de coopération intercommunale, ou de dix présidents de conseil général, ou de deux présidents de conseil régional, mais aussi la réalisation d’une fiche d’impact présentant entre autres éléments « ses motifs précisément étayés ».
Autant dire que la loi est vidée de sa substance et que le décret d’application fait du Conseil national d’évaluation des normes une simple coquille vide. Autant dire que l’administration craignait des saisines intempestives de la part des élus et tenait à limiter au maximum l’exercice de ce droit créé par la loi. Cette complexification inexpliquée de la saisine du Conseil national d’évaluation des normes montre une certaine défiance envers les élus locaux. Nous saluons donc l’initiative de nos collègues Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau en même temps que nous déplorons d’être obligés d’y recourir. La navette parlementaire devra être succincte et diligente, puisque nous avons déjà débattu à plusieurs reprises de ce sujet.
Le groupe du RDSE votera à l’unanimité le présent texte. Nous espérons ainsi pouvoir faire mentir la définition humoristique que donnait de l’administration l’économiste Georges Elgozy : « Mot femelle qui commence comme admiration et finit comme frustration ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC et du groupe écologiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très belle citation !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les élus des collectivités locales se plaignent depuis longtemps de l’inflation des textes normatifs. Rappelons d’abord que nombre de normes sont justifiées par des raisons tenant, par exemple, à la sécurité, à la santé ou à la préservation de l’environnement. Toutefois, à côté de ces normes nécessaires, d’autres sont plus discutables ou, du moins, leur nécessité peut être remise en cause. Ainsi, beaucoup d’élus se sont plaints de l’édiction de nouvelles normes en matière sportive qui imposent aux communes de modifier les panneaux d’affichage des résultats pour que leur stade soit homologué et puisse accueillir des compétitions d’un certain niveau. De telles décisions peuvent paraître judicieuses aux associations ou aux instances qui les ont prises, mais elles induisent des coûts qui s’imposent aux élus et pèsent sur les contribuables. Autrement dit, si certaines normes sont indispensables, d’autres ne le sont pas et leur mise en œuvre peut très légitimement donner lieu à des discussions au regard des contraintes et coûts qu’elles induisent.
Lors des états généraux de la démocratie territoriale qui ont été organisés au Sénat en 2012 sur l’initiative de Jean-Pierre Bel, alors président de notre assemblée, deux points majeurs sont apparus. Ils reflétaient les préoccupations de milliers d’élus qui, dans chaque département de France, avaient participé à ces états généraux. Le premier concernait les conditions d’exercice des mandats locaux, ce qu’il est convenu d’appeler le statut de l’élu ; le second avait précisément trait aux normes applicables aux collectivités locales. Il fut alors demandé à deux de nos collègues – Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur – d’élaborer des propositions de loi susceptibles de faire évoluer les choses sur ces deux points.
Le premier de ces deux textes, la proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, a enfin été adopté en seconde lecture à l’Assemblée nationale, après une trop longue attente. Une commission mixte paritaire a eu lieu. Le texte a été promulgué, et la loi est aujourd’hui en vigueur.
Le second texte, la proposition de loi portant création d’un Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, a été adopté plus rapidement. Il accorde des pouvoirs plus étendus à ce conseil national qu’à l’instance qui existait précédemment. Il lui donne mission d’étudier l’ensemble des projets de textes législatifs et réglementaires instituant des normes applicables aux collectivités locales. Ainsi, c’est en amont que de nouvelles normes éventuelles sont étudiées par une instance représentative des élus locaux qui peut faire toute observation utile quant à l’opportunité des projets de normes eu égard aux coûts et aux contraintes qu’elles sont susceptibles d’induire. De surcroît, le Conseil national d’évaluation des normes peut se saisir non seulement des normes qu’il est prévu d’édicter, mais aussi du stock des normes en vigueur dans les lois ou les textes à caractère réglementaire.
Les sénateurs, qui représentent, selon la Constitution, les collectivités territoriales de la République, se sont, à juste titre, réjouis de la promulgation de ce texte, qui avait d’ailleurs été adopté par notre assemblée à l’unanimité. Or il se trouve que le décret publié pour appliquer cette loi n’a respecté, comme cela a déjà été très bien dit par les orateurs précédents, ni l’esprit ni la lettre de la loi votée. Ainsi, aux termes de ce décret, pour que le Conseil national d’évaluation des normes puisse être saisi d’une ou de plusieurs normes prévues ou existantes, il faut que cent maires soient cosignataires de la saisine, ou encore dix présidents de conseil général – aujourd’hui conseil départemental – ou deux présidents de conseil régional. Ni la proposition de loi ni le texte voté au Sénat ne prévoyaient une telle disposition, qui n’a pas même été évoquée au cours des débats parlementaires. Ce décret fixe donc des conditions bien plus restrictives que le législateur ne l’a souhaité pour la saisine du CNEN.
C’est donc à bon droit que nos collègues Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau ont déposé une proposition de loi tendant à inscrire dans la loi que chaque commune, quelle que soit sa taille, chaque établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, chaque département, chaque région pourra saisir directement le CNEN. Je tiens à dire ici que le groupe socialiste soutient pleinement cette initiative, qui vise à faire respecter ce que le législateur a voulu.
M. Rémy Pointereau. Bravo !
M. Jean-Yves Leconte. De même, notre groupe soutient les autres modifications au texte de la proposition de loi qui ont été proposées par le rapporteur et approuvées par la commission des lois. Il faut éviter d’engorger le CNEN, qui est aujourd’hui saisi obligatoirement de tout texte réglementaire relatif aux collectivités locales. Il est donc logique qu’il ne soit saisi que des projets de textes réglementaires ayant un impact sur les normes.
Nous approuvons également les modifications proposées en matière d’examen d’un texte en urgence, sur l’initiative du Premier ministre. Nous ne méconnaissons pas l’urgence qui peut s’imposer pour des circonstances diverses, parfois graves, mais nous considérons que, en tout état de cause, un temps minimal doit être laissé au CNEN pour qu’il puisse s’acquitter correctement de sa mission.
Au total, il s’agit de dispositions pragmatiques. La prolifération de normes discutables et dont la nécessité ne s’impose pas peut porter tort aux normes qui, elles, sont indispensables. La démarche que met en œuvre la présente proposition de loi s’inscrit dans le droit fil de la proposition de loi élaborée par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, dans le droit fil des conclusions des états généraux des collectivités territoriales et dans le droit fil des débats du Sénat. Il s’agit d’aider les élus locaux à accomplir leur mission. Ce faisant, le Sénat remplit pleinement la mission qui est la sienne, au service du bon fonctionnement de nos collectivités locales, et donc de notre République. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « [les normes], sujet rituel du congrès des maires de France, où chaque année – j’imagine – l’État s’engage avec des formules incantatoires ! “Jamais plus, toujours moins”... Mais je sais aussi que le poids de ces normes est devenu invivable : 400 000, c’est un frein inacceptable à l’initiative et à la compétitivité ». Ainsi s’exprimait le Président de la République devant les élus locaux le 20 novembre 2012. On ne saurait mieux dire. Tous les élus locaux ont naturellement applaudi, emportés par la même adhésion.
Par ailleurs, je pourrais égrener la longue liste de rapports, au demeurant d’excellente qualité, faisant peu ou prou le même constat. Le diagnostic est donc fort ancien pour un mal pernicieux et qui s’accroît au fil des années.
L’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » a pris un sens involontairement ironique ou sarcastique. En effet, comment imaginer connaître toutes les lois, règlements et normes applicables dans un domaine donné ? Pis, malgré les aides en tous genres, les codes, la facilité numérique et un personnel mieux formé qu’autrefois, des interrogations accrues surgissent. On ne sait si telle norme est applicable ou non, ni quelle norme appliquer lorsque deux d’entre elles paraissent contradictoires.
Au bout du compte, il y a matière à réflexion lorsque l’on songe que les lois de décentralisation ont supprimé la tutelle administrative et la tutelle financière, mais pas la tutelle technique et normative. Cette contrainte se voit renforcée depuis peu par la crise économique et le contexte budgétaire tendu, en particulier pour les collectivités locales, qui doivent faire face à la réduction programmée des dotations de l’État.
Dans ce contexte contraint, le Conseil national d’évaluation des normes est un organisme indépendant dont la mission est notamment d’étudier l’impact technique et financier des projets de normes réglementaires, législatives et communautaires applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. II peut aussi se saisir de l’évaluation du stock de normes réglementaires en vigueur.
La loi du 17 octobre 2013 a prévu que le CNEN peut être saisi par les collectivités territoriales ou leurs groupements, le Gouvernement et les commissions permanentes des deux assemblées parlementaires. La proposition de loi qui nous occupe aujourd’hui vient utilement poser la question des conditions de saisine du CNEN. Le décret d’application, publié le 30 avril 2014, a en effet fixé des conditions draconiennes et plus restrictives que celles initialement prévues par la loi. La présente proposition de loi supprime donc ces exigences contraires à la position du législateur. Toute collectivité territoriale ou tout EPCI doit pouvoir saisir le CNEN. Cette saisine est par ailleurs élargie à l’ensemble des parlementaires et associations d’élus locaux qui pourront ainsi consulter le CNEN sur le stock de normes en vigueur. Enfin, la proposition de loi supprime le recours à des mesures d’application par décret.
Au-delà de ces dispositions, la question de fond sous-jacente à la proposition de loi est de savoir si la nouvelle institution du CNEN est en mesure d’accomplir son écrasante mission et si ce conseil national est un instrument efficace de régulation de la production normative. Or la simple évaluation des effets d’une réglementation est une tâche complexe et lourde qui nécessite des études et du temps, d’autant que sa saisine par des collectivités territoriales ou par des associations d’élus amène nécessairement le risque d’être débordé par les demandes. Dispose-t-on des moyens humains et financiers pour faire face à cela ? Non, sans doute, surtout si les méthodes de travail de l’administration centrale restent les mêmes, d’autant qu’on peut douter que l’urgence, si souvent invoquée en l’espèce, soit entendue de la même façon par ces administrations que par les élus.
À ces considérations contingentes s’ajoutent des éléments objectifs : nos concitoyens pensent que la solution à un problème réside dans l’adoption d’une nouvelle norme, de préférence législative, qui entraîne généralement une cascade de normes subordonnées. Il y a là un phénomène d’auto-engendrement tout à fait pernicieux : la norme appelle la norme. Dans ces conditions, il y a fort à craindre que le CNEN se trouve rapidement congestionné.
L’enfer, ici comme ailleurs, est pavé de bonnes intentions. L’heure étant au latin, monsieur le secrétaire d'État, quod infernum sit in bonum intentiones contravit… Les meilleures dispositions d’esprit peuvent conduire aux pires résultats. Et quel résultat ! Aujourd’hui, notre pays a produit une espèce de pachyderme normatif, de plus en plus impotent, qui croule sous son propre poids, et on a le plus grand mal à le mettre à la diète !
Face à cet impératif de régulation de la production normative, un traitement homéopathique est insuffisant là où une thérapie génique s’impose. Car, finalement, cette situation témoigne d’une contradiction difficilement surmontable, entre l’égalité et la liberté locale, et qui a été mise en exergue par d’éminents professeurs de droit : « La décentralisation, comprise comme la recherche d’une autonomie, appelle une différenciation et que celle-ci ne peut que déboucher sur des différences qui sont ou deviennent des inégalités. L’égalité, de son côté, implique que la règle soit la même sur tout le territoire, qu’elle s’impose aux collectivités locales. Et comme l’on ne peut, aujourd’hui, accepter la centralisation, mais que les effets logiques d’une véritable décentralisation ne sont pas plus acceptés, on imagine des solutions de compromis, des équilibres, notamment financiers, avec les compensations et les péréquations de toutes sortes, tout cela avec l’accord implicite des citoyens qui veulent à la fois la liberté locale mais sans abandonner la sacro-sainte égalité. » Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que nous en soyons arrivés à cette situation inextricable.
L’une des hypothèses jusqu’à présent repoussée dans notre pays, qui a la « passion de l’égalité », comme chacun le sait, serait une différenciation de la « norme » en fonction « des » territoires. Nous sommes là au cœur des logiques contradictoires et contrariées. Mais voilà, cette différentiation normative serait un tel bouleversement sur le plan juridique qu’elle reviendrait à abandonner le principe d’uniformité appliqué depuis la Révolution. Les implications en seraient si considérables qu’une telle perspective appellerait inévitablement un débat national bien plus large que celui qui nous occupe aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le rapporteur et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du conseil national d’évaluation des normes
Article unique
L’article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
I (nouveau). – Le premier alinéa du I est ainsi rédigé :
« Le Conseil national d’évaluation des normes est consulté par le Gouvernement sur les projets de textes réglementaires créant ou modifiant des normes ayant un impact technique et financier pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics. »
II (nouveau). – Le III est ainsi rédigé :
« III. – La commission d’examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs soumet, avant de prononcer son avis définitif, tout projet de norme d’une fédération délégataire à l’avis du conseil national. »
III (nouveau). – Les deux premiers alinéas du V sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« V. – Le conseil national examine les demandes d’évaluation des normes réglementaires en vigueur applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics qui lui sont transmises par le Gouvernement, les députés et les sénateurs, les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
« Il examine les demandes d’évaluation de ces normes présentées par un ou plusieurs de ses membres représentant les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
« Les demandes d’évaluation sont motivées. »
IV (nouveau). – Le troisième alinéa du V est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette évaluation est effectuée sur la base d’une analyse réalisée par l’administration compétente à la demande du conseil national, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la demande par le conseil à l’administration concernée. »
V (nouveau). – Le VI est ainsi modifié :
1° La troisième phrase du premier alinéa est ainsi rédigée :
« Sur demande motivée du Premier ministre ou du président de l’assemblée parlementaire qui le saisit, ce délai peut être fixé à deux semaines. » ;
2° La première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée :
« En cas d’impérieuse nécessité et sur demande motivée du Premier ministre, ce délai peut être réduit sans être inférieur à quatre jours ouvrables. »
Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Pointereau, Doligé, Mouiller et Lefèvre, Mme Troendlé, MM. Jarlier et Maurey, Mme Cayeux et M. Bockel, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
, et les associations d’élus locaux
La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. L’alinéa 7 de l’article unique de la proposition de loi prévoit que les demandes d’évaluation adressées au Conseil national d’évaluation des normes peuvent être transmises par le Gouvernement, les députés et les sénateurs, ainsi que les collectivités territoriales et leurs groupements. Les associations d’élus ne peuvent donc pas être l’auteur de saisines. Nous proposons de leur ouvrir cette possibilité.
