Mme Annie David. Les dispositions de cet amendement sont issues d’une proposition de loi élaborée par notre ancien collègue Guy Fischer, que j’avais cosignée, et des travaux menés au Sénat par le groupe de travail de la commission des affaires sociales entre 2010 et 2012.
S’inspirant de propositions de loi émanant de divers groupes parlementaires – le groupe communiste, républicain et citoyen, le groupe socialiste ou le groupe UMP –, ce groupe de travail avait formulé des propositions pour permettre et encadrer le recours à l’assistance médicalisée pour mourir. Le texte issu de ses travaux, adopté en commission, avait été rejeté en séance publique. Il portait pourtant sur un problème crucial et traitait d’un sujet qui fait consensus auprès de nos concitoyennes et de nos concitoyens. En effet, 90 % d’entre elles et d’entre eux se disent favorables à l’euthanasie et 86 % souhaitent que la prochaine loi relative à la fin de vie légalise l’euthanasie active.
Il s’agit là d’une évolution naturelle, prolongeant celle des pratiques médicales à laquelle nous avons assisté ces dernières années. En effet, rares sont ceux qui, parmi nous, contestent encore le recours à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse, instituée grâce à la loi Veil, ou à la procréation médicalement assistée. Dans cette mouvance, il convient de conquérir un nouveau droit : celui de mourir sans souffrance, dignement et quand on le souhaite. Il s’agit de pouvoir demander, lorsqu’on est placé dans un état de dépendance que l’on juge incompatible avec sa propre dignité, une assistance médicalisée pour mourir. Bien entendu, ce recours est encadré. Il se limite aux personnes majeures qui en ont fait la demande de manière libre et éclairée.
De plus, nous proposons d’introduire une clause de conscience, par laquelle le médecin peut refuser de pratiquer l’acte d’assistance pour mourir. Dans le cas d’un semblable refus et afin que les droits du patient à mourir soient garantis, il est prévu que le praticien oriente son patient vers un confrère ou une consœur à même de pratiquer l’acte.
Les dispositions de cet amendement ont le mérite d’offrir davantage de solutions aux personnes atteintes de maladies graves et incurables et, ainsi, de garantir une plus grande liberté pour être acteur de sa mort. Nous les avons assorties de garde-fous suffisants pour empêcher les dérives : informations quant aux soins palliatifs, délais de réflexion, vérification du caractère libre et éclairé du choix du patient, etc.
Enfin, ce dispositif s’appuie sur l’exemple des États étrangers où l’euthanasie active est autorisée. Dans ces pays, on a pu redouter que cette évolution ne s’accompagne d’une baisse des moyens alloués aux soins palliatifs ; ces craintes ne se sont pas vérifiées. Surtout, ces États n’ont pas assisté à une extension des pratiques d’euthanasie active. C’est bien la preuve que, en encadrant ce droit, il est possible d’éviter les dérives naturelles.
M. le président. L'amendement n° 82 rectifié bis, présenté par Mmes David, Assassi et Beaufils, MM. Billout et Bosino et Mmes Prunaud, Cohen et Gonthier-Maurin, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est complétée par un article L. 1111-13-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-13-… – Lorsqu’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable se trouve de manière définitive dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir à la condition que celle-ci figure expressément dans ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l’article L. 1111-11.
« Sa personne de confiance en fait la demande à son médecin qui la transmet à un autre praticien. Après avoir consulté l’équipe médicale, les personnes qui assistent quotidiennement l’intéressé et tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, les médecins établissent, dans un délai de quinze jours au plus et à l’unanimité, un rapport déterminant si elle remplit les conditions pour bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une assistance médicalisée pour mourir, la personne de confiance doit confirmer le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral à son décès. L’assistance médicalisée pour mourir est alors apportée après l’expiration d’un délai d’au moins deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.
« Le rapport des médecins est versé au dossier médical de l’intéressé. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’assistance médicalisée pour mourir adresse à la commission régionale de contrôle mentionnée au présent titre un rapport exposant les conditions dans lesquelles le décès s’est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Cet amendement tend à ce que tous les patients, même s’ils ne sont pas en mesure d’exprimer leur volonté, puissent accéder à une assistance médicale pour mourir. Bien entendu, il ne s’agit pas d’ouvrir la voie à d’éventuelles dérives, notamment la proposition d’une assistance médicale pour mourir faute de moyens alloués à un véritable accompagnement en soins palliatifs.