Cela étant, nous aurions dû préciser que seules les associations nationales d’élus locaux sont concernées, faute de quoi toutes les associations départementales pourraient aussi saisir le CNEN.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. Aussi, je rectifie l’amendement en ce sens, madame la présidente, afin qu’il soit plus précis.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Pointereau, Doligé, Mouiller et Lefèvre, Mme Troendlé, MM. Jarlier et Maurey, Mme Cayeux et M. Bockel, et ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
, et les associations nationales d’élus locaux
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement rectifié ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission demande à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Avec les modifications proposées par la commission, le Conseil national d’évaluation des normes pourra être saisi par toutes les communes, à savoir les 36 700 communes, y compris une commune de vingt habitants, tous les départements, toutes les régions,…
M. Éric Doligé. Il n’y en a plus que treize !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … toutes les intercommunalités à fiscalité propre, tous les députés, tous les sénateurs. Le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territorial pourra également s’autosaisir – chacun des membres pourra saisir le CNEN. Dans ces conditions, il ne nous a pas paru nécessaire d’ajouter les associations d’élus, d’autant que l’amendement initial visait toutes les associations, c'est-à-dire également les associations départementales.
J’observe que les associations d’élus sont des organismes de droit privé, qui n’ont pas de consécration législative : elles ne figurent pas dans les textes de loi.
Vous le savez, si l’une des associations que nous connaissons parfaitement, à laquelle nous avons adhéré et que l’un d’entre nous a parfois présidée, souhaite que tel problème soit soulevé devant le CNEN, elle n’aura aucune difficulté à le faire : tous ses membres pourront le faire.
Mme Françoise Gatel. Ce n’est pas pareil !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Telle est la position de la commission.
Cela dit, je prends acte, mon cher collègue, de la modification que vous avez apportée : l’amendement n° 2 rectifié bis restreint le champ, mais, en tant que rapporteur, je me dois de maintenir l’avis de la commission. La Haute Assemblée tranchera…
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. André Vallini, secrétaire d'État. Pour les raisons que vient excellemment d’exposer M. le rapporteur, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Bockel. La logique du raisonnement de M. Sueur est tout à fait respectable. Pour autant, si l’on veut, dans la pratique, que le travail se fasse, il faut impliquer les associations d’élus, qui sont capables de préparer et de suivre les demandes. Bien sûr, on peut toujours s’adresser à un élu, mais c’est une démarche simplifiée que l’on nous propose ici, même si ces associations, dont on peut limiter le nombre, ne figurent pas formellement dans les textes de loi.
Au fond, l’amendement de notre collègue Rémy Pointereau, que nous avons été plusieurs à cosigner, vise à simplifier la méthode.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je tiens à saluer l’extrême précision du rapporteur. Toutefois, même si je partage le souci de notre collègue de ne pas engorger le Conseil national d’évaluation des normes, il me semble plus simple que la contestation d’une norme portée par dix, vingt, cinquante ou soixante communes ne soit formulée que par le biais d’un seul canal, celui d’une association nationale. C’est pourquoi je soutiens cet amendement, qui constitue un élément facilitateur et simplificateur.
Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Pointereau, Doligé et Lefèvre, Mme Troendlé, M. Mouiller, Mme Cayeux et MM. Jarlier et Bockel, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par le mot :
succinctement.
La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. La commission des lois a prévu que les demandes soient motivées.
Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la demande d’évaluation adressée au CNEN par une communauté de communes, par exemple, ne doit pas se transformer en pensum. La motivation doit pouvoir se faire succinctement, en quelques lignes, nul besoin d’un rapport de cinquante pages.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Doligé. Succinctement ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je veux vous persuader, mon cher collègue, du bien-fondé de la position de la commission des lois, qui n’a pas retenu cet amendement.
Dès lors que l’on écrit dans la loi que la saisine est motivée, cela suffit : le texte peut ne comporter que trois lignes. Mais si vous inscrivez que la demande doit être motivée succinctement, cela signifie que, aux termes de la loi, la motivation devra forcément être succincte. Vous priverez ainsi certaines entités, telle une association d’élus, d’écrire une, cinq ou dix pages. Moi-même, j’estime qu’il serait vexatoire d’empêcher quelqu’un d’écrire cinq pages…
Mme Cécile Cukierman. Surtout vous ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Mon cher collègue, si l’on en reste à la rédaction proposée par la commission, je vous l’assure – le compte rendu fera foi –, la motivation pourra faire l’objet d’un texte très court ou plus long si telle collectivité, telle association ou tel parlementaire souhaite faire valoir davantage d’arguments.
Par conséquent, je sollicite le retrait de votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Sans être du parti socialiste, je propose d’ajouter un petit mot qui pourrait nous permettre de réaliser la synthèse. (Sourires.) Pourquoi ne pas écrire « même succinctement » ? Avec cette rédaction, les demandes d’évaluation pourraient être motivées en cinq pages, comme l’indique M. le rapporteur, ou en quelques lignes seulement, comme le souhaite M. Pointereau.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je serai succincte. (Sourires.)
Nous passons cet après-midi à examiner une proposition de loi dont l’objet est de contrer la rédaction d’un décret. J’ai toute confiance en M. Sueur, mais ce n’est pas lui qui sera chargé de lire les objets de motivation des demandes de saisine. Or il est tout à fait possible qu’une personne trouve l’un de ces objets trop succinct et écarte, de ce fait, la saisine du CNEN.
Par conséquent, je trouve que l’adverbe « succinctement » est génial en cet après-midi de simplification.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote.
M. Rémy Pointereau. Je trouve que la proposition de M. Requier répondrait à la problématique évoquée par M. le rapporteur. Ainsi, celui qui voudra motiver sa demande en faisant long pourra le faire, quand celui qui voudra faire court n’en sera pas privé non plus.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Malgré toute la sympathie que je porte à M. Requier, je rappelle que nous faisons la loi.
La proposition de loi prévoit que les demandes doivent être motivées. La motivation pourra donc faire l’objet d’un texte de quelques lignes – succinct, donc – ou d’une argumentation plus développée.
Mme la présidente. Permettez-moi d’intervenir, mes chers collègues. Tout cela n’est peut-être pas fondamental, monsieur Pointereau…
M. Rémy Pointereau. Non, en effet.
Mme la présidente. Vous retirez donc l’amendement ?
M. Rémy Pointereau. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.
L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 14
Remplacer le mot :
fixé
par les mots :
réduit sans être inférieur
II. - Alinéa 16
1° Remplacer les mots :
En cas d’impérieuse nécessité
par les mots :
À titre exceptionnel
2° Remplacer les mots :
sans être inférieur à quatre jours ouvrables
par les mots :
à soixante-douze heures
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État. Il convient de concilier deux impératifs : le Conseil national d'évaluation des normes doit exercer sa mission dans de bonnes conditions – c’est l’objet de la proposition de loi – et le Gouvernement doit pouvoir s’inscrire, notamment en cas de circonstances exceptionnelles, dans un calendrier resserré, voire parfois très resserré.
Si prévoir une demande motivée du Premier ministre pour la procédure d’urgence nous paraît constituer une bonne mesure, le délai minimum de quatre jours ouvrables pour l’extrême urgence est très contraignant et pourrait gêner le Gouvernement lorsqu’il se trouve confronté à une situation exceptionnelle. De surcroît, la référence aux jours ouvrables introduit un élément mouvant en termes de délai et peut, en pratique, conduire à un délai de six jours.
L’objet de cet amendement est donc d’accorder la gradation définie dans la proposition de loi avec les impératifs de délai auxquels le Gouvernement ne peut se soustraire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, vous jouez votre rôle de membre du Gouvernement, mais vous savez que cet amendement est contraire à la position de la commission. En effet, j’ai évoqué au cours de la discussion générale un événement qui a vraiment eu lieu. Le CNEN, en la personne de son président Alain Lambert, a été saisi du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte un vendredi soir.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Certes, mais cela s’est produit. Le Conseil national d’évaluation des normes a dû rendre un avis dans les soixante-douze heures ! Ce délai ne nous paraît vraiment pas raisonnable. Il convient de laisser le temps nécessaire à cette instance, qui a un rôle important à jouer, de travailler.
Nous sommes tout à fait d’accord avec le délai de saisine de quinze jours dans le cas d’une procédure d’urgence, mais nous demandons un délai de quatre jours ouvrables en cas de procédure d’extrême urgence, car un minimum de temps est indispensable pour examiner un projet de loi qui peut comporter plusieurs dizaines de pages ou un texte réglementaire qui peut être extrêmement complexe.
Mes chers collègues, je vous invite donc à ne pas adopter l’amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d'évaluation des normes.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la délégation à la prospective.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Robert del Picchia membre de la délégation à la prospective, en remplacement de Mme Natacha Bouchart, démissionnaire.
12
Protection des installations civiles abritant des matières nucléaires
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires (proposition n° 277, texte de la commission n° 447, rapport n° 446).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, déposée par M. Claude de Ganay et plusieurs autres députés, a été adoptée par l’Assemblée nationale au mois de février dernier.
La discussion de ce texte doit permettre d’en envisager tous les aspects concrets, car les enjeux associés à la sécurité des installations nucléaires françaises ne sauraient souffrir d’incompréhension au moment où, de manière globale, les intérêts de notre pays sont régulièrement pris pour cible.
La France attache la plus grande importance à la sécurité nucléaire, dans le respect de ses engagements et des recommandations internationales. Elle maintient dans ce domaine une vigilance particulière, en cherchant à adapter de manière constante son corpus réglementaire et législatif à la réalité des menaces ; j’en veux pour preuve le décret du 17 septembre 2009 relatif à la protection et au contrôle des matières nucléaires, de leurs installations et de leur transport.
Il est essentiel, pour faire ressortir clairement les enjeux de la présente proposition de loi, de rappeler le contexte dans lequel elle a été déposée.
Depuis le mois de décembre 2011, plusieurs actions d’intrusion ont été menées illégalement sur le site de différentes installations nucléaires civiles pour exprimer une contestation des choix énergétiques de la France. Si l’expression d’une opinion doit demeurer un droit fondamental lorsqu’elle s’accompagne d’actions pacifiques, elle ne doit pas prendre la forme d’une transgression des lois, et encore moins fragiliser les dispositifs que l’État met en place pour la protection de ses installations dites « d’importance vitale ».
En effet, les dispositifs actuels de protection de ces installations étant conçus pour parer à de multiples menaces de haute intensité, leur robustesse et les organisations qui les structurent ne doivent pas être détournées un seul instant de leur vocation initiale : la protection des matières nucléaires. Il est d’autant plus inacceptable qu’elles puissent l’être dans le contexte actuel de menace terroriste.
Quel citoyen français accepterait que la protection de nos installations nucléaires civiles ne soit pas optimale parce qu’on aurait laissé se dérouler illégalement une action de contestation militante qui peut être librement menée à l’extérieur du site ?
C’est dans le contexte particulier que je viens d’évoquer que l’État doit trouver un équilibre garantissant à la fois l’efficacité des dispositifs de protection et le respect des expressions démocratiques. Cette recherche d’équilibre nécessite de rappeler que la liberté d’expression doit être exercée dans le respect des lois : nous ne pouvons pas laisser croire que ces actions d’intrusion pacifique menées illégalement sont un moyen d’expression acceptable, surtout lorsqu’elles inspirent, à des individus ou à des groupes d’individus mal intentionnés, l’idée que nos installations seraient mal protégées et pourraient être facilement prises pour cible.
Le Gouvernement soutient pleinement les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale visant à renforcer la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, en particulier le durcissement des sanctions.
De la même manière, et bien qu’ils ne représentent aucune menace pour la sécurité des installations, les survols par des drones qui se sont multipliés à la fin de l’année dernière ont pu créer une certaine confusion. Il convient d’anticiper d’ores et déjà l’évolution de ce phénomène et de trouver dès que possible des réponses opérationnelles pour garantir à nos concitoyens que ces installations dites « sensibles » bénéficient des meilleures conditions de sécurité. Tel est l’objet de l’article 2 de la proposition de loi.
Le Gouvernement approuve l’équilibre sur lequel se fonde ce texte. Au titre des responsabilités de l’État, plus particulièrement des responsabilités relatives à la sécurité nucléaire exercées par Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, j’invite le Sénat à l’adopter, pour que nos installations soient entourées rapidement d’une protection plus efficace, car mieux adaptée aux menaces potentielles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont été visées par une quinzaine d’intrusions ou de tentatives d’intrusion menées par des militants antinucléaires. Celles-ci n’ont à aucun moment remis en cause la sûreté des installations ; tel n’était d’ailleurs pas l’objectif de ces actions militantes à visée contestataire, destinées à provoquer un fort retentissement médiatique.
Le 18 mars 2014, en particulier, une soixantaine de militants se sont introduits par la force, et même par la violence, jusqu’au sommet du dôme d’un réacteur et sur le toit de la piscine de stockage de la centrale de Fessenheim. À l’issue de la procédure judiciaire qui a suivi ces événements, le tribunal correctionnel de Colmar, au mois de septembre dernier, a reconnu coupables de violation de domicile cinquante-cinq de ces militants, dont trois seulement étaient présents à l’audience : il les a condamnés à des peines de deux mois de prison avec sursis.
Mes chers collègues, des sanctions de ce type ne sont pas suffisamment dissuasives, ce qui nous expose à la multiplication d’intrusions spectaculaires comparables à celles qui ont émaillé l’actualité de ces dernières années. Tel est le constat qui a inspiré la présente proposition de loi, que nous examinons en première lecture après que l’Assemblée nationale l’a adoptée le 5 février dernier.
Ce texte vise à renforcer la protection de sites qui se caractérisent tant par leur importance économique que par leur sensibilité du point de vue de la sécurité, puisque des matières radioactives y sont entreposées. Si ce renforcement est nécessaire, c’est parce que les actions des militants antinucléaires, même si elles ne représentent aucun danger direct, entraînent la mobilisation d’importants moyens humains et font courir des risques non seulement au personnel des installations et aux forces de sécurité qui y sont déployées, mais aussi aux militants eux-mêmes. De fait, les moyens mobilisés pour répondre aux intrusions sont détournés de leur vocation principale : la défense des installations contre le risque terroriste.
Je vous rappelle que la protection des installations nucléaires d’EDF est assurée par les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie, les PSPG, qui comptent 882 hommes et femmes formés par le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale, le GIGN. Quant aux sites non militaires du CEA, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, et aux sites d’Areva, ils sont protégés par des services internes de sécurité, les formations locales de sécurité, dont l’effectif total est de 1 300 agents. Le dernier maillon de la chaîne d’intervention est, dans le premier cas, le GIGN et, dans le second, le RAID, unité de la police nationale.
La vocation première du dispositif qui nous est soumis est évidemment de parer à la menace terroriste. Or les actions militantes, si elles se multipliaient, risqueraient à terme d’entamer la vigilance vis-à-vis du risque terroriste, qui n’est pas un risque théorique, comme l’ont montré les attaques perpétrées au mois de janvier dernier à Paris et en région parisienne.
Ces deux types de menaces appellent des réponses distinctes, adaptées et proportionnées aux risques respectifs qu’elles font courir. Or il faut bien le reconnaître, le droit pénal actuel ne permet pas de répondre aux intrusions récurrentes.
En effet, si des délits spécifiques sont prévus par le code de la défense afin de préserver l’intégrité des matières nucléaires, de protéger les zones militaires ou intéressant la défense nationale et de réprimer les destructions et dégradations, aucun des différents régimes de sanctions pénales ne permet de réprimer de façon satisfaisante les intrusions militantes commises dans les installations nucléaires. En conséquence, le juge pénal est contraint de retenir des qualifications juridiques inadaptées, telles que la violation de domicile ; cette méthode a été validée par la Cour de cassation en 2014.
C’est ainsi que des militants ont été condamnés à six mois d’emprisonnement avec sursis, une peine symbolique, pour dégradation en réunion et violation de domicile. Plus généralement, les affaires jugées à ce jour n’ont conduit qu’à des peines de prison avec sursis de deux à six mois, lorsque l’intrusion était accompagnée de dégradations, ainsi qu’à des amendes ou frais de procédure compris entre 1 000 et 3 000 euros.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que l’article 55 de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale a autorisé le Gouvernement à insérer par ordonnance dans le code de la défense et dans le code général des collectivités territoriales des dispositions visant à renforcer la protection des installations nucléaires. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a permis aux préfets de réglementer la circulation et le stationnement autour des installations. Reste que, s’agissant de dispositions pénales instaurant une nouvelle infraction, il est préférable de recourir à la procédure parlementaire.
La présente proposition de loi prévoit un dispositif échelonné de peines, fondé sur une peine de base : un an d’emprisonnement et une amende de 15 000 euros ; cette peine est équivalente à celle qui est prévue pour la répression de l’introduction sans autorisation en zone militaire ou de la violation de domicile. Elle est susceptible d’être aggravée en fonction des circonstances, en particulier si l’infraction est accompagnée de destructions, commise en réunion ou en bande organisée, ou associée à l’usage d’une arme.
Par ailleurs, le texte que nous examinons instaure des peines complémentaires, applicables non seulement aux personnes physiques, mais aussi aux personnes morales, ce qui permettra de sanctionner l’instigateur de l’action par des amendes susceptibles d’être très élevées, puisque leur taux pourra atteindre le quintuple de celui qui est prévu pour les personnes physiques.
Mes chers collègues, cette proposition de loi permet, je le crois, de répondre aux actes d’intrusion d’une manière spécifique, adaptée et proportionnée. Son adoption réduira le doute des forces de sécurité quant aux intentions réellement malveillantes des intrus, compte tenu du risque encouru, ce qui permettra aux dispositifs de sécurité de se focaliser sur leur mission première : la lutte contre le terrorisme.
Après l’adoption de ce texte, l’État aura pris les mesures qui sont de son ressort ; il pourra alors légitimement demander aux opérateurs d’accélérer les investissements en matière de protection physique passive des installations.
Enfin, et surtout, la proposition de loi ne prive en aucun cas les militants antinucléaires de leur liberté d’expression et de manifestation : comme M. le secrétaire d’État l’a souligné, ils pourront l’exercer dans un cadre légal à l’extérieur des sites.
J’en viens à présent à l’article 2 de la proposition de loi, aux termes duquel le Gouvernement devra déposer au Parlement, avant le 30 septembre 2015, un rapport sur la question des drones, qu’il est nécessaire de tirer au clair. De fait, une quarantaine de survols distincts et non revendiqués ont été répertoriés au-dessus de dix-neuf sites abritant des matières nucléaires depuis le mois de septembre dernier. Six centrales nucléaires ont notamment été survolées de façon simultanée le 31 octobre 2014. La base militaire de l’Île-Longue a également été survolée, les 26 et 27 janvier dernier. Tous sites confondus, soixante-sept survols illégaux ont été recensés.
Ceux-ci n’ont pas présenté de menaces directes. Toutefois, ce phénomène ne doit pas être minimisé ; il appelle une réflexion sur une nouvelle dimension de la sécurité aérienne, du fait de l’usage croissant des drones civils, professionnels ou de loisir. Notons que la détection des petits drones employés, volant à basse altitude, nécessite des investissements particuliers.
À la suite de ces survols, une démarche interministérielle a été engagée, sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, en vue d’identifier les adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises. Des projets de recherche ont été lancés ; des essais seront réalisés, afin de tester des outils de détection, d’identification et de neutralisation des drones. Il faut le souligner, une synergie est recherchée avec nos partenaires internationaux majeurs – c’est une bonne chose –, qui sont eux aussi confrontés au même problème.
Sur l’initiative de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, l’article 2 du texte que nous examinons vise à ce que le Parlement soit pleinement associé à cette démarche.
En conclusion, cette proposition de loi, utile, ne prétend pas pour autant apporter de réponse à l’ensemble des problèmes soulevés par la multiplication des intrusions et des survols d’installations sensibles. Ainsi, le statut juridique des drones devra probablement être précisé, de même que la formation et l’information de leurs pilotes, sans pour autant porter atteinte au développement économique de cette filière en pleine expansion. Les intrusions aériennes requièrent des évolutions des systèmes d’alerte et de détection, ainsi que des moyens de neutralisation.
Au-delà, l’évolution des menaces doit amener à également prendre en compte les problématiques de cybersécurité. Nous serons attentifs au renforcement de la sécurité des systèmes d’information des opérateurs d’importance vitale qui est prévu à l’article 22 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.
Ainsi, si cette proposition de loi ne répond pas à l’ensemble de ces enjeux, si elle doit probablement être complétée à l’avenir par d’autres dispositions, elle est néanmoins nécessaire et son adoption est opportune et même urgente. C’est la raison pour laquelle, vous l’avez parfaitement expliquée, monsieur le secrétaire d’État, je vous propose, mes chers collègues, que nous l’adoptions sans modification, cela afin que ses dispositions puissent entrer rapidement en vigueur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’industrie nucléaire française est le résultat de choix courageux réalisés par l’État dans les années cinquante dans le domaine militaire, puis dans les années soixante dans le domaine civil. Notre réseau de centrales nucléaires nous permet d’équilibrer nos besoins énergétiques en alimentant la demande continue d’énergie sur l’ensemble de notre territoire. Depuis soixante ans, le nucléaire fait partie de notre quotidien. C’est un héritage à entretenir et à transmettre, faute d’alternatives équivalentes, pour garantir à terme une véritable transition énergétique.
Toutefois, si cette technologie, assurant une part de l’indépendance énergétique de notre pays, est une réponse adaptée aux besoins des Français, elle présente des risques.
Depuis les événements de Fukushima, nous savons à quel point nos sociétés sont exposées au risque naturel, dont les conséquences, nous le savons également, peuvent être extrêmement graves sur un site nucléaire. Le risque n’est plus seulement lié à des défaillances techniques et humaines, comme ce fut le cas lors de la catastrophe de Tchernobyl ; il peut se présenter sous d’autres formes, que nous devons également prendre en considération.
À la suite des orientations historiques de sa politique énergétique, la France est devenue le pays le plus équipé. Elle est par conséquent particulièrement exposée.
À cet égard, l’Autorité de sûreté nucléaire applique de nouvelles normes afin de renforcer la sécurité de nos centrales. Toutefois, les questions sécuritaires demeurent face à de nouvelles menaces. Ainsi, nous devons rester en alerte au regard de l’activisme et du terrorisme, véritables défis. Nous savons à quel point notre pays est exposé à des attaques de natures diverses. Nous ne pouvons pas exclure le risque d’intrusion au cœur d’une centrale nucléaire, dont les conséquences pourraient provoquer des dommages à la fois irrémédiables et d’une ampleur sans précédent pour notre territoire.
Le risque nucléaire est imprévisible. Il peut prendre d’innombrables formes : la volonté de nuire, l’erreur humaine, la défaillance technique, une catastrophe géologique ou climatique. Il suffit qu’il se réalise une fois pour créer des dommages irréparables. Dès lors, tout doit être mis en œuvre pour faire face à cette menace et éviter le pire.
La proposition de loi relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires vise à sanctionner les auteurs d’actes présentant des risques identifiés, connus, prévisibles, en l’occurrence de malveillances intentionnelles, d’intrusions indésirables et d’infractions.
Il en va ainsi des survols de drones, phénomène nouveau. Près de soixante-sept survols, aux origines et intentions inconnues, nous conduisent à nous interroger. Personne ne peut dire qui sont les auteurs de ces actes : plaisantins en mal d’adrénaline, militants écologistes, industriels testant leur matériel, espions ou terroristes potentiels ? De même, la recrudescence d’intrusions de militants antinucléaires force à faire évoluer les dispositions applicables à la sécurité des sites.
Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il est urgent de résoudre le problème des incursions dans les centrales et du survol de celles-ci par des drones. En effet, si de tels agissements avaient des motivations plus dangereuses que celles qui sont constatées actuellement, la situation deviendrait critique. Protéger les centrales nucléaires est un enjeu de sécurité nationale.
Du côté des pouvoirs publics, le Livre blanc a bien mis en évidence que le nucléaire était un secteur vital pour notre pays, mais sensible au regard de l’impérieuse nécessité d’assurer la sécurité et l’approvisionnement énergétique. Notre droit positif, notamment le droit pénal, restait cependant désarmé face à cette nouvelle génération de risques.
Nous devons lever cette incertitude, en apportant à nos concitoyens des éléments de réponse aux craintes d’un attentat nucléaire sur notre sol. Il est nécessaire de préparer l’avenir et de parer les carences de notre système répressif en la matière. Face à cette nouvelle menace, l’inadaptation du droit pénal – cela a été rappelé – conduit le juge à retenir des qualifications sous-dimensionnées et inadaptées ; je pense notamment à la violation de domicile, prévue par l’article 226-4 du code pénal et punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Notre droit doit évoluer.
Par ailleurs, la sanction est d’autant moins dissuasive qu’elle ne s’applique que si l’effraction est constatée. Elle est répressive, mais elle ne dissuade ni le terroriste ni le militant antinucléaire.
Dans le prolongement des recommandations de l’Agence internationale de l’énergie atomique, la présente proposition de loi vise à instituer une infraction et des sanctions afin de protéger du risque d’intrusion les installations civiles abritant des matières nucléaires.
Le texte initialement déposé prévoyait de renforcer les conditions d’accès aux installations nucléaires civiles en classant celles-ci parmi les « zones de défense hautement sensibles ». Ce classement permet de dégager des militaires des pelotons spécialisés de protection de ces sites de toute responsabilité pénale et de les autoriser à faire usage de la force armée, si nécessaire, après avoir suivi un protocole bien établi.
Ce dispositif a profondément évolué lors de l’examen de la présente proposition de loi par l’Assemblée nationale. L’article 1er crée désormais un dispositif pénal spécifique au délit d’intrusion dans les installations civiles abritant des matières nucléaires. Il permet ainsi de graduer la gravité de l’effraction ; il prévoit un système de peines complémentaires et trois niveaux de circonstances aggravantes, pouvant porter les condamnations à plus de sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende.
Cette orientation nous paraît plus adaptée à une logique de dissuasion des incursions sauvages par le droit. L’Assemblée nationale nous a fourni un texte respectueux des libertés publiques et qui apporte des garanties à notre État de droit. Chacun demeure libre d’exprimer ses opinions et ses engagements politiques, mais dans la stricte voie de la légalité et dans le respect de la sécurité de tous. Les militants antinucléaires ne sont donc pas lésés.
Personne ne gagne à répandre la peur au sein de notre société. La peur elle-même n’est pas propice au débat démocratique. La question de la sûreté nucléaire est trop lourde de conséquences pour être traitée sous le coup de la panique et de l’angoisse des incursions militantes.