Non seulement le dispositif que nous proposons est équilibré, mais il va également dans le sens de l’évolution de la médecine. Au surplus, il répond à la volonté de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Surtout, il permettrait d’apporter des solutions, face à des drames familiaux dont certains ont été malheureusement jetés sous les feux de l’actualité. Je songe à l’affaire Vincent Humbert ou, plus récemment, à l’affaire Vincent Lambert.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Il est difficile d’aborder ce sujet en faisant abstraction de considérations philosophiques, religieuses, voire politiques. Pourtant, j’ai eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, en particulier en commission, cette proposition de loi n’est pas faite pour ceux qui veulent mourir mais pour ceux qui vont mourir.
La commission a rejeté ces amendements pour deux raisons.
Premièrement, il convient de savoir s’il faut médicaliser la mort, en demandant à un médecin ou à un soignant, dans un cadre législatif, de la donner.
Deuxièmement, ouvrir le droit à l’euthanasie ne reviendrait-il pas à instaurer une solution expéditive, pour occulter la question de la fin de vie ? Mes chers collègues, je vous le rappelle, notre société a une fâcheuse tendance à reléguer tous les problèmes liés à la vieillesse, à la maladie ou à la mort.
Pour ces raisons, la commission a rejeté cette série d’amendements, qui tendent à ouvrir un droit à l’euthanasie. Dans le cadre d’un accompagnement à la fin de vie, que nous aurons l’occasion de présenter plus en détail dans la suite de nos débats, nous avons privilégié la possibilité d’accompagner, par un acte non instantané, la fin de vie, via une sédation continue. Ce choix ménage la sensibilité émotionnelle de la famille et de l’entourage. Il respecte également la volonté, exprimée par le médecin, de ne pas donner la mort.
Cette proposition de loi a pour objet de protéger les patients, les soignants, l’entourage, en particulier, je le répète, sur le plan émotionnel, et la société.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Je comprends très bien la démarche poursuivie par les auteurs de ces amendements et la réflexion qui est la leur. Je l’ai dit au cours de la discussion générale, on ne saurait écarter d’un revers de la main la préoccupation ainsi exprimée. Il faut entendre cette demande, que formulent un grand nombre de nos concitoyens et dont divers intervenants viennent de se faire l’écho, sur diverses travées : aller au-delà des dispositions figurant dans le présent texte.
À cet égard, certains ont relevé, pour s’en étonner, que plusieurs membres de l’actuel gouvernement avaient, il y a quelques années, signé des textes allant dans le sens du dispositif proposé via ces amendements. Je tiens à leur répondre en deux points.
Premièrement, on peut être constant dans ses positions et, parallèlement, laisser sa réflexion évoluer.
Deuxièmement, ce soir, comme à d’autres moments, nous n’avons pas poussé suffisamment loin la distinction entre l’euthanasie au sens strict et le suicide assisté. Ces deux démarches ne sauraient être placées sur le même plan. Elles sont très différentes. On peut se retrouver dans l’une sans adhérer à l’autre. Or diverses propositions de loi, rédigées il y a quelques années, ne faisaient pas la différence entre ces deux réalités. À mon sens, il ne va donc pas de soi que l’étape suivante relève indifféremment de l’une ou de l’autre des deux options.
À titre personnel, je vous le dis très simplement, je me retrouve assez bien dans ces amendements.
Mme Corinne Bouchoux. C’est bien de le dire !
Mme Marisol Touraine, ministre. Néanmoins, la question n’est pas là. Si le Président de la République a souhaité que le texte s’en tienne à la sédation profonde et définitive, c’est en réponse à l’interrogation suivante : quel est l’état d’esprit dans notre pays, non pas il y a trois, quatre ou cinq ans, mais aujourd’hui ?
Au terme de ses débats, la conférence citoyenne a abouti à la même conclusion que le Comité consultatif national d’éthique dans son rapport : on observe, semble-t-il, un consensus dans notre pays pour aller vers le dispositif figurant dans le présent texte. En revanche, les conditions ne semblent pas réunies pour aller plus loin. Le Gouvernement, avec le Président de la République, a donc fait le choix d’aller aussi loin que le permet la société française.
Certains prétendent que cette proposition de loi ne répond pas aux engagements présidentiels, pour autant que ceux-ci les concernent. Je conçois que ces engagements ne lient pas l’ensemble des travées de cet hémicycle, mais ce texte s’y inscrit bien. Il est certes possible de considérer qu’il ne va pas assez loin, mais non de prétendre qu’il n’est pas conforme à la promesse exprimée pendant la campagne.