Cela étant, un équilibre normatif ressort du texte. C’est pourquoi, fort de ces avancées, le rapporteur et la commission ont fait le choix de ne pas modifier la présente proposition de loi et de se prononcer en faveur d’un vote conforme, afin d’en accélérer la promulgation.
Je tiens à saluer tout particulièrement la grande qualité du travail de Xavier Pintat, spécialiste reconnu de ces questions. En tant que rapporteur, il a sagement complété l’information mise à disposition par l’Assemblée nationale, tout en respectant la qualité du texte.
Aussi, compte tenu de l’urgence à prendre des mesures efficaces, les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur du renforcement de la sécurité des sites nucléaires, tel que prévu dans la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, nous examinons ce soir un texte qui fait largement consensus. Mon intervention sera donc en parfaite cohérence, pour ne pas dire redondante, avec celles des orateurs précédents.
Il s’agit, par cette proposition de loi, de renforcer la protection des sites nucléaires civils. Dans un contexte de risques accrus, dont les attentats du mois de janvier ont été un tragique révélateur, il est évident que ces sites hautement stratégiques et déterminants pour l’indépendance énergétique de notre pays doivent bénéficier d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics.
Néanmoins, la problématique est ancienne et aurait dû obtenir depuis longtemps une réponse de l’État. En effet, depuis 1996, les installations nucléaires civiles françaises ont connu près d’une quinzaine d’intrusions, ou tentatives d’intrusion, illégales. Il s’agissait certes d’actions militantes à visée contestataire menées par des activistes antinucléaires, donc a priori sans conséquence sur la sécurité des sites.
Il n’en reste pas moins que ces intrusions sont préoccupantes. Ces groupes d’activistes sont souvent multinationaux ; ils peuvent être infiltrés par des éléments non pacifiques, et le risque de voir de faux militants se mêler à ces organisations ne peut être totalement écarté. Par ailleurs, si un militant pacifique est capable de pénétrer dans ces sites, comment un terroriste, disposant de beaucoup plus de moyens et mal intentionné qu’il est, pourrait-il en être empêché ?
Sans tomber dans la paranoïa excessive, même si, à ce jour, aucune de nos centrales n’a eu à subir d’attaque ou de sabotage, il n’est nul besoin de rappeler que le risque terroriste est bien présent et plus que jamais d’actualité. Des attaques ont d’ailleurs visé des installations énergétiques à l’étranger ces dernières années : en 2010 dans le Caucase russe, en 2013 en Algérie, au Pakistan et au Niger.
Rappelons par ailleurs que notre pays compte cinquante-huit réacteurs nucléaires, et que près de la moitié de la population française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’une centrale. Cette question constitue donc un enjeu de sécurité publique, au-delà même des personnels travaillant sur les sites.
Pourtant, la France restait l’un des rares pays occidentaux à ne s’être pas encore doté d’un arsenal juridique adapté et complet en matière de répression des intrusions sur ces sites hautement sensibles. Il est pour le moins étonnant de constater que l’envahissement d’une infrastructure protégée ne relevait d’aucun délit spécifique, les auteurs étant simplement poursuivis pour violation de domicile, ce qui est peu dissuasif et, en tout cas, pour le moins inadapté. En application de la législation actuellement en vigueur et en fonction de la nature des faits commis, les peines allaient de six mois à un an d’emprisonnement.
Par ailleurs, les infractions constatées ont toujours joui d’une relative clémence. Le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Colmar à l’encontre des militants qui s’étaient introduits le 18 mars 2014 au sommet du dôme du réacteur de la centrale de Fessenheim, jugement qui s’est soldé par deux mois de prison avec sursis, atteste de cette évidente clémence. De telles réponses pénales ne sont pas à même d’être dissuasives ; elles sont inadaptées au contexte sécuritaire actuel et à l’importance stratégique, énergétique, économique des sites nucléaires civils.
La présente proposition de loi, qu’il faut saluer, a fait l’objet de nombreux échanges avec le Gouvernement. Elle comble heureusement un relatif vide juridique et crée un régime pénal spécifique en vue d’améliorer la sécurité des installations en cause. Le dispositif proposé prévoit une échelle de peines plus sévères en fonction de trois niveaux de circonstances aggravantes. De plus, les tentatives d’intrusion seront punies de la même manière que les délits effectivement accomplis.
D’aucuns se sont inquiétés – on peut le comprendre – de ces nouvelles dispositions, considérées comme une atteinte au droit de manifester et de contester des organisations militantes de nature pacifique. Qu’ils soient rassurés ; de fait, aucune liberté publique, aucun droit fondamental ne se trouve réduit ou menacé, puisqu’il reste tout à fait possible d’exercer son droit d’expression, légitime et inaliénable, à l’extérieur des sites sensibles.
Soulignons donc que le texte se contente de diminuer le risque d’actions malveillantes, en introduisant des sanctions réellement dissuasives.
Pour autant, cette proposition de loi représente une avancée certaine, mais encore quelque peu insuffisante. Renforcer la sécurité de sites aussi stratégiques et potentiellement fortement dangereux en cas de malveillances avérées ne peut pas se limiter à un alourdissement des peines encourues.
Certes, les sites nucléaires civils du groupe EDF sont protégés par une force militaire spécialisée, et ceux du CEA ou d’Areva, deux opérateurs majeurs du secteur, le sont par des forces civiles de protection. Mais est-ce suffisant dans le contexte actuel de risques exacerbés ?
À propos de la protection de l’espace aérien, qui relève de l’armée de l’air, je souhaite évoquer, comme d’autres avant moi, la menace potentielle que pourraient représenter les survols de drones au-dessus des centrales.
Sur ce point, les questions techniques et juridiques restent nombreuses ; M. le rapporteur y a fait référence. À ce stade, il n’a pas été possible d’apporter une réponse législative satisfaisante.
Je salue donc l’initiative du Premier ministre, qui, après le recensement de soixante-sept survols illégaux, a décidé de lancer une démarche interministérielle coordonnée avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, afin d’identifier les adaptations juridiques, techniques et capacitaires requises pour faire face à de tels phénomènes. Selon les informations dont nous disposons, la réflexion serait déjà bien avancée. On ne peut que s’en féliciter.
Par ailleurs, il convient de saluer la disposition introduite à l’article 2 par nos collègues députés : le Gouvernement associera le Parlement à l’étude de cette question, avec obligation de lui soumettre un rapport avant la fin du mois de septembre prochain.
Par conséquent, et malgré les limites du texte, qui ont déjà été soulignées par M. le rapporteur, le groupe socialiste votera cette proposition de loi, afin que ses dispositions puissent entrer en application le plus rapidement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il faut le reconnaître, la présente proposition de loi, même si elle ne fait pas consensus, a au moins le mérite de permettre au Parlement de s’exprimer enfin sur la sécurité des installations nucléaires en France. Il était temps !
Il semblerait que nous sortions enfin de l’angélisme, de l’aveuglement et du déni qui entouraient jusqu’à présent ce sujet. Mais, en réalité, il s’agit là d’une prise de conscience déguisée. Et c’est un sentiment de grande incompréhension et de stupéfaction qui domine au sein du groupe écologiste à lecture du texte qui nous est proposé. Admettez, chers collègues, que la sécurité des installations nucléaires et, par conséquent, la sécurité des français, sujets ô combien importants, méritaient un peu plus de sérieux et d’ambition.
À en juger l’intitulé de la proposition de loi, ce texte a pour objectif le renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires. Il s’agit là d’un impératif ! Depuis des années, les écologistes vous alertent sur la grande porosité de nos installations. Le contexte actuel faisant, la menace terroriste étant particulièrement accrue et les survols de drones se multipliant depuis plusieurs mois, nous avons ce débat aujourd'hui. En effet, une attaque terroriste sur nos installations serait dramatique, irréparable et apocalyptique !
Mais, à la lecture de l’article 1er, qui créé un régime pénal spécifique sanctionnant les intrusions illégales, force est de constater que le présent texte ne vise en réalité aucunement à renforcer la protection des installations nucléaires. Si tel avait été l’objectif, nous l’aurions partagé ! Or rien n’est prévu pour contrer les menaces réelles. Vous avez vous-même reconnu, mes chers collègues, que les peines prévues ne dissuaderaient pas les terroristes. Sur ce point, je ne puis que vous approuver ! Ces peines sont en effet inopérantes face à la détermination de tels individus. L’intitulé de la proposition de loi est donc, au mieux, inapproprié et, au pire, fallacieux !
En fait, le texte vise à sanctionner les actions militantes.
M. François Bonhomme. Délictuelles !
Mme Leila Aïchi. En somme, vous nous proposez un texte anti-activistes, anti-Greenpeace, anti-manifestants et anti-lanceurs d’alerte.
Or, monsieur le rapporteur, vous écrivez vous-même que ces intrusions ne représentent pas de « menace directe en termes de sécurité ». Malgré ce constat, il est prévu une gradation des peines allant jusqu’à 100 000 euros d’amende et sept ans d’emprisonnement.
Vous comprendrez donc la stupéfaction des écologistes, eu égard à un régime de sanctions aussi disproportionné qu’inefficace. En réalité, celui-ci n’a qu’une finalité : criminaliser des actions militantes pacifistes indispensables à nos sociétés démocratiques !
Que faut-il pénaliser le plus ? Des manifestants pacifiques qui tentent d’alerter l’opinion et qui risquent une amende à hauteur de 100 000 euros, comme vous le proposez, ou une fuite de matières radioactives dans l’environnement, accident pour lequel EDF a écopé d’une simple amende de 7 500 euros ?
Que faut-il pénaliser le plus ? Des lanceurs d’alerte qui cherchent à avertir les citoyens sur les dangers du nucléaire et qui risquent sept ans d’emprisonnement ou le déchargement illégal de gravats radioactifs, pour lequel EDF a dû payer une amende de 3 750 euros ?
Où est la justice ? Où est la logique ? Nous sommes bien loin du simple effet dissuasif !
Ô combien aurait-il été plus pertinent de débattre de la responsabilité des opérateurs qui sont parties prenantes de la sécurité de nos installations nucléaires ! Plutôt que de renforcer la sécurité, vous vous attaquez honteusement à ceux qui en révèlent les failles et les faiblesses.
Mes chers collègues, soyons honnêtes : si les intrusions de militants se sont multipliées ces dernières années, c’est d’abord parce qu’elles ont été possibles ! C’est aussi parce que les protocoles de sécurité n’étaient pas adaptés ! Et c’est surtout parce que les militants n’ont pas été arrêtés avant de pénétrer dans les installations !
Si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est bien parce que ces militants, ces lanceurs d’alerte pacifistes ont montré que les procédures prévues pour la protection de nos installations civiles étaient inefficaces, inadaptées et obsolètes.
Pénaliser de telles actions, c’est indirectement étouffer le débat, amoindrir sa vivacité et, in fine, encourager l’inertie en la matière.
Réduire la lutte contre les intrusions dans des installations abritant des matières nucléaires à une approche simplement normative, comme vous le faites, concourt à une vision tronquée et simpliste du problème.
Quid des moyens ? C’est la vraie, la seule question que nous devons nous poser. Pourtant, le présent texte, dans lequel sont proposées des mesures de façade, contourne le problème et entretient le mythe de l’infaillibilité des installations nucléaires. Nous remettons à plus tard les questions que nous devrions pourtant aborder aujourd’hui. Il s’agit avant tout d’un problème de moyens !
J’ai bien compris que nous ne débattions pas ce soir de l’avenir de l’énergie nucléaire en France. Mais, en qualité de parlementaire écologiste convaincue, permettez-moi une légère digression en guise de conclusion.
Finalement, si nous avons ce débat aujourd’hui, c’est aussi parce que l’approvisionnement énergétique de la France repose largement sur une énergie dangereuse et incontrôlable.
Alors que le Gouvernement estime que la filière nucléaire a un avenir, qu’elle constitue une force pour notre pays et qu’Areva, avec un déficit de 8 milliards d’euros, pâtit simplement de la conjoncture du marché mondial, je ne peux que regretter l’inconséquence, le dogmatisme et l’irrationalité des débats dès lors que l’on aborde le tabou du nucléaire ! Et c’est précisément ce même aveuglement irresponsable que nous retrouvons dans ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi, inscrite à l’ordre du jour à la demande du groupe UMP, avait été déposée au mois de septembre 2013 à l’Assemblée nationale, dans le contexte particulier de l’accident d’une centrale nucléaire japonaise.
À la suite de la catastrophe humanitaire, économique et écologique qu’a entraînée cet accident, l’Agence internationale de l’énergie et, en France, l’Autorité de sûreté nucléaire avaient fermement invité les opérateurs du secteur nucléaire à revoir drastiquement la sécurité de leurs installations. S’étaient ensuivis des réflexions et de nombreux débats sur le bien-fondé de l’utilisation de l’énergie nucléaire et la sûreté des installations qui la produisent.
Dans le même temps, le questionnement sur l’énergie nucléaire s’est élargi à la sécurité et à la protection des installations ; il a été tenté de trouver des solutions pour faire face à d’éventuels attentats terroristes et à la multiplication d’intrusions physiques illégales.
C’est, en définitive, sur ce dernier point, certes limité, que porte la présente proposition de loi. Il faut donc la considérer pour ce qu’elle est. Ce n’est ni un manuel de sécurité antiterroriste ni un vade-mecum d’amélioration des protocoles de sécurité de nos centrales nucléaires. Le texte part d’une réalité tangible : le grand nombre d’intrusions, par la force et l’utilisation, parfois, de moyens violents, dans l’intention de démontrer la vulnérabilité de certains sites abritant des matières nucléaires.