D’autres à ma place l’auraient peut-être dit autrement, mais je n’ai pas de difficulté à assumer ma position personnelle, que j’ai expliquée à de nombreuses reprises. Celle-ci s’efface toutefois derrière l’appréciation par le Gouvernement des évolutions envisageables, aujourd’hui, dans la société française. Je souhaite donc le retrait de ces amendements ; à défaut, l’avis sera défavorable. (Mmes Dominique Gillot et Michelle Meunier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite corriger certains propos erronés.
Monsieur Godefroy, si la commission des affaires sociales a voté la proposition de loi présentée par votre groupe en 2011, c’est parce qu’il y a eu un accord entre l’opposition et la majorité visant à ce que le texte puisse être débattu en séance publique. Une fois que le débat a eu lieu, la proposition de loi a été rejetée par la majorité de l’époque. Il faut raconter toute l’histoire et pas seulement la partie qui vous arrange.
Monsieur Cadic, vous avez cité des pays européens qui pratiquent l’euthanasie, mais vous avez oublié d’évoquer les bilans qui en sont actuellement tirés. J’ai rappelé dans mon intervention que, en Belgique, en particulier, comme dans un autre pays plus au nord, ces bilans indiquent que la loi, bien que particulièrement stricte, n’est plus respectée et que se produisent dérives et débordements, au point que l’un de ces pays envisage de revenir sur cette autorisation. Attendons les conclusions de ces bilans, analysons la situation, nous déciderons ensuite. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, pour explication de vote.
M. Alain Néri. Sur ce sujet, chacun votera en conscience.
J’ai entendu Mme la ministre affirmer que l’opinion publique ne serait pas prête. Or certains sondages montrent qu’une majorité de nos concitoyens serait d’accord avec les propositions portées par ces amendements. Au demeurant, la responsabilité des parlementaires n’est-elle pas d’être parfois en avance ? S’il avait écouté l’opinion publique, François Mitterrand n’aurait jamais obtenu l’abolition de la peine de mort !
Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !
M. Alain Néri. Ces amendements visent à offrir la possibilité de choisir une assistance médicalisée permettant une mort rapide et sans douleur. Choisir, c’est être libre, comme nous le souhaitons tous !
Je vous annonce très tranquillement que je vais voter ces amendements, parce que je souhaite que mes compatriotes jouissent de leur liberté, qui est l’un des fondements de notre République. Parmi ceux qui voteront le texte, certains refuseront peut-être, au moment décisif de la mort, d’en bénéficier. Mais là n’est pas la question : il s’agit d’offrir à nos concitoyens la possibilité de choisir librement. Nous proposons ainsi que la décision soit prise lorsque la personne est parfaitement lucide et capable de se déterminer en conscience. Nous insistons également sur la nécessité de respecter les directives anticipées, lesquelles doivent pouvoir être confirmées par une personne de confiance.
Ces amendements tendent également à garantir l’égalité, notion que chacun répétait à l’envi au début de la séance. Rejeter ces amendements reviendrait donc à aller contre cette nécessité, puisque ceux qui auront les moyens pourront dépenser 10 000 ou 15 000 euros pour aller finir leur vie en Suisse ou ailleurs, alors que les autres en seront réduits à subir.
Le troisième pilier de notre République est la fraternité, l’humanité. Dans ce moment douloureux, il sera ainsi possible d’abréger les souffrances et de faire en sorte de mourir dans la dignité, sinon dans la sérénité, sans doute difficile à atteindre lorsque l’on passe de vie à trépas. Comme il a été indiqué précédemment au sujet de l’hydratation, cette dernière offre un confort qui permet de finir ses jours sans tomber dans la déchéance, qui me semble plus terrible encore que la mort elle-même.
Ce soir, mes chers collègues, j’en appelle à votre réflexion individuelle. Au-delà des opinions des uns et des autres, nous sommes des citoyens, des parlementaires, des élus, nous avons réfléchi longuement à cette question. Je vous engage à voter en conscience, car il nous appartient, à travers le vote du Sénat, de faire un pas vers la modernité et vers la liberté pour chacun de choisir sa mort dans la dignité et dans le respect de ses préférences, consignées dans les directives anticipées. En cet instant important, le Sénat se grandirait en votant ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Roger Madec, pour explication de vote.