Depuis une dizaine d’années, les intrusions répétées dans au moins une dizaine de centrales nucléaires françaises, menées tout particulièrement par des militants antinucléaires, ont peut-être mis en lumière des failles de sécurité, au plan tant terrestre que, récemment, aérien. Mais ces intrusions, de plus en plus fréquentes, présentent des risques pour les salariés des centrales, pour les gendarmes de pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie, mais également, il faut le dire, pour les militants eux-mêmes. Ces événements sont aussi particulièrement préoccupants. Ils visent à mettre en doute par des moyens discutables la sécurité des centrales nucléaires et la fiabilité de leurs mesures de protection.
Certes, jusqu’à présent, ces intrusions se sont toujours révélées sans menace directe et sans risque majeur pour la sécurité des populations et des installations, qui n’ont, pour l’instant, eu à subir ni attaque terroriste ni sabotage.
Toutefois, au lendemain des attentats meurtriers qui ont frappé notre pays, nous ne pouvons pas ignorer l’éventualité de ce type d’attaques, dont les conséquences seraient potentiellement désastreuses, alors que la moitié de la population française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’une centrale.
La présente proposition de loi tente ainsi de répondre à une telle situation sur le seul terrain juridique, en modifiant un dispositif pénal que l’on peut effectivement considérer comme devenu inadapté à ce type d’intrusions.
Il me semble nécessaire de trouver un dispositif pénal proportionné à la gravité de tels actes, dont il ne faut évidemment pas non plus surestimer les conséquences. C’est pourquoi il est créé, à juste titre, un délit spécifique applicable aux intrusions ou tentatives d’intrusion ; cela permet de les caractériser et de les distinguer d’une simple violation de domicile ou d’un acte terroriste.
Le dispositif prévoit en outre une adaptation de la sanction aux circonstances et permet également de sanctionner la personne morale instigatrice de telles actions.
Cela étant, je comprends que l’on puisse contester le nucléaire comme source d’énergie. Nous devrions néanmoins tous nous accorder pour l’amélioration de la sécurité des sites. De plus, je ne pense pas que de telles opérations, aussi médiatiques soient-elles, contribuent réellement au débat démocratique, sérieux et serein sur le nucléaire.
En conséquence, j’estime que les mesures contenues dans cette proposition de loi n’entravent pas la liberté d’expression de ceux qui contestent l’énergie nucléaire en tant que telle. Cette liberté peut toujours s’exercer partout en dehors de ces sites sensibles.
Toutefois, je suis bien consciente que ce nouveau délit ne peut pas être vraiment dissuasif à l’encontre de terroristes potentiels. Tout au plus permettra-t-il d’éviter que de tels individus ne s’infiltrent parmi les groupes pénétrant dans une installation.
Sur le fond, les questions relatives à la sécurité et à la protection de ces sites contre diverses menaces ne trouveront pas de réponse uniquement dans une loi. Légiférer sur ce point n’a de sens qu’en fonction de la légitimité démocratique que l’on veut attribuer à telle ou telle disposition technique.
Ainsi, il est maintenant nécessaire de réfléchir aux conditions dans lesquelles il faut protéger nos installations nucléaires contre la nouvelle menace que pourrait représenter le survol par des types d’avions sans pilote que sont les drones. Faudra-t-il légiférer ? Vraisemblablement. Mais attendons pour cela le rapport du Secrétariat général du Gouvernement, prévu à l’automne, sur l’évaluation des risques et les solutions techniques et capacitaires à apporter à cette problématique nouvelle.
À cet égard, la méthode qui figure à l’article 2 du présent texte est, à mes yeux, la bonne, à savoir une délibération sur le rapport du Parlement, qui en tirera éventuellement les conséquences législatives.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe CRC voteront la proposition de loi dans le texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, parce que la France possède le deuxième parc mondial d’installations nucléaires civiles, il est important que la sûreté et la sécurité nucléaires fassent toujours l’objet d’une attention soutenue et constante, de la part aussi bien des pouvoirs publics que des opérateurs.
Les accidents très importants, ou plus exactement les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima, ont bien sûr frappé l’opinion publique. Pourtant, un sondage BVA de 2013 révélait que 67 % des Français étaient favorables à la production d’énergie par les centrales nucléaires, lesquelles – rappelons-le – produisent environ 75 % de nos besoins en électricité.
Depuis longtemps, notre pays a fait le choix de l’indépendance énergétique. En attendant que la politique de transition énergétique produise tous ses effets, ce qui prendra certainement du temps, il est essentiel de maintenir un climat de confiance et de totale sécurité au sujet de notre potentiel de production électronucléaire. Pour cela, il faut apporter les bonnes réponses à chacun des enjeux de sécurité liés au nucléaire civil, qu’il s’agisse de la protection des populations en cas d’accident, de la sûreté, de la radioprotection ou de la lutte contre les actes de malveillance.
Il faut le reconnaître, le dispositif de sécurité du secteur de l’énergie nucléaire, profondément rénové depuis une dizaine d’années, est globalement satisfaisant. En outre, dès que cela est nécessaire, le législateur l’adapte aux nouvelles menaces, telles que celles qui sont liées au terrorisme ou à la cybercriminalité. Je pense, par exemple, à la loi de 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, qui contient des mesures visant à renforcer la sécurité des systèmes d’information des opérateurs d’importance.
Cependant, comme les orateurs précédents l’ont rappelé, il arrive que des événements très médiatisés mettent en lumière des failles quant à l’accès aux centrales nucléaires. En effet, les installations françaises font l’objet d’intrusions plus ou moins spectaculaires, par voie terrestre ou aérienne.
Si la présence de militants antinucléaires à l’intérieur d’une centrale civile ne représente pas une menace directe, on ne peut pas laisser se poursuivre ces initiatives considérées comme de simples délits de violation de domicile !
En prévoyant une infraction et des sanctions adaptées au caractère sensible des sites nucléaires, l’article 1er du texte de nos collègues députés est opportun. Le groupe du RDSE est bien entendu favorable au dispositif proposé, qui fait d’ailleurs l’objet d’un large consensus.
À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler à ceux qui émettent des réserves, voire davantage, que manifester librement n’autorise pas dans le même temps à commettre un délit. Par exemple, rien n’interdit aux militants antinucléaires d’exprimer leurs convictions aux abords du site, à condition de ne pas y pénétrer par effraction, en toute illégalité ! En cas de non-respect de la loi, il doit y avoir sanction, en l’occurrence des sanctions pénales fortes.
En outre, ces actions posent problème aux pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie qui sont chargés de la protection des sites. Tant que ces personnels pensent que les intrusions sont le fait de militants pacifiques, tout va bien ; mais s’ils devaient soupçonner la présence de personnes vraiment malintentionnées ou infiltrées dans un groupe, quelle serait leur marge d’action pour être efficaces sans créer de dommages collatéraux importants ? Les forces de l’ordre ont besoin de clarté pour exercer sereinement leurs missions. La présente proposition de loi apporte une première réponse par la dissuasion, si je puis dire.
Je rappellerai, enfin, que l’Agence internationale de l’énergie atomique ainsi que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, ont recommandé un régime d’infractions et de sanctions adapté aux cas des installations civiles abritant des matières nucléaires.
Le second article du texte prévoit la remise d’un rapport au Parlement par le Gouvernement avant le 30 septembre prochain sur la question des survols illégaux par des drones des sites abritant des activités nucléaires. Il est en effet urgent de traiter ce phénomène qui se développe et qui suscite des inquiétudes légitimes.
Au sein de l’OPECST, nous avons eu l’occasion de nous pencher sur cette question à la fin de l’année dernière. Il ressort des auditions, notamment de l’avis du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, que ces drones civils n’ont pas actuellement les capacités techniques de détériorer des installations nucléaires. Cependant, ils peuvent faire du repérage et du recueil d’informations dans un but malveillant. Dans la perspective de l’éventuelle amélioration capacitaire de ces aéronefs, il serait utile de compléter le cadre juridique de leur utilisation.
Mes chers collègues, que l’on soit pour ou contre le nucléaire, le fait est que la France possède cinquante-huit réacteurs sur son territoire. Par conséquent, il est de notre responsabilité en tant qu’élus d’améliorer leur sécurité. C’est pourquoi le groupe du RDSE approuvera à l’unanimité le présent texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Tout d’abord, je remercie le groupe CRC et le groupe écologiste de nous avoir fait passer une si belle journée. Les communistes ont réclamé tout l’après-midi la suppression des armes pour les policiers et les Verts nous ont expliqué que l’on doit pouvoir entrer dans nos centrales nucléaires comme dans un moulin : cela en dit long sur l’état de nos institutions et de notre République !
En tout état de cause, je salue évidemment, comme la plupart d’entre vous, mes chers collègues, la présente proposition de loi qui vient enfin mettre un terme à la totale impunité qui régnait jusqu’à présent à l’égard les individus coupables d’intrusion dans les centrales nucléaires. Il est tout à fait extravagant que forces de sécurité et tribunaux manquent d’un cadre législatif pour punir les auteurs de tels actes.
Je rappelle, pour mémoire, que le 5 décembre 2011 neuf militants s’introduisaient dans la centrale de Nogent-sur-Seine : ils ont écopé pour ce délit de six mois de prison avec sursis. Le 15 juillet 2013, vingt-neuf militants de Greenpeace – les amis des Verts – franchissaient l’enceinte de la centrale de Tricastin : ils ont été punis de trois mois d’emprisonnement avec sursis. Le 18 mars 2014, cinquante-cinq militants encore de Greenpeace s’introduisaient dans la centrale de Fessenheim – 290 gendarmes ont été mobilisés : ils ont écopé de deux mois de prison et de 1 000 euros d’amende. Et j’en passe !
Ces condamnations dérisoires ne sont évidemment pas à la hauteur des enjeux. Depuis quelques années déjà, nous demandons, sur ce sujet comme sur d’autres, une plus grande sévérité envers ceux qui enfreignent la loi, prouvant ainsi la vulnérabilité de nos centrales. Devant la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, le directeur général de la gendarmerie nationale déclarait que c’était faute de dispositions juridiques appropriées que ses hommes ne pouvaient pas protéger efficacement nos centrales nucléaires !
Je tiens néanmoins à préciser que si cette proposition de loi va dans le bon sens – c’est assez rare pour être souligné –, elle n’aura pas d’effets révolutionnaires. Certes, elle semble être dissuasive à l’égard des individus qui auraient des velléités de pénétrer dans une centrale – je vous en prie, chers collègues, cessez d’employer le terme grotesque « lanceurs d’alerte », perle supplémentaire insupportable de la novlangue actuelle –, mais, parallèlement, les juges doivent faire preuve de plus de sévérité.
En revanche, pour ce qui concerne la question terroriste, les choses ne bougent pas du tout. Pourtant, c’est essentiellement de cela qu’il s’agit. La responsabilité de la sécurité nucléaire est partagée entre l’État et les opérateurs du secteur. Or si l’arsenal judiciaire s’adapte, il est aussi nécessaire que les centrales en fassent de même.
C’est la raison pour laquelle la question du survol aérien de nos centrales est un enjeu absolument majeur. Je regrette, pour ma part, que nous n’allions pas plus vite sur cette question. À l’heure de la haute technologie, il me semble nécessaire d’être plus réactifs en l’espèce. Le rapport demandé à l’article 2 de la présente proposition de loi nous permettra, je l’espère, d’avancer efficacement.
L’espace aérien au-dessus des centrales nucléaires est formellement réglementé. Le survol d’une centrale nucléaire, dans un périmètre de cinq kilomètres et en dessous de 1 000 mètres d’altitude, est strictement interdit. Le risque terroriste exige une protection importante de l’espace aérien des centrales, surveillé par l’armée de l’air dans le cadre d’un protocole avec EDF.
Mais, nous le savons, avec les drones, nous avons affaire à une technologie nouvelle qui bouscule la sécurité traditionnelle. Ce phénomène, malheureusement, prend de l’ampleur : le chiffre de soixante-sept survols illégaux a été avancé. Nous devons aller vite sur ce sujet avant que nous n’ayons à le regretter.
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de la présente proposition de loi s’inscrit dans un contexte particulier. Xavier Pintat l’a très bien expliqué, les centrales nucléaires sont évidemment des cibles pour des projets terroristes.
L’énergie nucléaire et sa production font partie des secteurs d’activités considérés comme d’importance vitale pour la France, notamment dans un contexte de raréfaction et de fluctuation des prix des ressources énergétiques fossiles. Dès lors, les centres nucléaires de production d’électricité, les CNPE, sont des sites stratégiques qui nécessitent une protection spécifique. Leurs accès sont très réglementés et leur survol par des aéronefs – cela vient d’être souligné – est strictement interdit.
Rappelons que la moitié de la population française vit à moins de quatre-vingts kilomètres d’un CNPE. La sécurité de ces sites est donc d’une importance capitale.
Dans un contexte national et international fortement marqué par la menace terroriste, la sécurité des CNPE et des installations nucléaires de base, les INB, est un enjeu primordial pour tous les opérateurs et acteurs du secteur.
D’ailleurs, j’attire votre attention sur une différenciation qu’il importe de prendre en compte. Si cette proposition de loi s’inscrit dans la volonté de renforcer la sécurité nucléaire dans sa globalité, il s’agit aussi d’adapter notre dispositif pénal et juridique à la multiplication des intrusions physiques illégales.
À cet égard, le rapport de Xavier Pintat est très clair. Il met en avant le décalage entre la gravité de ces intrusions dans l’enceinte des centrales nucléaires et la clémence des condamnations. Les amendes sont inférieures à 3 000 euros et s’accompagnent d’une peine d’emprisonnement avec sursis quasi systématique ou de la relaxe des prévenus. Il s’agit moins de laxisme que d’une inadéquation du dispositif pénal. Si ces intrusions sont motivées par un activisme politique destiné à dénoncer l’usage de l’énergie nucléaire, elles ont aussi pour objectif de démontrer les failles des systèmes de sécurité des centrales nucléaires. C’est l’un des leitmotiv de Greenpeace.