M. Roger Madec. Je voterai sans état d’âme l’amendement déposé par mon collègue Jean-Pierre Godefroy ainsi que les amendements du même ordre. J’ai voté en ce sens il y a quatre ans ici même, et je ne vois aucune raison de me déjuger aujourd’hui.
En principe, tout le monde est égal en droit. Les Français sont pourtant inégaux devant la mort, comme l’a rappelé Jean-Pierre Godefroy. Ceux qui sont un peu plus fortunés et qui, souffrant d’une maladie incurable, font le choix de mourir dignement peuvent se rendre en Suisse ou ailleurs. Les plus modestes, que je connais bien pour avoir été longtemps élu d’un arrondissement populaire, n’ont pas cette possibilité, à moins d’avoir des relations, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Par conséquent, le Sénat se glorifierait en adoptant ces amendements de façon sobre et sereine.
Madame la ministre, je vous respecte. Vous avez fait preuve de courage en rappelant votre position personnelle et les éléments qui vous conduisent aujourd’hui à nous demander de voter contre ces amendements. Je ne partage toutefois pas votre point de vue : le législateur ne légifère pas sous la pression de l’opinion publique !
L’opinion publique lui était-elle majoritairement favorable lorsque Simone Veil a courageusement porté la loi sur l’IVG ? L’opinion publique lui était-elle majoritairement favorable lorsque Robert Badinter a fait voter la loi abolissant la peine de mort ? L’opinion publique lui était-elle majoritairement favorable lorsque le général de Gaulle a accordé le droit de vote aux femmes ? L’opinion publique nous était-elle majoritairement favorable lorsque, l’année dernière, nous avons voté le mariage pour tous ? Cet argument ne me semble donc pas recevable.
Le candidat François Hollande a pris un engagement clair. Il nous appartient aujourd’hui de le tenir.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je souhaite expliquer pourquoi je vais voter l’amendement n° 9 rectifié, que j’ai cosigné.
Madame la ministre, je ne partage pas votre analyse de l’état de l’opinion publique française, laquelle me semble consciente que le libre choix doit revenir aux individus, dans le cadre de la loi. Les consciences ont beaucoup progressé sur ce sujet, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les expériences étrangères y ont contribué. Certes, comme toujours, des dérapages se sont produits ici ou là. Notre système actuel en est-il vraiment exempt ? La sédation n’en connaîtra-t-elle pas ? Les lois humaines ont toujours, hélas ! emporté des conséquences non souhaitées. Il faut continuellement améliorer les dispositifs afin que les dérapages se raréfient plutôt qu’ils ne se généralisent. Rien de cela ne disqualifie ces expériences.
Ensuite, l’espérance de vie ayant augmenté, les Français sont de plus en plus confrontés à des proches en fin de vie qui souffrent. Sans moyens financiers, sans quelqu’un de compréhensif, nos compatriotes se retrouvent dans une situation personnelle difficile à gérer.
Les consciences ont évolué dans notre société, en même temps que les libertés. Nous luttons continuellement pour gagner notre liberté face aux aléas de l’existence et face à la mort, l’aléa ultime.
Les propos de nos collègues Néri et Madec rappelant le courage qu’il a fallu pour voter contre la peine de mort sont doublement significatifs. J’ai toujours été frappée par les discours de ceux qui considèrent, au nom du caractère sacré de la vie – au sens laïque –, qu’il ne faut jamais donner la mort et qui n’ont pourtant pas beaucoup d’états d’âme quand il s’agit de condamner à mort des individus au nom de la justice des hommes. À mes yeux, les individus sont libres de leur mort, de la même manière que nous essayons de les rendre libres dans leur vie.
Je pense qu’il est courageux, vis-à-vis de l’opinion, d’ouvrir de temps en temps des champs nouveaux. Et pourquoi fais-je cette comparaison avec d’autres lois ? On doit en effet toujours se poser la question suivante : la liberté individuelle donnée à quelqu’un est-elle de nature à nuire à l’intérêt général ? Notre rôle de législateur est de trouver un équilibre propice à l’intérêt général. Mais quelle est la personne qui va voir ses droits ou ses libertés réduits par le fait de donner à chacun le libre choix de pouvoir, de manière encadrée, organiser la fin de sa vie ? Comme on ne fait reculer en rien les droits des autres, l’intérêt général n’est pas affecté par l’accroissement de la liberté individuelle qui est proposé dans cet amendement.