Donc, mes chers collègues, le vrai problème est la sécurisation des installations. Ce n’est pas la même chose que les problèmes inhérents à la sécurité nucléaire que certains ont évoqués, sécurité nucléaire qui est bien sûr essentielle. Il est grand temps d’embrasser la réalité et d’envisager le cas où ces intrusions pourraient être le fait de terroristes et non plus de militants très démonstratifs, transgressifs par rapport à la loi, voire agressifs, mais pacifiques dans leurs intentions.
Depuis 2009, ce sont les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie qui sont responsables des CNPE. La dernière loi de programmation militaire a rendu possibles quelques avancées, puisque son article 55 a permis au Gouvernement de légiférer par ordonnance et de créer un nouvel article L. 2215-10 dans le code général des collectivités territoriales. Mais le dispositif instauré, donnant compétence aux préfets pour réglementer la circulation et le stationnement autour des installations nucléaires, est largement insuffisant.
Il m’importe de rappeler fermement que les installations nucléaires civiles ne sont pas des sites de production énergétique classiques. Nous comprenons qu’elles soient la cause d’un militantisme politique. Elles en sont le sujet, mais en aucun cas elles ne doivent en être le moyen ! Les intrusions sont illégales et doivent faire l’objet d’une réponse judiciaire adaptée ainsi que d’une sanction pénale proportionnée.
Le groupe UMP se félicite du dispositif juridique créé par le présent texte grâce auquel les personnes chargées de la sécurité obtiendront de meilleures conditions de surveillance et donc d’intervention, le cas échéant. Ainsi, ces personnes pourront se concentrer sur l’essentiel : les intrusions potentielles d’individus véritablement malintentionnés et la menace terroriste. Il conviendra, d’ailleurs, certainement lors de l’examen d’une proposition de loi à la rentrée, de revenir sur le statut et les compétences des personnels de sécurité de ces installations.
Je souhaite maintenant dire à mon tour quelques mots sur la menace « dronistique ». Pour ce qui concerne les survols de drones, nous n’avons que peu d’informations. Les utilisateurs de ces appareils ne sont toujours pas identifiés et ces opérations sont non revendiquées.
En l’état, précisons-le, ces mini-drones civils ne nous apparaissent pas comme une menace réelle, même s’il faut apporter des réponses adaptées en la matière. Il n’en serait pas de même en cas de recours à des drones plus puissants de type tactique ou MALE, mais l’armée de l’air, dans le cadre de ses missions de police de l’air et de l’espace aérien français, a déjà prévu des réponses spécifiques pour ce type de survol.
Je constate que la présente proposition de loi n’élude pas ces drones. Le Gouvernement remettra au Parlement un rapport avant le 30 septembre prochain, et je sais tout le travail que réalise actuellement sur ce thème le SGDSN. Nous attendrons fermement ce rapport, d’autant qu’il complétera utilement celui de l’OPCST, présidé par Bruno Sido.
Publié au mois de novembre dernier, ce document dresse un premier bilan sur les drones et la sécurité des installations nucléaires. À ce sujet, je pense que nous pourrions intégrer un volet concernant les drones et un volet relatif à la spécificité des personnels de sécurité dans une même proposition de loi, afin d’être les plus efficaces possible.
Enfin, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur la cohérence de nos travaux. Entre le rapport du mois de novembre dernier et l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour réservé aux groupes, les délais étaient courts. Preuve en est, monsieur le secrétaire d’État, que nous cherchons à traiter chaque problème que soulève la sécurité nucléaire et à lui apporter une réponse législative : qu’il s’agisse d’intrusions physiques illégales ou de survols, nous souhaitons avancer et je sais que M. le rapporteur, Xavier Pintat, continuera à travailler sur le sujet.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera le présent texte tel qu’il a été adopté par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ainsi que M. le rapporteur, Xavier Pintat, du travail qu’ils ont réalisé sur la présente proposition de loi. Je me réjouis bien entendu de l’inscription de ce texte à l’ordre du jour réservé au groupe UMP : la sécurité, tant aux abords qu’à l’intérieur des installations civiles abritant des matières nucléaires, est en effet primordiale.
Ce sujet, souvent relayé par les médias, l’est plus encore depuis qu’ont eu lieu, à la fin de l’année dernière, des survols de drones non identifiés. Toutefois, ce phénomène, même s’il est récent et spectaculaire, ne doit pas nous faire oublier les enjeux actuels essentiels concernés par le texte qui nous est proposé.
Je tiens d’emblée à préciser que l’objet de notre débat n’est naturellement pas celui du recours à l’énergie nucléaire. Un débat sur ce thème serait certainement moins consensuel et relève du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte que nous devrions examiner ultérieurement en nouvelle lecture. L’objet de la proposition de loi que nous examinons ce soir est simplement de pallier un vide juridique concernant les intrusions physiques illégales dans des installations abritant des matières nucléaires civiles.
Comme M. le rapporteur l’a expliqué, de telles intrusions comportent des risques tout à fait explicites, en particulier au moment où notre pays doit prendre en compte tous les paramètres et les impératifs inhérents à la lutte contre le terrorisme.
En qualité de coprésident de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, j’ai eu l’occasion, comme mes autres collègues composant la commission, de bien prendre la mesure de ces risques. De fait, il n’est point besoin d’être grand clerc pour imaginer avec quelle acuité les différents responsables chargés de la sécurisation des sites sont amenés aujourd’hui à faire face à l’éventualité d’une attaque terroriste.
Dans ce contexte de tensions accrues, leur tâche doit être facilitée, afin de leur permettre une meilleure appréhension et identification des risques, des personnes concernées, ainsi qu’une meilleure appréciation des motivations, s’il en est, de celles et ceux qui se livrent à de telles intrusions. D’ailleurs, l’une des revendications des militants antinucléaires lorsqu’ils pénètrent dans les installations nucléaires est précisément d’en dénoncer la facilité d’accès et d’en souligner les risques. C’est assurément un sujet sur lequel il faut encore travailler, c’est le moins que l’on puisse dire.
Sur ce point, permettez-moi d’ajouter que les opérateurs doivent prendre toutes leurs responsabilités pour faire en sorte que les intrusions ne soient tout simplement matériellement plus possibles, du moins pas aussi faciles.
Pour l’heure, en tant que membre de la commission des lois, c’est sur le volet strictement juridique que je voudrais insister. En effet, du point de vue du droit, la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement est totalement paradoxale. Avec cinquante-huit réacteurs et dix-neuf centres nucléaires de production d’électricité, la France est l’un des leaders mondiaux du nucléaire civil. Pourtant, son dispositif de protection juridique est inadapté et incomplet.
Face aux nombreuses intrusions physiques illégales, les exploitants des sites n’ont que peu de recours juridiques. Alors que ces sites sont considérés comme stratégiques, les personnes entrées illégalement ne sont poursuivies que pour violation de domicile, cela a été dit. Les suites judiciaires et les condamnations qui en résultent surprennent par leur disproportion au regard des conséquences que comportent de telles intrusions. Dans la plupart des cas, les peines prononcées n’excèdent pas six mois de prison avec sursis - et six mois, c’est souvent beaucoup.
Je le répète, ces intrusions physiques comportent d’importants risques, pour ceux qui les commettent, certes, mais aussi pour les personnels civils et militaires des sites, dont on parle moins.
Par ailleurs, nul ne peut dire qu’une tentative d’intrusion de deux cents militants, comme ce fut le cas pour le CNPE de Gravelines en 2012, ne perturbe pas les conditions de fonctionnement des installations. Un tel acte n’est donc pas non plus sans incidence pour les collectivités locales concernées et leur population ; il s’agirait, là aussi, de ne pas l’oublier.
En qualité de sénateur alsacien plus particulièrement intéressé par la centrale de Fessenheim - mais je ne suis pas le seul, puisque René Danesi est également présent ce soir -, permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler l’intrusion l’année dernière de cinquante-cinq militants, une action nautique et le déplacement de banderoles sur le dôme d’un réacteur de cette centrale. Il est clair que ces actions ressemblent plus à des coups de force qu’à des manifestations pacifiques. En réalité, il s’agit là non plus d’une forme de liberté d’expression, mais bien, j’ose le dire, d’un activisme politique musclé.
Pourtant, je voudrais le souligner, la présente proposition de loi n’est pas dirigée contre les militants antinucléaires, comme on l’a entendu dire tout à l’heure. Elle est une simple réponse législative à l’utilisation de méthodes illégales. Pour les législateurs que nous sommes, cette différence doit assurément être posée.
La liberté d’expression et de manifestation est un droit inaliénable de notre République – des orateurs précédents l’ont dit –, constitutionnellement reconnu et protégé, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir à l’heure où ces droits sont bafoués dans de nombreux pays. Cependant, en aucun cas le droit à manifester ne peut comporter le droit de s’introduire illégalement dans quelque établissement que ce soit. La liberté de manifester doit s’exercer naturellement dans le cadre de la loi ; cet autre principe fondateur vaut pour tous, peu importe la cause défendue.
Dans des pays aux parcs nucléaires moins développés, la législation est beaucoup plus claire et adaptée aux risques.
Au Canada, vous le savez, en application de l’article 51 de la loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, les amendes peuvent atteindre un million de dollars et, le cas échéant, cinq ans d’emprisonnement. Le code criminel prévoit même une incarcération allant jusqu’à dix ans.
Au Royaume-Uni, l’intrusion sur un site est punie de cinquante et une semaines d’emprisonnement, d’une amende de 5 000 livres.
Enfin, aux États-Unis, le caractère dissuasif de la réglementation repose moins sur le dispositif pénal que sur les modalités d’emploi des armes à feu par les forces de sécurité. En soi, cela peut être éventuellement plus dissuasif qu’une amende ou une peine de prison.
À la lumière de ce qui existe à l’étranger, vous me permettrez de penser, mes chers collègues, que le dispositif qui nous est proposé est équilibré, M. le secrétaire d’État l’a souligné tout à l’heure. La création d’un régime spécifique me paraît également cohérente. Ainsi, je me félicite d’observer la mise en place de « peines de base » qui seront complétées par des peines plus sévères répondant à divers niveaux de circonstances aggravantes. Je voudrais saluer tout particulièrement la mise en place de ces différents niveaux de peine qui traduit bien la volonté d’une réponse adaptée et proportionnée.
Pour toutes ces raisons à la fois d’opportunité mais également de contenu du dispositif proposé, je vous suggère, mes chers collègues, de soutenir avec nous cette proposition de loi. En tout état de cause, les membres de l’UMP vous remercient du temps que vous avez consacré à l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires
Article 1er
(Non modifié)
La sous-section 3 de la section 1 du chapitre III du titre III du livre III de la première partie du code de la défense est ainsi modifiée :
1° Le paragraphe 2 est complété par des articles L. 1333-13-12 à L. 1333-13-18 ainsi rédigés :
« Art. L. 1333-13-12. – Est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 € le fait de s’introduire, sans autorisation de l’autorité compétente, à l’intérieur des locaux et des terrains clos délimités pour assurer la protection des établissements ou des installations abritant des matières nucléaires affectées aux moyens nécessaires à la mise en œuvre de la politique de dissuasion ou des matières nucléaires dont la détention est soumise à l’autorisation mentionnée à l’article L. 1333-2.
« Le premier alinéa du présent article n’est pas applicable aux terrains et constructions affectés à l’autorité militaire ou placés sous son contrôle, mentionnés à l’article 413-5 du code pénal.
« Les limites des locaux et des terrains clos mentionnés au même premier alinéa sont fixées dans des conditions prévues par décret. Elles sont rendues apparentes aux frais de la personne morale exploitant les établissements ou installations concernés.
« Art. L. 1333-13-13. – Le fait de provoquer, d’encourager ou d’inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à commettre l’infraction définie à l’article L. 1333-13-12, lorsque ce fait a été suivi d’effet, est puni des peines prévues pour cette infraction.
« Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas suivis d’effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur, les peines sont de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.
« Art. L. 1333-13-14. – L’infraction définie à l’article L. 1333-13-12 est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende :
« 1° Lorsqu’elle est commise en réunion ;
« 2° Lorsqu’elle est commise par une personne qui prend indûment la qualité d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ;
« 3° Lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration.
« Les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende lorsque les faits sont commis dans deux des circonstances prévues au présent article.
« Art. L. 1333-13-15. – L’infraction définie à l’article L. 1333-13-12 est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende :
« 1° Lorsqu’elle est commise soit avec usage ou menace d’une arme, soit par une personne porteuse d’une arme soumise à autorisation, à déclaration ou à enregistrement ou dont le port est prohibé ;
« 2° Lorsqu’elle est commise en bande organisée.
« Art. L. 1333-13-16. – La tentative des délits prévus aux articles L. 1333-13-12, L. 1333-13-14 et L. 1333-13-15 est punie des mêmes peines.
« Art. L. 1333-13-17. – Les personnes physiques coupables de l’une des infractions définies aux articles L. 1333-13-12 à L. 1333-13-15 encourent les peines complémentaires suivantes :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ;
« 3° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ;
« 4° L’affichage et la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal ;
« 5° L’interdiction de séjour, prononcée dans les conditions prévues à l’article 131-31 du même code ;
« 6° L’interdiction du territoire français, prononcée dans les conditions prévues aux articles 131-30 à 131-30-2 dudit code.