Je ne vois donc aucun argument qui s’y oppose, sauf à penser qu’une transcendance, qui ne serait pas humaine, définit ce qu’est la vie. Or ceux-là même qui ont cette croyance reconnaissent qu’il y a toujours un équilibre entre la conscience de la personne et ces transcendances que certains peuvent juger réelles et que leurs convictions religieuses peuvent considérer comme importantes.
Pour ma part, je ne vois pas au nom de quoi la société, dont l’intérêt général doit être défendu au regard de l’état actuel de l’opinion et du progrès permanent des libertés qui doivent être données à chacun, devrait s’opposer à l’amendement que nous avons présenté ; je pense que son adoption serait un grand progrès pour notre République.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la ministre, vous vous êtes montrée très courageuse en nous laissant entendre que vous n’êtes pas en désaccord avec la série d’amendements que nous défendons, mais que, compte tenu de votre poste ministériel et de l’analyse politique extrêmement subtile réalisée par le pouvoir exécutif, il ne serait pas possible dans l’état actuel de l’opinion de voter ces amendements sans provoquer un séisme.
Mes chers collègues, je comprends très bien les réticences que certains d’entre vous peuvent avoir pour des raisons philosophiques, religieuses ou personnelles sur les amendements que nous avons déposés. Je regrette que nous n’ayons pas ce soir parmi nous des orateurs qui aient l’éloquence d’un Robert Badinter ou la force de persuasion d’une Simone Veil pour parvenir à tous vous convaincre que la liberté que nous réclamons pour quelques-uns n’enlève rien aux droits de tous les autres.
La position que vous avez défendue, madame la ministre, est éminemment respectable. Pour autant, nous restons extrêmement attachés à ces amendements et nous pensons que l’avenir nous donnera raison. Élue d’un département plutôt traditionnel et catholique, issue d’un milieu lui aussi plutôt catholique, je peux vous assurer que la réalité de la France n’est pas celle que vous avez décrite ce soir : 95 % de nos concitoyens sont d’accord avec les amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. Roger Madec et Olivier Cadic applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la ministre, je voudrais vous remercier et vous féliciter, car nous n’avons pas toujours bénéficié d’un dialogue aussi direct, aussi compréhensif, ni même aussi sincère.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, il faut faire très attention aux mots que l’on emploie : la loi belge est appliquée depuis suffisamment longtemps pour qu’on puisse en faire le bilan ; elle fonctionne bien, à telle enseigne que la Belgique vient de l’étendre aux mineurs.
Je me rappelle que le Comité consultatif national d’éthique avait reçu une lettre assez désagréable quand il avait mis en cause les résultats de cette loi. Des médecins belges de confession catholique avaient écrit que, malgré leurs réticences initiales, ils continueraient à pratiquer l’euthanasie. Fidèles à leurs croyances, ils considéraient qu’ils apportaient ainsi une aide, et ils ne voulaient pas revenir en arrière. Un médecin belge a d’ailleurs publié un livre qui illustre parfaitement ce que je viens de dire.
Par ailleurs, le nombre d’euthanasies n’a pas augmenté en Belgique par rapport à ce qui se faisait auparavant dans la clandestinité ; aucun recours n’a été déposé, depuis que la loi existe, devant le procureur du Roi. La loi belge ne doit donc pas être si mauvaise… D’ailleurs, des lois similaires existent dans d’autres pays.
Nous devons garder à l’esprit que l’opinion publique est loin d’être hostile à cette disposition. Les sondages successifs le montrent. Je vous invite à assister aux réunions tenues par l'association pour le droit de mourir dans la dignité, vous verrez le nombre de personnes qui y participent. Si je puis me permettre ce trait d’humour, certains partis politiques aimeraient avoir autant de monde à leurs réunions…
Pour en revenir au fond du problème, notre amendement, comme il a été rappelé, ne supprime aucun droit et n’ajoute aucune obligation ; il vise simplement à offrir une liberté, celle de mettre fin à son existence dans des conditions bien précises et encadrées.
Vous avez tous en tête, mes chers collègues, des cas très douloureux, tels ceux que j’ai évoqués dans la discussion générale : des personnes âgées qui supplient leur conjoint de mettre fin à leurs souffrances. La seule solution pour le juge est de faire preuve de compréhension et de ne pas appliquer la loi. Dans ma région, il y a encore peu de temps, un monsieur de quatre-vingt-cinq ans s’est retrouvé devant le tribunal parce que son épouse l’avait supplié de mettre fin à ses jours. Nous devons prendre en compte ces drames et permettre que la loi encadre ces pratiques.
Nous en reparlerons certainement en abordant l’examen de l’article 3, mais quand votre médecin vous informe que votre pronostic vital est engagé dans les deux à trois mois qui viennent et que, de toute façon, vous finirez vos jours à l’hôpital parce que des soins de confort seront nécessaires, vous savez que la fin approche inéluctablement et qu’elle sera précédée, peut-être, d’une sédation terminale profonde. Dès lors, pourquoi ne pas accepter que vous puissiez anticiper ce dénouement final en disant : « Je préfère arrêter maintenant, ne pas en passer par là, pour moi-même et pour ma famille ; je souhaite partir les yeux ouverts et accomplir ainsi ce passage. » Le passage, comme l’on dit lors de certaines obsèques religieuses, cela peut être de dire au revoir de son vivant, tirer un bilan de sa vie avec sa famille et ses proches, avec ceux qu’on aime. Pourquoi le refuser à ceux qui le souhaitent ?
Nous nous grandirions et nous ferions un grand pas pour notre démocratie et pour la République si nous ouvrions ce droit. Il s’agit d’une possibilité qui ne s’imposera à personne, qui sera encadrée et qui, à mon avis, constituera une mesure législative aussi forte que l’abolition de la peine de mort, la loi relative à l’IVG ou le droit de vote pour les femmes. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Ce débat fait appelle à la conscience de chacun d’entre nous et il est lourd de conséquences.
J’ai beaucoup de respect pour le but visé par mon ami Cadic dans son amendement et pour les arguments de mon ami Néri, avec qui j’ai parcouru toute l’Asie. J’ai également écouté avec attention, comme je le fais souvent, les intéressants propos de Mme Lienemann, celui exprimé par M. Godefroy et d’autres encore. Je peux donc dire que je suis en complet désaccord sur le fond : je ne considère pas être libre de faire ce que je veux de ma vie. Certains de nos collègues ne partagent sans doute pas cet avis personnel, mais beaucoup d’autres Français le partagent peut-être. Pour ma part, j’appartiens à une génération, celle de 1968, qui a été très marquée par le marxisme et qui considère que l’histoire voit le progrès du modernisme. Or je crois qu’il y a aussi des régressions dans l’histoire.
Je voudrais surtout insister sur un autre point. En 1981, quand j’étais encore un jeune militant giscardien – à chacun ses défauts (Sourires.) –, j’ai voté contre François Mitterrand. Je militais alors avec Bernard Stasi. J’ai néanmoins apprécié son courage lorsqu’il s’est déclaré contre la peine de mort, car il allait à contre-courant de 80 % de l’opinion publique. Robert Badinter a ensuite porté le texte de loi devant le Parlement.
Dans le même ordre d’idée, il fut difficile pour le parti démocrate-chrétien auquel j’appartenais de défendre l’IVG, dont je reconnais à présent qu’il s’agissait d’une avancée.
Ces deux débats ont été importants. Il faut pourtant remarquer que, quoiqu’ils aient duré plusieurs nuits, ils n’ont pas été conclus à une heure du matin, devant les quelques parlementaires qui restaient alors en séance ; au contraire, tout le monde était présent, par deux fois, pour faire un choix personnel. Lors du vote de l’abolition de la peine de mort, des parlementaires de gauche, de droite et du centre ont voté pour : le vote sur ce sujet de fond, comme sur l’IVG, était personnel. Or, ce soir, pour un débat qui est tout de même aussi important que ceux relatifs à la peine de mort ou à l’IVG, nous ne sommes que quelques-uns, quoique nombreux encore compte tenu de l’heure tardive ; si un scrutin public devait avoir lieu, nous ignorons complètement comment nos amis absents de l’hémicycle auraient voté.
Voilà ce qui me choque, non pas que le débat soit engagé, non pas les arguments de mes amis Cadic et Néri, mais le fait que, sur une question aussi forte, nous ne serons que quelques-uns à devoir trancher pour le reste du pays. Je regrette franchement que nous ne puissions avoir ce débat en présence des 348 sénateurs, afin que chacun d’entre eux puisse savoir ce qu’il vote en toute connaissance de cause.