« Art. L. 1333-13-18. – Les personnes morales coupables de l’une des infractions définies aux articles L. 1333-13-12 à L. 1333-13-15 du présent code encourent, outre une amende calculée en application de l’article 131-38 du code pénal, les peines mentionnées aux 8° et 9° de l’article 131-39 du même code. » ;
2° Au premier alinéa des articles L. 1333-13-7 et L. 1333-13-8, la référence : « au présent paragraphe » est remplacée par les références : « aux articles L. 1333-9 et L. 1333-11 à L. 1333-13-6 » ;
3° L’article L. 1333-14 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « applicables aux » sont remplacés par les mots : « applicables lorsque sont en cause des » ;
b) Le second alinéa est ainsi modifié :
– les mots : « applicables aux » sont remplacés par les mots : « applicables lorsque sont en cause des » ;
– le mot : « elles » est remplacé par le mot : « ils » ;
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les limites qu’ils fixent, les articles L. 1333-13-12 à L. 1333-13-18 sont également applicables lorsque sont en cause des matières nucléaires mentionnées au premier alinéa du présent article. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. La loi prévoit déjà qu’il soit interdit d’entrer dans les centrales nucléaires. La présente proposition de loi, sous couvert d’un renforcement de la sécurité des installations civiles abritant des matières nucléaires, vise en réalité à criminaliser les militants en prévoyant des peines extrêmement lourdes. La réécriture complète de ce texte lors de son examen par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale a mené à une stigmatisation d’un certain type de militantisme.
Qui peut légitimement croire que les peines prévues dissuaderont les terroristes les plus déterminés ? Par essence, l’action terroriste n’a que faire des peines encourues. Résolus et par nature indifférents aux sanctions, souvent prêts à mener ces actions au péril de leur vie, les terroristes sont peu sensibles à la répression pénale.
L’objet de l’article 1er est donc non pas tant de dissuader une éventuelle menace que de réprimer très sévèrement les actions militantes qui démontrent la porosité de certaines de ces installations. Plutôt que de renforcer effectivement la sécurité, il est proposé de s’attaquer à ceux qui en révèlent les failles.
La finalité réelle, à savoir cibler les actions militantes, rend cet article inique. Celui-ci ne répond ainsi en rien aux réels enjeux liés à la sécurité des installations nucléaires. En conséquence, nous en proposons la suppression pure et simple.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. La suppression de l’article 1er anéantirait l’objet même de la proposition de loi. S’il est vrai que les sanctions ne dissuaderont pas les terroristes éventuels, elles caractériseront en revanche l’intrusion malveillante. Dans ces conditions, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Le Gouvernement est évidemment défavorable à l’adoption de cet amendement, qui touche au cœur du texte.
Il faut considérer celui-ci pour ce qu’il est : il n’est pas acceptable de dire qu’il aurait pour unique objet de sanctionner des militants ou des lanceurs d’alerte et qu’il ne serait pas opérationnel au motif qu’il n’empêcherait pas les terroristes d’agir. Mais qui a dit le contraire ?
Le raisonnement est faux ! C’est justement pour être plus efficace dans la lutte contre le terrorisme, face à un danger reconnu sur toutes les travées de cet hémicycle, qu’il faut écarter ces actions de citoyens – elles sont extrêmement difficiles à gérer pour les forces de sécurité – qui ont imaginé d’exprimer leur opposition à l’énergie nucléaire – ils ont tout à fait le droit d’y être opposés – non pas par des manifestations dans la rue, des rassemblements ou des pétitions, mais par une occupation illégale des lieux dans lesquels est produite cette énergie.
Dans un certain nombre de circonstances, les mêmes en appellent au droit pénal avec beaucoup de conviction afin d’éviter des errements. Ainsi, je me souviens d’un débat concernant les parcs nationaux au cours duquel on m’avait expliqué qu’il fallait prévoir une sanction pénale à l’encontre des chasseurs pour les dissuader d’y pénétrer. Je partageais plutôt ce point de vue.
On ne peut pas, un jour, s’élever contre la pénalisation, et, le lendemain, se servir de la sanction pénale comme d’un outil de dissuasion légitime ayant toute sa place dans l’arsenal d’un pays démocratique.
Cette proposition de loi n’a pas d’autre objectif que de protéger nos centrales contre le risque terroriste dans la situation particulière que nous connaissons aujourd’hui. Nous n’avons pas de dispositif pénal approprié, et tout l’intérêt de l’article 1er de ce texte est de répondre à cette lacune. J’en profite pour saluer le rapporteur, Xavier Pintat, et le travail qu’il a effectué.
La discussion générale a montré que ce texte recueillait un large consensus républicain. Il ne faut pas se tromper sur son objectif, lequel, me semble-t-il, devrait nous rassembler plutôt que nous entraîner dans un débat que ne souhaitent pas les auteurs de la proposition de loi, non plus que le Gouvernement, qui la soutient.
M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour explication de vote.
M. André Trillard. M. le secrétaire d'État m’a, si je puis dire, coupé l’herbe sous le pied avec sa réponse très argumentée !
Ce débat a été dévoyé il y a exactement trente ans quand, à la suite de manœuvres discutables d’un ministre, un bateau appartenant à Greenpeace a été coulé. À l’époque, on a voulu accréditer l’idée, dans la société française, que la légalité était du côté des manifestants et l’illégalité du côté de l’État, ce qui est faux.
En réalité, les forces de sécurité doivent avoir toute liberté pour intervenir de façon armée à l’intérieur du territoire en cas d’attaque terroriste.
Ce qui signifie qu’il ne faut plus autoriser des manifestations de ce type. Les associations ont raison de manifester, mais elles doivent choisir un autre lieu pour le faire.
En ce qui concerne les lanceurs d’alerte, dont j’entends parler avec toujours beaucoup d’amusement, je les conteste totalement : dans la Constitution, tous les Français naissent égaux.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous devinez sans peine quel sera le vote de l’UDI-UC. Il est clair que cette proposition de loi n’est pas faite pour empêcher les intrusions de terroristes : ce n’est pas cela qui les dissuadera !
Néanmoins, le fait qu’il puisse se produire des intrusions illégales n’est, à mon avis, pas une bonne chose, car cela suscite des peurs dans l’ensemble du pays.
Pour cette raison majeure, il est essentiel de conserver l’article 1er en l’état et de nous en tenir à l’objectif de la proposition de loi.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Avant les mots :
Est puni
insérer les mots :
À l’exception des manifestations pacifiques,
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Il faut faire une différence très claire entre les militants pacifiques et ceux qui ne le sont pas : on ne peut pas tout mettre sur le même niveau. Or les seules intrusions connues ont été le fait de militants qui dénonçaient, à juste titre, la porosité des installations nucléaires et leur vulnérabilité.
Nous proposons donc d’exclure les manifestations pacifiques du champ de la pénalisation.
Introduire une telle distinction dans la proposition de loi nous semble nécessaire, car, par leurs actions, les manifestants pacifiques mettent en lumière les défaillances et les failles des installations nucléaires. Ce faisant, ils jouent un rôle d’aiguillon en attirant l’attention des pouvoirs publics et de l’opinion sur la nécessité de renforcer précisément la sécurité de ces installations.
Pénaliser de telles actions serait donc contre-productif au regard de l’impérieuse nécessité d’améliorer la sécurité des installations nucléaires. Il ne s’agit pas d’une posture idéologique ou dogmatique. Les mouvances terroristes connaissent les faiblesses existantes ; elles sont, en la matière, déterminées à agir contre les intérêts de la sécurité nationale.
Face à cela, des actions militantes et pacifiques qui permettent à la société civile de se saisir du débat et aux pouvoirs publics d’y répondre par des mesures appropriées de sécurisation des infrastructures sont plus que jamais d’actualité et plus que jamais nécessaires.
C’est pourquoi, en ayant à l’esprit ces réalités, nous vous proposons d’exclure les manifestations pacifiques du champ de la pénalisation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. Le droit de manifester est une liberté constitutionnelle reconnue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui le rattache à la liberté d’expression et à la liberté d’aller et venir.
Le droit d’expression collective des idées et des opinions est un droit fondamental. Toutefois, cette liberté ne peut s’exercer que sur la voie publique, sous réserve d’une déclaration préalable. Elle ne peut justifier l’intrusion, sans autorisation, à l’intérieur d’un local professionnel ou au domicile d’un particulier.
La proposition de loi n’entrave en rien la liberté de manifester à l’extérieur des sites nucléaires. L’adoption de cet amendement reviendrait, mes chers collègues, à légitimer certaines intrusions, ce qui ferait courir des risques importants en termes de sécurité.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je suis circonspect sur la rédaction de cet amendement, car introduire dans notre droit positif une différence entre les manifestations pacifiques et les autres serait tout de même assez singulier.
Il n’existe – du moins, je l’espère ! – que des manifestations pacifiques. Personne ne fait de déclaration préalable de manifestation violente… C'est seulement a posteriori qu’une manifestation peut être ainsi qualifiée. Or seul existe le droit de manifester, pas celui de mener des actions violentes.
On voit bien dans quelle impasse juridique nous conduirait une distinction de cette nature. Le droit de manifester existe et existera toujours, et il correspond au droit de manifester pacifiquement.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour explication de vote.
M. André Trillard. Je veux rappeler la conclusion de mon explication de vote précédente : tous les citoyens sont égaux !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour explication de vote.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Il n’est bien évidemment pas question de remettre en cause le droit de manifester, qui est un droit inaliénable. Mais je ferai tout de même un rapprochement entre la demande de Mme Aïchi et l’attitude de ceux que l’on nomme les « zadistes », qui s’autorisent à entrer dans certains lieux privés au motif qu’ils ne sont pas d’accord avec un projet d’aménagement.
Pour ma part, j’estime qu’il s’agit d’une forme d’atteinte à l’État de droit. C'est aussi une source de difficulté pour les décideurs publics qui veulent aménager le territoire.
Le droit de manifester existe, et les militants pacifiques antinucléaires ont parfaitement le droit de défendre leurs convictions. Celles et ceux qui, comme moi, ne sont a priori pas hostiles au nucléaire se posent tout de même des questions. Mais il y a toujours d’autres endroits pour manifester que dans des lieux aussi stratégiques et névralgiques que les centrales nucléaires.
M. Michel Vaspart. Très bien !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Avant les mots :
Est puni
insérer les mots :
À l’exception des actions concourant à la réalisation des objectifs visés à l’article 1er de la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte,
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le secrétaire d’État, revenant sur l’argumentation que vous avez développée contre l’amendement précédent, je souhaite préciser que notre but n’était évidemment pas d’opposer les manifestations pacifiques aux manifestations violentes. L’amendement visait à distinguer les manifestations pacifiques des actions terroristes.
À vous entendre, cette proposition de loi vise simplement à contrer l’action et des militants écologistes et des terroristes. Or ce texte vise aussi les lanceurs d’alerte, qui font la force d’une société vive, dynamique et démocratique. Sachez que nos militants, notre société civile, suscitent l’envie dans de nombreux pays.
J’en viens à l'amendement n° 3 : il s’inscrit dans la continuité du dispositif que nous avons voté, sur l’initiative du groupe écologiste du Sénat, s’agissant des lanceurs d’alerte. Nous leur avons donné un statut pour les protéger. Pourtant, ce texte pourrait avoir pour conséquence de limiter leur pouvoir. Nous proposons donc qu’ils ne soient pas concernés par les sanctions proposées.
Pour illustrer mon propos, j’évoquerai les procès qui se sont tenus à la suite de la révélation de différents scandales sanitaires. La force de notre pays, de sa société civile, est de pouvoir dénoncer de tels scandales pour améliorer la sécurité de nos concitoyens. Les lanceurs d’alerte sont une force vive de notre pays, et votre texte vise à leur interdire toute contestation possible, ce que je regrette vivement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. Le statut, légitime, de lanceur d’alerte doit protéger la diffusion d’une information par un individu qui, lui-même, se trouve dans une situation conforme au droit. Il ne saurait en aucun cas légitimer des actions illégales, des intrusions, voire des destructions ou des dégradations.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
compétente
insérer les mots :
et avec une volonté manifeste de porter atteinte au bon fonctionnement des installations ainsi qu’à leur sécurité
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Il est proposé que les dispositions de cet article ne s’appliquent que dès lors qu’une intention malveillante est caractérisée.
Parallèlement à l’amendement précédent, qui visait à circonscrire l’élément matériel de l’infraction, il s’agit ici de mieux définir son élément moral, de sorte que l’incrimination soit plus précise.
N’entreraient ainsi dans le champ de l’incrimination que les agissements qui poursuivent manifestement un but hostile, à l’exclusion des manifestations pacifiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. L’avis est défavorable, car l’adoption de cet amendement ôterait au texte tout intérêt.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Après le mot :
compétente,
rédiger ainsi la fin cet alinéa :
dans l’enceinte des bâtiments réacteurs ou dans les locaux de stockage de matières radioactives des installations nucléaires de base définies à l’article L. 593-2 du code de l’environnement.
II. – Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Le périmètre de l’interdiction prévue par cet article est très large : il ne prend pas en compte les différences de dangerosité pour les infrastructures selon les zones concernées à l’intérieur des locaux et terrains d’une installation nucléaire.
Or, par exemple, les autorités introduisent déjà de telles distinctions. Ainsi, EDF ne permet pas à tous ses agents de pénétrer dans les différentes zones et introduit donc des différenciations au sein même de son personnel. De même, l’Autorité de sûreté nucléaire traite de manière distincte les différents secteurs d’une centrale nucléaire.
Nous proposons donc de circonscrire davantage l’élément matériel de l’infraction, afin que seule l’intrusion « dans l’enceinte de bâtiments réacteurs ou dans les locaux de stockage de matières radioactives des installations nucléaires de base » soit répréhensible. Il s’agit, au sein d’une installation, des zones où se pose avec le plus d’acuité la question de la dangerosité d’une intrusion.
Ce libellé, plus précis, permet d’inclure dans le champ de l’infraction uniquement les personnes s’introduisant dans les secteurs critiques d’une installation nucléaire.
Une telle précision serait de nature à ne permettre l’incrimination que des seuls faits dont il apparaît clairement que leurs auteurs poursuivent un but hostile.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. Les installations nucléaires sont des installations sensibles constituées de divers périmètres de sécurité, selon une approche relevant de la défense en profondeur.
Ces périmètres de sécurité et les dispositifs de protection passive qui les accompagnent ont tous leur utilité pour défendre l’installation. Ils permettent de gagner du temps, et ce temps gagné est un allié précieux qui permet de déployer les forces de sécurité.
C'est la raison pour laquelle il est absolument nécessaire que les centrales nucléaires soient protégées par des interdictions d’accès effectives en amont des locaux abritant les matières nucléaires.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Le périmètre retenu dans la proposition de loi est cohérent avec celui pour lequel une autorisation d’accès est requise, aux termes de l’article L. 1332-2-1 du code de la défense, dans le cas d’installations d’importance vitale. C’est donc dans le même périmètre que les dispositions de la proposition de loi doivent s’appliquer.
Il me paraîtrait assez déraisonnable d’attendre que les manifestants soient arrivés jusqu’au cœur de la centrale pour constater qu’il y a un délit !
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer la référence :
à l’article 413-5
par les références :
aux articles 413-5 et 413-7
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. L’article 413-5 du code pénal a vocation à protéger les terrains ou les engins affectés à l’autorité militaire. L’article 413-7 du même code a un spectre plus large, puisqu’il protège également les services ou établissements publics ou privés intéressant la défense nationale.
C’est ce dernier article qui protège aujourd’hui les centrales nucléaires civiles aussi bien que n’importe quel site militaire.
Le présent amendement a pour effet d’éviter un conflit entre deux incriminations concurrentes.
Le principe d’une mesure spécifiquement anti-Greenpeace se limitant aux centrales nucléaires créera un fossé entre les sites militaires et les sites civils, puisque, pour les sites militaires, la peine encourue est de six mois, alors que, dans les autres cas, la peine maximum encourue sera de sept ans si les faits sont commis en bande organisée. Il s’agit d’assurer la cohérence entre les deux situations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. Mes chers collègues, la procédure applicable en cas d’intrusion dans ces zones est inadaptée pour réprimer les intrusions dans des sites nucléaires, en raison de la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire.
C’est pourquoi le juge retient habituellement non pas cette incrimination, mais celle de violation de domicile.
La présente proposition de loi a pour objet de créer un nouveau type de zones à accès réglementé, qui seront délimitées dans des conditions fixées par décret. Les installations ayant actuellement le statut de zones protégées devront en sortir. Le régime des zones protégées ne restera en vigueur que pour les autres terrains et locaux qu’il concerne.
Le risque de double incrimination étant levé, l’avis de la commission est défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 2° de l’article L. 125-10 du code de l’environnement est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le responsable de tout transport terrestre est tenu d’informer les élus d’un convoi terrestre dans un rayon de dix kilomètres autour de l’itinéraire prévu du convoi. »
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Dans la mesure où ce texte vise à améliorer la sécurité nucléaire, nous souhaitons en élargir le champ au transport de matières nucléaires qui traversent le pays.
L’opacité qui entoure actuellement les transports routiers et ferroviaires de combustibles nucléaires constitue une mise en danger des riverains. Chaque année, de très nombreux convois empruntent les réseaux ferré et routier français, avec des points de départ et d’arrivée qui peuvent être nationaux ou internationaux.
Ces convois utilisent fréquemment des tronçons ferroviaires très usités, aux heures de pointe, à proximité immédiate des usagers des transports en commun, lesquels ne reçoivent aucune alerte ni aucune information quant à la dangerosité potentielle du convoi.
Le présent amendement vise donc à rendre ces transports terrestres plus transparents, et à obliger leurs responsables à délivrer une information claire aux élus des territoires traversés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. Selon notre collègue, cet amendement vise à informer les élus lors du passage sur leur territoire de convois transportant des matières nucléaires.
Il semble pourtant évident que la confidentialité est essentielle à la sécurité des transports de ce type.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour explication de vote.
M. Joël Guerriau. Je ne vois pas quel serait l’intérêt, pour les élus, d’être destinataires de ce type d’information. Cela ferait peser sur eux une responsabilité supplémentaire, alors qu’ils en portent déjà tant ! Je préfère, pour ce qui me concerne, rester dans l’ignorance en ce qui concerne le passage de ces convois.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 593-6 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Après le mot : « responsable », sont insérés les mots : « de la sécurité et » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros le non-respect des avis de l’Autorité de sûreté nucléaire par le responsable d’une installation nucléaire au sens de l’article L. 593-2.
« Les personnes morales coupables de cette infraction encourent, outre une amende calculée en application de l’article 131-38 du code pénal, les peines mentionnées aux 8° et 9° de l’article 131-39 du même code. »
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. La sécurité et la sûreté nucléaires peuvent certes être menacées par l’intrusion de personnes mal intentionnées, mais cela n’a pas été le cas jusqu’à présent. Il apparaît toutefois que la menace la plus prégnante pour les installations nucléaires de base tient au non-respect des règles de sûreté édictées par l’Autorité de sûreté nucléaire.
Il serait contradictoire de prétendre vouloir garantir la sécurité des installations nucléaires et de ne pas inclure dans le champ de la loi ceux qui sont les garants de la sûreté. À cet égard, le texte est donc lacunaire.
Aussi, par parallélisme avec les peines encourues pour les infractions mentionnées à l’article 1er de cette proposition de loi, il est proposé de rendre susceptible d’une sanction pénale le non-respect des injonctions de l’ASN.
En l’état actuel du droit, l’ASN dispose d’un pouvoir de sanction graduée lorsque des inspections mettent en évidence des lacunes, l’échelle allant de sanctions administratives diverses jusqu’à la mise en demeure, associée à des sanctions pénales.
Tout en conservant le régime existant, il est proposé de rendre passible des peines précitées tout manquement aux avis et recommandations de l’ASN, qui revêtiraient alors, pour les exploitants, un caractère normatif, les manquements devenant directement susceptibles de sanction avant même toute mise en demeure.
Il s’agit de mettre en lumière le caractère de dangerosité exceptionnel d’une installation nucléaire et la nécessité corrélative de se conformer dans les plus brefs délais aux avis et recommandations émis par l’autorité administrative indépendante compétente en la matière, tout manquement à cette obligation étant alors constitutif d’une infraction pénale.
Si l’on entend assurer la sécurité des centrales nucléaires, un tel préalable apparaît comme une nécessité impérieuse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. Mes chers collègues, de par l’esprit qui le sous-tend, cet amendement me paraît…
Mme Leila Aïchi. Excellent ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. … recevable ! Il vise en effet à sanctionner les opérateurs qui ne respecteraient pas les avis de l’ASN.
Toutefois, ce régime de sanctions existe déjà et cette question est en cours de traitement dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, texte qui habilite le Gouvernement à réformer et à simplifier le régime de sanction existant et à doter l’ASN du pouvoir de prononcer des astreintes et des sanctions pécuniaires.
Cette question me semble devoir être traitée dans cet autre cadre législatif. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, je vous confirme que votre amendement est d’actualité, mais dans un autre hémicycle ! Dans quelques instants, je vais rejoindre Ségolène Royal à l’Assemblée nationale, où est examiné en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Il ne serait pas de bonne méthode de traiter en parallèle de la même question dans deux textes différents.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Avant le 30 septembre 2015, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les risques et menaces que constituent les survols illégaux par des aéronefs télépilotés. Ce rapport présente également les solutions techniques et capacitaires envisageables afin d’améliorer la détection et la neutralisation de ces appareils, ainsi que les adaptations juridiques nécessaires afin de réprimer de telles infractions.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par Mme Aïchi et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
évaluant les
par les mots :
sur les mesures complémentaires nécessaires à la sécurité des installations nucléaires de base contre les agressions extérieures. Ce rapport présente notamment les évolutions nécessaires en matière de renforcement de la sécurité des piscines de stockage de matières nucléaires, de sécurisation des transformateurs électriques et d’évaluation des
La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. L’article 2 de la proposition de loi vise à demander au Gouvernement un rapport sur les survols de drones.
Si l’appréhension du risque que représentent ces survols pour les installations nucléaires est importante, il est nécessaire qu’elle s’inscrive dans un cadre plus large d’évaluations complémentaires de sécurité, sur le modèle des évaluations complémentaires de sûreté réalisées à la suite de la catastrophe de Fukushima.
Il convient ainsi d’élargir ce rapport aux autres thématiques intéressant la sécurité et la sûreté des sites nucléaires, en particulier la « bunkerisation » des piscines et des transformateurs électriques, installations sensibles et peu protégées.
Si le survol des sites nucléaires par des drones est d’une brûlante actualité, comme l’illustrent des faits récents, le phénomène ne doit pas pour autant éclipser les autres problématiques liées à la sécurisation des sites nucléaires.
Une telle approche serait insuffisante, car parcellaire. C’est seulement par une approche globale, prenant en compte tous les points sensibles d’un site nucléaire, que la sécurité pourra être réellement améliorée. Il convient donc que ce futur rapport aborde toutes les dimensions du problème pour assurer la sécurité de ces sites.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Pintat, rapporteur. Cet amendement tend à élargir l’objet du rapport demandé au Gouvernement. Or le développement de l’usage des drones constitue une problématique de sécurité à part entière, qui appelle une réflexion d’ordre juridique et technique, ainsi que nous le rappelait Jacques Gautier.
Un groupe de travail a été constitué par le Gouvernement et, si j’en crois le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le SGDSN, que j’ai auditionné, il avance rapidement. Il soumettra ses propositions dans le temps imparti dans ce texte, d’ici l’automne. Il me semble que nous devons en rester là.
En outre, une nouvelle réglementation du secteur nucléaire est en cours de mise en place depuis 2010, qui oblige les opérateurs à mener des études de sécurité afin de démontrer la résistance de leurs installations aux menaces.
Un plan de mise en conformité du parc est donc actuellement piloté par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère chargé de l’énergie. Il faut donc également aborder cette question dans ce cadre.
Je vous propose d’en rester, dans le présent texte, à un rapport sur les drones, qui doit nous être remis le 30 septembre 2015.
L’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Leila Aïchi, pour explication de vote.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est à mon sens très regrettable que l’on s’en prenne, par ce texte, aux militants et aux lanceurs d’alertes : ces personnes, pacifiques, font avancer nos sociétés démocratiques. D’ailleurs, leur forte conscience environnementale comme leurs actions suscitent l’envie des pays étrangers.
Il est en outre très dommageable qu’un parti s’autorise à nous considérer, nous, les écologistes, comme des irresponsables, quand, précisément, son programme politique vise à transformer la France en Corée du Nord !
M. David Rachline. Vous parlez sans doute des communistes ?
Mme Leila Aïchi. Si le sujet n’était pas plus grave, cela me ferait sourire, mais, comme disait Napoléon, en politique, l’absurdité n’est jamais un obstacle !
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Il me semble formidable que nous puissions avancer sur la voie de la sécurisation du nucléaire français. Eu égard à son importance sur notre territoire, il est essentiel d’en mesurer les enjeux et d’éviter que ses installations ne deviennent un terrain de jeu pour qui que ce soit. Le militantisme peut s’exercer à l’extérieur des centrales, sans chercher à y pénétrer.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Je me félicite, à nouveau, du consensus qui se dégage autour de cette proposition de loi.
Le groupe socialiste comprend que ce sujet suscite des inquiétudes, mais il nous semble que ce texte ainsi que les réponses apportées par le rapporteur comme par le Gouvernement conduisent à les lever.
Nous voterons ce texte sans états d’âme.
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Je m’étonne encore du dogmatisme de la gauche et de l’extrême gauche dans notre pays (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Elles ont participé à la ruine du pays, mais se permettent toujours de donner des leçons.
Je rappelle que les Verts ont obtenu 0,07 % des voix aux élections départementales ! Ils viennent pourtant nous expliquer qu’après avoir contribué, avec les majorités de gauche et d’extrême gauche,…
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes seulement de gauche !
M. David Rachline. … à ruiner ce pays, après avoir fait entrer 200 000 immigrés chaque année sur notre territoire,…
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Quel est le rapport avec le texte en discussion ? C’est un dérapage !
M. David Rachline. … après avoir affaibli la laïcité et amoindri la souveraineté de la France, il faudrait que leurs petits amis militants extrémistes puissent venir mettre en danger la sécurité de nos centrales et la vie de nos compatriotes !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Il est dommage de rompre ainsi le consensus !
M. David Rachline. Comme précédemment avec la proposition de loi des communistes, je considère qu’il s’agit ici d’une véritable provocation, alors que notre pays traverse des crises si graves et si nombreuses. Mais ils seront sévèrement jugés par les Français !
Mme Cécile Cukierman. En place publique ?
M. David Rachline. Aux élections, cela suffira !
Mme Cécile Cukierman. Gardez vos menaces !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 21 mai 2015 :
De neuf heures trente à treize heures trente :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales (n° 375, 2014-2015) ;
Rapport de M. Pierre-Yves Collombat, fait au nom de la commission des lois (n° 440, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 441, 2014-2015).
Proposition de loi relative au parrainage civil, présentée par M. Yves Daudigny et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 390, 2014-2015) ;
Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois (n° 442, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 443, 2014-2015).
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze et le soir :
Proposition de loi présentée par MM. Yves Pozzo di Borgo, Pierre Charon et Philippe Dominati tendant à modifier le régime applicable à Paris en matière de pouvoirs de police (n° 391, 2014-2015) ;
Rapport de M. Alain Marc, fait au nom de la commission des lois (n° 433, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 434, 2014-2015).
Projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 2014 relative à l’élection des conseillers métropolitains de Lyon (Procédure accélérée) (n° 224, 2014-2015) ;
Rapport de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois (n° 415, 2014-2015) ;
Texte de la commission (n° 416, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART